C. COMMENT SAUVEGARDE-T-ON CE PATRIMOINE ?

1. Les conditions pour préserver la vitalité du PCI

Les politiques relatives au PCI doivent moins viser à protéger ce patrimoine, c'est-à-dire à le conserver en l'état comme le visent principalement les politiques relatives au patrimoine matériel, qu'à le sauvegarder, ce qui renvoie à l'idée de faire en sorte qu'il reste viable et pertinent . Une protection trop stricte, qui consisterait à essayer de fixer l'élément, voire de le figer dans un passé idéalisé, aurait pour effet de l'entrainer dans un processus de « folklorisation » et de paralyser la créativité des individus ou groupe d'individus qui le pratiquent.

Or, les éléments du PCI sont comparables à des organismes vivants : ils doivent pouvoir être interprétés par les individus ou groupes d'individus, ce qui implique leur évolution pour les adapter aux circonstances de l'époque ou du lieu pour permettre aux générations successives de se les approprier . Sans quoi, deux risques guettent lesdits éléments : d'une part, qu'ils ne puissent pas donner naissance à de nouvelles formes d'expression sous l'effet d'une créativité bridée ; d'autre part que la communauté qui les pratiquait ne s'y identifie progressivement plus, au risque qu'ils perdent leur qualité de patrimoine culturel et qu'ils disparaissent peu à peu.

Il en découle deux éléments :

a) La sauvegarde du PCI repose avant tout sur la transmission du savoir, du savoir-faire et du sens associé à l'élément

Lors de son audition, Tim Curtis, secrétaire de la Convention pour la sauvegarde du patrimoine immatériel et chef de l'Entité du patrimoine vivant à l'Unesco, a précisé que l'Unesco jugeait plus important, pour assurer correctement la sauvegarde d'un élément sans le figer, que l'accent soit mis sur les processus et les conditions de sa transmission ou de sa communication d'une génération à l'autre plutôt que sur la production de ses manifestations concrètes - comme les spectacles de danse, les chants, les instruments de musique ou les objets résultant de l'artisanat. L'objectif de la transmission est de faire en sorte que la génération suivante puisse continuer à pratiquer l'élément de PCI et se l'approprie, ce qui suppose principalement d'en transférer les connaissances, les savoir-faire et les significations .

L'article 2 de la Convention de 2003 définit la sauvegarde comme les différentes « mesures visant à assurer la viabilité du patrimoine culturel immatériel ». La Convention détaille un certain nombre des mesures susceptibles d'être prises à cet effet, à savoir : « l'identification, la documentation, la recherche, la préservation, la protection, la promotion, la mise en valeur, la transmission, essentiellement par l'éducation formelle et non formelle, ainsi que la revitalisation des différents aspects de ce patrimoine ».

b) Les communautés doivent jouer un rôle central dans l'identification et la sauvegarde du PCI

L'Unesco estime par ailleurs qu'il appartient principalement aux « communautés » d'identifier ce qui fait patrimoine et de prendre les mesures nécessaires à la sauvegarde de l'élément en question. Elles apparaissent les mieux placées pour le faire dans la mesure où ce sont elles qui le créent et le maintiennent en vie. Le terme de communauté ne doit pas être entendu dans un sens identitaire, mais renvoie aux personnes et structures qui créent un élément, l'entretiennent ou le transmettent ou alors à celles qui le reconnaissent comme une composante importante de leur patrimoine .

Cela ne veut pas dire que des personnes extérieures à ces communautés, et en particulier les collectivités publiques, ne peuvent pas contribuer à la sauvegarde du PCI. Elles peuvent, par exemple, soutenir les communautés lors de la collecte et de l'enregistrement des informations relatives aux éléments de PCI. Elles peuvent participer à la transmission des savoirs relatifs au PCI dans le cadre du service public de l'enseignement. Elles peuvent également promouvoir le PCI en contribuant à la diffusion de l'information dans ce domaine ou en encourageant les études scientifiques et les programmes de recherche. Elles peuvent désigner des organismes compétents en matière de PCI. Elles peuvent aussi contribuer à sa sauvegarde en intégrant cette question dans leurs politiques publiques ou adoptant des mesures juridiques, techniques, administratives et financières destinées à assurer l'accès au PCI.

Mais, la sauvegarde du PCI se fonde sur une logique ascendante, dans laquelle l'État n'est pas seul prescripteur. Il s'agit d'un véritable changement d'approche par rapport à celle qui préexistait à la Convention de 2003 en France, où le PCI était avant tout une affaire d'experts en ethnologie. Désormais, l'Unesco exige que les communautés soient largement impliquées dans l'identification des éléments de PCI et la définition des mesures de sauvegarde car ce sont les populations qui auront, en tout état de cause, un rôle privilégié ensuite dans la création et la transmission du PCI. L'Unesco demande par ailleurs que les États parties à la Convention aient recueilli le consentement préalable des communautés avant de présenter un dossier de candidature pour obtenir l'inscription d'un élément sur l'une de ses listes.

2. Des outils pour faciliter l'identification du PCI

Nonobstant le rôle privilégié attribué aux communautés dans l'identification et la sauvegarde du PCI, l'Unesco a elle-même mis en place des listes du PCI au niveau mondial et enjoint les États parties à la Convention d'identifier, par le biais d'une démarche d'inventaire, les éléments de PCI situés sur leur territoire afin de contribuer à la sauvegarde du PCI. De fait, l'inscription sur ces listes d'inventaire contribue à inciter les acteurs à définir les mesures de sauvegarde qu'ils mettront ensuite en oeuvre. Selon les services du ministère de la culture, il est rare d'observer des programmes de sauvegarde structurés s'agissant des éléments qui ne sont pas inclus dans les inventaires.

Au-delà de leur caractère incitatif, les listes de l'Unesco et, dans une moindre mesure, l'inventaire national, jouent un rôle important pour la reconnaissance du PCI et de ses différents éléments .

a) Les listes associées à la Convention de 2003 pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel

Les principaux objectifs de la Convention de 2003 sont d'assurer la sauvegarde et le respect du PCI, de sensibiliser à son importance et de permettre une assistance et une coopération internationales dans ces domaines. Comme pour le patrimoine mondial, pour lequel l'Unesco dresse des listes des biens culturels et naturels présentant un intérêt exceptionnel au regard de l'héritage commun de l'humanité, l'organisation internationale a mis en place trois listes destinées à mieux identifier le PCI à travers le monde et à encourager sa sauvegarde . Les pays du Sud, souvent moins bien dotés en patrimoine matériel et proportionnellement moins distingués sur la liste de la Convention de 1972 que les pays du Nord, étaient dans l'attente d'une liste portant sur le PCI afin que leur patrimoine soit mieux reconnu au niveau mondial.

La première liste est la liste du patrimoine culturel immatériel nécessitant une sauvegarde urgente . L'Unesco considère cette liste comme la plus importante. Elle vise à permettre la prise de mesures de sauvegarde appropriées pour poursuivre la pratique ou la transmission des éléments, soit dont la viabilité est en péril, soit qui font l'objet de menaces sérieuses auxquelles ils ne peuvent pas survivre sans mesures de sauvegarde immédiates.

La deuxième liste est la liste représentative du patrimoine culturel de l'humanité . Cette liste vise à assurer une meilleure visibilité au PCI, à sensibiliser à son importance et à promouvoir la diversité culturelle à l'échelle du monde et la créativité humaine. Ont vocation à figurer sur cette liste les éléments qui démontrent la diversité du PCI. Leur inscription sur la liste est conditionnée à l'élaboration de mesures de sauvegarde permettant de protéger et de promouvoir l'élément.

La troisième liste est le registre des bonnes pratiques de sauvegarde . L'Unesco inscrit sur ce registre des projets et programmes de sauvegarde mis en place pour des éléments de PCI qui reflètent le mieux les principes et les objectifs de la Convention, apparaissent efficaces pour contribuer à la viabilité du PCI concerné et pourraient servir de modèle, en particulier dans les pays en développement.

Si la création de ces listes a initialement été dictée par une volonté de rééquilibrage Nord-Sud, il s'avère que le fait que seul le PCI conforme aux instruments internationaux existants relatifs aux droits de l'homme et à l'exigence de respect mutuel entre communautés, groupes et individus et d'un développement durable, favorise les pays du Nord, d'autant que ces derniers disposent généralement davantage de capacités pour préparer les dossiers de candidature, qui nécessitent de nombreuses données techniques. Plusieurs États parties à la convention peuvent déposer une candidature commune pour obtenir l'inscription d'un élément sur l'une des listes de l'Unesco.

Les risques de voir un élément inscrit sur l'une des listes retiré de celle-ci sont faibles, même s'ils ne sont pas inexistants. Le Bureau du comité de la Convention de 2013 a ainsi décidé en 2019 le retrait du carnaval belge d'Alost de la liste représentative, après avoir constaté que celui-ci avait autorisé l'exhibition d'un char caricaturant des juifs orthodoxes, en contradiction avec l'obligation pour les éléments inscrits de satisfaire aux exigences du respect mutuel entre communautés.

Les candidatures présentées par la France à l'Unesco
pour la période 2021-2022

Trois éléments avaient été identifiés comme pouvant faire l'objet d'une candidature nationale pour inscription sur la liste représentative du patrimoine immatériel de l'Unesco :

- Le « Biou d'Arbois », fête périodique viti-vinicole, jour de la fête patronale et anniversaire de la Libération de la ville d'Arbois (inscrit à l'inventaire national en 2013) ;

- Les « savoir-faire des couvreurs-zingueurs et des ornemanistes parisiens » (inscrits à l'inventaire national en 2017) ;

- Les « savoir-faire et la culture de la baguette de pain » (inscrits à l'inventaire national en 2018).

La ministre de la culture, Roselyne Bachelot, a annoncé le 26 mars 2021 que la candidature de la baguette de pain serait soumise au titre du cycle 2021-2022. La ministre de la culture a souligné l'intérêt de cette candidature pour « faire prendre conscience qu'une pratique alimentaire faisant partie du quotidien, partagée par le plus grand nombre et allant de soi, constitue un patrimoine à part entière », espérant que l'Unesco en accepterait l'inscription sur sa liste représentative. Celle-ci doit rendre sa décision d'ici la fin de l'année 2022.

Parallèlement au dépôt de ce dossier national, deux dossiers de candidature multinationale concernent également la France :

- Les fêtes de l'Ours dans les Pyrénées avec la principauté d'Andorre ;

- la culture vivante de la fête foraine et l'art des forains avec la Belgique.

Source : Commission de la culture, de l'éducation et de la communication

b) L'inventaire du patrimoine culturel immatériel en France

L'obligation pour les États parties à la Convention de 2003 de mettre en place des inventaires nationaux permettant d'identifier tous les éléments de PCI situés sur leur territoire constitue un autre des principaux apports de cet instrument juridique. Ces inventaires permettent en effet d'évaluer le PCI présent dans chaque pays et de sensibiliser à ces formes différentes de patrimoine. Ils contribuent à la prise de conscience de l'intérêt de sauvegarder ce patrimoine. Aucun élément ne peut d'ailleurs être inscrit sur la liste de sauvegarde urgente ou sur la liste représentative de l'Unesco s'il ne figure pas au préalable sur l'inventaire national .

En France, cet inventaire est tenu et mis à jour par le ministère de la culture : c'est la délégation à la recherche, à l'inspection et à l'innovation au sein de la direction générale des patrimoines et de l'architecture qui en est chargée. Débuté en 2008, l'inventaire national comporte aujourd'hui près de 500 éléments inventoriés . Il s'agit de savoirs et savoir-faire, de jeux, de pratiques rituelles, de pratiques sportives, de pratiques sociales et festives, de traditions et d'expressions orales, et de musiques et de danses. Chaque fiche d'inventaire 2 ( * ) , réalisée en lien avec les communautés détentrices du PCI, rend compte de la viabilité de l'élément et des mesures de sauvegarde que les communautés s'engagent à mettre en place .

L'inclusion à l'inventaire national se fait principalement par le biais d'appels à projets, même si les communautés ont également la possibilité de la solliciter directement. La demande d'inclusion est soumise à l'examen du comité du patrimoine ethnologique et immatériel (CPEI). Créé en 2012 aux fins de conseiller le ministre chargé de la culture sur l'ensemble des questions relatives à l'application, sur le territoire national, de la Convention de 2003, il est composé à parts égales de représentants du ministère de la culture, d'élus locaux et de personnalités qualifiées.


* 2 Une fiche-type d'inventaire est présentée en annexe du présent rapport.

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