B. LE SENS DE L'INSCRIPTION D'UN ÉLÉMENT PAR L'UNESCO N'EST PAS TOUJOURS CORRECTEMENT COMPRIS PAR CEUX QUI ENTREPRENNENT LA DÉMARCHE POUR L'OBTENIR

1. La Convention de 2003 ne fonctionne pas comme la Convention de 1972

On observe aujourd'hui une méprise au sujet de la finalité de l'inscription sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l'Unesco . Celle-ci repose sur la confusion qui est faite entre la liste du patrimoine mondial qui découle de la Convention de 1972 et la liste représentative du PCI qui relève de la Convention de 2003. Elle est très largement entretenue par les médias.

Alors que la liste du patrimoine mondial n'intègre que des biens qui détiennent une valeur universelle exceptionnelle, tel n'est pas le cas de la liste représentative du patrimoine culturel immatériel, sur laquelle a vocation à figurer n'importe quel élément répondant à la définition du PCI , dès lors qu'il est compatible avec les principes des droits de l'homme et qu'il ne porte pas atteinte au respect mutuel entre les peuples ni au développement durable. Contrairement à la liste du patrimoine mondial, la liste représentative du PCI n'a pas pour objet de recenser les meilleurs exemples d'une pratique, d'un savoir ou d'un savoir-faire. L'Unesco est très attachée à ce que la liste représentative n'engendre aucune hiérarchie entre les éléments de PCI . Les capacités de l'entité du patrimoine vivant, qui est chargée au sein de l'Unesco du suivi de la Convention de 2003, ne lui permettent cependant pas d'examiner plus de 50 à 60 dossiers de candidature par an, ce qui explique que seuls 584 éléments aient été inscrits sur l'une des trois listes du PCI de l'Unesco depuis 2008.

Il apparaît important de mieux faire comprendre les distinctions entre les philosophies sur lesquelles reposent la Convention de 1972 et celle de 2003 et de clarifier les objectifs de cette seconde convention. L'Unesco conçoit avant tout celle-ci comme un outil de préservation de la diversité culturelle et de promotion de la paix .

Pour l'Unesco, l'intérêt de cet instrument juridique n'est pas tant à rechercher dans ses listes que dans la prise de conscience qu'elle vise à provoquer dans chacun des États parties concernant l'importance du PCI et la nécessité de le valoriser et de le transmettre. C'est la raison pour laquelle les questions de sauvegarde du PCI à l'échelle nationale, qui comprennent en particulier la réalisation d'inventaires nationaux visant à identifier le PCI, sont traitées dans la convention prioritairement aux questions de sauvegarde du PCI à l'échelle internationale, auxquelles les trois listes cherchent à répondre.

L'objectif de promouvoir la paix par le biais du PCI explique aussi pourquoi l'Unesco encourage les dossiers de candidature soumis par plusieurs États. Les candidatures multinationales ne sont pas limitées en nombre à la différence des candidatures nationales : à titre individuel, la France n'est autorisée à présenter qu'un dossier de candidature tous les deux ans.

2. L'inscription sur l'une des listes de l'Unesco n'est pas un label

Compte tenu des finalités poursuivies par la Convention de 2003 et de la volonté de ne pas hiérarchiser les éléments de PCI, l'inscription sur l'une des listes de l'Unesco ne constitue pas un label. Pour l'Unesco, elle constitue un moyen d'inciter à la définition et à la mise en oeuvre de mesures de sauvegarde du PCI sur le territoire de chacun des États parties à la convention.

Beaucoup sollicitent pourtant l'inscription auprès de l'Unesco pour combler un déficit de reconnaissance et obtenir une légitimité, mais aussi dans l'espoir d'en obtenir des retombées. Même si l'inscription sur la liste représentative a pour but d'apporter davantage de visibilité aux éléments qui y figurent et contribue ainsi à faire reconnaître et apprécier lesdits éléments et le rôle des individus et groupes d'individus qui y concourent, les retombées de l'inscription apparaissent difficiles à mesurer .

D'une part, l'Unesco est très vigilante à ce que l'inscription sur les listes ne poursuive pas une finalité commerciale. Elle ne souhaite pas qu'on puisse attribuer au PCI une « valeur de marché » au lieu de sa valeur culturelle, ce qui explique qu'elle cherche à éviter tout risque de dérive mercantile sur laquelle l'inscription pourrait déboucher (tourisme de masse susceptible de conduire à une dénaturation et une perte d'authenticité de l'élément inscrit, récupération d'une inscription par des groupes industriels ou des lobbies économiques). L'utilisation de son logo se révèle complexe . Elle suppose une autorisation expresse à chacune des occasions où il est prévu de l'apposer afin que l'Unesco s'assure de la finalité poursuivie. Beaucoup renoncent dans ces conditions à en faire la demande.

Le contrôle exercé par l'Unesco sur le risque de dérive commerciale est particulièrement fort pour ce qui concerne les pratiques et savoir-faire dans le domaine de la gastronomie, obligeant les candidats à l'inscription à apporter un soin extrême à la présentation de leur dossier de candidature et au contenu des mesures de sauvegarde envisagées de manière à rassurer l'Unesco. Ces contraintes expliquent pourquoi c'est le repas gastronomique des Français, c'est-à-dire la pratique festive et conviviale du bien manger et du bien boire, et non la gastronomie française, qui a été inscrite en 2010 par l'Unesco pour ne pas favoriser un secteur d'activité. L'obtention de l'inscription de la pizza par l'Italie sur la liste représentative a nécessité huit ans de négociation du fait des craintes émises par l'Unesco, avant que « l'art du pizzaiolo napolitain » ne soit finalement inscrit en 2017. La candidature des savoir-faire artisanaux et de la culture de la baguette de pain, présentée par la France au titre des années 2021-2022, s'accompagne d'une étude anthropologique présentant les fonctions de la baguette dans la société française et les représentations autour de la baguette.

D'autre part, l'inscription ne garantit aucun effet pour les porteurs de projets . Elle ne se traduit notamment pas par la mise à disposition automatique de crédits pour accompagner la mise en oeuvre des mesures de sauvegarde, ni au niveau de l'Unesco, ni au niveau national. Des demandes d'assistance financière peuvent être présentées par les gouvernements auprès de l'Unesco, mais elles concernent prioritairement les besoins des pays en développement, en particulier des pays les moins avancés, et portent principalement sur la sauvegarde du patrimoine figurant sur la liste de sauvegarde urgente et sur la création d'inventaires nationaux.

La sauvegarde repose donc ensuite intégralement sur les communautés qui portent le dossier . Elles doivent trouver les moyens de valoriser et de contrôler leur PCI et de mettre en oeuvre les mesures de sauvegarde détaillées dans le dossier de candidature. Jean-Robert Pitte, président de la mission française de la culture et des patrimoines alimentaires, note ainsi une certaine lenteur dans la réalisation des projets, regrettant la faible implication de beaucoup de ministères, alors même que la candidature devant l'UNESCO émane de la France avec le consentement des communautés et non l'inverse.

L'Unesco exige des États parties qu'ils présentent tous les six ans un rapport sur leur mise en oeuvre de la Convention et sur le statut des éléments inscrits sur la liste représentative - les rapports concernant les éléments inscrits sur la liste de sauvegarde urgente devant, eux, être transmis tous les quatre ans. L'implication des communautés dans la mise en oeuvre des mesures de sauvegarde une fois l'inscription obtenue se révèle toutefois très inégale , au risque de voir l'inscription de l'élément par l'Unesco manquer son objectif premier.

3. La demande d'inscription n'a de sens que si elle s'inscrit dans une volonté de mettre en place un véritable projet de sauvegarde

L'inscription sur les listes du patrimoine culturel immatériel de l'Unesco doit s'inscrire dans le cadre d'une ambition authentique de sauvegarde de l'élément. Elle permet d'insuffler une dynamique politique en faveur de la connaissance, de la promotion, de la valorisation et de la transmission de l'élément.

Elle constitue une occasion pour les communautés de fédérer une diversité d'acteurs autour de l'élaboration et de la mise en oeuvre d'un projet de sauvegarde. Il s'agit d'une dimension essentielle, dans la mesure où plus il y a d'acteurs fédérés en amont d'un dossier, plus la sauvegarde a de chance d'être complète et de pouvoir être menée à bien. Une implication d'une multiplicité d'acteurs dans la sauvegarde réduit le risque que la sauvegarde ne s'interrompe, comme cela peut arriver dans le cas où il n'y aurait qu'une seule association porteuse et que celle-ci disparaitrait.

L'inscription peut d'ailleurs être un vecteur pour rassembler tous les acteurs d'une filière autour d'un savoir-faire et ainsi préserver et développer l'économie locale. L'élément « les savoir-faire liés au parfum en Pays de Grasse » réunit ainsi toute la filière des parfums, depuis les cultivateurs des plantes à parfum jusqu'aux artistes-parfumeurs en passant par les spécialistes des matières premières naturelles (artisans, ouvriers, techniciens). La ganterie de Millau prépare elle aussi un dossier de candidature en vue de son inscription à l'Unesco avec pour objectif de redonner du sens à toute une filière allant de l'agropastoralisme (éleveurs, bergers, naisseurs, nourrisseurs, tondeurs, agriculteurs, vétérinaires) à la connaissance et la transformation des matières naturelles (mégissiers, tanneurs, coupeurs, teinturiers, classeurs, filateurs, délaineurs) et à l'art de confectionner le gant (maîtres-gantiers, couturiers piqûres et cousu main).

L'expérience montre que l'inscription peut aussi contribuer à donner un coup d'accélérateur à des projets précédemment en germe , dès lors qu'ils sont susceptibles de contribuer à la sauvegarde de l'élément. Ce fut le cas pour les cités de la gastronomie, dont l'idée était née avant l'inscription du repas gastronomique des Français à l'Unesco en 2010, mais dont la réalisation a été rendue possible dans un délai rapide grâce à cette inscription, puisqu'il s'agissait de l'une des mesures phares du plan de gestion de l'élément dans le dossier de candidature.

La FAMDT estime à juste titre qu' il conviendrait de faire davantage la promotion du registre des bonnes pratiques et d'encourager les porteurs de projets à solliciter l'inscription sur celui-ci, dans la mesure où il s'agit de celles des trois listes de l'Unesco qui correspond le mieux à l'esprit de la Convention de 2003. Elle suppose en effet la construction préalable d'un projet beaucoup plus complet et abouti de sauvegarde. Dans une évaluation réalisée à l'occasion des dix ans de la Convention, l'Unesco soulignait elle aussi que l'importance de la liste représentative est surestimée et que le registre des bonnes pratiques était sous-exploité. Elle jugeait indispensable de clarifier tous les malentendus concernant le concept et l'objet de la liste représentative et de repenser la façon d'identifier et de diffuser les meilleures pratiques.

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