DEUXIÈME TABLE RONDE


CONCILIER PROTECTION DES BIODIVERSITÉS ET DÉVELOPPEMENT : UN DÉFI ET UNE NÉCESSITÉ

PROPOS INTRODUCTIF



Thani MOHAMED SOILIHI,

Sénateur de Mayotte

Monsieur le Président,

Monsieur le Directeur général,

Messieurs, Mesdames,

Chers collègues,

J'ai l'honneur d'introduire la deuxième table ronde de ce colloque, consacrée à la conciliation entre protection des biodiversités et développement économique.

En tant que sénateur de Mayotte, je me félicite que la Délégation sénatoriale aux outre-mer ait fait le choix, sous l'impulsion du président Michel Magras, de mettre en avant le patrimoine naturel des outre-mer, encore trop méconnu, ce qui me donne l'occasion d'évoquer la situation de Mayotte qui est trop rarement abordée, à mon goût, sous cet angle.

Mayotte dispose pourtant de richesses naturelles exceptionnelles, tant terrestres que marines. Avec plus d'un millier d'espèces végétales, un fort taux d'endémisme, un ensemble de forêts tropicales, de zones humides terrestres, de mangroves et de récifs coralliens absolument remarquables, Mayotte est un des fleurons de la biodiversité mondiale.

Elle possède l'un des plus grands lagons fermés du monde. Classé Parc Naturel Marin depuis 2010, ses eaux accueillent plus de 700 espèces de poissons, une vingtaine d'espèces de mammifères marins, soit un quart de la diversité mondiale. Vous savez que la question du classement de ce lagon au patrimoine de l'Unesco est régulièrement évoquée depuis 2014.

Il est heureux que la transition entre les deux tables rondes ait permis de visionner un reportage sur l'exposition « Outre-mer grandeur nature » présentée en 2020 sur les grilles du Jardin du Luxembourg, sous le haut patronage du président Gérard Larcher. Vous avez pu apercevoir ainsi quelques photos de la splendeur de nos fonds sous-marins. Je rappelle qu'en 2018, il y a presque trois ans jour pour jour, un volcan sous-marin est né au large de Mayotte au cours de la plus grande éruption de ce type depuis deux siècles. Sa naissance a été pour la première fois observée presque en direct. Je ne m'étends pas sur ce sujet qui mériterait à lui seul un colloque entier.

Mayotte dispose donc de beaucoup d'atouts pour valoriser économiquement les éléments liés à la mer qui l'entoure (une position stratégique, des eaux poissonneuses, un littoral unique au monde, etc.) autrement dit pour développer ce qu'on appelle « l'économie bleue », autour de la pêche, du tourisme, ou encore de la valorisation de sa biodiversité.

N'oublions pas que Mayotte est le territoire français qui connaît à la fois la plus forte croissance démographique, avec plus de la moitié de sa population en dessous de 18 ans, et un pourcentage de 77 % de la population qui vit en dessous du seuil de pauvreté. La question du développement économique est donc absolument vitale pour cette collectivité !

Je rappellerai aussi les récents débats au Sénat autour du projet de loi constitutionnelle relatif à la préservation de l'environnement, qui constitue une invitation politique forte à mener des politiques environnementales plus ambitieuses, reposant sur la nécessaire conciliation avec le développement économique et le progrès social, comme le prévoit l'article 6 de la Charte de l'environnement.

Comme dans les autres bassins océaniques étudiés dans nos précédents colloques, nous constatons que nos richesses naturelles sont certes remarquables mais également très vulnérables.

Outre l'impact du changement climatique sur les milieux et les espèces, les activités humaines y exercent une très forte pression. Leur protection nécessite des moyens qui font actuellement terriblement défaut à la collectivité mahoraise.

La partie terrestre exigerait une surveillance ininterrompue afin de lutter contre le braconnage, le défrichage, la pratique du brûlis... Elle nécessite des moyens d'étude et d'ingénierie, d'où l'utilité de former la population locale, en particulier les jeunes, sans omettre de faire appel à des experts nationaux, voire internationaux.

Quant à la partie marine, elle reste largement à explorer. Elle nécessite une attention particulière des scientifiques pour en connaître son étendue, les modalités de protection, pour recueillir les suggestions en matière de conservation et les opportunités d'exploitation et de mise en valeur économique.

Nous avons évoqué le prochain congrès de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), qui devrait se tenir normalement cette année à Marseille. L'UICN publie la fameuse « Liste rouge » des espèces menacées. En mars 2021, à l'occasion de la Journée mondiale de la vie sauvage, elle a dressé un bilan préoccupant, avec une liste des espèces menacées en France, que ce soit dans l'Hexagone ou en outre-mer.

Pour Mayotte, le bilan est très critique. L'analyse conduite sur la flore montre que 43 % des espèces sont menacées, dont 25 % des oiseaux nicheurs et 12 % des coraux présents autour de l'île.

La situation dans certaines zones de l'océan Indien est donc préoccupante du point de vue des atteintes à la biodiversité.

Mais nous observons aussi un foisonnement d'initiatives porteuses d'espoir, comme les différents intervenants vont nous le présenter. Ce sont ces pratiques respectueuses de l'environnement et compatibles avec un développement durable, que ce colloque a vocation à faire connaître, diffuser et soutenir.

Notre table ronde est modérée par le directeur des outre-mer de l'OFB, Jean-Michel Zammite, qui connaît bien cette région et qui a identifié, avec son équipe, des expériences prometteuses sur lesquelles vous pourrez réagir.

Des actions aux effets concrets sont menées par les acteurs publics, comme la création il y a quelques jours de la Réserve naturelle des forêts de Mayotte. 7,5 % du territoire de l'île et 51 % des forêts domaniales et départementales sont désormais sanctuarisés ! L'exceptionnelle biodiversité qu'abrite cette réserve bénéficiera ainsi d'une protection forte.

Par ailleurs, un ambitieux plan de reboisement des bassins-versants de Mayotte par le Conseil départemental et l'Office national des forêts est engagé. Ce projet est possible grâce aux fonds mobilisés dans le cadre du programme européen FEADER.

Ainsi, la prise de conscience du lien indissociable entre conservation de la biodiversité et développement humain progresse, lien que la pandémie de Covid-19 a rendu encore plus évident.

Je tiens à saluer l'engagement de tous les participants au service de cet objectif, qui est à la fois un défi et une nécessité pour tous les territoires ultramarins, et pour ceux de l'océan Indien en particulier.

Jean-Michel ZAMMITE,

Modérateur,
Directeur des outre-mer de l'Office français de la biodiversité (OFB)

M. Jean-Michel Zammite, ingénieur général des ponts, des eaux et des forêts, est directeur des outre-mer à l'Office français de la biodiversité.

Auparavant il a été directeur de la police au sein de l'Agence française de la biodiversité, directeur adjoint de la connaissance et de l'information sur l'eau à l'Office national de l'eau et des milieux Aquatiques.

Il a également travaillé 9 ans au sein de collectivités territoriales dans le Bas-Rhin et l'Allier avant de prendre la direction de la délégation Bourgogne, Franche-Comté de l'ONEMA en 2007.

Merci, Monsieur le sénateur, de la sincérité de vos propos et de votre engagement en faveur de la biodiversité.

Pour cette deuxième table ronde dont le thème est « Concilier protection des biodiversités et développement : un défi et une nécessité », vont intervenir successivement :

- M. Charles Giusti, préfet, administrateur supérieur des Terres australes et antarctiques françaises ;

- M. Christophe Fontfreyde, directeur délégué du Parc naturel marin de Mayotte ;

- M. Éric Legrigeois, président du directoire du Grand port maritime de La Réunion ;

- M. Florent Ingrassia, ingénieur divisionnaire de l'agriculture et de l'environnement (IDAE), chef du service forêt et milieux naturels de la direction régionale de l'ONF pour La Réunion ;

- M. Pascal Hoarau, directeur de la Régie RNNESP, organisme gestionnaire de la Réserve naturelle nationale et du site Ramsar de l'étang de Saint-Paul.

Charles GIUSTI,

Préfet, Administrateur supérieur des Terres australes et antarctiques françaises

« Comment concilier protection de la biodiversité et activités humaines : l'exemple de la pêche et du tourisme dans les TAAF »

Propos de présentation de M. Jean-Michel Zammite, directeur des outre-mer à l'Office français de la biodiversité

M. Charles Giusti a été pendant 19 ans officier dans la Marine nationale, avant de rejoindre l'administration civile. Il a occupé notamment les fonctions de chef du groupement des moyens aériens de la sécurité civile, d'adjoint au directeur de la jeunesse, de l'éducation populaire et de la vie associative. Il fut sous-directeur de la planification et de la gestion des crises au ministère de l'intérieur, directeur adjoint de l'administration pénitentiaire et directeur général adjoint des outre-mer. Il est préfet, administrateur supérieur des TAAF depuis octobre 2020.

Bonjour à tous,

Les TAAF couvrent un immense espace géographique. Il y a, par exemple, environ 2 800 kilomètres entre La Réunion et Crozet, entre La Réunion et Amsterdam ou entre Hobart (port logistique qui permet d'approvisionner la terre Adélie) et la base de Dumont-d'Urville. 9 000 kilomètres séparent les îles Éparses de la terre Adélie, soit la largeur de la Russie.

Si nous basculons les TAAF dans l'hémisphère nord, aux mêmes latitudes, l'archipel Kerguelen pourrait être positionné au niveau de Paris, Crozet au niveau de la Serbie, Saint-Paul et Amsterdam au niveau du Portugal, la terre Adélie au niveau du Groenland et les îles Éparses en Afrique subsaharienne.

Les TAAF couvrent 2,27 millions de km 2 , soit 20 % de l'espace de l'espace maritime français qui est le deuxième au monde. La réserve naturelle des Terres australes, classée en 2019 au patrimoine mondial de l'Unesco, s'étend sur près de 680 000 km 2 . C'est l'une des plus grandes aires protégées du monde.

Les caractéristiques communes entre ces différents territoires, qui vont du tropical à l'Antarctique en passant par le subantarctique, sont leur isolement, l'absence de population permanente, et donc l'absence d'impact direct des activités humaines, et une biodiversité exceptionnelle. Ces territoires sont donc des laboratoires à ciel ouvert qui permettent l'observation de la biodiversité et des changements climatiques.

[un film illustrant la biodiversité des TAAF, dans les Terres australes et dans les îles Éparses, est projeté]

Ce film ne montre pas l'Antarctique et ses populations de pétrels, de manchots empereurs, l'espèce emblématique des régions froides, ou de phoques de Weddell.

Les TAAF bénéficient de dispositifs de protection de leur patrimoine naturel.

La Réserve naturelle des Terres australes françaises a été créée en 2006. Elle a été étendue en 2016 et le sera à nouveau en 2022 pour couvrir l'intégralité des espaces terrestres et maritimes de ces territoires (15 % de l'espace maritime français). Elle bénéficie de trois labellisations (Ramsar depuis 2008, la Liste verte depuis 2017, le classement au patrimoine mondial de l'Unesco depuis 2019) et d'un plan de gestion.

Du côté des îles Éparses, les Glorieuses ont un statut de parc naturel marin et devraient devenir prochainement une réserve naturelle nationale, nous attendons la publication du décret. Cette réserve doit être étendue, dès 2022, à l'ensemble des îles Éparses. Celles-ci bénéficient également de la labellisation Ramsar depuis 2011 et d'un plan d'actions biodiversité.

Le plan de gestion de la Réserve naturelle des Terres australes françaises et le plan d'action biodiversité des îles Eparses font l'inventaire des connaissances de la biodiversité, prévoient des actions de restauration, notamment des actions de biosécurité pour protéger ces territoires des espèces invasives, une gestion et un encadrement des usages, comme la pêche et le tourisme, et enfin des facteurs clés de réussite qui vont des actions de sensibilisation aux actions de surveillance de ces territoires, en passant par la logistique nécessaire pour armer les bases permanentes. Celles-ci assurent la souveraineté de la France et les missions de protection de la biodiversité et de soutien à la recherche.

La pêche est une activité économique extrêmement importante. La pêche aux thonidés se pratique au nord de la zone, notamment dans les îles Éparses. Elle représente 480 tonnes de poissons pêchés et s'inscrit dans le cadre de la Commission thonière de l'océan Indien (CTOI). La pêche australe concerne 630 emplois, dont 570 à La Réunion. C'est une pêche à forte valeur ajoutée, qui représente 8 % du total de la valeur ajoutée de la pêche française et le deuxième secteur d'exportation de La Réunion, avec 6 000 tonnes de légine pêchées par 7 navires et un peu moins de 400 tonnes de langoustes à Saint-Paul et Amsterdam.

Cette pêche est une pêche durable. En s'appuyant sur les données scientifiques du Muséum national d'histoire naturelle (MNHN), les TAAF fixent les totaux admissibles de capture (TAC). Depuis 2015, il existe un plan de gestion de la pêcherie à la légine, complété par d'autres dispositions juridiques et administratives, qui permet de définir des axes de gestion pour répondre aux enjeux environnementaux, économiques et scientifiques de cette pêche afin de lui donner un caractère durable.

Les axes de gestion de la pêche à la légine australe sont les suivants :

- conserver une biomasse reproductrice de légine australe à l'échelle de 35 ans suffisamment forte ;

- garantir un niveau résiduel voir nul de captures accidentelles d'oiseaux ;

- garantir un niveau d'impact minimal sur les espèces non ciblées (essentiellement raies, requins, grenadiers, antimores) ;

- préserver les écosystèmes benthiques des fonds marins ;

- lutter contre la déprédation par les mammifères marins ;

- améliorer le cadre de gestion des rejets et déchets et prévenir les risques de pollution ;

- réduire l'empreinte écologique de la flottille et de chaque navire de pêche.

En complément, des contrôleurs sont embarqués à bord des navires de pêche à la légine. Ils veillent au respect de la réglementation par les armements et collectent les informations nécessaires au suivi scientifique.

Les TAAF contribuent également aux travaux de la Commission de conservation de la faune et de la flore de l'Antarctique (CCAMLR) et à ceux des organisations régionales de gestion des pêches (APSOI, CTOI).

Elles veillent à limiter, voire supprimer, les pressions non voulues, comme la pêche illégale ou les pollutions. Elles s'appuient sur un dispositif de surveillance des espaces maritimes avec le navire-ravitailleur et bâtiment de souveraineté l'Astrolable, propriété des TAAF et armé par le Marine nationale, et avec les autres bâtiments de la Marine nationale présents à La Réunion, sur une surveillance satellitaire opérée par le Centre national de surveillance des pêches (CNSP) au Cross d'Étel, sur le patrouilleur des affaires maritimes Osiris II, sur la pêche autorisée, qui permet de vérifier l'absence de pêche illégale et enfin sur le programme Ocean Sentinel qui, grâce à des capteurs fixés sur des albatros, permet d'identifier les navires présents, autorisés et non autorisés, sur zone.

L'activité touristique est quant à elle très restrictive, qualitative et écoresponsable. Nous y portons une attention particulière pour éviter toute dérive ou tout impact environnemental. Les TAAF mettaient en oeuvre, avant la crise épidémique, des offres de tourisme à bord du Marion Dufresne, limitées à 10-12 personnes pour chacune des quatre rotations annuelles.

La Compagnie du Ponant a mis en place depuis 2017 des croisières très encadrées, sur un bâtiment de 200 passagers, le Lyrial.

Ces touristes sont pris en charge par des agents de la Réserve naturelle nationale qui préparent un circuit sur mesure pour éviter toute perturbation du milieu. Par ailleurs, des mesures de biosécurité sont mises en place et consistent à éviter l'introduction d'espèces invasives sur ces territoires.

Enfin, l'activité touristique en Antarctique est en fort développement puisque le continent a accueilli 73 000 touristes pendant l'été austral 2019/2020. Les offres touristiques d'environ 10 % d'entre eux font l'objet d'une instruction par les TAAF qui sont l'autorité nationale compétente française pour autoriser ou non les activités humaines en Antarctique dans le cadre du protocole de Madrid. Ce développement du tourisme nécessite une attention particulière. A l'occasion de la prochaine Réunion consultative du traité sur l'Antarctique (RCTA) qui aura lieu à Paris en juin prochain, la France a impulsé et coordonné des travaux visant à mieux encadrer ces activités touristiques, notamment avec la création d'un manuel rassemblant les règles applicables aux activités touristiques et la possibilité d'embarquer des observateurs sur les navires de croisière afin de veiller à ce que les activités respectent les règles.

Juan de Nova (c) Cédric Valière

Christophe FONTFREYDE,

Directeur délégué du Parc naturel marin de Mayotte

« La marque High Quality Whale-Watching (HQWW) : une approche respectueuse des mammifères marins »

Propos de présentation de M. Jean-Michel Zammite, directeur des outre-mer à l'Office français de la biodiversité

Ingénieur agronome de formation, M. Christophe Fontfreyde a travaillé 8 ans à La Réunion dans le secteur du développement agricole, 20 ans en Nouvelle-Calédonie dans les secteurs de l'aquaculture, de la pêche et de l'environnement avec notamment la création du Parc naturel de la mer de Corail.

Depuis 2 ans, il est directeur délégué du Parc naturel marin de Mayotte, le plus ancien et le plus vaste parc des outre-mer.

Bonjour à tous,

La connexion étant parfois erratique, je vous ai adressé mon intervention sous la forme d'un film que je vous propose de lancer.

Reportage Mayotte 1 ère : Halda Halidi - images sous-marines Franck Grangette - M. Hermile :

« C'est probablement le plus grand trésor de Mayotte. Chaque année, en plein hiver austral, les baleines viennent s'abriter à l'intérieur de la barrière de corail pour donner naissance à leurs petits. Dauphins et baleines sont aussi victimes de leur succès. Par exemple, un dimanche matin, après plusieurs heures de recherche une baleine est signalée et une dizaine de bateaux se lancent à sa poursuite. Les embarcations se relaient l'une après l'autre pour observer le géant des mers. Les règles sont strictes : interdiction d'approcher à plus de 100 mètres ou d'encercler l'animal. Il nous faudra une bonne demi-heure pour le voir de plus près. Cette charte est difficile à faire respecter pour les agents du parc marin. »

Thibault Patricolo, agent de terrain du parc naturel marin :

« Les infractions les plus fréquentes sont des approches et des dérangements intentionnels. Le baleineau est très vulnérable pendant ses premiers jours et ces approches peuvent déranger le couple mère/baleineau et les contraindre à ne plus venir dans les eaux de Mayotte et à se rabattre vers des eaux plus calmes. »

Halda Halidi :

« En adhérant au label High Quality Whale Watching (HQWW), Marco Demoulin a choisi une observation écoresponsable et applique un code d'approche encore plus strict, interdiction de nager avec les cétacés et une sensibilisation sur la préservation de l'écosystème marin. »

Marco Demoulin :

« Naviguer en montrant aux clients les animaux tout en les respectant fonctionne très bien. Les touristes s'intéressent à cette manière de travailler qui permet aussi de sensibiliser les autres prestataires. »

Christophe Frontfreyde :

« Ils sont prêts à payer, comme certaines personnes habitant à Mayotte, un peu plus cher pour une prestation qui respecte l'environnement et où ils apprennent plus de choses. Ces prestations naturalistes ne sont pas seulement des promenades. Ce sont aussi des promenades à travers l'écosystème et son fonctionnement. »

Halda Halidi :

« Le parc marin forme tous les prestataires qui souhaitent acquérir ce label. Cette certification n'est expérimentée qu'en Méditerranée et à Mayotte. Pour l'heure, seuls trois opérateurs locaux ont souhaité l'acquérir. »

Christophe Frontfreyde prend la parole :

« Le lagon de Mayotte est l'un des plus grands lagons fermés du monde et contient une diversité exceptionnelle, dont des mammifères marins. Certaines espèces de dauphins sont résidentes, d'autres itinérantes à travers l'océan Indien et des baleines le visite tous les ans.

Une filière d'observation s'est bâtie sur cette richesse et cette présence des mammifères marins. Si cette observation ne les dérange pas et ne change pas leur comportement, il n'y a aucune raison de l'interdire. En revanche, il est indispensable de l'organiser. Nous avons choisi, dans un premier temps, de l'organiser sur la base du volontariat, avec le label HQWW. Il impose un cahier des charges plus contraignant en matière d'approche des mammifères marins, de manière à vraiment les respecter dans leur cycle de vie. Il a permis de transformer ce qui était une promenade dans le lagon en expérience naturaliste. Le parc marin forme les opérateurs qui sont alors capables d'expliquer la vie des animaux, leur place dans l'écosystème et l'importance des règles. Nous avons donc cherché à convaincre le public et les opérateurs de l'intérêt des bonnes pratiques avant d'envisager des mesures plus restrictives.

La réglementation a évolué, puisque l'approche à moins de 100 mètres des mammifères marins est interdite au niveau national. Nous devons donc nous aussi évoluer. Nos inspecteurs de l'environnement ont du mal à vérifier le respect de l'interdiction d'approche des animaux à moins de 100 mètres. Une des solutions serait de la transformer en une obligation de sortie de l'eau si des animaux sont à moins de 100 mètres des nageurs. En effet, il est très difficile de prouver que la réglementation n'a pas été respectée, les baigneurs affirmant que ce sont les animaux qui se sont rapprochés. Une autre piste pour favoriser l'accès au lagon des différents mammifères marins qui voyagent à travers l'océan Indien serait d'interdire la pêche dans les réserves naturelles et celle des DCP (dispositif de concentration de poisson) dérivant dans les parcs marins. Enfin, nous pourrions envisager la mise en place d'un système de licences, avec un numerus clausus , pour limiter de manière réglementaire, lagon par lagon, le nombre de bateaux en fonction de la saison et de l'impact sur les mammifères marins. »

Éric LEGRIGEOIS,

Président du directoire du Grand port maritime de La Réunion

« Comment concilier le développement des activités portuaires et logistiques, la préservation ou la restauration d'habitats et la mise en valeur des espèces endémiques de La Réunion ? »

Propos de présentation de M. Jean-Michel Zammite, directeur des outre-mer à l'Office français de la biodiversité

M. Éric Legrigeois, ingénieur général des Ponts, des Eaux et des Forêts, a effectué l'essentiel de sa carrière au sein de la fonction publique d'État. Après avoir occupé des postes de direction à la DDE devenue DEAL Martinique puis à la DREAL en PACA. Il a été nommé, en mars 2019, président du directoire de port Réunion.

Bonjour à tous,

Le port est implanté sur deux sites : le « port Ouest », historique, et le « port Est », plus récent. Il a le statut d'établissement public national, emploie 270 personnes pour un trafic en augmentation de 5,9 millions de tonnes en 2019. Il joue un rôle croissant au niveau du trafic de containers, notamment en accueillant davantage de transbordement à l'échelle de la zone sud de l'océan Indien. C'est le premier port français de l'outre-mer en termes de tonnage, le troisième port des régions ultrapériphériques européennes, le troisième port militaire de France et le quatrième en termes de flux de containers. Le Grand Port a donc des perspectives de développement assorties d'impacts potentiels.

Le « port Ouest » accueille les flux de trafic historiques, la pêche, la réparation navale, la plaisance, le ciment et le gaz. Le « port Est » reçoit les nouveaux trafics, en particulier les containers. Les navires les plus importants font 9 500 EVP (équivalent vingt pieds) et 330 mètres de long.

La démarche environnementale est déclinée dans le projet stratégique à cinq ans de l'établissement. Il comprend une démarche de port responsable qui se traduit à travers le schéma directeur du patrimoine naturel (SDPN) et le plan d'aménagement et de développement durable (PA2D).

Le projet stratégique a fait l'objet d'une évaluation environnementale et les démarches de préservation de l'environnement ont été valorisées.

Le SDPN est organisé pour traiter à la fois des enjeux maritimes et des enjeux terrestres. L'enjeu maritime est important puisque les projets d'extension portuaire impactent le domaine maritime. Pour anticiper les mesures de réduction d'impact, les mesures d'évitement et les mesures de compensation nécessaires, nous avons défini un plan d'actions de préservation et de valorisation. L'approche s'est faite par secteur et nous apporte une vision très fine des enjeux. Nous avons dans le même temps mis en place un suivi sur des stations sentinelles pour nous assurer que l'activité portuaire n'avait pas d'impact négatif.

Le volet préservation a commencé par des inventaires qui ont détecté des richesses importantes en zone marine profonde et permis d'identifier des espèces nouvelles. Par ailleurs, le Grand Port finance, dans le cadre d'une convention avec l'IRD et l'université, la thèse d'un doctorant sur les récifs mésophotiques : ce sont des récifs profonds pouvant jouer un rôle déterminant sur l'équilibre des récifs de surface beaucoup plus impactés par les activités anthropiques.

Ce SDPN comprend un plan d'actions sur :

- la connaissance du patrimoine naturel ;

- la conservation et la valorisation des richesses et des fonctionnalités des écosystèmes ;

- un enjeu de gestion concertée et coordonnée, par exemple sur l'amélioration de la gestion des eaux pluviales pour éviter l'hypersédimentation liée au lessivage des bassins-versants, sur une meilleure conciliation entre usages anthropiques et biodiversité ou sur une contribution à l'observation et à la non-prolifération des espèces exotiques envahissantes ;

- la communication, par la mise à disposition des données recueillies aux parties prenantes, universitaires ou collectivités territoriales et par la sensibilisation de la population.

Parmi les actions engagées, nous sommes attentifs à la protection des cétacés et des tortues, à la gestion des espèces exotiques envahissantes, en particulier des reptiles et certains oiseaux et à la préservation de l'avifaune. En effet, des espèces comme les pétrels sont, à certaines périodes de l'année, lors du 1 er envol, très sensibles aux éclairages nocturnes. Nous avons donc défini des procédures spécifiques pour réduire les pollutions lumineuses.

Le suivi environnemental concerne la nappe phréatique, la gestion du trait de côte et la qualité de l'air. Nous avons ainsi récemment passé une convention avec Atmo France pour bien caractériser les émissions liées aux activités portuaires et ainsi éviter l'amalgame avec d'autres sources.

Enfin, dans la logique de restaurer et de réhabiliter les habitats naturels, nous avons passé une convention avec le département pour utiliser les pépinières des collectivités afin de restaurer des milieux dégradés par une flore endémique.

Florent INGRASSIA,

Chef du service forêt et milieux naturels de la direction régionale de l'ONF
pour La Réunion

« La vanille Bourbon : ressource agro-économique de valorisation de la forêt indigène de La Réunion »

Propos de présentation de M. Jean-Michel Zammite, directeur des outre-mer à l'Office français de la biodiversité

M. Florent Ingrassia a occupé en 40 ans de carrière à l'ONF différents postes dans des contextes géographiques et techniques variés, notamment en outre-mer : Var, Corse, Bouches du Rhône, Guadeloupe, Guyane et enfin La Réunion.

Bonjour à tous,

Présente depuis près de 200 ans à La Réunion, la culture de la vanille s'est développée grâce à la découverte en 1841 de sa fécondation manuelle par un jeune esclave réunionnais, Edmond Albius. En effet, les lianes de vanille n'ont pu donner de fleurs et de gousses lors de son introduction sur l'île en 1820 car la fécondation naturelle nécessite l'intervention d'insectes spécifiques présents uniquement dans les forêts d'Amérique centrale d'où la vanille est originaire.

En 1851, le producteur de vanille Ernest Loupy développe le principe de l'échaudage. Après avoir été fécondées et récoltées, les gousses de vanille sont trempées dans de l'eau bouillante, améliorant ainsi la conservation du goût de la vanille. Elles sont ensuite conservées pendant plusieurs mois à l'abri de la lumière, puis séchées au soleil. Ce processus transforme la vanille verte en vanille noire consommable.

La production réunionnaise augmente de manière importante et atteint à la fin du XIX e siècle un volume annuel de 40 tonnes, faisant de La Réunion le plus grand producteur mondial de vanille jusqu'au début du XX e siècle. La vanille est également introduite par des Réunionnais aux Seychelles, aux Comores et à Madagascar. La Réunion apparaît ainsi comme un acteur majeur dans le développement commercial de cette culture. Cependant, la production a fortement diminué et représente aujourd'hui environ 4 tonnes par an de vanille noire. La production annuelle malgache s'élève quant à elle à près de 3 000 tonnes.

Le chiffre d'affaires varie en fonction de la quantité de gousses produite mais aussi du cours de la vanille qui fluctue chaque année. En 2020, le chiffre d'affaires de la filière vanille de La Réunion était estimé à un million d'euros.

L'île promeut la qualité de sa production. La vanille de La Réunion a récemment obtenu une indication géographique protégée et la principale coopérative de l'île a reçu le prix de meilleure vanille du monde en 2019. La culture de la vanille est pratiquée essentiellement en sous-bois de forêts naturelles de plantations d'espèces indigènes. Elle est localisée sur un territoire bien circonscrit au sud-est de l'île, au pied du volcan de la Fournaise, qui bénéficie d'une forte pluviométrie, d'un sol bien drainé, riche en matière organique, qui rassemble les conditions idéales pour cette culture.

Pour la majorité des cultivateurs, la culture de vanille est une tradition familiale dont le savoir-faire et les pratiques culturales sont transmises de génération en génération. L'entretien des lianes de vanille, la connaissance des plantes endémiques et exotiques, l'entretien du sous-bois de la parcelle y tiennent un rôle privilégié, permettant ainsi une continuité des pratiques sur des terrains concédés d'un à deux hectares.

90 % de la vanille est produite dans des forêts gérées par l'ONF. Cette activité traditionnelle participe à la gestion des peuplements. Dans six forêts domaniales et départemento-domaniales l'ONF attribue, sous forme de convention d'occupation temporaire payante de neuf ans, des terrains où la culture de vanille est autorisée sur la base d'un cahier des charges. Ce dernier précise que le cultivateur doit veiller à la bonne conservation des espèces endémiques et indigènes en privilégiant la coupe des espèces exotiques envahissantes. 156 cultivateurs exercent leur activité sur 318 hectares et cette activité est d'autant plus importante que le sud-est de l'île connaît un taux de chômage élevé.

Cette culture demande un entretien régulier, entièrement manuel et génère un chiffre d'affaires variable en fonction des quantités produites et du cours de la vanille. Elle représente souvent un revenu d'appoint pour les cultivateurs et la majorité d'entre eux perçoivent des revenus sociaux ou exercent une autre activité agricole.

La spectaculaire éruption du Piton de la Fournaise de 2007 a recouvert de lave une partie des concessions de vanille. L'ONF a alors étudié les possibilités d'attribuer aux cultivateurs concernés un autre emplacement favorable à la culture de vanille. La solution s'est trouvée dans les réserves biologiques dirigées, de la forêt de Bois de Couleur des Bas et du littoral de Saint-Philippe.

La culture de vanille participe à la gestion des aires biologiques puisque les cultivateurs s'engagent à lutter contre les espèces envahissantes et à préserver les espèces endémiques et la biodiversité. L'entretien régulier des terrains attribués a permis une nette amélioration de leur conservation. Les deux réserves biologiques dirigées ont intégré la Green List de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) en mars 2021, ce qui a valorisé le travail des cultivateurs, en démontrant que la culture de vanille qui est une activité agricole, est compatible avec la protection de la biodiversité et la conservation des milieux. Enfin, elle participe au rayonnement régional et international des deux communes où elle est implantée - Saint-Philippe et Sainte-Rose - et plus généralement au département de La Réunion.

Plantation de vanille en forêt - (c) Clotilde Garraud

Tri des gousses de vanille noire - (c) Clotilde Garraud

Pascal HOARAU,

Directeur de la Régie RNNESP, organisme gestionnaire de la Réserve naturelle nationale et du site Ramsar de l'étang de Saint-Paul

« L'étang de Saint-Paul, un projet de territoire conciliant la préservation des richesses naturelles et les activités socio-économiques »

Propos de présentation de M. Jean-Michel Zammite, directeur des outre-mer à l'Office français de la biodiversité

Né en 1974 à Saint-Pierre de La Réunion, docteur ès sciences de l'Université d'Aix-Marseille II, M. Pascal Hoarau est, depuis 2015, directeur de la Régie RNNESP, organisme gestionnaire de la Réserve naturelle nationale et du site Ramsar de l'étang de Saint-Paul.

Bonjour à tous,

J'interviens aujourd'hui en tant que gestionnaire d'une réserve naturelle qui travaille sur un projet de territoire visant à concilier la préservation des richesses naturelles et les activités socio-économiques.

L'étang de Saint-Paul est une réserve naturelle depuis 2008, au coeur d'une commune de 100 000 habitants. C'est l'exutoire d'un bassin-versant de 106 km 2 . C'est un patrimoine naturel unique, porteur d'espèces typiques des zones humides. C'est aussi un réservoir de biodiversité pour le sud-ouest de l'océan Indien, un espace essentiel pour les trames vertes, bleues et noires et un lieu majeur de services écosystémiques.

La situation socio-économique du territoire qui entoure cette réserve est difficile, avec un taux de chômage de 32 %, une population jeune (43 % ont moins de 30 ans), très peu diplômée (53 % n'ont pas de diplôme). Nous avons donc construit un projet de conciliation avec une vocation de développement économique durable et endogène. La première activité économique du site est l'agriculture et le tourisme est encore balbutiant.

La relation hommes/nature est marquée depuis l'origine par un déséquilibre. C'est le premier lieu de colonisation de l'île au XVII e siècle. Ce territoire a d'abord été mis en valeur pour l'agriculture vivrière de rizières puis pour la culture de la canne à sucre jusqu'au milieu du XX e siècle. Les premières démarches de patrimonisation du site ont lieu dans les années 1970 avec les études de T. Cadet et la mise en protection a été effective en 2008.

Aujourd'hui, nous devons définir un nouveau projet de territoires dans le cadre d'une relation équilibrée et responsable entre l'homme et la nature. La priorité est d'identifier les facteurs d'influence, tant d'origine naturelle, comme les changements climatiques, la dynamique des espèces exotiques envahissantes ou des connaissances lacunaires qu'anthropiques comme les usages et les exploitations, les pollutions physico-chimiques, qui sont souvent associés à des dysfonctionnements des bassins-versants et à une croissance démographique très forte. Nous chercherons à tendre vers la résilience de l'écosystème.

Pour promouvoir des activités socio-économiques à faible impact environnemental, nous avons développé une méthode en trois étapes : la mise en situation in situ , la mise en réseau et la mobilisation des acteurs du territoire.

Sur l'agriculture, l'expérimentation in situ nous a permis de récolter des données compréhensibles par les acteurs économiques. Nous avons créé des sites pilotes avec différentes méthodes agroécologiques. Les résultats ont été diffusés aux opérateurs économiques mais aussi aux citoyens avec la création des jardins éco-citoyens à travers une charte permettant à tous les citoyens du bassin-versant de devenir acteurs de la protection de la biodiversité. Nous avons également développé les outils nécessaires et les formations pour promouvoir de type de méthode. Enfin, nous avons valorisé les ressources avec les partenaires en diversifiant leurs activités, notamment autour de l'agrotourisme.

Ces démarches ont permis une augmentation des surfaces cultivées en HQE (haute qualité environnementale) ou en agriculture biologique. 150 citoyens et leur famille ont été impliqués dans cette démarche volontaire de jardin éco-citoyen et 43 % des opérateurs économiques ont adopté les mesures alternatives durables.

Concernant le tourisme, nous avons établi un diagnostic du territoire qui a mis en lumière la nécessité de procéder à des investissements structurels publics afin de consolider des polarités existantes ou porteuses. Nous avons accompagné les porteurs de projets en leur fournissant des outils de décision et nous avons amélioré l'attractivité du site et créé de nouveaux supports de médiation. Enfin, nous avons amplifié la communication et valorisé les prestations des différents opérateurs. Nous avons également mis en place un événement récurent, le Festival du film sur la biodiversité, Intermède.

Cette « mise en éco-tourisme » s'est traduite par une fréquentation de 250 000 personnes. Chaque année, 8 500 personnes bénéficient d'un guidage personnalisé. Nous avons mis en place des bases nautiques, des axes vélos, des sentiers, des toilettes sèches, de la signalétique pour dynamiser le secteur et offrir aux visiteurs une meilleure expérience. J'ajoute que ces éléments ont été mis en place en périphérie et ont donc un moindre impact sur la zone. Enfin, ces réalisations ont bénéficié de plus de 200 retombées dans la presse.

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