TROISIÈME TABLE RONDE

LA COOPÉRATION RÉGIONALE AU CoeUR DE LA VALORISATION ET DE LA PRÉSERVATION
DE CETTE BIODIVERSITÉ

PROPOS INTRODUCTIF



Guillaume CHEVROLLIER,

Sénateur de la Mayenne

Monsieur le Président,

Messieurs, Mesdames,

Chers collègues,

Après les deux passionnantes tables rondes précédentes, il me revient d'ouvrir la dernière séquence autour d'une réflexion importante : la biodiversité est-elle un moteur de coopération dans l'océan Indien et cette coopération peut-elle permettre à la fois la valorisation et à la préservation de cette biodiversité ?

Je serai concis, compte tenu de la qualité des interventions qui ont été présentées cet après-midi et qui ont déjà évoqué, plus ou moins directement, cette problématique, et parce que notre modérateur, Son Excellence M. Marcel Escure, est particulièrement bien placé pour nous éclairer de son expérience.

En sa qualité d'ambassadeur, délégué pour la coopération régionale dans la zone de l'océan Indien, Marcel Escure est en effet l'un des trois diplomates nommés par la France pour la coopération régionale dans les bassins Atlantique, Indien et Pacifique. La biodiversité est devenue un enjeu croissant des relations internationales et un axe fort de la diplomatie française en particulier, ce qui ne peut que nous réjouir.

En octobre 2019, j'ai eu l'occasion d'organiser au Palais du Luxembourg un colloque intitulé « Biodiversité, l'engagement des collectivités locales ». Ce colloque avait également été ouvert par le Président Gérard Larcher, ce qui montre l'engagement au plus haut niveau de notre assemblée sur ce sujet.

Face à l'érosion de la biodiversité, cette manifestation avait permis de rappeler « la force du collectif », avec, en particulier, le rôle des régions, véritables cheffes de file de la biodiversité, et avec des exemples emblématiques, comme la sauvegarde d'espèces animales très menacées. Un intervenant a ainsi présenté le sauvetage d'une espèce identitaire de la Champeigne tourangelle, la grande outarde, dans une zone Natura 2000 de la région Centre-Val de Loire.

À mes yeux, c'était un exemple parfait de l'écologie pragmatique, celle qui part du terrain et qui rassemble.

Dans mon département de la Mayenne, je constate une forte mobilisation et une vigilance accrue pour permettre la préservation des milieux, et donc des espèces animales et végétales, et les mettre au coeur des projets de développement. D'où la nécessité d'associer désormais les décideurs de toute nature (collectivités, industriels, monde agricole...) pour examiner et adapter les projets au regard de la biodiversité, dans une approche du développement durable qui concilie la préservation de l'environnement, le social et le développement économique.

L'enjeu est la mobilisation la plus large de tous les acteurs du territoire qui, par une implication active, permet d'envisager une reconquête de la biodiversité.

La biodiversité figure à l'agenda mondial (Congrès mondial pour la nature à Marseille, COP 15 biodiversité en Chine), avec une implication toute particulière de la France comme cela a déjà été dit. Il est stratégique de relier les questions de biodiversité et les problématiques de coopération régionale, car les menaces sont globales et ne s'arrêtent pas aux frontières.

Le Nord du Canal du Mozambique est une région couvrant les zones économiques exclusives (ZEE) de plusieurs pays au sud-est de l'Afrique : l'Afrique du Sud, les Comores, la France (Mayotte), le Kenya, Madagascar, Maurice, le Mozambique, les Seychelles, la Somalie et la Tanzanie.

Une dizaine de pays exploitent ces ressources océaniques et leur potentiel économique, et sont signataires de la Convention de Nairobi qui cadre leur coopération internationale.

Les outre-mer de l'océan Indien sont concernés au premier chef par ces questions.

L'objectif de leur développement doit donc être davantage appuyé sur leurs propres potentiels, avec la perspective de la mise en valeur de leurs ressources propres...

Dans cette optique, la protection des biodiversités de cette région est un facteur de dynamisation de la coopération régionale pour les collectivités d'outre-mer avec les pays voisins. Ce type de coopération peut en effet permettre de :

- renforcer la coordination des actions que ce soit entre collectivités d'outre-mer, entre elles et les pays avoisinants ou entre elles et le reste de l'Europe ;

- intensifier les échanges de savoir-faire dans le cadre d'une grande zone géographique ;

- encourager la recherche collaborative, partager les données scientifiques au sein d'une zone géographique pertinente au regard de la préservation de la biodiversité ;

- partager des modèles originaux : les îles font office, comme souvent, de « laboratoires » et savent développer des expériences qui pourraient être transposées à des situations continentales, telles que l'adaptation aux changements climatiques et la réduction des pressions anthropiques, la conservation et la gestion intégrée et durable de la biodiversité dont les écosystèmes exploités etc.

La coopération régionale représente donc l'espoir de voir la biodiversité mieux protégée, afin qu'elle reste « la valeur ajoutée » de nos territoires.

Enfin, le développement de programmes de coopération communs pour la surveillance des espaces maritimes représente un enjeu fort de coopération au niveau maritime. Pour protéger ces espaces qui sont exposés à l'action de multiples trafics illégaux, nous devons adopter une approche coordonnée avec nos partenaires au sein des organisations régionales multilatérales.

Pour toutes ces raisons, cette troisième et dernière table ronde était absolument nécessaire pour aborder les enjeux majeurs de la gestion coordonnée de la biodiversité et réfléchir aux solutions ambitieuses à trouver en commun.

Marcel ESCURE,

Modérateur,
Ambassadeur, délégué à la coopération régionale dans l'océan Indien

M. Marcel Escure est conseiller des affaires étrangères hors classe. À sa sortie de l'École nationale d'administration en 1988, il s'engage dans la carrière diplomatique qui l'amène à exercer de nombreuses responsabilités : deuxième, puis premier secrétaire à Lima, 1988-1991 ; à l'administration centrale, rédacteur (Affaires financières), 1991-1994 ; deuxième conseiller à Phnom Penh, 1994-1996 ; à Beyrouth, 1996-1998 ; à l'administration centrale, rédacteur (Affaires stratégiques, de sécurité et du désarmement), délégué dans les fonctions de sous-directeur des questions multilatérales, 1998-2002 ; deuxième conseiller à Dakar, 2002-2005 ; premier conseiller à Abidjan, 2005-2007 ;  à l'administration centrale, chef adjoint du protocole, 2007-2008 ; chef de service (Affaires francophones), 2008-2011 ; ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire à Dar Es Salam, 2011-2014 ; à l'administration centrale, délégué pour l'action extérieure des collectivités territoriales, septembre-octobre 2014 ; consul général à Lagos, février-août 2015 ; ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire à Niamey, 2015-2019.

Depuis octobre 2019, il est ambassadeur thématique, délégué à la coopération régionale dans la zone de l'océan Indien (Afrique et océan Indien).

Merci beaucoup pour votre propos introductif et pour vos paroles aimables à mon endroit.

La coopération régionale est effectivement au coeur de l'action pour la biodiversité. C'est cette coopération qui nous permettra, ensemble, de dépasser les défis développés de manière approfondie aujourd'hui.

C'est donc un grand jour pour la coopération régionale. Ce matin s'est tenu le conseil ministériel de la Commission de l'océan Indien. La France en est devenue présidente pour un an. Cet après-midi nous abordons en profondeur un thème qui était au coeur des discussions des ministres ce matin et qui sera l'une des priorités de la présidence française. L'action pour l'environnement, l'action pour la biodiversité, l'action maritime sont interdépendantes et liées aux enjeux économiques ou aux enjeux de santé. Votre réflexion sur la biodiversité est suivie et sera répercutée, notamment dans le cadre de la Commission de l'océan Indien.

J'ai le privilège de modérer la table ronde constituée d'un panel remarquable.

Pour cette troisième table ronde dont le thème est « La coopération régionale au coeur de la valorisation et de la préservation de cette biodiversité », vont intervenir successivement :

- Mme Anne-Gaëlle Verdier, directrice de l'environnement par intérim des Terres australes et antarctiques françaises ;

- M. Pierre Valade, directeur de projets « Études et Recherche » et membre fondateur de OCEA Consult à La Réunion et de Magnirike à Madagascar ;

- M. Jean-Marc Gancille, responsable communication, sensibilisation, développement de l'Association Globice ;

- M. Jean-Philippe Delorme, directeur du Parc national de La Réunion ;

- M. Jean Roger Rakotoarijaona, directeur de l'intégration environnementale et du développement durable à l'Office national pour l'environnement de Madagascar ;

- M. Jérôme Dulau, chef du service connaissance, évaluation et transition écologique à la direction de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DEAL) de La Réunion.

Anne-Gaëlle VERDIER,

Directrice de l'environnement par intérim des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF)

« Conservation et recherche : des leviers de coopération régionale pour les TAAF »

Propos de présentation de M. Marcel Escure, Ambassadeur, délégué à la coopération régionale dans l'océan Indien

Après avoir exercé un certain nombre de missions à l'international pour le compte de la Région Centre Val-de-Loire, le ministère des affaires étrangères et européennes ou encore la coopération espagnole, Anne-Gaëlle Verdier a occupé la fonction de responsable outre-mer du WWF France durant 5 ans (2011-2016).

En 2016, elle rejoint les TAAF en tant que directrice adjointe environnement, cheffe du service marin de la réserve naturelle nationale des Terres australes françaises, où elle coordonne le dossier d'extension de cette Réserve naturelle et celui relatif à l'inscription des Terres et Mers Australes Françaises sur la Liste du patrimoine mondial de l'Unesco en 2019.

Bonjour à tous,

Je vais vous présenter en quoi les enjeux de conservation et de recherche peuvent constituer des leviers de coopération régionale pour les TAAF.

Les TAAF s'étendent sur un gradient latitudinal unique et sur 80 % de l'hémisphère sud. Ces territoires sont des observatoires pour l'étude de l'évolution du climat et de ses conséquences sur la biodiversité, mais aussi un cadre privilégié pour la coopération régionale.

Ce sont des territoires d'exception en matière de biodiversité du fait de leur insularité, de leur isolement, de l'absence de population permanente et de la présence d'écosystèmes dits simplifiés, c'est-à-dire avec une diversité spécifique peu importante mais une importante concentration d'individus de différentes populations. Le pendant de cette richesse est sa vulnérabilité. Vulnérabilité à des pressions naturelles, de type cyclonique et au changement climatique, ou à des pressions anthropiques, notamment d'exploitation des ressources, principalement halieutiques dans le cadre de pêcheries, avec des problématiques de pêche illégale dans les îles Éparses ou plus globalement de prises accidentelles ou accessoires par exemple. Ils sont aussi soumis à l'introduction et à la dispersion d'espèces invasives qui sont une des premières sources de dégradation de la biodiversité et à différentes pollutions liées à la présence, même faible, d'hommes et de femmes sur les bases techniques et scientifiques présentes dans les différents districts des TAAF (déchets, pollution lumineuse, eaux usées, etc.).

Afin de préserver ce sanctuaire de biodiversité d'intérêt international qui est placé sous la responsabilité de la France, une des missions essentielles des TAAF est de porter cette politique environnementale dans le respect des engagements que nous avons pris au niveau national et international en matière de préservation de l'environnement.

Cette mission passe par la mise en oeuvre d'outils de protection adaptés, notamment le développement d'un réseau de réserves naturelles nationales, dans les Australes et à moyen terme dans les Éparses, et par la mise en application de différentes actions de conservation consignées dans les plans de gestion et feuilles de route environnementales dont disposent les TAAF. Ces actions peuvent concerner la protection des milieux ou des espèces, la restauration des écosystèmes, la lutte contre les espèces invasives, l'encadrement des activités et la gestion durable des ressources.

Les TAAF sont aussi des territoires sentinelles et des laboratoires à ciel ouvert dans lesquels nous disposons de différents observatoires pour les sciences de l'univers et du vivant. Historiquement, nous suivons la météorologie sur nos bases australes, avec des lâchers réguliers de ballons-sondes sur les Kerguelen, une station de mesure de la qualité de l'air sur l'île d'Amsterdam qui permet d'alimenter les suivis réalisés par le GIEC et des marégraphes qui suivent le niveau de la mer. De plus, avec la montée en puissance des enjeux de conservation et de protection de l'environnement, nous suivons les écosystèmes et les habitats, l'évolution de la végétation, celle des espèces invasives et les récifs coralliens. Tous ces éléments alimentent des indicateurs qui viennent eux-mêmes nourrir des observatoires nationaux type ONB (Observatoire national de la biodiversité) ou internationaux comme l'IPBES ou le GCRMN 2 ( * ) pour les récifs coralliens.

C'est donc bien la position unique des TAAF dans l'océan Indien et la quasi absence de pressions d'origine humaine qui offrent à ces territoires un fort potentiel de coopération régionale, sur les sujets relatifs à la préservation de la biodiversité ou l'observation de l'évolution d'écosystèmes faiblement anthropisés dans un contexte de changements globaux . Les TAAF ont ainsi bénéficié d'un appui financier de 4 millions d'euros du 10 ème FED sur un programme touchant à la gestion durable du patrimoine naturel de Mayotte et des îles Éparses entre 2014 et 2019, piloté par le Conseil départemental de Mayotte. Son objectif était d'évaluer l'état de santé des récifs coralliens, de mesurer leur capacité à supporter les pressions anthropiques auxquelles ils font face et d'identifier des mesures de gestion pour améliorer leur trajectoire future. Il a aussi doté les parcs naturels de Mayotte et des Glorieuses de moyens techniques et d'outils d'aide à la décision. Enfin, le projet a permis de former aux métiers maritimes liés au suivi des pêches et donc de renforcer les capacités de Mayotte en matière de gestion durable.

En termes de résultats, ce programme de 4 ans a permis de définir des stratégies et des méthodes de suivi de l'ensemble des écosystèmes récifaux des deux parcs marins. Il a contribué à des propositions d'orientations adaptées en matière de gestion des pêcheries mahoraises, notamment des recommandations sur des pratiques de pêche ou sur l'utilisation d`engins de pêche. Il nous a également aidé à alimenter le dossier d'opportunité de création d'une réserve naturelle nationale dans les Glorieuses. Des guides de formation ont été édités et des formations locales aux métiers de la mer (observateur des pêches, enquêteur de pêche côtière) ont été organisées.

Dans le cadre du programme du 11 ème FED régional, les TAAF ont proposé un nouveau projet RECI sur la restauration des écosystèmes insulaires, portant notamment sur la lutte contre les espèces invasives. Ce projet a démarré en 2020. Il bénéficie de 4 millions d'euros, pour une durée de 4 à 5 ans et est mené en partenariat avec les Naturalistes de Mayotte. Il a pour objectif d'éliminer durablement et à grande échelle des populations invasives, notamment les mammifères introduits (rats, souris et chats), d'améliorer le statut de conservation des espèces natives impactées comme les oiseaux marins et de créer des conditions favorables pour une stabilisation ou une augmentation de la richesse biologique. Une éradication complète des mammifères introduits est envisagée sur l'île d'Amsterdam à l'horizon 2023 et nous étudions la faisabilité d'éradiquer les chèvres marrones sur Europa. Enfin, ce programme est un support au renforcement de nos politiques de biosécurité.

C'est un sujet que partagent de nombreux territoires insulaires de l'océan Indien et c'est une source de coopération régionale. J'ai assisté ce matin à une conférence qui réunissait les gestionnaires des sites « patrimoine mondial » sur cette thématique des espèces invasives. Nous avons pu partager des méthodes et des retours d'expérience

Autre sujet de coopération régionale pour les TAAF, la recherche dans les îles Éparses. En complément des éléments d'information fournis par la sénatrice Vivette Lopez sur les deux consortiums de recherche des îles Éparses lors de son intervention, je souhaiterais attirer votre attention sur la dimension régionale des projets portés dans le cadre du deuxième consortium. En effet, sur les 14 projets sélectionnés, 9 ont impliqué la participation d'organismes étrangers. En outre, ces consortiums s'articulent autour de thématiques qui ont un fort intérêt au niveau régional, que ce soit l'observation des effets des changements climatiques sur les écosystèmes tropicaux insulaires ou l'amélioration des connaissances sur le fonctionnement de ces écosystèmes en milieux isolés et faiblement anthropisés. Les îles Éparses, tout comme les Terres australes françaises, représentent une opportunité de répondre aux grands enjeux nationaux et internationaux que sont les problématiques liées aux espaces maritimes et à leur gouvernance, la gestion des aires marines protégées et leur suivi, la gestion durable des écosystèmes, en matière d'exploitation des ressources halieutiques ou de l'impact du tourisme par exemple. C'est aussi l'occasion de travailler sur la gestion des risques environnementaux, notamment les risques d'érosion du littoral, les risques de pollution liée aux hydrocarbures ou aux micro-plastiques, les risques liés à des pathologies ou à des zoonoses.

C'est un enjeu de coopération, avec des approches qui dépassent le simple enjeu de biodiversité et qui touchent aux problématiques socio-économiques, politiques ou géostratégiques.

Comme l'a rappelé le Président de la République en octobre 2019 lors de sa visite sur l'archipel des Glorieuses, ces projets de consortium de recherche dans les îles Éparses, et plus globalement de développement de la recherche sur ces territoires, ont pour ambition de contribuer à l'intégration de ces îles dans des projets d'étude de la biodiversité et du climat à l'échelle de l'océan Indien et de faire de ces territoires des démonstrateurs en matière d'observation scientifique en milieu isolé, d'ingénierie écologique et de préservation des milieux marins, qui peuvent avoir une résonnance pour l'ensemble du bassin océan indien. Enfin, les TAAF ont bénéficié de façon indirecte du soutien des fonds structuraux de la Commission européenne, notamment de l'Interreg V océan Indien. Elles ont été partenaires de différents projets, notamment du projet IOT ( Indian Ocean sea Turtles ) porté par l'IFREMER et qui a pour objectif de développer le premier réseau d'observation des mouvements de tortues à l'échelle du bassin sud-ouest de l'océan Indien ou encore le projet STORM-OI ( Sea Turtle for Ocean Research and Monitoring ), mis en oeuvre par le LACY (Laboratoire de l'Atmosphère et des Cyclones) de Météo France. L'utilisation des tortues comme bio-indicateur permet d'établir des modélisations météorologiques et de suivre la cyclogénèse dans la région. Enfin, nous avons également bénéficié du soutien de l'Interreg pour le programme de surveillance des pêches de l'océan Indien, notamment pour la mobilisation du navire de patrouille des affaires maritimes Osiris.

Manchots royaux - (c) Nelly Gravier

Pierre VALADE,

Directeur de projets « études et recherche » et membre fondateur de OCEA Consult à La Réunion et de Magnirike à Madagascar

« Observation des juvéniles de poissons migrateurs des récifs et des cours d'eau : des enjeux de connaissances partagés à l'échelle des territoires
du sud-ouest de l'océan Indien »

Propos de présentation de M. Marcel Escure, Ambassadeur, délégué à la coopération régionale dans l'océan Indien

Ingénieur généraliste de l'eau, M. Pierre Valade s'est spécialisé dans l'observation et la compréhension des espèces de poissons et de crustacés amphihalins du sud-ouest de l'océan Indien. En lien avec les usages des milieux et les pêcheries, il participe à des programmes d'études et de recherche transdisciplinaire pour le maintien des ressources halieutiques et des activités économiques ou de subsistance. Ces travaux le conduisent à intégrer toute la zone du sud-ouest de l'océan Indien dans ses activités.

Bonjour à tous,

Je vais vous présenter les enjeux portés par des poissons de récifs coralliens et des poissons de rivière pour lesquels nos besoins de connaissances convergent.

De nombreuses espèces de poissons de récifs, mais aussi des espèces de poissons et de crustacés d'eau douce ont une phase larvaire océanique, ce qui leur permet non seulement de croître et se développer mais aussi de se disperser et de coloniser de nouveaux territoires, comme dans le cas des îles volcaniques. L'étude et la gestion des espèces marines et amphihalines sont souvent considérées séparément alors qu'elles présentent pourtant de fortes similitudes :

- pour les poissons de récifs, comme les demoiselles, les chirurgiens ou les mérous, la reproduction a lieu dans des habitats côtiers, comme le lagon ou ses pentes externes. Ensuite, les larves ont une phase de dispersion dans l'océan. À l'issue de cette phase, les post-larves reviennent vers les habitats côtiers récifaux ou lagonaires où elles vont devenir juvéniles puis adultes ;

- pour les espèces de poissons d'eau douces amphihalines, comme les anguilles ou les bichiques, auxquelles s'apparentent également des crustacés, comme les camarons ou les écrevisses, deux stratégies sont observées : l'amphidromie et la catadromie. Les espèces amphidromes, comme les bichiques, se reproduisent en eau douce, alors que les espèces catadromes, comme les anguilles, quittent les eaux douces à maturité sexuelle pour se reproduire en mer. Pour toutes ces espèces les post-larves reviennent en eau douce pour devenir des juvéniles puis des adultes.

Parmi ces espèces récifales et amphihalines, certaines font l'objet d'une exploitation commerciale ou sont des espèces indicatrices du fonctionnement écologique des milieux. Enfin, certaines présentent un danger d'extinction sur les territoires de La Réunion ou de Mayotte.

Pour l'ensemble de ces espèces, la phase larvaire océanique leur permet d'assurer des échanges au sein de leur aire de distribution. Ces espèces peuvent être endémiques d'une île ou d'un archipel, comme les deux espèces connues du genre Cotylopus, dont une est endémique de l'archipel des Comores ( Cotylopus rubripinnis ) et l'autre est endémique de l'archipel des Mascareignes ( Cotylopus acutipinnis ). Cependant, beaucoup de ces espèces ont une aire de distribution qui correspond au sud-ouest de l'océan Indien, comme l'anguille bicolore ( Anguilla bicolor ).

Pour les espèces récifales, comme pour les espèces amphihalines, la connaissance du flux d'arrivée de post-larves est une donnée d'importance pour la gestion d'une espèce ou d'un habitat, en éclairant les variations observées dans les stocks d'adultes des années suivantes. Ces données permettent de répondre à des questions comme : est-ce qu'une faible population d'adultes est due aux conditions d'habitats en rivière ou en lagon, ou est-ce que cette faible population d'adultes est due à une absence de juvéniles les mois ou années précédentes ?

Ensuite, les arrivées de post-larves sont fonction de l'intensité de la reproduction d'une part, et des conditions rencontrées par les larves en mer d'autre part. Leur évolution est un indice global cumulé du succès reproducteur.

Enfin, dans le cas de la gestion d'une pêcherie, la mise à disposition de données standardisées sur l'intensité des arrivées de juvéniles constitue un socle de connaissances partagées permettant d'alimenter les échanges entre pêcheurs et gestionnaires pour la définition de réglementations ad hoc . Par exemple, les services de l'État et les pêcheurs de bichiques de La Réunion travaillent actuellement à une évolution de la réglementation de pêche de ces post-larves. En absence de données sur l'historique des arrivées et des captures de ces post-larves, celles-ci ont dû être contournées dans un premier temps mais devront être collectées sans délai pour permettre de mesurer l'efficacité de la nouvelle réglementation.

Ainsi, si les objectifs vis-à-vis des espèces peuvent être divergents entre acteurs voire entre territoires du sud-ouest de l'océan Indien, ceux-ci se rejoignent sur l'intérêt de disposer de données sur les flux de post-larves ou de juvéniles, à l'échelle de la zone d'expansion des espèces cibles.

Les premiers travaux sur l'arrivée des post-larves de poissons de récifs ont été menés au travers de projets dénommé Post-larves Capture and Culture (PCC®). Ces projets visaient à capturer des post-larves de poissons de récifs pour ensuite les élever à des fins commerciales : aquariophilie ou poissons de bouche. Les tests qui ont été menés dans le sud-ouest de l'océan Indien n'ont pas été pérennisés en raison, entre autres, d'un défaut de maîtrise de l'arrivée des post-larves, ce qui fragilise le maintien d'un modèle économique stabilisé.

D'un autre côté, un projet de collaboration scientifique a pu être lancé dès 2015, entre OCEA, l'Institut halieutique et des sciences marines de Tuléar à Madagascar et l'IRD, en vue de mieux appréhender les arrivées de post-larves. Cette collaboration a donné lieu à cinq autres projets, menés conjointement à La Réunion et à Madagascar, sur le développement et le partage de techniques et de méthodologies d'échantillonnage, mais aussi sur la publication de résultats. Au cours de ces années, le Kenya Marine and Fisheries Research Institute a progressivement été impliqué, démontrant la volonté des territoires d'acquérir ces connaissances à des fins diverses, comme le développement de projets aquacoles durables, l'ingénierie en environnement côtier, le suivi de la biodiversité dans un contexte de changements globaux, etc.

Les espèces amphihalines ont été étudiées dans les années 2000 à l'initiative du Muséum national d'histoire naturelle de Paris et de l'Association réunionnaise de développement de l'aquaculture (ARDA), donnant lieu à la production d'un Atlas commun aux petites îles du sud-ouest de l'océan Indien. Les enjeux portant sur ces espèces sont pour la plupart inféodés à une île ou à un archipel. À l'échelle du sud-ouest de l'océan Indien, ce sont les anguilles qui partagent l'intérêt d'une majeure partie des territoires, que ce soit en raison de leur exploitation ou d'objectifs de conservation. Entre 2002 et 2005 l'ARDA Réunion et l'Université de La Rochelle ont réalisé un programme d'acquisition de connaissance de ces espèces à l'échelle du sud-ouest de l'océan Indien. En conclusion de ce travail, des instituts scientifiques et techniques de Madagascar, du Mozambique, de Maurice, des Seychelles et de La Réunion ont acté la mise en place d'un réseau d'observation des anguilles sur des bassins pilotes de chaque territoire. Finalement, seule La Réunion a mis en oeuvre ce projet sur une période test de 2008 à 2012 et sur trois bassins-versants pilotes.

En 2021, l'Office de l'eau de La Réunion et OCEA reposent les fondations d'un observatoire de la dynamique d'arrivée des juvéniles de poissons et de crustacés d'eau douce, pour au moins trois années. Parallèlement, l'Université du Kwazulu-Natal, en Afrique du Sud, a lancé un projet de suivi de l'arrivée et de l'échappement des anguilles sur trois rivières pilotes, en Afrique du Sud, au Mozambique et au Kenya.

En conclusion, le suivi des espèces de poissons récifaux et des espèces de poissons et de crustacés d'eau douce amphihalines doit être considéré à l'échelle de distribution des espèces. Dans le sud-ouest de l'océan Indien, l'échelle d'un archipel ou de toute la zone doit être envisagée. Cela nécessite un réseau d'acteurs opérationnels sur un maillage complet de ce territoire.

Ensuite, chaque territoire a la nécessité de générer des données interopérables avec les autres territoires, de façon à pouvoir établir des liens et comprendre les tendances d'évolution. Cela nécessite d'utiliser des outils et des méthodologies communes.

Enfin, les territoires doivent être en mesure d'assurer d'une part la bancarisation de leurs propres données, et d'autre part de pouvoir consulter les données de l'ensemble des territoires partenaires. Cela nécessite une plate-forme numérique de bancarisation et de partage des données.

Dans ces trois voies, les territoires français de l'océan Indien ont un rôle majeur à tenir pour remplir leurs engagements dans la conservation et l'usage des biodiversités marines et amphihalines.

"Bouche ronde" (bichique) Cotylopus acutipinnis (c) P. Valade 2019

Jean-Marc GANCILLE,

Responsable communication, sensibilisation, développement de l'Association Globice

« Coopération régionale et science collaborative pour la protection des cétacés du sud-ouest de l'océan Indien »

Propos de présentation de M. Marcel Escure, Ambassadeur, délégué à la coopération régionale dans l'océan Indien

Co-fondateur de l'éco-quartier alternatif Darwin à Bordeaux et administrateur de plusieurs ONG de protection de la vie sauvage, M. Jean-Marc Gancille rejoint Globice Réunion en 2018 pour mettre ses compétences au service de la science et de la conservation des cétacés.

Bonjour à tous,

Je représente l'ONG Globice qui existe depuis 20 ans à La Réunion et qui est à l'origine du réseau de coopération régionale pour la science collaborative IndoCet qui agit dans le cadre du sud-ouest de l'océan indien pour mettre en commun les recherches au service de la conservation des cétacés.

Le sud-ouest de l'océan Indien est particulièrement riche en mégafaune marine et notamment en cétacés avec 33 espèces identifiées à ce jour, comme à titre d'exemple le cachalot, la baleine à bosse, le grand dauphin de l'Indo-Pacifique, la baleine à bec de Cuvier ou la baleine bleue. Ces espèces sont migratrices et l'étude de leur habitat, de leurs migrations et des menaces qui pèsent sur elles doit être menée au niveau régional.

À l'origine, Globice et ses partenaires étudiaient les migrations des baleines à bosse dans l'océan Indien lors de leur venue annuelle pendant l'hiver austral pour mettre bas et s'accoupler. À la suite d'un atelier régional en 2014, nous avons décidé de mutualiser davantage les compétences, les informations, les données dont disposaient les experts concernés par ces problématiques à l'échelle du sud-ouest de l'océan Indien. Globice a ainsi fédéré un réseau d'une cinquantaine de membres, essentiellement des chercheurs, présents à La Réunion, à Maurice, à Madagascar, en l'Afrique du Sud, Kenya, etc.

IndoCet est animé par Globice, présidé par Violaine Dulau et compte des membres actifs et des membres associés. Les membres actifs sont des chercheurs impliqués dans la recherche sur les cétacés à l'échelle de la zone et les membres associés apportent des conseils et des appuis extérieurs. Son animation prend de multiples formes. Elle utilise différents médias, réseaux, canaux de mutualisation et de mise en commun. Enfin, IndoCet bénéficie du soutien financier du Fonds français pour l'environnement mondial, de la Commission de l'océan Indien, de l'Europe et de la région Réunion.

IndoCet a pour objectifs de dynamiser la recherche collaborative, partager les connaissances et agir pour la conservation des cétacés. Ces objectifs nécessitent plusieurs types d'intervention parmi lesquelles : la mise en réseau et l'animation des compétences régionales, des échanges d'expériences et le renforcement des capacités, l'harmonisation des protocoles scientifiques, le développement de programmes de recherche en collaboration, l'appui aux actions de conservation et enfin le conseil aux États et aux organisations régionales qui s'intéressent à ces thématiques.

Je vous présente trois exemples concrets de coopération.

Le premier vise à étudier la structure et l'abondance des populations de baleines à bosse à l'échelle régionale. Comme vous le savez, les baleines à bosse qui rejoignent les zones tropicales chaque hiver austral ont des migrations à l'échelle de la zone qui sont aujourd'hui mal connues. Le développement d'outils communs permet, notamment grâce à l'intelligence artificielle, d'automatiser la comparaison des caudales et d'identifier chaque individu et donc de suivre une migration, soit entre les îles, soit année après année en comparant ces catalogues de caudales.

Le deuxième porte sur les cas d'échouage. Il est précieux de pouvoir bénéficier de l'assistance et du soutien de l'ensemble des expertises du réseau dans la collecte de données, l'analyse d'échantillons, la formation des opérateurs sur place et la centralisation des données. La coopération a été récemment de mise en oeuvre avec l'échouage d'une trentaine de dauphins d'Électre à Maurice.

Enfin, le troisième vise à identifier des habitats clés pour plusieurs espèces de mammifères marins menacées d'extinction sur la zone. Dans le cadre des travaux de l'UICN sur ces sujets, IndoCet a participé, via son réseau de compétences et ses recherches, à l'identification des zones de protection prioritaires.

Jean-Philippe DELORME,

Directeur du Parc national de La Réunion

« Coopération entre le Parc national de La Réunion et le réseau des parcs nationaux d'Afrique du Sud ; des synergies pour une meilleure gestion des espaces et des ressources naturelles »

Propos de présentation de M. Marcel Escure, Ambassadeur, délégué à la coopération régionale dans l'océan Indien

M. Jean-Philippe Delorme a une double formation en socio anthropologie et en agro économie. Il a fait 10 années de coopération au Brésil et dans le Cône sud pour accompagner des projets (création du Parc naturel régional du Pantanal au Mato Grosso du Sud) et des politiques publiques en matière de gestion territoriale durable. Il a été directeur adjoint pendant 3 ans du parc amazonien de Guyane, directeur pendant 6 ans du parc naturel régional du Vercors. Il est directeur du Parc national de La Réunion depuis juin 2017.

Bonjour à tous,

En préambule, je précise que ma présentation ayant trait à la biodiversité réunionnaise et au parc national de La Réunion, vous allez retrouver un certain nombre d'éléments convergents avec celle de M. Vincent Boullet.

Sur le plan bio géographique La Réunion est une île tropicale, altimontaine et afro-indienne. Cette définition indique clairement que dans la diversité des influences extérieures auxquelles l'île de La Réunion a été soumise, la composante africaine représente une part importante, rendant logique la coopération qui s'est développée entre La Réunion et l'Afrique du Sud.

La Réunion est donc une île altimontaine, cette particularité est illustrée par la distance entre le cratère du Dolomieu culminant à plus de 2 600 mètres et le littoral qui se situe à seulement une quinzaine de kilomètres. Le gradient altitudinal est donc extrêmement important et donne une grande diversité de situations sur une petite surface, offrant aux territoires une compacité exceptionnelle.

Un autre élément fondateur de cette diversité est la diagonale des pluies qui partage l'île en deux, au vent et sous le vent. Dans la partie est, plus précisément sud-est, les maximums de précipitation sont supérieurs à 10 mètres par an, alors que certaines parties à l'ouest reçoivent à peine un mètre. Ces fortes précipitations, combinées à un gradient altitudinal très élevé, ont construit des reliefs très marqués, constituant une très grande diversité de milieux.

Le cumul de ces différents facteurs - la diversité des influences, la diversité des milieux, avec le gradient altitudinal, les différents reliefs et les différences de pluviométrie - a permis le développement d'une diversité exceptionnelle, avec un très fort niveau d'endémicité puisque l'île affiche un taux d'endémisme de 28 %.

Outre cette diversité d'espèces, ces conditions particulières ont permis le développement d'habitats très diversifiés, des savanes de l'ouest aux forêts d'altitude humides, dites forêts de nuages et pour les étages altimontains, d'une végétation de haute montagne puisque le point culminant de La Réunion atteint 3 000 mètres.

Des photos des différents paysages sont présentées.

En mobilisant au cours de son histoire un certain nombre de politiques publiques, La Réunion a su créer les conditions qui ont permis d'atteindre aujourd'hui un niveau de conservation remarquable, puisque 30% des habitats originels ont été conservés. Ce niveau de conservation a facilité la création d'un parc national, renforçant ainsi les moyens en matière de gestion de cette biodiversité exceptionnelle. L'île a également obtenu un label international prestigieux puisque le coeur du parc a été inscrit sur la liste du patrimoine mondial de l'humanité.

Cette biodiversité subit des pressions importantes, notamment liées à la très grande dynamique des espèces exotiques envahissantes végétales. C'est cette problématique qui nous a encouragé à nous rapprocher de nos collègues sud-africains car l'Afrique du Sud dispose d'un réseau de 29 parcs nationaux dont certains sont soumis au même type de problématiques que celles affectant La Réunion. La tête de réseau Sanparks a su développer un important réseau de centres de recherche voués à appuyer les gestionnaires d'aires protégées, notamment sur la question des espèces exotiques envahissantes. Notre collaboration s'appuie plus spécifiquement sur les parcs de Table Moutain et du Drakensberg, ce dernier étant de plus confronté, comme le parc national de La Réunion, à la gestion d'un site classé au patrimoine mondial de l'Unesco au titre du critère 7 (paysages).

Le parc de Table Mountain représentera le point focal de notre coopération car il offre de nombreuses similarités avec le parc de La Réunion. La région du Cap est en effet un hotspot de biodiversité avec un relief accentué, une situation périurbaine et qui bénéficie d'une influence océanique. Ces caractéristiques communes, malgré les différences d'approches sur le plan politique et sur l'aménagement du territoire créent un terreau extrêmement intéressant pour une collaboration entre nos deux pays.

Les points forts de la coopération entre le Parc national de La Réunion et Sanparks sont : des problématiques similaires, des expertises complémentaires et des réseaux de partenaires. Les parcs sud-africains ont une grande profondeur historique sur les problématiques d'incendies, les espèces exotiques, la gestion des flux touristiques et celle des biens inscrits sur la liste du patrimoine mondial de l'Unesco. Le Parc national de La Réunion dispose d'un réseau de partenaires nombreux et divers sur l'île et même si l'accord avec Sanparks a été signé par le Parc national, c'est l'ensemble du territoire qui est mobilisé dans cette coopération : les collectivités, les centres de recherche, etc. Il fait également partie du réseau des 11 parcs nationaux français et dispose d'une expérience spécifique sur la gouvernance, l'articulation des politiques publiques, les démarches multipartenariales, la gestion d'un bien classé Unesco et d'une capacité de recherche et de développement.

Nous bénéficions d'un fonds de 1,5 million d'euros, par le biais de l'AFD, pour une durée de trois ans. Celui-ci nous permettra de financer une partie de nos actions communes avec Sanparks. Par ailleurs, un fonds 5.0 de 0,35 million d'euros alloué par le ministère des outre-mer et piloté par l'AFD, toujours sur une durée de trois ans, nous aidera à initier la constitution d'un centre de recherche autour de la problématique des espèces exotiques envahissantes, en collaboration avec le CIRAD. La constitution de cette équipe de recherche est le premier résultat de cette coopération puisque nous avons commencé à contractualiser avec les chercheurs dès le mois de septembre 2020.

Massif du Piton de la Fournaise et le cratère Dolomieu enneigé (c) Hervé Douris

Jean Roger RAKOTOARIJAONA,

Directeur de l'intégration environnementale et du développement durable à
l'Office national pour l'environnement de Madagascar

« Le projet CRAIE  - ONE DEAL : une coopération franco-malgache relative à l'information et à l'évaluation environnementale pour la préservation de la biodiversité dans le sud-ouest de l'océan Indien »

Propos de présentation de M. Marcel Escure, Ambassadeur, délégué à la coopération régionale dans l'océan Indien

Économiste du développement et de l'environnement, économètre-statisticien (Université de Toulouse I), M. Jean Roger Rakotoarijaona a plus de 20 ans d'expérience dans l'évaluation environnementale et les systèmes d'informations environnementales. Il est aussi négociateur international en changement climatique et en biodiversité.

Bonjour à tous,

Je suis très honoré de co-présenter devant vous ce projet de coopération régionale impliquant l'Office national pour l'environnement de Madagascar (ONE) et la Direction de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DEAL) de La Réunion.

Le projet présente un intérêt particulier pour Madagascar qui est reconnu comme terre exceptionnelle de biodiversité, mais celle-ci est lourdement menacée. La préservation de la biodiversité nécessite en effet des instruments de gestion environnementale adéquats et performants dont font partie l'évaluation environnementale et l'information environnementale.

Le projet est original car il n'est pas une réponse à un appel d'offres et n'a pas été conçu par des instances internationales. Il est né d'une initiative commune entre les deux partenaires engagés dans un même combat, ce qui assure qu'il répond aux besoins réels. L'idée est d'établir dans le sud-ouest de l'océan Indien une plateforme d'échanges, de collaboration et de renforcement mutuel entre les institutions qui travaillent dans l'évaluation environnementale et dans la gestion des informations environnementales.

Dans sa première phase, il impliquera d'abord Madagascar et La Réunion. Des partenaires techniques et financiers comme l'AFD ont déjà manifesté leur intérêt pour accompagner le projet. Il est en cours de préparation mais des étapes importantes ont déjà été franchies.

En février 2019, l'ONE a mené une mission à La Réunion. À l'issue de celle-ci, une décision a été prise avec la DEAL pour monter le projet. Le financement de la préparation a été bouclé en octobre 2019 avec la réponse positive du Fonds de coopération régionale, l'appui supplémentaire de l'AFD et les contributions de la DEAL et de l'ONE.

Une première mission technique de l'équipe de la DEAL a eu lieu en novembre 2019 à Madagascar. La suite devait être une mission d'une équipe technique de l'ONE à La Réunion en février-mars 2020 mais elle a été annulée à cause de la crise sanitaire. Les contacts ont repris en avril 2021 et devraient permettre de finaliser la formulation du projet pour commencer les activités en 2022.

Le principal objectif de la mission de l'ONE à La Réunion en février 2019 était de visiter les projets de lutte et d'adaptation contre les changements climatiques. Elle a également été mise à profit pour, d'une part, identifier les domaines où les échanges pouvaient être bénéfiques, comme les outils techniques et juridiques, les procédures, les méthodes utilisées, le mode de financement, les types de partenariats et, d'autre part, pour explorer les possibilités de mettre en place un outil commun au niveau du sud-ouest de l'océan Indien pour suivre l'évolution et l'état de l'environnement régional, en s'inspirant du tableau de bord environnemental (TBE) de Madagascar. Elle a finalement abouti à un engagement de l'ONE et de la DEAL pour renforcer leurs relations naissantes par des échanges de connaissances, d'informations et d'expériences et par la mise en oeuvre de ce projet de collaboration.

Ensemble, nous faisons partie de la solution !

Jérôme DULAU,

Chef du service connaissance, évaluation et transition écologique à la direction de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DEAL) de La Réunion

« Le projet CRAIE  - ONE DEAL : une coopération franco-malgache relative à l'information et à l'évaluation environnementale pour la préservation de la biodiversité dans le sud-ouest de l'océan Indien »

Propos de présentation de M. Marcel Escure, Ambassadeur, délégué à la coopération régionale dans l'océan Indien

M. Jérôme Dulau est écologue diplômé d'un 3 e cycle à l'Université Pierre et Marie Curie. Il a travaillé pour le développement durable local en Nouvelle Aquitaine (1998-2001), puis à la réalisation d'études d'impact au CEREMA dans le Nord-Pas-de-Calais (2001-2005).

Il a aussi été en charge de l'instruction de projets et la réalisation de guides méthodologiques, du pilotage de la Stratégie réunionnaise de la Biodiversité à la DIREN Réunion (2005-2011) et de la création de la mission inter-service de l'eau et de la nature à la DEAL Réunion (2012-2017).

Bonjour à tous,

Après cette première visite d'une délégation de l'ONE à La Réunion, nous avons nous-mêmes constitué une délégation pour aller à Madagascar. L'objectif était de comprendre le contexte et les activités de l'ONE, de travailler sur des ateliers très opérationnels sur les méthodes d'évaluation environnementale de l'ONE et d'étudier son système d'information et de connaissance de la biodiversité qui recouvre tout le territoire. La Réunion et Madagascar ne sont pas à la même échelle en termes de taille mais travaillent sur les mêmes thématiques et enjeux majeurs. Nous cherchions à comprendre comment, à travers des projets très concrets, la démarche d'évaluation environnementale a permis d'éviter, de réduire et de compenser les impacts anthropiques sur l'environnement et la biodiversité.

Nous avons visité la mine d'Ambatovy, qui est l'une des plus grosses mines de nickel du monde. Elle s'est déployée sur une forêt primaire, avec des pistes de chantier importantes, des fronts de taille dans la forêt de 30 à 35 m de haut mais aussi avec une démarche d'évaluation environnementale qui a permis de mettre en place des mesures assez conséquentes pour faire face à ces impacts significatifs sur le territoire, notamment des opérations de restauration écologique.

Ce qui est intéressant dans la démarche malgache, c'est l'appropriation très importante de la part du maître d'ouvrage, qui a généré des centaines d'emplois, y compris internes, pour travailler uniquement sur la préparation de l'évitement et de la restauration écologique. L'évitement a constitué à récolter des graines. Plusieurs milliers d'espèces ont été inventoriées et collectées en amont du projet dans la forêt concernée et des pépinières et des itinéraires techniques de semences ont été mis en place. Par ailleurs, des opérations de plantation de semis à grande échelle ont eu lieu sur plusieurs centaines d'hectares et un orchidarium, sans doute l'un des plus grands du monde, a été constitué avec toutes les orchidées découvertes et déplacées avant la déforestation. Le maître d'ouvrage s'est engagé à reconstituer quasiment intégralement les surfaces impactées de la forêt primaire avec des plantations de plusieurs centaines d'espèces différentes sur 30 ans. À chaque clôture d'alvéole, une restauration, pas à l'identique évidemment, mais avec un cortège d'espèces significatif est prévue. Elle permettra à la forêt de reprendre sa place.

Nous avons partagé tous ces enjeux d'information et d'évaluation environnementale et les difficultés qu'ils représentent sur le territoire sous forme d'ateliers avec les ONG, les services déconcentrés du ministère de l'environnement malgache et nous avons tenu l'AFD, qui nous soutient sur cette mission, informée.

Nous retenons des enseignements de cette mission à Madagascar :

- la mise en place de cahiers des charges environnementaux très détaillés, annexés aux autorisations et aux permis, ce que nous n'avons pas forcément en France où les mesures sont listées mais de manière assez synthétique dans nos arrêtés d'autorisation ;

- les compétences des acteurs qui sont impliqués dans les processus d'évaluation environnementale pour éviter, réduire et compenser, comment les autorités acquièrent de la compétence en matière de biodiversité pour évaluer le respect par le maître d'ouvrage de ces séquences. C'est un sujet sur lequel nous avons aussi des difficultés en France. Les services instructeurs ne sont pas formés à la biodiversité ni à la compréhension et à l'interprétation des systèmes d'information sur la biodiversité ;

- le suivi post-autorisations, c'est-à-dire la mise en place des mesures permettant de suivre la séquence éviter, réduire, compenser. Comme l'a montré le rapport sénatorial du 25 mars 2017, nous avons du mal, en France, à aller au bout de cette séquence alors que des exemples montrent, qu'à Madagascar, les maîtres d'ouvrage ont pris les moyens d'intégrer ces séquences intégralement et de se doter de compétences internes pour la mettre en place jusqu'au bout, sur une trentaine d'années. En France, les maîtres d'ouvrage délèguent souvent cette séquence à des opérateurs tiers, ce qui ne fonctionne pas forcément très bien ;

- Madagascar est intéressée par notre processus de débat public qui n'existe pas sur leur territoire. Les populations sont associées au projet au moment de l'enquête publique, il n'y a pas de débat public en amont pour juger de l'opportunité ou pas de lancer un projet. Cette situation pose des difficultés au service instructeur de l'ONE.

Il y a d'autres sujets sur lesquels nous avons décidé accroître notre collaboration :

- le partage du système d'information, avec le renforcement de compétences techniques, le traitement des données, notamment sur le changement climatique et sur des sujets liés aux littoraux qui sont assez complexes à comprendre dans leur fonctionnement écosystémique ;

- le renforcement des capacités de l'évaluateur sur le contenu du système d'information et sur la collecte des données sur le terrain.

Sur toutes ces thématiques, nous pouvons établir une coopération de long terme. Nous avons monté le projet CRAIE qui nécessite une implication pluriannuelle totale de nos deux entités, une mobilisation des moyens humains, un plan d'actions avec des enveloppes financières modulables pour réunir plusieurs bailleurs.

Nous réfléchissons aussi à élargir cette coopération aux autres pays de la Commission de l'océan Indien pour essaimer les méthodes que nous aurons identifiées.

Nous sommes aujourd'hui dans la deuxième phase du projet. Nous avons été percutés par la crise sanitaire mais nos directions respectives ont confirmé récemment leur souhait de finaliser le projet de coopération d'ici la fin de l'année et de le proposer en 2022 à nos bailleurs, en particulier l'AFD. Nous envisageons également de le soumettre au Fonds français pour l'environnement mondial.


* 2 Global Coral Reef Monitoring Network.

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