II. COMPTE RENDU DE LA RÉUNION DU 15 JUILLET 2021 PRÉSENTANT LES CONCLUSIONS DE L'AUDITION PUBLIQUE DU 24 JUIN 2021

M. Cédric Villani, député, président de l'Office . - Une réflexion de l'Office sur le financement et l'organisation de la recherche en biologie-santé s'imposait dans le contexte de la pandémie de la Covid-19, marqué par la mise en cause des dispositifs de recherche et d'innovation en sciences biologiques et santé et par les déboires des laboratoires français concernant la mise au point d'un vaccin. L'organisation de la recherche et de son financement ont également été très débattus lors de la préparation de la loi de programmation de la recherche.

En 2020, l'Office avait déjà entendu l'Académie nationale de médecine pour la présentation de ses premières réflexions sur le sujet. Le 24 juin 2021, à la suite de la publication du rapport final des Académies nationale de médecine et de pharmacie, une audition publique a été organisée afin de débattre des évolutions souhaitables pour la recherche en sciences biologiques et santé, avec les principaux acteurs du domaine.

Le périmètre des sciences biologiques et santé n'est pas clairement défini, comme le montrent les comparaisons internationales. L'ambiguïté et l'arbitraire auraient été pires si nous avions voulu séparer les sciences biologiques de la santé. Par conséquent, tout en sachant que la solution adoptée n'est pas parfaite, nous pouvons considérer qu'elle correspond au moins mauvais choix.

La première partie des conclusions concerne le financement de la recherche et du développement en biologie-santé, que les participants ont jugé faible par rapport aux efforts qui avaient pu être annoncés, mais aussi comparativement aux moyens consacrés par les pays les plus avancés et à ce qui est attribué aux autres secteurs de la science. En France, les grands programmes de recherche scientifique se sont construits autour de la physique plus que de la biologie et aujourd'hui encore, nous mesurons les conséquences de cet ancrage historique. Nous constatons par ailleurs une certaine érosion de la production scientifique. Au cours des quinze dernières années, la France est passée de la cinquième à la huitième place en termes de volume de publications en matière de santé et de biologie. L'obtention de financements et de bourses internationaux s'inscrit également à la baisse. La France se place au troisième rang des financements en sciences de la vie alloués par le Conseil européen de la recherche sur l'ensemble du programme Horizon 2020. En normalisant les allocations reçues par rapport à la population de chaque pays, la France ressort à la quinzième place. Cette situation résulte à la fois des performances de la France en matière de biologie-santé et de ses difficultés globales à s'insérer dans les programmes européens.

Au-delà de leur faiblesse, le système de financement et les investissements se caractérisent par leur fragmentation et leur complexité, en particulier sous l'effet de la double tutelle du ministère de la Solidarité et de la Santé (MSS) et du ministère de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation (MESRI), les deux ministères présentant un faible niveau de coordination. La recherche française souffre par ailleurs d'une organisation « en millefeuille » ou « en Mikado ». Les financements pourvus par la mission budgétaire interministérielle Recherche et Enseignement supérieur (MIRES) sont insuffisants et sont en baisse tendancielle, alors que les demandes s'inscrivent plutôt à la hausse. Les budgets des établissements stagnent, en particulier ceux de l'Inserm et de l'Institut des sciences biologiques du CNRS. En soustrayant la part consacrée aux rémunérations du personnel, qui elle-même progresse peu, les montants disponibles pour financer les laboratoires sont restreints et constants depuis au moins dix ans, alors que la demande d'investissement augmente.

Par ailleurs, les projets présentés lors des appels à projets obtiennent un taux de succès faible. Les appels à projets se caractérisent eux-mêmes par une durée de financement courte, de trois ans, inadaptée au domaine de la biologie-santé et à la prise de risque. Le préciput alloué ne se situe ces dernières années qu'au niveau très faible de 11 %, bien que la LPR prévoie des marges plus élevées pour le préciput, pour financer à la fois les frais d'hébergement, le laboratoire qui accueille administrativement le projet et les autres laboratoires de l'établissement. Globalement, les appels à projets sont mal dimensionnés par rapport aux besoins du secteur.

Une partie de la discussion a porté sur les dotations reçues au titre des missions d'enseignement, de recherche, de référence et d'innovation (MERRI) et sur la façon dont le ministère évalue et soutient ces différentes actions. La principale recommandation des Académies consiste à réformer les subventions aux structures hospitalières et leur mode d'attribution en confiant l'allocation de ces crédits « socles », hors enseignement, à un conseil d'orientation de la recherche hospitalière qui aurait pour but d'expliciter et de coordonner la stratégie et la programmation de la recherche hospitalière au niveau national. La gestion des appels à projets serait confiée à l'Agence nationale de la recherche (ANR) et l'évaluation des structures au Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (Hcéres). Pendant l'audition, les représentants du ministère de la Solidarité et de la Santé se sont dits très attentifs à cette suggestion et conscients de l'importance de revoir la procédure d'allocation de ces crédits.

S'agissant des autres financements, il a été observé que le Programme d'investissements d'avenir (PIA) consacre une part relativement importante de ses crédits à des projets de biologie-santé. Les collectivités territoriales leur accordent également des financements non négligeables mais ceux-ci sont hétérogènes selon les départements et régions. En outre, ils sont majoritairement consacrés au transfert de technologies et aux opérations immobilières. Enfin, des financements proviennent aussi de l'Union européenne, malgré la médiocre performance que j'ai mentionnée précédemment. Le secteur associatif a également été évoqué. Le rapport présente ainsi un paysage assez éclaté des financements, bien que toutes ces sources soient importantes.

La seconde partie de l'audition a été consacrée à l'organisation de la recherche en biologie-santé. La pandémie de la Covid-19 est apparue comme un révélateur de la complexité de l'organisation de la recherche en biologie-santé en France. Comme l'Office avait déjà pu le constater, le très grand nombre d'essais cliniques de petite taille engagés en France donne l'image d'un manque de coordination et d'une inefficacité du système. Un système de recherche se structure selon trois niveaux : le niveau national, le niveau de la programmation à travers les agences et le niveau des opérateurs qui gèrent les laboratoires et organisent les recherches sur le terrain. La coordination au niveau national dépend à la fois du MSS et du MESRI. Là encore, un manque de cohérence entre ces deux ministères a été pointé du doigt. La question de la coordination de la programmation et des opérateurs a également été soulevée, de même que le rôle des alliances, en particulier de l'Alliance nationale pour les sciences de la vie et de la santé (Aviesan).

Il semble que le niveau sur lequel il serait le plus urgent d'agir sans causer de difficulté institutionnelle correspond à la coordination entre les ministères. Les niveaux de coordination entre institutions relèvent de l'organisation générale de l'enseignement supérieur et de la recherche. Ils sont relativement sensibles et il n'y a pas lieu de revenir sur leur organisation dans la foulée de la LPR. En ce qui concerne l'Aviesan, il avait été précisé lors de la création des Alliances qu'elles n'avaient pas vocation à devenir une structure administrative de plus, à posséder une personnalité morale et à être dotées de budgets et du pouvoir d'édicter des prescriptions contraignantes. Il convient donc de trouver la bonne façon de les revitaliser sans pour autant en faire une structure à part entière. Les Alliances doivent pouvoir jouer pleinement leur rôle de club de discussion et de confrontation entre les différents acteurs.

L'audition est revenue sur les conséquences internationales de la fragmentation de la recherche et du manque de coordination. Sur ce sujet, l'Académie nationale de médecine s'est montrée très sévère quant à la cacophonie observée dans la représentation française auprès des organes de décision européens et a recommandé de regrouper les différents établissements et structures publiques d'enseignement et de recherche dans une politique de guichet unique auprès des acteurs bruxellois, en désignant un Haut Représentant des acteurs scientifiques français auprès de la Commission et du Parlement européens. Cette solution a fait ses preuves dans d'autres pays. L'OPECST l'encourage donc également.

La recherche vaccinale aux États-Unis a connu le succès que l'on sait grâce à un rôle fort de la Biomedical Advanced Research and Development Authority (BARDA), qui a le pouvoir de mobiliser d'importants investissements et moyens humains dans un contexte d'urgence sanitaire. Dans ses précédentes conclusions sur la stratégie vaccinale française, l'OPECST émettait déjà le voeu que l'Union européenne s'en inspire. Cette suggestion est également pleinement poussée par les Académies. L'un des représentants de la France auprès des institutions européennes a rappelé l'existence du projet Health Emergency Response Authority (HERA) au niveau de l'Union européenne, qui constituerait effectivement une déclinaison européenne de la BARDA. Nous soutenons donc ce projet.

L'audition a repris à son compte les conclusions du rapport très critique de la Cour des comptes sur les dispositifs de valorisation de la recherche, qu'elle jugeait globalement inefficaces. Il existe une grande hétérogénéité entre ces dispositifs de valorisation, tous ne fonctionnant pas. Il est donc important de mieux mettre en oeuvre les synergies et les valorisations et de permettre le déploiement d'investissements publics et privés pour franchir la fameuse « vallée de la mort » que doivent franchir les jeunes sociétés innovantes avant d'espérer trouver le succès commercial. Néanmoins, la solution ne réside pas dans la création de nouvelles structures ou de nouvelles actions administratives mais plutôt dans le renforcement des habitudes et de la culture des acteurs en matière de valorisation de la recherche.

Les Académies ont proposé les quatre scénarios suivants pour réformer le système actuel de recherche en sciences biologiques et santé :

la création d'un institut unique fédérant la recherche en biologie-santé qui aurait pour but de préparer la stratégie de recherche nationale et de coordonner sa programmation et sa mise en oeuvre par les organismes actuels, tout en veillant à centraliser la mise en place d'une politique internationale et de soutien à l'innovation ;

- la création, au sein de l'Inserm, d'un institut de coordination de la recherche publique en biologie-santé ;

- la mise en place d'un système analogue à l'organisation britannique, dans lequel une structure unique serait chargée de la programmation pour l'ensemble des domaines de recherche ;

- l'abandon du système de tutelles multiples pour les laboratoires via un transfert du rôle d'opérateur de recherche des EPST vers les universités et les CHU.

Ces réformes présentent le mérite de proposer des solutions à des problèmes cuisants. Elles impliquent néanmoins une profonde réorganisation du système de recherche en biologie-santé. Or il n'est pas clair que le contexte soit favorable à une modification aussi sensible, au regard des éléments de calendrier rappelés. Il est important en revanche de se préparer en vue du jour où de nouvelles restructurations interviendront.

En conclusion, la comparaison des financements alloués par la France et par les autres pays développés à la recherche en biologie-santé démontre à la fois un retard de la France, accru au cours des dernières années, et une claire insuffisance de ce financement dans notre pays. Si les financements prévus par la loi de programmation de la recherche sont susceptibles de combler - au moins en partie - ce déficit, le groupe de travail constitué par les Académies nationales de médecine et de pharmacie regrette qu'aucune trajectoire d'investissement spécifique au domaine biologie-santé ne soit précisée, alors même que la santé y est considérée comme l'une des trois grandes priorités de recherche. À l'obstacle du financement s'ajoute une difficulté liée à la diversité des acteurs du système de recherche en biologie-santé, et au manque de coordination entre eux. Ceci réduit l'efficience du système de recherche, crée certaines redondances au niveau national et conduit également à des difficultés de représentation de la recherche française dans les instances internationales. Cette pluralité entraîne des difficultés pour la valorisation de la recherche, qui mériterait d'être adaptée aux contraintes spécifiques du domaine de la biologie-santé.

Il pourrait donc être recommandé de :

- porter les financements dédiés à la recherche dans le domaine des sciences biologiques et de la santé à un niveau comparable à celui attribué par les pays européens les plus avancés dans cette recherche ;

- encourager la coordination entre les différents niveaux du système de recherche : entre le ministère de la Solidarité et de la Santé et le ministère de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation pour définir une stratégie nationale claire et ambitieuse de recherche en biologie-santé ; au niveau des différents pourvoyeurs de moyens pour faire émerger une politique de programmation ciblée sur les thématiques prioritaires identifiées par la stratégie nationale ; au niveau des opérateurs en renforçant l'influence de l'Aviesan, notamment dans le but de conduire des recherches pluridisciplinaires et translationnelles ;

- unifier le système de représentation scientifique auprès de l'Union européenne et des autres instances internationales ;

- faire évoluer le système de valorisation de la recherche et de promotion des investissements privés pour permettre à davantage de start-up prometteuses de franchir la « vallée de la mort ».

Au-delà de la synthèse et des préconisations, le dialogue avec les Académies de médecine et de pharmacie est important pour la bonne marche des institutions qui se consacrent aux sciences et au pilotage de la recherche. Il devra être renouvelé régulièrement

M. Philippe Bolo, député . - Félicitations pour ce travail, qui était absolument indispensable. Les demandes dans le domaine de la biologie-santé ne peuvent être satisfaites qu'à partir de ressources budgétaires mais également à partir de ressources humaines. Avez-vous étudié la question du renouvellement de la communauté de chercheurs dans ce domaine et donc de l'attractivité des carrières pour les jeunes ? Existe-t-il des comparaisons internationales sur ce sujet ? L'un des enjeux du financement de la recherche concerne en effet la rémunération des chercheurs. Par ailleurs, les recherches en santé environnementale, dont nous savons qu'elles émergent et qu'elles ont été dopées par la pandémie de la Covid-19, sont-elles de nature à susciter des vocations et à alimenter et renouveler la communauté des chercheurs ?

M. Jean-Luc Fugit, député, vice-président de l'Office . - J'ai recueilli le témoignage de jeunes étudiants ingénieurs qui estiment que le système scolaire ne leur a pas donné envie de s'intéresser aux sujets du vivant et de la santé. Ils perçoivent l'existence de recherches et de perspectives dans le domaine des technologies mais ont le sentiment que la recherche en biologie-santé relève de grands laboratoires relativement opaques. Le système scolaire ne fait donc pas le nécessaire pour donner envie aux jeunes de s'intéresser à la recherche dans le domaine du vivant. Comment peut-on mobiliser la jeunesse en amont sur ces sujets sachant que la période que nous vivons y est plutôt favorable ?

Les recommandations formulées me paraissent très pertinentes. J'apprécie en particulier celles relatives à la coordination. Pour avoir travaillé dans la recherche en chimie, j'ai effectivement constaté d'importants problèmes de coordination. L'enjeu de la coordination me paraît le plus important.

Mme Catherine Procaccia , sénateur, vice-président de l'Office . - Ne conviendrait-il pas d'aller plus loin que les recommandations issues de l'audition publique et d'instaurer une obligation de coordination ? Dans ce domaine, comme dans beaucoup d'autres en France, chacun travaille sans tenir compte des autres et ne produit pas de résultats intéressants.

M. Jean-Luc Fugit, député, vice-président de l'Office . - Dans cette lignée, ne conviendrait-il pas de s'inspirer du privé et de nommer au niveau national un chef de projet qui serait chargé d'assurer la coordination avec un objectif non pas de rentabilité mais d'efficacité ?

Mme Florence Lassarade, sénatrice . - Je pense que la crise sanitaire a généré une relative coordination des scientifiques entre eux, malgré les tiraillements entre Paris et Marseille notamment. Le réseau Obépine constitue une initiative intéressante en matière de coordination, réunissant de nombreux organismes au sein d'un système innovant et peu onéreux. Néanmoins, cette démarche n'a pas été réellement reconnue par le ministère de la Santé qui a souhaité en reprendre le contrôle, pour des raisons que je ne perçois pas. La crise sanitaire a cependant permis à la recherche d'avancer. Mais une politique plus coordonnée à l'échelon national semble tout de même nécessaire.

M. Cédric Villani, député, président de l'Office . - La présentation des Académies était très axée sur les institutions et le financement et beaucoup moins sur les questions de communication, de récit et de culture. Il convient d'en tenir compte dans l'analyse du rapport. L'expérience des réformes du système de l'enseignement supérieur montre que les solutions institutionnelles doivent être maniées avec mesure. Un Big Bang trop important génère en effet des incompréhensions et des effets contreproductifs. En outre, la communauté de l'enseignement supérieur a déjà connu d'importantes réorganisations au cours des dernières années. Je serais donc prudent quant à la proposition consistant à créer une nouvelle obligation de coordination. En revanche, nous devons autant que possible permettre une meilleure communication entre les acteurs en passant par l'interpellation plutôt que par la contrainte. Je pense que ce serait une erreur d'attribuer une personnalité morale et des moyens contraignants à Aviesan et d'en faire un nouveau « super-institut ». De même, il convient d'être prudent face à la proposition consistant à créer un nouvel institut centralisateur de la politique de recherche. Cependant, nous devons tirer les conclusions du constat d'un nombre élevé d'essais de petite taille n'aboutissant pas à des résultats convaincants : cette situation résulte d'un manque de coordination et de synchronisation entre les différents acteurs.

La coordination ne résoudra pas en elle-même le problème majeur de l'attractivité. Celle-ci dépend en premier lieu des moyens financiers du domaine et de sa souplesse. Les chercheurs se plaignent de temps trop longs, de contraintes trop élevées, de moyens faibles et de difficultés de recrutement pour leurs collaborateurs. Cette tendance est très nette et la carrière de notre prix Nobel Emmanuelle Charpentier, partie à l'étranger pour poursuivre sa carrière du fait d'un environnement français trop contraignant et manquant de moyens pour lui permettre de développer ses travaux, en constitue l'emblème.

Je rejoins le constat de Jean-Luc Fugit sur la promotion du domaine de la biologie-santé auprès des jeunes. Le grand public le perçoit en effet comme un domaine dominé par les grands laboratoires et les intérêts financiers, à l'opposé de ce que nous avons pu constater lorsque nous avons visité l'Institut Pasteur et pris connaissance de projets passionnants et variés et de perspectives de recherche extrêmement attractives. Nous nous trouvons donc face à un défi majeur en matière de communication et de médiation scientifique. Lors de la préparation de la loi de programmation de la recherche, certaines discussions et certains amendements avaient trait à ce sujet au travers des recherches participatives et des recherches en médiation. Cet enjeu est donc majeur par au rapport au futur de la trajectoire française.

La crise a effectivement révélé des problèmes de fond. Il ne fait pas de doute pour moi que l'échec rencontré dans la mise au point rapide d'un vaccin contre la Covid-19 au pays de Pasteur pèsera sur le secteur de façon très forte. Elle pourrait sonner le réveil ou au contraire dissuader davantage nos jeunes de se lancer dans ce domaine. Ceci est d'autant plus dommageable que l'Institut Pasteur travaillait sur l'ARN messager et son application en santé depuis plusieurs années. Le problème ne provient donc pas de la recherche mais du développement. Nous devons interpeller les pouvoirs publics et le système de santé sur la nécessité de redoubler d'efforts en la matière.

M. Gérard Leseul, député . - Pendant la crise, le débat scientifique s'est instauré dans les médias, contribuant à déstabiliser une partie de la population face aux contradictions apparentes entre différents avis scientifiques. Quelles mesures conviendrait-il de prendre pour apaiser ce débat et le rendre constructif ?

Mme Sonia de La Provôté, sénatrice, vice-présidente de l'Office . -  Les auditions donnent le sentiment d'une scission dans le domaine de la recherche en biologie-santé entre les grands organismes et les grands laboratoires publics d'une part et le reste des acteurs d'autre part. Ces premiers bénéficient de leur volume, en concentrant à la fois les équipes et les publications, ainsi que d'un effet « label ». Néanmoins, la baisse de la dotation financière de ces grands organismes pose problème en matière d'organisation de la recherche au plan national. Les autres acteurs sont de grands centres de recherche privés, des organismes de R&D, des Instituts hospitalo-universitaires (IHU) qui paraissent relativement écartés, et de plus petits laboratoires comportant parfois des équipes mixtes mais moins pris en compte. Le financement de la recherche se concentre donc sur les grands centres pour des raisons de visibilité nationale et internationale et se décline au travers d'appels à projets auxquels les petites équipes n'ont pas toujours les moyens, institutionnels ou techniques, de répondre. Or, l'agilité et l'inventivité ne sont pas l'apanage des grands centres. Par conséquent, je m'interroge sur la stratégie consistant à concentrer les équipes et les moyens, pour des raisons d'identification et de réussite. Comment accompagner les laboratoires privés et les petites équipes au travers de la politique de santé nationale ?

Mme Florence Lassarade, sénatrice . - Le rapport sur la médecine environnementale a montré que les régions sont un appui important en matière de recherche. En Nouvelle Aquitaine au moins, la région complète le financement des programmes de recherche lorsque leur budget n'est pas atteint. Il convient donc de ne pas tout penser de manière centralisée et de tenir compte de la dimension régionale du financement de la recherche, bien que ce ne soit pas forcément le rôle des régions de financer la recherche.

M. Cédric Villani, député, président de l'Office . - Ma réponse personnelle sur les polémiques médiatiques relatives à la science et à la santé consiste à souligner l'importance d'éduquer à la polémique et à la controverse et de rappeler que dans le cadre scientifique, la controverse est naturelle, a toujours existé et se retrouve de façon plus ou moins aigüe à travers l'histoire de la science. L'existence d'opinions contradictoires ou divergentes ne doit pas être perçue comme un signe de chaos ou de dysfonctionnement et ne doit pas empêcher les pouvoirs publics de prendre des décisions, en ayant conscience des incertitudes, quitte à parfois revenir en arrière. Lors de la crise sanitaire, ce n'est pas tant l'existence d'avis divergents qui a posé problème que la façon dont le système institutionnel et médiatique en particulier a pris plaisir à insister sur les polémiques, à présenter des fluctuations et des divergences d'avis comme des controverses terribles et à organiser des batailles rangées. Le débat sur certains traitements de la Covid-19 était légitime au début de la pandémie mais ne méritait pas d'être transformé en affaire d'État. Il est ensuite apparu que l'hypothèse de ces traitements devait être abandonnée parce que les tests montraient leur inefficacité. Là encore, cela ne méritait pas une affaire d'État.

La bonne approche réside donc dans la banalisation de la controverse. À titre personnel, je me suis lancé dans la publication d'une série d'articles pour le magazine mensuel In Corsica, en revenant à chaque édition sur une polémique scientifique importante. Je montrerai ainsi que les polémiques scientifiques ne sont pas apparues avec la crise de la Covid-19 et sont en soi saines à condition de ne pas être transformées en bataille rangée de société témoignant de l'incurie des uns et de la surdité des autres. Nous devons mener un travail d'éducation sur ce qu'est la science. La science ne constitue pas une procédure qui impose sa vision de la vérité mais une procédure de confrontation perpétuelle entre théories, expériences et opinions, conduisant toujours à un consensus mais parfois après de longs débats, cela ne doit pas être vu comme dévastateur. La science a réalisé un exploit en mettant au point si rapidement les vaccins mais a perdu dix points de confiance dans l'opinion publique au cours de la crise, certainement suite à une mauvaise appréciation de la procédure contradictoire qui lui est consubstantielle. Il est donc nécessaire de mener un travail d'éducation sur la science et sur les relations entre la science et la politique.

Le rapport du groupe de travail des Académies est très centré sur les institutions publiques et leur organisation, selon une approche très prégnante dans le milieu scientifique français historique. Cette vision conduit néanmoins à délaisser les préoccupations telles que la participation du privé, qui constitue le point le plus important de notre déficit de financement. Le financement public est insuffisant par rapport à l'objectif de 3 % mais le financement manquant du côté du secteur privé est encore plus important. D'autres sujets sont relégués au second plan tels que la coordination entre le public et le privé, les interactions entre les petits acteurs et les grands, la participation des jeunes pousses à l'équilibre du système et la discussion entre les grandes entreprises et les agences. Nous souffrons de problèmes typiquement français qui sont d'ordre culturel, la France étant un pays de défiance entre les individus et entre les classes d'individus comme l'ont montré les sociologues, qui ont constaté que les indices de défiance ne font que s'accentuer depuis la Seconde Guerre mondiale. La communication entre les acteurs scientifiques a fortement souffert de cette défiance entre le public et le privé et de l'incompréhension entre les acteurs de petite taille et ceux de grande taille.

Il appartient à l'État de favoriser la bonne coordination entre ces acteurs. La tentative consistant à créer des institutions responsables de ce dialogue a donné des résultats très mitigés. D'autres solutions consistent à favoriser une culture de coopération dans un objectif commun de mutualisation, de respect et de dialogue ou à favoriser l'existence des clubs non contraignants que constituent les alliances ou les pôles de compétitivité. Il convient de poursuivre les travaux dans cette direction. De même, nous devons encourager les régions à financer des projets de recherche, sans créer de dispositif contraignant qui enjoindrait aux présidents de région de se conformer aux avis de comités. En revanche, il est bon que les présidents de région entretiennent des contacts réguliers avec les institutions de la recherche et soient ainsi incités à prendre les bonnes décisions. Dans un pays déjà extraordinairement institutionnalisé à de multiples échelles, nous ne pouvons créer des contraintes supplémentaires. Nous devons inciter les acteurs à communiquer et à s'entraider.

L'Office adopte les conclusions présentées et autorise à l'unanimité la publication du rapport présentant les conclusions et le compte rendu de l'audition publique du 24 juin 2021 sur le financement et l'organisation de la recherche en biologie-santé.

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