Rapport d'information n° 848 (2020-2021) de Mme Monique LUBIN , fait au nom de la MI Égalité des chances, déposé le 23 septembre 2021

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N° 848

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2020-2021

Enregistré à la Présidence du Sénat le 23 septembre 2021

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la mission d'information sur la politique en faveur de l'égalité des chances et de l'émancipation de la jeunesse (1) sur l' égalité des chances ,
jalon des
politiques de jeunesse ,

Par Mme Monique LUBIN,

Sénatrice

(1) Cette mission est composée de : M. Jean Hingray, président ; Mme Monique Lubin, rapporteure ; MM. Jacques Grosperrin, Laurent Burgoa, Rémi Cardon, Julien Bargeton, Jérémy Bacchi, Mme Guylène Pantel, M. Pierre-Jean Verzelen, Mme Sophie Taillé-Polian, vice-présidents ; Mme Else Joseph, M. Arnaud de Belenet, secrétaires ; MM. Jean-Baptiste Blanc, Michel Bonnus, Mmes Agnès Canayer, Marta de Cidrac, MM. Loïc Hervé, Pierre-Antoine Levi, Mmes Brigitte Lherbier, Michelle Meunier, MM. Laurent Somon, Lucien Stanzione, Cédric Vial.

LISTE DES PRINCIPALES RECOMMANDATIONS

___________

L'égalité des chances : une priorité affirmée,
des politiques insuffisamment soutenues et coordonnées

Réunir le comité interministériel de la jeunesse une fois par an pour assigner leur feuille de route aux différentes administrations agissant en direction des jeunes et en suivre la mise en oeuvre.

Doter le délégué interministériel à la jeunesse des moyens lui permettant d'assurer sa mission de coordination des actions menées par les différentes administrations en direction des jeunes.

Veiller au maintien des moyens humains affectés aux questions de jeunesse dans les services déconcentrés de l'État.

Pérenniser un fonds de soutien aux initiatives innovantes dans le domaine des politiques de jeunesse, sur le modèle du fonds d'expérimentation de la jeunesse.

Encourager sur tous les territoires la mise en place d'instruments favorisant une approche partenariale et coordonnée des politiques répondant aux besoins des jeunes (schémas départementaux des services aux familles, conventions territoriales globales, projets éducatifs territoriaux).

Les politiques de la petite enfance : un investissement à renforcer

Renforcer les efforts de création de places en structure d'accueil du jeune enfant dans les quartiers prioritaires, les zones rurales sous-dotées et outre-mer et en faveur des familles modestes.

Assouplir les règles de financement des établissements d'accueil du jeune enfant par la branche famille afin de favoriser l'accueil volontariste d'enfants de familles modestes.

Donner une base législative aux crèches Avip et renforcer le soutien en faveur des projets combinant accueil du jeune enfant et accompagnement des parents.

Améliorer l'encadrement au sein des établissements d'accueil du jeune enfant et développer l'identification de professionnels référents afin de garantir une plus grande stabilité de la relation avec l'enfant accueilli.

Renforcer la formation initiale des professionnels de la petite enfance, revaloriser, notamment du point de vue de la rémunération, ces métiers et développer une filière cohérente permettant une évolution professionnelle.

Pérenniser une offre de formation à destination des professionnels de la petite enfance.

Faire du schéma départemental de service aux familles, désormais généralisé à l'ensemble des départements, l'instrument privilégié d'une meilleure adéquation de l'offre d'accueil aux besoins des familles et des territoires, en associant tous les acteurs de la petite enfance et de la parentalité.

Le parcours scolaire au prisme de l'égalité des chances

Accélérer le dédoublement des classes de grande section en éducation prioritaire et conduire rapidement des études permettant de mesurer leur impact sur la résorption des inégalités de résultats à l'entrée en CP.

Étendre le dédoublement des classes au-delà des QPV.

Améliorer la formation des enseignants, et en particulier la formation continue des enseignants du premier degré, afin de favoriser une meilleure prise en compte des élèves les plus en difficulté.

Conduire une analyse détaillée sur l'impact de l'origine sociale sur les élèves dès trois ans au travers des premières études conduites en maternelle en 2020.

Continuer à rendre plus accessible l'accès à l'école maternelle pour les enfants de deux à trois ans.

Renforcer les moyens humains et financiers de la mission de lutte contre le décrochage scolaire.

Réduire les taux d'encadrement dans le premier et le second degré afin qu'ils convergent vers la moyenne européenne et afin de garantir de meilleures conditions d'enseignement.

Étendre l'expérimentation de secteurs communs menée dans les collèges parisiens à d'autres métropoles françaises et prolonger cette expérimentation à Paris.

Développer l'accompagnement des collectivités afin d'encourager le développement d'internats et renforcer les moyens accordés aux internats de la réussite.

Pérenniser et accroître le dispositif des vacances apprenantes.

Étendre le dispositif devoirs faits aux écoles élémentaires situées dans les zones les plus en difficulté en France métropolitaine.

Adapter « devoirs faits » aux contraintes des territoires ruraux, en particulier en modulant les horaires des transports scolaires.

Pérenniser les cités éducatives, en envisageant l'extension du dispositif à l'ensemble du territoire, hors des réseaux d'éducation prioritaire.

Comme le préconisent de nombreux acteurs, rendre obligatoires les heures consacrées à l'orientation au lycée et les ouvrir sur la diversité et la réalité des métiers, avec des visites d'entreprises ou la venue de professionnels.

Prévoir, dès le début du collège, l'instauration de rendez-vous réguliers associant la famille de l'élève sur l'orientation.

Intégrer la formation au conseil en orientation dans la formation initiale et continue des enseignants.

Assurer la pérennité des moyens consacrés au développement du mentorat afin de permettre une proposition systématique de mentorat aux jeunes issus des milieux les plus défavorisés.

Associer davantage les rectorats au déploiement du plan mentorat afin que l'accès des associations ne dépende pas uniquement de la bonne volonté des chefs d'établissements et des enseignants.

Mettre en place une campagne de communication autour du mentorat dans la fonction publique, afin de développer le recrutement de mentors fonctionnaires.

Développer la recherche publique sur l'évaluation des dispositifs de mentorat.

Ouvrir les horizons, informer, prévenir et accompagner :
des leviers d'égalité des chances à mobiliser

Relancer la conclusion de projets éducatifs territoriaux en portant attention à la qualité des activités proposées et en cherchant à davantage toucher les adolescents et les familles les moins favorisées.

Assurer un soutien financier et un appui technique renforcés aux collectivités qui s'engagent dans un projet éducatif territorial, notamment lorsque ce projet concerne des territoires et des publics prioritaires.

Veiller à ce que le déploiement du pass Culture ne s'effectue pas au détriment des financements destinés à l'éducation artistique et culturelle.

Accentuer le soutien aux actions visant l'accès aux activités culturelles des publics qui en sont le plus éloignés, telles que le projet Démos.

Accentuer le soutien aux initiatives associatives visant à développer la pratique sportive dans une perspective d'insertion sociale et professionnelle.

Pour relancer les séjours collectifs de vacances, simplifier et mieux faire connaître les aides existantes et mettre à l'étude la création d'un « Pass colo ».

Sécuriser le financement des associations d'éducation populaire dans le cadre de conventions pluriannuelles d'objectifs de préférence aux subventions annuelles et aux appels à projets.

Renforcer les partenariats avec les associations d'éducation populaire pour la mise en oeuvre des politiques territoriales en direction des jeunes.

Donner une meilleure visibilité au réseau information jeunesse et conforter ses moyens en clarifiant le rôle respectif de l'État et des régions.

Accélérer le déploiement de la « boussole des jeunes » sur le territoire national.

Renforcer les possibilités de présence numérique auprès des jeunes offertes par le dispositif « promeneurs du Net » en améliorant la couverture des territoires ruraux.

Veiller à ce que le déploiement de plateformes numériques ne s'effectue pas au détriment du maillage territorial de l'information jeunesse.

Mieux valoriser et articuler les interventions des structures de prévention et d'accompagnement des jeunes en situation de vulnérabilité et de leurs familles en décloisonnant les politiques sociales locales en direction des enfants et des jeunes.

Les jeunes en difficulté d'insertion :
la nécessité d'un accompagnement plus efficace

Clarifier l'articulation entre le Pacea et la Garantie jeunes et faire de cette dernière l'outil privilégié d'accompagnement des Neet .

Assurer rapidement l'entrée en vigueur des dispositions relatives à l'accompagnement des jeunes sortant de l'aide sociale à l'enfance, en particulier l'accès systématique à la Garantie jeunes.

Poursuivre le déploiement des écoles de la deuxième chance, avec le soutien financier de l'État, afin de renforcer leur maillage territorial.

Rééquilibrer l'implantation territoriale de l'Épide, en créant de nouveaux centres dans les régions encore peu couvertes, et étendre l'hébergement à tous les jours de la semaine afin de toucher davantage les jeunes éloignés des lieux d'implantation.

Rationaliser la coexistence des différents dispositifs de deuxième chance en conservant les avantages spécifiques de chacun d'entre eux.

Pérenniser les financements du plan « 1 jeune 1 solution » à hauteur des besoins.

Rénover le cadre de la coopération entre Pôle emploi et les missions locales par la conclusion d'un nouvel accord cadre permettant de mieux articuler leurs actions.

Inciter les missions locales à se regrouper à l'échelle départementale lorsqu'une échelle plus fine n'apparaît pas plus pertinente.

Réaffirmer le rôle des missions locales en tant qu'acteur central de l'insertion des jeunes et engager une réflexion sur l'organisation d'un service public de l'insertion des jeunes.

Mettre en cohérence les différents dispositifs en direction des Neet pour limiter les risques de concurrence et définir une politique d'orientation déclinée en fonction des besoins individuels.

Remettre en question les règles de financement qui créent des biais dans le recrutement et l'orientation des jeunes en difficulté par les acteurs de l'insertion professionnelle.

Aligner la rémunération des différents dispositifs, le cas échéant en tenant compte des avantages en nature procurés.

Mettre en oeuvre une analyse des résultats obtenus par le PRIJ en termes de repérage des jeunes en difficulté et de décloisonnement de leur accompagnement afin d'en tirer des enseignements et déterminer les éléments susceptibles d'être essaimés en dehors de l'Île-de-France, y compris dans les territoires ruraux.

AVANT-PROPOS

Selon leur milieu familial, leurs origines sociales ou géographiques, les jeunes arrivés à l'âge adulte ne disposent pas, loin s'en faut, des mêmes opportunités d'études, d'orientation professionnelle et de vie personnelle, et ils ne s'autorisent pas les mêmes ambitions. Faut-il se résigner à ce que l'avenir de certains jeunes paraisse déjà écrit dès leurs toutes premières années ? Comment réduire ces inégalités de destin et donner tout son sens à la devise de notre République, afin d'assurer, par l'égalité des chances, une véritable égalité des droits ? C'est cet enjeu majeur de cohésion sociale pour notre pays qui a justifié la création de la mission d'information sur les politiques en faveur de l'égalité des chances et de l'émancipation de la jeunesse.

La mission d'information a mené ses travaux sans se limiter au cadre strict d'une définition statistique de la jeunesse, car l'égalité des chances se joue dès la petite enfance et on ne peut établir le seuil d'âge au-delà duquel les questions d'accès à l'autonomie n'auraient plus lieu de se poser. En outre, la jeunesse englobe une très grande diversité de situations variant selon les âges, l'origine sociale ou territoriale, le lieu de résidence.

L'égalité des chances comporte également de très nombreuses dimensions et la mission d'information ne pouvait prétendre toutes les aborder. Par ailleurs, tenant compte des autres travaux engagés au Sénat, elle n'a pas cherché à aborder spécifiquement les difficultés actuelles des étudiants ou des jeunes en situation de pauvreté, ou encore les conséquences de la crise sanitaire sur les jeunes, même si celle-ci a accentué les inégalités de chances qui préexistaient.

Suivant une approche chronologique, elle a souhaité étudier les inégalités de chances qui affectent les jeunes à chaque étape de leur parcours, de la petite enfance jusqu'à l'entrée à l'âge adulte, et aux politiques menées pour y remédier, sachant que s'il faut compenser ou corriger les conséquences des inégalités de départ, il est également nécessaire de réduire ces inégalités elles-mêmes.

Elle a procédé à treize auditions en réunion plénière et les membres de la mission ont pu participer à une trentaine d'auditions organisées par la rapporteure. Au total, près de 80 institutions, associations ou personnalités qualifiées ont été entendues. Deux déplacements ont également été effectués en région parisienne, dans des quartiers prioritaires de la politique de la ville, l'un consacré à une cité éducative, l'autre au plan régional d'insertion des jeunes.

Ces échanges ont permis de recueillir un matériau très riche.

Il en ressort tout d'abord une confirmation : même si sur le long terme les inégalités se sont réduites, notre pays se caractérise par une mobilité sociale assez faible, ralentie par rapport à la période d'expansion économique. Le fait que les inégalités de départ ont tendance à s'accentuer plutôt qu'à se réduire au terme du parcours scolaire est l'une des illustrations les plus marquantes de cette situation qui alimente le sentiment d'une panne de l'ascenseur social.

L'égalité des chances constitue pourtant une priorité affirmée, de longue date, des politiques publiques en direction de la jeunesse. Mais elle est tributaire de nombreux facteurs, les responsabilités en la matière étant dispersées entre de multiples acteurs nationaux ou locaux. L'impulsion politique nécessaire comme la coordination de l'ensemble des intervenants n'ont jusqu'à présent pas été suffisantes pour traduire efficacement cette ambition affichée.

Les travaux de la mission d'information se sont concentrés sur quatre thématiques qui lui ont paru déterminantes pour établir les conditions d'une meilleure égalité des chances, selon la trame chronologique précédemment indiquée, en suivant le parcours de l'enfant et du jeune, de sa naissance à l'entrée dans l'âge adulte :

- la nécessaire contribution à l'égalité des chances de la politique de la petite enfance, période au cours de laquelle se cristallisent des inégalités liées au milieu familial dont les effets vont se retrouver jusqu'à l'âge adulte ;

- les correctifs à apporter à notre système scolaire afin d'éviter qu'il accentue les inégalités de départ, comme il a trop tendance à le faire ;

- les actions à développer pour que les enfants et les jeunes puissent trouver, en dehors de l'école et de leur milieu familial, des points d'appui pour élargir leurs horizons et réaliser des apprentissages utiles au plan social et éducatif ;

- enfin, le recherche d'une plus grande efficacité dans les multiples dispositifs visant l'insertion sociale et professionnelle des jeunes, notamment pour ceux qui sont aujourd'hui les plus éloignés des démarches proposées par les différentes institutions.

I. UNE MOBILITÉ SOCIALE AU RALENTI, UN POIDS ÉLEVÉ DES ORIGINES SUR LE DESTIN DES INDIVIDUS

De nombreuses études, françaises comme internationales, montrent que sur le long terme, les inégalités se sont réduites dans notre pays. Cette réduction des inégalités s'est toutefois considérablement ralentie depuis trente ans et s'accompagne de la persistance d'une forme de déterminisme social .

La profonde transformation de la structure des emplois, avec la tertiarisation de l'économie, et le développement du travail des femmes ont fortement soutenu la mobilité sociale durant la période d'expansion de l'après-guerre. Ces facteurs liés à des mutations désormais achevées jouent beaucoup moins aujourd'hui, d'où le sentiment d'une panne de l'ascenseur social .

La diversité des trajectoires individuelles comme la subjectivité des perceptions d'ascension ou de déclassement social rendent difficile toute conclusion définitive à ce sujet, comme l'ont montré les auditions d'experts devant la mission d'information.

Pour autant, il est clair que la France se situe parmi les pays de l'Union européenne les moins bien placés en termes de perspectives de mobilité sociale ouvertes aux jeunes issus des catégories les plus modestes et que des facteurs sociaux et territoriaux pèsent lourdement sur les « inégalités de destin » entre jeunes de notre pays.

Cette situation trouve largement sa source dans un système éducatif qui a beaucoup plus tendance à perpétuer les inégalités d'origine sociale ou territoriale qu'à les réduire.

A. UNE REPRODUCTION DES INÉGALITÉS DE REVENUS QUI TÉMOIGNE DE TROP FAIBLES PERSPECTIVES DE MOBILITÉ SOCIALE

Les comparaisons internationales montrent que, malgré une forte réduction des inégalités sur longue période, la possibilité pour un enfant de ne pas être cantonné à la catégorie sociale de ses parents, reste en France inférieure à la mobilité sociale observable dans la plupart des autres pays européens.

1. La mobilité sociale : une mesure de l'égalité des chances difficile à appréhender

À l'égalité des chances est généralement opposé le concept de déterminisme social , selon lequel la naissance d'un individu, et donc son milieu social d'origine, conditionnerait le reste de son existence.

L'égalité des chances peut être appréhendée en évaluant la mobilité sociale , qui comporte elle-même deux dimensions : la mobilité intragénérationnelle (mobilité sociale au cours de l'existence de chaque individu) et la mobilité intergénérationnelle (mobilité sociale des enfants par rapport à leurs parents).

La mobilité sociale est le plus souvent illustrée par la mobilité socioprofessionnelle , c'est-à-dire par la comparaison entre la catégorie socioprofessionnelle (CSP) d'un individu, qui combine prise en compte des revenus, du métier, des diplômes, et la CSP de ses parents. En d'autres termes, lorsque deux générations relèvent la même CSP, on considère qu'il y a immobilité, et donc reproduction sociale .

Il est possible de mesurer la mobilité sociale en termes de niveau de revenus en calculant l' inertie moyenne des écarts de revenu d'une génération à l'autre. Plus cette inertie est proche de 100 %, plus les écarts de revenus constatés pour une génération se retrouvent sur la génération suivante, plus le niveau de revenu des parents est supposé se répercuter sur celui des enfants. Or, selon une étude récente de l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) 1 ( * ) , l'inertie intergénérationnelle serait en France de 52 %, soit un niveau proche de celui de l'Allemagne (53 %), mais très supérieur à la moyenne des pays de l'OCDE, qui s'élève à 40 % 2 ( * ) . L'« ascenseur social » irait donc en France moins vite et moins haut que dans la plupart des pays de l'OCDE .

À l'échelle globale, l'amélioration des conditions de vie d'une génération par rapport à la précédente doit être soutenue par l'expansion économique. Cela se traduit par un fort effet de rattrapage dans les pays en développement. À l'inverse, dans les pays développés comme la France, on assiste à un ralentissement de la réduction des inégalités . Comme l'indique l'OCDE, « les possibilités d'amélioration majeure sont moindres dans les pays avancés ».

Ce constat explique en grande partie la perception de la mobilité sociale en France . En effet, la mobilité sociale réelle y est supérieure à la mobilité sociale ressentie.

France Stratégie, dans une étude de 2020 3 ( * ) , souligne à quel point la perception d'un fort déterminisme social est prégnante en France, à l'inverse d'autres pays pourtant tout autant inégalitaires, notamment les États-Unis.

Ainsi, en France, la probabilité de passer d'un quintile de revenus au quintile supérieur est sous-estimée de deux points par la population par rapport à la réalité statistique , alors qu'elle est surestimée de quatre points aux États-Unis.

Le sentiment d'un fort déterminisme social doit en particulier être relié au phénomène d'autocensure et aux freins mentaux qui peuvent limiter la mobilité ascendante des jeunes les moins favorisés.

La commission internationale « Blanchard-Tirole » sur les grands défis économiques 4 ( * ) souligne pour sa part que si les Français s'inquiètent de la mobilité sociale, c'est surtout en lien avec l'accès de leurs enfants à des études leur donnant accès à des « emplois de qualité », c'est-à-dire des emplois suffisamment stables et offrant des perspectives de promotion et de rémunérations croissantes.

2. Une dynamique de réduction des inégalités intergénérationnelles qui stagne depuis trente ans

Entre 1977 et 2015, les inégalités ont fortement régressé en France 5 ( * ) , et cette dynamique s'est accompagnée d'un accroissement des possibilités de mobilité sociale pour les individus . Ainsi, en 1977, un fils de cadre avait 28 fois plus de chance qu'un fils d'employé ou d'ouvrier de devenir cadre. Entre 1977 et 1993, ce rapport de chances relatives a diminué de 60 %, passant de 28 à 12, ce qui témoigne d'un accroissement de la mobilité sociale, le plus fréquemment dans un sens ascendant.

Cette amélioration doit être inscrite dans le contexte des Trente Glorieuses, et relève essentiellement d' effets de structure liée à l'évolution des emplois et plus généralement du marché du travail. La part de mobilité structurelle déterminait davantage les mécanismes de mobilité sociale au cours des années 1970-1980 que lors des vingt dernières années.

Cette rapide amélioration dans la deuxième moitié du XX e siècle va de pair avec une hausse sensible du niveau d'éducation . Ainsi, les sortants précoces du système scolaire, qui n'ont aucun diplôme ou seulement le diplôme du brevet, représentaient un tiers de jeunes de 18 ans en 1980, contre seulement 8 % en 2020. Près de la moitié des jeunes Français sortis du système éducatif entre 2015 et 2018 avaient obtenu un diplôme de l'enseignement supérieur.

Cependant, la fluidité sociale 6 ( * ) stagne depuis près de trente ans : à partir de 1990, on assiste à un ralentissement de la réduction des inégalités intragénérationnelles , le coefficient de mobilité sociale (c'est-à-dire de chance pour jeune un d'effectuer une mobilité sociale ascendante) n'ayant pas évolué depuis le milieu des années 1990.

Pour reprendre l'exemple cité ci-dessus, un fils de cadre a toujours en 2015, comme en 1993, 12 fois plus de chances qu'un fils d'employé ou d'ouvrier de devenir cadre, contre 28 en 1977. L'écart de chances a donc cessé de se réduire en 1993. Ainsi, les inégalités sociales d'accès aux professions de cadres sont encore très élevées en France .

Évolution de la fluidité sociale en France
entre les cadres et les employés et ouvriers qualifiés de 1977 à 2015

Rapport de chance relatif de devenir cadre,
entre un enfant de cadre et un enfant d'employé ou d'ouvrier

Source : Insee, enquêtes Formation et qualification professionnelle

En réalité, l'accroissement de la fluidité sociale en France au cours de la deuxième moitié du XX e siècle est soutenu par une forte ouverture de la mobilité sociale des femmes , en lien avec leur accession au marché du travail. Ainsi, depuis la fin des années 1970, le taux de mobilité sociale des femmes a progressé de 12 points par rapport à leurs mères, et de 6 points par rapport à leurs pères 7 ( * ) .

En 2015, 71 % d'entre elles relevaient d'une CSP différente de celle de leur mère et 70 % d'une CSP différente de celle de leur père. Par ailleurs, la mobilité sociale des femmes est davantage ascendante que celle des hommes sur la période.

En revanche, s'agissant des hommes, leur mobilité sociale est restée stable, ce qui ne signifie pas pour autant qu'elle est figée : au début des années 1980 comme en 2015, environ deux tiers des hommes relevaient d'une CSP différente de celle de leur père .

Cette stabilité contraste avec la perception de la mobilité sociale observable dans la société française. Selon France Stratégie, en 2015, près de 4 personnes sur 10 considéraient avoir connu une ascension sociale et un quart se considéraient déclassées socialement . La mobilité sociale « ressentie » est donc en décalage avec la réalité statistique.

3. Des inégalités de revenus moins fortes que dans les autres pays de l'OCDE, mais qui se reproduisent davantage d'une génération à l'autre

En France, les inégalités de revenus se situent sous la moyenne de l'OCDE, notre pays occupant la 12 e place sur 36 pays . Cependant, la corrélation entre origine sociale et niveau de revenu y est plus forte que dans la plupart des pays .

Au niveau de l'OCDE, en moyenne 40 % de la variation de revenus entre pères se transmet à la génération suivante, avec une forte variation de 20 à 70 % selon les pays. La France se situe largement au-dessus de cette moyenne (près de 60 %), tout comme l'Allemagne. Seules les économies émergentes connaissent une mobilité des gains liés à l'activité plus faible.

Cela signifie notamment qu' il faut en France six générations en moyenne pour une famille située dans les 10 % de familles les plus modestes pour atteindre le revenu moyen , chiffre qui a bénéficié d'un fort écho médiatique.

Cette donnée est toutefois purement théorique 8 ( * ) , et ne doit pas masquer les perspectives de mobilité existantes. Ainsi, selon France Stratégie, 30 % des enfants d'ouvriers dépassent la médiane de leur génération.

Estimation du nombre de générations pour que les descendants
de familles modestes atteignent le revenu moyen

Source : OCDE

L'OCDE 9 ( * ) a établi un tableau comparatif des États membres au regard des différentes dimensions de la mobilité sociale. Concernant la mobilité intergénérationnelle, la mobilité en termes de revenus est faible en France, tout comme la mobilité en termes de profession. La France se classe parmi les pays médians pour la mobilité en termes de santé et d'éducation . Concernant la mobilité individuelle intragénérationnelle, elle varie selon que les individus concernés se situent en bas de l'échelle des revenus, auquel cas leur mobilité sociale est considérée par l'OCDE comme faible, ou en haut de l'échelle des revenus, où l'on constate davantage de mobilité, ascendante comme descendante.

Selon France Stratégie, la probabilité qu'un enfant de profession libérale accède au groupe des 20 % des revenus les plus élevés est cinq fois plus importante que pour un enfant d'ouvrier agricole.

Ainsi, alors qu' en France les inégalités de revenus sont plutôt moins importantes que dans la moyenne des pays développés , elles ont davantage tendance à se reproduire d'une génération à l'autre .

À cette forte corrélation entre origine sociale et niveau de revenu futur s'ajoute l'effet croissant, et beaucoup plus inégalitaire, des transmissions de patrimoine .

« Peut-on éviter une société d'héritiers ? » s'interrogeait en 2017 France Stratégie 10 ( * ) . Entre 1980 et 2015, le patrimoine des Français a progressé 2,6 fois plus que leurs revenus, atteignant en valeur absolue le même niveau que le patrimoine des Allemands, alors que ceux-ci ont des revenus supérieurs de 38 % à ceux des Français et que la population de la France est inférieure de 20 % à celle de l'Allemagne.

Sur une année, les transmissions de patrimoine représentaient en France 19 % du revenu disponible des ménages, cette proportion étant appelée à atteindre 25 % en 2050. France Stratégie observait que ces transmissions de patrimoine se distribuaient de manière très inégale dans la population.

Cette situation a de nouveau été soulignée en juin dernier par la commission « Blanchard-Tirole » 11 ( * ) . Tout en relevant qu'une grande majorité de Français considèrent que « les parents ont le droit de transmettre à leurs enfants un patrimoine durement gagné sans être imposés », ce qui plaiderait en faveur d'un niveau d'abattement élevé, la commission invite à engager une réflexion sur la fiscalité des successions, notamment sur la possibilité de mieux prendre en compte, dans le régime de taxation, ce que reçoit un même bénéficiaire tout au long de sa vie.

B. DES TRAJECTOIRES INDIVIDUELLES FORTEMENT INFLUENCÉES PAR DES FACTEURS SOCIAUX ET TERRITORIAUX

Les données générales donnent la mesure d'une réelle difficulté, pour les jeunes Français d'aujourd'hui, à se projeter dans une perspective d'ascension sociale.

À l'échelle individuelle, des caractéristiques liées au territoire d'origine ou au genre continuent de peser fortement sur les trajectoires futures.

1. Les quartiers prioritaires de la politique de la ville concentrent de nombreuses difficultés et la mobilité sociale y reste limitée

Les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) concentrent de nombreuses caractéristiques, en termes de niveau de vie et d'ouverture sociale, qui limitent les opportunités pour les jeunes qui y résident. L'institut national de la jeunesse et de l'éducation populaire (Injep) 12 ( * ) indique ainsi que les jeunes âgés de 15 à 29 ans vivant dans ces quartiers sont deux fois plus touchés par le chômage que les autres .

22 % ont un niveau inférieur au CAP ou au BEP, contre 19 % des jeunes des autres quartiers. Ils vivent également plus souvent dans des familles nombreuses (6 points de plus que les autres quartiers) ainsi que dans des familles monoparentales (+ 7 points). Enfin, 74 % des ménages de ces quartiers résident dans les habitations à loyer modéré, contre 16 % dans les autres quartiers .

Les jeunes issus des QPV cumulent fréquemment des conditions de vie difficiles et contraignantes pour leurs études (famille nombreuse notamment) et une forme de ségrégation sociale, que le centre d'études et de recherches sur les qualifications (Céreq) 13 ( * ) qualifie « d'effet quartier ».

Le Céreq indique également que ces jeunes des QPV s'orientent, à compétences égales, différemment des jeunes des quartiers voisins plus favorisés. Les formations de proximité concentrent 45 % de bacheliers des QPV contre 32 % des bacheliers hors QPV. Les bacheliers généraux de ces quartiers sont a contrario moins nombreux à candidater à une classe préparatoire aux grandes écoles (14 % contre 22 %) .

Les étudiants vivant dans un quartier de la politique de la ville déclarent par la suite avoir davantage « arrêté leurs études par contrainte, notamment financière (35 %, contre 23 % hors QPV) , du fait d'un refus dans la formation demandée (12 % contre 10 %) ou de l'absence de la formation visée à proximité (12% contre 7%) ».

2. Les problématiques spécifiques aux jeunes des territoires ruraux insuffisamment prises en compte

D'après le Conseil économique, social et environnemental (Cese) 14 ( * ) , 1,6 million de jeunes de 15 à 29 ans habitent dans des territoires ruraux , dont 240 000 dans des espaces ruraux très peu denses.

Les jeunes de ces territoires travaillent plus tôt et plus fréquemment que les jeunes urbains : 59 % des jeunes ruraux travaillent, ce qui n'est le cas que de 49 % des jeunes urbains . En conséquence, leur taux de chômage est inférieur à la moyenne nationale.

Pour ces jeunes , la question de la mobilité, et plus particulièrement de l'accès au permis de conduire, est cruciale . Selon le même avis du Cese, 45 % des jeunes ayant le permis de conduire et sortant de CAP sont en emploi, contre 19 % pour ceux n'ayant pas le permis. Les freins à la mobilité en milieu rural pèsent particulièrement sur les jeunes femmes, comme l'a indiqué à la mission Yaëlle Amsellem-Mainguy 15 ( * ) , ces dernières devant davantage se contenter d'emplois précaires et étant cantonnée à un périmètre géographique plus étroit que les garçons du même âge et des mêmes zones. Parmi les demandeurs d'emploi de moins de 25 ans, 61 % sont des femmes en zones de revitalisation rurale (ZRR).

On peut déplorer que ces aspects restent insuffisamment pris en compte par les politiques publiques de la jeunesse, qui laissent encore trop fréquemment de côté les zones les plus isolées.

3. Les outre-mer, des spécificités qui pèsent sur le parcours des jeunes

Les jeunes d'outre-mer sont confrontés à des difficultés accrues, liées à l'éloignement, à l'insuffisance du maillage des transports en commun ainsi qu'aux phénomènes d'immigration, les situations variant sensiblement selon les territoires en fonction de leurs caractéristiques géographiques, démographiques et économiques. Près de 70 % des enfants scolarisés en Guyane ont une langue maternelle autre que le français, comprise parmi la trentaine de langues vernaculaires du territoire. Cette proportion est encore supérieure à Mayotte.

Les jeunes filles doivent en outre faire face à des difficultés supplémentaires. S'agissant par exemple des grossesses précoces, c'est-à-dire concernant des jeunes filles de moins de 18 ans, elles représentent selon l'Insee 10,19 % des naissances en Guyane et 9,90 % à Mayotte, contre 1 % sur le reste du territoire français .

Une jeune fille âgée de 15 à 17 ans sur cinq en Guyane a donc déjà eu un ou des enfants . Le recteur de l'académie de Guyane, auditionné par la rapporteure, a indiqué avoir mis en place des crèches dans les lycées, afin de permettre aux jeunes mères de poursuivre leur scolarité.

Un récent rapport de la commission des finances sur l'enseignement scolaire en outre-mer 16 ( * ) , dresse le « constat alarmant d'un niveau considérablement inférieur à celui de la moyenne nationale », notamment lié à une faible maîtrise du français dans certains territoires et à un défaut d'adaptation des politiques publiques aux réalités locales. Ainsi, si aux Antilles et à La Réunion, entre 20 % et 30 % des élèves de sixième ne maîtrisent pas le français, cette proportion s'élève à 45 % en Guyane et à plus de trois quarts des élèves à Mayotte.

L e taux de jeunes en situation d'illettrisme est plus du double de celui constaté en moyenne en France pour les Antilles et La Réunion, cinq fois supérieur pour la Guyane et sept fois pour Mayotte .

Enfin, faute d'établissements d'enseignement supérieur en nombre suffisant, poursuivre des études après le baccalauréat signifie généralement pour les jeunes ultramarins de quitter le département pour se rendre en métropole.

4. Des inégalités de genre qui s'ajoutent aux autres facteurs discriminants

Les inégalités entre filles et garçons, en particulier en termes d'orientation scolaire et d'insertion sur le marché du travail, sont aujourd'hui très documentées. Dès le cours préparatoire, les filles ont des résultats équivalents aux garçons en mathématiques mais nettement supérieurs en français, avantage qui se maintient tout au long de leur scolarité.

Toutefois, garçons et filles s'orientent par la suite différemment. Dans les voies professionnelles et technologiques, les filières relatives aux métiers du soin sont majoritairement féminines , tandis que les garçons s'orientent vers les spécialités mécaniques ou industrielles. Dans la voie générale, les filles se trouvent davantage dans les filières de lettres et sciences humaines et les garçons dans les filières scientifiques. La DEPP souligne « qu'en fin de formation initiale, les femmes obtiennent plus souvent un diplôme de l'enseignement supérieur que les hommes. Néanmoins, elles parviennent plus difficilement à tirer profit de leur diplôme » 17 ( * ) .

Un rapport du conseil national d'évaluation du système scolaire (Cnesco) 18 ( * ) indique que 78 % des filles ont renoncé à une orientation envisagée, phénomène qui ne concerne que 64 % des garçons et qui relève d'autant plus de l'autocensure qu'elles aspirent à 15 ans davantage à des filières sélectives. Le Cnesco souligne ainsi : « on peut donc faire l'hypothèse qu'au fil du parcours elles sont plus conduites à renoncer à leur première idée » . Un quart des jeunes filles auraient renoncé à leur orientation initialement envisagée car ces études seraient trop longues (ce qui concerne 18 % des jeunes hommes), et 36 % car ces études seraient trop chères (contre 21 % des jeunes hommes).

Comme le souligne l'association Femmes et sciences 19 ( * ) , l'orientation des filles est encore aujourd'hui marquée par des stéréotypes construits dès le plus jeune âge, conduisant à délaisser les parcours scientifiques. Au sein de l'institution scolaire, l'information sur les carrières scientifiques et les modèles féminins les ayant embrassées, tout comme les actions visant à modifier les représentations donnant aux métiers une connotation masculine ou féminine, demeurent peu développées.

La récente réforme du baccalauréat, qui conduit les jeunes à s'orienter plus tôt, ne semble pas favorable, d'après les premières évaluations menées par la DEPP, à un rééquilibrage de la présence des filles dans les filières scientifiques, alors que celles-ci ouvrent de bonnes perspectives de carrières et de rémunération.

C. DES INÉGALITÉS SOCIALES ET TERRITORIALES QUI PERSISTENT TOUT AU LONG DU PARCOURS SCOLAIRE

En dépit des réformes successives et de l'image longtemps entretenue de « l'école Ferry » garante d'un traitement égalitaire des élèves, le système scolaire français ne parvient toujours pas à résorber les inégalités liées à la naissance des individus, voire les accentue .

1. Un impact déterminant du milieu social sur l'obtention des diplômes

Le contexte global d'amélioration de l'accès à l'éducation, et en particulier l'élévation générale du niveau de diplôme en France au XX e siècle, a également bénéficié aux enfants les moins favorisés, mais dans des proportions moindres qu'à ceux nés dans des familles plus aisées . Ainsi, si le taux de réussite au baccalauréat a progressé de 19,6 points entre 1987 et 2019 , cette hausse recouvre de persistantes inégalités d'accès au diplôme en fonction du milieu social d'origine.

Les écarts d'obtention d'un diplôme du secondaire se sont toutefois réduits. Selon la direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) du ministère de l'éducation nationale, parmi les élèves entrés en 6 e en 1995, la proportion d'enfants d'ouvriers non qualifiés sortis sans diplôme atteignait 33 % contre 8 % parmi les enfants de cadres. Douze ans plus tard, cette proportion atteignait respectivement 19 % et 4 %.

En 2018, 93,7 % des élèves dont la mère détenait un diplôme de l'enseignement supérieur obtenaient le baccalauréat, contre 58,1 % seulement des élèves dont la mère est sans diplôme 20 ( * ) et un tiers des enfants d'ouvriers non qualifiés et moins d'un enfant d'inactifs sur quatre 21 ( * ) .

Plus largement, si plus de neuf enfants de cadres ou d'enseignants sur dix deviennent bacheliers, ce n'est le cas que des deux tiers des enfants d'ouvriers non qualifiés , un enfant de cadres ayant onze fois moins de risque de sortir du système scolaire sans diplôme qu'un enfant dont l'un des parents est inactif.

Par la suite, ces inégalités persistent dans l'enseignement supérieur, dès lors que 67 % des enfants de cadres obtiennent un diplôme de l'enseignement supérieur au-delà de la licence, contre seulement 16 % des enfants d'ouvriers .

2. De fortes divergences de niveau scolaire selon l'origine sociale qui se creusent tout au long de la scolarité

On observe une forte corrélation entre les résultats scolaires et l'origine sociale , et ce dès l'entrée en cours préparatoire, dans un sens défavorable aux enfants issus de familles modestes. Les enquêtes de la DEPP, menées chaque année, permettent d'établir un panorama global du niveau des élèves, et constituent un outil robuste de comparaison, notamment selon l'origine sociale des élèves.

Ces enquêtes démontrent qu'en début de CP, la maîtrise des compétences lexicales est déjà expliquée pour 30 % par l'origine sociale .

Ces inégalités de résultats se creusent tout au long de l'école primaire. Ainsi, à la fin du CM2, si l'ensemble des élèves voient leurs performances en mathématiques et en français chuter par rapport aux années 1980, la baisse est de plus grande ampleur pour les élèves de milieux moins favorisés , tandis que ceux de milieux plus aisés résistent mieux à la baisse générale de niveau.

Score en calcul des élèves en CM2 selon le milieu social

Source : mission d'information d'après la DEPP, enquêtes « Lire, écrire, compter »

Ces inégalités se propagent tout au long de la scolarité. Ainsi, selon l'enquête Cedre de la DEPP, moins de 2 % des enfants de cadres sont déjà en retard à l'entrée en sixième, contre 7 % des enfants d'ouvriers . La proportion d'élèves en retard est jusqu'à 7 fois plus grande lorsque les parents sont inactifs que lorsqu'ils sont enseignants 22 ( * ) .

Proportion d'élèves en retard à l'entrée en sixième à la rentrée 2019
selon l'origine sociale de l'élève, en %

Source : DEPP

Le niveau de l'établissement scolaire se reflète fortement sur la réussite scolaire des enfants. Dans les 20 % de collèges les plus favorisés socialement, les taux de maîtrise des compétences fondamentales s'élèvent à 92,4 % pour le français et 82,7 % pour les mathématiques, contre respectivement 70 % et de 49,2 % dans les collèges les moins favorisés 23 ( * ) . Un écart comparable peut être constaté dans le cas des lycées. Dans les 20 % des lycées les plus favorisés, le taux de maîtrise est de 92,8 % en français et 90,9 % en mathématiques, soit deux fois plus dans les 20 % de lycées les moins favorisés (57,6 % et de 44,7 % selon les disciplines) 24 ( * ) .

Plus généralement, les comparaisons menées dans le cadre de l'OCDE permettent de déterminer que la France est l'un des pays où l'origine sociale conditionne le plus fortement le parcours scolaire des enfants.

L'enquête PISA comprend notamment une mesure du poids du statut économique de la famille (l'indice de statut économique, social et culturel ou SESC) sur les résultats scolaires des enfants. La France est le pays de l'OCDE où ce lien est le plus étroit. En 2018, l'écart de réussite entre les élèves de milieu social favorisé et défavorisé atteignait 107 points en France, du même ordre que celui constaté en Allemagne et en Belgique, et très nettement au-dessus de la moyenne de l'OCDE (89 points). Cet écart est cependant comparable à celui observé dix ans plus tôt, soit 110 points en France en 2009 25 ( * ) .

Un rapport du Cnesco 26 ( * ) résume assez crûment la situation française : « les disparités sociales se cumulent pour constituer des contextes d'apprentissages particulièrement peu favorables pour les élèves socialement défavorisés. Regroupés le plus souvent dans certains établissements « ghettos », du fait de phénomènes forts de ségrégations sociales, ces élèves se voient offrir des temps d'enseignement plus courts, des méthodes d'apprentissage moins efficaces, par un personnel moins expérimenté et surtout moins stabilisé dans les établissements. » S'agissant de ce dernier aspect, à la rentrée 2016, les 10 % de communes françaises au revenu médian le plus faible ont un taux d'enseignants de moins de 30 ans dans les collèges publics deux fois plus élevé que les 10 % de communes au revenu médian le plus élevé .

Enfin, l'école ne parvient pas pour autant à gommer les inégalités de résultats qui tiennent aux conditions de vie. La DEPP souligne notamment dans ses études un « effet vacances scolaires » 27 ( * ) , les compétences des élèves issus de milieu défavorisés chutant de façon plus importante entre CP et CE1 du fait des vacances d'été et de l'éloignement de l'école qui en résulte.

3. Les écarts de résultats des élèves varient également selon les territoires
a) Malgré l'apparente unité du système éducatif français, une forte différenciation territoriale des résultats scolaires

Les évaluations nationales menées par la DEPP permettent d'établir le caractère géographiquement disparate des résultats des élèves, et ce à tous les niveaux et dans toutes les disciplines . En classe de 6 e par exemple, le taux de maîtrise des compétences fondamentales en français s'étend entre 90,1 % à Paris et 79,4 % dans l'académie d'Amiens, voire 30 % à Mayotte et 51,5 % en Guyane . En mathématiques, le taux de maîtrise des compétences fondamentales est en baisse dans l'ensemble des académies, mais reste plus élevé à Paris (78,3 %) qu'ailleurs, et descend jusqu'à 62 % à Créteil et 60 % en Corse. Là encore, les territoires ultramarins se caractérisent par des taux de maîtrise extrêmement faibles, 12 % à Mayotte et 30 % en Guyane, et 50 % dans les autres départements d'outre-mer 28 ( * ) . L'écart moyen de niveau aux évaluations nationales entre les élèves de sixième les plus ou les moins favorisés est ainsi en 2020 de 23,5 points s'agissant des compétences en français et de 42 points en mathématiques.

Écart de maîtrise en français entre les élèves de sixième
les plus favorisés et les moins favorisés en 2020

Source : DEPP, Géographie de l'école 2021

La DEPP construit un indicateur permettant de mesurer la probabilité qu'aurait un jeune de sixième, une année donnée, de réussir l'examen du baccalauréat s'il rencontrait tout au long de son parcours les conditions scolaires que connaissent les autres jeunes cette année-là. À la session 2019, l'espérance d'obtenir le baccalauréat pour un élève de sixième variait de 54,1 % à Mayotte à 82,2 % à Paris.

En 2017, la part de jeunes âgés de 16 à 25 ans qui ont quitté le système éducatif sans obtenir de diplôme est particulièrement faible à Paris (3,4 %) et dans l'académie de Rennes (6,2 %) et en dessous de 9 % dans une moitié des académies, qui se regroupent principalement sur le front Ouest de la France. Elle s'élève à plus de 10 % dans les académies d'Amiens et Lille, en Corse et dans les départements d'outre-mer.

Ces inégalités sont également très présentes au niveau infra régional. Le Cnesco a notamment mené des analyses à l'échelle des quartiers dans les trois académies d'Île de France 29 ( * ) . Les taux de réussite aux épreuves écrites du brevet y varient du simple au double : 57,5 % de réussite dans les territoires parisiens et de banlieue très favorisés et 24,3 % dans les territoires cumulant le plus de difficultés socioéconomiques , contre 42,8 % en moyenne pour la région Île-de-France dans son ensemble.

Il est ainsi possible de dresser une cartographie fine des territoires, et de chances dont disposent les élèves qui y étudient.

Cartographie des zones à risque social d'échec scolaire

Source : Atlas des risques sociaux d'échec scolaire, DEPP, 2016

Selon le rapport du Cnesco de 2016 précédemment mentionné, « la liste des inégalités territoriales propres à l'école est longue : temps de transports longs dans les communes peu denses, des internats qui ne couvrent pas l'ensemble du territoire, une concentration d'enseignants jeunes et de contractuels dans les zones les plus en difficulté, un nombre d'élèves par classe qui peut être très variable, des budgets différenciés selon les collectivités territoriales, une réussite aux examens clivante, un redoublement qui peut varier du simple au double ou encore des orientations contraintes » 30 ( * ) .

b) Une opposition entre élèves ruraux et urbains accentuée par un ciblage des dispositifs d'éducation prioritaire sur les zones urbaines

La géographie de l'école prioritaire, qui concerne un cinquième des élèves français, se veut un palliatif à ces inégalités territoriales. Toutefois, le réseau d'éducation prioritaire est indexé sur la politique de la ville.

En conséquence, elle conduit à laisser de côté une part importante des élèves, en particulier ceux scolarisés dans les zones rurales.

Ces derniers obtiennent jusqu'au collège des résultats similaires à la moyenne nationale, voire légèrement supérieurs. En revanche, après la 3 e , les élèves des communes les plus rurales s'orientent davantage vers l'enseignement professionnel que ceux scolarisés en zone urbaine 31 ( * ) . Seuls 46 % des élèves résidant dans des communes éloignées très peu denses ont obtenu un baccalauréat général ou technologique, contre 60 % pour les élèves dans une commune urbaine très dense. À partir du lycée, les parcours scolaires d'une partie des jeunes résidant dans les territoires ruraux sont marqués par des écarts à la moyenne voire des difficultés, selon une ampleur comparable aux élèves de l'éducation prioritaire. Ce constat est accentué par le fait que certains territoires ruraux voient se cumuler des difficultés sociales qui influencent mécaniquement les résultats scolaires.

Les élèves en zones rurales sont très dépendants des transports scolaires. Selon le rapport de la mission Territoires et réussite précédemment cité, plus de 4,2 millions d'élèves, soit plus de 30 % , utilisent quotidiennement les transports en commun 32 ( * ) .

Indice d'éloignement moyen des collèges au domicile en 2019

Source : DEPP, Géographie de l'école, 2021

Si les jeunes issus de certains territoires ruraux poursuivent leurs études supérieures, cela implique bien souvent de quitter le territoire. La mobilité sociale implique dès lors une mobilité géographique, au détriment des départements les plus ruraux.

Comme l'indique le rapport de la mission Orientation et égalité des chances dans la France des zones rurales et des petites villes, dont les travaux ont été publiés en 2020, « cette fracture est longtemps restée sous les radars des pouvoirs publics, la ruralité demeurant la grande absente des statistiques de l'Éducation nationale et les contraintes territoriales effacées au profit de contraintes sociales ou de critères de réussite scolaire - à l'exception du cadre de la politique de la ville » 33 ( * ) .

La mission considère qu'il est crucial d'intégrer davantage la dimension rurale et l'éloignement des territoires dans la construction des politiques éducatives au niveau de chaque académie.

Reproduction sociale et système éducatif :
le point de vue d'une « transfuge de classe »

Au cours des auditions qu'elle a organisées, la rapporteure a pu s'entretenir avec Rose-Marie Lagrave, sociologue, ancienne directrice d'études à l'EHESS. Celle-ci a publié en 2021 Se ressaisir. Enquête autobiographique d'une transfuge de classe féministe , ouvrage dans lequel elle retrace son parcours personnel, du milieu rural où elle est née, dans une famille modeste et nombreuse, à la carrière d'enseignement et de recherche menée dans une grande institution nationale.

Pour Rose-Marie Lagrave, de tels parcours constituent des exceptions à une reproduction sociale qui demeure largement la règle.

S'arracher aux déterminismes sociaux ne résulte, à son sens, ni de dons innés, ni de la simple volonté personnelle, les parcours ascendants n'étant jamais individuels. Elle évoque elle-même les différents appuis, qu'ils soient institutionnels (famille, école, État ...) ou individuels (un instituteur, un directeur de lycée ...), sur lesquels elle a pu compter aux différentes étapes de son parcours.

Le système scolaire reste, à ses yeux, le principal creuset de reproduction des inégalités sociales, la promotion scolaire de quelques-uns masquant la relégation du plus grand nombre, alors que la massification de l'accès à l'école et aux diplômes apparaissent plutôt comme une démocratisation ségrégative.

II. L'ÉGALITÉ DES CHANCES : UN PRIORITÉ AFFIRMÉE, DES POLITIQUES INSUFFISAMMENT SOUTENUES ET COORDONNÉES

L'effet persistant des inégalités liées à l'origine sociale ou géographique sur les parcours scolaires puis les perspectives d'insertion professionnelle et sociale des jeunes est une réalité que les gouvernements successifs ont soulignée, cherchant à la prendre en compte et la combattre.

On doit constater en effet que l'égalité des chances est présentée comme une priorité constante des politiques en direction de la jeunesse .

Ainsi, en annonçant le plan « agir pour la jeunesse » le 29 septembre 2009, Nicolas Sarkozy affirmait vouloir bâtir « une politique structurelle de la jeunesse ... qui doit donner une chance à chaque jeune quelle que soit son origine, quels que soient ses talents, quelles que soient ses inspirations ». François Hollande avait fait de la « priorité jeunesse » un axe fort de ses engagements et déclarait le 23 janvier 2013, dans ses voeux à la jeunesse, vouloir « lui donner toutes ses chances pour que la promesse de la République continue à être effective ... parce qu'aucun jeune, et cela vaut aussi pour leurs parents, ne doit avoir le sentiment que son destin est inscrit avant même qu'il n'ait eu le moindre diplôme, que sa vie n'est pas déterminée à l'avance ... Aucun jeune ne veut être enfermé ni dans son établissement, ni dans son quartier, ni dans son destin ». Enfin, devant le Congrès, le 9 juillet 2018, Emmanuel Macron estimait que « le modèle français de notre siècle ... doit choisir de s'attaquer aux racines profondes des inégalités de destin, celles qui sont décidées avant même notre naissance, qui favorisent insidieusement les uns et défavorisent inexorablement les autres ».

L'égalité des chances comporte de multiples dimensions ; elle est tributaire de nombreux facteurs. Concrétiser cette priorité reconnue et l'ambition maintes fois réaffirmée qui s'y attache suppose une action continue, cohérente, couvrant l'ensemble du parcours des jeunes , de l'enfance à l'entrée dans l'âge adulte, adaptée à une grande diversité de situations et sollicitant une très grande variété d'acteurs , tant au plan national que local.

Aussi, au-delà des dispositifs destinés à rétablir l'égalité des chances et des moyens qui leur sont consacrés, l'efficacité d'une telle action repose largement sur la capacité à maintenir une impulsion politique forte et à dépasser la grande dispersion des responsabilités .

Or au plan national , en dépit d'une volonté périodiquement réitérée et de réelles avancées, l'action publique demeure davantage caractérisée par l'addition et la juxtaposition de nouveaux dispositifs que par la conduite d'une politique mobilisant l'ensemble des intervenants autour d'objectifs communs et faisant l'objet d'évaluations régulières.

À l' échelon local , où se mènent nécessairement les actions concrètes susceptibles de lever les barrières auxquelles se heurtent les parcours de beaucoup de jeunes, les efforts entrepris pour articuler de manière cohérente l'action de l'ensemble des institutions et partenaires concernés demeurent encore insuffisants et doivent être amplifiés.

A. LES POLITIQUES NATIONALES EN DIRECTION DES JEUNES : UN MANQUE D'IMPULSION GLOBALE ET COHÉRENTE

Appréhender la situation des jeunes, c'est obligatoirement devoir considérer différents seuils d'âge qui jalonnent leurs parcours, avant l'école, durant la scolarité et au sortir de celle-ci, ainsi qu'une grande diversité de statuts auxquels correspondent des champs bien délimités de l'action publique : accueil du jeune enfant, scolarisation, protection de l'enfance, accès à la culture et aux loisirs, formation et insertion professionnelles...

Si les sociologues, en grande majorité, se réfèrent davantage aux « jeunesses » qu'à « la jeunesse », la mission d'information a mesuré tout au long de ses travaux qu' il n'existe guère une politique de la jeunesse, mais plutôt des politiques s'adressant aux jeunes .

Les effets de cette segmentation marquée sont particulièrement sensibles en matière de lutte contre les inégalités , car celles-ci résultent de multiples facteurs, souvent très imbriqués. En outre, la mission d'information a constaté combien il est difficile de redresser les inégalités de départ, à chaque franchissement d'étape et aux différents stades du parcours des jeunes. Bien souvent, ces inégalités s'accumulent - et donc s'accentuent - de la petite enfance et la période scolaire jusqu'à l'arrivée à l'âge adulte et l'entrée des jeunes dans la vie professionnelle, censée consacrer leur autonomie complète.

Ce constat n'est pas nouveau. L' ambition de politiques plus globales, plus transversales, plus attentives à la continuité des parcours des jeunes , s'est exprimée à plusieurs reprises. En dépit de tentatives périodiques, elle n'a pu s'ancrer dans les faits et l'on se trouve toujours aujourd'hui face à une juxtaposition de politiques. Ces politiques peuvent avoir leurs mérites, mais ne sont pas suffisamment coordonnées et orientées pour agir en profondeur sur les inégalités qui déterminent encore trop lourdement les trajectoires des jeunes.

1. Une volonté politique qui peine à s'inscrire dans la durée et à s'imposer face à la dispersion des responsabilités
a) Ambitions et limites des politiques nationales de jeunesse

Déjà il y a vingt ans, le Commissariat général du Plan soulignait que l'action des pouvoirs publics en direction des jeunes « depuis vingt ans ... a donné lieu à une prolifération d'actions, de programmes, de dispositifs s'accumulant et se succédant dans le temps et l'espace » tout en suscitant « de nombreuses critiques qui portent sur la pertinence comme sur l'efficacité des interventions réalisées », alors que « des inégalités fortes perdurent, quand elles ne se sont pas accrues ». Plus qu'à « vouloir définir et mettre en oeuvre une improbable politique "globale" de la jeunesse », il affirmait que « la jeunesse ... doit être inscrite dans l'ensemble de nos choix et non traitée comme un champ particulier », faisant de ce « devoir d'avenir » la base d'un nouveau projet collectif 34 ( * ) .

On ne peut que partager le constat et saluer l'objectif.

Celui fixé en juillet 2009, dans son « Livre vert », par la commission sur la politique de la jeunesse, présidée par Martin Hirsch, Haut-commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté et à la jeunesse, sera de définir « une ambition de toute la société pour tous ses jeunes », celle d'une jeunesse « autonome, solidaire, responsable et engagée ». Si elle juge nécessaire « une politique nationale de jeunesse à long terme », elle reconnaît toutefois « qu'il est difficile de concevoir une nouvelle politique qui traverse la jeunesse dans son ensemble », « des solutions ciblées sur une partie d'entre elle » devant être la plupart du temps privilégiées 35 ( * ) .

Aussi ce Livre vert avançait-il 57 propositions devant conduire à refonder la politique en faveur des 16-25 ans. Elles sont en partie reprises dans le « plan agir pour la jeunesse », présenté en septembre 2009, qui prévoit notamment la mise en place de plateformes régionales de suivi des décrocheurs, le développement de l'alternance et la revalorisation de l'apprentissage et l'ouverture du RSA aux jeunes actifs.

Une nouvelle impulsion est donnée en 2012, la jeunesse étant définie comme la première priorité du nouveau quinquennat. Suivant des mesures immédiates comme la création des emplois d'avenir ou le renforcement des moyens de l'enseignement primaire, un important travail réunissant une vingtaine de ministères est conduit durant six mois pour préparer la réunion, en février 2013, d'un comité interministériel de la jeunesse. Il en résulte un « plan priorité jeunesse » comportant 47 mesures portant sur la santé, le logement, les conditions de vie, la place des jeunes dans la société, relatives notamment au service public de l'orientation, à l'expérimentation des emplois francs et à la création de la Garantie jeunes. Ces mesures se doublent d'une volonté de renforcer le pilotage et le suivi des politiques en direction des jeunes , avec des réunions régulières du comité interministériel, la création d'un délégué interministériel à la jeunesse, la mise en place de tableaux de bord retraçant l'état d'avancement des objectifs fixés.

Force est de constater que la volonté de mieux structurer ces politiques et d'en assurer la lisibilité s'est quelque peu émoussée depuis 2017.

La Cour des comptes soulignait en janvier 2020 que « malgré quelques tentatives de globalisation, la politique de la jeunesse est demeurée un ensemble de politiques sectorielles peu coordonnées. Deux plans successifs, en 2009 et en 2013, ont tenté de donner une feuille de route commune aux différents ministères. Au fil du temps, le suivi global de leurs mesures a été perdu de vue même si certaines actions, telles que celles contre le décrochage scolaire, ont fait l'objet de beaucoup d'attention » 36 ( * ) .

Depuis 2017, de multiples actions ont été engagées, en particulier dans le domaine scolaire. Des moyens importants ont été mobilisés, en tout dernier lieu dans le cadre du plan « un jeune une solution » arrêté en réponse à la crise sanitaire. Mais au cours des travaux de la mission d'information, il n'est pas apparu que soient véritablement en place, à l'échelon gouvernemental, les moyens de veiller à la mise en oeuvre efficace et cohérente d'une addition de mesures en direction des jeunes qui relèvent de responsabilités dispersées. Ce constat rejoint celui effectué devant la mission d'information au sujet de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté par Louis Schweitzer, président du comité chargé de son évaluation : « Il existe donc une stratégie globale, mais pas de cohérence de pilotage global de la stratégie au niveau de l'État. » 37 ( * )

Enfin, si la mobilisation accrue d'acteurs privés - associations, entreprises - est bienvenue, comme on le voit par exemple avec le plan « mentorat », elle ne saurait justifier un étiolement des politiques publiques à destination des jeunes et des moyens humains et financiers qui y sont consacrés.

b) Des responsabilités dispersées

« Aucune politique n'est aussi segmentée que celle destinée aux jeunes », constatait le Gouvernement dans le rapport publié à l'occasion du comité interministériel de la jeunesse de février 2013.

La mission d'information l'a tout particulièrement mesuré en analysant les réponses apportées par les politiques publiques aux enjeux d'égalité des chances et d'accès des jeunes à l'autonomie , car elles passent par de multiples actions à portée éducative, sociale ou socio-culturelle impliquant une très grande diversité d'institutions ou de partenaires associatifs.

Le schéma ci-après, tiré d'une publication de l'Injep, propose une cartographie du champ couvert par les politiques en direction des jeunes.

À un titre ou à un autre, toutes ces politiques doivent concourir à l'égalité des chances, mais deux constats sont clairement apparus au fil des travaux de la mission d'information :

- d'une part, pour chacune de ces politiques, les responsabilités sont partagées entre des acteurs de niveaux différents . Ainsi, en matière de politique éducative, aux côtés des services de l'État, les collectivités locales interviennent non seulement au titre des équipements et de leur fonctionnement, mais également dans le soutien à des projets éducatifs qui font aussi appel au concours d'associations. C'est également le cas pour les politiques d'insertion, avec le rôle des missions locales mais également de multiples structures impliquées dans l'information et l'accompagnement des jeunes ;

- d'autre part, à l'échelon gouvernemental, les instruments permettant de relier ces politiques sur un objectif commun, comme celui de l'égalité des chances, sont peu développés , ce qui n'est pas de nature à dissiper un sentiment de dispersion des actions.

Schéma. Cartographie simplifiée des politiques en direction des jeunes

Source : Parisse J., Injep, 2019

La politique en faveur de la jeunesse fait l'objet, depuis 2010, d'un « document de politique transversale » annexé au projet de loi de finances. Pas moins de 20 missions budgétaires et 42 programmes sont concernés, couvrant plus de 140 actions d'importance extrêmement variable. Ainsi, sur une masse de près de 100 milliards d'euros identifiés, près des trois-quarts des crédits se concentrent sur l'enseignement du premier et du second degré, les contributions des autres programmes étant très variables.

Ce document, qui ne retrace que les interventions financières de l'État, illustre la très grande variété des dispositifs existants et des actions menées tout au long du parcours des jeunes , dans les domaines de l'éducation, de la formation, de l'insertion sociale et professionnelle, des loisirs éducatifs, sportifs et culturels, de l'engagement, mais aussi de la santé ou du logement. Il s'efforce de les présenter autour de grandes lignes directrices, mais « n'a qu'une visée informative, en aucun cas stratégique », comme l'observe la Cour des comptes dans son référé précité de janvier 2020.

À cela s'ajoutent les actions des collectivités territoriales , dans le cadre de leurs compétences propres ou de projets contractualisés avec l'État, mais aussi celles d'autres organismes publics, en premier lieu les caisses d'allocations familiales , dont les fonds d'action sanitaire et sociale financent des dispositifs de soutien répondant aux besoins spécifiques de certains jeunes et de leurs familles.

Ainsi, la situation des jeunes mobilise de très nombreux intervenants, au travers d'un ensemble hétérogène de dispositifs , plus ou moins bien connus des jeunes et de leurs familles, parfois même ignorés de certains acteurs publics ou privés intervenant dans le champ de la jeunesse quand ils ne relèvent pas de leurs responsabilités propres.

Au-delà de la lisibilité de ces politiques, c'est leur articulation et leur mise en cohérence qui pose question.

2. Des enjeux de coordination trop peu pris en compte

Comment agir contre les inégalités d'origine sociale ou territoriale et soutenir l'accès des jeunes à l'autonomie avec des leviers aussi dispersés entre secteurs de l'action publique et niveaux de responsabilité, nationale ou locales ?

Nécessairement en dépassant les cloisonnements et en assurant une bonne articulation des politiques.

Il s'agit pourtant d'un domaine dans lequel les enjeux de coordination, très bien identifiés et particulièrement forts, ne sont qu'imparfaitement pris en compte .

a) Une impulsion interministérielle insuffisante

La nécessité d'une impulsion et d'une coordination interministérielles des politiques en direction des jeunes est reconnue de longue date. Des instruments ont été mis en place. Ils doivent être pleinement mobilisés.

Le comité interministériel à la jeunesse : un fonctionnement à éclipses

Institué en 1982, le comité interministériel à la jeunesse doit réunir autour du Premier ministre « au moins deux fois par an » 38 ( * ) , selon le texte toujours en vigueur, l'ensemble des ministres concernés par les problèmes intéressant la jeunesse, en vue de proposer « toutes mesures propres à améliorer les conditions de vie des jeunes ».

Le comité interministériel à la jeunesse a été réuni à plusieurs reprises entre 1982 et 1984, puis, après six années d'interruption, en octobre 1990, pour arrêter des mesures pour une politique coordonnée en faveur des jeunes.

Après une longue éclipse de 18 ans, il est réactivé le 30 janvier 2009 pour confier au Haut-commissaire à la jeunesse un rôle de coordination visant à garantir le caractère transversal de la politique en direction des jeunes. En juillet suivant, la commission sur la politique de la jeunesse estime dans son « Livre vert » que « le comité interministériel de la jeunesse devrait se réunir au moins une fois par an, plutôt que moins d'une fois tous les dix ans ». Pourtant, aucune autre réunion n'interviendra avant la fin de législature, notamment pour suivre la mise en oeuvre du plan « agir pour la jeunesse ».

Il faut attendre le 21 février 2013 pour qu'un comité interministériel à la jeunesse soit de nouveau réuni. Au-delà des mesures arrêtées, il affirme son ambition de constituer un véritable outil de pilotage des politiques en direction de la jeunesse . Une nouvelle méthode est définie avec, en amont, des réunions de groupes de travail interministériels préparant celle - en principe annuelle - du comité et en aval, un tableau de bord, assorti d'indicateurs, de la mise en oeuvre des mesures. Le comité interministériel se réunit à nouveau à deux reprises en mars 2014 et juillet 2015.

Depuis 2017 aucune réunion du comité interministériel de la jeunesse n'est intervenue , bien qu'une telle réunion ait été publiquement annoncée pour l'automne 2019.

Recommandation : réunir le comité interministériel de la jeunesse une fois par an pour assigner leur feuille de route aux différentes administrations agissant en direction des jeunes et en suivre la mise en oeuvre.

Le délégué interministériel à la jeunesse : des moyens d'action limités

En 2014, le directeur de la jeunesse, de l'éducation populaire et de la vie associative s'est vu confier les fonctions de délégué interministériel à la jeunesse 39 ( * ) .

Il est chargé d'assurer la préparation des délibérations et le suivi des décisions du comité interministériel de la jeunesse et de coordonner la mise en oeuvre des actions menées par les différents ministères en faveur des jeunes en veillant à y associer l'ensemble des acteurs et des partenaires y contribuant.

Pour l'exercice de ses missions, il peut faire appel aux services relevant d'autres ministres concernés par les questions intéressant les jeunes.

Pour la Cour des comptes, la création d'un délégué interministériel « ne s'est accompagnée ni de la mise en place d'un service voué à la coordination interministérielle, ni de la recherche active d'une coordination entre les administrations » 40 ( * ) .

En effet, en pratique, le délégué interministériel ne dispose pas d'autres moyens que ceux dévolus à la direction de la jeunesse, de l'éducation populaire et de la vie associative (DJEPVA) et dédiés aux missions propres de celle-ci : règlementation et contrôle des accueils collectifs de mineurs, soutien au réseau d'information jeunesse et au secteur associatif, financement du service civique et mise en place du service national universel. Il peut certes également s'appuyer sur l'Injep, dont le rôle doit être salué et qui constitue un remarquable observatoire et un centre d'expertise reconnu pour toutes les questions intéressant la jeunesse. Mais à l'évidence, il n'est pas dans la vocation de cet organisme, ni dans ses possibilités, d'assurer ce rôle de coordination.

Recommandation : doter le délégué interministériel à la jeunesse des moyens lui permettant d'assurer sa mission de coordination des actions menées par les différentes administrations en direction des jeunes.

Depuis 2017, la DJEPVA est rattachée au ministère de l'éducation nationale et de la jeunesse.

Cette réorganisation obéit à une certaine logique en réunissant les deux administrations les plus directement en prise avec les jeunes, l'une en charge de la politique scolaire, l'autre, avec des moyens beaucoup plus modestes, tournée vers d'autres types d'actions éducatives et disposant de compétences transversales sur les questions de jeunesse.

Effective pour les services régionaux et départementaux depuis janvier 2021 41 ( * ) , elle peut constituer un atout pour renforcer la continuité éducative des politiques publiques dans et hors de l'école et pour ouvrir davantage l'éducation nationale vers les autres politiques en direction des jeunes.

Le risque est grand néanmoins qu'elle se traduise, en particulier dans les départements, comme on l'a vu pour d'autres réorganisations de services de l'État, sous couvert de mutualisation, par une contraction des moyens et une fragilisation des missions jusqu'alors exercées par les services de la jeunesse et des sports.

Ces incertitudes quant au devenir des moyens d'action de la DJEPVA renforcent bien entendu les interrogations sur sa réelle capacité à exercer la mission de coordination entre administrations qui lui est confiée depuis 2014.

Recommandation : veiller au maintien des moyens humains affectés aux questions de jeunesse dans les services déconcentrés de l'État.

Le conseil d'orientation des politiques de jeunesse : une instance dont les travaux méritent un suivi plus attentif

La création en 2016 du conseil d'orientation des politiques de jeunesse 42 ( * ) témoignait d'une double volonté de renforcer l'approche transversale des questions de jeunesse et d'impliquer davantage les représentants des jeunes dans la définition et le suivi des politiques qui les concernent.

Placé auprès du Premier ministre, il contribue à la coordination et à l'évaluation des politiques publiques relatives à la jeunesse de 16 à 30 ans, à l'éducation populaire et au dialogue entre les acteurs concernés par ces politiques. Le Premier ministre peut lui soumettre toute question en matière de politique de jeunesse, d'éducation populaire ou relative à l'insertion professionnelle des jeunes et le consulter sur les textes en préparation. Il peut aussi adresser au Gouvernement toutes propositions relatives aux politiques publiques de jeunesse et d'éducation populaire 43 ( * ) .

Il est composé de représentants des mouvements de jeunesse et d'éducation populaire, des partenaires sociaux et de grandes associations nationales, mais aussi des administrations, des collectivités territoriales et d'organismes tels que les caisses de sécurité sociale ou les missions locales.

Le conseil d'orientation des politiques de jeunesse a produit un ensemble extrêmement riche d'avis et de rapports sur des sujets tels que l'insertion des jeunes et l'évolution de la Garantie jeunes, la mise en place du service national universel ou les actions éducatives hors milieu scolaire.

Son rôle est strictement consultatif, mais dans un domaine où les responsabilités sont dispersées et les politiques souvent trop cloisonnées, la plus-value d'une telle instance réside dans l' approche transversale des questions concernant la jeunesse que lui permet sa composition.

Aussi est-il regrettable que, comme l'ont notamment souligné les représentants des organisations de jeunesse, ses travaux ne suscitent pas davantage de retours de la part des instances gouvernementales. Il en est ainsi par exemple des préconisations émises sur le revenu universel d'activité ou l'évolution de la Garantie jeunes. Arguant de réflexions en cours, le Gouvernement ne s'est guère exprimé sur les suites pouvant être données aux propositions du conseil d'orientation des politiques de jeunesse.

b) Des initiatives innovantes à la pérennité menacée

La nécessité de nouvelles approches, pour mieux répondre aux difficultés rencontrées par les jeunes à différents stades de leur parcours, a suscité des modes d'action innovants, destinés à articuler et même dépasser les politiques sectorielles conduites par des administrations centrées sur leurs compétences propres.

L'un de leurs premiers terrains de mise en oeuvre a certainement été celui de la politique de la ville, qui a rapproché administrations et acteurs locaux pour appréhender de manière plus globale et dans toutes leurs dimensions, à l'échelle de quartiers, les facteurs pesant sur les perspectives d'insertion sociale et professionnelle des jeunes.

Un pas supplémentaire a été fait en 2008, avec l'adoption par le Sénat d'un amendement gouvernemental créant le fonds d'expérimentation pour la jeunesse (FEJ) 44 ( * ) .

Ce fonds a pour objet de financer des programmes expérimentaux visant à favoriser la réussite scolaire des élèves et à améliorer l'insertion sociale et professionnelle des jeunes de moins de 25 ans, au moyen de dotations de l'État, de ses opérateurs et de partenaires privés.

Ces programmes, sélectionnés sur appels à projets et portés par des administrations, collectivités, acteurs privés ou associatifs, peuvent s'inscrire dans une démarche nationale ou répondre à des besoins spécifiques identifiés sur un bassin de vie. Dans les deux cas, ils associent étroitement expérimentation et évaluation.

Il s'agit bien, avec ce fonds, d' encourager des pratiques novatrices dans les politiques, nationales ou locales, en direction des jeunes , tout en fournissant les éléments d'appréciation nécessaires, en termes de résultats et de coûts, avant toute décision de pérennisation ou de déploiement à plus grande échelle.

Dans le même esprit a été instituée en 2014, dans le cadre du deuxième programme d'investissements d'avenir (PIA) une ligne budgétaire consacrée à des projets innovants en faveur de la jeunesse . Ici encore, l'objectif est de favoriser des formes nouvelles de partenariats entre acteurs publics et privés, en vue notamment de résorber les inégalités sociales et éducatives entre jeunes , avec une volonté explicite de surmonter les cloisonnements .

L'appel à projets vise à susciter « l'émergence de politiques de jeunesse globales et intégrées, qui permettent de traiter les problématiques des jeunes de façon globale et cohérente à l'échelle d'un territoire, en évitant l'écueil d'une juxtaposition d'initiatives sectorielles non harmonisées » 45 ( * ) .

La coexistence de deux supports distincts aux modalités de gestion différentes comme la très grande complexité des circuits de financement ne contribuent pas à la lisibilité de ces dispositifs et rendent leur suivi d'exécution particulièrement difficile 46 ( * ) .

Néanmoins, ce sont près de 900 projets qui ont été soutenus depuis plus de dix ans, avec des résultats significatifs .

Les enseignements tirés des expérimentations financées par le FEJ ont ainsi contribué à la mise en place des plateformes de repérage et de lutte contre le décrochage scolaire, au renforcement de l'association des parents à la scolarité (« malette des parents »), au déploiement de la Garantie jeunes, aux territoires zéro chômeur de longue durée. Le FEJ a également appuyé l'essaimage de projets, particulièrement dans le domaine de la petite enfance (projet « parler bambin » sur l'accroissement des compétences langagières dès la crèche), en matière scolaire (persévérance scolaire, éducation par la recherche) et sur l'accompagnement à la création d'entreprise (« groupements de créateurs »).

Quant au programme d'investissements d'avenir , il s'est concentré sur des projets visant des politiques intégrées de jeunesse à l'échelle d'un territoire. Les expérimentations, toujours en cours, ont notamment porté sur la coopération entre acteurs des politiques locales de jeunesse en Bretagne, la mise en place de référents jeunesse dans les Deux-Sèvres, la définition d'un projet multipartenarial avec et pour les jeunes à l'échelle du département de l'Ardèche ou encore la coopérations autour de thématiques spécifiques concernant les jeunes à La Réunion 47 ( * ) .

Au total, plus de 300 millions d'euros ont été mobilisés autour de ces expérimentations depuis 2009. Cependant, le FEJ n'est plus alimenté et au-delà de l'achèvement des expérimentations en cours, les dotations disponibles pour lancer de nouveaux projets arrivent à épuisement , puisqu'elles se situent désormais autour de 10 millions d'euros.

Lors de son audition, la directrice de la jeunesse, de l'éducation populaire et de la vie associative a souligné l'importance du soutien de l'État à des démarches innovantes, assorties d'évaluation. Mais elle n'a pu s'engager sur la pérennisation, sous une forme ou sous une autre, d'un instrument particulièrement utile et nécessaire.

Sans doute peut-on s'interroger, au vu du nombre de projets engagés depuis l'origine, sur les risques de dispersion ou de saupoudrage et sur la capacité à mener systématiquement des évaluations suffisamment pertinentes pour en tirer des enseignements.

Pour autant, l'action publique est loin d'être optimale dans ses réponses aux difficultés et inégalités qui influent sur la trajectoire des jeunes. En la matière, le champ de l'innovation reste encore largement à défricher. L'expertise acquise dans le cadre du FEJ mérite d'être pleinement utilisée.

Il est indispensable de pérenniser le soutien aux initiatives innovantes , en dégageant dès cette année les financements nécessaires au lancement de nouveaux projets , ce qui n'exclut pas une réévaluation des modalités du FEJ, notamment un ciblage autour d'un nombre limité de thématiques.

Recommandation : pérenniser un fonds de soutien aux initiatives innovantes dans le domaine des politiques de jeunesse, sur le modèle du fonds d'expérimentation de la jeunesse.

B. LES RÉPONSES TERRITORIALES À L'ÉGALITÉ DES CHANCES : DES PARTENAIRES À MIEUX MOBILISER ET FÉDÉRER

L'égalité des chances est un objectif fort des politiques en direction des enfants, adolescents et jeunes adultes. Il ne peut trouver sa traduction que dans des actions conduites au plus près des situations individuelles et des réalités des territoires , extrêmement différentes selon que l'on se trouve dans un quartier de banlieue, un territoire rural ou des zones péri-urbaines. À ce titre, les administrations et les collectivités locales ont leur part de responsabilité et un rôle à jouer, en lien avec de nombreuses structures associatives.

Face à une répartition des compétences très morcelée, et un degré d'engagement inégal, c'est par la voie de partenariats, à l'échelle de territoires bien définis, que doivent être engagés les moyens de réduire la reproduction des inégalités.

1. Des compétences éclatées et un degré d'engagement inégal

Tout comme les services de l'État, chaque échelon de collectivité dispose, à son niveau, de leviers d'action sur les facteurs d'inégalités entre jeunes.

C'est le cas des régions , autour de leur compétence relative aux lycées (moyens de fonctionnement des établissements, bourses, soutien à des projets éducatifs, dotation en équipements numériques), mais également au titre du service public régional de l'orientation et de la politique des transports. Selon une récente étude de l'Injep 48 ( * ) , plusieurs conseils régionaux ont adopté des documents d'orientation stratégique visant à articuler les actions qu'ils mettent en oeuvre en direction des jeunes, y compris au-delà de leurs compétences obligatoires. Onze d'entre eux ont en outre développé des offres de service dédiées aux jeunes, en particulier des prestations pour l'achat de manuels scolaires ou d'équipements pédagogiques ou l'accès à des activités culturelles et sportives.

S'agissant des départements , leurs interventions s'appuient sur leurs compétences liées aux collèges et en matière sociale (protection maternelle et infantile, protection de l'enfance, solidarités). Selon les indications fournies à la mission d'information par l'Association des départements de France, la grande majorité des départements mettent en oeuvre une politique s'adressant en priorité à la tranche d'âge des collégiens (aides matérielles ou financières, lutte contre le décrochage scolaire, équipements numériques, aides au transport, accès aux activités culturelles et sportives), complétée par une pluralité de dispositifs à destination des jeunes plus âgés, particulièrement en milieu rural avec des dispositifs visant la mobilité et l'autonomie (permis de conduire, services civiques, coup de pouce premier emploi...), et un soutien aux associations actives auprès de ce public. Un tiers des départements, pour leur part, consacreraient des efforts supplémentaires en direction de tranches d'âge plus élevées, jusqu'à 25 ans. Au-delà du fonds d'aide aux jeunes, dispositif légal qui vise à attribuer des soutiens ponctuels aux jeunes rencontrant des difficultés d'insertion sociale ou professionnelle, selon des critères d'éligibilité fixés par chaque conseil départemental, certains départements, comme la Gironde ou la Loire-Atlantique, ont ainsi mis en place des contrats de soutien ou d'accompagnement personnalisés.

Les communes et intercommunalités sont quant à elles confrontées aux inégalités d'origine sociale ou territoriale à travers un grand nombre de leurs interventions dans les domaines de la petite enfance, des activités périscolaires et extra-scolaires, de l'animation socio-culturelle, de la prévention, de l'insertion sociale et professionnelle, en lien avec les missions locales. Les modalités et l'intensité de ces actions sont extrêmement variables, en fonction des caractéristiques des territoires, des priorités des communes et intercommunalités et de leurs moyens. Il n'existe en la matière aucune compétence obligatoire. Co-auteur d'un rapport sur la place des jeunes dans les territoires ruraux au nom du Conseil économique, social et environnemental 49 ( * ) , Bertrand Coly a rappelé devant la mission d'information que celui-ci avait préconisé de rendre obligatoire pour les communautés de communes une compétence « jeunesse », couvrant les jeunes de 16 à 29 ans, distincte des politiques relatives à l'enfance ou aux loisirs et aux sports.

Il paraît en réalité assez difficile de définir l'échelle pertinente et un modèle unique pour la mise en oeuvre de politiques territoriales tournées vers l'égalité des chances, l'échelle et les modalités d'intervention devant s'adapter aux territoires et à la nature des politiques conduites.

Depuis 2017, la région est chargée d'organiser, en qualité de chef de file , les modalités de l'action commune des collectivités territoriales pour l'exercice des compétences relatives à la politique de la jeunesse 50 ( * ) . Est également prévu un processus annuel de « dialogue structuré » entre les pouvoirs publics, les représentants de la société civile et les jeunes, sur « l'établissement d'orientations stratégiques et sur l'articulation et la coordination de ces stratégies entre différents niveaux de collectivités et l'État » 51 ( * ) .

Auprès de la mission d'information, les associations représentant les départements et les communes ont considéré que ces dispositions trouvaient peu de traduction concrète à ce stade.

Elles paraissent en effet donner lieu à une application très variable selon les régions . En Bretagne, la région a lancé aux côtés des services de l'État une démarche de dialogue structuré avec des conférences jeunesse, impliquant de nombreux acteurs dont les différents niveaux de collectivités territoriales. Cette démarche a abouti à la formalisation par le conseil régional du plan de mobilisation pour les jeunesses bretonnes. Une co-élaboration d'orientations stratégiques a également été engagée dans les Hauts-de-France ou en Nouvelle-Aquitaine. La région Grand Est a quant à elle organisé des rencontres régionales après avoir défini sa propre stratégie transversale en direction des jeunes. L'impact de ces initiatives, qui n'ont pas d'équivalent dans toutes les régions, est difficile à mesurer. Selon l'étude précitée de l'Injep 52 ( * ) , la capacité des conseils régionaux « à organiser une articulation plus cohérente des interventions entre les différents niveaux de collectivité, les services de l'État et les partenaires associatifs apparaît en effet relativement faible à ce jour ».

Principalement fondées sur le volontarisme, dans le cadre de leurs compétences facultatives, les actions des collectivités sont génératrices d'un foisonnement d'initiatives en direction des jeunes, mais inévitablement aussi de disparités selon les territoires.

Au-delà de coordinations à l'échelle régionale, qui demeurent aujourd'hui incertaines, les approches partenariales entre acteurs au niveau local méritent d'être renforcées.

2. Des partenariats à amplifier

À l'échelon local, les actions en direction des enfants, des jeunes et de leurs familles qui concourent à réduire les inégalités et à soutenir l'autonomie ont donné lieu à plusieurs politiques partenariales ou contractualisées , avec une coordination et une mise en réseau des acteurs concernés.

La politique de la ville en a fourni la première illustration avec les programmes de réussite éducative , au nombre de plus de 500, co-financés par les collectivités locales, principalement les communes, avec un objectif de soutien personnalisé, associant les familles, aux jeunes scolarisés dans les zones d'éducation prioritaires. Dans le même esprit, les cités éducatives associent, dans une optique plus large, l'ensemble des acteurs publics, associatifs et privés contribuant à l'éducation des enfants et des jeunes. L'objectif est de passer de 80 cités en 2020 à 200 en 2022.

Dans le domaine de l'insertion professionnelle, les cités de l'emploi ont pour objet d'identifier les besoins non couverts dans les quartiers et de renforcer la coopération entre les structures existantes. Elles ne s'adressent pas spécifiquement aux jeunes mais peuvent s'articuler, en Île-de-France avec le plan régional d'insertion pour la jeunesse (PRIJ) mis en place par la préfecture de région. Ces différents dispositifs, qu'il est souhaitable d'amplifier, seront évoqués dans les parties du rapport relatives aux parcours scolaires et à l'accompagnement vers l'emploi.

Deux autres types d'instruments, ayant vocation à couvrir l'ensemble du territoire, ont été déployés pour constituer ou structurer des partenariats locaux.

Il s'agit tout d'abord des projets éducatifs territoriaux (PEdT) mis en place dans le cadre de la réforme des rythmes scolaires en 2013. Au-delà de l'organisation matérielle de l'accueil des enfants découlant de cette réforme, ils ont ouvert l'opportunité de définir un projet éducatif couvrant le champ scolaire, les activités périscolaires et extrascolaires, en associant l'éducation nationale, les collectivités locales et les acteurs associatifs. Le retour à la semaine de 4 jours dans près des neuf-dixièmes des communes s'est traduit par un essoufflement de ces projets , comme l'a constaté le conseil d'orientation des politiques de jeunesse 53 ( * ) . Ce changement de contexte ne doit pas conduire à une démobilisation des collectivités et à l'abandon d'un outil capable de définir, sur les territoires, les moyens de contribuer à l'ouverture culturelle et sociale des enfants les moins favorisés par leur milieu familial. La relance des PEdT doit donc être encouragée.

Un autre type de partenariat se construit avec les caisses d'allocations familiales , intervenant très important auprès des enfants, des jeunes et de leurs familles par le biais de leurs fonds d'action sociale.

C'est le cas des schémas départementaux des services aux familles , lancés en 2013. Élaborés par les caisses d'allocations familiales, les services de l'État et les départements, même si d'autres acteurs peuvent y être associés, ils sont essentiellement centrés sur l'accueil de la petite enfance et le soutien à la parentalité, avec l'objectif de réduire les inégalités d'accès sociales et territoriales à ces services et de mieux coordonner l'action des différents intervenants en la matière. Une évaluation des premiers schémas mis en place dans les départements 54 ( * ) en a mentionné les potentialités, par exemple en y impliquant l'éducation nationale sur la scolarisation des moins de trois ans et une plus grande ouverture de l'école aux parents, ou encore en élargissant leur champ aux plus de six ans. Elle en a également montré les limites et les difficultés de mise en oeuvre : interrogations sur la portée de ces schémas, leurs finalités et leur pilotage, définition du périmètre et des priorités, articulation avec les communes et intercommunalités. Ces schémas existent aujourd'hui dans tous les départements, ceux-ci étant également dotés de comités départementaux des services aux familles réunissant l'ensemble des acteurs locaux concernés 55 ( * ) . Il s'agit désormais d'utiliser ces instruments et de faire vivre ces instances autour des enjeux d'inégalités sociales et territoriales.

Les conventions territoriales globales (CTG) sont quant à elles conclues, dans un même esprit, entre les caisses d'allocations familiales et les communes et intercommunalités, avec l'objectif de mise en oeuvre d'un projet de territoire , sur un périmètre de thématiques plus large que celui des contrats enfance jeunesse, qu'elles ont vocation à remplacer, et qui couvre l'enfance, la jeunesse, le soutien à la parentalité, l'animation de la vie sociale locale, le logement, l'amélioration du cadre de vie et l'accès aux droits. Ici encore, les évaluations montrent qu'il ne faut pas nourrir d'attentes excessivement ambitieuses à l'égard de ces conventions 56 ( * ) . Elles n'englobent pas tous les dispositifs soutenus par les caisses d'allocations familiales, ni a fortiori toutes les problématiques de jeunesse à l'échelle du territoire. Elles doivent néanmoins améliorer l'efficience, sur chaque territoire, des actions conduites dans les domaines qu'elles couvrent. Selon les éléments transmis par la Caisse nationale d'allocations familiales, à la veille du renouvellement municipal de 2020, 500 conventions territoriales globales, couvrant environ 30 % de la population , avaient été signées (dont la moitié avec des communes, la moitié avec des intercommunalités). La mise en oeuvre des CTG se situe donc très en deçà des objectifs fixés par la convention d'objectifs et de gestion avec l'État, qui visait une couverture de toutes les intercommunalités fin 2022. La généralisation des conventions territoriales globales suppose donc une forte impulsion.

Au final, les partenariats locaux sont parfois perçus comme sources de complexité et de lourdeurs sans pour autant satisfaire toutes les attentes de ceux qui y participent, notamment en termes de financements. Ils demeurent néanmoins des instruments incontournables pour renforcer la pertinence de l'action publique en direction des jeunes à l'échelle de chaque territoire.

Recommandation : encourager sur tous les territoires la mise en place d'instruments favorisant une approche partenariale et coordonnée des politiques répondant aux besoins des jeunes (schémas départementaux des services aux familles, conventions territoriales globales, projets éducatifs territoriaux).

III. LES POLITIQUES DE LA PETITE ENFANCE : UN INVESTISSEMENT À RENFORCER

Un large consensus étayé par de nombreux travaux scientifiques existe aujourd'hui pour considérer que les toutes premières années d'un enfant ont un impact considérable sur sa santé, son bien-être et son développement. Sans pour autant entièrement déterminer le devenir des enfants, les effets de cette période peuvent se ressentir durablement sur le parcours scolaire et bien après l'école.

C'est fort de ce constat que la commission présidée par Boris Cyrulnik 57 ( * ) sur les 1 000 premiers jours de l'enfant préconise des interventions, d'autant plus efficaces qu'elles seront précoces, et dont elle estime qu'elles « pourront contribuer à lutter contre les inégalités ». Sont notamment mentionnés par la commission la détection de facteurs de vulnérabilités et de situations spécifiques nécessitant une prise en charge plus ciblée et graduée, le renforcement des congés de naissance et l'amélioration de la qualité de l'accueil disponible pour les très jeunes enfants.

Les conclusions de la commission Cyrulnik avaient été précédées d'autres travaux, notamment le rapport de Sylviane Giampino sur le développement du jeune enfant 58 ( * ) , remis au printemps 2016. Il soulignait, en particulier, que la réduction des inégalités sociales et le soutien au développement des très jeunes enfants étaient facilités par l' accès des familles les moins favorisées à des modes d'accueil de qualité . Alors que ce sont les enfants les plus exposés à des difficultés sociales qui en tireraient le plus grand profit, le rapport constatait qu'ils avaient proportionnellement moins accès à ces types d'accueil.

La nécessité d'agir en faveur de l'égalité des chances dès l'enfance est également l'un des vingt principes clés du socle européen de droits sociaux de l'Union européenne adopté en novembre 2017 59 ( * ) .

Si un certain nombre de constats sont partagés et de nombreuses propositions attendent d'être mises en oeuvre, les travaux de la mission d'information ont mis en évidence la nécessité d'agir pour qu'en beaucoup plus grand nombre, les enfants auxquels il sera le plus profitable puissent bénéficier d'un accueil de qualité.

A. DES INÉGALITÉS SOCIALES QUI TROUVENT EN PARTIE LEUR ORIGINE DANS LA PETITE ENFANCE

Le développement du jeune enfant et les acquis intervenus au cours des toutes premières années ont des incidences sur ses compétences et sa santé futures. On constate entre enfants, dès ce stade, des inégalités liées à leur milieu familial dont les effets vont se retrouver jusqu'à l'âge adulte.

1. Une forte corrélation entre statut socio-économique des familles et développement cognitif des jeunes enfants

Le développement du jeune enfant comporte des dimensions motrices, cognitives, langagières ou encore socio-comportementales.

De très nombreux travaux ont établi les incidences du statut socio-économique des familles et de leurs conditions de vie sur les inégalités constatées dans le développement d'enfants du même âge.

Dans une publication de 2017 60 ( * ) , la fondation Terra Nova, citant une abondante littérature internationale, souligne que les inégalités de développement cognitif, notamment en ce qui concerne les compétences langagières, sont très fortes dès 3 ans .

Si les études portant spécifiquement sur la France sont peu nombreuses, les données issues du suivi de la cohorte Elfe 61 ( * ) montrent qu' à 2 ans, le développement du langage des enfants varie fortement selon la situation socioéconomique de la famille , que l'on considère le niveau de diplôme de la mère ou le niveau de revenu du ménage 62 ( * ) .

D'autres études internationales constatent une différence de volume et de variété dans le vocabulaire acquis par les enfants dès 18 mois en fonction du niveau socioéconomique, ou encore, à 3 ans et demi, un impact de même nature sur les capacités cognitives de résolution de problèmes et de raisonnement non verbal. Il en va de même pour les capacités socio-comportementales (aptitudes sociales et émotionnelles, traits comportementaux).

La petite enfance est ainsi une période particulièrement sensible à l'environnement familial , où se ressentent les effets du niveau d'éducation des parents et de leur capacité à contribuer à l'éveil de l'enfant par le jeu ou la lecture, mais aussi ceux des facteurs de précarité sociale ou économique entravant ou limitant leur disponibilité et l'accès de l'enfant à des activités, voire à des soins appropriés.

2. Des écarts entre jeunes enfants qui influent sur leur parcours futur

Comme le souligne Terra Nova dans la publication précitée, il existe un consensus scientifique pour considérer que « le niveau de développement cognitif des jeunes enfants est très prédictif de leur réussite scolaire ultérieure ».

Ainsi, les inégalités d'acquisition de certaines compétences dès la petite enfance expliqueraient une large part des inégalités de diplôme - et donc d'insertion professionnelle - entre les enfants de familles favorisées et défavorisées.

Ce consensus a été confirmé par les personnalités entendues par la rapporteure, notamment par les professeurs Jaqueline Wendland 63 ( * ) et Agnès Florin 64 ( * ) . Les familles les plus modestes disposent souvent de moins de jeux et de livres, qui sont des supports importants des interactions et du développement, alors que les parents ayant un plus faible niveau d'études sont moins en mesure de lire et d'exposer les enfants à un vocabulaire riche et varié. Les enfants issus de ces familles apparaissent donc pénalisés alors qu'entrer à l'école avec des compétences cognitives et socio-émotionnelles élevées devrait favoriser les apprentissages scolaires tout en renforçant la confiance en soi et les compétences sociales, qui sont également des facteurs de la réussite scolaire.

Pour autant, il convient d'y insister, tout ne se joue pas avant trois ans et il faut écarter tout déterminisme qui enfermerait l'avenir des enfants dans une trajectoire totalement préétablie. Les études n'indiquent pas que ces différences de développement cognitif ou socio-comportemental durant la petite enfance provoqueraient des effets irréversibles. Il reste fort heureusement possible d'y remédier après trois ans.

On doit retenir de ces éléments qu'il est nécessaire d'agir sur les inégalités de développement entre enfants dès la période de la petite enfance car plus les interventions sont précoces, plus élevées sont les chances de réduire ces inégalités et d'éviter que leurs effets négatifs se cumulent et qu'elles s'accentuent à l'âge scolaire.

Le rapport Cyrulnik a particulièrement souligné, de ce point de vue, l' enjeu de la détection et de l'accompagnement précoce des enfants présentant des troubles du neuro-développement . Alors que le diagnostic du trouble du spectre autistique est fiable vers l'âge de 24 mois, celui-ci n'intervient en France, en moyenne, qu'à l'âge de six ans et des retards semblables sont constatés, dans notre pays, pour l'ensemble des autres troubles du neuro-développement. La mission d'information souscrit pleinement, de ce point de vue, aux préconisations du rapport sur les 1 000 premiers jours.

Au-delà de ces situations particulières, un investissement plus important paraît nécessaire sur le développement de modes d'accueil de qualité.

B. L'ACCÈS DES JEUNES ENFANTS À UN ACCUEIL DE QUALITÉ : UN ENJEU D'ÉGALITÉ DES CHANCES

Dès lors que des inégalités de développement entre enfants, porteuses de conséquences durables, peuvent se former durant les premières années en raison de l'environnement familial, la question se pose de savoir si des modes d'accueil non parentaux peuvent contribuer à limiter ou réduire ces inégalités.

Les travaux scientifiques concluent que tel peut être le cas, sous certaines conditions, notamment la qualité des modes d'accueil.

Or pour ce qui est de la France, la situation actuelle se caractérise par un accès proportionnellement plus faible à ces modes d'accueil des enfants des familles les moins favorisées.

1. Les modes d'accueil formels peuvent être particulièrement bénéfiques aux jeunes enfants des familles les moins favorisées

La question des effets des modes d'accueil des jeunes enfants sur leur développement a fait l'objet de nombreuses études, mais moins en France que dans les pays anglo-saxons. Leur analyse exige certaines précautions . En effet, la notion d'accueil du jeune enfant ne recouvre pas la même réalité selon les pays. Dans certains d'entre eux, elle englobe dans une même approche tous les enfants jusqu'à l'âge de 6 ans et leur entrée à l'école. En France, une distinction est opérée entre l'accueil du jeune enfant et l'école pré-élémentaire à partir de 3 ans, voire 2 ans dans certains cas. Or s'il paraît largement admis que la prise en charge dans une structure équivalente à l'école maternelle entre 3 et 5 ans est de nature à assurer un bon développement des enfants et à pallier les inégalités liées à l'environnement, les résultats sont moins évidents s'agissant des types d'accueil destinés aux enfants de moins de 3 ans.

Une revue de littérature récemment éditée par la Caisse nationale des allocations familiales fait le point à ce sujet 65 ( * ) . Des études internationales , on peut conclure que les enfants bénéficiant de modes d'accueil collectifs ont un plus grand développement cognitif et socio-émotionnel. Les enfants issus de milieux plus défavorisés bénéficient de façon plus conséquente des modes d'accueil collectifs . Ces effets bénéfiques et égalisateurs perdurent au moins jusqu'à l'adolescence 66 ( * ) .

En exploitant les données de l'étude PISA de 2015, l'OCDE 67 ( * ) avait quant à elle montré une corrélation positive, dans tous les pays étudiés, entre le fait d'avoir fréquenté des structures d'éducation et d'accueil du jeune enfant et les résultats scolaires à 15 ans. Cette étude englobe toutefois dans une même analyse l'école pré-élementaire et l'accueil des enfants de moins de 3 ans.

Très peu d'études ont été conduites, en France , sur l'effet des modes d'accueils formels (assistantes maternelles ou crèche).

L'une, déjà citée, exploitant les données issues du suivi de la cohorte Elfe, estime qu'en comparaison de la garde par les parents, le fait d'être accueilli en crèche ou par une assistante maternelle tend à réduire les inégalités sociales de développement langagier.

Une autre analyse, fondée sur les données de l'étude Eden 68 ( * ) , établit une corrélation entre un accueil par un mode de garde collectif pendant les trois premières années et une plus faible probabilité de rencontrer des problèmes émotionnels et relationnels au cours de l'enfance 69 ( * ) . Cette étude souligne en outre que le fait de fréquenter un établissement d'accueil du jeune enfant (EAJE) est particulièrement bénéfique pour les enfants de familles défavorisées, dont les parents disposent de moins de ressources éducatives, surtout lorsque la langue employée à la maison n'est pas le français.

Enfin, l'accueil des enfants peut lever un des freins à l'emploi des parents, et notamment des mères, et réduire ainsi la pauvreté des ménages concernés. C'est d'autant plus vrai pour les familles monoparentales, qui ont moins recours aux modes de garde formels 70 ( * ) .

L'analyse attentive des travaux scientifiques confirme bien que les enfants des familles les moins favorisées sont ceux qui bénéficient le plus des effets positifs d'un mode d'accueil collectif et que celui-ci peut constituer un levier de réduction des inégalités.

Ces conclusions doivent toutefois être modulées par deux considérations.

Tout d'abord, alors que la famille demeure le premier lieu de socialisation de l'enfant, il faut rappeler que si des corrélations sont établies entre la situation des parents et le développement des enfants, elles ne constituent pas des liens de causalité et à situation familiale comparable, les enfants peuvent avoir des trajectoires de développement très différentes . De la même manière, comme l'a indiqué à la rapporteure le professeur Jaqueline Wendland, il serait illusoire de prétendre compenser un environnement familial très précarisé uniquement avec un accueil extra-familial formel de l'enfant . De ce point de vue, le soutien à la parentalité est essentiel.

Par ailleurs, toutes les études s'accordent pour souligner que les bénéfices des accueils non-parentaux pour les enfants des familles les moins favorisées sont étroitement conditionnés à la qualité des modes d'accueil formels . L'accueil, quelle que soit sa forme, n'offre en soi aucune garantie d'un apport positif pour l'enfant et sa famille.

La qualité de l'accueil s'évalue au regard de plusieurs critères, certains tenant aux activités effectuées, à la pratique des professionnels et à la stabilité de leur relation avec l'enfant, aux interactions intervenant au sein de la structure, et d'autres, qui peuvent influer sur les précédents, étant relatifs au nombre d'enfants accueillis ou à la formation des personnels.

2. Des inégalités sociales d'accès aux accueils non-parentaux

Le recours aux modes d'accueil formels est fortement lié au niveau de vie des parents, lui-même lié à leur activité. Ainsi, les enfants de familles modestes sont plus fréquemment gardés principalement par leurs parents et sont à l'inverse moins souvent accueillis en EAJE.

Il ressort ainsi de l'édition 2013 de l'enquête « Modes de garde et d'accueil des jeunes enfants » de la Drees 71 ( * ) , que 88 % des enfants de moins de trois ans issus de familles modestes 72 ( * ) sont gardés principalement par leurs parents (dont six sur dix exclusivement par leurs parents).

À l'inverse, seuls 16 % des enfants de familles modestes avaient accès au moins une fois par semaine à un EAJE, contre près d'un quart de l'ensemble des jeunes enfants.

L'arbitrage financier entre revenu d'activité et coût de la garde peut jouer en faveur d'un arrêt d'activité.

Toutefois, entre 2002 et 2013, le recours aux services d'une assistance maternelle ou d'un EAJE a progressé.

L'édition 2020 de cette étude permettra de vérifier si l'amélioration constatée depuis 2002 s'est poursuivie.

La Caisse nationale des allocations familiales indique quant à elle qu'alors qu'en 2018 environ une famille avec au moins un enfant de moins de trois ans sur deux ne recourt ni à une crèche, ni à une assistante maternelle, ni à l'école préélémentaire, c'est le cas de 76 % des familles vivant sous le seuil de pauvreté, de 79 % des familles biparentales où aucun des parents n'est actif occupé et de 78 % des familles monoparentales au chômage ou inactives.

Taux de recours aux EAJE des enfants de moins de trois ans
selon le niveau de vie du foyer

Source : CNAF, Observatoire national de la petite enfance, d'après les données de la Drees

L'offre de modes de garde formels

Selon l'observatoire de la petite enfance (Onape), piloté par la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) 73 ( * ) , en 2018, l'offre totale d'accueil par des modes de garde formels 74 ( * ) n'était que de 59,3 places pour 100 enfants de moins de trois ans . Surtout, cette offre est majoritairement composée des places disponibles auprès d'assistants maternels (33,2 places pour 100 enfants), ce qui donne une image un peu surestimée de la capacité réelle d'accueil 75 ( * ) . Il convient par ailleurs de noter que la France est un le seul pays européen dans lequel l'accueil individuel est plus développé que l'accueil collectif 76 ( * ) .

L'offre en établissement d'accueil du jeune enfant (EAJE) ne représentait en 2018 que 20 places pour 100 enfants 77 ( * ) , soit 460 100 places dans 12 400 établissements, dont 411 400 relevant de la prestation de service unique (PSU) 78 ( * ) .

L'intensité de l'offre en établissement est très inégale sur le territoire, le nombre de places allant selon les départements de 6,3 à 49,5 pour 100 jeunes enfants .

Si ce taux de couverture est légèrement supérieur à celui qui était observé en 2016, cette progression résulte d'une baisse de la natalité, le nombre total de places disponibles ayant dans le même temps décliné aussi.

Par ailleurs, un peu moins des deux tiers (61 %) des enfants de moins de trois ans sont gardés principalement par leurs parents 79 ( * ) .

C. LA NÉCESSITÉ D'UNE POLITIQUE VOLONTARISTE DE DÉVELOPPEMENT DES MODES D'ACCUEIL

1. Impulser une politique plus volontariste de création de places

L'augmentation de l'offre en accueil collectif constitue un objectif affirmé depuis plusieurs années, aussi bien dans les stratégies de lutte contre la pauvreté que dans les conventions d'objectifs et de gestion (COG) conclues entre l'État et la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF).

Pour autant, les résultats en la matière sont constamment inférieurs aux objectifs affichés.

Sur la période 2013-2017, le nombre de places créées en accueil collectif s'est ainsi élevé à environ 56 400, soit à peine plus de la moitié de l'objectif fixé par la COG (100 000 places nouvelles en accueil collectif sur un total de 250 000 nouvelles places).

La COG pour 2018-2022 a fixé un objectif moins ambitieux (dans un contexte de baisse de la natalité) mais qui se voulait plus réaliste et tablait sur la création de 30 000 nouvelles places, « dont une part significative dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville ». Cet objectif est également affirmé dans la stratégie nationale de lutte contre la pauvreté.

L'évaluation de la stratégie nationale de lutte contre la pauvreté établit que 5 240 places ont été créées en 2018 et 2019, soit 17,5 % de l'objectif qui doit être atteint d'ici 2022 .

Ainsi que l'a reconnu le secrétaire d'État à l'enfance et aux familles, auditionné par des députés à l'automne, « il est raisonnable d'espérer la création de douze à quinze mille places d'ici 2022 » 80 ( * ) , soit moins de la moitié de l'objectif affiché.

Dans une circulaire 81 ( * ) adressée aux directeurs de caisses d'allocations familiales en mars 2021, le directeur général de la CNAF estimait lui aussi que l'objectif fixé par la COG ne pourrait être réalisé qu'à hauteur de 40 % .

La conclusion tardive de la COG, le contexte des élections municipales et la crise sanitaire peuvent contribuer à expliquer une partie retard pris dans les projets.

La Cour des comptes observe que « si les Caf cofinancent les projets de structures d'accueil du jeune enfant, ce sont en revanche les acteurs locaux publics ou privés qui les initient. Or, les communes et intercommunalités , qui gèrent 60 % du parc d'établissements d'accueil du jeune enfant, confrontées à des difficultés diverses depuis 2013, notamment budgétaires, ont cherché à limiter leurs dépenses dans ce secteur , ce qui explique que l'objectif de création de places n'ait pas été atteint » 82 ( * ) . La Cour relève d'ailleurs que sur la période 2013-2017, ce sont les acteurs privés qui ont permis la création d'environ 40 % des nouvelles solutions d'accueil, via le développement de micro-crèches.

À ces freins financiers, liés aux charges en fonctionnement des EAJE 83 ( * ) , peuvent s'ajouter, de la part des collectivités locales, des réticences ayant trait aux responsabilités induites par l'accueil de jeunes enfants.

La CNAF a engagé au début de l'année 2021 un plan « rebond » dégageant, par redéploiement de crédits de son Fonds national d'action sociale, des financements pour des aides exceptionnelles en investissement (majoration de 7 000 euros par place pour les projets situés dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville et les zones de revitalisation rurale), une majoration pérenne des aides au fonctionnement et un accompagnement renforcé des porteurs de projets, en ingénierie et en conseils. Ce plan ne permettra de rattraper qu'une petite partie du retard pris.

On constate par ailleurs de fortes inégalités territoriales dans les solutions d'accueil .

En Seine-Saint-Denis , le nombre de solutions d'accueil formel pour 100 enfants de moins de trois ans est pratiquement inférieur de moitié à la moyenne nationale (30,8 pour une moyenne nationale de 59,3 selon les données les plus récentes publiées par la CNAF). Dans le Val-d'Oise , il est inférieur de 30 % à la moyenne (41,8). Outre-mer , tous les départements sont au-dessous de la moyenne nationale, avec un taux particulièrement bas à La Réunion (32) et surtout en Guyane (9) ainsi qu'à Mayotte (à peine un peu plus de 1) où l'accueil, quand il existe, est surtout informel.

La COG avait prévu, pour la période 2013-2017, un objectif visant à ce que 75 % des nouvelles places créées le soient dans les territoires ayant un taux de couverture inférieur à la moyenne nationale. La Cour des comptes a relevé que 60 % seulement des créations de places étaient intervenus dans ces territoires « sous-dotés », et de surcroît dans les plus favorisés d'entre eux, les inégalités territoriales n'ayant donc été que très peu corrigées.

La Cour des comptes relève également de très fortes variations, selon les départements, des dépenses d'action sociale des caisses d'allocations familiales relatives à l'accueil des jeunes enfants rapportées à la population des 0-4 ans : en 2018, on constate dans quatre départements une dépense moyenne supérieure à 1 400 euros par enfant, dont Paris (2 808 euros) et les Hauts-de-Seine (1 624 euros), et dans 34 départements une dépense inférieure à 700 euros, dont la Mayenne (388 euros) et l'Aisne (354 euros).

Ces disparités pourraient en partie résulter, pour les départements les plus dotés, d'un nombre d'équipements historiquement élevé, d'une demande plus forte ou de coûts immobiliers et salariaux plus importants, en particulier en Île-de-France.

Les aides financières à la création et au fonctionnement des EAJE prévues dans le cadre de la COG s'avèrent donc manifestement insuffisantes. Il apparaît dès lors indispensable de renforcer les moyens mis en oeuvre par la branche famille pour favoriser la création de places en EAJE , en ciblant l'effort sur les quartiers prioritaires de la politique de la ville, les zones rurales sous-dotées et les familles les plus modestes. Lors de son audition par la mission d'information, Jean-Louis Borloo 84 ( * ) a quant à lui préconisé, durant le temps nécessaire au rattrapage du retard constaté dans certains quartiers ou territoires ruraux et outre-mer, de réorienter certains financements dont bénéficient les territoires les mieux dotés afin d'intensifier l'effort en faveur de ceux moins bien dotés.

Recommandation : renforcer les efforts de création de places en structure d'accueil du jeune enfant dans les quartiers prioritaires, les zones rurales sous-dotées et outre-mer et en faveur des familles modestes.

2. Interroger les règles de financement

Les règles de financement des EAJE incitent les gestionnaires à maximiser l'utilisation de leurs berceaux. Ce souci, compréhensible du point de vue de l'efficience des deniers publics, conduit à exclure les familles qui n'ont besoin que d'un accueil intermittent ou à temps partiel, par exemple parce que l'un des parents, généralement la mère, ne travaille pas à temps plein ou travaille avec des horaires atypiques.

La majoration des aides au fonctionnement
pour susciter la création de places en EAJE

La principale modalité de financement des établissements d'accueil du jeune enfant par les caisses d'allocations familiales est depuis 2002 la prestation de service unique (PSU).

Cette aide, versée à des établissements publics comme privés, complète la participation demandée aux familles, qui doit être modulée en fonction de leurs ressources, à hauteur des deux tiers du prix de revient pour le gestionnaire, dans la limite d'un plafond.

Par ailleurs, la PSU est modulée (les coûts plafonds sont majorés) en fonction du service rendu (fourniture de couches et de repas) et du taux de facturation (rapport entre les heures facturées aux familles et les heures effectuées). La prise en compte du taux de facturation peut avoir tendance à inciter les gestionnaires à privilégier les familles dans lesquelles les deux parents travaillent , qui ont besoin d'un accueil régulier et à temps complet.

La COG État-CNAF pour 2018-2022 prévoit une rénovation des modalités de financement des EAJE. Le financement du fonctionnement des EAJE par la branche famille s'articulerait ainsi sur trois niveaux.

Les sommes versées aux EAJE au titre de la PSU peuvent être ainsi majorées grâce à des financements forfaitaires prenant en compte des critères liés aux caractéristiques des territoires et des publics accueillis :

- le bonus « mixité sociale » (300 à 2 100 euros par an et par place), attribué aux établissements pour lesquels le montant horaire moyen de la participation des parents est faible ;

- le bonus « inclusion handicap » est attribué aux établissements accueillant au moins un enfant en situation de handicap, son montant étant modulé (dans la limite d'un plafond de 1 300 euros par place) en fonction du nombre d'enfants accueillis ;

- le bonus « territoire » , attribué dans le cadre de « conventions territoriales globales » qui doivent progressivement prendre la place des « contrats enfance jeunesse » et modulé selon le potentiel financier du quartier ou de la commune d'implantation (jusqu'à 700 euros par place créée, assortis d'une majoration spécifique de 1 000 euros dans les QPV).

Ces bonus sont attribués au titre de toutes les places de l'établissement et non pas uniquement de celles attribués aux publics visé.

Enfin, le fonds « publics et territoires », doté d'environ 58,3 millions d'euros par an sur la période, doit permettre le financement de projets spécifiques.

Un bilan de ces bonus devra être dressé afin de mesurer leur efficacité pour développer l'accueil des enfants de familles modestes.

La réticence des parents de familles modestes à confier leur enfant à une structure collective résulte parfois en outre de facteurs culturels : difficulté à confier son enfant à des tiers, distance vis-à-vis des institutions et crainte du jugement ou d'un contrôle social, renonciation à envisager de solliciter une place dès lors qu'un parent ne travaille pas. De tels facteurs peuvent être surmontés par une démarche progressive. La COG État-CNAF prévoit le développement de l'accueil temporaire ou occasionnel en complément de l'accueil sur des périodes plus longues, sans toutefois préciser les moyens mis au service de cette ambition.

Selon la rapporteure, une voie d'amélioration de la situation actuelle pourrait être de réserver un quota de places financées hors PSU afin de donner aux gestionnaires une marge de manoeuvre pour l'accueil d'enfants de familles modestes.

Par ailleurs, dans l'attribution des places, la priorité est souvent donnée aux couples bi-actifs. Lorsque l'un des parents, c'est-à-dire bien souvent la mère, ne travaille pas, il est trop souvent considéré, plus ou moins implicitement, qu'elle peut donc s'occuper de son enfant.

Cette conception conduit à renforcer les inégalités de taux d'emploi entre les pères et les mères et nuit à l'accès des enfants de familles modestes à des modes de garde collectif.

Recommandation : assouplir les règles de financement des établissements d'accueil du jeune enfant par la branche famille afin de favoriser l'accueil volontariste d'enfants de familles modestes.

3. Promouvoir les formes d'accueil incluant un accompagnement des familles

L'augmentation du recours à des modes de garde formels, et notamment collectifs, par les familles modestes passe également par une réflexion sur l'adaptation de l'offre à leurs besoins et à leurs attentes. En effet, ces familles peuvent avoir des réticences à confier leur enfant ou peuvent ne souhaiter l'inscrire qu'à temps partiel.

Il convient d'aller vers ces familles et de leur offrir des solutions adaptées à leurs besoins. Le rapport Giampino préconisait de favoriser les espaces et les initiatives atypiques qui vont au-devant des familles et des enfants qui sont éloignés des modes d'accueil et qui en ont le plus besoin.

Le code de l'action sociale et des familles (art. L. 214-7) impose aux EAJE de réserver une part 85 ( * ) de leurs berceaux à des enfants dont les parents sont demandeurs d'emploi ou ont des faibles revenus 86 ( * ) .

Certains projets vont plus loin et développent une offre associant accueil des jeunes enfants et accompagnement des parents dans une démarche d'insertion. La COG État-CNAF pour 2018-2022 prévoit de renforcer le soutien à ces projets, et notamment aux crèches « à vocation d'insertion professionnelle (Avip) modèle qui a fait l'objet d'un accord et d'une charte conclus en 2016 entre l'État, la CNAF et Pôle emploi.

L'article 4 de la proposition de loi visant à accélérer l'égalité économique et professionnelle, adoptée par l'Assemblée nationale le 12 mai 2021 87 ( * ) prévoit de leur donner une assise législative.

Le Gouvernement, par la voie de Mme Elisabeth Moreno, a soutenu cette disposition, qui doit permettre « d'accélérer le développement de ce modèle vertueux » 88 ( * ) . La rapporteure partage cette conviction.

À défaut d'une inscription prochaine de la proposition de loi à l'ordre du jour du Sénat, le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022 pourrait être l'occasion de reprendre cette disposition. Il conviendra en outre de poursuivre les ambitions portées par la COG État-CNAF et de renforcer le soutien financier aux projets combinant offre d'accueil et offre mobilisant la famille sur un projet d'insertion sociale et ou professionnelle. Cela suppose d'abonder à l'avenir plus fortement le fonds « Publics et territoires » de la CNAF.

Recommandation : donner une base législative aux crèches Avip et renforcer le soutien en faveur des projets combinant accueil du jeune enfant et accompagnement des parents.

D. AMÉLIORER LA QUALITÉ DE L'ACCUEIL ET MIEUX VALORISER LES MÉTIERS DE LA PETITE ENFANCE

L'accueil en structure collective des jeunes enfants est d'autant plus bénéfique pour leur développement que cet accueil est de qualité. Il ressort des auditions menées par la rapporteure qu'un travail important doit être réalisé en France sur cet aspect.

L' investissement sur la qualité de l'offre d'accueil constitue le corollaire indissociable de la création de places supplémentaires .

1. Mieux penser l'accueil du jeune enfant en s'appuyant sur les apports de la science

Comme on l'a précédemment souligné, l'impact positif de l'accueil collectif dépend fortement de la qualité de cet accueil 89 ( * ) , cette qualité s'appréciant au regard de critères sur lesquels s'accordent de nombreuses études internationales : nature des activités, interactions entre les adultes et les enfants, stabilité du personnel référent pour l'enfant, nombre d'enfants accueillis simultanément, supervision de l'accueil.

Or, il ressort des auditions conduites par la mission d'information que la France dispose d'une importante marge de progression.

Le ratio professionnels/nombre d'enfants accueillis est dans les pays de l'OCDE en moyenne d'un professionnel pour 5 enfants, ce niveau n'étant appliqué en France que pour les enfants non marcheurs, l'encadrement étant plus faible pour les enfants marcheurs (un professionnel pour 8 enfants marcheurs). À cet égard, le récent décret relatif aux établissement d'accueil du jeune enfant 90 ( * ) , en ouvrant la possibilité, pour les établissements, de retenir un ratio d'un professionnel pour 6 enfants, marcheurs ou non marcheurs, n'apporte pas une réponse réellement satisfaisante à la nécessité d'un renforcement de l'encadrement, cette solution étant optionnelle et pouvant se traduire par une dégradation de l'encadrement des enfants non marcheurs.

De même, l'organisation de nombreux établissements ne permet pas de satisfaire l'objectif de stabilité et de continuité de la relation entre l'enfant et un professionnel référent s'occupant de lui de manière stable et sur la durée.

Enfin, les apports des sciences éducatives et comportementales pourraient être davantage mis au service d'un accueil de qualité.

Le rapport Cyrulnik recommande notamment de financer la recherche-action-formation entre chercheurs et professeurs et une évaluation des pratiques « visant à l'amélioration constante de la qualité de l'accueil ».

Le même rapport suggère également de mieux mettre en pratique les apports issus de la recherche scientifique quant à l'impact des espaces d'accueil sur le développement de l'enfant.

Recommandation : améliorer l'encadrement au sein des établissements d'accueil du jeune enfant et développer l'identification de professionnels référents afin de garantir une plus grande stabilité de la relation avec l'enfant accueilli.

Les dépenses en faveur de la petite enfance :
des investissements sociaux rentables

Le rapport précité de Terra Nova illustre à travers l'exemple de deux expériences menées aux États-Unis l'impact sur les inégalités sociales d'interventions conduites dès le plus jeune âge.

Les projets Perry Preschool (1962-1967) et Carolina Abecedarian (1972-1977) étaient des programmes de préscolarisation intensifs reposant notamment sur des jeux autour du langage, des séances de lecture individualisée et une implication des parents. Le suivi des enfants concernés selon une méthode scientifique jusqu'à l'âge de 40 ans a montré des résultats importants en matière de réussite scolaire, de chômage, de revenus, de santé et de délinquance.

Par ailleurs, l'économiste James Heckman a démontré, en se basant sur une évaluation du programme Perry Preschool , que le retour sur investissement des dépenses en faveur du capital humain était d'autant plus fort qu'elles interviennent tôt .

En d'autres termes, les dépenses en faveur d'un accueil de qualité des jeunes enfants seraient nettement plus rentables pour la société que les politiques mises en oeuvre à un âge plus tardif pour lutter contre le décrochage scolaire ou en faveur de l'insertion dans l'emploi.

Cela est particulièrement vrai pour les enfants issus de familles modestes, le graphique ci-dessous, issu du rapport de l'OCDE, synthétisant les travaux académiques concluant à l'impact de l'investissement dans la petite enfance sur la réduction des inégalités des chances.

2. Mieux former les professionnels et développer une réelle filière métier

Les spécialistes de la petite enfance auditionnés par la mission d'information s'accordent sur l' insuffisance de la formation initiale et continue des professionnels de ce secteur, notamment en comparaison avec les situations observées à l'étranger. Cette difficulté concerne tant l'accueil individuel que l'accueil collectif.

Surtout, il ressort des auditions menées par la rapporteure que les professionnels ayant les plus hauts niveaux de qualification sont fréquemment affectés à des tâches administratives ou de gestion, loin des enfants. Le rapport sur les 1 000 premiers jours de l'enfant souligne ainsi que « les professionnels les moins bien rémunérés et les moins bien formés sont ceux qui travaillent directement auprès des enfants » et « bénéficient également peu souvent d'analyse des pratiques, de supervision et de formations continues structurées ».

Les personnes auditionnées ont en outre mentionné l'insuffisante analyse de la pratique au sein des EAJE. Ce constat est corroboré par le rapport Eurydice 91 ( * ) 2019 de la Commission européenne qui montre que la France fait partie des pays dans lesquels aucun système obligatoire de développement professionnel continu n'est prévu pour les professionnels intervenant auprès d'enfants de moins de trois ans 92 ( * ) , qu'il s'agisse des « travailleurs principaux » ou des « assistants ».

La France se classe 27 ème parmi les 35 pays de l'OCDE pour la qualification des personnels dans les lieux d'accueil de jeunes enfants.

L'idée que la prise ne charge de jeunes enfants constitue un métier qualifié et non une compétence innée -et surtout féminine- doit donc encore se développer en France. Selon le rapport sur les 1 000 premiers jours, « les métiers de la petite enfance souffrent globalement d'un manque de reconnaissance et d'une rémunération plus faible par rapport à la moyenne des pays de l'OCDE ».

Ce manque de considération est un des facteurs explicatifs de la pénurie de professionnels de la petite enfance et peut également contribuer à expliquer un taux de rotation important et la fréquence des syndromes d'épuisement professionnel, symptômes d'un malaise au travail qui ne peut qu'avoir des conséquences pour les enfants.

Ainsi, comme le proposait déjà en 2016 le rapport de Sylviane Giampino, l'amélioration de la qualité de l'accueil des jeunes enfants passe par le développement d'une filière professionnelle des métiers de la petite enfance et par une montée en compétences des professionnels du secteur.

Le rapport Cyrulnik souligne lui aussi la nécessité d'améliorer la valorisation des professionnels de la petite enfance (personnel des établissements mais également assistants maternels).

Il s'agit donc d'enrichir et de renforcer la formation initiale et continue des acteurs intervenant auprès des enfants, de développer la reconnaissance des acquis de l'expérience et les passerelles entre les différents métiers dans une logique de parcours.

La création d'un comité de filière « petite enfance », annoncée par le secrétaire d'État chargé de l'enfance et des familles, constitue en cela une première étape, qu'il conviendra de compléter par des actions concrètes.

Recommandation : renforcer la formation initiale des professionnels de la petite enfance, revaloriser, notamment du point de vue de la rémunération, ces métiers et développer une filière cohérente permettant une évolution professionnelle.

Le plan de formation prévu dans le cadre de la stratégie pluriannuelle de lutte contre la pauvreté, qui doit bénéficier à 600 000 professionnels, a été perturbé par la crise sanitaire et la première campagne de formation continue n'a été réellement lancée qu'en mai 2021. Au-delà du rattrapage du retard résultant de ce décalage, il semble souhaitable de pérenniser l'offre de formation à destination des professionnels de la petite enfance, afin qu'elle ne soit pas tributaire de plans ponctuels.

Recommandation : pérenniser une offre de formation à destination des professionnels de la petite enfance

E. VERS UN SERVICE PUBLIC DE LA PETITE ENFANCE ?

1. Une diversité de l'offre qui peut être sous-optimale du point de vue des pouvoirs publics

La diversité des modes d'accueil du jeune enfant en France est un atout qui permet de garantir une certaine liberté de choix aux familles.

Pour autant, cette diversité ne permet pas toujours un pilotage optimal.

Ainsi, une partie importante des familles se tourne vers l'accueil individuel, par des salariés du particulier employeur qui ne sont pas nécessairement formés, ou par des modes d'accueil collectif qui ne sont pas régulés, dans leur mode de fonctionnement comme dans leurs coûts, par la branche famille. Ces solutions, qui donnent à droit à une prise en charge partielle (au titre du complément de mode de garde) et à des aides fiscales, peuvent avoir un effet inflationniste, voire donner lieu à un effet anti-redistributif de la politique familiale.

En outre, l'éclatement des instruments de la politique de l'accueil du jeune enfant entre une multitude d'acteurs publics et privés ne facilite pas la maîtrise des coûts ni le pilotage qualitatif de l'offre d'accueil. Enfin, cette situation est créatrice d'inégalités sociales et territoriales.

Recommandation : faire du schéma départemental de service aux familles, désormais généralisé à l'ensemble des départements, l'instrument privilégié d'une meilleure adéquation de l'offre d'accueil aux besoins des familles et des territoires, en associant tous les acteurs de la petite enfance et de la parentalité.

2. L'absence de prise en charge globale de l'éducation

Chez certains de nos voisins, un même ministère est compétent aussi bien pour l'accueil du jeune enfant que pour l'accueil scolaire.

Dans l'édition 2019 du rapport Eurydice, la Commission européenne note que, au sein des pays étudiés, la division traditionnelle entre la phase d'accueil de la petite enfance et celle d'enseignement pré-primaire disparaît progressivement au profit d'une approche intégrée, qui « semble offrir de meilleures possibilités en matière de gestion des ressources et de résultats des enfants en ce qui concerne leur développement global ».

Il existe en France une véritable césure entre accueil du jeune enfant et entrée à l'école maternelle, désormais obligatoire à l'âge de trois ans. Elle mériterait d'être atténuée par un travail en commun entre acteurs de la petite enfance et de l'éducation, avec l'objectif de mieux articuler leurs approches et de favoriser une réelle continuité éducative.

3. La nécessaire réflexion sur un système plus intégré

La rapporteure estime donc nécessaire d'engager une réflexion sur la possibilité et les implications d'un service public de la petite enfance, et donc d'un droit pour chaque famille à trouver une solution d'accueil de son enfant. Ce droit garanti, vers lequel le rapport Cyrulnik propose d'aller et qui pourrait conduire à proposer systématiquement aux familles une solution d'accueil, dans une logique d'« aller vers », rapprocherait la France des pays européens les plus volontaristes en la matière 93 ( * ) et serait cohérent avec les objectifs de développement durable (ODD) promus par les Nations unies 94 ( * ) .

Un tel service public pourrait être assuré par la branche famille ou délégué aux collectivités territoriales, selon des règles établies au niveau national.

Il conviendrait d'en définir le format, qui ne serait pas nécessairement celui d'un accueil à temps plein entre 0 et 3 ans pour tous, mais pourrait constituer un socle garantissant un accès significatif, en termes de durée de présence et de régularité, à un mode d'accueil formel répondant à des critères de qualité - crèche, maison ou relais d'assistants maternels - pour tous les enfants de moins de 3 ans.

Il serait bien entendu nécessaire de prévoir les modalités de financement public d'un tel accueil, tout en prévoyant une participation financière des familles, modulée en fonction du revenu.

Enfin, l'existence d'un service public d'accueil du jeune enfant ne ferait pas obstacle au maintien, en parallèle, d'une offre privée, financée par les familles ou par les employeurs 95 ( * ) .

Une réflexion à mener sur le congé parental

Les conclusions de la commission Cyrulnik sur les 1 000 premiers jours de l'enfant, qui soulignent l'importance de la présence des parents au début de la vie de l'enfant, et des exemples étrangers conduisent à s'interroger sur les évolutions souhaitables du congé parental.

La loi du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes 96 ( * ) a réformé le congé parental en remplaçant le complément de libre choix d'activité (CLCA) par la prestation partagée d'éducation de l'enfant (Prepare). La durée maximale du congé parental au titre du premier enfant est ainsi restée de 6 mois mais le second parent s'est vu accorder la possibilité de prendre lui aussi 6 mois.

Pour les enfants suivants, la durée maximale du congé que peut prendre un même parent a été réduite de 36 à 24 mois, le second parent pouvant prendre un congé d'une durée maximale de 12 mois 97 ( * ) .

Cette mesure avait un double objectif. Elle visait premièrement à réduire l'éloignement des femmes du marché du travail résultant d'un congé parental trop long. Deuxièmement, elle devait inciter les pères à s'impliquer davantage dans l'éducation des jeunes enfants. La réforme, devait en outre permettre une économie substantielle pour la branche famille 98 ( * ) .

Une étude réalisée par l'OFCE en avril 2021 99 ( * ) met en évidence un bilan mitigé de cette réforme . Si l'objectif visant à encourager un retour plus rapide à l'emploi des mères est globalement atteint, un certain nombre de femmes n'ont pas repris une activité professionnelle 100 ( * ) et « la question de l'insertion professionnelle des femmes ayant de jeunes enfants et dont la situation professionnelle est incertaine reste entière ». Par ailleurs, la réforme n'a pas eu d'impact sur la répartition des rôles parentaux entre pères et mères. Le nombre de pères ayant recours au congé parental n'a en effet guère progressé , le taux de recours passant de 0,5 % à 0,8 % pour un congé à taux plein et de 0,7 % à 0,9 % pour un congé à temps partiel.

Il convient en outre de noter que le recours au congé parental demeure surtout le fait de ménages modestes. Cela s'explique largement par le niveau de la Prepare (397,20 euros à temps plein). L'interruption d'une activité professionnelle ne peut donc être assumée par les familles que si la différence entre la perte de salaire et le coût d'un mode de garde formel est relativement faible 101 ( * ) .

Un congé parental plus court mais mieux rémunéré pourrait ainsi être envisagé. La commission Cyrulnik propose par exemple un congé parental d'une durée maximale de 9 mois, partageable entre les deux parents et indemnisé à hauteur de 75 % du revenu d'activité antérieur.

Une telle solution allègerait la demande de solutions d'accueil du jeune enfant 102 ( * ) et permettrait d'engager une amélioration qualitative de cette offre.

IV. LE PARCOURS SCOLAIRE AU PRISME DE L'ÉGALITÉ DES CHANCES

Selon une étude de France stratégie 103 ( * ) publiée en 2020, un écart de niveau de vie de près de 1 000 euros par mois sépare un enfant de cadre et un enfant d'ouvrier. Sur ces 1 000 euros, 500 peuvent s'expliquer par les écarts de niveau d'éducation.

Les inégalités de parcours scolaire constituent en effet le principal facteur de reproduction des inégalités sociales. En conséquence, il est crucial que les politiques publiques scolaires intègrent cette dimension tout au long du parcours des enfants.

A. UN ACCENT MIS SUR L'ÉCOLE PRIMAIRE QUI DEVRAIT RÉDUIRE LES INÉGALITÉS DÈS LEURS RACINES MAIS NE DOIT PAS LAISSER DE CÔTÉ LES ÉLÈVES DU SECONDAIRE LES PLUS EN DIFFICULTÉ

1. Le dédoublement des classes : une initiative salutaire mais qui ne doit pas se faire au détriment des territoires ruraux

À partir de la rentrée 2017, un dédoublement progressif des classes de CP et de CE1 a été mis en oeuvre dans le réseau d'éducation prioritaire (REP) et le réseau prioritaire renforcé (REP+) afin d'atteindre un maximum de 12 élèves par classes. Ce processus a été échelonné sur les rentrées scolaires 2017-2019 et a atteint son terme lors de la dernière rentrée scolaire, ce qui a conduit à la création de 10 800 classes de CP et de CE1 , pour environ 300 000 élèves concernés.

D'après les premières évaluations menées par la DEPP 104 ( * ) , le dédoublement des classes contribue à la diminution des inégalités entre élèves scolarisés hors et en REP, au travers d'un accroissement des compétences de ces derniers.

Ces évaluations montrent en effet que, antérieurement au dédoublement, en CE1, 40 % des élèves de REP+ étaient en très grande difficulté en mathématiques et en français . Grâce au dédoublement, cette proportion serait abaissée de 7,8 % pour le français et de 12,5 % en mathématiques . En CE1, en 2019, en français, les écarts de performances entre les élèves dans et hors éducation prioritaire diminuent dans tous les domaines.

Le dédoublement, pour positif qu'il soit, ne concerne pour l'instant qu'une minorité d'élèves . Mais les inégalités de résultats à l'entrée en CP sont déjà très marquées selon le niveau social. On constate notamment un écart de vocabulaire de 40 points à l'entrée en CP entre les élèves en enseignement prioritaire renforcé (REP +) et hors enseignement prioritaire.

Il est donc crucial de poursuivre l'extension du dédoublement aux classes de grande section en enseignement prioritaire , ce qui devrait commencer à être le cas à la rentrée 2021 et concernera près de 60 000 élèves, ce qui a nécessité le recrutement de 1 900 équivalents temps plein (ETP) supplémentaires.

Les grandes sections en secteur prioritaire ne seront toutefois intégralement dédoublées qu'en 2023, pour l'ensemble des 150 000 élèves concernés et les 6 000 emplois supplémentaires. La mission d'information considère que ce calendrier doit être accéléré , afin de s'assurer que l'ensemble des enfants bénéficient rapidement de conditions d'enseignement plus satisfaisantes dès l'école maternelle.

Recommandation : accélérer le dédoublement des classes de grande section en éducation prioritaire et conduire rapidement des études permettant de mesurer leur impact sur la résorption des inégalités de résultats à l'entrée en CP.

Par ailleurs, si la mission d'information souligne l'intérêt du dédoublement, elle regrette que celui ne concerne que l'éducation prioritaire , et donc en majorité les quartiers de la politique de la ville (QPV). La dichotomie entre prioritaire et non prioritaire ne doit pas être préjudiciable aux autres établissements , au risque d'effets de seuil trop importants et conduisant à exclure des établissements où le dédoublement serait nécessaire au vu des résultats des élèves.

C'est particulièrement le cas dans des petites villes, écartées du dédoublement, qui bénéficiaient du dispositif « plus de maîtres que de classes » prévoyant l'affectation d'un maître supplémentaire au sein de certaines écoles. L'interruption de cette mesure en 2017, au profit du dédoublement en éducation prioritaire, a privé les zones rurales d'un dispositif efficace . Le dédoublement ne doit pas se faire au détriment d'autres territoires, sous peine de créer une distorsion de moyens préjudiciables en premier lieu aux villes hors QPV et aux territoires ruraux.

Recommandation : étendre le dédoublement des classes au-delà des QPV.

Enfin, le dédoublement des classes ne peut se passer d'une évolution des pratiques enseignantes afin de mieux prendre en compte les élèves les plus en difficulté.

Au cours des auditions, l'attention de la rapporteure a été attirée sur l'insuffisance de la formation, initiale comme continue, des enseignants, notamment s'agissant des problématiques liées à l'égalité des chances, à l'accompagnement des élèves les moins favorisés et à la prise en compte des inégalités de genre dans l'espace scolaire et au cours de l'orientation. La mission d'information souligne ainsi la nécessité d'une évolution de la formation des professeurs des écoles, en particulier de leur formation continue qui demeure particulièrement lacunaire à l'échelle de l'OCDE.

Recommandation : améliorer la formation des enseignants, et en particulier la formation continue des enseignants du premier degré, afin de favoriser une meilleure prise en compte des élèves les plus en difficulté.

2. L'extension récente de la scolarité doit contribuer à renforcer l'égalité des chances mais reste partiellement appliquée
a) La scolarisation à 3 ans, une nécessité contribuant à limiter les inégalités dès la petite enfance

Depuis la loi pour une école de la confiance 105 ( * ) , la scolarité est désormais obligatoire au-delà de l'âge de trois ans. Cependant, avant la mise en oeuvre de cette mesure, près de 99 % des enfants de 3 à 5 ans étaient déjà scolarisés dans des écoles maternelles. À la rentrée 2019, 99,1 % des enfants de 3 à 5 ans étaient scolarisés , contre 98,7 % à la rentrée 2018. Alors que les enfants de 4 et 5 ans étaient déjà quasiment tous scolarisés, le taux de scolarisation à 3 ans est passé de 96,5 % à 97,2 % entre 2018 et 2019 .

La scolarisation dès trois ans permet de garantir à tous les élèves un encadrement identique et contribue à développer rapidement la socialisation et le langage. La mission d'information considère que la généralisation de l'école maternelle obligatoire à trois ans va dans le bon sens, mais doit aller de pair avec un renforcement des moyens, en particulier du nombre d'ATSEM. Cette extension de la scolarité est souhaitable, d'autant plus qu'elle concerne essentiellement les familles les plus éloignées du système scolaire, les autres ayant pour la plupart déjà scolarisé leurs enfants avant même que cela ne soit obligatoire.

Par ailleurs, compte tenu des écarts de compétences entre élèves constatés à l'entrée en CP, il serait important de pouvoir mieux apprécier les écarts de niveau scolaire entre 3 et 5 ans. Les enquêtes de la DEPP ne permettent pas pour l'instant de les détailler, mais à partir de 2020, celle-ci a engagé une campagne d'évaluation nationale en maternelle qui devrait fournir de précieuses informations sur l'évolution des élèves selon leur milieu social au cours de leurs premières années. Il est en effet nécessaire d'évaluer dans quelle mesure l'école maternelle constitue le creuset des premières inégalités scolaires.

Recommandation : conduire une analyse détaillée sur l'impact de l'origine sociale sur les élèves dès trois ans au travers des premières études conduites en maternelle en 2020.

L'accueil scolaire des enfants de deux ans s'effectue quant à lui en fonction des places disponibles. Le Cnesco montre par ailleurs dans son étude 106 ( * ) que celles-ci ont connu une forte contraction au cours des vingt dernières années ainsi qu'une chute du taux de scolarisation des enfants en dessous de l'âge légal obligatoire. Le taux de scolarisation des enfants de deux ans s'élevait à 35 % au début des années 2000 et à environ 12 % en 2012.

Le taux de scolarisation à deux ans n'était que de 10,8 % à la rentrée 2019 et de 18,0 % en REP et 20,4 % en REP+. Il est variable selon les départements ( cf. annexe 2). Dans l'Ouest, le Nord et le Massif central, le taux de scolarisation est important : plus d'un enfant de deux ans sur cinq y est scolarisé.

Taux de scolarisation des enfants de deux ans (en %)

Source : Réponses au questionnaire budgétaire pour le projet de loi de finances pour 2021

Recommandation : continuer à rendre plus accessible l'accès à l'école maternelle pour les enfants de deux à trois ans.

La réallocation des moyens de l'enseignement vers le premier degré devrait permettre d'élargir de nouveau le nombre de classes afin de permettre au plus grand nombre d'enfants de deux à trois ans d'y accéder et de prévenir le plus tôt possible les inégalités de langage .

b) Renforcer l'école inclusive, une nécessité pour mieux s'adapter aux besoins des enfants en situation de handicap

En parallèle, la politique d'ouverture à destination des élèves en situation de handicap , renforcée par la loi dite pour une « école de la confiance » de 2019, doit être approfondie. L'objectif d'atteinte d'une école pleinement inclusive, garantissant les mêmes chances à tous les enfants, implique de tenir compte des particularités et des difficultés de chacun des enfants.

La politique menée depuis 2019 de dé-précarisation et de professionnalisation des accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH), désormais recrutés en contrat de droit public de trois ans, ne doit constituer qu'un début. La formation des AESH reste très lacunaire et limitée à 60 heures.

c) La formation de 16 à 18 ans : une extension souhaitable pour limiter le décrochage

La loi pour une école de la confiance 107 ( * ) prévoit que la formation est obligatoire pour tout jeune jusqu'à l'âge de sa majorité : l'instruction est donc obligatoire jusqu'à 16 ans, et la formation de 16 à 18 ans, y compris dans le cadre d'un service civique ou en apprentissage. Le contrôle du respect de leur obligation de formation par les jeunes âgés de 16 à 18 ans est assuré par les missions locales .

Ces dispositions complètent celle de la loi d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République 108 ( * ) de 2013 qui a fait de la lutte contre le décrochage scolaire une des missions centrales de l'éducation nationale . Le nombre de jeunes qui sortent chaque année du système scolaire sans qualification est aujourd'hui de 80 000 jeunes environ en 2019 pour 140 000 il y a cinq ans. Il est en baisse continue depuis 20 ans .

La mission de lutte contre le décrochage scolaire (MLDS) joue un rôle central dans la poursuite de cet objectif. Son action vise à prévenir le décrochage scolaire, à faciliter l'accès au diplôme et à la qualification des jeunes en situation de décrochage ainsi qu'à sécuriser les parcours de formation, en particulier dans le cadre du droit au retour à la formation. Il apparaît crucial de maintenir les moyens de la MLDS, qui avaient été fortement réduits dans le projet de loi de finances pour 2021 et restaurés par amendement parlementaire , pour que les succès de la lutte contre le décrochage scolaire soient pérennisés.

Recommandation : renforcer les moyens humains et financiers de la mission de lutte contre le décrochage scolaire.

3. L'indispensable orientation des moyens vers le primaire ne doit pas limiter ceux accordés au secondaire

Depuis plusieurs années, un accent est mis sur l'école primaire, au travers d'un renforcement des moyens financiers et de recrutements supplémentaires. En 2021, 1 000 enseignants de plus ont ainsi été recrutés pour le premier degré . À partir de 2020, les effectifs des classes de grande section de maternelle, de CP et de CE1 sont progressivement limités à un seuil de 24 élèves , y compris hors éducation prioritaire.

Cette mesure est d'autant plus nécessaire que le nombre d'élèves par enseignant dans le premier degré est largement supérieur en France (19,2) à la moyenne européenne (14,3) , au détriment des conditions d'enseignement. Cette proportion atteint plus de 23 élèves par enseignant dans le préélémentaire. Cette forte densité pèse essentiellement sur les élèves les moins favorisés , en particulier en éducation prioritaire hors CP et CE1.

Nombre moyen d'élèves par enseignant et par niveau en 2017

Source : État de l'école 2019, DEPP

Ce constat est malheureusement valable s'agissant de l'enseignement secondaire. Dans la plupart des établissements, les conditions d'encadrement dans le secondaire ne permettent pas une réelle prise en compte des inégalités entre élèves.

La situation est plus favorable dans le premier cycle du secondaire en France et s'élève à 14 élèves par enseignant . Il reste cependant plus élevé que dans tous les autres pays de l'Union européenne, sauf aux Pays-Bas (16) et au Royaume-Uni (15). Seule exception, dans le second cycle du secondaire, lycées professionnels, généraux et technologiques confondus, le taux d'encadrement en France, à 11 élèves par enseignant est meilleur que celui de la moyenne UE-28 (12). Toutefois, ce faible nombre est tiré vers le bas par l'enseignement professionnel, dans lequel l'encadrement est nettement inférieur à la voie générale et technologique.

Il est indispensable d'améliorer les taux d'encadrement, afin de garantir une ambiance de classe apaisée . L'enquête Pisa 2015 a indiqué que la France était l'un des trois pays de l'OCDE, avec l'Argentine et le Brésil, où les élèves font état des plus grandes préoccupations liées aux problèmes de discipline en classe . Un élève sur deux déclare qu'il y a du bruit et du désordre dans la plupart ou dans tous les cours. Faute d'encadrement suffisant, la France est l'un des pays de l'OCDE où les élèves déclarent percevoir le moins le soutien de la part de leurs enseignants.

Recommandation : réduire les taux d'encadrement dans le premier et le second degré afin qu'ils convergent vers la moyenne européenne et afin de garantir de meilleures conditions d'enseignement.

4. La carte scolaire, un outil central mais qui doit être modulé pour renforcer la mixité scolaire des établissements

La mission d'information sur la carte scolaire du Sénat en 2012 109 ( * ) l'indiquait déjà : « la ségrégation urbaine, autrement dit la spécialisation sociale des quartiers dans les agglomérations, produit une ségrégation scolaire, qui à son tour génère massivement des inégalités de destin scolaire . Il est, en effet, particulièrement préjudiciable pour les enfants, particulièrement les plus défavorisés, d'être scolarisés uniquement avec des pairs sociaux. L'effet de pairs dû à l'absence de mixité sociale et à l'homogénéité de niveau pèse lourdement sur leur scolarité. Il joue sur l'estime de soi des élèves, sur leur capacité à se projeter dans l'avenir, sur les attentes des enseignants et l'efficacité de leur action pédagogique . »

Si la carte scolaire est un outil ancien, mis en place en 1963 , son assouplissement est continu, l'objectif étant de trouver un équilibre entre la mixité sociale et la possibilité de satisfaire les souhaits des parents. La réforme de 2007 s'est traduite par une baisse de la mixité sociale dans les établissements situés en éducation prioritaire de près de 10 points. Le rapport du Cnesco de 2016 110 ( * ) indique que cette réforme n'a pas eu les effets positifs attendus : « certes quelques académies, comme Paris, ont vu les taux de boursiers progresser dans leurs lycées les plus élitistes, mais les procédures Affelnet, orientées sur l'objectif trop rustique de progression des boursiers dans les lycées favorisés, n'ont pas permis de diversifier socialement la composition des lycées ».

Pourtant, aux termes de la loi pour la refondation de l'école de la République 111 ( * ) , « le service public de l'éducation veille à la mixité sociale des publics scolarisés au sein des établissements d'enseignement ».

Actuellement, les familles peuvent demander une dérogation afin que leur enfant soit scolarisé dans un établissement de leur choix, dans la limite de la capacité d'accueil de cet établissement. Les élèves boursiers bénéficient d'une priorité dans l'attribution des dérogations.

À la rentrée 2017, dernière année pour laquelle les données sont consolidées, 58 700 demandes de dérogation à l'entrée en sixième ont été formulées et 39 700 dérogations accordées . Le taux de demandes de dérogation est en légère baisse par rapport à 2015 et s'établit à 9 % à la rentrée 2017 (pour 9,5 % en 2014). Le taux de satisfaction est de 68 %, stable par rapport à 2014.

De nombreuses initiatives destinées à améliorer la mixité des établissements scolaires sont prises au niveau local. Ainsi, pendant l'année scolaire 2018-2019, plus de 70 projets en ce sens ont été réalisés, ayant impliqué 250 collèges . Il est indispensable de soutenir les initiatives prises par les établissements et les élus locaux . La mission d'information considère que l'objectif d'accroissement de la mixité sociale doit être un élément clé du dialogue de gestion avec les académies et les chefs d'établissement.

Mise en place de secteurs communs pour les collèges :
l'expérimentation parisienne

Au mois de janvier 2017, le Conseil de Paris (conseil du département de Paris) relevait l'ampleur des contrastes sociaux entre quartiers pourtant proches géographiquement et l'importance de l'évitement vers le secteur privé des catégories sociales les plus favorisées. Constatant que les collèges parisiens se caractérisent par des niveaux de ségrégation sociale parmi les plus élevés de France, le département de Paris a donc voté la création de 3 secteurs bi-collèges (18 ème et 19 ème arrondissements).

Ce dispositif consiste à définir des secteurs communs à plusieurs collèges géographiquement proches mais présentant des compositions sociales contrastées . L'objectif est de rééquilibrer le recrutement social des collèges dont les secteurs sont fusionnés

Ce dispositif a été évalué par l'institut des politiques publiques (IPP) en février 2021 112 ( * ) . Il résulte de cette évaluation que deux des trois secteurs auraient atteint leur objectif de mixité sociale. Si le troisième secteur n'a pas permis de rééquilibrer à court terme la composition sociale des collèges concernés, les résultats de l'évaluation permettent d'envisager plusieurs pistes d'amélioration.

Selon le rapport de l'IPP, « Au-delà du cas parisien, les secteurs multi-collèges constituent une piste prometteuse pour favoriser la mixité sociale dans l'enseignement secondaire public lorsque, comme c'est le cas à Paris, la densité de population est suffisamment importante et le tissu urbain suffisamment diversifié pour permettre un brassage social des publics scolaires. »

Recommandation : étendre l'expérimentation de secteurs communs menée dans les collèges parisiens à d'autres métropoles françaises et prolonger cette expérimentation à Paris.

B. DES DISPOSITIFS D'ACCOMPAGNEMENT DES ÉLÈVES MULTIPLES MAIS DONT LA COORDINATION N'EST PAS TOUJOURS GARANTIE

La réduction des inégalités scolaires doit passer par une amélioration de l'environnement des élèves , pendant le temps passé à l'école mais également en prenant compte les difficultés d'accès à l'établissement scolaire, du fait de la distance avec le domicile par exemple.

1. Des dispositifs d'excellence dont le déploiement toujours en cours apparaît insuffisant
a) Une politique de développement des internats qui n'est pas à la hauteur des opportunités qu'ils offrent

Le maillage des internats dans le second degré est indispensable afin de maintenir une équité territoriale entre élèves, et concerne près de 4 % des élèves . Dans les zones rurales, les temps de transports peuvent parfois être si longs que la scolarité s'en ressent nécessairement. Selon le rapport du Cnesco de 2016 113 ( * ) , le réseau des internats reste peu développé : en 2016, seuls 56 % des lycées en moyenne sont dotés d'un internat et seulement 5 % des collèges, la densité étant toutefois supérieure dans les académies les plus rurales. Un département sur cinq ne compte aucun internat, alors que dans les départements très ruraux, les trois quart des collèges en sont dotés 114 ( * ) .

Il est regrettable que les internats soient fréquemment sous-occupés , dès lors qu'en moyenne, selon le même rapport du Cnesco, 8 places sur 10 étaient pourvues à la rentrée 2017. D'après la DEPP, en 2020, seules 77,5 % des places d'internats en moyenne étaient occupées.

Taux d'occupation des internats en collèges et lycées publics en 2020

Source : DEPP, Géographie de l'école 2021

Une prime à l'internat est attribuée à tous les élèves boursiers scolarisés en internat. Depuis la rentrée 2020, elle est revalorisée : elle varie selon l'échelon de bourse détenu de 258 à 423 euros.

Les internats d'excellence, créés en 2008 puis reconduits sous le nom d'internats de la réussite, s'adressent à tous les élèves ne bénéficiant pas d'un environnement favorable pour réussir leurs études . Ils sont accessibles en priorité aux élèves relevant de l'éducation prioritaire, des quartiers prioritaires de la politique de la ville ou issus des zones rurales, isolés ou défavorisés par leur condition sociale, économique, familiale ou géographique.

Le plan « internats du XXI ème siècle » a été lancé en 2018 pour être déployé entre 2020 et 2022, afin de renforcer les capacités actuelles d'accueil en internat de 13 000 places. L'objectif est de disposer d'au moins un établissement labellisé internat d'excellence par département, soit 100 structures (70 collèges et 30 lycées) d'ici 2022.

Cependant, la mission d'information déplore que les financements des internats soient régulièrement différés, ce qui limite leur ambition. Ainsi, le deuxième plan d'investissement d'avenir (PIA 2) prévoyait un financement initial des internats d'excellence à hauteur de 138 millions d'euros , qui auront été in fine réduits à 14 millions d'euros . Les moyens accordés aux internats demeurent donc trop modestes, face aux besoins des zones rurales et aux opportunités que ces internats offrent aux élèves boursiers.

Par ailleurs, la création d'un internat d'excellence s'inscrit dans une logique de cofinancement avec les collectivités territoriales volontaires , ce qui suppose la bonne volonté de ces dernières et la mobilisation de leurs ressources. Les collectivités doivent être davantage accompagnées, notamment au travers de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) .

Recommandation : développer l'accompagnement des collectivités afin d'encourager le développement d'internats et renforcer les moyens accordés aux internats de la réussite.

b) Les vacances apprenantes, un dispositif temporaire lancé en 2020 qui gagnerait à être pérennisé

Durant les vacances d'été 2020, un dispositif de « vacances apprenantes » a été proposé afin de permettre aux élèves les plus fragiles d'être mieux préparés à la rentrée de septembre en étant accueillis à l'école pendant la première quinzaine de juillet et la dernière quinzaine d'août. Les vacances apprenantes permettent ce faisant de lutter contre les retards et les risques de décrochage.

En 2020, 193 millions d'euros avaient été accordés pour les vacances apprenantes, permettant à près de 945 000 élèves d'en bénéficier grâce à la mobilisation d'environ 20 000 agents . Les vacances apprenantes s'appuient notamment sur le dispositif « école ouverte » préexistant, qui permet aux élèves des zones défavorisées de reprendre contact avec l'école de manière plus fluide et plus progressive , en revenant à la fin de l'été dans le cadre d'activités éducatives. Les vacances apprenantes fonctionnent sur la base du volontariat des communes ainsi que des enseignants.

S'agissant de « l'école ouverte » en 2020, sur l'ensemble des écoles et établissements porteurs de l'opération, 43 % sont issus des territoires de l'éducation prioritaire, et 30 % sont situés en zone rurale ou isolée.

La commission de la culture du conseil d'orientation des politiques de jeunesse a rendu un avis sur les vacances apprenantes en février 2021 dans lequel elle considère que « le dispositif facilite le transfert d'apprentissage d'un espace éducatif à l'autre, dans un processus “gagnant-gagnant” qui nourrit le concept de communauté éducative ».

La mission d'information considère également que ce dispositif est utile et salue sa reconduction en 2021 . Cependant, afin que les acteurs, notamment associations et élus locaux, puissent anticiper, il serait souhaitable que les vacances apprenantes soient pérennisées , et que les niveaux de financement initiaux soient maintenus. En effet, 120 millions d'euros ont été accordés en 2021, contre 193 en 2020 , et il est nécessaire que cette baisse soit interrompue afin de permettre d'étendre le dispositif aux plus grand nombre d'établissements.

Recommandation : pérenniser et accroître le dispositif des vacances apprenantes.

c) Devoirs faits : des réalisations encourageantes mais devant être approfondies

Le dispositif « devoirs faits » , fonctionnant sur le volontariat des élèves, est proposé au collège depuis la rentrée 2017. Il consiste en un temps dédié, en dehors des heures de classe mais dans l'établissement scolaire, à l'accomplissement par le collégien des devoirs demandés par ses professeurs, afin qu'il puisse rentrer chez lui une fois ses « devoirs faits ».

Le dispositif est rapidement monté en charge. Pendant l'année scolaire 2018-2019, près de 755 000 élèves ont participé au dispositif, soit 28 % de l'ensemble des élèves de collège . Pour l'année scolaire suivante, 2019-2020, plus de 707 000 élèves en ont bénéficié, ce qui représente environ 29,4 % de l'ensemble des élèves des collèges. Le niveau sixième est le plus concerné, afin de permettre aux enfants de s'autonomiser progressivement et de limiter la rupture avec l'école élémentaire. Ainsi, 40 % des élèves de sixième sont bénéficiaires de « devoirs faits ».

Devoirs faits concerne l'ensemble des élèves, mais est particulièrement ciblé sur les élèves les plus en difficulté et ne disposant pas toujours d'un environnement favorable à la réalisation de leurs devoirs une fois rentrés chez eux : en REP+, 44,3 % des élèves en sont bénéficiaires, ce que la mission d'information considère comme très encourageant.

L'objectif initial du dispositif est d'assurer 3 heures par semaine à chaque élève volontaire dans chaque collège. Toutefois, le nombre moyen d'heures hebdomadaires est encore très inférieur à cet objectif, de deux heures par semaine en moyenne , contre 1,8 heure lors de la mise en place début 2018.

Une mission de l'inspection générale de l'éducation nationale 115 ( * ) a précisé les conditions pour que « devoirs faits » soit le plus efficace possible, et notamment la concentration prioritaire du dispositif sur les élèves qui éprouvent le plus de difficultés en mathématiques et français , avec un taux d'encadrement élevé d'au moins un encadrant pour quinze élèves , et la nécessité pour les élèves de participer plusieurs heures par semaine pour que les résultats soient observables.

Si le volontariat doit rester le principe pour s'assurer de la motivation des élèves, « devoirs faits » doit être le plus possible ciblé sur les élèves qui en ont le plus besoin, à la fois en termes de milieu familial et de résultats scolaires . Pour ce faire, les enseignants doivent être le plus possible encouragés à participer, en particulier auprès des sixièmes et des cinquièmes.

« Devoirs faits » rencontre par ailleurs plusieurs limites. En premier lieu, il ne commence chaque année qu'à partir des vacances de la Toussaint, alors qu'il serait plus judicieux d'enclencher une dynamique positive dès la rentrée de septembre , et de permettre aux élèves ayant du retard en début d'année de le rattraper le plus rapidement possible.

L'autre enjeu est d'assurer une continuité avec le CM2, comme c'est déjà le cas dans les outre-mer, où un dispositif similaire à « devoirs faits » existe pour les écoles élémentaires depuis 2018. Cela permettrait de garantir à tous les enfants des conditions d'apprentissage satisfaisantes et de limiter les écarts de niveau.

Recommandation : étendre le dispositif devoirs faits aux écoles élémentaires situées dans les zones les plus en difficulté en France métropolitaine.

Dernier aspect, « devoirs faits » ne s'applique que partiellement aux écoles situées en zone rurale . En effet, les élèves qui y participent rentrent plus tard, c e qui s'articule parfois difficilement avec les transports scolaires et contraint les élèves à rentrer trop tard ou à manquer les transports. Cet aspect doit être impérativement amélioré afin de s'assurer que cette initiative puisse bénéficier à tous.

Recommandation : adapter « devoirs faits » aux contraintes des territoires ruraux, en particulier en modulant les horaires des transports scolaires.

2. Les cités éducatives et les territoires éducatifs ruraux, des expérimentations qui doivent être encouragées

L'expérimentation des « cités éducatives » a été annoncée par le Président de la République en juillet 2018. Les 120 territoires concernés en 2021 ont pour objectif de lutter contre les inégalités par la mobilisation de tous les acteurs agissant dans le quotidien des enfants et des jeunes de 3 à 25 ans, autour des enjeux éducatifs . Pour obtenir la qualité de cité éducative, les territoires candidats doivent comprendre une population de plus de 5 000 habitants, être situé en réseau d'éducation prioritaire (REP) , en réseau d'éducation prioritaire renforcé (REP+) ou en zone de sécurité prioritaire (ZSP).

Afin de soutenir leur déploiement, 100 millions d'euros sont consacrés à ces cités éducatives de 2020 à 2022 , soit 34 millions d'euros par an, avec un objectif final de 200 cités.

En outre, un « fonds de la cité éducative » de 30 000 euros dans chaque territoire est financé à parité entre le ministère chargé de l'éducation nationale et le ministère chargé de la politique de la ville.

Le principe d'une cité éducative repose moins sur l'attribution de moyens supplémentaires que sur une meilleure coordination et un travail de convergence de l'ensemble des acteurs éducatifs (éducation nationale, collectivités, habitants et familles, monde associatif, entreprises) ainsi qu'un renforcement des dispositifs existants. La mise en place d'une cité éducative passe également par la signature de conventions entre le territoire et l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT).

Une première évaluation du comité national de suivi des cités éducatives (Cnoe) 116 ( * ) a été rendue au printemps 2021. Elle considère que, si le déploiement actuel du dispositif est satisfaisant, « doivent être reconsidérés, à la fois l'effectif de l'équipe de la coordination nationale, mais aussi son organisation et éventuellement celle de ses relais territoriaux ».

Un exemple de cité en cours de déploiement :
la cité éducative de Gennevilliers

Le président et la rapporteure de la mission d'information ont rencontré le 3 juin 2021 à Gennevilliers les principaux acteurs, institutionnels comme associatifs, de la cité éducative. Ces derniers soulignent tous l'intérêt d'une telle démarche qui les réunit autour de projets communs, au niveau d'un quartier, et en partant de la situation du territoire et du tissu associatif local.

La ville de Gennevilliers a lancé l'opération cité éducative en décembre 2019, dans le quartier du Luth . Sont concernés par le dispositif tous les enfants et jeunes du territoire du Luth de 0 à 25 ans, et en particulier l'ensemble des élèves fréquentant les établissements scolaires du réseau REP + Guy Môquet. Le collège accueille 700 élèves, et, au vu des résultats au diplôme national du brevet, il se place au 4 065 e rang en termes de réussite scolaire au niveau national (sur 5 300).

Le territoire concerné par la cité éducative rassemble près de 43 000 habitants, dont 4 500 en QPV. Les moins de 25 ans représentent 40,8 % de la population. Le taux de pauvreté s'élève à 27,3 % à l'échelle de l'agglomération et à 33,7 % à celle de la population du QPV.

La cité éducative est en cours de déploiement, celui-ci devant s'étendre jusqu'à 2023. La chronologie de mise en place est la suivante : en 2019 : mobilisation des partenaires et réalisation d'un diagnostic relationnel ; depuis 2020 : mise en oeuvre d'une ingénierie de projet, création d'un observatoire et du référentiel d'évaluation pour la mise en synergie de tous les acteurs ; en 2022 : déploiement complet du programme d'actions.

Le pilotage de la cité passe par plusieurs instances distinctes, autour des trois acteurs centraux que sont la préfecture, la mairie et les services de l'éducation nationale. Les associations sont impliquées et une attention particulière est portée à l'association des familles. L'ensemble des acteurs sont réunis dans le cadre des assises de la cité éducative.

Au cours des échanges, il a été constaté que la cité éducative constituait moins un dispositif supplémentaire qu'une mise en synergie des acteurs éducatifs du territoire . Par principe, les projets financés doivent être collaboratifs , avec l'objectif de mieux coordonner les actions conduites dans tous les espaces de vie , et pas seulement à l'école, de la petite enfance à l'insertion professionnelle .

Ont été particulièrement abordés les actions concernant les jeunes enfants (lectures de contes dans toutes les structures accueillant des jeunes enfants), la préparation des collégiens au stage de 3 ème et l'utilisation du sport comme vecteur d'insertion professionnelle des jeunes sans diplôme ou qualification.

Le président et la rapporteure ont pu mesurer la qualité du projet et la diversité des actions mises en place, ainsi que le fort investissement des partenaires et acteurs de la cité éducative de Gennevilliers.

La principale limite de la plupart des cités éducatives à l'heure actuelle reste la tranche d'âge 15-25 ans et plus particulièrement l'insertion professionnelle et les relations avec le monde du travail, dont beaucoup ne se sont pas pleinement emparées. Le chef de file de la cité éducative étant le principal du collège, il est fréquent que celui-ci ne soit pas centré sur les sujets de formation. Le Cnoe montre que les thématiques relatives à la sécurisation des parcours, aux relations avec les familles, au numérique et à la culture sont les plus répandues dans les plans d'actions des cités éducatives.

L'expérimentation des cités éducatives doit s'étendre jusqu'en 2023. Or, la construction d'une synergie entre tous les acteurs de terrain et la mise en place des actions ne peuvent être complètes sur une courte durée , d'autant plus que la crise sanitaire a considérablement ralenti le déploiement des actions en 2020 et 2021. En conséquence, il semble indispensable de pérenniser le dispositif, tout en veillant à la qualité de la labellisation des cités éducatives afin de limiter les effets d'aubaine.

Recommandation : pérenniser les cités éducatives, en envisageant l'extension du dispositif à l'ensemble du territoire, hors des réseaux d'éducation prioritaire.

Si la mise en place de cités éducatives constitue une initiative très positive, elle ne concerne pour l'instant que les quartiers relevant de la politique de la ville. Étant donné le succès dont elles font preuve jusqu'à présent, il a été envisagé de décliner le principe des cités éducatives en 2020. L'expérimentation de 23 « territoires éducatifs ruraux » , permettant de fédérer associations et collectivités territoriales autour d'un collège rural, dans les académies de Normandie, d'Amiens et de Nancy-Metz a été lancée en janvier 2021. Les contrats de ces territoires éducatifs ruraux ont été signés au printemps 2021 et un bilan à mi-parcours aurait dû être effectué en juin, sans avoir été publié s'il a été réalisé. La mission sera attentive aux résultats de cette expérimentation.

C. UN SERVICE PUBLIC DE L'ORIENTATION TOUJOURS LACUNAIRE

L'égalité des chances entre élèves suppose un service public de l'orientation qui permettrait à chacun de disposer d'une information de qualité. Trop de jeunes se limitent encore dans leur orientation et se privent par méconnaissance ou par autocensure de l'accès à certaines filières.

1. Un service de l'orientation limité ne parvenant pas à ouvrir les horizons des élèves et entretenant les phénomènes d'autocensure
a) Des acteurs nombreux ne parvenant pas à rendre l'orientation moins déséquilibrée en faveur des élèves les plus favorisés socialement

À l'heure actuelle, le service public de l'orientation repose essentiellement sur l'Onisep . Celui-ci est un opérateur organisé en réseau avec des services centraux en Ile-de-France, 17 délégations régionales (Dronisep) et 28 sites situés sur l'ensemble du territoire français.

La compétence de l'Onisep a cependant été fortement modifiée dans le cadre de la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel de 2018 117 ( * ) , qui a transféré une partie des compétences des Dronisep aux régions. Désormais, la région organise des actions d'information sur les métiers et les formations ainsi que sur la mixité des métiers et l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes en direction des élèves et de leurs familles. En conséquence, le réseau Onisep en région a diminué en 2022 de 155 personnes sur 250.

Le système français d'orientation est toutefois trop souvent limité à une sélection, pour ne pas dire un tri, des élèves, ceux scolarisés dans des établissements moins favorisés étant trop fréquemment écartés des voies les plus sélectives . En d'autres termes, selon les auteurs d'un récent rapport de l'inspection générale de l'éducation nationale (IGEN) 118 ( * ) , « c'est dans l'orientation que se lisent avec le plus de brutalité les inégalités sociales et de genre dont souffre notre système scolaire ».

L'orientation se limite à un aiguillage lors des deux étapes que constituent la fin du collège et la fin du lycée . En conséquence, les réorientations sont de plus en plus fréquentes : ainsi, plus d'un bachelier sur quatre se réoriente au cours de son parcours dans l'enseignement supérieur 119 ( * ) , généralement au cours des premières années dans le supérieur : une réorientation sur deux se fait entre la première et la deuxième année et un quart entre la deuxième et la troisième année. Moins de 30 % des inscrits en première année de licence obtiennent leur diplôme en trois ans.

D'après une enquête réalisée en 2015 et citée par le rapport de l'IGEN, deux tiers des élèves déclarent qu'ils auraient souhaité être davantage accompagnés dans leur orientation, principalement au niveau du lycée.

Comme le signalait déjà un précédent rapport du Sénat 120 ( * ) , « dans ce processus, l'élève apparaît encore trop souvent passif, son orientation et son affection se fondant essentiellement sur les notes obtenues. L'orientation est encore fréquemment perçue comme une sanction des résultats scolaires, et non comme la construction du choix d'un parcours de formation » alors que « la multiplication des intervenants, le foisonnement d'une information de qualité variable et l'opacité des procédures d'affectation font de l'orientation un sujet d'anxiété, voire de souffrance, pour de nombreuses familles » et « pénalisent particulièrement celles qui sont les plus éloignées de la culture scolaire ».

b) Une réforme indispensable pour rapprocher l'information des élèves

L'article L. 331-7 du code de l'éducation dispose que élève doit construire un « parcours individuel d'information, d'orientation et de découverte du monde économique et professionnel », destiné à « éclairer ses choix d'orientation ».

L'information à l'orientation est encore trop limitée à la consultation d'un des sites de l'Onisep. S'agissant de l'orientation comme de la plupart des autres secteurs des politiques de la jeunesse, l'égalité des chances doit se traduire par une attention aux familles les plus éloignées du système scolaire et par une adaptation des moyens selon les difficultés des territoires.

Les établissements sont le premier lieu où la question de l'orientation doit être abordée, ce qui n'implique pas de se limiter à un angle purement scolaire, mais doit au contraire impliquer une ouverture vers le monde professionnel , pour appréhender la diversité et de la réalité des métiers , notamment à travers des visites d'entreprises ou la venue d'intervenants extérieurs. Au cours des auditions, l'insuffisante sensibilisation aux métiers de l'industrie a notamment été soulignée.

Depuis 2018 121 ( * ) , 12 heures en classe de 4 e , 36 heures en 3 e et 54 heures au lycée devraient être consacrées à l'accompagnement à l'orientation . Ces créneaux ne sont toutefois pas obligatoires. Bien souvent, les chefs d'établissement privilégient d'autres enseignements optionnels. La mission d'information reprend ainsi la recommandation formulée par des collègues députés dans un récent rapport d'information 122 ( * ) consistant à inscrire comme obligatoires dans l'emploi du temps des élèves de lycées les 54 heures annuelles consacrées spécifiquement à l'orientation , avec une évaluation par le recteur d'académie de l'utilisation de ces heures.

Recommandation : comme le préconisent de nombreux acteurs, rendre obligatoires les heures consacrées à l'orientation au lycée et les ouvrir sur la diversité et la réalité des métiers, avec des visites d'entreprises ou la venue de professionnels.

Selon un rapport de la Cour des comptes 123 ( * ) , le temps cumulé consacré à l'orientation en 2018-2019 a souvent été très inférieur à deux semaines. Plus d'un tiers des élèves n'avaient pas bénéficié de l'intervention d'universitaires ou d'intervenants professionnels avant leurs choix d'orientation.

Il est enfin indispensable de mieux associer les familles et de s'assurer que les élèves soient pleinement partie prenante de leur orientation. Bien souvent, les familles peinent à identifier les interlocuteurs compétents, en particulier à la suite de la réforme de 2018. Il serait souhaitable de transmettre à toutes les familles une liste des interlocuteurs en matière d'orientation , de leurs compétences respectives et des modes de contact. En outre, l'orientation devant être construite tout au long du parcours scolaire, il est nécessaire de créer des réunions associant les élèves, la famille, les enseignants et les spécialistes de l'orientation, permettant d'accompagner les familles et de donner à tous les mêmes instruments en matière d'orientation.

Recommandation : prévoir, dès le début du collège, l'instauration de rendez-vous réguliers associant la famille de l'élève sur l'orientation.

Enfin, la formation des enseignants demeure très lacunaire en matière d'orientation . Un renforcement de leur formation, et notamment au cours de la formation continue, serait indispensable, et non uniquement pour les professeurs principaux, l'orientation étant construite par l'ensemble de l'équipe éducative.

Recommandation : intégrer la formation au conseil en orientation dans la formation initiale et continue des enseignants.

2. La réforme du baccalauréat et l'instauration de Parcoursup ont pu renforcer les inégalités entre élèves
a) Les enseignements de spécialité, une complexité défavorable aux élèves les moins favorisés

La réforme du lycée entraîne une nouvelle organisation des enseignements . Pour la voie générale, celle-ci passe par une spécialisation progressive entre la classe de première et de terminale au travers d'enseignements de spécialité, les séries (S-L-ES) étant supprimées. Les élèves choisissent ainsi une combinaison de trois enseignements de spécialité en première, puis deux en terminale.

Cette réforme contribue à accroître les inégalités entre élèves sur au moins deux aspects. D'une part, la complexité de la combinaison des choix de spécialités favorise les familles les mieux informées , capables de déterminer quelles seront les spécialités qui seront les plus demandées pour intégrer certaines filières de l'enseignement supérieur.

Les enseignements scientifiques sont toujours plus choisis par les élèves d'origine sociale favorisée , comme l'était la série scientifique avant la réforme, tandis que l'histoire-géographie, les langues et les humanités ainsi que les disciplines artistiques sont plus choisies par les élèves d'origine sociale défavorisée qu'en moyenne. Ainsi, si 68,6 % des élèves ont choisi de suivre la spécialité « mathématiques », les élèves d'origine sociale très favorisée sont 75,7 % à avoir choisi cette spécialité, soit près de dix points au-dessus de la moyenne nationale. Inversement, seuls 61,9 des élèves d'origine sociale défavorisée suivent un enseignement de mathématiques en spécialité en première .

Enseignements de spécialité choisis selon l'origine sociale à la rentrée 2019

Enseignement de spécialité

% d'élèves d'origine sociale très favorisée ayant choisi la spécialité

% d'élèves d'origine sociale favorisée ayant choisi la spécialité

% d'élèves d'origine sociale moyenne ayant choisi la spécialité

% d'élèves d'origine sociale défavorisée ayant choisi la spécialité

% d'élèves ayant choisi la spécialité

Mathématiques

75,7

68,5

64,9

61,9

68,6

Physique-chimie

52,6

47,6

42,9

41,0

46,7

Sciences de la vie et de la terre

41,8

44,9

43,3

43,6

42,9

Scicences économiques et sociales

36,9

37,6

41,4

41,9

39,2

Hist-géo. géopolitique et sciences politiques

33,1

33,6

36,6

37,0

34,9

Langues, littérature et cultures étrangères et régionales

24,5

28,1

31,1

32,2

28,4

Humanités, littérature et philosophie

14,6

18,2

19,7

21,8

18,1

Numérique et sciences informatiques (NSI)

8,7

8,4

7,7

7,7

8,1

Sciences de l'ingénieur (SI)

6,2

6,3

5,3

5,6

5,8

Arts plastiques

2,6

3,2

3,4

3,5

3,1

Cinéma-audiovisuel

1,0

1,2

1,2

1,2

1,1

Théâtre

0,6

0,7

0,8

0,8

0,7

Histoire des arts

0,6

0,6

0,7

0,7

0,7

Musique

0,5

0,5

0,5

0,5

0,5

Littérature et LCA latin

0,2

0,2

0,2

0,4

0,3

Danse

0,1

0,1

0,1

0,1

0,1

Littérature et LCA grec

0,0

0,1

0,1

0,1

0,1

Arts du cirque

0,0

0,0

0,0

0,0

0,0

Biologie écologie

0,0

0,0

0,0

0,0

0,0

Source : Mission d'information d'après la DEPP

D'autre part, tous les lycées ne peuvent pas proposer l'intégralité des spécialités. Toutes les académies ne peuvent en effet maintenir une offre élargie en proposant des spécialités qui ne seront finalement choisies que par un seul élève . Cette offre limitée sur certains territoires aboutit à une concentration des élèves dans les spécialités les plus demandées, la faiblesse de l'offre engendrant celle de la demande . Toutes les académies ne proposent pas le même nombre de combinaisons de spécialités. Ainsi, l'académie de Versailles en propose 243, quand celle de Corse n'en propose que 91 . Les établissements sont pris entre deux injonctions contradictoires, celle de contribuer à la couverture des enseignements sur le territoire et celle de maîtrise des effectifs , qui impose de ne pas conserver d'option ouverte pour un trop faible nombre d'élèves.

L'enjeu crucial est de garantir un égal accès aux spécialités ou aux combinaisons originales sur l'ensemble du territoire, qui n'est à l'heure actuelle pas garanti.

b) Les modalités d'affectation dans l'enseignement supérieur restent fortement inégalitaires

La Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) a rendu en mai 2021 un avis 124 ( * ) portant notamment sur le logiciel Parcoursup, qui affecte les élèves dans l'enseignement supérieur, essentiellement en fonction de leurs voeux et surtout des capacités d'accueil des différentes filières.

À l'heure actuelle, les élèves candidats mettent à disposition des établissements au travers de Parcoursup leurs notes et appréciation, des lettres de motivation pour chacune des demandes formulées, un avis du chef d'établissement sur le voeu de l'élève et, pour une partie des filières, la mention du lycée d'origine. Des éléments sur la situation sociale des candidats (par exemple, l'échelon de bourse de l'élève) peuvent également apparaître.

La mention du lycée d'origine est selon la CNCDH la plus problématique. La Cour des comptes 125 ( * ) évalue à 20 % la part d'établissements qui utilisent la mention du lycée d'origine pour classer les élèves. Cette pratique « risque de pénaliser les élèves provenant d'établissements peu ou mal réputés ». La Cour des comptes comme la CNCDH recommandent donc d'harmoniser les notes des candidats en tenant compte de l'écart constaté entre les résultats du baccalauréat et la notation du contrôle continu dans le lycée d'origine. Cependant, le poids du contrôle continu dans le baccalauréat allant croissant, cette recommandation ne parviendrait pas totalement à limiter les risques de discrimination. La suppression de la mention du lycée d'origine serait sans doute plus simplement efficace.

La Cour des comptes considère par ailleurs Parcoursup comme une plateforme « dont la sécurité et la pérennité doivent être assurés. [...] La procédure d'affectation souffre encore d'un défaut de transparence, seule garante de l'équité ». Les critères de sélection fixés par les commissions d'examen des voeux varient en fonction des types d'établissements et sont souvent opaques. La Cour souligne cependant que la publication « d'attendus » pour chaque formation sur Parcoursup constitue une avancée positive.

3. Le mentorat, une initiative positive à développer en complément du service public de l'orientation
a) L'instauration des cordées de la réussite a permis l'accompagnement de nombreux élèves

Les « cordées de la réussite » sont un dispositif déjà ancien, créé en 2008 dans le cadre de la dynamique Espoir banlieues. Elles visent à développer des actions de soutien scolaire, d'accompagnement à l'orientation et d'ouverture culturelle au travers de tutorat assuré par des étudiants et des partenariats entre un ou plusieurs établissements d'enseignement supérieur d'une part et des lycées ou collèges d'autre part. L'objectif du ministère de l'éducation nationale est « de lever les obstacles psychologiques, sociaux et/ou culturels qui peuvent freiner l'accès des jeunes aux formations de l'enseignement supérieur, notamment aux filières les plus sélectives » 126 ( * ) .

On dénombre actuellement 575 cordées de la réussite, contre 423 en 2019-2020 , soit 3 265 établissements d'enseignement secondaire concernés. En 2021, l'objectif est que 200 000 élèves soient inscrits dans les cordées de la réussite, contre 80 000 en 2018-2019, à 80 % situés dans des quartiers de la politique de la ville .

Afin de compléter les cordées de la réussite, jugées insuffisamment développées dans le réseau REP+, les « parcours d'excellence » ont été créés en 2016 . Le parcours d'excellence permettait aux élèves de 3 e scolarisés en REP+ de bénéficier jusqu'à leur terminale de travaux en groupes tutorés, de l'aide au travail personnel ainsi que de visites et de rencontres avec des étudiants et des acteurs du monde professionnel. Ces deux dispositifs ont fusionné à la rentrée 2020-2021 dans une nouvelle génération de cordées de la réussite afin de créer un accompagnement dès la classe de 4 e et se poursuivant jusqu'à la terminale.

Les cordées de la réussite ont ensuite été déclinées dans les zones rurales. L'objectif initial de 20 000 jeunes ruraux concernés a été atteint et même dépassé, dès lors que 24 000 bénéficient du dispositif. Il est nécessaire que cette dynamique se pérennise.

Selon un rapport de l'inspection générale de l'éducation nationale 127 ( * ) , les cordées de la réussite devraient faire l'objet d'une inscription dans le code de l'éducation ou a minima d'une inscription dans les priorités des projets académiques, cette dernière solution semblant de bon sens.

b) Les ambitions du plan mentorat doivent être suivies d'effet

Le Président de la République a annoncé début 2021, dans le cadre du plan « un jeune une solution », le lancement du dispositif « un jeune un mentor » destiné à développer le mentorat dans les collèges et lycées. L'objectif est d' atteindre 100 000 jeunes inscrits à un projet de mentorat fin 2021 et de poursuivre cette montée en charge rapide en 2022 avec 200 000 jeunes.

Le mentorat relève à la fois de l'orientation, de la méthodologie scolaire, de l'ouverture culturelle et la découverte d'autres secteurs professionnels et territoires.

En 2021, 30 millions d'euros sont consacrés à ce dispositif. Toutefois, au vu de l'ampleur des enjeux et des objectifs, il est à craindre que ces financements ne soient pas suffisants pour que le mentorat soit proposé à l'ensemble des jeunes de milieux modestes. Il y aurait lieu d'encourager davantage les entreprises, en les sensibilisant aux enjeux d'égalité des chances, à affecter leur taxe d'apprentissage aux associations menant des actions de mentorat. En outre, le devenir des financements après 2022 reste en suspens , une fois les objectifs de 200 000 jeunes atteints.

Recommandation : assurer la pérennité des moyens consacrés au développement du mentorat afin de permettre une proposition systématique de mentorat aux jeunes issus des milieux les plus défavorisés.

Ce « plan mentorat » consacre la dynamique associative à l'oeuvre depuis des années autour du mentorat, et qui concerne aujourd'hui 25 000 jeunes. Celui-ci permet de lutter contre les freins psychologiques et l'autocensure pour les jeunes issus de milieux modestes : selon l'association Article 1 128 ( * ) , entendue par la mission , le mentorat fait diminuer de 30 % le risque de décrochage en première année d'enseignement supérieur, augmente de 40 % les chances pour un jeune mentoré d'accéder à une grande école et de 18 % les chances d'accéder à un emploi au bout de six mois en fin d'études.

Le développement du mentorat ne saurait s'effectuer au détriment d'autres formes plus traditionnelles d'accompagnement des jeunes, comme celles mises en oeuvre par les associations d'éducation populaire. Pour autant, la mission d'information salue les ambitions du plan mentorat, qui contribue à ouvrir les horizons des jeunes, y compris dans les quartiers prioritaires et les zones rurales les plus isolées. Cependant, elle alerte sur le manque de réalisme des objectifs fixés : quadrupler le nombre d'élèves mentorés en 2021 implique une mobilisation plus large de tous les acteurs , au-delà des seules associations.

L'éducation nationale en premier lieu doit s'emparer du plan « un jeune un mentor » , alors que le lien avec la société civile n'est pas dans ses traditions. Actuellement, la mise en place du mentorat dépend du bon vouloir des chefs d'établissement ou des professeurs. Les associations de mentorat ayant conclu une convention avec le ministère de l'éducation nationale et le rectorat doivent en effet signer une convention avec chaque établissement scolaire, qui implique une validation par le conseil d'administration de chaque établissement. Dans un second temps, les équipes pédagogiques font remonter les dossiers de chaque jeune qui peut rentrer dans le dispositif. Il importe donc de conduire un véritable travail de pédagogie auprès des équipes scolaires, notamment pour les convaincre de la complémentarité des rôles entre associations et éducation nationale.

Recommandation : associer davantage les rectorats au déploiement du plan mentorat afin que l'accès des associations ne dépende pas uniquement de la bonne volonté des chefs d'établissements et des enseignants.

Les associations de mentorat soulignent toutes l'accroissement du nombre de volontaires pour devenir mentor, ce qui repose par ailleurs sur le bénévolat. Certains secteurs sont toutefois plus réticents : si le mentorat passe actuellement essentiellement par des conventions avec des entreprises, qui financent une grande part des actions de mentorat, la fonction publique n'est à l'heure actuelle que peu concernée .

Recommandation : mettre en place une campagne de communication autour du mentorat dans la fonction publique, afin de développer le recrutement de mentors fonctionnaires.

Enfin, il est souhaitable de développer la recherche publique sur les effets du mentorat. Des évaluations scientifiques permettraient de mieux appréhender les conditions nécessaires à l'obtention des bénéfices attendus, préalable à une plus forte mobilisation autour du dispositif, notamment des établissements d'enseignement scolaire et supérieur.

Recommandation : développer la recherche publique sur l'évaluation des dispositifs de mentorat.

D. DES INITIATIVES CONCERNANT L'ACCÈS À L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR QUI DOIVENT ÊTRE ENCOURAGÉES ET ÉTENDUES

a) Une ouverture des grandes écoles progressivement élargie mais qui demeure insuffisante

Depuis la création il y a vingt ans des conventions éducation prioritaire de l'école supérieure de sciences politiques de Paris , qui ont permis à 2 300 étudiants, soit 170 par an, d'intégrer l'école, la plupart des classes préparatoires et des grandes écoles ont mis en place des politiques d'égalité des chances, afin de diversifier socialement et géographiquement leur recrutement. L'Essec intègre actuellement 22 % d'étudiants répondant aux critères sociaux (dont 15 % de boursiers) grâce au programme « une grande école pourquoi pas moi » à partir de 2003, puis Cap'Essec en 2010. L'École normale supérieure de Paris a créé en 2015 une filière de recrutement dédiée aux candidats venant de l'université, comportant 10 points de plus de boursiers que le concours traditionnel en classes préparatoires.

En conséquence, l'ouverture sociale des grandes écoles s'améliore sur le long terme. La conférence des grandes écoles établit un baromètre régulier 129 ( * ) : en 2019, 30 % des étudiants des grandes écoles répondent aux critères sociaux, en hausse de 3 points par rapport à 2015 et 80 % des écoles recrutent leurs étudiants dans plus de 21 académies, dont trois ultramarines . Le taux de boursiers CROUS s'échelonne toutefois de 8 % à 49 % selon les écoles et concerne 12,7 % des effectifs inscrits dans une école de commerce et 28,8 % des effectifs en classe préparatoire.

Plus de la moitié des écoles sont engagées dans des programmes favorisant la diversité sociale des étudiants lors du recrutement et de l'admission et 81 % dans des dispositifs d'accompagnement des étudiants issus des milieux populaires . Au total, 300 000 euros sont alloués par école aux programmes dédiés à l'ouverture sociale, soit un 100 000 euros de plus qu'en 2015.

Toutefois, les filières dites « d'excellence » demeurent insuffisamment ouvertes aux profils diversifiés . Ainsi, selon la Cour des comptes, les élèves de Paris et des villes de plus de 100 000 habitants sont par exemple deux fois plus nombreux à postuler en classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE) que les élèves de communes de moins de 2 000 habitants.

Les programmes d'ouverture des grandes écoles se construisent en effet sur le temps long, du fait d'un décalage entre l'entrée dans un programme de mentorat ou une cordée de la réussite et l'entrée dans une grande école. En conséquence, ces efforts doivent être pérennisés afin de garantir la poursuite de la dynamique actuelle d'ouverture.

b) Des mesures d'ouverture qui doivent être renforcées et ne pas laisser de côté l'université

Plusieurs grandes écoles, et en particulier les écoles normales supérieures 130 ( * ) , ont proposé d' attribuer aux étudiants issus de milieux défavorisés des points de bonification proportionnellement à l'échelon de bourse lors des épreuves écrites du concours d'entrée . Le jury d'admission n'aurait pas connaissance, lors des épreuves orales, des candidats bénéficiant de ces points bonus.

Le Gouvernement a commandé un rapport 131 ( * ) sur les possibilités d'amélioration concernant la mixité sociale dans l'enseignement supérieur. Celui-ci considère « qu'il serait une erreur de faire reposer la politique d'égalité des chances uniquement sur un mécanisme de bonification des boursiers ». Le comité recommande d'allier cette bonification à une diversification des possibilités d'intégration dans les écoles, au-delà des seules classes préparatoires et notamment à destination des étudiants à l'université .

Au-delà de la seule question de l'accès, il importe d'accompagner les élèves après leur intégration, sous peine de conditionner celle-ci à la maîtrise de codes sociaux et culturels qui ne sont pas universellement partagés. Des programmes de tutorat internes à l'école sont par exemple de nature à permettre à chacun de bénéficier d'une scolarité identique.

Enfin, l'égalité des chances dans l'enseignement supérieur doit tout autant concerner les grandes écoles que l'université . Le rapport de 2019 incite ainsi à « construire davantage de cursus mixtes entre universités et grandes écoles ». Il est également envisageable de réserver un certain nombre de places aux élèves boursiers dans les cursus universitaires les plus sélectifs.

V. OUVRIR LES HORIZONS, INFORMER, PRÉVENIR ET ACCOMPAGNER : DES LEVIERS D'ÉGALITÉ DES CHANCES À MOBILISER

Un grand nombre d'interlocuteurs de la mission d'information, intervenant dans des domaines très variés, ont souligné combien la disparité des ressources dont ils disposent dans leur environnement proche , notamment familial, influe sur les perspectives ouvertes aux enfants, adolescents et jeunes adultes .

Il en résulte en effet des différences importantes en termes d'acquis et de connaissances dans les domaines autres que strictement scolaires, de capacité à se projeter dans l'avenir et à définir un projet personnel parmi un éventail de choix possibles ou encore d'aptitude à surmonter des vulnérabilités ou des difficultés qui peuvent avoir de graves conséquences sur leur parcours futur.

C'est pourquoi il a paru nécessaire, dans une perspective d'égalité des chances, de s'intéresser aux actions à développer pour que les enfants et les jeunes puissent trouver, en dehors de l'école et de leur milieu familial, des points d'appui pour élargir leurs horizons et réaliser des apprentissages utiles au plan social et éducatif.

L' accès à l'information apparaît également comme un facteur crucial pour lequel les inégalités d'origine sociale ou territoriale sont particulièrement prononcées.

Enfin, on constate des besoins importants en matière de prévention et d'accompagnement des situations de vulnérabilité , mais dans ce domaine, des progrès pourraient certainement être réalisés si les solutions existantes à l'échelle des territoires étaient mieux identifiées et coordonnées.

A. OUVRIR LES HORIZONS

C'est en tout premier lieu dans leur famille puis au sein de l'école que s'acquièrent les clefs ouvrant aux enfants et adolescents les voies de leur autonomie future.

Pour certains, atouts familiaux et apprentissages scolaires se confortent mutuellement. Pour d'autres, au contraire, ce sont plutôt des handicaps qui s'additionnent .

Face à ce puissant facteur d'inégalités, lié au milieu social ou au lieu de résidence, il est indispensable de développer les opportunités, pour les enfants, adolescents et jeunes adultes, de compléter les acquis familiaux et scolaires, voire de les suppléer lorsqu'ils sont trop limités.

Comme l'a souligné le Haut conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge 132 ( * ) , les « temps et lieux tiers », hors famille et hors école, constituent un troisième éducateur des enfants . À ce titre, leur apport est essentiel pour réduire les écarts de trajectoire entre enfants, adolescents ou jeunes adultes qui ne disposent pas des mêmes possibilités d'ouverture. Ils requièrent une mobilisation coordonnée de tous les acteurs qui contribuent, souvent de façon dispersée, à leur fonctionnement et leur développement.

Franchir les limites de son quartier ou de son village, s'enrichir par des activités culturelles, sportives, associatives ou citoyennes, élargir ses relations amicales et sociales, améliorer sa confiance en soi en développant des capacités peu reconnues au plan scolaire, sont autant de bénéfices de cette éducation « non formelle » , hors milieu familial et scolaire, porteuse d'autonomie et d'émancipation , mais insuffisamment valorisée et considérée aujourd'hui.

La mission d'information s'est particulièrement intéressée aux activités encadrées à portée éducative, qui doivent être relancées, et à la place de l'éducation populaire, qui mérite d'être de nouveau reconnue. Elle s'est aussi interrogée sur la priorité accordée par le Gouvernement à la mise en place du service national universel, au regard du coût du dispositif et des impacts susceptibles d'en être réellement attendus.

1. La nécessaire relance des activités encadrées à valeur éducative

S'appuyant sur de nombreuses études internationales, le Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge, dans son rapport précité, analyse la contribution des activités hors famille et hors école à l'éducation et à la socialisation des enfants.

Il met en évidence leur apport à la réduction des inégalités , par la possibilité qu'elles ouvrent, pour les enfants issus des milieux les moins favorisés aux plans social et culturel, d'accéder à de nouveaux champs de connaissance, de développer des potentialités non exploitées dans le domaine scolaire, de progresser grâce aux relations nouées avec les pairs ou avec des adultes autres que ceux de la famille ou de l'école.

Mais il constate, dans les faits, de nombreux facteurs qui limitent aujourd'hui considérablement leur impact positif. Ces activités se caractérisent par des différences sociales très marquées 133 ( * ) , qui peuvent être liées à un manque de structures ou d'équipements sur certains territoires, à des difficultés de mobilité pour y accéder, à des tarifications inadaptées ou à l'absence de demande de certaines familles, par manque d'information ou réticences à confier leurs enfants. Les filles issues des familles les moins favorisées ont moins d'activités sportives, culturelles, ou associatives que les autres adolescentes et que les garçons vivant dans les mêmes familles. La proportion du temps passé sur les écrans 134 ( * ) s'accroît, surtout pour les adolescents, beaucoup moins impliqués dans les activités périscolaires et extra-scolaires. Enfin, 25 % des enfants ne partent pas en vacances , cette proportion étant quant à elle évaluée à 36 % des 5-19 ans par le Crédoc 135 ( * ) sur la base d'une enquête plus récente effectuée selon des méthodes différentes.

Il est donc indispensable de renforcer l'accès à ces activités pour les enfants et jeunes auxquels elles sont le plus profitables en termes d'apport éducatif et culturel.

a) Surmonter l'occasion manquée de la réforme des rythmes scolaires

Le nombre d'enfants participant à des activités de loisirs organisées durant la journée lors des périodes de vacances scolaires (accueils extrascolaires) varie fortement selon la période de congés (autour de 1,2 million au mois de juillet, entre 800 000 et 900 000 lors des vacances d'hiver, de printemps ou de la Toussaint) et selon l'âge, avec une chute de fréquentation au-delà de 10 ans. Il était globalement estimé à 16 % des 5-19 ans en 2011 136 ( * ) et connaît une relative stabilité, hormis en 2020 du fait de la crise sanitaire.

Quant à lui, l' accueil périscolaire après la classe s'est très fortement développé à compter de 2013 et de la réforme des rythmes scolaires dans les écoles primaires, avec quatre jours et demi de classe sur des durées horaires moins longues. Il a nettement reflué depuis le retour à la liberté d'organisation de la semaine scolaire , à la rentrée 2017, près de 90 % des communes ayant opté pour une semaine scolaire de quatre jours.

Les lieux d'accueils , au nombre de 17 506 en 2013-2014, étaient passés à 26 731 en 2016-2017. Ils n'étaient plus que 19 272 en 2019-2020. De même, le nombre de places ouvertes en accueil périscolaire, qui avait plus que doublé (1 125 000 en 2013-2014 et 2 921 000 en 2016-2017), a nettement reculé en l'espace de trois ans (1 743 000 places en 2019-2020) 137 ( * ) .

Il ne s'agit pas ici de revenir sur les divers aspects de cette réforme, ni sur les circonstances ayant conduit à la remettre en cause. Le travail réalisé à ce sujet par le Sénat il y a quatre ans 138 ( * ) en effectue une analyse très précise. Il souligne à la fois l'intérêt des objectifs poursuivis - tant sur le plan strictement scolaire que pour la participation des enfants, en particulier ceux issus des milieux les moins favorisés, à des activités culturelles, artistiques et sportives -, l'hétérogénéité de la mise en oeuvre, les collectivités étant libres de définir le contenu et la tarification des activités, et l'ensemble des difficultés d'organisation, de recrutement et de financement 139 ( * ) auxquelles elles ont été confrontées, tout comme les résistances rencontrées, qui ont été insuffisamment anticipées.

On doit simplement constater que les conditions n'ont pas été réunies pour pérenniser l'élan donné aux activités périscolaires .

Face à cette situation, le Gouvernement a lancé à la rentrée 2018 le « plan mercredi » , destiné à maintenir, restaurer ou mettre en place une offre d'accueil de qualité sur le temps du mercredi, accessible au plus grand nombre d'enfants scolarisés en primaire et de familles. Il est accompagné d'un assouplissement des règles applicables aux accueils de loisirs (notamment en matière de taux d'encadrement et de durée minimale de fonctionnement) et de la mobilisation d'aides financières en soutien aux collectivités territoriales.

Force est cependant de constater, le mercredi, un reflux des activités analogue à celui enregistré sur les autres jours de la semaine : 16 795 lieux d'accueil et 1 366 000 enfants accueillis en 2019-2020 contre respectivement 24 630 et 2 242 000 en 2016-2017 140 ( * ) .

Après un démarrage encourageant, la conclusion des plans s'est ralentie. Elle est à l'arrêt depuis la crise sanitaire. De l'ordre de 2 500 plans mercredi seulement ont été signés , principalement par des collectivités dont l'offre de loisirs est déjà bien structurée.

Ainsi, selon les informations transmises à la mission d'information par la Caisse nationale d'allocations familiales, les plans signés se concentrent autour des grands centres urbains, l'Île-de-France représentant près du tiers des places ouvertes, et les territoires prioritaires sont sous dotés : seulement 11 % des plans mercredi sont situés en zones de revitalisation rurale et 10 % en quartiers prioritaires de la politique de la ville. L'outre-mer reste également largement à l'écart, à l'exception de La Réunion et de la Guadeloupe. Beaucoup de collectivités n'ont pas renouvelé le projet éducatif territorial (PEdT) qu'elles avaient conclu lors de la réforme des rythmes scolaires, alors qu'un tel projet constitue un pré-requis à la signature d'un plan mercredi.

Le frein financier , en investissement comme en fonctionnement, constitue le principal obstacle, pour les collectivités territoriales, à la création ou l'extension de l'offre d'accueil de loisirs le mercredi. S'y ajoutent des difficultés de recrutement d'animateurs et de directeurs , des besoins en ingénierie et en accompagnement (élaboration du PEdT, démarches administratives et mobilisation des différents partenaires) qui dépassent les moyens de beaucoup de collectivités, en particulier les plus petites, un concours très variable des groupes d'appui départementaux chargés de cet accompagnement, et sans doute également une certaine réticence des élus locaux liée à leur expérience de la précédente réforme.

La Caisse nationale d'allocations familiales, qui consacre, au titre du fonds national d'action sociale, plus de 1 milliard d'euros par an aux accueils de loisirs 141 ( * ) , a enregistré ces dernières années une sous-consommation des dotations qu'elle avait prévu en soutien du plan mercredi. Elle a décidé en juillet 2020 de consacrer 40 millions d'euros par an, jusqu'en 2022 , à la mise en place d'un fonds national d' aide à l'investissement pour les accueils de loisirs sans hébergement, à la majoration de la bonification plan mercredi dans les territoires prioritaires et à une aide à l'ingénierie pour soutenir les collectivités dans la signature de nouveaux plans mercredi.

Au-delà de ces mesures, une forte impulsion est nécessaire pour relancer les accueils de loisirs , en visant prioritairement les territoires et les publics pour lesquels les enjeux de réduction des inégalités sont les plus forts .

Comme l'avait souligné le rapport précité du Sénat en 2017, la concertation et le dialogue entre les différents acteurs de la communauté éducative pour l'élaboration des projets éducatifs territoriaux avaient constitué l'un des apports majeurs de la réforme des rythmes scolaires qui méritait d'être maintenu et consolidé. Même si le contexte n'est plus le même aujourd'hui, cet acquis ne doit pas être perdu. L'approche partenariale, à l'échelle de chaque territoire, conserve toute sa pertinence pour rapprocher et mobiliser collectivités, enseignants et intervenants associatifs autour d'une offre d'activités à valeur éducative destinée aux enfants et aux jeunes.

Il est donc indispensable de relancer la conclusion de projets éducatifs territoriaux .

Dans un contexte très différent de celui de 2013, puisqu'il ne s'agit plus d'assurer l'accueil des enfants après une journée de classe écourtée, la relance des PEdT pourrait viser plusieurs objectifs : chercher à renforcer la qualité des activités proposées , toucher davantage d'adolescents , en imaginant des alternatives aux accueils de loisirs traditionnels qui semblent peu attractifs pour cette tranche d'âge, veiller à la mixité sociale , par une politique d'information et de tarification adaptée en direction des familles les moins favorisées, voire l'institution de bons incitant celles-ci à se tourner vers les accueils collectifs. Elle devrait également s'articuler avec les autres contractualisations existantes sur les territoires, en particulier les conventions territoriales globales conclues avec les caisses d'allocations familiales.

Recommandation : relancer la conclusion de projets éducatifs territoriaux en portant attention à la qualité des activités proposées et en cherchant à davantage toucher les adolescents et les familles les moins favorisées.

Redynamiser la conclusion de PEdT nécessite une vigoureuse impulsion politique à l'échelon gouvernemental pour mobiliser les services de l'État et les collectivités ainsi, bien entendu, qu'un accompagnement renforcé de celles-ci aux plans financier et technique.

Au plan financier , un soutien accru aux collectivités de la part de l'État et des caisses d'allocations familiales est nécessaire. La prochaine convention d'objectifs et de gestion avec la Caisse nationale d'allocations familiales doit être l'occasion d'en définir les conditions.

Au plan technique , l'appui des services de l'État et des caisses d'allocations familiales aux collectivités, notamment les plus petites, doit également être renforcé pour les aider dans l'élaboration des PEdT et l'obtention des aides. À ce titre, la mise en place d'un guichet unique commun aux services de l'état et aux caisses d'allocations familiales, proposée par le rapport du Sénat en 2017, simplifierait leurs démarches et lèverait une partie des freins à leur engagement dans ce type de démarche.

En fonction des marges de manoeuvre disponibles, il conviendrait de renforcer le ciblage des moyens financiers et techniques sur les territoires et les publics prioritaires , afin d'obtenir un véritable impact sur les enfants et les jeunes issus des familles et des territoires les moins favorisés.

Recommandation : assurer un soutien financier et un appui technique renforcés aux collectivités qui s'engagent dans un projet éducatif territorial, notamment lorsque ce projet concerne des territoires et des publics prioritaires.

b) Soutenir et renouveler l'accès à la culture et au sport

La France est aujourd'hui relativement bien pourvue en équipements culturels de proximité, avec toutefois des disparités selon la nature de ceux-ci : les lieux de création et de diffusion du spectacle vivant ou les conservatoires de musique et de danse sont davantage concentrés en Île-de-France et dans les grands centres urbains alors que certaines zones demeurent sous-dotées 142 ( * ) . Mais au-delà de la densité en lieux culturels et du soutien à leur fonctionnement, c'est surtout sur la familiarisation des jeunes avec les pratiques culturelles que repose la levée de barrières, très souvent liées au milieu social, qui freinent encore largement l'accès à la culture.

Dans cette optique, le Gouvernement a fortement misé sur le déploiement du pass Culture , expérimenté dans 14 départements depuis 2018 et généralisé pour tous les jeunes âgés de 18 ans depuis ce printemps 143 ( * ) . Fonctionnant à partir d'une application mobile, il donne accès à des propositions d'activités de pratique artistique ou de biens et services culturels et les finance dans la limite d'un crédit de 300 euros. Son ouverture a été annoncée, à compter du 1 er janvier 2022, à tous les collégiens et lycéens à partir de la classe de 4 ème , avec un complément de crédit de 200 euros jusqu'à leur majorité, ce qui porterait le montant total du pass à 500 euros.

Le choix du pass Culture comme vecteur privilégié de la démocratisation de la culture pour les jeunes a suscité de nombreuses interrogations , compte tenu du coût du dispositif 144 ( * ) et de sa capacité à entretenir une réelle diversité de pratiques artistiques et culturelles.

La commission de la culture et de la communication du Sénat 145 ( * ) a notamment insisté sur la nécessité d'éviter que l'effort budgétaire consacré au pass Culture s'effectue au détriment du soutien à l'éducation artistique et culturelle.

Recommandation : veiller à ce que le déploiement du pass Culture ne s'effectue pas au détriment des financements destinés à l'éducation artistique et culturelle.

Il est également nécessaire d' accentuer les actions visant l'accès aux activités culturelles des publics qui en sont le plus éloignés , en particulier dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville et les territoires ruraux.

Les collectivités locales sont largement engagées en la matière, mais l'impulsion et le soutien demeurent indispensables.

En complément des actions Orchestre à l'école, déjà assez largement déployées sur l'ensemble du territoire (environ 1 400 orchestres fonctionnant dans des établissements scolaires en 2020), le dispositif d'éducation musicale et orchestrale à vocation sociale (Démos) coordonné par la Philarmonie de Paris répond à cet objectif spécifique et constitue un exemple remarquable qu'il convient de conforter et d'étendre, notamment dans les territoires ruraux. Il démontre comment l'expérience acquise à travers ce modèle de démocratisation culturelle a pu être mise au service de partenariats et de coopérations « sur mesure », adaptés à chaque territoire.

Démos : une initiative exemplaire à conforter

Le dispositif d'éducation musicale et orchestrale à vocation sociale (Démos) est un projet de démocratisation culturelle centré sur la pratique musicale en orchestre.

Projet à dimension nationale, initié en 2010 et coordonné par la Philharmonie de Paris, Démos propose un apprentissage de la musique classique à des enfants ne disposant pas, pour des raisons économiques, sociales et culturelles, d'un accès facile à cette pratique dans les institutions existantes. Il s'adresse à des enfants de 7 à 12 ans habitant des quartiers relevant de la politique de la ville ou, plus récemment, dans des zones de revitalisation rurale.

Chaque enfant se voit confier un instrument de musique pendant trois ans. Encadré par des professionnels de la musique et du champ social, il suit des cours hebdomadaires de 4 heures en moyenne et retrouve régulièrement les autres enfants du même territoire pour une répétition en orchestre.

Le suivi éducatif et l'accompagnement social des enfants sont assurés par des référents sociaux (animateurs socioculturels, éducateurs spécialisés, assistants sociaux, psychologues...) qui travaillent en étroite collaboration avec l'équipe artistique et assurent l'interface entre les différents partenaires du projet (enfants, familles, structures locales...).

Dispositif à la fois ouvert et structuré, mis en place en cohérence avec les politiques culturelles et éducatives locales, Démos apporte de nombreux bénéfices éducatifs et sociaux aux enfants (capacités d'attention et de concentration, goût de l'effort, rigueur et assiduité, confiance en soi, enrichissement du capital culturel). Au-delà de ses bénéficiaires directs, Démos favorise également des dynamiques territoriales et des actions coopératives (création de communautés éducatives dans les quartiers concentrant des difficultés sociales, partenariat entre structures ou services d'un même territoire).

Depuis 2015, Démos s'est étendu à tout le territoire, avec 50 orchestres (dont 2 outre-mer, à Pointe-à-Pitre et Saint-Denis de La Réunion), et près de 4 000 enfants impliqués. À l'heure actuelle, deux projets seulement ont été lancés dans des territoires ruraux (communauté d'agglomération du Kreiz-Breizh, environ 20 000 habitants, dans les Côtes-d'Armor, et communauté d'agglomération du Thouarsais, 36 000 habitants, dans les Deux-Sèvres).

Le budget par orchestre s'élève en moyenne à 265 000 euros par an et le montant global des financements est de 11,3 millions d'euros, dont 3,7 millions d'euros (32,5 %) provenant des administrations d'État, 4,1 millions d'euros (36,5 %) des collectivités locales et, en complément, des caisses d'allocations familiales, et 3,5 millions d'euros (31 %) du mécénat (fondations et entreprises, donateurs privés).

Le déploiement du dispositif sur le territoire doit se poursuivre, avec un objectif de 60 orchestres impliquant 6 000 enfants à l'horizon 2022.

Recommandation : accentuer le soutien aux actions visant l'accès aux activités culturelles des publics, qui en sont le plus éloignés, telles que le projet Démos.

Des constats de même nature peuvent être établis en matière de démocratisation de l'accès aux sports . Au-delà de ses bénéfices pour le bien-être et la santé, le sport contribue fortement au développement de l'enfant et du jeune. Par les qualités qu'il valorise et les valeurs qu'il véhicule, il participe à la réussite scolaire et à l'intégration sociale.

L 'accès des jeunes aux pratiques sportives demeure marqué par des inégalités territoriales , avec des zones moins pourvues en équipements ou en structures proposant des activités sportives, notamment dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville 146 ( * ) , des inégalités sociales , la fréquence de la pratique sportive étant plus élevée pour les jeunes vivant dans des familles à fort capital culturel et à haut niveau de revenu 147 ( * ) , et une forte disparité entre filles et garçons , le taux de pratique sportive des collégiennes étant de l'ordre de 10 points inférieur à celui des collégiens, la nature des activités étant caractérisée par les stéréotypes de genre.

Comme en matière d'accès à la culture, une large partie des actions visant à favoriser la pratique sportive repose sur l'engagement des collectivités. Leurs projets méritent d'être reconnus et soutenus, en particulier sous forme d'aides au fonctionnement des structures associatives, et les initiatives nationales doivent être accentuées.

Des efforts ont été réalisés en vue d'améliorer l'accès aux activités sportives sur les différents temps des enfants et des jeunes, à l'école et hors école, avec notamment le label « génération 2024 ». En outre, dans le cadre du plan de relance , ont été annoncés 36 millions d'euros sur deux ans destinés au rattrapage du retard en équipements sportifs (30 millions d'euros) et aux associations sportives (6 millions d'euros) dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville. Le Gouvernement a également décidé, pour la rentrée 2021, la mise en place du « Pass'Sport » , allocation de « rentrée sportive » pour une adhésion ou une licence dans une association sportive qui s'adresse aux enfants bénéficiant de l'allocation de rentrée scolaire ou de l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé, soit un peu plus de 5 millions d'enfants.

Les liens entre pratique sportive et insertion professionnelle doivent être renforcés. Des moyens supplémentaires ont été dévolus aux actions d'accompagnement des jeunes vers les formations ou l'emploi dans les métiers du sport ou de l'animation, en particuliers les jeunes sans diplôme ni formation et ceux des territoires urbains ou ruraux les plus fragiles (programme Sesame de formation en alternance, aides à l'emploi dans les associations sportives locales).

Le soutien aux initiatives associatives en la matière est également nécessaire. On doit ainsi souligner l'action de Sport dans la Ville, principale association d'insertion par le sport, qui accompagne près de 7 000 jeunes dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville. Fonctionnant aux deux-tiers sur des financements privés, avec une forte implication des entreprises, et environ pour un quart avec des subventions publiques, Sport dans la Ville intervient dans près de cinquante quartiers par un accompagnement personnalisé du jeune dès le terrain sportif et jusqu'à son orientation et son insertion professionnelle. Cet accompagnement est assuré sur chaque territoire par les responsables insertion professionnelle et les éducateurs sportifs salariés de l'association. Le programme couvre le soutien scolaire, un accompagnement spécifique pour les jeunes filles, l'aide à l'orientation, à l'insertion professionnelle et à la création d'entreprise.

Recommandation : accentuer le soutien aux initiatives associatives visant à développer la pratique sportive dans une perspective d'insertion sociale et professionnelle.

c) Enrayer la désaffection des séjours collectifs de vacances

Selon une récente étude du Crédoc réalisée pour l'Observatoire des vacances et des loisirs des enfants et des jeunes 148 ( * ) , 36 % des 5-19 ans ne seraient pas partis en vacances en 2019 , cette proportion variant fortement selon les revenus ou le niveau de diplôme des parents. Ainsi, elle atteint 52 % pour les enfants dont les parents sont non-diplômés et 48 % pour ceux dont les parents disposent de bas revenus (moins de 1 500 euros mensuels), contre 28 % seulement pour les enfants dont les parents sont diplômés du supérieur et 19 % pour ceux dont les parents disposent de hauts revenus (plus de 4 000 euros mensuels). Le manque de moyens financiers est le premier argument avancé pour expliquer le non-départ en vacances.

De manière moins évidente, ces fortes disparités se retrouvent dans les départs en colonies de vacances , alors que ceux-ci bénéficient d'aides allouées par les caisses d'allocations familiales, les collectivités locales ou les comités d'entreprise.

Globalement, le nombre de départs de mineurs en colonies de vacances est en outre en baisse régulière depuis plusieurs années . Il est passé de 986 000 en 2013-2014 à 846 000 en 2018-2019 puis a chuté en 2019-2020 (472 000 départs recensés) du fait de la crise sanitaire.

Mais l'Injep 149 ( * ) observe que les enfants de cadres et de chefs d'entreprise partent deux fois plus souvent en colonies de vacances que ceux des ouvriers , les conditions d'accès à ces séjours étant proches de celles des autres séjours collectifs payants, comme les stages et séjours sportifs ou les séjours linguistiques. Quant aux séjours proposés par les comités d'entreprise , ils ne profitent guère aux salariés les plus modestes , leur montée en gamme tendant à favoriser les enfants de cadres et de professions intermédiaires.

Il est ainsi significatif que ces séjours collectifs ne représentent pas particulièrement une alternative aux vacances en famille, mais en constituent un complément pour des familles en ayant les moyens. C'est davantage à leurs enfants que bénéficie leur apport en termes de socialisation et d'apprentissage de l'autonomie et de la mobilité , plutôt qu'à ceux des familles à faible revenu, qui restent de plus en plus chez eux.

Plusieurs facteurs contribuent à la désaffection pour les colonies de vacances constatée ces dernières années : une plus grande individualisation des vacances, le développement d'autres types de séjours destinés aux jeunes, comme les stages sportifs, un fort repli des comités d'entreprises, qui privilégient l'achat de séjours auprès de prestataires commerciaux ou l'attribution de chèques vacances, les difficultés des structures associatives organisatrices de séjour, liées au renforcement des normes ou au recrutement d'animateurs.

Toutefois, pour les familles aux revenus les moins élevés, y compris celles des classes moyennes, le principal frein est d'ordre financier. Le coût des séjours s'est renchéri et, selon le Haut conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge 150 ( * ) , « les aides actuelles sont dispersées, peu lisibles , peuvent donner des séjours collectifs une image de mode de vacances destiné aux enfants en situation difficile. Les plus pauvres méconnaissent les aides. Certaines familles de classe moyenne se détournent des séjours financés par leur commune ou leur Caf par peur du déclassement. »

Les caisses d'allocations familiales versent annuellement près de 90 millions d'euros pour soutenir diverses formes de départs en vacances (aides individuelles, colonies de vacances). Les montants et critères d'attribution relevant de chaque caisse, ils varient d'un département à l'autre. Ces aides, assez disparates, ne sont pas toujours connues, même si désormais, les familles éligibles reçoivent en principe un courrier en début d'année et peuvent accéder à un site de réservation (Vacaf) centralisant différentes offres de séjour.

Indépendamment d'un renforcement souhaitable des aides au départ en colonies de vacances pour les familles les plus modestes, une meilleure information des bénéficiaires potentiels sur les aides existantes, y compris celles des collectivités locales, et une simplification et une harmonisation de celles allouées par les caisses d'allocations familiales paraît nécessaire.

L'idée d'un « Pass colo » , avancée par plusieurs organismes 151 ( * ) , mérite d'être sérieusement étudiée pour toucher davantage les publics qui n'ont pas recours aux aides existantes et redonner une plus grande visibilité aux colonies de vacances.

Recommandation : pour relancer les séjours collectifs de vacances, simplifier et mieux faire connaître les aides existantes et mettre à l'étude la création d'un « Pass colo ».

De ce point de vue, l' opération « colos apprenantes » , initiée par le Gouvernement à l'été 2020 dans le contexte de la crise sanitaire, a valorisé l'image des colonies de vacances tout en axant l'effort sur les enfants les moins à même de partir en vacances .

Rappelons que cette aide de l'État a été attribuée à des colonies associant un renforcement des savoirs et apprentissages et des activités de loisirs, et s'adressant en priorité aux jeunes des quartiers politique de la ville et de zones rurales, issus de familles isolées, monoparentales ou en situation socio-économique difficile. Près de 62 000 enfants ont participé aux « colos apprenantes » au cours de l'été 2020, et parmi eux, environ 25 % de résidents de quartiers prioritaires, 9 % de résidents en zone de revitalisation rurale et 6 % d'enfants suivis par l'aide sociale à l'enfance 152 ( * ) . Au total, en incluant les vacances de la Toussaint, 70 000 enfants ont bénéficié de ce dispositif en 2020, pour un coût d'environ 20 millions d'euros.

Les premières évaluations sont positives, tant du point de vue des bénéfices retirés par les enfants que de l'implication des différents partenaires concernés (associations, collectivités locales) et de la sensibilisation des enseignants.

L'opération a été reconduite lors de l'été 2021. Elle doit pouvoir inspirer une politique pérenne de relance des colonies de vacances , orientée sur les publics les moins favorisés et la valeur éducative des séjours, et accompagnée d'une communication renforcée, aux plans national et local.

2. Redonner sa place à l'éducation populaire

Qu'elles soient d'inspiration confessionnelle ou laïque, de nombreuses organisations fortement implantées sur l'ensemble du territoire, bien souvent animées par des bénévoles, ont joué durant des décennies auprès des jeunes un rôle social et éducatif considérable, complémentaire à ceux de la famille et de l'école.

À l'évidence, cette fonction s'est affaiblie, certainement par le fait des évolutions sociétales, mais sans doute aussi en raison de changements d'approche dans les liens qu'elles entretiennent avec les pouvoirs publics.

Au cours des travaux de la mission d'information, l'apport de ce que l'on appellera, au sens large, l' éducation populaire , en matière d'accès des jeunes à l'autonomie et de résorption des inégalités, est clairement apparu.

Les 75 organisations nationales de jeunesse et d'éducation populaire regroupées dans le CNAJEP 153 ( * ) placent l' émancipation individuelle et collective des jeunes et la lutte contre les déterminismes sociaux au coeur de leur ambition commune. Comme la rapporteure a pu le constater lors de leur audition, les associations de jeunesse et d'éducation populaire, dans leur grande diversité, s'attachent à permettre à chaque enfant ou chaque jeune de valoriser ses aptitudes et de progresser pour trouver sa place dans la société. À ce titre, elles offrent aux moins favorisés d'entre eux de multiples opportunités de découvertes et d'apprentissages qu'ils ne trouvent pas nécessairement dans leur environnement social et familial.

Bien que les pouvoirs publics se tournent fréquemment vers ces associations, souvent en réponse à des difficultés sociales et en tout dernier lieu au cours de la crise sanitaire, elles se sentent aujourd'hui très fragilisées, voire, comme l'expriment certains de leurs responsables, « ringardisées ».

Beaucoup d'entre elles ont longtemps bénéficié de liens étroits avec l'institution scolaire et de l'engagement bénévole de nombreux enseignants. Ces liens se sont largement distendus, malgré des amorces de rapprochements lors de la mise en place de la réforme des rythmes scolaires. Certaines associations souhaiteraient l'instauration de relations plus formalisées, par exemple la présence de représentants de l'éducation populaire dans les conseils d'administration des établissements ou l'inclusion de modules consacrés à l'éducation populaire dans la formation des enseignants.

Les associations d'éducation populaire insistent surtout sur le changement de logique intervenu dans leurs relations avec les financeurs publics : elles se considèrent désormais moins considérées pour ce qu'elles sont ou le projet qu'elles portent que comme simples opérateurs d'actions définies par l'État ou les collectivités.

Dans un contexte d' érosion des subventions publiques 154 ( * ) et de remise en cause des contrats aidés, toutes ont souligné les difficultés suscitées par le recours quasi-systématique aux appels à projets . Ceux-ci génèrent des incertitudes sur la pérennité à moyen terme des financements tout en exigeant des ressources humaines qualifiées pour l'élaboration des dossiers et en les mobilisant sur des tâches administratives. Les associations les plus petites, ou même celles de taille moyenne, disposent rarement de l'ingénierie nécessaire, se trouvent de ce fait généralement exclues des marchés publics et voient leur modèle économique fortement remis en cause. Enfin, alors qu'une plus grande qualification paraît nécessaire dans les métiers de l'animation, le financement par projet induit une réelle précarité et un turn-over trop important dans les associations.

Il est donc souhaitable de revenir à des formes de soutien plus stables du secteur de l'éducation populaire , en privilégiant les conventions pluriannuelles de nature à leur donner davantage de visibilité et de stabilité.

La direction de la jeunesse, de l'éducation populaire et de la vie associative a indiqué à la mission d'information que les neuf-dixièmes des subventions qu'elle accordait aux associations de jeunesse et d'éducation populaire l'étaient désormais dans le cadre de conventions pluriannuelles, mais cette évolution est intervenue dans le cadre d'une réduction de l'enveloppe globale et surtout du nombre de partenariats (diminution d'un tiers en sept ans) qui a conduit à recentrer les crédits d'intervention sur les grands réseaux associatifs.

La réorientation de financements annuels vers des conventions pluriannuelles demeure encore largement à opérer pour les subventions locales qui constituent la grande majorité des ressources des associations d'éducation populaire.

Celles-ci devraient néanmoins bénéficier du renforcement au soutien à la vie associative, prévu dans le plan de relance, à travers les crédits du Fonjep 155 ( * ) , qui avaient très peu évolué ces dernières années.

Recommandation : sécuriser le financement des associations d'éducation populaire dans le cadre de conventions pluriannuelles d'objectifs de préférence aux subventions annuelles et aux appels à projets.

L' instauration de partenariats locaux incluant les acteurs de l'éducation populaire , dans le cadre des projets éducatifs territoriaux ou d'autres formes de contractualisation portant sur la mise en oeuvre de politiques territoriales en direction des jeunes, doit être recherchée pour valoriser plus systématiquement leur force d'engagement auprès des jeunes.

De tels partenariats contribueraient en outre à un mode de financement plus stable et plus pérenne du secteur de l'éducation populaire.

Recommandation : renforcer les partenariats avec les associations d'éducation populaire pour la mise en oeuvre des politiques territoriales en direction des jeunes.

3. Les interrogations sur la généralisation du service national universel

Le Gouvernement a fait du projet de service national universel un axe majeur de sa politique en direction de la jeunesse dans un objectif de cohésion et de mixité sociale et de valorisation de l'engagement.

Le service national universel comporte une première phase, destinée aux jeunes de 15 à 17 ans, comportant un séjour de cohésion de deux semaines, puis une mission d'intérêt général auprès d'une association, d'une administration ou des forces de sécurité intérieure, concentrée sur une période courte ou répartie sur plusieurs mois. Cette première phase a vocation à être rendue obligatoire pour l'ensemble d'une classe d'âge.

Il peut également être suivi d'une phase d'engagement volontaire pour les jeunes de 16 à 25 ans d'une durée de trois à douze mois, le service civique en constituant la modalité principale.

S'agissant des missions de service civique , des objectifs très ambitieux ont été fixés pour 2021, puisqu'il s'agit d'accueillir 245 000 jeunes contre environ 131 000 effectivement engagés en 2020 (pour une cible initiale de 145 000). Cette forte montée en charge annoncée rend d'autant plus nécessaire une vigilance accrue sur la qualité des missions et de l'encadrement , et sur les risques de substitution à l'emploi . Lors de sa récente audition devant la commission de la culture et de la communication du Sénat, la présidente de l'Agence du service civique a souligné l'importance de la formation, sur ce plan, des référents territoriaux en charge de l'agrément des organismes d'accueil, précisant que 11 % seulement des organismes agréés étaient pour l'instant contrôlés 156 ( * ) .

Mais c'est surtout sur la première phase du service national universel , destinée à devenir obligatoire, que portent les interrogations.

Après un démarrage en 2019, l'extension de l'expérimentation n'a pu se dérouler comme prévu en 2020 du fait de la crise sanitaire. Elle a été reportée au début de cet été pour 18 000 volontaires, accueillis dans plus d'une centaine de centres et supervisés par 3 000 encadrants. Le ministre de l'éducation nationale a évoqué un objectif d'au moins 50 000 jeunes pour 2022.

Il conviendra d'effectuer un bilan approfondi de la session 2021, en particulier le rapport entre le coût du dispositif - évalué à 2 200 euros par jeune, soit un montant nettement supérieur aux premières estimations initialement avancées - et les bénéfices retirés du séjour de cohésion et de la mission d'intérêt général. Il s'agit là d'un élément primordial compte tenu des financements qui seraient nécessaires dans l'hypothèse d'un service obligatoire.

Les organisations de jeunesse se montrent très réservées sur l'intérêt d'une généralisation à l'ensemble d'une classe d'âge. En tout état de cause, il a pu être vérifié, lors des travaux la mission d'information, que ce n'est pas sur ce projet que portent leurs attentes. Elles n'en espèrent que peu de bénéfices en termes de cohésion collective et de mixité, compte tenu de la brièveté du séjour de cohésion et de son caractère assez tardif, alors que d'autres occasions de brassage pourraient être encouragées dès le collège. Enfin, le projet comporte un risque évident d'éviction budgétaire au détriment d'autres aspects de la politique en direction des jeunes.

B. INFORMER

Acquérir leur autonomie implique, pour les jeunes, qu'ils disposent de tous les éléments d'information pouvant leur être utiles. Leurs besoins portent prioritairement sur l'orientation et sur la connaissance des formations et des métiers. Ils concernent également l'accès aux droits, à la culture et aux loisirs, le logement, la mobilité internationale, la santé.

L'information disponible en direction des jeunes est considérable et réputée désormais facilement accessible à tous, grâce aux supports numériques.

En pratique pourtant, la multiplicité des institutions, organismes et dispositifs s'adressant aux jeunes, et souvent leur cloisonnement, génèrent une grande complexité dans la recherche d'information . La familiarité avec le numérique tout comme l'usage qui en est fait sont par ailleurs extrêmement variables parmi les jeunes. Le Défenseur des droits indiquait ainsi en 2017 que 37 % des 18-24 ans et 29 % des 25-34 ans rencontraient des difficultés dans leurs démarches administratives courantes, contre 21 % dans l'ensemble de la population 157 ( * ) .

L'entourage familial ou amical demeure une source essentielle d'information. De ce point de vue, l' impact des inégalités sociales et territoriales est particulièrement fort : la méconnaissance, l'insuffisance ou la mauvaise qualité de l'information entraînent le renoncement à des opportunités, des pertes de chances, le non-recours à des droits. Les phases de transition , lorsque s'effectuent les choix d'orientation ou de filière professionnelle ou le départ du foyer familial, sont particulièrement exposées à ce risque.

Mieux informer constitue donc un enjeu essentiel, bien identifié par tous les acteurs des politiques intéressant les jeunes. Dans cette optique, l'articulation des nombreux intervenants paraît perfectible alors que des approches renouvelées sont nécessaires, en particulier pour toucher les jeunes les moins portés à s'engager dans une démarche d'information.

1. Un foisonnement d'acteurs

Pour accéder à l'information qui leur est nécessaire, les jeunes peuvent directement solliciter les administrations ou services dont relève leur demande, à condition d'être préalablement parvenus à bien les identifier. Cette information peut aussi leur être fournie par des structures plus particulièrement dédiées à leur accompagnement et en mesure de les renseigner, comme par exemple les missions locales. Enfin, ils peuvent s'adresser à des organismes ayant spécifiquement mission de les informer, comme les centres d'information et d'orientation ou les bureaux information jeunesse.

Il en résulte une cartographie extrêmement complexe, peu lisible et peu compréhensible pour les jeunes.

Ainsi, dans le seul domaine de l'orientation, on compte pas moins de onze réseaux d'opérateurs exerçant une fonction directe d'accueil, d'information, de conseil ou d'accompagnement, dont la mission inclut, à des degrés divers, les services en orientation et qui s'adressent aux mêmes publics, sans pour autant assurer une couverture homogène du territoire 158 ( * ) .

Dans la mesure où chaque organisme, dans son domaine de compétence, met en oeuvre sa propre communication pour les publics concernés, les objectifs de rationalisation ou de coordination de l'information en direction des jeunes, régulièrement mis en avant, peinent à se concrétiser.

Dans ce paysage foisonnant, il paraît légitime qu'existe un réseau à vocation généraliste , s'adressant spécifiquement aux jeunes et capable de les informer sur l'ensemble de leurs préoccupations, quitte à les réorienter vers des interlocuteurs plus spécialisés.

C'est le rôle des structures d'information jeunesse regroupées au sein du réseau Info Jeunes. À statut public ou privé, elles bénéficient d'un label attribué par les services de l'État dès lors qu'elles « garantissent à tous les jeunes un accès à une information généraliste, objective, fiable et de qualité touchant tous les domaines de leur vie quotidienne » 159 ( * ) .

Plus de 1 300 bureaux information jeunesse (BIJ) ou points information jeunesse (PIJ) sont ainsi répartis sur le territoire, avec la mission de délivrer une information à la fois généraliste et personnalisée. Des centres régionaux information jeunesse (CRIJ) sont chargés d'animer ce réseau et de coordonner les formations des professionnels. Au niveau national, le centre d'information et de documentation jeunesse (CIDJ) élabore l'information de niveau national diffusée dans le réseau et assure un rôle régional pour l'Île-de-France.

Sans doute l'organisation en matière d'information des jeunes n'est-elle pas optimale. Pour la Cour des comptes 160 ( * ) , « la multiplication des acteurs publics qui dispensent de l'information aux jeunes, comme la confusion des responsabilités entre l'État et les régions, appellent une recomposition de ce secteur en concertation avec ces dernières ».

Il est vrai qu'à la suite des modifications législatives intervenues en 2017 et 2018 161 ( * ) , le rôle respectif de l'État et des régions demeure particulièrement complexe à appréhender . L'État et les régions assurent le service public de l'orientation, auxquelles participent, entre autres, les structures du réseau Info Jeunes. La région organise des actions d'information sur les métiers et les formations, dans un cadre de référence national établi conjointement avec l'État. Elle coordonne les actions des autres organismes participant au service public régional de l'orientation et « coordonne également, de manière complémentaire avec le service public régional de l'orientation et sous réserve des missions de l'État, les initiatives des collectivités territoriales, des établissements publics de coopération intercommunale et des personnes morales, dont une ou plusieurs structures d'information des jeunes sont labellisées par l'État » 162 ( * ) .

Selon les éléments transmis par la direction de la jeunesse, de l'éducation populaire et de la vie associative, les relations entre les régions et le réseau information jeunesse sont extrêmement variables. Certaines régions (Hauts-de-France, Bourgogne Franche-Comté, Nouvelle Aquitaine) contribuent pour plus de 20 % aux budgets des CRIJ alors que d'autres (Auvergne Rhône-Alpes) ont pratiquement cessé de les subventionner.

Quant au soutien financier de l'État au réseau information jeunesse , il a fortement diminué , passant de 8,1 millions d'euros en 2013 à 6,3 millions d'euros prévus en 2021.

La coexistence de multiples structures dispensant l'information en direction des jeunes est inévitable et leurs actions paraissent davantage complémentaires que concurrentes, pour autant qu'un certain partage des rôles soit défini et que des partenariats soient mis en place.

En tout état de cause, le bien fondé d'un réseau généraliste fortement implanté sur le territoire est établi. Il serait nécessaire de lui conférer une plus grande visibilité , notamment auprès des collectivités locales, afin qu'il fasse partie intégrante de projets de territoire.

Après l'érosion constatée ces dernières années, les moyens alloués au réseau Info Jeunes doivent être confortés et le rôle respectif de l'État et des régions clarifié.

Recommandation : donner une meilleure visibilité au réseau information jeunesse et conforter ses moyens en clarifiant le rôle respectif de l'État et des régions.

2. Une approche à renouveler et rationaliser

Il est essentiel que les structures d'information jeunesse s'adaptent aux besoins et aux pratiques des jeunes.

À ce titre, la « boussole des jeunes » constitue un outil numérique particulièrement intéressant, mais encore insuffisamment déployé et identifié.

Cette plate-forme numérique développée par les services de l'État à destination des 15-30 ans présente à chaque utilisateur les offres de service disponibles sur son territoire. Elle l'oriente vers le professionnel correspondant, le jeune pouvant laisser ses coordonnées pour être contacté par celui-ci sous bref délai.

Outre son fonctionnement simple et intuitif, cet outil repose sur une démarche partenariale à l'échelle des territoires, puisqu'elle associe un ensemble varié d'organismes dispensant des services ou menant des actions en direction des jeunes. Il permet aussi de toucher les jeunes géographiquement éloignés des services publics, particulièrement en zone rurale.

La boussole des jeunes est aujourd'hui opérationnelle dans 14 territoires recouvrant près d'un millier de communes où résident environ 900 000 jeunes. Une vingtaine de territoires supplémentaires sont engagés dans la démarche.

Il est souhaitable de mieux faire connaître cet outil et d'accélérer son déploiement sur l'ensemble du territoire national.

Recommandation : accélérer le déploiement de la « boussole des jeunes » sur le territoire national.

Inspiré d'une démarche différente, le déploiement de « promeneurs du Net » par les caisses d'allocations familiales permet de renouveler, grâce à l'outil numérique, le mode de contact entre les jeunes et toutes les structures susceptibles de les informer et de les accompagner.

Un « promeneur du Net » est un professionnel qui assure une présence éducative sur Internet ou sur les réseaux sociaux, en complément de ses missions exercées en présentiel dans un centre social, un accueil de jeunes, un foyer de jeunes travailleurs, une mission locale, un bureau d'information jeunesse, etc. Il s'agit d'élargir les possibilités, pour les jeunes, de trouver une écoute ou des solutions à leurs questionnements, en leur permettant également de mieux identifier les professionnels auxquels ils peuvent s'adresser sur leur territoire.

Expérimenté à partir de 2016, ce dispositif est désormais mis en oeuvre par près d'une centaine de caisses d'allocations familiales qui contribuent à son financement et conventionnent les professionnels concernés. On comptait 1 850 « promeneurs du Net » en 2019, le soutien financier de la branche famille s'élevant à 3,3 millions d'euros en 2021.

Tout en offrant aux jeunes un nouveau type de service, la démarche a des effets positifs sur la mise en réseau locale des acteurs de la jeunesse. Toutefois, les deux-tiers des « promeneurs du Net » travaillent dans des territoires urbains, alors que ce dispositif présente une évidente plus-value pour les territoires ruraux en facilitant les contacts entre professionnels et jeunes là où ceux-ci rencontrent de fortes contraintes de mobilité.

Il est nécessaire de renforcer le déploiement du dispositif en priorisant les territoires ruraux.

Recommandation : renforcer les possibilités de présence numérique auprès des jeunes offertes par le dispositif « promeneurs du Net » en améliorant la couverture des territoires ruraux.

Pour autant, le développement de services numériques destinés aux jeunes ne saurait s'effectuer au détriment de la présence physique et du contact humain , qui demeurent indispensables. Les jeunes n'ont pas tous la même aptitude à se servir des outils numériques et ceux-ci ne peuvent satisfaire les besoins d'accompagnement.

L'ouverture de bureaux ou points information jeunesse supplémentaires serait nécessaire pour obtenir un meilleur maillage territorial. Elle suppose un intérêt et un engagement des collectivités locales.

La couverture de ces « zones blanches » peut également être recherchée par des formules plus souples, qu'il faudrait développer, telles que les partenariats avec d'autres structures présentes sur le territoire (maisons France service, centres sociaux, maisons familiales rurales, bibliothèques, tiers lieux dédiés aux jeunes) faisant office de relais en mettant à disposition des jeunes l'information proposée par le réseau information jeunesse puis en les orientant vers celui-ci en cas de besoin.

Enfin, au cours des auditions de la mission d'information, la nécessité d'une démarche d' « aller vers » les jeunes les plus isolés, notamment en zone rurale, a été soulignée. Des initiatives ont été prises en ce sens dans certaines régions, avec des véhicules « info truck » se déplaçant sur les territoires pour établir un contact direct avec les jeunes.

Recommandation : veiller à ce que le déploiement de plateformes numériques ne s'effectue pas au détriment du maillage territorial de l'information jeunesse.

Qu'elle passe par des outils numériques ou par une présence physique accrue, l'amélioration de l'information en direction des jeunes suppose une meilleure articulation des acteurs à l'échelon local, afin d'améliorer la lisibilité des offres d'information, de toucher les zones ou les publics non couverts et d'apporter les réponses les plus adaptées aux attentes des jeunes.

C. PRÉVENIR ET ACCOMPAGNER

Les situations de décrochage et les ruptures de parcours peuvent trouver leur origine dans des vulnérabilités ou des situations de fragilité, liées au contexte familial ou à des facteurs d'ordre psychologique ou de santé, auxquelles ni l'entourage, ni l'institution scolaire n'ont été en mesure de répondre.

Parmi ces situations, certaines enclenchent un accompagnement spécifique (prise en charge sanitaire ou médico-sociale, aide sociale à l'enfance, protection judiciaire de la jeunesse), alors que d'autres, lorsqu'elles ne sont pas identifiées et prises en compte, risquent d'accentuer les difficultés de l'enfant, de l'adolescent ou du jeune adulte, avec des conséquences durables sur son parcours futur.

Face à ces vulnérabilités, des actions de prévention et d'accompagnement sont nécessaires, mais leurs modalités ne sont pas évidentes à définir. Elles supposent en effet que les jeunes concernés acceptent de s'engager dans une telle démarche, sans se sentir contrôlés ou stigmatisés, ce qui n'est pas toujours acquis. Elles ne relèvent pas, en l'état actuel de la législation, d'une compétence clairement confiée à une institution, un service ou un échelon de collectivité déterminé. Enfin, elles font intervenir un ensemble diffus d'interlocuteurs, généralement associatifs, dont les missions ne sont pas toujours bien connues, ni reconnues, alors que leurs moyens, tributaires des engagements très variables des financeurs, demeurent précaires.

1. Un ensemble composite d'intervenants

Le soutien à la parentalité constitue un premier moyen pour prévenir les risques pesant sur les parcours des enfants et des jeunes. Comme l'a constaté la rapporteure à l'occasion de l'audition des structures spécialisées, de multiples situations témoignent d'un besoin d'accompagnement des parents, particulièrement dans les familles monoparentales qui représentent près d'un quart des foyers et concernent des mères pour 85 % d'entre elles. Une stratégie nationale de soutien à la parentalité pour les années 2018-2022 a été établie il y a trois ans. Elle définit un périmètre d'action très large, avec des objectifs assez généraux en termes de partenariats à mettre en oeuvre, de garantie de soutien financier plus pérenne aux structures et de formation des intervenants.

La Caisse nationale des allocations familiales paraît devoir jouer un rôle de premier plan dans le pilotage de ces actions, puisqu'elle apporte des financements essentiels au fonctionnement de nombreux dispositifs tels que les réseaux d'écoute, d'appui et d'accompagnement des parents (Reaap), les lieux d'accueil enfants parents (Leap), la médiation et les espaces de rencontres ou les contrats locaux d'accompagnement à la scolarité (Clas).

À ce stade, ces multiples outils de soutien à la parentalité paraissent encore insuffisamment connus des familles et des responsables des politiques publiques locales . Ils sont en outre davantage orientés sur la petite enfance et l'enfance que sur l'adolescence, période où les besoins d'accompagnement des jeunes et de leurs parents sont pourtant particulièrement importants.

Certaines structures sont spécifiquement destinées à l' accompagnement des adolescents et des jeunes adultes en situation de fragilité, les points d'accueil écoute jeunes (Paej) et les maisons des adolescents.

Environ 350 points d'accueil écoute jeunes accueillent, de façon inconditionnelle, gratuite et confidentielle des jeunes en situation de mal-être, ainsi que leurs parents. Les jeunes suivis sont le plus souvent en situation de fragilité psychologique ou de conflit familial. Ils sont écoutés, accompagnés et éventuellement orientés vers d'autres dispositifs. Une grande majorité des Paej sont gérés par des associations, et quelques-uns par des collectivités locales. Leur répartition sur l'ensemble du territoire est assez inégale, avec une concentration dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville et des zones moins bien couvertes, notamment certains départements ruraux. Le pilotage de ce réseau, jusqu'alors assuré par le ministère des solidarités et de la santé, vient d'être transféré à la Caisse nationale des allocations familiales.

Les maisons des adolescents , au nombre d'environ 120, sont quant à elles destinées à des actions d'information et de prévention en matière de santé. Elles assurent une fonction d'accueil, d'écoute, de soutien des adolescents et peuvent leur proposer un parcours d'accompagnement personnalisé sollicitant différentes compétences du réseau de professionnels avec lesquelles elles travaillent. Les maisons des adolescents sont pilotées par les agences régionales de santé et reçoivent également des financements des conseils départementaux.

Une autre forme d'action est celle des associations ou services de prévention spécialisée . Elle aussi vise les jeunes et les familles en difficulté. Elle repose sur une présence dans l'espace public et un travail de rue, avec des éducateurs allant à la rencontre des jeunes pour établir avec eux, sur la base de leur libre adhésion, une relation et un accompagnement, afin de prévenir les ruptures ou d'engager une démarche dans une optique d'insertion sociale. Par sa conception même, la prévention spécialisé prend des formes très diverses, avec des modes d'intervention variés et peu normalisés, adaptés à la réalité et aux besoins des territoires où elle est mise en oeuvre. En zone urbaine, il s'agira d'aller au contact des jeunes dans les moments de la journée où ils y sont présents, c'est-à-dire le plus souvent à des horaires très décalés par rapport à ceux des services qui leur sont destinés, ou de réaliser des animations en pied d'immeubles. En zone rurale, la relation s'établit plutôt à proximité des collèges, dans les intercours ou à l'occasion des transports.

La commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale a consacré en 2017 un rapport d'information très documenté sur la prévention spécialisée 163 ( * ) . Il en ressort que les moyens financiers qui lui sont consacrés avaient nettement diminué au cours de la dernière décennie, malgré des besoins sociaux toujours aussi importants, en raison notamment du désengagement de certains conseils départementaux, provoquant de très fortes disparités territoriales.

Les auditions menées par la mission d'information ont confirmé ce constat de fragilisation globale de la prévention spécialisée, avec toutefois des situations très contrastées selon les politiques départementales. Celles-ci vont d'un engagement minimal à un soutien beaucoup plus consistant, en passant par des solutions originales comme dans les Yvelines où le département a confié à une association, l'IFEP, l'ensemble des actions de prévention spécialisée qu'il finance, en concentrant les moyens sur un certain nombre de quartiers prioritaires.

2. Des missions à mieux valoriser et articuler

La « valeur ajoutée » des différentes structures actives dans la prévention et l'accompagnement des jeunes en situation de fragilité est indéniable. Aux côtés de l'application des politiques publiques nationales ou locales et des dispositifs en direction des jeunes qui leur sont attachés, elles mettent en oeuvre des approches très individualisées. Ce travail de proximité, permis par un fort engagement des professionnels, et parfois des bénévoles, qui s'y consacrent, n'est pas toujours quantifiable ou évaluable. Il est néanmoins essentiel pour « raccrocher » certains jeunes et leur redonner toutes leurs chances. À titre d'exemple, la rapporteure a ainsi pu constater, à Sarcelles, tout l'intérêt de l'implication d'une association de prévention spécialisée, en lien avec la mission locale, dans le plan régional d'insertion des jeunes.

Ces structures jugent le plus souvent leurs moyens insuffisants pour donner plus de portée à leur action. Par exemple, les points d'accueil écoute jeunes voudraient pouvoir déployer des équipes mobiles pluridisciplinaires pour aller à la rencontre des publics et lutter contre l'éloignement psychologique, géographique et économique, tout en maintenant la permanence d'un accueil dans les meilleures conditions.

Le financement de ces actions est d'autant plus fragile qu'elles ne présentent le plus souvent qu'un caractère facultatif.

Au-delà d'un renforcement des moyens financiers , qui est souhaitable pour autant que la contrainte budgétaire sur les collectivités territoriale soit moins forte, il paraît nécessaire d' accroître leur visibilité . Elles pâtissent du cloisonnement des politiques sociales et sont ainsi peu connues et reconnues en dehors des instances directement concernées par leur domaine d'intervention. A fortiori , elles sont mal identifiées par les publics auxquels elles s'adressent.

Il est également nécessaire de mieux articuler ces structures de prévention et d'accompagnement qui interviennent dans des champs distincts mais néanmoins contigus. À titre d'exemple, la Caisse nationale des allocations familiales observe que seuls 36 % des points d'accueil écoute jeunes disposent d'un partenariat formalisé avec une maison des adolescents, alors que les dispositifs sont proches. L'extension progressive des responsabilités confiées à la CNAF, avec le pilotage de nombreux dispositifs concernant la jeunesse et la parentalité, est un pas dans cette direction.

L'élaboration d'orientations stratégiques pour les politiques sociales locales doit être l'occasion de rapprocher ces acteurs.

On peut noter par exemple que le conseil départemental de la Somme a élargi à la prévention son schéma départemental de la protection de l'enfance et qu'à ce titre, il y mentionne aussi bien le soutien à la parentalité que la prévention spécialisée, avec l'objectif de développer la connaissance mutuelle des acteurs de la prévention et de la protection de l'enfance au sein d'un réseau territorial dont il assure l'animation.

Initialement axés sur la petite enfance, les schémas départementaux des services aux familles gagneraient à systématiquement comporter un volet jeunesse, celui-ci devant incorporer les politiques de prévention à l'égard des adolescents et jeunes adultes.

Il pourrait en être de même, dans certains cas, des conventions territoriales globales conclues entre les caisses d'allocations familiales et les intercommunalités.

Recommandation : mieux valoriser et articuler les interventions des structures de prévention et d'accompagnement des jeunes en situation de vulnérabilité et de leurs familles en décloisonnant les politiques sociales locales en direction des enfants et des jeunes.

VI. LES JEUNES EN DIFFICULTÉ D'INSERTION : LA NÉCESSITÉ D'UN ACCOMPAGNEMENT PLUS EFFICACE

Les écarts de trajectoire constatés entre jeunes au cours de la scolarité se retrouvent à la sortie du système scolaire et expliquent en grande partie la proportion particulièrement élevée de ceux d'entre eux qui font face à de grandes difficultés d'accès à l'emploi et à l'autonomie .

Ces difficultés de parcours n'épargnent pas, bien au contraire, les jeunes qui poursuivent des études supérieures, comme l'ont montré les récentes conclusions de la mission d'information du Sénat sur les conditions de la vie étudiante en France 164 ( * ) .

Compte tenu des travaux spécifiquement conduits par le Sénat sur les étudiants, la mission d'information sur la politique en faveur de l'égalité des chances et de l'émancipation de la jeunesse s'est quant à elle intéressée aux jeunes qui ne sont plus en étude , et dont l'insertion professionnelle est la plus problématique.

Leur nombre est important : environ un million si l'on se limite à ceux qui ne sont au sens strict ni en emploi, ni en formation, plus de deux millions s'il l'on y ajoute les jeunes ayant suivi des formations ou exercé des activités sur un temps réduit, qui connaissent également des situations de forte précarité.

Comment offrir à ces jeunes de réelles perspectives d'insertion et d'accès à l'autonomie ?

La mission d'information a constaté, que depuis plusieurs années, de multiples dispositifs ont été développés en ce sens, sans parvenir à entamer significativement cette proportion toujours très importante de jeunes en difficulté. Le plan « 1 jeune 1 solution » a dégagé des moyens supplémentaires massifs visant, pour l'essentiel, à majorer les capacités d'accueil dans les dispositifs existants. Il s'agit d'une réponse conjoncturelle à la crise sanitaire dont la pérennité n'est assurée que sur le court terme.

Si ce plan est utile et bienvenu, il apparaît surtout que le foisonnement des dispositifs et des actions peine à apporter une réponse efficace et durable à la situation des jeunes les plus éloignés de l'emploi . Le déploiement par la préfecture de région d'Île-de-France d'un plan spécifique destiné à identifier les jeunes concernés et à fédérer l'ensemble des acteurs afin de leur proposer un accompagnement adapté illustre, a contrario , le manque d'efficience d'une politique d'insertion des jeunes à laquelle l'État et les collectivités consacrent des moyens pourtant considérables.

L'effort doit donc porter sur une mise en cohérence des moyens, afin qu'à l'échelon local, les acteurs les utilisent plus efficacement au profit de ceux auxquels ils s'adressent prioritairement.

Enfin, l'accompagnement des jeunes vers l'autonomie comporte nécessairement une dimension financière , notamment pour ceux qui demeurent durablement sans emploi ni formation et ne peuvent compter sur un soutien parental suffisant. L'extension prévue de la Garantie jeunes n'épuise pas totalement le débat sur l'instauration d'un revenu garanti pour tous les jeunes.

A. UN NOMBRE ÉLEVÉ DE JEUNES EN GRANDE DIFFICULTÉ D'INSERTION

Notre pays compte un nombre élevé de jeunes qui, sans être en étude ou en formation, demeurent durablement sans perspective d'emploi et de revenus réguliers. À la pénalisation frappant les nouveaux entrants sur le marché du travail par rapport aux salariés déjà expérimentés s'ajoutent des obstacles liés au décalage entre le niveau de formation et les besoins des entreprises, ainsi que des handicaps socio-économiques et géographiques ou des discriminations à l'embauche.

1. Le chômage des jeunes : une réalité particulièrement marquée en France

Le taux de chômage des jeunes (15-24 ans) en France est traditionnellement élevé. Il est supérieur à 15 % depuis les années 1980 et s'élevait à 20,1 % en 2020 165 ( * ) . À titre de comparaison, ce taux était de 15,1 % dans l'ensemble de l'OCDE et de 16,6 % dans l'Union européenne.

Si ce taux est si élevé, c'est en partie parce qu'il s'applique à la fraction de cette classe d'âge qui est sortie du système de formation. Or celle-ci ne représente que 35 % des 15-24 ans et en son sein, les jeunes les moins diplômés, qui entrent plus tôt sur le marché du travail, sont surreprésentés.

Ainsi, si l'on considère l'ensemble de la tranche d'âge 15-24 ans, la proportion de chômeurs s'établit à 8 %.

Il n'en demeure pas moins que les jeunes sont particulièrement exposés au risque de chômage, par rapport au reste de la population, notamment parce que l'expérience professionnelle, et donc l'ancienneté sur le marché du travail, reste un déterminant essentiel de l'accès à l'emploi. Par ailleurs, moins de la moitié des jeunes de 15 à 24 ans en emploi disposent d'un contrat à durée indéterminée. Au temps de recherche d'un premier emploi s'ajoutent ainsi de fréquentes périodes de chômage consécutives à des emplois à durée limitée.

Comme le prouvent les résultats obtenus par certains de nos voisins 166 ( * ) , le chômage des jeunes n'est pas une fatalité mais semble assez fortement corrélé au taux de chômage de l'ensemble de la population.

2. Une fraction de la jeunesse en risque de décrochage social
a) Les Neet, un phénomène structurel qui représente 1 million de jeunes

Le concept de Neet , acronyme de l'anglais « Not in education, employment or training » s'est imposé pour décrire la situation des jeunes qui, étant sortis du système scolaire, ne sont ni en emploi ni en formation .

Cette population est suivie notamment dans le cadre de l'enquête emploi et de l'Insee et a fait l'objet d'une étude de la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques du ministère du travail (Dares) publiée en février 2020 167 ( * ) .

En 2018, 963 000 jeunes âgés de 16 à 25 ans étaient dans cette situation 168 ( * ) , selon la définition d'Eurostat 169 ( * ) , soit 12,9 % de cette classe d'âge, mais 18,3 % des 23-25 ans 170 ( * ) . Si l'on rapporte le nombre de Neet au nombre de des jeunes sortis de formation initiale , en excluant donc les jeunes qui sont encore en études, ce taux monte à 27,9 % .

Les données de l'Insee montrent que si les chocs économiques (2008, 2020) provoquent une augmentation de la part des Neet parmi les jeunes, les périodes de relative amélioration conjoncturelle n'ont pas permis de la réduire sensiblement, preuve qu'il s'agit d'un phénomène structurel de notre société.

Part de Neet parmi les 15-29 ans de 2003 à 2020 (%)

Source : Insee

b) Le halo des Neet : plus de 2 millions de jeunes

La définition retenue par Eurostat, qui recense autour de 1 million de Neet actuellement en France, peut paraître restrictive. Elle exclut de la catégorie des Neet des jeunes qui pratiquent une activité non formelle (formations, cours liés à des activités culturelles ou de loisir). De même, certains jeunes qui ont suivi une formation courte au cours de la période de référence ne sont pas considérés comme des Neet .

Il existe donc un « halo » de la population Neet encore plus important que cette population elle-même. Selon l'étude précitée, entrent dans ce halo environ 300 000 jeunes ayant suivi une formation non formelle ou ayant été en emploi pour moins d'un mois, et 1 850 000 autres jeunes identifiés par la Dares comme n'étant pas en formation formelle.

Neet et halo des Neet parmi les jeunes de 16-25 ans
qui ne sont pas en étude (2018)

Source : Dares

Il convient par ailleurs de noter que la France figure parmi les pays de l'Union européenne connaissant une part des Neet supérieure à la moyenne .

Pourcentage de Neet parmi les moins de 25 ans (en 2018)

Source : Dares

c) Une proportion de Neet plus élevée dans certains territoires

Une étude plus fine de la population des Neet montre que ce phénomène touche plus durement certains territoires.

Ainsi, plus d'un quart (25,2 %) des jeunes vivant dans un quartier prioritaire de la politique de la ville (QPV) est Neet , et près de la moitié (45,6 %) de ceux qui ont terminé leur formation initiale, soit deux fois plus que parmi les jeunes ne résidant pas en QPV (respectivement 11 % et 24,6 %).

Le taux de Neet parmi les jeunes résidant dans une commune rurale apparaît moins élevé que la moyenne et que les chiffres observés dans les agglomérations plus importantes. Pour autant, selon les calculs de la Dares, les chances de se trouver dans cette situation sont plus importante pour les jeunes des territoires ruraux que pour les jeunes résidant dans des aires urbaines plus importantes (hors agglomération parisienne).

Enfin, les jeunes d'outre-mer apparaissent particulièrement concernés. Les données publiées par l'observatoire des territoires montrent que la part de Neet parmi les 15-24 ans était ainsi proche du quart en Guadeloupe (24,7 %) et en Martinique (23,7 %) et supérieure à 30 % à La Réunion (30,1 %) et en Guyane (38,1 %) 171 ( * ) .

Part des Neet parmi les 15-24 ans (2017)

Source : Observatoire des territoires

d) Une population hétérogène

La population des Neet est très hétérogène et s'inscrit dans un continuum allant des jeunes récemment diplômés et à la recherche de leur premier emploi 172 ( * ) à des publics fortement éloignés de l'emploi et en risque d'exclusion sociale.

La population des Neet se compose en parts à peu près égales de jeunes au chômage (53 %) 173 ( * ) et d'inactifs (47 %). Parmi les inactifs, près des deux tiers (64,2 %) disent ne pas souhaiter travailler. Les autres (40 % des jeunes hommes et 32 % des jeunes femmes) disent souhaiter travailler mais ne cherchent pas d'emploi pour diverses raisons.

On note par ailleurs que près de la moitié des Neet sont dans cette situation de manière continue depuis un an ou plus.

Une étude de l'Injep publiée en janvier 2020 174 ( * ) distingue cinq catégories de Neet , désignées de manière à refléter la situation la plus courante à laquelle chacune correspond :

Hétérogénéité des Neet

Source : Injep

Les Neet sans diplôme (catégorie 5) apparaissent comme les plus vulnérables et les plus éloignés de l'emploi (54 % d'entre eux cherchent un emploi depuis plus d'un an, 77 % n'ont jamais travaillé, 70 % sont sans diplôme).

Ils perçoivent un revenu moyen de 2 810 euros par an, dont la moitié provient de prestations sociales.

Ces jeunes sont également les plus isolés et leur nombre est ainsi très probablement sous-évalué 175 ( * ) .

e) Des freins à l'emploi multiples

De manière peu surprenante, le niveau d'études constitue le principal facteur permettant de prédire les situations d'exclusion des jeunes. Ainsi, les deux-tiers (67 %) des jeunes sortis de formation initiale ayant un niveau d'études inférieur au CAP ou au BEP sont Neet , comme un peu moins de la moitié (44,6 %) de ceux qui ont un niveau équivalent au CAP ou au BEP sans avoir de diplôme.

Ainsi que l'a expliqué Mme Magali Danner au cours de son audition, les facteurs qui exposent le plus les jeunes au risque de devenir Neet sont, outre le profil scolaire, les freins « périphériques » à l'emploi , notamment la capacité de mobilité 176 ( * ) , la maîtrise du numérique, l'état de santé, le manque de ressources financières, l'isolement familial ou encore les difficultés de logement.

La question de la mobilité se pose de manière particulièrement forte outre-mer , justifiant des aides spécifiques pour les jeunes souhaitant effectuer une formation qualifiante hors de leur département ou de leur collectivité d'origine. C'est le rôle l'Agence de l'outre-mer pour la mobilité (Ladom) qui finance notamment un passeport mobilité formation professionnelle bénéficiant à environ 4 000 jeunes ultra-marins par an. Les moyens qui lui sont dévolu ont cependant peu progressé ces dernières années, même si le taux d'insertion des bénéficiaires 177 ( * ) s'améliore grâce à une coordination plus étroite avec les acteurs locaux pour mieux répondre aux qualifications recherchées.

Les freins « périphériques » à l'emploi se cumulent et se renforcent mutuellement. Un mauvais état de santé, y compris psychique, est un obstacle à l'emploi, qui renforce les difficultés financières et rend plus difficile l'accès aux soins.

Le sexe ne semble pas influer de manière très importante sur la probabilité d'être dans une telle situation 178 ( * ) . Toutefois, près de la moitié des personnes ayant un enfant vivant sous le même toit sont Neet . Or, cette situation touche plus fréquemment les femmes. En effet, 36,3 % des jeunes femmes Neet ne souhaitant pas travailler et 25,5 % de celles qui souhaitent travailler mais ne recherchent pas d'emploi citent la garde d'enfants ou d'une personne dépendante comme principale raison.

B. UN FOISONNEMENT DE DISPOSITIFS

De longue date, la politique d'insertion professionnelle des jeunes se traduit par la mise en place de nombreux dispositifs, répondant à des statuts ou des objectifs spécifiques, mais qui jusqu'à présent n'ont pas permis d'accélérer de manière décisive l'accès des jeunes à l'emploi après leur sortie d'études. Lancé en réponse à la crise sanitaire, le plan « 1 jeune 1 solution » permet à un nombre accru de jeunes d'en bénéficier, mais ses effets ne seront que temporaires si les moyens qui lui ont été affectés ne sont pas pérennisés.

1. La progression de l'apprentissage ne profite que partiellement aux jeunes les plus éloignés de l'emploi

De multiples dispositifs relevant du droit commun visent à permettre l'insertion des jeunes sans cibler particulièrement les Neet .

L'apprentissage constitue une voie vers l'emploi que les pouvoirs publics cherchent à promouvoir, notamment en faveur des jeunes pour lesquels l'enseignement scolaire classique n'est pas adapté. Ce mode de formation permet en outre à l'apprenti de bénéficier d'un revenu, ce qui peut constituer un facteur décisif pour les jeunes issus de milieux modestes.

La réforme mise en oeuvre par la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel 179 ( * ) visait à faciliter le recours à l'apprentissage en le rendant plus souple. Un contrat d'apprentissage peut ainsi désormais être conclu avec un jeune jusqu'à 29 ans et en cours d'année. Sa durée peut être modulée pour tenir compte du niveau initial des compétences du jeune.

Le dispositif de prépa-apprentissage vise par ailleurs à permettre aux jeunes les plus éloignés de l'emploi de bénéficier d'un parcours d'accompagnement dans un centre de formation d'apprentis (CFA) pendant une durée allant de quelques jours à plusieurs mois.

Cette réforme, couplée à une conjoncture favorable, a entraîné une forte progression du recours à l'apprentissage , le nombre de contrats conclus ayant atteint le niveau record de 525 600 en 2020 , soit 42 % de plus qu'en 2019 et 64 % de plus qu'en 2018.

Pour autant, cette progression semble ne profiter que partiellement aux publics les plus éloignés de l'emploi . En effet, en 2020, selon les chiffres fournis à la rapporteure par la DGEFP, seuls 6 % des contrats d'apprentissage visaient l'obtention d'un titre de niveau 1 (savoirs de base) et 8,5 % un titre de niveau 2 (savoirs professionnels).

À l'inverse, 20 % des contrats visaient l'obtention d'un diplôme au moins équivalent à la licence et 20 % au BTS 180 ( * ) . Alors que les contrats permettant de préparer une formation du supérieur comptaient pour un peu moins de 4 entrées sur 10 en 2018, ils en représentent près de 6 sur 10 en 2020. Le nombre d'entrées sur des niveaux de formation équivalents au CAP ne progresse que très modérément (+ 7 % de 2019 à 2020).

2. La mise en oeuvre du droit à l'accompagnement

Aux termes de l'article L. 5131-3 du code du travail, tout jeune de 16 à 25 ans « en difficulté et confronté à un risque d'exclusion professionnelle » a droit à un accompagnement vers l'emploi et l'autonomie, organisé par l'État.

a) Pacea et Garantie jeunes

Ce droit à l'accompagnement passe notamment par le parcours contractualisé d'accompagnement vers l'emploi et l'autonomie (Pacea), dont la Garantie jeunes constitue une modalité spécifique.

La mise en oeuvre du droit à l'accompagnement :
Pacea et Garantie jeunes

Le Pacea

Aux termes de l'article L. 5314-4 du code du travail, l'accompagnement
auquel chaque jeune en difficulté d'insertion a droit peut prendre la forme d'un parcours contractualisé d'accompagnement vers l'emploi et l'autonomie (Pacea) 181 ( * ) .

Ce parcours est élaboré avec le jeune sur la base d'un diagnostic initial. Il comprend des périodes de formation, des mises en situation professionnelle et des actions d'accompagnement social. Dans ce cadre, le conseiller peut mobiliser l'ensemble de l'offre de services de la mission locale et, le cas échéant, faire appel à des organismes extérieurs (Pôle emploi, protection judiciaire de la jeunesse...)

La durée maximale d'un accompagnement en Pacea est de 24 mois. Il peut s'accompagner, lorsque la situation du jeune le justifie, d'une allocation dont le montant mensuel ne peut excéder celui du RSA et dont le montant annuel est plafonné à six fois celui du RSA. Cette allocation peut le cas échéant être cumulée avec un autre revenu (rémunération ou allocation) d'un montant inférieur à 300 euros.

La Garantie jeunes

Créée à titre expérimental par un décret de 2013 182 ( * ) puis généralisée par la loi « Travail » de 2016 183 ( * ) , la Garantie jeunes (art. L. 5131-6) constitue une modalité spécifique du Pacea ouverte aux jeunes de 16 à 25 ans ne recevant aucun soutien financier de la part de leurs parents et qui, n'étant pas étudiants, ne sont ni en emploi ni en formation et satisfont à une condition de ressources correspondant au montant forfaitaire du RSA.

Elle correspond à une phase d'accompagnement intensif et donne lieu au versement d'une allocation d'un montant égal à celui du RSA. L'allocation est entièrement cumulable avec des revenus d'activité n'excédant pas 300 euros par mois et elle est dégressive au-delà, dans la limite de 80 % du SMIC.

Un renforcement de la marge d'appréciation des conseillers

Dans chaque département, une commission locale présidée par le préfet est chargée du suivi des parcours en Garantie jeunes et peut prendre des décisions dérogatoires afin d'admettre des jeunes ne remplissant pas l'ensemble des critères légaux 184 ( * ) . Un décret publié en mai 2021 185 ( * ) a renforcé la marge d'appréciation des conseillers des missions locales en leur donnant des prérogatives auparavant réservées aux commissions locales.

À compter du 1 er octobre 2021, la durée du parcours en Garantie jeunes pourra ainsi être modulée entre 9 et 12 mois et prolongée jusqu'à 18 mois sans qu'une décision de la commission locale soit nécessaire. En outre, la Garantie jeunes pourra être attribuée à titre dérogatoire à des jeunes dont les ressources dépassent jusqu'à 30 % le plafond prévu et même, sur décision de la commission locale, lorsque le dépassement du plafond est compris entre 30 % et 100 %.

Enfin, l'instruction ministérielle relative à la mise en oeuvre du Pacea et de la Garantie jeunes 186 ( * ) a été modifiée afin de permettre, à titre exceptionnel, à un jeune demeurant rattaché au foyer fiscal de ses parents mais en rupture avec sa famille, d'être admis en Garantie jeunes.

La généralisation de la Garantie jeunes en 2016, intervenue avant le terme de l'expérimentation et en même temps que la création du Pacea, a sans doute fait l'impasse sur une réflexion approfondie concernant l'articulation entre ces deux dispositifs.

En effet, si la Garantie jeunes est, juridiquement, une modalité spécifique de Pacea, elle est présentée dans les communications officielles et même dans les documents budgétaires comme une solution distincte 187 ( * ) .

La rapporteure estime que si la souplesse du Pacea permet d'offrir un accompagnement sur mesure à des jeunes pour lesquels une entrée en Garantie jeunes ne serait pas pertinente, la Garantie jeunes doit être mise en avant comme l'outil privilégié des missions locales en matière d'accompagnement des Neet .

Recommandation : clarifier l'articulation entre le Pacea et la Garantie jeunes et faire de cette dernière l'outil privilégié d'accompagnement des Neet .

Parmi les jeunes en très grande difficulté d'insertion figurent certains d'entre eux qui étaient pris en charge, jusqu'à leur majorité, par l'aide sociale à l'enfance . L'Assemblée nationale a adopté le 7 juillet dernier un amendement gouvernemental au projet de loi relatif à la protection des enfants 188 ( * ) prévoyant que la Garantie jeunes serait systématiquement proposée aux majeurs âgés de moins de vingt et un ans ayant été confiés à l'aide sociale à l'enfance « qui éprouvent des difficultés d'insertion sociale faute de ressources ou d'un soutien familial suffisants » et qui ont besoin d'un accompagnement. L'amendement prévoit également qu'à défaut d'entrée dans la Garantie jeunes, les départements devront proposer, à titre temporaire, un contrat jeune majeur, les charges correspondantes devant faire l'objet d'une compensation de l'État qui sera définie dans la prochaine loi de finances. Cette évolution importante, visant à ce qu'aucun jeune sortant de l'aide sociale à l'enfance ne reste sans solution et puisse bénéficier soit d'aides à la poursuite d'études, soit de la Garantie jeunes, soit, à titre subsidiaire, d'un contrat jeune majeur, mérite d'être rapidement mise en oeuvre et supposera une mobilisation des missions locales.

Recommandation : assurer rapidement l'entrée en vigueur des dispositions relatives à l'accompagnement des jeunes sortant de l'aide sociale à l'enfance, en particulier l'accès systématique à la Garantie jeunes.

b) Les dispositifs de deuxième chance

Plusieurs dispositifs visent spécifiquement les jeunes en grande difficulté.

- Les écoles de la deuxième chance

Les écoles de la deuxième chance (E2C) 189 ( * ) sont des structures associatives créées généralement à l'initiative des collectivités locales ou organismes consulaires. Elles proposent un parcours de formation personnalisé en alternance à des jeunes de 16 à 25 ans dépourvus de qualification professionnelle ou de diplôme, d'une durée pouvant aller jusqu'à 48 mois. Les bénéficiaires ont le statut de stagiaires de la formation professionnelle et bénéficient à ce titre d'une allocation mensuelle.

Le cursus d'un stagiaire en E2C débute par une période de diagnostic et d'intégration d'au moins 4 semaines, qui comprend un premier stage en entreprise et qui doit permettre de définir les modalités d'accompagnement. Le stagiaire s'engage ensuite dans un programme en alternance d'une durée d'environ 6 mois, à l'issue de laquelle une attestation de compétences acquises lui est délivrée. Après sa sortie de l'E2C, le jeune continue à être suivi et accompagné vers une solution pérenne pendant au moins un an.

Les E2C sont implantées dans 59 départements. Elles accueillent environ 15 000 volontaires par an dans 53 écoles comprenant 135 sites.

Environ 60 % des stagiaires connaissent une sortie positive : 25 % intègrent une formation qualifiante, 15 % signent un contrat d'apprentissage ou de professionnalisation et 20 % un contrat de travail 190 ( * ) .

Le coût moyen par jeune accueilli s'élève à 5 300 euros par an. En 2019, les E2C ont bénéficié de financements d'un montant total de 85,8 millions d'euros, dont 31 % des régions, 29 % de l'État, 14 % de fonds européens et 10 % des autres collectivités locales. Les entreprises, via la taxe d'apprentissage, représentaient enfin 6 % des financements du réseau.

Source : Réseau E2C

Le réseau des E2C est en expansion régulière, avec 11 sites supplémentaires créés en 2019 et plusieurs nouvelles ouvertures prévues. On peut noter que, malgré l'augmentation du nombre d'établissements, les crédits prévus en loi de finance initiale au titre de la mission Travail et emploi (programme 102) n'ont pas augmenté depuis 2017 (24 millions d'euros), même si des financements complémentaires sont intervenus par le biais du commissariat général à l'égalité des territoires.

La mission d'information estime que l'extension du maillage territorial des écoles de la deuxième chance doit être poursuivie, afin de couvrir un plus grand nombre de bassins d'emploi. À ce titre l'État doit favoriser l'émergence d'initiatives locales et amplifier son soutien financier au développement du réseau.

Recommandation : poursuivre le déploiement des écoles de la deuxième chance, avec le soutien financier de l'État, afin de renforcer leur maillage territorial.

- L'Épide

L'Établissement public d'insertion dans l'emploi 191 ( * ) , créé en 2005 192 ( * ) , propose une pédagogie d'inspiration militaire mais fortement individualisée. Il accueille des jeunes de 18 à 25 ans selon une formule d'internat en semaine dans un de ses 19 centres. Le parcours des volontaires comprend une formation générale et spécialisée dispensée par le personnel des centres 193 ( * ) , des actions d'éducation à la citoyenneté et un accompagnement sanitaire et social.

Les volontaires perçoivent une allocation dont le montant est fixé à 210 euros en 2021 à laquelle s'ajoute une prime dont le montant s'élève à 90 euros par mois passé dans le dispositif, versée à la fin du parcours.

Le financement de l'Épide est principalement assuré par des subventions du ministère du travail (programme 102) et du ministère de la Ville (programme 147), qui s'élevaient respectivement à 56 millions d'euros et 28 millions d'euros en 2020 et au titre du Fonds social européen (6,3 millions d'euros en 2020).

Comme l'a récemment souligné la Cour des comptes 194 ( * ) , l'Épide constitue un dispositif particulièrement adapté pour des jeunes en situation de fragilité sociale ou personnelle qui requièrent une approche très individualisée et un taux d'encadrement élevé. Outre une remise à niveau et un accompagnement à la définition d'un projet professionnel et à la recherche d'emploi, les jeunes sont amenés à travailler sur le comportement et la reprise de confiance en soi. Une attention spécifique est portée à l'accompagnement sanitaire et social.

L'Épide ne paraît pas disposer aujourd'hui de la masse critique qui lui permettrait de pleinement valoriser ses réels atouts . Son maillage territorial, qui résulte davantage de facteurs liés aux ressources foncières du ministère des armées 195 ( * ) que d'une stratégie partant des besoins locaux, est à la fois très déséquilibré et insuffisant. Les implantations sont peu adaptées au public potentiellement concerné et elles sont en nombre insuffisant pour lui donner notoriété et visibilité, tant auprès des jeunes que des acteurs de l'insertion.

Sur 19 centres, trois seulement se situent dans la moitié sud du pays (Bordeaux, Marseille et Toulouse). Les internats ne fonctionnant qu'en semaine, le coût et les contraintes d'un aller-retour hebdomadaire sont dissuasifs pour nombre de jeunes, notamment ceux vivant en milieu rural et ne disposant pas de moyen de transport, ce qui milite pour une extension de l'hébergement à tous les jours de la semaine, y compris les week-ends.

Recommandation : rééquilibrer l'implantation territoriale de l'Épide, en créant de nouveaux centres dans les régions encore peu couvertes, et étendre l'hébergement à tous les jours de la semaine afin de toucher davantage les jeunes éloignés des lieux d'implantation.

L'évaluation de l'Épide par la Cour des comptes

À la demande de la commission des finances de l'Assemblée nationale, l'Épide a fait l'objet d'une évaluation par la Cour des comptes qui a donné lieu à la publication d'un rapport en mai 2021.

La Cour des comptes relève les fragilités persistantes de cet établissement, dont une partie est imputable à sa gouvernance, et notamment à la volonté du ministère des armées de s'en désengager ainsi qu'à la fragilité de sa stratégie immobilière. Elle relève notamment que le dernier contrat d'objectifs et de performance, arrivé à échéance en 2018, n'a pas été renouvelé depuis et que le conseil scientifique de l'établissement n'a jamais été désigné.

En outre, malgré l'augmentation des capacités d'accueil et l'affichage d'une ambition politique forte, les effectifs de l'Épide stagnent.

Si l'Épide constitue un apport indéniable à la prise en charge des jeunes en grande difficulté, la Cour relève que des améliorations sont nécessaires, afin d'assurer la viabilité de son modèle.

La rapporteure fait siennes les propositions de la Cour, notamment s'agissant du renforcement de la notoriété de l'établissement, de l'amélioration de la cohérence et de la visibilité de l'offre de l'Épide au regard des autres dispositifs et de l'augmentation de la part de jeunes femmes parmi les volontaires accueillis.

- Le service militaire adapté outre-mer (SMA) et le service militaire volontaire (SMV)

Créé en 1961, le service militaire adapté (SMA) s'adresse aux jeunes des départements et territoires ultramarins 196 ( * ) . Expérimenté à partir de 2015 et généralisé en 2018 197 ( * ) , le service militaire volontaire (SMV) s'adresse aux jeunes métropolitains.

Ces deux dispositifs mettent l'accent sur la formation professionnelle, selon une orientation définie dès l'entrée dans le dispositif avec le jeune et en lien avec les besoins du territoire.

Ils accueillent d'une part des « volontaires stagiaires », pas ou faiblement diplômés et souffrant d'un fort éloignement de l'emploi et d'autre part des « volontaires techniciens », titulaires d'un diplôme au moins égal au CAP, à la recherche d'une première expérience professionnelle, qui participent notamment à des tâches de soutien.

Le service militaire adapté a fait l'objet d'un rapport 198 ( * ) de la commission des finances du Sénat, publié en février 2019. Ce rapport signalait notamment la montée en charge du dispositif entre 2009 et 2017 dans le cadre du plan « SMA 6 000 » qui a permis un doublement des effectifs de jeunes accueillis. Il observait en outre le niveau particulièrement satisfaisant, au regard du profil des volontaires, du taux d'insertion (plus de 70 %).

Pour autant, comme le soulignait ce rapport, ce dispositif peut encore être renforcé, tant en ce qui concerne le nombre de volontaires accueillis (le taux de sélectivité apparaît trop important dans certains territoires) que le nombre d'encadrants ou encore la durée des parcours.

- Une réflexion à mener sur les synergies possibles

La création du SMA en 1961 était une réponse à d'importantes difficultés en outre-mer et notamment dans les Antilles, qui avaient donné lieu à des émeutes en décembre 1959. L'Épide a été créé à la suite des émeutes qui ont marqué les banlieues de métropole à l'automne 2005 et la création du SMV a eu lieu dans un contexte marqué par la volonté des pouvoirs publics de proposer des outils de remobilisation civique après les attentats de 2015.

Les E2C trouvent leur origine dans le Livre Blanc « Enseigner et Apprendre - Vers la société cognitive » présenté en 1995 par la commissaire européenne à l'éducation Édith Cresson. Si elles sont désormais mentionnées dans le code de l'éducation, leur réseau demeure animé par un acteur associatif et dépend en partie du soutien d'une fondation privée (la fondation Édith Cresson pour les écoles de la deuxième chance).

Comme le regrettait dès 2015 la Fondation pour la recherche sur les administrations et les politiques publiques (Ifrap) 199 ( * ) , ces dispositifs se sont ainsi ajoutés les uns aux autres sans qu'une réflexion de fond sur leurs avantages comparatifs et sur les synergies qui pourraient être développées entre eux n'ait été engagée. Il semble notamment envisageable de rapprocher les trois dispositifs dans lesquels le ministère des armées joue un rôle, ou du moins les deux qui existent en métropole.

Ainsi que le souligne la Cour des comptes dans son évaluation de l'Épide, les différences dans les publics accueillis et les approches retenues rendent difficile une comparaison des avantages et de l'efficacité relative des différents dispositifs en faveur des jeunes. La mise en place d'outils d'évaluation plus qualitatifs apparaît donc nécessaire afin de permettre une allocation plus efficiente des moyens.

Lors de l'audition commune qu'elle a organisée avec l'Épide et les écoles de la deuxième chance, votre rapporteure a pu constater que les deux dispositifs s'adressaient à des publics proches mais néanmoins différents, l'une ou l'autre formule pouvant mieux correspondre aux besoins des jeunes selon les caractéristiques de leur profil. Au demeurant, des coopérations entre structures existent, notamment dans le département de l'Essonne.

Ainsi, la coexistence de plusieurs dispositifs différents ne paraît pas en soi problématique. Au contraire, elle peut permettre de mieux répondre à la variété des profils et des besoins des jeunes Neet . Cet objectif supposerait cependant une politique globale et cohérente assurant un meilleur maillage territorial des différentes formules et une information accrue et pertinente des structures d'insertion, notamment les missions locales, afin qu'elles puissent orienter les jeunes concernés vers les dispositifs les plus appropriés.

Recommandation : rationaliser la coexistence des différents dispositifs de deuxième chance en conservant les avantages spécifiques de chacun d'entre eux.

3. Les autres dispositifs

Un grand nombre de dispositifs, plus ou moins structurants et s'inscrivant dans une logique plus ou moins globale, complètent la palette des solutions proposées aux jeunes éloignés de l'emploi.

Ces dispositifs, trop nombreux pour qu'un inventaire exhaustif puisse en être dressé, sont portés par différents acteurs.

- L'accompagnement intensif par Pôle emploi

Pôle emploi a mis en place un dispositif d'accompagnement intensif des jeunes (AIJ) par un conseiller pendant 3 à 6 mois 200 ( * ) . Cet accompagnement repose sur des actions de mise en contact avec des entreprises (rencontres professionnelles, immersions...) et une intermédiation active (prospection, promotion du candidat auprès des recruteurs...). Les bénéficiaires sont suivis y compris après leur accès à l'emploi.

Dans le cadre du plan « 1 jeune, 1 solution », le plan de relance prévoit de financer l'augmentation du nombre de jeunes bénéficiant de l'AIJ, à hauteur de 135 000 en 2020 et 240 000 en 2021, contre 100 000 en 2019.

- Des initiatives locales

Dans le cadre de leurs compétences, les collectivités territoriales, et notamment les départements, mettent en oeuvre une politique d'accompagnement des jeunes en difficulté.

À titre d'exemple, le département de la Gironde propose depuis 2008 un contrat d'accompagnement personnalisé (CAP'J) aux jeunes de 18 à 25 ans confrontés à une accumulation de difficultés sociales, personnelles et professionnelles. Ce dispositif associe un soutien financier et matériel complémentaire aux dispositifs de droit commun. Dans le contexte de la crise sanitaire, le département a élargi ce dispositif aux 26-29 ans et aux étudiants et porté le montant maximal de l'allocation à 3 000 euros sur 12 mois au lieu de 2 000 euros (CAP'J Crise).

Auditionnée par la rapporteure, l'association des départements solidaires a également mentionné des exemples similaires en Loire-Atlantique (Contrat de soutien à l'autonomie des jeunes (CSAJ) ou encore dans le Finistère (Avenir jeunes 29).

- L'action du monde associatif

D'autres initiatives sont issues du monde associatif. La rapporteure a notamment auditionné la fondation Apprentis d'Auteuil, qui a développé une palette de formations adaptées, passant par la voie scolaire, l'alternance ou l'entrepreneuriat. Co-construites avec les entreprises, elles visent à offrir une solution à des jeunes éloignés de l'emploi et cumulant des difficultés importantes. Avec le projet « Impact jeunes », elle mène également à l'échelle de trois quartiers des actions inscrites dans la durée de soutien à l'insertion des jeunes de 13 à 30 ans, tout au long de leur parcours.

4. Le plan « 1 jeune 1 solution » : une amplification des dispositifs existants

Dans le cadre de la réponse aux conséquences de la crise sanitaire, le Gouvernement a mis en place un plan appelé « 1 jeune 1 solution ». Si ce plan comprend certaines mesures nouvelles, il correspond essentiellement à la labellisation d'un ensemble de dispositifs et d'aides qui existaient déjà et qui ont été redimensionnés dans le cadre du plan de relance. Il s'accompagne de la création d'une plateforme en ligne permettant l'information des jeunes et des professionnels de l'insertion. Les solutions regroupées sur ce site s'adressent à une relativement grande diversité de publics (lycéens, demandeurs d'emploi, décrocheurs.

Parmi les mesures de ce plan figurent notamment une aide exceptionnelle à l'embauche d'apprentis se substituant à l'aide de droit commun, le renforcement du recours aux contrats aidés et aux emplois francs et l'ouverture de places de formation supplémentaires, notamment dans les secteurs de la santé et du soin et du monde du sport et de l'animation. Le plan comprend également le financement de 100 000 missions supplémentaires en service civique.

En ce qui concerne les dispositifs d'aide à l'insertion des jeunes Neet , le plan prévoit notamment une forte augmentation du nombre de places en Pacea et en Garantie jeunes et un développement du dispositif d'accompagnement intensif (AIJ) de Pôle emploi.

Enfin, le plan « 1 jeune 1 solution » comprend une mesure nouvelle en faveur des jeunes éloignés de l'emploi, mise en oeuvre par l'Agence nationale pour la formation des adultes (Afpa). Le dispositif « promo 16-18 », lancé en novembre 2020, est un programme dédié aux jeunes de 16 à 18 ans 201 ( * ) , lié à la mise en place d'une obligation de formation depuis la rentrée 2020 202 ( * ) .

Il consiste en un accompagnent de 4 mois visant à remobiliser des jeunes décrocheurs adressés par les missions locales et à leur faire découvrir les métiers et les opportunités qui s'offrent à eux. L'objectif fixé à l'Afpa est d'accueillir 35 000 jeunes d'ici la fin de l'année 2021 (dont 5 000 en 2020) 203 ( * ) et la DGEFP considère que les premiers retours sont « hautement satisfaisants ».

Le plan « 1 jeune 1 solution » : les cibles quantitatives

La communication du ministère du travail présente des objectifs chiffrés quant au déploiement du plan « 1 jeune 1 solution ». L'analyse de ces cibles est rendue difficile par le fait qu'elles incluent parfois le nombre de jeunes accueillis en temps « normal » et que le déploiement du plan se fait, pour certaines mesures, sur les années 2020 et 2021.

- 100 000 nouvelles formations qualifiantes vers les métiers d'avenir financées dans le cadre du plan d'investissement dans les compétences (PIC) ;

- 16 000 nouvelles places de formation dans les domaines du soin et de la santé ;

- 30 000 places de formation, dont 10 000 qualifiantes dans le domaine du numérique ;

- 100 000 places en service civique (en plus des 140 000 places initialement prévues) ;

- 35 000 accompagnements de jeunes de 16 à 18 ans par l'Afpa (« promo 16-18 ») ;

- 10 000 places nouvelles en 1 er cycle universitaire ;

- 26 500 places supplémentaires en BTS et CAP ;

- Doublement du nombre de bénéficiaires des cordées de la réussite ;

- 80 000 contrats aidés (parcours emplois compétences) ;

- 50 000 contrats aidés dans le secteur marchand (contrats initiative emploi) ;

- 100 000 places supplémentaires en Garantie jeunes (en plus des 100 000 annuelles) ;

- 80 000 Pacea supplémentaires ;

- 240 000 accompagnements intensifs des jeunes par Pôle emploi (contre 100 000 en 2019);

- 3 000 places supplémentaires places dans le dispositif Sesame (accompagnement vers une formation d'éducateur sportif ou d'animateur).

Le plan « 1 jeune 1 solution » :
premier bilan présenté par le Gouvernement à l'été 2021

Un premier bilan de la mise en oeuvre du plan a été présenté par la ministre du travail en juillet 2021.

Il fait état, pour la période allant d'août 2020 à mai 2021, des principaux résultats suivants :

- 350 000 jeunes entrés en formation, dont 90 800 formés dans les secteurs stratégiques de la relance (numérique ; social, soin et santé ; industrie ; écologie) ;

- près de 90 000 missions de service civique ;

- 3 500 jeunes« promo 16-18 » à l'AFPA ;

- 31 500 parcours emplois compétences ;

- 23 000 contrats initiative emploi ;

- 121 000 Garantie jeunes ;

- 380 000 jeunes entrés en Pacea ;

- 200 000 accompagnements intensifs des jeunes par Pôle emploi.

L'effort exceptionnel prévu par ce plan semble justifié par la situation créée par la crise sanitaire. Pour autant, certains des dispositifs compris dans ce plan répondent à des problématiques plus structurelles. Notamment, les actions du plan « 1 jeune 1 solution » en direction des Neet , mériteraient d'être pérennisées, tant les difficultés propres à ce public ne disparaitront pas avec le redémarrage économique.

Recommandation : pérenniser les financements du plan « 1 jeune 1 solution » à hauteur des besoins .

C. UNE NÉCESSAIRE MISE EN COHÉRENCE DES ACTIONS

De nombreux interlocuteurs de la mission d'information ont souligné les limites de la coexistence d'un aussi grand nombre de dispositifs, difficiles à appréhender par les jeunes, mais également par les acteurs locaux en charge de l'insertion, des effets de concurrence ou de cloisonnement pouvant en outre réduire l'efficacité de la prise en charge des bénéficiaires.

Comme l'a souligné lors de son audition M. Louis Schweitzer 204 ( * ) , la difficulté tient cependant moins à ce foisonnement qu'à la capacité, sur le terrain, à proposer aux jeunes qui en ont besoin - et qui ne sont pas toujours repérés par les structures compétentes - la formule la plus adaptée à leur situation.

1. L'action des missions locales
a) L'articulation entre les missions locales et Pôle emploi

Les 436 missions locales pour l'insertion, réparties sur plus de 6 800 sites, jouent un rôle essentiel dans la mise oeuvre de proximité du droit à l'accompagnement des jeunes en difficulté. Le code du travail (art. L. 5314-2) précise qu'elles ont pour objet « d'aider les jeunes de seize à vingt-cinq ans révolus à résoudre l'ensemble des problèmes que pose leur insertion professionnelle et sociale en assurant des fonctions d'accueil, d'information, d'orientation et d'accompagnement à l'accès à la formation professionnelle initiale ou continue, ou à un emploi ».

Leur action doit donc être complémentaire de celle mise en oeuvre par Pôle emploi. Actuellement, la coordination entre ces deux acteurs est formalisée par un accord cadre, cosigné par l'État, dont le dernier a été conclu en 2015 et reconduit par avenant en 2018.

Cet accord, qui prévoit notamment la délégation par Pôle emploi à la mission locale du projet personnalisé d'accès à l'emploi (PPAE), a fait l'objet d'une évaluation par l'inspection générale des affaires sociales (Igas) 205 ( * ) , qui a souligné en décembre 2018 les voies d'amélioration qui existent en la matière, soulignant notamment que la délégation de PPAE « se caractérise par des complexités et un défaut de fluidité », qui ne permet pas de suivre et d'accompagner de la manière la plus optimale les jeunes faisant appel à Pôle emploi ou aux missions locales.

Ce rapport recommande de remplacer la délégation de PPAE par un « accompagnement délégué pour les jeunes » (ADJ) qui se traduirait par un premier accueil commun et par la suppression des doubles circuits qui existent encore aujourd'hui. L'Igas formule également plusieurs propositions de nature à permettre une meilleure articulation des actions respectives de Pôle emploi et des missions locales (rapprochement des offres de service, possibilité pour les conseillers Pôle emploi de tenir des permanences au sein des points d'accueil des missions locales, modernisation des systèmes d'information, développement d'une culture partagée...).

Enfin, l'Igas recommande la création, dans chaque bassin d'emploi, d'une équipe commune partenariale associant des personnels des missions locales et de Pôle emploi, chargée du repérage des jeunes en difficulté, notamment dans les QPV et les zones rurales.

La DGEFP a indiqué dans ses réponses à la rapporteure que « des travaux doivent s'engager » pour la refonte de cet accord cadre, sur la base du rapport de l'Igas. Il semble en effet urgent d'agir pour moderniser le cadre de coopération construit en 2015. La note conjointe adressée aux réseaux du service public de l'emploi et aux services déconcentrés de l'État en novembre 2019 marque un premier pas dans la direction d'une meilleure coordination.

Une coopération renforcée est en outre prévue dans le cadre du déploiement du plan « 1 jeune 1 solution ». Une note conjointe de Pôle emploi, de l'Apec et de l'UNML datée du 17 novembre 2020 insiste ainsi sur la nécessité de rendre plus fluides les parcours et de garantir un accompagnement adapté à chaque jeune et prévoit la mise en place d'actions coordonnées des trois réseaux et des services déconcentrés en direction des jeunes mais également des entreprises 206 ( * ) . Cette instruction a d'ailleurs donné lieu à la conclusion d'un avenant, pour 2021, à l'accord-cadre de 2015 entre Pôle emploi et les missions locales. Selon l'UNML, cette démarche « a permis de poser une clé de voûte sur les pratiques partenariales déjà bien avancées en la matière sur les territoires » 207 ( * )

Si une telle démarche de coordination des acteurs du service public de l'emploi est possible pour la mise en place d'un plan ponctuel et dans un contexte de crise sanitaire, il serait utile qu'elle devienne la norme des relations entre ces acteurs.

Recommandation : rénover le cadre de la coopération entre Pôle emploi et les missions locales par la conclusion d'un nouvel accord cadre permettant de mieux articuler leurs actions.

b) L'organisation territoriale

Les missions locales prennent la forme d'une association ou d'un groupement d'intérêt public (GIP) et leur création résulte généralement de l'initiative de collectivités territoriales 208 ( * ) . Leur réseau est animé par l'UNML, créée en 2003, mais chacune d'entre elle demeure autonome, sous réserve des missions qui leurs sont confiées par la loi. Ainsi que le soulignait le rapport de l'Igas en 2018, l'autonomie des missions locales et leur capacité d'initiative « font leur force ». Toutefois, face à un risque d'inégalité dans l'accès à l'offre de service en faveur des jeunes, un renforcement de l'organisation du réseau serait souhaitable.

Ainsi, quand certaines missions locales interviennent à l'échelle d'un département, comme dans les Landes, d'autres ont un périmètre beaucoup plus restreint, ce qui entraîne une certaine fragmentation des acteurs sur un même territoire 209 ( * ) , qui manque parfois de pertinence.

La rapporteure considère que c'est bien souvent à l'échelle départementale qu'il convient d'agir afin de proposer aux jeunes des solutions d'insertion, notamment afin d'assurer une cohérence avec l'action du conseil départemental.

L'Igas estimait également dans son rapport que la fusion de missions locales de trop petite taille serait pertinente.

Recommandation : inciter les missions locales à se regrouper à l'échelle départementale lorsqu'une échelle plus fine n'apparaît pas plus pertinente.

c) Vers une extension de la compétence des missions locales ?

Une conception traditionnelle conduit à considérer que les jeunes souffrant de freins périphériques à l'emploi relèvent de la compétence des missions locales tandis que les autres relèveraient davantage de Pôle emploi. Cette distinction, qui peut être difficile à effectuer en pratique, n'est pas cohérente avec la démarche dans laquelle s'inscrit le plan « 1 jeune 1 solution ».

En effet, même pour des jeunes dont on pourrait considérer qu'ils n'ont pas de frein périphérique, la recherche d'un accès direct à l'emploi n'est pas toujours la solution la plus adaptée. L'UNML estime nécessaire de « donner la possibilité aux jeunes de choisir à partir d'une vision d'ensemble du ``champ des possibles'' concernant les démarches qu'ils peuvent engager », et estime que les missions locales, « par leur ancrage territorial, les relations partenariales qu'elles animent, les solutions qu'elles mobilisent et le périmètre large des thématiques qu'elles abordent » sont à même de jouer ce rôle.

La rapporteure estime donc qu'il est souhaitable de mettre fin à la segmentation des publics et de permettre aux missions locales, qui le font parfois déjà, d'agir en faveur de l'ensemble des jeunes de leur territoire. En effet, les missions locales constatent que s'orientent vers elles de nouveaux publics, souvent plus âgés, tels que des étudiants en situation difficile ou souhaitant se réorienter ou des jeunes de 25 à 30 ans sans perspectives d'insertion professionnelle. Elles constituent souvent, sur le terrain, les structures les plus à même de mener des actions de proximité autour desquelles pourrait s'organiser un service public de l'insertion des jeunes sur lequel la réflexion mérite d'être engagée.

En parallèle, comme le souligne la Cour des comptes dans son rapport public annuel 2021 210 ( * ) , il conviendrait d'améliorer la démarche d'évaluation des missions locales. La Cour relève notamment que le travail d'accompagnement social est insuffisamment valorisé et que l'assimilation de la notion de sortie positive à l'obtention d'un emploi ou d'un contrat en alternance est restrictive.

Recommandation : réaffirmer le rôle des missions locales en tant qu'acteur central de l'insertion des jeunes et engager une réflexion sur l'organisation d'un service public de l'insertion des jeunes.

2. La mise en oeuvre de l'obligation de formation

La loi pour une école de la confiance a créé une obligation de formation pour les jeunes sortis du système scolaire avant leur majorité. Cette obligation, entrée en vigueur le 1 er septembre 2020, suppose une étroite collaboration de tous les acteurs afin d'identifier l'ensemble des solutions mobilisables sur les territoires pour les jeunes décrocheurs. Selon le DGEFP, un comité de pilotage régional associant les services de l'État, les collectivités et les missions locales a ainsi été mis en place « dans la plupart des régions ».

La mise en place d'un système d'information permettant l'identification des jeunes décrocheurs, en cours d'élaboration selon les informations données à la rapporteure par la DGEFP, devrait faciliter les échanges d'informations entre les différents acteurs.

3. Un manque de lisibilité et des risques de concurrence et d'éviction

La fragmentation des dispositifs en faveur de l'insertion des jeunes peut être source d'illisibilité tant pour les bénéficiaires potentiels que pour les acteurs chargés de les orienter.

En outre, ces dispositifs peuvent entrer en concurrence les uns avec les autres leur implantation territoriale n'étant pas suffisamment réfléchie 211 ( * ) . Dans son évaluation de l'Épide, la Cour des comptes note notamment que les objectifs quantitatifs assignés aux missions locales pour le déploiement de la Garantie jeunes ont pu entraîner une baisse des orientations vers l'Épide et donc des recrutements dans ce dispositif, alors même que ses capacités d'accueil ont été développées sur la période récente.

Recommandation : mettre en cohérence les différents dispositifs en direction des Neet pour limiter les risques de concurrence et définir une politique d'orientation déclinée en fonction des besoins individuels.

Enfin, l'évaluation des dispositifs au regard du taux de sorties vers l'emploi ou vers une formation qualifiante, qui détermine leur financement, peut introduire un biais dans la sélection au détriment des jeunes les plus éloignés de l'emploi ou inciter à des orientations qui ne sont pas nécessairement les mieux adaptées à la situation du jeune. À titre d'exemple, l'orientation d'un jeune ayant bénéficié d'un Pacea vers l'Épide n'est pas considérée comme une sortie positive pour la mission locale alors que cette solution peut être pour lui le début d'un parcours d'insertion réussi.

Recommandation : remettre en question les règles de financement qui créent des biais dans le recrutement et l'orientation des jeunes en difficulté par les acteurs de l'insertion professionnelle.

Spécificités des principaux dispositifs d'insertion des jeunes

Pacea
(dont Garantie jeunes)

Épide

E2C

SMV

SMA

Public

Jeunes de 16
à 25 ans

« en difficulté et confrontés à un risque d'exclusion professionnelle »

Jeunes de 18
à 25 ans

« sans diplôme ou en voie de marginalisation sociale » jouissant de ses droits civiques

Jeunes de 16
à 25 ans « dépourvus de qualification professionnelle ou de diplôme »

Jeunes de 18
à 25 ans « exclus du marché de l'emploi »,

aptes physiquement, jouissant de leurs droits civiques

Jeunes nés dans les départements et territoires d'outre-mer en difficulté

Durée

24 mois max.

8 à 24 mois

48 mois max.

8 à 12 mois 212 ( * )

6 à 12 mois 213 ( * )

Allocation mensuelle

Pacea : Allocation individualisée

GJ : 497,01 €

Partiellement cumulable avec des revenus d'activité

210 € + 90 € de prime capitalisée

200 € (mineurs)

500 € (majeurs) 214 ( * )

Volontaires stagiaires : 345 €

Volontaires experts :

745 €

Volontaires stagiaires : 340,5 €

Volontaires techniciens :

900-1 600 €

Hébergement/
restauration

Non

Oui, en semaine

Non

Oui

Oui

Effectifs annuels

Pacea seul : 340 000 (+80 000)

GJ : 100 000 (+50 000) 215 ( * )

Env. 3 200

Env. 15 600

Env. 900

2020 : 4 194 dont 2 993 volontaires stagiaires

(2019 : 5 787 dont 4 591 VT)

Taux de sortie positive

GJ : 70 % 216 ( * )

52 %

63 %

70 %

76,2 % (81 % en 2019)

Sources : Cour des comptes, documents budgétaires, SMA, ministère des armées

4. Harmoniser les allocations

Les différents dispositifs en faveur des jeunes s'accompagnent d'allocations ou de rémunération et de différents avantages en nature (hébergement, nourriture notamment) qui varient fortement d'un dispositif à l'autre.

Alors que l'allocation PACEA est individualisée et plafonnée, la Garantie jeunes s'accompagne d'une allocation forfaitaire alignée sur le montant du RSA. Les dispositifs relevant essentiellement de la formation professionnelle (E2C) ouvrent droit à la rémunération forfaitaire prévue pour les stagiaires de la formation professionnelle, dont le montant varie avec l'âge. Enfin, l'Épide, qui propose une solution d'internat en semaine, verse à ses volontaires une allocation dont le montant est relativement faible, d'autant plus qu'ils doivent assumer des frais de logement, d'hébergement ou de transport chaque week-end.

La revalorisation de la rémunération des stagiaires de la formation professionnelle intervenue le 1 er mai 2021 217 ( * ) , si elle a été bienvenue, a mis en évidence le manque de cohérence d'ensemble, puis qu'elle a par exemple concerné les élèves des E2C mais pas ceux de l'Épide.

Recommandation : aligner la rémunération des différents dispositifs, le cas échéant en tenant compte des avantages en nature procurés.

5. Agir plus efficacement vers les publics éloignés des dispositifs existants : l'exemple du PRIJ en Île-de-France

Face à la fragmentation des dispositifs en faveur de l'insertion des jeunes 218 ( * ) et à la difficulté de capter les publics les plus éloignés de l'emploi, la préfecture de la région Île-de-France a mis en place depuis 2018 un plan régional pour l'insertion de la jeunesse (PRIJ).

Selon les termes du préfet de région, ce plan « s'appuie sur le constat selon lequel malgré la multitude des dispositifs d'insertion s'adressant aux jeunes, un certain nombre d'entre eux échappent à l'offre existante » 219 ( * ) .

Il ne s'agit pas d'un dispositif supplémentaire mais d'une méthode, qualifiée de « volontariste et fédératrice » 220 ( * ) permettant d'orienter chaque jeune en difficulté vers l'une des solutions existantes.

Ce plan repose sur la constitution, à l'échelle d'un ou plusieurs quartiers, de groupes opérationnels chargés de repérer les jeunes Neet , de prendre contact avec eux (« aller vers ») pour leur proposer un accompagnement personnalisé (« faire avec »).

Généralement composé du délégué du préfet et des représentants de la commune, de la mission locale, de Pôle emploi, de l'éducation nationale, de la protection judiciaire de la jeunesse, de la caisse d'allocations familiales et des associations de prévention spécialisée, le groupe opérationnel échange sur les situations individuelles des jeunes et les solutions d'orientation. Il assure le suivi de leur parcours. Le groupe opérationnel favorise aussi la connaissance mutuelle des différentes structures en charge de l'insertion dans un territoire et de leur offre de service. Ce décloisonnement est l'un des principaux apports du PRIJ.

Une autre avancée majeure tient à la transmission de la liste des décrocheurs aux groupes opérationnels par les services de l'éducation nationale , prévue par une convention entre l'État et la région 221 ( * ) . Ainsi, un contact systématique peut être établi avec les jeunes concernés, ce qui est loin d'être le cas dans les dispositifs habituels de soutien à l'insertion.

Cette démarche est un élément extrêmement important pour mettre en oeuvre d'un accompagnement adapté à la situation de jeunes qui ne s'adressent pas spontanément aux services publics ou structures d'insertion, ou avec lesquels le suivi s'interrompt après les premiers contacts. Elle contribue également à lutter contre les phénomènes de non-recours , dont M. Louis Schweitzer a souligné l'ampleur devant la mission d'information 222 ( * ) . L'expérience du PRIJ pourrait d'ailleurs inspirer la mise en place de territoires « zéro non-recours » qu'il suggère.

L'accompagnement des jeunes au quotidien est réalisé par des référents de parcours (conseillers en insertion professionnelle, éducateurs, médiateurs ou travailleurs sociaux). Ils ont mission d'effectuer le repérage, y compris en allant à leur rencontre sur le terrain lorsqu'un contact téléphonique n'a pas pu être établi, de mobiliser le jeune et de participer à l'orientation et au suivi du parcours.

Ce plan régional s'articule avec les dispositifs de droit commun, gérés notamment par les missions locales, mais aussi avec les initiatives lancées récemment au niveau national, notamment le plan « 1 jeune 1 solution » et l'obligation de formation pour les 16-18 ans.

Si le pilotage global est assuré par la préfecture de région, les préfets de départements et, surtout, les préfets délégués à l'égalité des chances (PDEC) sont fortement mobilisés. Au niveau de chaque territoire, la gouvernance associe étroitement les collectivités territoriales (départements, communes) et les acteurs de terrain (missions locales notamment) selon des modalités qui varient d'un territoire à l'autre.

Le déploiement du PRIJ suppose une coordination poussée entre les différents acteurs de l'insertion sociale et professionnelle : services de l'État, de Pôle emploi, caisses d'allocations familiales, missions locales, collectivités territoriales, tissu associatif...

Au 31 mars 2021, près de 5 000 jeunes avaient été accompagnés depuis le lancement du PRIJ et le taux de sorties positives était de 45,5 % .

Lancé initialement dans 77 quartiers, il couvre désormais 95 QPV. Il a été décidé cette année d'étendre le PRIJ à 102 nouveaux quartiers, ce qui couvrira 197 des 272 QPV d'Île-de-France et 87 % des Franciliens résidant en QPV.

Le PRIJ fait l'objet d'une évaluation in itinere confiée à l'association FORS recherche sociale, qui a publié un rapport en janvier 2021. Elle met en lumière une appropriation inégale du plan selon les situations locales , avec des groupes opérationnels actifs et des acteurs privilégiant la cible des jeunes les plus exclus, alors que pour d'autres, les cloisonnements peinent à être levés et la teneur des échanges comme les résultats restent limités. Elle conclut à la pertinence de la démarche , fondée sur de nouvelles modalités de repérage et une meilleure mobilisation des dispositifs présents sur le territoire.

Schéma de la prise en charge des décrocheurs dans le cadre du PRIJ

Source : Rapport d'évaluation du PRIJ, FORS-recherche sociale, janvier 2021

Le PRIJ dans l'agglomération Roissy Pays de France

La rapporteure de la mission d'information a rencontré le 8 juillet 2021 à Sarcelles , à l'antenne de la mission locale Val-d'Oise-Est , les principaux acteurs du plan régional d'insertion pour la jeunesse dans l'agglomération Roissy Pays de France.

Le Val-d'Oise présente une population jeune (45 % de moins de 30 ans) et peu qualifiée. Dans l'Est du département, le taux de chômage des jeunes est de 32,9 % contre 28,2 % pour l'ensemble du département et 25,9 % pour l'Île-de-France.

La communauté d'agglomération Roissy Pays de France compte 42 communes et 352 000 habitants. Le PRIJ couvre l'ensemble des QPV de l'agglomération, qui représentent 120 000 habitants répartis sur 8 communes. Sur ce périmètre, plusieurs groupes techniques opérationnels ont été mis en place et se réunissent tous les deux mois pour examiner la situation de chaque jeune repéré, définir une proposition d'orientation et effectuer le suivi des situations précédemment traitées.

Au cours des échanges avec les représentants de l'État, des communes, de la mission locale et des associations de prévention spécialisée, il a été souligné que le PRIJ s'appuie sur l'existant, mais renforce les synergies, la capacité de réponse de chaque partenaire s'enrichissant de l'expertise des autres participants. Le repérage actif effectué par les référents de parcours permet de toucher des jeunes « invisibles » aux yeux des structures institutionnelles, et pourtant très visibles dans l'espace public. Le travail collaboratif autour du parcours du jeune permet notamment de lever plus rapidement et plus efficacement les freins périphériques à l'insertion (logement, santé, freins administratifs ou sociaux).

Depuis le lancement du PRIJ au sein de l'agglomération en 2019, 646 jeunes ont été accompagnés, dont 336 (52 %) ont eu une sortie positive.

Le PRIJ emploie actuellement 15 personnes (coordination, référents de parcours, adultes relais) pour un budget annuel d'environ 850 000 euros.

Cette initiative de l'État déconcentré démontre à la fois les limites de la fragmentation de l'action publique en faveur de l'insertion des jeunes et les résultats qui peuvent être obtenus grâce à une coordination volontariste et une démarche « d'aller vers » : identification plus complète des jeunes nécessitant un accompagnement, orientation plus adaptée vers les dispositifs existants, meilleure prise en compte des « freins périphériques » (logement, mobilité, obstacles administratifs), réduction des phénomènes de non-recours.

Toutes les régions du territoire national ne se prêtent pas à la mise en place d'un tel pilotage régional. Il conviendrait toutefois que l'État étudie attentivement ce qu'il a mis en place - par l'intermédiaire de la préfecture de région - en Île-de-France 223 ( * ) et identifie les éléments de ce plan qui peuvent être essaimés ailleurs, notamment en transposant aux zones rurales, par exemple sous la responsabilité des sous-préfets, ce que le PRIJ prévoit dans les QPV.

Recommandation : mettre en oeuvre une analyse des résultats obtenus par le PRIJ en termes de repérage des jeunes en difficulté et de décloisonnement de leur accompagnement afin d'en tirer des enseignements et déterminer les éléments susceptibles d'être essaimés en dehors de l'Île-de-France, y compris dans les territoires ruraux.

Les cités de l'emploi

Inspirées des cités éducatives, les cités de l'emploi consistent en une coordination renforcée des acteurs de l'emploi à l'échelle d'un territoire, dans le cadre d'un contrat de ville, afin d'améliorer le repérage des personnes éloignées de l'emploi et leur orientation vers les solutions existantes. Le dispositif est co-piloté, au niveau local, par le préfet et une collectivité territoriale (souvent un EPCI). La forme que prend la gouvernance locale de chaque projet est laissée à l'appréciation des acteurs, qui doivent s'appuyer sur les instances locales existantes.

Au niveau national, le dispositif est animé par l'Agence nationale pour la cohésion des territoires (ANCT), en lien avec la DGEFP.

Une enveloppe de 100 000 euros par an peut être attribuée pour fournir les moyens d'ingénierie nécessaires.

La philosophie de ce dispositif est proche de celle du PRIJ, même si les cités de l'emploi ne concernent pas que les QPV ni que les jeunes. Six territoires couverts par le PRIJ bénéficient d'ailleurs d'une labellisation au titre des cités de l'emploi.

Alors qu'une expérimentation avait été lancée à partir de 2020 dans 24 territoires, le Premier ministre a annoncé, dans le cadre du comité interministériel des villes (CIV) réuni le 29 janvier 2021, la création de 60 nouvelles cités de l'emploi en 2021.

Une instruction publiée en mai 2021 224 ( * ) demandait ainsi aux préfets de départements de faire remonter une liste de sites candidats à la labellisation.

D. LA NÉCESSITÉ DE RENFORCER L'ACCOMPAGNEMENT FINANCIER VERS L'AUTONOMIE

L'annonce le 12 juillet dernier, par le Président de la République, de la mise en place d'un revenu d'engagement témoigne d'une prise de conscience de l'insuffisance des dispositifs actuels de soutien financier aux jeunes les plus en difficulté.

Au cours de ses travaux, la mission a constaté que cette extension de la Garantie jeunes n'épuisait pas le débat sur l'instauration d'un revenu garanti pour tous les jeunes, même si les formes que pourrait prendre ce dernier comme son principe même ne font pas consensus.

1. L'extension de la Garantie jeunes

Le 12 juillet dernier, le Président de la République annonçait vouloir présenter à la rentrée « le revenu d'engagement pour les jeunes, qui concernera les jeunes sans emploi ou formation et sera fondé sur une logique de devoirs et de droits ».

Cette annonce fait suite à la réflexion lancée depuis plusieurs mois par le Gouvernement sur l'universalisation de la Garantie jeunes.

Au moment où est rédigé le présent rapport, les contours précis de ce revenu d'engagement ne sont pas connus, si ce n'est qu'il serait, comme la Garantie jeunes, subordonné à un parcours d'accompagnement vers l'emploi et qu'il pourrait bénéficier à des jeunes exerçant des emplois occasionnels.

Ce chantier suppose de trouver un juste équilibre entre la conservation des dispositifs ciblés et spécifiques qui existent aujourd'hui et leur nécessaire mise en cohérence.

Il semble évident que le revenu d'engagement ne peut consister à étendre le dispositif actuel à l'ensemble des jeunes Neet . Cela tarirait les recrutements des autres dispositifs (E2C, Épide, SMV...) sans apporter une réponse satisfaisante aux jeunes auxquels ces dispositifs s'adressent.

Pour autant, il est nécessaire que cette réforme bénéficie aux jeunes les plus en difficulté de manière plus homogène que ne le fait la Garantie jeunes en raison du contingentement de celle-ci, de critères parfois restrictifs ou du fait que les jeunes concernés ne sont pas pris en compte par la mission locale. Cette réforme doit également apporter une vraie plus-value qualitative, grâce à un accompagnement de qualité, et ne pas se limiter à un affichage quantitatif.

Les propositions du COJ pour une Garantie jeunes universelle

À la demande de la secrétaire d'État chargée de la jeunesse et de l'engagement, le conseil d'orientation des politiques de jeunesse (COJ) a publié en octobre 2020 un avis sur l'évolution de la Garantie jeunes, dans le cadre des réflexions sur sa généralisation.

Le COJ considère notamment que la Garantie jeunes est un dispositif qui atteint aujourd'hui son public-cible et salue le doublement de l'objectif d'accueil en Garantie jeunes prévu en 2021 grâce aux crédits du plan « 1 jeune 1 solution ». Il recommande néanmoins d'aller plus loin.

Selon le COJ, la Garantie jeunes doit devenir non plus un dispositif ciblé mais un véritable droit pour tous les jeunes rencontrant des difficultés d'insertion .

Il formule pour cela plusieurs propositions. Pour le COJ, il est nécessaire d' assouplir un certain nombre de règles d'éligibilité qui excluent de fait une partie des jeunes du dispositif, en matière de ressources, de rattachement au foyer parental ou de statut. Plus largement, le COJ recommande de ne plus réserver la Garantie jeunes aux seuls Neet afin d' inclure les jeunes qui exercent des activités occasionnelles ou alimentaires ou qui suivent des formations .

Le COJ propose en outre d'abandonner le principe de « l'emploi d'abord », afin d'adapter davantage les parcours aux besoins spécifiques des jeunes, et de supprimer toute limitation de la durée de l'accompagnement.

Enfin, le COJ recommande d'améliorer l'articulation entre la Garantie jeunes et les autres dispositifs en faveur de l'insertion, notamment en harmonisant le montant des différentes allocations sur celui du RSA.

2. Le débat sur un revenu garanti pour les jeunes

La question des ressources dont bénéficient les jeunes pour vivre, et pas uniquement les plus éloignés de l'emploi, prend dans le débat public une place croissante, qui a été rendue plus aigüe encore avec la crise sanitaire. Cette question est liée à d'autres problématiques (logement, mobilité) qui se cumulent et se renforcent mutuellement pour accentuer les freins à l'insertion.

Le modèle français considère traditionnellement que c'est à la solidarité familiale de prendre en charge les besoins financiers des jeunes jusqu'à leur insertion dans un emploi stable. Indépendamment des bourses étudiantes et des aides au logement, qui ont au demeurant été réformées dans un sens défavorable aux jeunes 225 ( * ) , le seul dispositif de soutien est actuellement la Garantie jeunes.

Or, cette conception, qui explique par exemple le maintien d'une condition d'âge fixée à 25 ans pour bénéficier du RSA, peut paraître dépassée.

Les mécanismes de reproduction des inégalités sociales mis en lumière par le présent rapport font que les jeunes qui ont le plus de difficultés d'insertion sont également en général ceux dont les familles sont le moins à même de les soutenir financièrement .

L'allongement de la durée des études reporte en effet l'entrée sur le marché du travail et de nombreuses familles ne sont pas en mesure d'assumer la charge financière que représente un étudiant. Si des systèmes de bourses existent, la précarité financière des étudiants peut nuire - voire faire obstacle - à la poursuite d'études dans de bonnes conditions et donc contribuer à la reproduction sociale.

Enfin, l'idée selon laquelle des jeunes majeurs doivent dépendre de leur famille, avec laquelle ils peuvent être en rupture, peut être remise en question.

L'instauration d'un revenu de subsistance destiné à l'ensemble des jeunes, au-delà des dispositifs destinés aux jeunes sans emploi, a été abordée à de multiples reprises au cours des travaux de la mission d'information. Une large partie des organisations auditionnées s'est prononcée en ce sens. Une proposition de loi débattue au Sénat il y a quelques mois en séance publique 226 ( * ) a ouvert le débat sur ce sujet que la mission d'information n'a pas tranché, d'autres instances du Sénat étant par ailleurs saisies de la situation des étudiants 227 ( * ) et sur la problématique de la pauvreté et des minima sociaux 228 ( * ) .

De nombreuses solutions ont en effet été proposées, de l'abaissement à 18 ans de la condition d'âge pour bénéficier du RSA à la mise en place d'un revenu universel inconditionnel. Toutes doivent prendre en compte les enjeux budgétaires que représenteraient l'attribution d'une allocation à tout ou partie de la population des « jeunes » 229 ( * ) mais aussi des potentiels effets de l'attribution d'une telle allocation sur les comportements des intéressés.

Nombre d'interlocuteurs de la mission d'information ont néanmoins souligné combien la précarité de nombreux jeunes entravait leur capacité à s'engager dans une démarche d'insertion , alors qu'un minimum jeunesse leur permettrait de se projeter au-delà de dispositifs relevant de la survie.

La mission d'information a également constatée que l'idée qu'il est nécessaire de faire évoluer la situation actuelle progresse.

Lors de son audition 230 ( * ) , M. Louis Schweitzer, président du comité d'évaluation de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté, a souligné que les études expérimentales menées dans des pays étrangers infirmaient plutôt l'existence d'un effet « désincitatif » d'un revenu minimum sur la recherche d'un emploi, une relative sécurité financière pouvant même, au contraire, placer le jeune dans une meilleure position pour rechercher un emploi.

Tout en souhaitant l'approfondissement des études à ce sujet, le comité d'évaluation, dans son rapport publié en mars 2021, a ainsi recommandé l' expérimentation d'un revenu de base en faveur des jeunes en étude, en emploi peu rémunéré ou en recherche d'emploi de 18 à 24 ans, tenant compte des ressources familiales. Ce revenu se substituerait, pour les étudiants, au système actuel des bourses d'enseignement supérieur et s'inspirerait de celui-ci en étant subordonné à des conditions de ressources familiales.

À titre personnel, la rapporteure est convaincue que les inégalités caractérisant l'accès des jeunes à l'autonomie, dont les origines sont le plus souvent bien antérieures à l'arrivée à l'âge adulte, ne pourront véritablement être réduites qu'en garantissant à tous, et notamment à ceux qui peuvent le moins compter sur le soutien parental, des ressources suffisantes, assorties d'un suivi leur assurant de meilleures chances d'insertion.

CONCLUSION

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Au terme d'une mission d'information qui lui a permis d'échanger avec un grand nombre d'acteurs institutionnels ou associatifs impliqués dans les problématiques de la jeunesse, la rapporteure retire le sentiment que l'objectif d'égalité des chances inspire de multiples actions mais que les résultats ne sont pas à la hauteur des moyens importants qui sont engagés.

Le cloisonnement des politiques limite leur capacité à répondre aux situations des enfants et des jeunes auxquels elles s'adressent.

Certains dispositifs sont ciblés sur un type de public ou de territoire, tels ceux mis en place en matière scolaire dans le périmètre de l'éducation prioritaire, alors que la réalité des situations justifierait une application sur une échelle plus large, en particulier dans les zones rurales.

D'autres, qui donnent de bons résultats, ont été mis en place dans le cadre d'un plan ponctuel et faute de développement ultérieur, ne peuvent toucher tous les jeunes qui mériteraient d'en bénéficier.

Alors que les facteurs obérant les chances d'accéder à des conditions de vie satisfaisantes sont bien identifiés, de la petite enfance à l'entrée dans l'âge adulte, la rapporteure est convaincue que pour progresser vers l'égalité des chances et l'égalité des droits, une approche beaucoup plus transversale des actions à entreprendre est nécessaire, que ce soit au plan national ou local.

Cet objectif doit être pleinement pris en compte, de manière continue et cohérente, dans les politiques publiques concernant les jeunes, à chaque stade de leur parcours. C'est ce que le présent rapport a souhaité démontrer.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

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I. COMPTES RENDUS DES AUDITIONS
DE LA MISSION D'INFORMATION EN RÉUNION PLÉNIÈRE

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Audition sur la mobilité sociale et reproduction des inégalités
de Mme Émilie Raynaud, responsable de la division des études sociales
de l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), M. Clément Dherbécourt, chef de projets au département société
et politiques sociales de France Stratégie,
et M. Michael Förster, analyste au sein de la direction de l'emploi,
du travail et des affaires sociales de l'Organisation de coopération
et de développement économiques (OCDE)

(Mercredi 3 mars 2021)

M. Jean Hingray , président . - Chers collègues, nous sommes heureux, avec ma collègue rapporteure Monique Lubin, de commencer les travaux de notre mission d'information sur la politique en faveur de l'égalité des chances et de l'émancipation de la jeunesse par une première audition destinée à réunir des données objectives nécessaires à la suite de ces travaux.

Nous sommes heureux d'accueillir aujourd'hui Mme Émilie Raynaud, responsable de la division des études sociales de l'Insee, accompagnée de Mme Émilie Pénicaud ; l'Insee a consacré plusieurs études à la mobilité sociale, notamment, en 2019, une analyse de la mobilité sociale des femmes et des hommes entre 1977 et 2015. Nous avons aussi la chance d'avoir M. Clément Dherbécourt, qui est chef de projets au département société et politiques sociales de France Stratégie ; à ce titre, il a dirigé au cours de ces dernières années plusieurs études consacrée à la mobilité sociale, y compris dans sa dimension territoriale. Nous accueillons enfin M. Michael Förster, analyste à la division de l'emploi et des revenus de l'OCDE, qui participe à notre réunion par téléconférence ; il a coordonné le rapport intitulé « La mobilité sociale en panne ? Comment promouvoir la mobilité sociale » publié par l'OCDE en 2019.

Après un propos introductif de Monique Lubin, je vous propose de nous présenter un exposé liminaire d'une dizaine de minutes, puis surtout de pouvoir échanger avec l'ensemble des collègues.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Je suis la rapporteure de cette mission d'information, que j'ai souhaitée tournée vers les conditions d'émancipation de la jeunesse et l'égalité des chances. L'objectif n'est pas uniquement de partir d'un constat sur la situation actuelle de la jeunesse, mais aussi de remonter très en amont et réfléchir aux blocages de ce que l'on nomme communément l'ascenseur social, et à ce qui fait que, me semble-t-il, le déterminisme social n'a jamais été aussi solide dans notre pays. Nous souhaitons d'abord établir un premier constat, puis nous aurons deux ou trois thèmes de réflexion, sur la durée de la mission, qui, je l'espère, nous conduiront à formuler quelques propositions innovantes. Comme l'a souligné Jean Hingray, nous vous proposons de faire chacun une présentation, puis nous aurons quelques questions.

Mme Émilie Raynaud, responsable de la division des études sociales de l'Insee . - Je vais tout d'abord vous indiquer comment est assuré le suivi de la mobilité sociale à l'Insee.

Celle-ci y est mesurée par la mobilité socio-professionnelle. On compare la catégorie socioprofessionnelle (PCS) d'une personne à celle de ses parents. On effectue ainsi des analyses de trajectoires intergénérationnelles. La PCS a l'avantage d'être une mesure stable dans le temps, et ce, depuis 1982. En outre, cette nomenclature a été conçue pour combiner plusieurs facteurs (revenus, métiers, diplômes). Mais on peut aussi choisir de mesurer la mobilité sociale à partir d'un seul de ces facteurs.

On considère qu'il y a mobilité sociale lorsque la personne et son parent relèvent de PCS différentes, et qu'il y a immobilité, ou reproduction sociale, lorsque la personne et son parent ont la même PCS. Pour effectuer cette comparaison, on fait le choix d'un parent - pendant longtemps, cela a été le père - et on fait deux photos, l'une pour l'enfant, l'autre pour le parent, en faisant en sorte de se placer à des âges comparables.

La source principale qui permet d'assurer le suivi de la mobilité sociale à l'Insee est l'enquête Formation et qualification professionnelle (FQP), qui existe depuis 1964. Depuis, sept enquêtes ont été réalisées, dont la dernière en 2014-2015. Cette enquête est très riche : elle permet de mesurer l'origine sociale en récoltant la PCS et le diplôme des deux parents. Elle fournit aussi de nombreuses informations sur les parcours de formation (scolarité initiale, formation professionnelle), sur la mobilité en cours de carrière, et sur les liens avec l'emploi et les revenus tirés du travail. Elle permet des comparaisons temporelles grâce à la reprise à l'identique des questions d'une édition à l'autre, et ce, sur longue période.

L'Enquête emploi constitue une autre source possible pour obtenir une mesure de la mobilité sociale. On y collecte la profession et la PCS des deux parents mais, par exemple, on n'y collecte pas de façon annuelle le diplôme des parents. Cette enquête renseigne la profession des pères depuis 1982 et celle des mères depuis 2003. Elle est disponible annuellement mais la mobilité sociale étant un phénomène structurel, observer ses variations annuelles n'a pas nécessairement de sens.

L'Enquête emploi a été rénovée en 2021. Les questions sur l'origine sociale sont désormais alignées sur celles de l'enquête FQP, ce qui devrait permettre d'en améliorer la qualité, car jusqu'ici la PCS des mères étaient assez mal renseignée, ce qui limitait les capacités d'exploitation de l'enquête. L'Enquête emploi présente également l'avantage de couvrir les outre-mer, ce qui n'est pas le cas de l'enquête FQP qui se concentre sur la métropole, avec seulement en 2015 un échantillon sur La Réunion et la Guadeloupe.

Les travaux de Christian Thélot (Tel père, tel fils ? Position sociale et origine familiale, 1982), de John Harry Goldthorpe (« Women and classe analysis : in defence of the conventional view », 1983), de Camille Peugny (Le destin au berceau. Inégalité et reproduction sociale, 2013) ou de Dominique Merllié (« La mobilité sociale », dans Les grandes questions économiques sociales, 2019) figurent parmi les références clés sur le sujet de la mobilité sociale.

L'Insee fournit, avec les enquêtes FQP et Emploi, les informations de base et les moyens de mesurer la mobilité sociale sur longue période. L'introduction de ces questions dès l'origine, dans l'enquête FQP en 1964, a contribué à développer l'intérêt sur ce thème et a fait de cette enquête une source privilégiée des analyses sur cette thématique. La recherche en sciences sociales s'en est très largement emparée. Une analyse socio-historique de 2010 notait que la thématique des inégalités sociales et de leur reproduction représentait les deux tiers des publications réalisées à partir des éditions 1964 à 2003 des enquêtes FQP.

L'Insee publie aussi sur la question de façon régulière. Quelques références récentes proposent une analyse sur longue période à partir des enquêtes FQP. À partir des enquêtes de Marc Collet et Émilie Pénicaud (« En 40 ans, la mobilité sociale des femmes a progressé, celle des hommes est restée quasi stable » et « La mobilité sociale des femmes et des hommes : évolutions entre 1977 et 2015 ») publiées en 2019, nous aborderons dans le second temps de cette présentation quelques grands résultats tirés des dernières exploitations.

Comment la mobilité sociale a-t-elle évolué en France les dernières années ?

Les analyses n'ont longtemps porté que sur les hommes car le faible taux d'activité des femmes et les caractéristiques de leur emploi rendaient difficile la comparaison de leur position professionnelle avec celle de leurs parents. Au cours des dernières décennies, ce taux d'activité et ces caractéristiques se sont rapprochés de ceux des hommes. Il est donc désormais possible de s'intéresser à la mobilité sociale des femmes en comparant la PCS des femmes à celle de leur mère. Cependant, leur moindre participation au marché du travail limite le champ d'analyse puisque les femmes dont la mère n'a jamais travaillé en sont exclues. Cela dit, sur les dernières années, on peut effectuer des comparaisons sur longue période, sur des échantillons suffisamment grands pour que les résultats soient fiables. De manière complémentaire, on peut comparer les femmes à leur père.

Dans les résultats que l'on va vous présenter, on utilise une nomenclature en six catégories hiérarchisées de PCS : les agriculteurs exploitants ; les artisans, commerçants et chefs d'entreprise de 10 salariés ou plus ; les cadres et professions intellectuelles supérieures ; les professions intermédiaires ; les employés et ouvriers qualifiés ; les employés et ouvriers non qualifiés. Les deux premières catégories regroupent des indépendants, et les quatre suivantes des salariés. Le champ d'analyse concerne les personnes en emploi ou qui l'ont été - on retient alors la PCS du dernier emploi occupé - ayant de 35 à 59 ans. On compare leur PCS avec celle de leur père ou de leur mère à la fin de leurs études, en considérant que les parents étaient à ce moment-là dans cette même tranche d'âge de 35-59 ans.

J'en viens aux résultats. Entre 1977 et 2015, la mobilité sociale des hommes est restée quasi stable : environ deux tiers des hommes relèvent d'une catégorie socioprofessionnelle différente de celle de leur père aux deux dates. C'est la même chose si on examine les vingt dernières années, entre 1993 et 2015. En 2015, la mobilité sociale des femmes dépasse celle des hommes, puisque 71 % d'entre elles ont une PCS différente de celle de leur mère et 70 % une PCS différente de celle de leur père. En quarante ans, ce taux de mobilité sociale a progressé de 12 points par rapport aux mères, et de 6 points par rapport aux pères. En revanche, si on se concentre sur les vingt dernières années, entre 1993 à 2015 - dates des enquêtes FQP - le taux de mobilité sociale est stable, aux environs de 70 % tant par rapport aux mères qu'aux pères.

Pendant cette période, la société française a connu de grandes transformations, comme l'essor du salariat, le recul de l'emploi industriel, la tertiarisation de l'économie et le développement de l'emploi qualifié. Cela affecte notre mesure de la mobilité sociale. En particulier, la forte décroissance de l'emploi non salarié entraîne moins de mobilité entre catégories non salariées (indépendants) et salariées - on parle de mobilité de statut. Corollaire : la mobilité augmente entre les catégories de salariés - on parle de mobilité verticale puisqu'on arrive à hiérarchiser ces catégories de salariés. On observe donc à la fois plus de mouvements ascendants et descendants, mais les mouvements ascendants restent plus fréquents que les descendants, pour les hommes par rapport à leur père, et pour les femmes par rapport à leur mère. Toutefois, pour les hommes, sur la période, la prédominance des mouvements ascendants s'est réduite, essentiellement au cours des vingt dernières années. Pour les femmes, on observe plus de mouvements ascendants, en raison du niveau socioprofessionnel des mères, qui est nettement inférieur à celui des pères. Si on compare les femmes par rapport à leur père, les mobilités descendantes sont, sur toute la période, toujours plus fréquentes que les mobilités ascendantes.

Autre point : sur longue période, on note d'importants effets de structure. On peut essayer de quantifier la part de la mobilité sociale liée à l'évolution de la structure des emplois d'une génération à l'autre, c'est-à-dire la part de la mobilité structurelle. Celle-ci est, en 2015, de 24 % pour les hommes et de 35 % pour les femmes. Cette part de la mobilité structurelle a baissé sur les quarante ans qu'on observe ici, et elle a baissé davantage pour les hommes que pour les femmes. Les modifications de la structure des emplois masculins sont surtout intervenues au sortir des Trente Glorieuses, et, au cours des vingt dernières années, la structure de l'emploi des hommes et celle de leur père se sont rapprochées.

Pour les femmes, les changements ont été plus nombreux depuis la fin des Trente Glorieuses : on a également observé un rapprochement de la structure des emplois des femmes et de celle de leur mère, mais il est moins marqué.

Je vais m'intéresser maintenant à la fluidité sociale. Il s'agit de la mesure où on compare les chances relatives d'accéder à une catégorie socioprofessionnelle plutôt qu'à une autre en fonction de l'origine sociale. C'est une forme de mesure d'égalité des chances. Sur cette période de quarante ans, elle a fortement progressé entre tous les groupes sociaux, pour les femmes comme pour les hommes. Cependant, la réduction des inégalités s'est principalement déroulée entre la fin des années 1970 et le début des années 1990, et elle a tendance à stagner depuis. Nous avons établi une mesure de la fluidité sociale entre la catégorie « cadres » et la catégorie « employés et ouvriers qualifiés ». Ainsi, en 1977, un fils de cadre a 28 fois plus de chance qu'un fils d'employé ou ouvrier qualifié, de devenir cadre plutôt qu'employé ou ouvrier qualifié. Entre 1977 et 1993, ce rapport de chances relatives passe de 28 à 12. En 2015, on conserve un écart de 12. Entre ces catégories sociales, le pallier intervient nettement à partir du début des années 1990.

Pour terminer, je reviens sur quelques résultats d'une autre étude, à partir de l'enquête FQP, mais avec une approche complémentaire, celle de la mobilité subjective ou ressentie. La PCS est certes une mesure stable dans le temps, mais c'est aussi une limite car elle ne rend pas compte de l'évolution de la hiérarchie des emplois. On peut exercer la même profession que son père et en avoir une appréciation différente au regard des évolutions de la société, par exemple parce que le nombre de personnes ayant un emploi qualifié a augmenté. A partir de l'enquête FQP 2003, une question permet de mesurer une mobilité ressentie. De façon cohérente avec la hausse globale de la qualification des emplois, en 2015, près de 4 personnes sur 10 expriment un sentiment d'ascension sociale quand un quart se considèrent déclassés socialement. On constate également un lien assez fort entre la mobilité sociale, mesurée avec la PCS, et la mobilité ressentie : il est plus fréquent de se sentir déclassé quand on suit une mobilité descendante. Dans ce cas-là, plus l'écart entre la PCS du père et la sienne est important, plus le sentiment de déclassement est fréquent. Ce dernier concerne des personnes en mobilité descendante, une mobilité de statut, ou qui appartiennent à la même PCS que leur père. En particulier, 34 % des personnes qui sont cadres comme leur père ressentent un déclassement.

Cette étude propose également une analyse plus fine, par profession, et établit un lien entre sentiment de déclassement et les conditions d'emplois, notamment au sein des employés et des ouvriers. Le sentiment de déclassement est plus fréquent pour les personnes appartenant à des professions dont les conditions d'emploi sont les moins favorables (ouvriers agricoles, caissiers, vendeurs non spécialisés, serveurs...). Dans ces professions, le temps partiel subi, les contrats précaires, le chômage, les revenus posent plus problème, ce qui est en lien avec un sentiment de déclassement plus fréquent.

M. Clément Dherbécourt, chef de projets au département société et politiques sociales de France Stratégie . - Je vais commencer par des définitions et des remarques méthodologiques, je présenterai ensuite rapidement certains travaux que nous avons récemment publiés sur la question de la mobilité sur les revenus, puis j'essaierai de répondre à la question qui m'a été posée lorsqu'on m'a invité : la France est-elle pire que ses voisins, et est-ce de pire en pire ?

Je commence donc par quelques définitions. Étudier la reproduction des inégalités, c'est se demander dans quelle mesure le statut des parents - qu'on peut mesurer par la profession, les revenus, le patrimoine, le niveau d'éducation et encore d'autres dimensions - se transmet en moyenne à leurs enfants. J'insiste sur cette moyenne, parce que dans les débats sur la mobilité sociale, on a tendance à voir l'inégalité des chances comme un pur déterminisme social total, où l'origine sociale déterminerait la trajectoire, les revenus, et la profession des enfants. Or, c'est vrai en moyenne, mais à un niveau individuel, on trouve des enfants d'ouvrier parmi les ménages aisés, parmi les ménages plus modestes, et inversement. Des gens se retrouvent en haut et en bas de la distribution des revenus et des professions, et finalement l'origine sociale n'explique qu'une part marginale de l'inégalité des revenus dans la société : 15 % de celle-ci s'explique par l'origine sociale, donc 85 % de l'inégalité se produit à origine sociale donnée. L'idée est donc qu'on a une inégalité des chances entre enfants d'ouvrier et de cadre en moyenne, mais que parler de déterminisme social excède ce que nous disent les données.

Plusieurs approches sont complémentaires dans l'étude de la mobilité sociale. J'ai parlé des différentes dimensions : la profession, le revenu, le patrimoine, le niveau d'éducation. Nous souffrons toutefois d'un problème de disponibilité des données au niveau international. La plupart des études se sont donc concentrées sur la profession et le revenu, avec des limites importantes sur lesquelles je reviendrai. À France Stratégie, nous avons voulu insister sur la dimension des revenus. Dans une publication de 2018, nous avons regardé l'origine sociale des différents déciles de revenu, avec un zoom sur les revenus les 10 % puis les 1 % les plus élevés. Nous avons détaillé la composition en termes d'origine sociale des différents déciles de revenus. Plus on va vers les revenus élevés, plus les enfants de cadres supérieurs prennent de la place, jusqu'à représenter quasiment la moitié de la population parmi celle dont les revenus sont dans les 1 % les plus élevés. Plus vous allez vers les hauts revenus, plus vous avez des enfants de cadres et moins vous avez d'enfants d'ouvriers - en particulier non qualifiés. On retrouve quand même des enfants d'ouvriers et d'employés au sein du top 10 % et du top 1 % des revenus, donc il n'y a donc pas de déterminisme pur de l'origine sociale sur le destin des individus.

Une autre manière de représenter ces mêmes données est d'examiner le destin des individus selon la profession des parents. On a présenté, selon leur origine sociale, la probabilité d'accès des enfants au groupe des 20 % des revenus les plus élevés et à celui des 20 % des revenus les plus faibles. On constate alors de très fortes inégalités des chances : la probabilité qu'un enfant de profession libérale accède au groupe des 20 % des revenus les plus élevés est 5 fois plus importante que pour un enfant d'ouvrier agricole, et inversement, les probabilités d'accès au bas de la distribution des revenus sont plus importantes pour les individus d'origine modeste.

On avait mesuré qu'environ 1 000 euros par mois, en niveau de vie, séparaient un enfant de cadre et un enfant d'ouvrier, et sur ces 1 000 euros, 500 viennent des écarts de niveau d'éducation. C'est le canal qui explique la moitié des écarts selon l'origine sociale. Le facteur éducatif est donc primordial si l'on veut lutter contre la reproduction des inégalités.

M. Jean Hingray , président . - Et d'où viennent les 500 supplémentaires ?

M. Clément Dherbécourt . - Ils s'expliquent plutôt par la qualité du diplôme, par l'orientation dans les filières, professionnelles ou mieux rémunérées, mais on constate aussi des facteurs propres au marché du travail : à diplôme donné, vous vous insérez mieux si vous disposez d'un réseau social plus conséquent. C'est le cas d'un fils de cadre par rapport à un fils d'ouvrier.

Après cette dimension liée à l'origine sociale, on a réalisé une étude complémentaire pour s'interroger sur la dimension territoriale de l'inégalité des chances. On se concentre sur des individus qui ont la même origine sociale, en l'occurrence des enfants d'ouvrier ou d'employé, ce qui représente environ 40 % de la population. On compare leur niveau de vie à l'âge adulte selon leur territoire d'origine. On s'intéresse aux endroits où les gens ont grandi, et pas nécessairement où ils résident. Ainsi, parmi les enfants d'ouvrier et d'employé qui ont grandi à Paris, le niveau de vie médian est de l'ordre de 1 700 euros, contre 1 400 euros à Calais, Lille ou Perpignan. La carte que nous avons établie fait apparaître des grandes continuités territoriales, c'est-à-dire qu'on a des grandes régions favorables (l'Île-de-France, les zones frontalières de la Suisse, l'Alsace, le Sud-Ouest, Toulouse, certaines grandes métropoles), tandis qu'un ensemble de territoires concentrés au nord et au sud sont peu favorables aux individus (principalement dans les Hauts-de-France, au sud de l'ancienne région Languedoc-Roussillon et en Corse).

Si on s'intéresse à la dimension territoriale de l'inégalité de destins, on constate que les écarts sont avant tout régionaux. À l'intérieur des régions, on observe assez peu d'écarts entre grandes, petites villes et territoires ruraux. Dans le cas particulier de l'Île-de-France, les individus qui grandissent en Seine-Saint-Denis, territoire certes très pauvre mais situé dans une région très riche, bénéficient de ce niveau de développement plus élevé et auront des perspectives plus importantes que les individus de même origine sociale qui ont grandi dans le Nord-Pas-de-Calais, par exemple. L'autre enseignement est que les écarts entre territoires sont fortement liés au développement régional, mais pas autant qu'on aurait pensé au niveau d'éducation. Les niveaux d'éducation varient selon le territoire d'origine mais expliquent assez peu les écarts de perspective de niveau de vie. C'est donc surtout le niveau de développement du territoire qui explique les inégalités de destin.

Mme Guylène Pantel . - Pourquoi la Lozère ne fait-elle pas partie de votre analyse cartographique ?

M. Clément Dherbécourt . - Malheureusement, comme souvent, la Lozère, étant un territoire peu peuplé, nous ne pouvons pas réunir suffisamment d'informations dans les données pour que ce soit statistiquement significatif. On est parti des données de l'échantillon démographique permanent, produit par l'Insee. On avait environ 100 000 individus, on a fixé un seuil pour que cela ait un sens statistique, de mémoire à 250 individus. Comme la Lozère est un département très peu dense, on ne l'a pas intégrée.

Mme Guylène Pantel . - C'est un peu dommage !

M. Clément Dherbécourt . - Je suis d'accord. De même, on avait espéré inclure les DOM et ce n'est pas possible non plus.

Je vous disais que les écarts étaient avant tout régionaux, avec peu d'écarts entre zone rurale et ville moyenne ou grande métropole. On s'est fondé pour dire cela sur les données de l'échantillon démographique permanent étalées sur une trentaine d'années : on a regardé où ont grandi les enfants dans les années 1990, et on a observé ce qu'ils sont devenus aujourd'hui.

On a ainsi examiné les quartiers favorisés et moins favorisés des grandes métropoles dans les années 1990, et on a observé les inégalités de destin. On retrouve des inégalités importantes au sein de la plupart des grandes métropoles, à quelques exceptions près comme Nice ou la région parisienne. Il est important de noter qu'à l'échelle des quartiers, c'est le niveau d'éducation qui explique les écarts de destin. Si vous grandissez dans un territoire peu favorisé à l'intérieur d'une métropole ou d'une grande agglomération, vous allez moins souvent qu'ailleurs suivre des études supérieures, et c'est ce facteur-là qui dégrade vos perspectives de revenu.

Je veux maintenant parler de ce que l'on sait vraiment de la mobilité intergénérationnelle des revenus en France en comparaison internationale. Ce sujet est paradoxalement peu documenté : contrairement à ce que l'on pourrait penser, peu de données permettent d'observer précisément les revenus des parents et des enfants de façon à les compiler sur plusieurs décennies pour retracer l'historique des individus. Très peu de pays - essentiellement États-Unis et Scandinavie - disposent des données qui permettent de faire un tel travail. Pour le reste, nous avons des données de qualité modeste. Pour la France, comme dans beaucoup de pays, les revenus des parents sont imputés dans toutes les études, c'est-à-dire qu'elles ne peuvent pas directement observer les revenus des parents.

Deux approches complémentaires se trouvent dans la littérature : l'une sur l'inertie des revenus, où on estime dans quelle mesure les écarts de revenu entre parents se transmettent à la génération d'après, et une autre approche en terme de reproduction de la position, où on examine non pas les revenus, mais les rangs des parents et des enfants, pour analyser dans quelle mesure les deux sont liés. Les études portant sur la France ne fournissent que des résultats sur l'inertie des revenus, qui représente la part de l'écart entre deux parents subsistant à la génération suivante, et, sur la base de plusieurs estimations concordantes, il faut retenir le chiffre d'une inertie de 40 %. Si vous avez un écart de 100 entre deux parents différents, l'écart entre les enfants de ces parents-là sera de 40.

Ce chiffre est bien plus élevé que pour les bons élèves : la Scandinavie ou le Canada tournent plutôt autour d'une inertie de 10 à 20 %. La France n'est pas pour autant le pire élève : elle se situe dans un groupe de pays où figurent entre autres les États-Unis, l'Allemagne et le Royaume-Uni.

Autre résultat : on observe peu d'évolution significative dans le temps. On ne dispose pas de preuve selon laquelle, depuis une trentaine d'années, l'inertie s'améliorerait ou se détériorerait. Les données ne sont pas de qualité suffisante pour conclure à ce sujet.

Par ailleurs, je souhaitais mentionner un paradoxe concernant la France. Elle se caractérise par une baisse de l'inégalité de revenus sur longue période, alors que dans la plupart des pays occidentaux comparables, on observe plutôt une hausse tendancielle de l'inégalité de revenus. Le paradoxe est le suivant. Cette situation devrait en principe jouer en faveur de la France, la réduction des inégalités de revenus par rapport aux autres pays devant avoir un effet favorable sur l'inertie entre générations : l'inertie des revenus devrait elle aussi diminuer et ne pas demeurer aussi importante. Ce n'est pas le cas et cela peut s'expliquer par le fait que la France connaît un niveau important de reproduction des positions. Même en cas de réduction des inégalités de revenus dans le temps, l'inertie d'une génération sur l'autre demeure importante.

Je voulais encore souligner le fait que les données sont perfectibles, notamment en France, malgré les investissements énormes et très coûteux déjà réalisés. J'ai une note d'espoir : l'échantillon démographique permanent sur lequel l'Insee a investi depuis une quarantaine d'années permettra sur un horizon proche d'améliorer considérablement nos connaissances sur ces questions. Nous disposerons d'échantillons conséquents d'ici 5 ans.

Pour terminer, j'évoquerai la question des héritages. Nous avons publié une note sur le retour des héritages en France sur longue période et nous avons montré que les flux de transmission de patrimoine avaient très fortement augmenté depuis une trentaine d'années. Les héritages représentaient l'équivalent de 8 % du revenu disponible en 1984, contre 20 % aujourd'hui. Selon nous, cela va croître jusqu'à environ 35 % au milieu du siècle. Derrière cette question du retour de l'héritage se cache celle de l'inégalité des chances. Les baby-boomers vont transmettre leur patrimoine, qui, parmi ces générations, est très concentré. Ne risque-t-on pas d'aboutir à une société à deux vitesses dans les décennies qui viennent ? L'héritage se rajoute comme facteur d'inégalité des chances, puisqu'un individu sur deux n'hérite que de très peu, ou de sommes modestes. Il sera donc peut-être facteur d'une telle inégalité. Cependant, la question des données sera essentielle, car on ne sait pas mesurer avec exactitude l'ampleur de l'effet des héritages sur l'inégalité des chances, du simple fait qu'on hérite tard. Il est compliqué de savoir dans quelle mesure un individu va être aidé par ses parents et ses grands-parents, et dans quelle mesure le patrimoine va s'ajouter au revenu comme facteur d'inégalité des chances, ou au contraire va pouvoir compenser des inégalités de revenus.

M. Michael Förster, analyste au sein de la direction de l'emploi, du travail et des affaires sociales de l'OCDE . - Merci pour votre invitation. Je vais présenter cinq points.

Dans un premier point, je vais souligner à quel point les conséquences d'un manque de mobilité sociale sont importantes. Dans le domaine sociétal d'abord, on sait par des études économiques que ce manque de mobilité a un effet négatif sur le bien-être subjectif, y compris sur la santé mentale. Ce n'est pas seulement le niveau réel de mobilité sociale, mais aussi ses perspectives qui jouent sur le bien-être individuel. On sait, par comparaison des enquêtes sur la perception des mobilités, que le pessimisme en ce qui concerne l'ascenseur social est plus fort en France que dans d'autres pays de l'OCDE. La France doit être classée troisième ou quatrième dans cette échelle. L'effet sociétal est donc important.

Deuxièmement, au niveau politique, le manque de mobilité sociale a une conséquence sur la cohésion sociale, montrée par une étude sur le niveau de confiance dans les institutions et la participation aux élections.

Enfin, des effets économiques existent : dans une autre étude, nous avons démontré qu'un manque de mobilité sociale entraîne un manque d'investissement dans le capital humain, ce qui ensuite entraîne une perte de PIB par tête.

Deuxième point : il est très important, surtout quand on parle des conséquences au niveau de l'action publique, de savoir de quel type de mobilité on parle.

D'une part, la mobilité comporte deux aspects. La mobilité intergénérationnelle reflète celle des enfants par rapport à leurs parents ou grands-parents. La mobilité individuelle s'accomplit au cours de l'existence : nous l'avons analysée dans notre rapport publié il y a deux ans.

D'autre part, la mobilité comporte plusieurs dimensions. La présentation de Mme Émilie Raynaud s'est centrée sur le statut socioprofessionnel, aussi appelé classe sociale, sur lequel vont plutôt se pencher les études sociologiques. On peut évoquer aussi la mobilité des revenus (revenu d'activité, revenu disponible, patrimoine). L'OCDE a également examiné la mobilité en termes d'éducation. Enfin, la mobilité du point de vue de la santé est un peu moins abordée dans le débat public mais n'en est pas moins importante, notamment en ce moment. Ensuite dans toutes ces dimensions, on doit concevoir deux degrés. La mobilité absolue reflète dans quelle mesure le niveau d'éducation, de salaire, de revenu réel, est plus élevé que celui des parents. En revanche, dans des sociétés plus riches, on se focalise plus sur la mobilité relative. La mobilité absolue traduit la vitesse de l'ascenseur social, et la mobilité relative le positionnement sur cet ascenseur (où se retrouve-t-on vis-à-vis des parents ?).

J'aimerais aborder un troisième point. Très souvent, dans le débat public, lorsqu'on évoque la mobilité, on parle de mobilité ascendante. Nos travaux montrent que l'immobilité se manifeste en bas ( sticky floors , ou plancher adhérent) et, bien souvent, surtout en haut de l'échelle ( sticky ceilings , on plafond adhérent). Je prends deux exemples dans le cas des différences d'éducation entre générations. Si vous êtes issu d'une famille où au moins un parent a atteint le niveau tertiaire, vous avez, au niveau de l'OCDE, deux chances sur trois (63 %) d'avoir également un diplôme tertiaire. Au niveau de la France, ce chiffre atteint 68 %. C'est le « plafond adhérent ».

En revanche, si vous êtes issu d'une famille où aucun des parents n'a atteint le deuxième cycle du secondaire, le chiffre tombe à 13 % dans l'OCDE, et à 17 % en France. Parmi les 13 %, seulement 2 % parviennent au doctorat. La rigidité en haut de l'échelle est donc très importante.

On peut également analyser la mobilité individuelle. Nous ne disposons pas de données au cours de la vie, mais d'un panel qui peut suivre les gens pendant 5 à 10 ans. C'est toujours en bas et en haut de l'échelle qu'on observe la plus forte rigidité. Ainsi, dans les années 2010, sur 5 ans, 57 % des personnes qui étaient parmi les 20 % les plus pauvres le sont restées. En haut, l'inertie est davantage prononcée car 70 % des personnes parmi les 20 % les plus riches le restent. En France, les chiffres sont respectivement de 63 et 71 %. Depuis les années 1990, cette mobilité au cours de la vie a augmenté de 5 points de pourcentage en bas et en haut au niveau de l'OCDE, et en France, elle a augmenté en bas et a stagné en haut.

Dans mon deuxième point, je rappelais qu'il fallait savoir de quelle dimension on parlait, surtout lorsqu'on compare les pays. Nous avons créé un grand tableau avec les 36 pays de l'OCDE et certains pays émergents. On a classifié les pays en trois groupes, selon que leur niveau d'inégalité de revenus actuel était faible, moyen ou élevé. On a ensuite ajouté le niveau de mobilité sociale intergénérationelle, entre parent et enfant, et la mobilité du revenu individuel.

Le cas du Danemark est particulier : il dispose non seulement d'un faible taux d'inégalité de revenus, ce qui en fait l'un des pays les plus égalitaires de l'OCDE, mais ses indicateurs de mobilité sociale intergénérationnelle (gains, profession, éducation et santé) sont élevés. On note toutefois que dans ce pays la mobilité du revenu individuelle est faible en haut de l'échelle.

Pour les autres pays, on constate un mélange entre tous ces indicateurs, qu'il faut prendre en compte. Si on se concentre sur la France, on observe que le niveau des inégalités de revenus se situe sous la moyenne de l'OCDE : elle est 12 ème sur les 36 pays de l'OCDE, même si cela a augmenté durant les deux dernières années. Elle se trouve dans le même groupe que l'Allemagne et le Canada (niveau moyen d'inégalité de revenus). Si on se focalise sur la mobilité des gains liés à l'activité, la France et l'Allemagne sont parmi les pays où elle est la plus faible. Les configurations varient selon que l'on se concentre sur la profession, l'éducation ou la santé. Il en est de même si l'on examine la mobilité du revenu individuel.

Il faut choisir : ou bien l'on se focalise sur une dimension et on compare les pays (sur l'éducation, on analyse alors la transmission, les diplômes, etc.), ou bien l'on veut avoir une vue d'ensemble, et on peut trouver qu'aux États-Unis ou en Australie, la mobilité au niveau de l'éducation est élevée, mais ne l'est pas au niveau des gains de l'activité.

J'aborde mon cinquième et dernier point. Quand on compare les pays, on constate que les politiques publiques peuvent faire la différence, en jouant sur les inégalités aujourd'hui mais aussi sur la mobilité sociale et l'égalité des chances. Nous avons mis en avant deux grands axes d'intervention. Le premier consiste à élaborer les politiques permettant d'assurer l'égalité des chances pour tous les enfants. On retrouve ici l'idée que pour assurer l'égalité des chances et des opportunités à long terme, une panoplie de mesures issues des expériences menées dans différents pays sont utiles, en particulier l'éducation pré-scolaire, l'éducation, les politiques favorisant l'équilibre entre vie familiale et professionnelle et les politiques de redistribution (en particulier du patrimoine). Il faut également, et c'est le deuxième axe, penser à développer les politiques visant à atténuer les conséquences personnelles des chocs défavorables. Il s'agit ici de politiques de protection, essentiellement centrées sur le marché du travail, et qui doivent prendre en compte les nouvelles formes d'emploi.

Après ces cinq points, je termine par un petit focus sur la France. Parmi les deux grands axes que je viens d'évoquer, après avoir examiné de nombreux pays, quels sont les éléments les plus prometteurs pour réduire les inégalités et promouvoir la mobilité sociale ? Nous en avons identifié trois pour la France.

Le premier consiste à réduire les écarts scolaires entre enfants de milieux socio-économiques différents. Bien que la France soit un des pays qui investisse le plus dans le scolaire et le pré-scolaire, elle maintient, voire renforce ces écarts. Lorsqu'on observe les scores PISA, la France a des indicateurs un peu au-dessus de la moyenne, mais l'écart est très grand entre les élèves, selon qu'ils sont issus de familles défavorisées ou favorisées. Les scores PISA pour les élèves issus de familles favorisées sont très élevés, comme au Japon ou en Corée, mais ceux des élèves issus de familles défavorisées sont proches des faibles scores du Portugal. Cet écart est beaucoup plus important qu'ailleurs, et il s'est accru. Aux débuts de PISA, il y a dix ou quinze ans, l'écart était de même taille en France et en Allemagne. Depuis, il a légèrement diminué dans ce dernier pays, mais il a augmenté en France.

Le second axe vise à réduire le chômage de longue durée. Cela fait référence non pas à la mobilité entre générations mais plutôt aux chocs défavorables. En France, le chômage de longue durée est élevé et a un grand impact. Un éventail de politiques est en partie déjà en place, comme le compte personnel d'activité (CPA), mais il faut les améliorer. Pour l'instant, cela ne couvre pas suffisamment de travailleurs peu qualifiés.

Finalement, il faut s'attaquer aux inégalités territoriales, voire spatiales, plus grandes en France que dans d'autres pays d'Europe. Elles se situent à l'intérieur des régions et des départements. Se pose la question des agglomérations (Paris, Marseille, Lyon) qui regroupent des disparités énormes, lesquelles génèrent un cumul de désavantages pour la mobilité : l'éducation, l'éducation pré-scolaire, l'emploi, la formation, mais aussi l'accès aux services (éducation, santé, transports).

Mme Monique Lubin , rapporteure . - J'ai une question pour M. Dherbécourt sur les inégalités en fonction des régions. Vous avez montré que l'espoir de progression sociale est meilleur dans certaines régions que dans d'autres. Pourtant, dans ces régions, dont la mienne, la Nouvelle-Aquitaine, il existe de fortes inégalités territoriales entre des zones très rurales et des zones urbaines. Vivre à Bordeaux est tout à fait différent de vivre entre l'est des Landes et le Lot-et-Garonne. Pourtant, il est indiqué que les perspectives de niveau de vie des enfants d'ouvrier ou d'employé sont favorables dans l'ensemble de ces deux départements. Les disparités sont-elles prégnantes entre les régions, ou bien n'ont-elles pas été analysées au sein des régions, en « intra » ?

M. Clément Dherbécourt . - Il est vrai que la région Aquitaine, et encore plus la Nouvelle-Aquitaine, est un peu hétérogène. On observe des disparités, mais pas nécessairement à la faveur de Bordeaux, qui s'en sort paradoxalement moins bien que le reste des territoires. Dans tous ces territoires, nous avons comparé des gens qui ont des origines sociales modestes.

Puisqu'on parle de Bordeaux, nous nous sommes concentrés sur les familles populaires de cette ville et nous les avons comparées avec des familles populaires des Landes. On a essayé de neutraliser l'effet de l'origine sociale. Il y a évidemment beaucoup de classes moyennes et de cadres à Bordeaux : si on comparait Bordeaux et les Landes, Bordeaux s'en sortirait mieux. Mais ce serait un effet uniquement de l'origine sociale des Bordelais, plus favorable sociologiquement que celle des Landais.

Sur la question de la ruralité, j'ai oublié de mentionner que certains départements ne donnent pas moins de perspectives aux individus qui y grandissent, car le taux d'émigration est plus important dans ces territoires. Pour réussir, quand on vient d'un territoire rural, cela ne se fera pas nécessairement sur le territoire, mais cela impliquera vraisemblablement une mobilité.

Il ne faut pas penser, lorsqu'on suit notre étude, que les gens de la Creuse sont restés dans la Creuse. Peut-être que les gens du Limousin s'en sortent bien parce qu'ils ont profité d'une mobilité vers une autre ville ou un autre département.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - C'est la deuxième question que je voulais vous poser. Je ne voyais pas la différence entre le fait de vivre une zone très rurale et dans une zone urbaine. Cela signifie-t-il que pour accéder à des meilleures conditions de vie, il faut bouger et être mobile physiquement et spatialement ?

M. Clément Dherbécourt . - Je vais répondre d'une autre manière. Les territoires les plus ruraux compensent un développement économique plus faible par le fait de donner un niveau d'éducation correct ou supérieur à la moyenne aux enfants qui grandissent, leur permettant, parfois au terme d'un parcours de mobilité, d'obtenir un revenu plus important. Certaines régions sont détaillées dans notre note.

De mémoire, la Franche-Comté et le Limousin ouvrent plus de perspectives que ce que leur niveau de développement économique aurait laissé penser. Par plus d'éducation, parfois par plus de mobilité, elles arrivent à compenser un développement économique plus faible. Vous me direz qu'on ne permet pas aux gens de rester sur le territoire ! On se place en effet ici dans une perspective individuelle : on regarde l'égalité des chances entre individus, mais on n'a pas de perspective sur les territoires. On ne dit pas dans quelle mesure ces mouvements de mobilité géographique affectent le développement du territoire.

Mme Marta de Cidrac . - Merci beaucoup pour toutes ces présentations, très intéressantes et denses.

Les études de l'OCDE indiquent qu'en France, il faudrait plus de six générations à une personne en bas de la distribution des revenus pour rejoindre la moyenne, ce qui est assez révélateur et apparaît comme un des plus mauvais scores de la zone OCDE. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle on dit souvent qu'en France l'ascenseur social est en panne.

Comme vous l'avez évoqué chacun à votre façon, en outre, le déterminisme social n'est pas le seul facteur, ce qu'il est important de rappeler. Toutefois, on voit dans d'autres lectures et documents, y compris dans vos propres instances, que le déterminisme revient et que le capital humain est pointé comme un facteur important dans cette reproduction des inégalités. Qu'est-ce qui pénalise le plus la France sur ce terrain-là ? L'objectif et le sens de cette mission sont en effet de trouver et identifier des problèmes pour faire des propositions, ce que fera vraisemblablement Mme la rapporteure à l'issue de tous ces échanges et auditions.

J'aurais souhaité vous poser une autre question. Des réformes menées à l'étranger ont-elles permis de traiter ces différents enjeux ? Les éléments que vous nous avez exposés nous ont montré que ce problème d'inégalités ne se limite pas à la France. Auriez-vous donc des exemples à partager sur ce qui se fait ailleurs, avec une certaine acuité ?

M. Michael Förster . - Je vais mettre en avant quelques pistes. Un chapitre entier de l'étude que j'ai présentée décrit des initiatives entreprises dans les différents pays de l'OCDE. Il faut savoir quels enseignements l'on peut en tirer, car, si nos études servent à apprendre des expériences et des politiques publiques menées par d'autres pays, il faut garder à l'esprit que certaines choses ne sont pas comparables. Certaines politiques, dans des petits pays non centralisés comme l'Autriche, ne peuvent être répliquées en France, alors que d'autres le peuvent.

Prenons un exemple : beaucoup d'efforts sont entrepris en France dans le domaine des écoles spécialisées depuis dix à vingt ans. La Corée et la Finlande le font aussi, mais, en plus, ces pays donnent des encouragements aux professeurs, et même plus que des encouragements. En Finlande, on pousse les professeurs à se rendre dans le nord, en Corée dans des zones avec de forts problèmes de chômage : ceux-ci gagneront deux fois plus en allant à Séoul ou à Turku (Finlande) plutôt qu'à Helsinki ou dans une région plus favorisée. Ces politiques payent. Cela augmente la mixité sociale.

On a étudié plusieurs champs d'action, dont les politiques de logement, et on a évalué celles qui favorisent le plus l'égalité. Peut-être ne faut-il pas trop ségréguer, mais favoriser les HLM ? Les logements sociaux à Vienne représentent 40 % du parc de logements, peuplés de locataires socialement bigarrés, et pas uniquement défavorisés.

Je pense qu'il vaut la peine de regarder ailleurs, en étant conscient que certains exemples peuvent être suivis, mais que d'autres ne le peuvent pas.

M. Clément Dherbécourt . - Le problème est très complexe et multifactoriel : à France Stratégie, nous n'avons pas formulé de recommandation précise de politique publique, que ce soit sur l'éducation ou d'autres secteurs. Nous discutons plusieurs pistes dans lesquelles les politiques publiques devraient investir davantage.

Lorsqu'on reprend l'analyse territoriale, on voit que certaines régions et certains quartiers s'en sortent moins bien en termes de perspectives pour les individus. La caractéristique de la France consiste notamment - et cela rejoint les propos de Michael Förster - en une inégalité territoriale importante, avec deux régions, au nord et au sud, qui cumulent des difficultés : les anciennes régions Languedoc-Roussillon et Nord-Pas-de-Calais, ainsi que la Somme et l'Aisne. Depuis quarante ans, ces régions cumulent toujours les mêmes problèmes, avec un taux de chômage important, des revenus plus faibles, et on note assez peu de convergence vers les autres territoires. En effet, certains territoires, comme la Corse et les DOM, partent d'un niveau de développement plus faible mais on observe chez eux une certaine convergence économique, qu'on ne constate pas au nord et au sud de la France métropolitaine. Des dynamiques défavorables aux individus s'y mettent en place sur le long terme. Il faut donc une politique qui vise ces deux ensembles de territoires défavorisés, par exemple par des politiques incitatives pour que les entreprises y localisent des emplois de qualité. Au niveau de l'emploi public également, l'État aurait intérêt à y localiser des emplois, d'autant qu'ils sont dans certains cas peu dotés en emplois publics par habitant.

Il convient enfin d'insister encore et toujours sur le poids de l'éducation. C'est un champ de recherche tellement vaste que je n'ai pas de recommandation de politique publique particulière, mais si on veut améliorer l'égalité des chances, elle constitue un passage obligé. Michael Förster parlait à cet égard de mixité sociale ou de ciblage, mais nous n'avons pas de formulation plus précise à proposer.

Avant d'en terminer, je voulais revenir sur le chiffre des six générations qu'il faudrait à une famille modeste pour revenir à la moyenne. Ce chiffre, tiré de l'introduction du rapport de l'OCDE sur le sujet, a rencontré un grand succès et a été très repris, ce qui est très bien car cela a favorisé le débat sur ces questions : le Secours populaire en a fait une affiche diffusée dans le métro. Je voudrais rappeler les précautions à prendre avec ce chiffre, tant sur les données que sur l'interprétation du résultat. C'est un calcul théorique, qui vise à prendre le coefficient d'inertie des revenus d'une génération sur l'autre - dont je vous ai précédemment parlé - de 40 % et à l'appliquer de manière successive sur six générations pour examiner l'effet sur la trajectoire des revenus.

Le problème est qu'on a aujourd'hui une inertie de revenus de 40 % en France, mais qu'on ne dispose pas de données sur le long terme. Sur la trajectoire des individus sur six générations, aucun pays n'a de données aussi précises. D'autre part, sur les six générations nécessaires pour revenir à la moyenne, il faut noter qu'au bout de trois générations, l'écart est déjà réduit de 85 % : il ne reste plus que 15 % à parcourir avec les trois générations suivantes. Cela est lié à un phénomène de non-linéarité.

Mme Sophie Taillé-Polian . - Je voulais rebondir sur cette question des inégalités. M. Dherbécourt a souligné que l'on parlait en termes de moyennes, et évoquait le fait que les inégalités, en moyenne, ne connaissaient pas d'approfondissement en France. Qu'en est-il des écarts à la moyenne ? Effectivement, en quelques dizaines d'années, les écarts de salaire à l'intérieur des entreprises se sont considérablement accrus. On parle certes de moyennes et de franchissement de générations, mais il s'agit de réduire l'écart entre le point de départ et la moyenne. Si cet écart s'agrandit, même si cela concerne moins de populations, il est d'autant plus difficile de vaincre la pauvreté et la relégation sociale que cela implique.

Par ailleurs, en tant que rapporteure spéciale sur la mission « travail et emploi », je voulais insister, à la suite de M. Förster, sur la question du chômage de longue durée. Je crois que les moyens mis en termes d'accompagnement des chômeurs de longue durée sont insuffisants, alors qu'il serait important, pour réduire les inégalités, de mettre l'accent sur ce sujet. Nos politiques de l'emploi aident à maintenir un « stock » - mot que je ne valide pas personnellement mais par lequel on analyse parfois ces politiques. On cherche à faire rapidement retrouver un emploi à des populations assez facilement « employables », mais on délaisse les chômeurs de longue durée qui s'enlisent dans les difficultés et la pauvreté, ce qui favorise aussi une certaine inertie. J'ignore si elle correspond au terme utilisé au niveau statistique, mais c'est un fait. En termes de politiques publiques, nous aurions fort à faire, outre les questions d'éducation, pour aider à réduire les inégalités de génération en génération.

M. Clément Dherbécourt . - Je précise mon propos. Je vous ai montré tout à l'heure des éléments indiquant les distributions des salaires des hommes, puisque la littérature est focalisée sur les liens entre la position des pères et des fils. L'écart de revenus entre les neuvième (D9) et premier (D1) déciles, c'est-à-dire le rapport entre les 10 % les mieux payés et les 10 % les moins bien payés, diminue au cours du temps. Dans le débat public, on a tendance à penser que toutes les inégalités augmentent, mais, sur le marché du travail, cela est peu flagrant. Dans les années 1990, en effet, certains secteurs concentrant de fortes inégalités avaient encore un poids important qui a plutôt diminué depuis.

Cependant, lorsqu'on examine ce rapport D9/D1, on ne regarde pas ce qui se passe tout en haut de l'échelle des salaires. On observe depuis une quinzaine d'années que les salaires les plus élevés augmentent de façon plus importante que les autres. Mais d'une part, cela ne joue pas fortement sur le niveau de mobilité sociale de l'ensemble de la population - car cela concerne une partie très restreinte du marché du travail - et d'autre part, pour le reste de la population, on observe plutôt une réduction des inégalités.

Je parlais ici des revenus et des salaires, mais l'analyse des patrimoines donne lieu à d'autres diagnostics. Il faudrait examiner plus en détail les données de Thomas Piketty et de ses coauteurs, qui analysent l'évolution des patrimoines et en particulier des plus gros d'entre eux. Encore une fois, en France, on observe certes une augmentation, mais elle n'est aussi importante que dans d'autres pays, comme les États-Unis. J'insisterai donc sur le fait que, de manière contre-intuitive, la France est un pays qui a fortement contenu les inégalités de patrimoine et a réduit les inégalités de revenu - même si elles demeurent à un niveau important. Il faut prendre garde à ne pas mélanger patrimoine et revenus et à essayer d'avoir un débat documenté sur ces questions.

M. Laurent Somon . - Dans l'analyse proposée par M. Förster, quatre éléments sont pris en compte : d'un côté, les gains ou revenus et la profession - ce qui constitue l'aspect d'origine sociale - et, de l'autre, l'éducation et la santé - qui relèvent plutôt du domaine des politiques publiques. Vous avez également souligné que les moyens mis à disposition de l'éducation étaient parmi les plus élevés au niveau européen, malgré des résultats insatisfaisants. Vous avez également effectué une analyse territoriale : pour ma part, je suis sénateur dans les Hauts-de-France, et cette région cumule de façon problématique nombre de déficits. Vous avez souligné la nécessité de la convergence économique, pour parvenir à une amélioration de la situation dans les territoires, ce qu'a réussi la Bretagne. Avez-vous mené des analyses sur les résultats de la politique d'aménagement du territoire, qui semble avoir été abandonnée, ou de la politique de la ville, qui touche à tous les domaines, comme l'éducation, la santé et le logement ? Voit-on des améliorations ou est-ce plutôt un échec ?

M. Michael Förster . - Je ne peux pas répondre à cette question. Trois quarts du rapport est analytique et empirique : nous comparons les indicateurs. Nous avons effectué deux revues plus approfondies de pays mais cela ne concerne pas la France.

S'agissant du chômage de longue durée, nous insistons toujours sur les politiques actives du marché du travail, qui sont préventives. J'ai lu récemment dans un journal que, pour le personnel politique, le succès de la prévention ne se monétarise pas : aucun électorat n'accorde d'importance à une résorption réussie du chômage de longue durée. Il est donc difficile de promouvoir des politiques préventives réussies, comme les politiques du marché du travail actives.

Dans notre rapport, un graphique montre le lien très clair entre l'effort effectué en politique préventive sur le marché du travail et le risque de mobilité descendante des travailleurs de la classe moyenne. Mais la presse généraliste ne publie pas ce genre de graphique, puisqu'il illustre le succès de politiques effectuées en amont. Il est plus facile de « vendre » des politiques qui passent après, comme les prestations versées au moment de la crise. On constate que les inégalités n'ont pas augmenté autant en France ou Allemagne qu'on aurait pu le craindre, car les prestations ont joué leur rôle. Ce dernier élément est très facile à démontrer. En revanche, cela est plus difficile pour les politiques préventives.

Une question sur la santé m'a été posée. Je tenais à ce que la mobilité en matière de santé soit incluse dans ce rapport. Un autre graphique très simple montre que les pays qui fournissent le plus d'effort monétaire en termes de personnel de santé se retrouvent au sommet de l'échelle de mobilité ascendante dans la santé. On peut donc démontrer que les politiques ont un rôle.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Ma question s'adresse aux représentantes de l'Insee. Il semble qu'en termes de mobilité sociale, les choses ont plutôt progressé depuis 1977, mais stagnent depuis les années 1990. Diriez-vous que la situation d'une génération par rapport à l'autre s'est considérablement améliorée jusqu'aux années 1980 et 1990, et que depuis, la progression s'est non pas arrêtée mais ralentie ?

M. Jean Hingray , président . - Pour compléter la question de Monique Lubin, la mobilité sociale est-elle liée directement à la croissance économique ? Vous avez en effet dit qu'un pallier de mobilité sociale avait été franchi dans les années 1990 et qu'elle était stagnante depuis. Or, la croissance économique est atone depuis les années 1990.

Mme Émilie Raynaud . - Notre étude ne relie pas croissance et mobilité sociale. Mais la stagnation du taux de mobilité sociale, ou la réduction de la prédominance des mouvements ascendants sur les mouvements descendants, sont liées au fait que la qualification des emplois a progressé jusqu'au milieu des années 1990, puis que cette croissance de la qualification des emplois a ralenti. C'est une des raisons qui explique une stabilité des chiffres.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Vous avez souligné, Monsieur Dherbécourt, l'importance de l'éducation. Cela signifie-t-il que le territoire est parcouru de disparités importantes ? Normalement, l'éducation est bien nationale, et l'éducation dispensée à tous les enfants est la même dans le pays. Or, cela ne se remarque pas dans les différents éléments que vous nous avez exposés. Faudrait-il parvenir à des politiques différenciées entre les différents territoires, en gardant une base commune mais en faisant des efforts supplémentaires dans certaines parties du territoire ?

Que pensez-vous de tout ce qui n'est pas délivré par l'école, mais concourt à l'éducation des enfants en dehors de l'école ? Certaines familles peuvent être déficientes, et pas uniquement dans les milieux sociaux très défavorisés. Concourent et concouraient à cette éducation des mouvements d'éducation populaire, et sans vouloir choquer personne, également des mouvements religieux - pas au sens où on l'entend aujourd'hui. Lorsque j'étais enfant, je me souviens du rôle joué en zone rurale par la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC) ou par des organismes similaires, qui offraient une structure et proposaient aux enfants des activités leur permettant d'être encadrés. Aujourd'hui, cela a complètement éclaté.

Je pense qu'au contraire, on peut voir aujourd'hui l'émergence de certains mouvements religieux qui n'ont pas la même vocation. De nombreux mouvements ont disparu, les mouvements d'éducation populaire souffrent, et je suis pourtant convaincue de leur importance capitale pour aider à réduire les inégalités. Avez-vous travaillé sur ce sujet, qui, je le reconnais, est très vaste ?

M. Clément Dherbécourt . - Vous parlez ici d'effets de contexte. Dans les différences territoriales, on sait que le contexte historique et social du territoire va jouer. C'est ainsi. Citons l'Aveyron. Les structures sociales n'y sont pas les mêmes qu'en Lozère, et on a observé, historiquement, une bien plus forte mobilité géographique depuis l'Aveyron depuis 200 ans. Le contexte joue de la même façon pour de nombreux territoires. Les politiques publiques y sont peu attentives : elles appliquent des objectifs déterminés au niveau national, ne prenant que peu en compte les effets de contexte. Cela est d'ailleurs très difficile : autant, il est facile de dire que ceux-ci existent et jouent sur les destins, autant, faire en sorte que les politiques éducatives parviennent à compenser ces effets est très difficile. En tout cas, on n'a jamais réussi à progresser sur ces questions : que ce soit à France Stratégie ou ailleurs, il n'existe pas vraiment de boîte à outils très simple pour les traiter.

En outre, certes, l'aspect territorial joue, mais l'origine sociale est très hétérogène sur un territoire. Une agglomération ou une commune regroupe des personnes d'origines sociales différentes, qui vont se retrouver dans le même établissement scolaire, et on n'est pas capable de cibler différents individus dans un établissement. Cela est très difficile. À l'échelle d'un territoire, cela joue aussi. Comment fait-on ? Faut-il cibler un territoire ou bien certains individus sur certains territoires ?

J'ai beaucoup insisté sur les aspects territoriaux de l'inégalité des chances, mais le facteur territorial joue quand même moins que l'origine sociale. Je parlais d'un écart de 1 000 euros entre un enfant de cadre et un enfant d'ouvrier à l'âge adulte, mais au niveau territorial l'écart est plutôt de 300 euros. Si l'on souhaite, donc, favoriser l'égalité des chances, la question territoriale est importante, mais la question sociale l'est tout autant. Cela pose des problèmes de ciblage au sein des établissements et des territoires, pour lesquels je ne dispose pas d'éléments afin de vous proposer des pistes plus concrètes.

Mme Marta de Cidrac . - Vous avez évoqué des comparaisons mère-fille ou père-fils et à la marge parfois fille-père. Que seraient les résultats, si l'on effectuait une comparaison « enfant-parents » ? Pourquoi la comparaison est-elle genrée ? Ma question peut vous paraître anachronique, mais j'aimerais comprendre.

Mme Émilie Pénicaud, division des études sociales de l'Insee . - Traditionnellement, on analyse la mobilité sociale en comparant des enfants de même genre : on trouve dans la littérature des éléments qui comparent les fils aux pères. Pour nous, la nouveauté a consisté à introduire la mobilité sociale des femmes. C'est devenu un élément important à prendre en compte dans l'analyse de la mobilité sociale.

La question était de savoir comment intégrer les femmes dans cette analyse. La première idée a été de comparer d'abord les filles à leur mère. Mais nous avons été contraints par un problème de champ d'analyse : plus on recule dans le temps, moins on dénombre de femmes en activité. Il a été important de compléter ces premiers éléments fille-mère par une analyse complémentaire fille-père. Nous n'avons en revanche pas d'éléments sur la mobilité sociale enfant-parents.

Mme Émilie Raynaud . - Très prosaïquement, nous prenons la catégorie socioprofessionnelle d'une personne et il faut la comparer à quelque chose d'autre. Si on se réfère aux parents, il faut pouvoir définir une catégorie socioprofessionnelle des parents. On choisit donc traditionnellement une personne, et pendant très longtemps, le père, puisque c'était l'homme qui travaillait.

Le Conseil national de l'information statistique (Cnis) a travaillé sur la question par le biais d'un groupe de travail, et a établi une proposition de PCS définie au niveau du ménage, donc soit au niveau d'une personne seule, soit au niveau du couple. Nous avons essayé ces derniers temps de mobiliser cette notion pour travailler sur les questions de trajectoire, mais elle n'est pas simple à utiliser. En effet, elle mêle des notions de catégorie socioprofessionnelle individuelle, mais aussi des éléments de trajectoire matrimoniale et conjugale. Cela pose des problèmes de comparaison, car on se met à hiérarchiser des trajectoires conjugales. On arrive donc bien à comparer une personne à une autre, mais définir le milieu social de façon générale en mêlant le père et la mère n'est pas si simple.

Mme Marta de Cidrac . - Il faut penser aux familles monoparentales, qui sont de plus en plus présentes dans notre société. Je plaiderais pour que nos façons de faire des statistiques évoluent dans ce sens, et qu'on en tienne compte de plus en plus.

Mme Émilie Raynaud . - Les statistiques de l'Insee tiennent fortement compte des familles monoparentales. Vous les retrouverez dans tous nos chiffres. On sait que leurs niveaux de vie sont moins bons, que leur taux de pauvreté est très fort. On prend en compte de façon assez systématique cette catégorie.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat .

Audition sur les inégalités scolaires de Mme Fabienne Rosenwald,
directrice de l'évaluation, de la prospective et de la performance
du ministère de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports
et de M. Éric Charbonnier, analyste à la direction de l'éducation
et des compétences de l'OCDE

(Jeudi 4 mars 2021)

M. Jean Hingray , président . -Mes chers collègues, nous poursuivons les travaux de la mission d'information sur la politique en faveur de l'égalité des chances et de l'émancipation de la jeunesse. Hier nous ont été présentées les conclusions de plusieurs études sur la mobilité sociale et sur la reproduction des inégalités sociales. Ce matin, nous abordons plus particulièrement le rôle du système scolaire.

L'égalité des chances est un objectif majeur de la politique éducative, afin que chaque jeune dispose des mêmes opportunités, quelles que soient ses origines sociales ou territoriales. Toutefois, malgré l'allongement de la durée des études, les déterminismes sociaux ou territoriaux paraissent toujours puissants, en matière de choix d'orientation comme de résultats. C'est pour disposer de données objectives et d'éléments d'analyse que nous avons organisé cette table ronde.

Nous souhaiterions connaître la nature des facteurs qui contribuent à maintenir, voire à accentuer les inégalités de départ, et l'ampleur des divergences de parcours qui en résultent pour les jeunes. Les études montrent-elles sur ce point une amélioration ou une aggravation de la situation de notre système scolaire ? Comment sommes-nous situés par rapport à des pays comparables ? Quels sont les leviers les plus déterminants pour l'égalité des chances au sein du système scolaire ?

Je remercie de leur présence les intervenants qui ont bien voulu participer à notre réunion.

Mme Fabienne Rosenwald est directrice de l'évaluation, de la prospective et de la performance du ministère de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports. Elle est accompagnée de M. Thierry Rocher, adjoint au sous-directeur de l'évaluation. A ce titre, Mme Rosenwald pourra éclairer les constats sur les parcours des élèves et sur les résultats des dispositifs destinés à assurer l'égalité des chances.

M. Éric Charbonnier est analyste à la direction de l'éducation et des compétences de l'OCDE. Parmi les études qu'elle réalise dans le cadre du programme PISA, l'OCDE a notamment publié en 2018 un rapport intitulé : « l'équité dans l'éducation : éliminer les barrières à la mobilité sociale ». Il pourra nous donner la perception de son organisation sur la situation du système scolaire français au regard de ceux des pays comparables, en particulier sur le plan de la reproduction des inégalités dans le système scolaire.

Nous avons reçu les excuses de Mme Nathalie Mons, la directrice du Centre national d'étude des systèmes scolaires (CNESCO) qui ne peut participer à notre réunion de ce matin pour des raisons de santé. Pour information, le CNESCO a publié un rapport intitulé : « Inégalités sociales et migratoires : comment l'école amplifie-t-elle les inégalités ? ».

Je propose à chacun de présenter ses principales conclusions dans un exposé introductif de dix minutes. Nous passerons ensuite aux questions de notre rapporteure, Monique Lubin, et des membres de la mission.

Mme Fabienne Rosenwald , directrice de l'évaluation, de la prospective et de la performance du ministère de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports. - Mon propos s'appuiera sur les analyses et indicateurs que nous publions régulièrement dans nos publications comme Etat de l'Ecole, L'Europe de l'Education en Chiffres, Filles et Garçons, ou Géographie de l'Ecole et des études publiées dans nos notes d'information et notre revue Education et Formations.

La publication « L'état de l'École » présente chaque année depuis 1992 une analyse globale de notre système éducatif fondée sur des indicateurs structurels et pérennes qui permettent de décrire les principales évolutions et tendances en rendant compte des disparités tout en apportant l'éclairage des comparaisons internationales. L'objectif est d'alimenter le débat public autour de l'école, aider au pilotage et contribuer à l'évaluation du système éducatif français.

Nous constatons que l'effort de la nation pour l'éducation a été considérable et s'est accompagné d'une élévation spectaculaire du niveau de qualification qui fait que la France se situe plutôt bien dans les comparaisons internationales, en particulier dans le cadre de la stratégie européenne 2020, où elle atteint quatre objectifs sur six.

Ainsi, alors que la France a longtemps partagé avec les pays latins un niveau d'études modéré de sa population adulte avec des enseignements secondaires et supérieurs moins développés que dans les pays d'Europe du Nord ou qu'aux États-Unis, elle a aujourd'hui rattrapé son retard.

La part des « sortants précoces », c'est-à-dire des jeunes de 18 à 24 ans qui sortent du système éducatif sans diplôme, est passée de 33 % au début des années 1980 à 8 % aujourd'hui. Les diplômes des sortants du système éducatif ont également progressé, puisque 46 % des sortants actuels du système éducatif ont un diplôme de l'enseignement supérieur contre seulement un tiers de la population active. Ces taux placent désormais la France au-dessus de la moyenne de l'OCDE et de la moyenne européenne.

De plus, ces développements quantitatifs des enseignements scolaires et supérieurs ont permis d'ouvrir l'école à une population plus large et ont bénéficié à tous les publics, quels que soient leur origine sociale, leur sexe et leur lieu de résidence. Les inégalités d'accès aux diplômes se sont ainsi réduites. Autre avancée très importante en termes d'inclusion pour les élèves en situation de handicap, depuis la loi de 2005, la scolarisation des enfants en situation de handicap a très fortement progressé.

Il reste néanmoins des alertes.

Un pourcentage non négligeable d'élèves est en difficulté dès l'entrée à l'école. Toutes les évaluations nationales conduites par la direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance (Depp) le montrent. De même, si les scores obtenus à 15 ans par les élèves français en compréhension de l'écrit aux évaluations internationales PISA sont supérieurs à la moyenne de l'OCDE, près de 20 % des élèves de 15 ans ont toujours de faibles compétences, même si ce taux est inférieur à la moyenne de l'OCDE. Nous retrouvons ces fortes inégalités en compréhension de l'écrit lors des journées défense et citoyenneté. Plus d'un jeune sur dix rencontre des difficultés de lecture et parmi eux, la moitié peut être considérée en situation d'illettrisme.

De plus, en vingt ans, en français et en mathématiques, le pourcentage d'élèves en difficulté a augmenté, tandis que le pourcentage d'élèves dans les plus hauts niveaux a baissé. Globalement, les inégalités de performance entre élèves ont également augmenté. En France, les élèves ne connaissent pas tous le même parcours scolaire : certains poursuivent des études longues et d'autres sortent sans diplôme. Il existe aussi de fortes différences de compétences entre élèves, et ces inégalités de réussite scolaire sont fortement liées au milieu social, au profil fille/garçon et au territoire de résidence.

Si notre système éducatif est capable d'amener à des niveaux de qualifications élevés une majorité des jeunes, il existe une proportion de 15 % de jeunes qui « décrochent » très tôt en termes de résultats, ce qui est facteur d'accroissement des inégalités, car ces jeunes sont plus souvent issus de milieux sociaux défavorisés, plus souvent des garçons et plus représentés dans certains territoires. Nous savons que ces inégalités commencent très tôt dans la scolarité, avant même l'entrée à l'école, et qu'elles se construisent aussi en dehors de l'école.

J'aborderai trois types de disparités scolaires : selon le sexe, l'origine sociale et le lieu de résidence.

Selon le sexe, notre publication « Filles et garçons » met en évidence des différences selon les sexes dans le système éducatif. Nous avons aussi consacré quatre numéros de notre revue « Education et Formations » à ce sujet.

Au cours du XXe siècle, les filles ont rattrapé et même dépassé les garçons sur le plan scolaire et actuellement, comme vingt ans auparavant, les filles réussissent mieux leurs études en France, comme dans la plupart des autres pays développés et mènent des études plus longues. 51 % d'entre elles sont diplômées du supérieur contre 40 % des garçons.

Cependant, les choix d'orientation divergent à chaque étape de la scolarisation : les filles sont sur-représentées dans les filières littéraires du secondaire et du supérieur alors que les garçons sont majoritairement présents dans les filières scientifiques et industrielles. Les choix d'orientation diffèrent en raison de motivations et de jugements eux-mêmes différents, même à niveaux scolaire et social équivalents. Enfin, malgré cette meilleure réussite scolaire, les filles ne bénéficient pas d'un avantage en matière d'insertion professionnelle.

En termes de compétences, les écarts de compétences selon le sexe sont beaucoup plus marqués en français qu'en mathématiques, et ce tout au long de la scolarité. Les écarts sont importants en français en faveur des filles dès l'école primaire et vont croissant tout au long de la scolarité. Ils se sont même accrus ces vingt dernières années. Néanmoins, ces écarts sont moins élevés que les moyennes internationales. En mathématiques, si les filles sont plutôt meilleures que les garçons en début de CP, la tendance s'inverse dès le CE1. Ensuite, les écarts se creusent en faveur des garçons en cours de scolarité et les écarts sont plus élevés que dans les moyennes internationales.

La recherche a dégagé quelques pistes d'action. Il s'agit de développer beaucoup plus les compétences socio-comportementales, comme la confiance en soi, qui soutiennent les parcours scolaires des élèves et les aident à se projeter vers des orientations auxquelles ils n'auraient peut-être pas pensé. Il convient de travailler sur les représentations, mais aussi sur l'aide à l'orientation, en améliorant le lien entre compétences et parcours scolaires (égalité des chances, cordées de la réussite, etc.). Sur le marché de l'emploi, il faut changer les représentations, notamment pour les filles.

En tant que directrice de la Depp, certaines pistes me semblent très importantes. Nous devons continuer de travailler avec des équipes de recherche pour comprendre les raisons de ces différences de compétences entre filles et garçons en français et en mathématiques, déterminer la façon dont elles se construisent et comment nous pouvons lutter. Les moindres compétences des garçons en français constituent un vrai sujet.

En termes de disparités sociales, les développements quantitatifs de l'enseignement ont permis d'ouvrir l'école à une population plus large, mais l'environnement familial des élèves continue d'avoir une influence sur leur parcours scolaire. Sur ces vingt dernières années, les inégalités d'accès à un diplôme ont continué à se réduire.

Si nous regardons deux panels d'élèves entrés en 6 ème en 1995 et en 2007, nous constatons que les disparités de parcours scolaires et d'accès au diplôme se sont réduites, mais elles restent quand même prononcées. Ainsi, parmi les élèves entrés en 6 ème en 2007, 19 % des enfants de parents ouvriers non qualifiés n'ont pas obtenu de diplôme du secondaire contre seulement 4 % des enfants de cadres, professions libérales et chefs d'entreprise. Cependant, ces écarts se sont réduits, puisque parmi les élèves entrés en 6 ème en 1995, la proportion d'enfants d'ouvriers non qualifiés sortis sans diplôme atteignait 33 % contre 8 % parmi les enfants de cadres, soit 25 points d'écart, contre 15 en 2007. De même, la proportion de bacheliers généraux et technologiques est restée stable pour les enfants d'enseignants, à hauteur de 87 %, et a augmenté pour les enfants d'ouvriers non qualifiés, passant de 28 % à 35 %.

Les inégalités sociales d'accès au baccalauréat se sont contractées. Néanmoins, elles restent très prégnantes, puisqu'un enfant de cadres a 11 fois moins de risque de sortir sans diplôme qu'un enfant d'inactif. De plus, les diplômes obtenus sont très différenciés socialement : lorsqu'ils quittent l'enseignement secondaire diplômés, 86 % des enfants d'enseignants et de cadres disposent d'un baccalauréat général et technologique contre seulement un tiers des enfants d'ouvriers non qualifiés et moins d'un enfant d'inactifs sur quatre. Les disparités d'accès au diplôme selon l'origine sociale persistent et sont particulièrement fortes dans les plus hauts niveaux de formation : 67 % des enfants de cadres obtiennent un diplôme de l'enseignement supérieur long (au-delà de bac+3) contre seulement 16 % des enfants d'ouvriers.

Au-delà des parcours, nous constatons très tôt des disparités de compétences selon l'origine sociale. Dans toutes les enquêtes de la Depp, nous observons des différences très fortes selon l'origine sociale dès le CP, en particulier sur le lexique et le vocabulaire, mais aussi en fin d'école, à l'entrée en 6 ème ou en fin de collège. Près de 30 % de la variance des scores de compétences est expliquée par l'origine sociale. À l'âge de 15 ans, la France compte parmi les pays européens où les inégalités sociales de résultats scolaires sont les plus fortes. En 2018, dans PISA, les scores des élèves les plus favorisés et les plus défavorisés affichaient un écart de 107 points, comme en Allemagne et en Belgique, mais au-dessus de la moyenne de l'OCDE à 89 points.

Au cours des vingt dernières années, nous avons observé dans PISA une hausse du poids de l'origine sociale sur les résultats scolaires de 2000 à 2009, puis une stabilisation de 2009 à 2018. Dans nos évaluations nationales CEDRE Mathématiques, les écarts selon l'origine sociale ont baissé entre 2014 et 2019, en lien avec une plus forte baisse des performances dans les milieux socialement favorisés.

De plus, dans notre système éducatif, les écarts initiaux de compétences selon l'origine sociale sont renforcés par des progressions inégales selon l'origine sociale, même à compétences initiales équivalentes. Les inégalités se renforcent particulièrement sur les compétences très scolaires (mathématiques, lexique). Enfin, les processus d'orientation restent très marqués par l'origine sociale. A notes équivalentes au brevet, les élèves ne font pas les mêmes choix d'orientation selon leur origine sociale. Les stratégies des familles les plus favorisées jouent un rôle très important.

Ainsi, les différences de parcours s'expliquent par des différences de compétences elles-mêmes très marquées par l'origine sociale, mais aussi, à compétences équivalentes, par des différences de choix selon l'origine sociale. Thierry Rocher et Noémie Le Donné avaient montré dans PISA que les aspirations professionnelles sont très différentes selon l'origine sociale. Or ces aspirations guident le jeune vers un parcours scolaire plus ambitieux.

Enfin, ces inégalités se poursuivent sur le marché de l'emploi, comme le montrent les profils d'élèves dans l'apprentissage. Les garçons et les enfants d'artisans, de commerçants ou de chefs d'entreprise obtiennent plus facilement ces contrats d'apprentissage que les enfants d'immigrés. De plus, l'insertion professionnelle des jeunes est moindre quand le représentant légal est sans activité. Même à diplôme équivalent, l'insertion diffère selon l'origine sociale des jeunes.

Des pistes d'action pour lutter contre ces déterminismes peuvent être tirées de la recherche et des expérimentations. Ces inégalités commençant très tôt, un travail doit être mené avant même l'entrée à l'école, dès la petite enfance. Il faut aussi accompagner très tôt à l'école les enfants issus de milieux défavorisés via la scolarisation obligatoire à trois ans, l'encadrement renforcé en éducation prioritaire, les devoirs faits, l'aide personnalisée. Il convient de travailler pour développer les compétences socio-comportementales qui soutiennent les parcours scolaires des élèves, en particulier la confiance en soi, l'estime de soi, notamment l'expérience Energie Jeunes qui se poursuit actuellement au sein du rectorat de Versailles ou le Laboratoire de persévérance scolaire à Besançon.

Il faut développer les initiatives autour de l'égalité des chances et l'orientation, comme les cordées ou les internats de la réussite, améliorer la mixité dans les établissements scolaires. La Depp suit un certain nombre d'expérimentations. Ces démarches se heurtent cependant à une difficulté liée au fait que la ségrégation scolaire s'explique en grande partie par la ségrégation résidentielle, qui renvoie à une politique du logement. Enfin, quand les établissements scolaires concentrent les difficultés sociales ou scolaires, il faut accompagner davantage avec les contrats locaux d'accompagnement, les territoires éducatifs, ruraux. Sur le marché d'emploi, il convient d'améliorer les représentations en développant par exemple le mentorat.

Enfin, d'autres pistes peuvent être explorées au niveau de la Depp. La mesure des inégalités doit être plus affinée. Le prochain panel de la Depp démarrera plus tôt, dès la maternelle, pour comprendre ce qui se passe à la 1 ère rentrée à l'école et la façon dont les parcours se construisent. Nous travaillons aussi avec des équipes de recherche pour évaluer les expérimentations. Enfin, le travail du Conseil d'orientation de l'école créé par la loi pour l'école de la confiance qui, dans le cadre de l'évaluation des établissements, traite d'un volet sur la lutte contre les disparités doit se poursuivre.

S'agissant enfin des disparités territoriales, notre publication « Géographie de l'Ecole » fait apparaître des disparités importantes en termes d'environnement économique, social et familial des élèves, mais aussi en termes de résultats et de parcours. Si ces inégalités territoriales de résultats scolaires reflètent en partie les inégalités sociales, qui sont assez marquées dans nos territoires, elles ne sont pas réductibles à la dominante rurale ou urbaine des territoires, ni à la composante socio-économique des familles.

La France fait globalement mieux que la moyenne européenne en termes de sortie des jeunes sans diplôme. Néanmoins, nous observons des différences très fortes sur le territoire. En 2017, la proportion de jeunes qui sortent du système éducatif sans diplôme est très faible à Paris (3,4 %) à Rennes (6,2 %) et sur la façade ouest (moins de 9 %). En revanche, nous relevons des niveaux élevés à Amiens, Lille, en Corse et dans les DROM, avec une part supérieure à 11 %. L'espérance d'obtenir le baccalauréat pour un élève de sixième sous statut scolaire s'étend de 55,6 % en Guyane à 84,5 % à Paris.

Lors des journées défense et citoyenneté, nous constatons une proportion beaucoup plus élevée dans les départements du nord et autour de l'Ile-de-France de jeunes en difficulté de lecture, notamment 17,9 % dans l'Aisne, 15,9 % dans la Somme et 15,2 % dans l'Oise. Outre-mer, les pourcentages sont nettement plus élevés : autour de 30 % pour la Guadeloupe, la Martinique et La Réunion, 55 % en Guyane et 73 % à Mayotte. Nous observons aussi ces fortes différences à l'entrée en 6 ème dans les évaluations nationales que nous conduisons. Les difficultés sont plus prononcées pour les élèves dans le nord et les DROM.

Nous avons mis en place une typologie des territoires qui permet de bien distinguer neuf types de territoires urbains ou ruraux. Nous constatons que les élèves du rural ont des résultats légèrement meilleurs que les autres en fin de collège. Ils n'ont pas une probabilité supérieure de sortir sans diplôme. En revanche, leurs orientations après la 3 ème se font plus souvent vers l'enseignement professionnel. Les difficultés se concentrent dans les « petites villes » dans lesquelles se combinent des difficultés sociales et scolaires.

Au-delà des politiques (éducation prioritaire, contrats locaux d'accompagnement, territoires éducatifs ruraux), il convient de poursuivre les mesures des inégalités territoriales. A la Depp, l'année 2021 sera une année consacrée aux territoires. Nous publierons une nouvelle édition de « Géographie de l'école » et un numéro entier de notre revue « Education et formations » sera dédié à ce sujet. Nous décrirons sur l'ensemble des territoires les moyens, l'offre de formation, mais aussi les résultats et les parcours. Il faut absolument approfondir les études des chercheurs.

En conclusion, nous observons des disparités scolaires en France. Si elles se sont réduites, elles restent prononcées. Elles existent avant l'entrée à l'école et en parallèle de l'école. A ce titre, elles sont transverses à plusieurs ministères.

M. Éric Charbonnier, analyste à la direction de l'éducation et des compétences de l'OCDE. - J'aimerais, en préambule, situer la France en termes de performances éducatives. Les études PISA nous offrent désormais un recul de vingt ans qui nous permet d'appréhender les progrès ou les régressions, mais aussi l'efficacité de certaines politiques éducatives mises en place dans l'ensemble des pays de l'OCDE.

Contrairement à ce que nous pouvons entendre, le système français se situe au niveau de la moyenne des pays de l'OCDE dans les enquêtes PISA. La situation n'est donc pas si catastrophique, mais elle n'est pas au niveau de nos attentes ni de nos investissements dans notre système d'éducation. La France reste donc dans la moyenne, avec une élite forte et 20 % d'élèves en difficultés scolaires.

Cependant, quand nous approfondissons ces chiffres, nous constatons des inégalités scolaires très importantes. Elles l'étaient déjà dans la 1 ère étude PISA. Malgré tout, si les inégalités scolaires françaises figurent parmi les plus élevées d'Europe avec la Belgique et l'Allemagne, elles n'augmentent plus depuis 2009, alors que nous avions constaté, tous les trois ans entre 2000 et 2009, une aggravation de ces inégalités. Nous ne pouvons pas nous satisfaire de cette stabilisation. Pour autant, elle nous incite à réfléchir à l'efficacité des politiques éducatives qui s'inscrivent dans la continuité depuis 2008 avec la lutte contre l'échec scolaire, l'amélioration la qualité des filières professionnelles, l'investissement dans les premiers niveaux d'éducation, etc. Ces leviers sont importants pour assurer qualité et équité sociale.

Sur les premiers niveaux d'éducation, les évaluations effectuées au primaire, qu'il s'agisse des études internationales TIMSS ou des études sur la lecture PIRLS, positionnent assez mal les élèves de CM1. La France arrive ainsi en queue de peloton des pays européens sur les performances mathématiques. En lecture, ses résultats sont légèrement meilleurs, mais ils restent aussi sous la moyenne des pays européens. Or ces résultats sont expliqués en partie par de très fortes inégalités entre les enfants favorisés et défavorisés. Il faut sans doute mener une réflexion sur l'investissement dans les premiers niveaux d'éducation, choix politique opéré depuis 2012, avec la priorité donnée au primaire, le dédoublement des classes, la réduction des effectifs dans les classes prioritaires en dernière année de maternelle. Ces mesures semblent importantes. Toute la littérature internationale montre en effet que les inégalités s'enracinent dans les premiers niveaux d'éducation. Il faut donc retenir qu'une politique de lutte contre les inégalités scolaires est une politique inclusive qui comprend des mesures sur tous les niveaux d'éducation et une politique de lutte contre les inégalités globales, car l'éducation ne peut pas résoudre seule l'ensemble des problèmes de la société.

Les inégalités scolaires ne constituent pas une fatalité. Il est important de ne pas baisser les bras dans cette lutte. L'étude PISA montre qu'un ensemble grandissant de pays assure à la fois la qualité éducative, avec des performances au-dessus de la moyenne des pays de l'OCDE, et l'équité scolaire, les enfants de milieux défavorisés ayant un handicap moins grand qu'en France, en Allemagne ou en Belgique. Ces pays sont situés dans des zones géographiques très différentes : Finlande, Suède, Estonie, Australie, Canada, Japon, Corée, Portugal et Pologne. Il n'existe pas un modèle unique. Néanmoins, ces modèles présentent des points communs.

Au niveau de l'OCDE, nous avons mené des recherches pour voir comment des pays avec des organisations scolaires très différentes assuraient performance et équité sociale. Nous avons ainsi pu identifier un certain nombre de leviers.

La lutte contre les inégalités doit commencer dès le plus jeune âge par un investissement dans les maternelles, les écoles élémentaires. La France, dans sa structure de financement des établissements, a sous-investi pendant longtemps dans les premiers niveaux d'éducation. Encore aujourd'hui, la dépense par élève dans l'enseignement élémentaire est 8 % inférieure à la moyenne des pays de l'OCDE quand la dépense par élève au niveau du lycée est 35 % supérieure à cette moyenne. Il faut investir davantage dans ces niveaux d'éducation.

La lutte contre les inégalités commence même avant l'entrée en école maternelle. Dans les pays qui réussissent plutôt bien, le ministère de l'éducation nationale est responsable de l'éducation des enfants dès l'âge d'un an jusqu'à la sortie du système. Dans les crèches, des objectifs pédagogiques sont d'ores et déjà fixés, notamment sur les compétences socio-émotionnelles, l'entrée dans les apprentissages à travers l'écoute de sons. Il serait important de coordonner les actions menées dans les crèches et les écoles maternelles pour lutter contre les inégalités et permettre des transitions plus faciles pour les enfants. Pour les jeunes enfants, cette transition est parfois très anxiogène et peut poser problème dans le développement de ces compétences et de la confiance en soi indispensable à la réussite éducative.

La formation constitue également un levier fondamental, qu'il s'agisse des enseignants, des chefs d'établissement ou des agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles (Atsem) qui aident les enseignants. Nous ne pouvons pas disposer d'un bon système éducatif si nos personnels sont mal formés, s'ils n'ont pas accès à une formation continue de qualité, s'il n'existe pas un esprit de coopération dans les établissements. Dans les études internationales PISA et TALIS sur les enseignants, la France ne se situe pas très bien. Elle fait partie des pays où les enseignants sont les moins bien préparés sur le volet pédagogique du métier, où la coopération entre enseignants est la moins développée. Les enseignants vont rarement observer la classe de leurs collègues. La coopération entre le chef d'établissement et les enseignants est elle aussi très limitée sur les aspects pédagogiques. Là encore, la France fait partie des pays où les chefs d'établissement vont rarement observer la classe de leurs enseignants.

Ces aspects participent des inégalités. Bien souvent, quand un élève éprouve des difficultés, aucune réflexion collective n'est menée pour l'aider à rattraper son retard, aucune mesure n'est mise en place. En Finlande, la coopération entre enseignants est assez informelle, mais nourrie. Un élève en difficulté bénéficie d'une aide personnalisée. Il peut parfois changer d'enseignant pour écouter un autre discours. Différentes mesures sont prises, avec un effet positif sur les inégalités.

L'investissement dans les établissements défavorisés (REP, REP+, zones sensibles) constitue un autre levier. Sur le sujet, nous ne pouvons pas dire que la France est inactive. L'investissement est fort depuis longtemps. Il a même augmenté dans les premiers niveaux d'éducation depuis 2012. Malgré tout, nous peinons toujours à attirer des personnels expérimentés dans ces établissements. Le turn-over est beaucoup plus grand. Dans notre dernière étude TALIS, nous constatons que dans les établissements défavorisés, 21 % des enseignants avaient moins de 5 ans d'expérience, contre 12 % dans les autres établissements. En outre, les enseignants restaient en moyenne 8 ans dans les établissements défavorisés, contre plus de 10 ans dans les autres. Ces statistiques montrent qu'un levier d'action indispensable consiste à créer des incitations et faire en sorte que ces établissements accueillent plus d'enseignants expérimentés et préparés à travailler avec des classes défavorisées. De ce point de vue, je pense que le Grenelle de l'éducation pourrait proposer des évolutions. Il sera intéressant de voir les mesures pour la carrière de ceux qui auront travaillé dans les zones défavorisées. Au Royaume-Uni, en Estonie, en Corée, au Canada ou à Singapour, tous les enseignants qui travaillent dans ces zones bénéficient de récompenses financières, d'avancées de carrière, des incitations qui apparaissent efficaces.

Le dernier aspect réside dans la qualité des filières professionnelles. Souvent, les enfants d'ouvriers ou de familles défavorisées se retrouvent plus facilement en difficulté. Or ces difficultés scolaires incitent à les orienter vers les filières professionnelles. Alors que nous avons besoin aujourd'hui encore plus qu'hier de techniciens compétents, nous observons que les jeunes n'intègrent pas ces filières par vocation, mais par échec scolaire et sont très souvent issus de milieux modestes. Toutes les réformes qui participent à rehausser la qualité, valoriser ces filières sont importantes. Chez nos voisins, en Allemagne, aux Pays-Bas, en Suisse, au Luxembourg ou en Autriche, ces filières facilitent l'insertion des jeunes sur le marché du travail.

Il ne faut pas tomber dans cette fatalité. Des exemples de pays montrent qu'il est possible, avec des politiques ciblées sur quelques leviers, d'améliorer la qualité du système scolaire et de le rendre plus équitable. Il faut aussi avoir en tête qu'en France les inégalités scolaires ont peut-être des conséquences encore plus importantes que dans d'autres pays, car elles conduisent à l'échec scolaire, à des sorties sans qualifications. Même si moins de jeunes sortent sans diplôme en France qu'ailleurs, les conséquences sur le marché de l'emploi sont plus fortes. Chez les jeunes sans qualification, le taux de chômage atteint 25 %. Le baccalauréat ou un diplôme universitaire protège davantage, puisque le taux de chômage est inférieur à 6 % pour les diplômés de l'enseignement supérieur. La lutte contre les inégalités scolaires poursuit aussi l'objectif de limiter les sorties sans diplôme et d'offrir plus d'opportunités professionnelles.

Mme Monique Lubin , rapporteure. - Merci pour ces présentations extrêmement riches, qui me confortent dans l'idée qu'il fallait que nous démarrions cette mission par un état des lieux des inégalités, des manques, mais aussi des aspects positifs. L'inégalité sociale trouve sa source dans la prime jeunesse, dès après la naissance. Ce constat n'est pas rassurant, mais il positionne bien les travaux que nous devons mener.

Vous avez indiqué que le poids de l'origine sociale dans les inégalités avait fortement augmenté avant de se stabiliser. La situation s'est-elle améliorée partout de la même façon ? Existe-t-il des divergences entre les zones urbaines et les zones rurales, voire au sein même des zones urbaines entre les quartiers sensibles et les autres ?

Mme Fabienne Rosenwald. - Pour la mesure des compétences, nous étions un peu sous-outillés en France. Nous ne disposons que depuis vingt ans d'évaluations standardisées au niveau international avec l'OCDE et l'Association internationale pour l'évaluation du rendement scolaire (IEA) comme au niveau national. La Depp a développé des évaluations standardisées qui permettent des comparaisons dans le temps.

Dans la première partie des années 2000, nous avons observé une augmentation de l'impact de l'origine sociale sur les compétences des jeunes. Depuis, nous notons en revanche une stabilité. Les enquêtes internationales PISA et les enquêtes nationales sont menées sur échantillon et ne permettent pas d'aller à des niveaux fins pour distinguer les territoires urbains/ruraux. Nous allons cependant travailler sur ces sujets.

Nous n'avions pas cette entrée territoriale jusqu'à présent. Nos systèmes d'information n'y étaient pas prêts. Il apparaît cependant très intéressant d'examiner les disparités entre les territoires ou selon les sexes. Certains territoires ont changé en termes de positionnement et il serait pertinent de vérifier si ces changements se retrouvent aussi sur les compétences. Pour l'instant, je ne peux pas répondre à votre question.

Mme Monique Lubin , rapporteure. - Avons-nous déjà un retour sur l'impact des mesures de dédoublement de classes de CP sur les compétences des élèves ?

Mme Fabienne Rosenwald. - Nous avons construit au sein de la Depp une véritable évaluation du dispositif de dédoublement dès la rentrée 2017. Cette évaluation se déroulera cependant sur un temps long, puisque nous allons suivre une cohorte.

Les premiers résultats que nous avons publiés ont fait apparaître un effet positif. Cependant, nous nous situions dans la fourchette basse de ce que nous pouvions obtenir dans d'autres études internationales. Ces études étaient réalisées sur échantillon et jamais sur une base exhaustive. Or cette technique présente un certain nombre de biais tenant au volontariat des écoles, à l'accompagnement. De fait, sur échantillon, l'effet apparaît toujours plus fort que dans des évaluations à grande échelle. Par ailleurs, si l'effet restait faible, il était quand même plus élevé que d'autres effets de politiques menées à grande échelle. Nous devions évaluer les élèves en mai 2020. Les écoles étant fermées, nous avons décalé d'un an.

Par ailleurs, nous avons mis en place en début de CP, en milieu de CP et au début de CE1 des évaluations exhaustives, ce qui nous permet d'apprécier la situation sur l'ensemble des élèves. Nous constatons qu'entre le début et le milieu du CP, les écarts entre les résultats des élèves de l'éducation prioritaire et hors éducation prioritaire se réduisent, ce qui constitue un point très positif. Les élèves arrivent en CP avec des écarts très importants selon leur secteur d'origine : de l'ordre de 40 points en vocabulaire entre des élèves qui entrent en REP+ et des élèves qui entrent dans le public hors éducation prioritaire. Nous observons le même résultat à l'entrée en CE1 entre 2018 et 2019. Durant la période, les classes de CP en REP ont aussi été dédoublées.

Nous allons suivre ce point pour identifier les élèves qui ont le plus bénéficié de cette réduction, ainsi que la dispersion.

Mme Monique Lubin , rapporteure. - Nous pouvons considérer qu'il est nécessaire de dédoubler des classes de CP dans des zones peuplées. A l'inverse, dans les départements très ruraux où les classes sont peut-être moins peuplées, nous pouvons penser que l'enseignement sera meilleur. Les enfants étant moins nombreux, l'enseignant pourrait leur consacrer plus de temps. Avez-vous effectué des comparaisons de ce type ? Dans des zones rurales avec des classes à faible effectif, est-il démontré que les résultats sont plus probants ?

Mme Fabienne Rosenwald. - Nous essayons de progresser dans l'analyse grâce à ces évaluations exhaustives. L'exercice se révèle cependant compliqué, car il peut exister des classes multi-niveaux dans les zones rurales. La prochaine édition de la revue « Education et formations » comportera un article sur le sujet. Une chargée d'étude de la Depp a étudié, selon le territoire, le profil à l'entrée en CP et l'évolution.

Mme Monique Lubin , rapporteure. - Avez-vous observé des différences entre les zones passées à 4,5 jours et celles qui sont restées à 4 jours ?

Fabienne Rosenwald . - A un moment donné, tous les établissements avaient basculé à 4 jours. Pour effectuer une évaluation correcte, il faut un groupe de comparaison. Or nous n'en avons pas en l'occurrence. En outre, il existe une forte variabilité des pratiques au sein même des écoles.

Les évaluations exhaustives montrent par ailleurs qu'entre mi-CP et CE1, nous ne récupérons pas tous le bénéfice de la réduction des écarts observée entre le début et le milieu du CP. Nous pensons que les vacances scolaires pourraient avoir un impact très différent selon le profil social de l'élève. Cette année, nous suivons un panel d'élèves que nous évaluerons en fin de CP et en début de CE1 pour répondre à cette question de l'impact des vacances scolaires sur les résultats des élèves selon leur profil social ou leur sexe. Il peut en ressortir des pistes pour lutter contre les inégalités sociales.

M. Éric Charbonnier. - Cette culture de l'évaluation des réformes qui se met en place est une excellente chose. Elle permet de réaliser des points d'étape et d'identifier ce qui fonctionne ou non. Sur les rythmes scolaires, il aurait en effet été intéressant de pouvoir comparer des semaines à 4 et 4,5 jours.

Souvent, l'efficacité d'une réforme vient de l'aspect qualitatif plus que de l'aspect quantitatif. La réduction de la taille des classes peut se révéler efficace dès lors que ces groupes réduits sont utilisés pour mettre en place une pédagogie de qualité. Il faudrait vérifier, dans ces écoles dédoublées qui ont mieux réussi, si les enseignants ont utilisé des méthodes innovantes.

Les performances en lecture et en mathématiques de nos élèves en CM1 sont assez mauvaises. Pourtant, nous sommes l'un des pays où les élèves passent le plus de temps scolaire dans l'élémentaire sur les mathématiques et la compréhension de l'écrit. Si nous restions sur une analyse quantitative, nous devrions figurer parmi les meilleurs pays européens en CM1. Or ce n'est pas le cas. Quand nous évaluons une réforme, il importe d'évaluer tous les aspects qualitatifs pour pouvoir en juger l'efficacité.

M. Fabienne Rosenwald. - Dans l'évaluation que nous avons mise en place sur le dédoublement des classes, nous avons également prévu des questionnements auprès des enseignants et des directeurs d'écoles sur leurs pratiques. Des premières publications sont déjà parues.

M. Laurent Somon . - Merci pour cette présentation très dense. La politique d'évaluation est absolument indispensable sur les pratiques mises en place dans le cadre des réformes. Il importe en effet d'identifier quelles sont les bonnes pratiques et comment les diffuser.

Vous avez évoqué l'impact des origines sociales des élèves et l'impact territorial, mais vous n'avez pas mentionné l'effet positif de la mixité sociale. Avez-vous réalisé des études qui ont pu montrer une amélioration des résultats grâce à cette mixité apportée dans le cadre de restructurations de cartes scolaires ?

Par ailleurs, vous avez indiqué que les résultats en milieu rural étaient globalement meilleurs qu'en milieu urbain, mais que l'insertion professionnelle n'était pas améliorée pour autant. Vous n'avez pas précisé les causes. Je vois deux facteurs : le problème de mobilité dans ces territoires, ainsi que la proximité et l'offre des établissements.

Mme Fabienne Rosenwald. - La Depp avait aidé à mettre en place des expérimentations de mixité sociale. L'exercice se révèle assez compliqué. En France, la ségrégation scolaire est en très grande partie due à la ségrégation résidentielle. Dans certains endroits, les collèges comprennent un très fort pourcentage d'élèves issus de milieux défavorisés, mais il en est de même pour tous les collègues autour. La politique du logement peut entraîner une concentration.

Nous avions repéré des collèges assez proches où nous pouvions mettre en place des expérimentations avec des mobilités. Des équipes de chercheurs travaillent sur le sujet. Il s'agit d'une démarche de long terme, car il importe d'évaluer l'effet sur plusieurs années. Les premiers résultats sont parus sur Paris. Ils montrent que globalement, l'expérience fonctionne en termes de profil social des collèges : la mixité s'améliore.

Sur la mesure des compétences, les chercheurs évaluent à la fois les compétences cognitives et les compétences socio-comportementales, les réseaux d'amis, des sujets sur lesquels la mixité peut apporter énormément. Nous avons commencé à suivre cette cohorte, mais nous avons perdu un an, les évaluations étant prévues en mai 2020.

Nous pourrons appréhender les effets en termes de composition des collèges, mais aussi les effets sur les résultats des élèves. Il est important d'apprécier la façon dont les élèves vont se donner plus d'ambition. Même à compétences équivalentes, les élèves ne se projettent pas de la même façon selon leur origine sociale. Nous avons des marges de manoeuvre en la matière. Nous n'avons pas observé de fuite vers le privé. Ces expérimentations relèvent d'une construction des rectorats avec les collectivités territoriales et le secteur privé. Il faut accompagner les familles et les établissements.

Sur l'orientation professionnelle, les élèves des zones rurales ou des lycées agricoles s'orientent plus facilement vers le professionnel que vers le général. Nous pouvons nous demander si cette orientation est choisie ou subie. Ces élèves souhaitent-ils rester vivre sur leur territoire ? Est-ce parce qu'ils ne s'imaginent pas bouger ? Nous avons construit un indice d'éloignement des collèges qui mesure, pour un collège donné, le fait que des élèves viennent de zones éloignées, mais aussi le fait que le collège lui-même est éloigné d'une certaine offre scolaire, d'équipements sportifs, de bibliothèques, de théâtres, etc. Nous constatons que les collèges les plus éloignés affichent des résultats scolaires plutôt bons, mais nous retrouvons cette orientation vers le professionnel. Ce constat renvoie vers un travail d'accompagnement sur l'orientation, les cordées de la réussite ou les contrats locaux d'accompagnement. Il faut donner de l'ambition à ces jeunes pour qu'ils se projettent ailleurs, accompagner leur mobilité, etc.

M. Éric Charbonnier. - Le lien entre les familles et l'école se révèle très important. La réussite d'une politique de lutte contre les inégalités scolaires nécessite de créer un lien fort entre les familles défavorisées et les écoles. Nous avons des exemples aux Pays-Bas, en Irlande ou au Royaume-Uni de politiques très fortes pour permettre aux familles défavorisées d'être informées de toutes les possibilités qui peuvent s'offrir à elles. Souvent, ces familles n'ont pas le même niveau d'information que les autres.

Au début des années 2000, la Suède, l'un des pays les plus égalitaires de l'OCDE, a décidé de libéraliser le choix des écoles. Or en dix ans, nous avons constaté une aggravation des inégalités scolaires, avec une surreprésentation des élèves favorisés dans certaines écoles et des élèves défavorisés dans d'autres. Ce n'est pas la seule explication de la chute des performances, mais cet aspect reste très important. Il faut partir du principe que les familles favorisées seront toujours mieux informées que les autres, aussi bien sur le choix des écoles que le choix des options, des filières qui réussissent, etc.

Il est fondamental de développer des politiques dans les quartiers difficiles pour instaurer un lien plus fort qu'aujourd'hui, peut-être par l'intermédiaire des acteurs sociaux comme au Portugal.

Mme Michelle Meunier . - Vous évoquiez le repérage de ces inégalités le plus précocement possible. Plus nous accueillons les enfants jeunes, plus nous devons nous adresser aux parents. Quelle place devons-nous faire aux parents dans les lieux d'accueil de la petite enfance et dans les écoles maternelles ? Eux-mêmes ont parfois été en échec. L'école leur rappelle des expériences négatives sur leur estime d'eux-mêmes. Comment les enseignants et les personnels sont-ils formés au cours de leur carrière à cette écoute et cet accompagnement ?

Vous avez parlé de culture de l'évaluation. Ces indicateurs sont-ils déjà évalués ? Avez-vous des éléments de recherche à nous communiquer sur ces sujets d'éducation précoce, d'accompagnement et de repérage des difficultés ?

M. Éric Charbonnier. - Nous avons beaucoup parlé de l'évaluation des performances des élèves. Cependant, aujourd'hui, dans un grand nombre de pays, la réflexion porte sur le bien-être des élèves et l'acquisition des soft skills. Un système d'éducation doit aider les élèves à être curieux, imaginatifs, à travailler en équipe, à avoir confiance en eux, etc. Ces compétences font partie intégrante des programmes scolaires. En France, nous sommes encore très attachés au programme disciplinaire. En Finlande, en revanche, les programmes éducatifs sont construits autour de ces soft skills et les matières se greffent dessus.

L'évaluation des élèves doit aussi permettre de voir comment l'école les aide à développer leur confiance en eux. Différents éléments de recherche montrent que la motivation, la confiance en soi et dans les autres ont aussi un impact sur la progression dans les apprentissages des fondamentaux. Nos enseignants doivent être formés davantage à ces aspects. D'ailleurs, la mission des enseignants ne cesse d'augmenter, ce qui explique en partie les problèmes d'attractivité que nous retrouvons en France et presque partout en Europe.

Aujourd'hui, on attend beaucoup d'un enseignant : il faut qu'il soit enthousiaste et qu'il réussisse à transmettre le plaisir d'apprendre aux élèves, qu'il crée des contacts avec les familles, qu'il fasse progresser les élèves. La pression sur ce métier est de plus en plus forte. Or l'enseignant seul peut-il régler tous les problèmes qui apparaissent dans sa classe ? Il faudrait davantage de formation et une réflexion sur le temps de travail des enseignants. Nos enseignants ont énormément de travail à la maison et leur temps dans l'établissement peut être plus réduit, surtout au collège et au lycée, ce qui leur laisse moins de temps pour ces rencontres avec les familles.

Le Portugal, pays que nous mettons en avant pour une politique efficace de lutte contre les inégalités scolaires, a activé tous les leviers : un investissement dans les premiers niveaux d'éducation, une révision de la formation des enseignants non seulement sur les aspects pédagogiques, mais aussi sur le dialogue avec les familles et un partenariat avec tous les acteurs sociaux des villes défavorisées. Dans les maternelles et les écoles élémentaires, des éducateurs peuvent assister l'enseignant dans sa classe et contribuer à instaurer un climat d'apprentissage de qualité, à créer du lien entre les familles et l'école. Ces politiques ont permis au Portugal d'engranger une amélioration de sa performance éducative et une réduction des inégalités scolaires.

En France, les enseignants sont très bien préparés sur la connaissance de la matière. Ils le sont moins sur les aspects pédagogiques et la communication. En outre, il faut prendre conscience qu'ils ne peuvent pas réussir dans cette mission seuls. Cette lutte doit être inclusive.

M. Thierry Rocher, adjoint au sous-directeur de l'évaluation au ministère de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports. - Nous investissons beaucoup sur ces compétences socio-comportementales, notamment dans le cadre de nos panels. Ces compétences sont importantes, mais la question se pose de la façon dont elles sont travaillées à l'école, puisqu'elles ne relèvent pas d'une discipline en particulier. Il est surtout intéressant de noter que ces soft skills sont socialement marquées.

En outre, ces compétences, le sentiment d'efficacité, la perception de soi, la motivation se dégradent au cours de la scolarité, notamment en collège, en lien avec l'adolescence. Il faut en tenir compte, car il existe un lien avec les compétences cognitives : l'élève peut soit entrer dans un cercle vertueux, soit voir ses compétences se dégrader dans tous les domaines. Il est important de suivre les élèves pour apprécier la manière dont ils se développent sur ces aspects.

M. Pierre-Antoine Levi . - Merci pour cet état des lieux assez rassurant pour notre pays. La France se situe plutôt bien en matière d'éducation.

Du fait de la crise sanitaire, il était prévu la mise en place en septembre 2020 du programme « devoirs faits » pour permettre un accompagnement personnalisé des collégiens. Ce programme devait être déployé dans l'ensemble des collèges sur la base du volontariat. Avez-vous déjà évalué le nombre de collégiens qui ont pu suivre ce programme ?

Le référentiel d'éducation prioritaire prévoyait aussi un accompagnement des parents. Dans le cadre de la mixité sociale, on forme les enfants, mais aussi les parents aux valeurs de la République. Pour qu'un enfant se sente bien à l'école, il doit se sentir bien chez lui. Il s'agissait d'ouvrir l'école aux parents pour la réussite des parents. Quid de ce programme ? Comment est-il mis en place avec la crise sanitaire ?

Mme Fabienne Rosenwald. - La politique « devoirs faits » était déjà en place. Ces sujets sont très importants dans la lutte contre les inégalités sociales. Ils présentent également un intérêt vis-à-vis des inégalités territoriales. Des collèges ont ainsi mis en place des systèmes pour que des élèves qui ont de grands trajets puissent quand même suivre ce programme « devoirs faits ».

Il serait également intéressant d'étudier les dispositifs mis en place pendant les vacances scolaires, juste avant la rentrée. Le directeur général de l'enseignement scolaire pourra vous répondre sur l'ensemble de ces sujets.

Les enseignants sont particulièrement sensibles à l'accompagnement des familles en éducation prioritaire, car il est beaucoup plus difficile de faire venir les familles. Une expérimentation très intéressante a été menée en Seine-Saint-Denis par une équipe de chercheurs auprès de pères. Il s'agissait de faire venir les pères à l'école et les inciter à lire une histoire le soir à leur garçon pour les pousser vers la lecture et le français. Les résultats étaient plutôt bons.

M. Éric Charbonnier. - Nous avons pu constater qu'en France, les devoirs à la maison étaient plus importants que dans la moyenne des pays de l'OCDE. Or comme les vacances scolaires, les devoirs à la maison accentuent les inégalités. Des mesures comme « devoirs faits » ne peuvent qu'aller dans le bon sens. Une évaluation s'avère cependant nécessaire pour apprécier les bénéfices. Il faut que les élèves les plus en difficulté puissent bénéficier de la mesure et de l'accompagnement d'enseignants qualifiés.

M. Rémi Cardon . - Vous avez observé que les enseignants n'avaient pas la possibilité de résoudre tous les problèmes d'inégalité. Vous n'avez pas parlé des assistantes sociales qui effectuent un travail considérable sur le décrochage, les besoins d'urgence de certains élèves. Peu de postes ont été créés au cours des dernières années. Dans mon département, les assistantes doivent couvrir un grand nombre d'établissements et n'ont qu'une vision très globale de la situation des élèves.

Une réflexion mérite d'être menée sur cette population essentielle. Il existe un problème de valorisation, de reconnaissance. Le ministre de l'éducation nationale en parle rarement alors que les assistantes sociales ont joué un rôle important durant cette crise sanitaire pour éviter que les élèves décrochent, permettre aux familles d'obtenir un ordinateur, etc.

Avez-vous réalisé des études au cours des dernières années sur la dégradation des moyens mobilisés pour ces services importants pour nos établissements ? Dans la Somme, il n'existe que 3 assistantes sociales pour toutes les classes du premier degré et 24 pour une bonne cinquantaine d'établissements secondaires. La crise a creusé encore les inégalités et ce volet devrait être renforcé. Elles répondent souvent par des actions ponctuelles, mais elles assurent aussi un suivi des élèves sur le long terme.

Mme Fabienne Rosenwald. - Le collectif autour de l'éducation est important dans un établissement, et j'y inclue les collectivités territoriales. La Depp publie depuis plusieurs années les indicateurs de valeur ajoutée des lycées pour l'obtention du baccalauréat. Ces indicateurs prennent en compte les difficultés auxquelles sont confrontés les lycées. Nous comparons le taux observé de réussite d'un établissement à la moyenne des établissements qui lui ressemblent en termes de profil social. Dans les établissements où cette valeur ajoutée est positive, nous observons que tous les personnels de l'établissement travaillent ensemble pour accompagner les élèves, avec également l'implication des collectivités et des entreprises.

Nous observons aussi l'importance du collectif en maternelle avec les Atsem. Leur rôle primordial est d'ailleurs mis en avant aujourd'hui pour les valoriser et les accompagner.

M. Éric Charbonnier. - Il apparaît important d'instaurer une vie coopérative à l'intérieur des établissements, ce qui pose aussi la question du bâti scolaire. Nos établissements sont-ils tous équipés pour pouvoir réunir, en dehors de la classe, les enseignants, les assistantes sociales, les infirmières scolaires, etc ? Il existe de nombreuses inégalités dans ce domaine en France. En Allemagne ou en Norvège, des investissements importants ont été réalisés dans le bâti scolaire, ce qui permet de mener un ensemble d'activités en dehors des heures de cours.

Mme Fabienne Rosenwald. - Le ministère réinvestit actuellement sur le bâti scolaire, notamment à la suite de la crise sanitaire, autour du bien-être et de la vie ensemble.

M. Rémi Cardon . - Des rumeurs se sont fait jour sur une volonté de transférer aux départements la compétence sur les infirmières et les assistantes sociales dans le cadre du projet de loi « 4D ». Un tel désengagement de l'éducation nationale ne constituerait-il un mauvais signe pour la coopération ?

Mme Fabienne Rosenwald. - Je ne peux pas répondre à cette question. Sur la mixité, un travail très important doit être mené avec les collectivités. L'école ne peut pas tout faire toute seule. Comme l'élaboration de la carte scolaire, tout ce qui se trouve autour de l'école se construit avec les collectivités. Elles restent un partenaire privilégié.

M. Jean Hingray , président. - Vous avez évoqué le fait que les enfants d'artisans et de commerçants trouvaient plus facilement un apprentissage. Comment l'éducation  nationale peut-elle favoriser l'insertion des enfants dans ces filières qui ont été dévalorisées au cours des dernières années ?

Mme Fabienne Rosenwald. - Pour aider cette orientation professionnelle, il faut fournir des informations aux familles. Très récemment, nous avons développé InserJeunes avec le service statistique de l'emploi afin de fournir, pour chaque lycée professionnel et chaque CFA, le taux d'emploi par spécialité et diplôme, le taux de poursuite d'études, le taux d'interruption en cours de scolarité et le taux de rupture de contrat. Le taux d'emploi ne suffit pas, car certains métiers nécessitent un niveau supérieur. Le jeune doit donc savoir que pour exercer le métier en question, il ne doit pas se contenter d'un CAP, mais qu'il doit passer un Bac pro. Nous communiquerons aussi l'insertion à 6, 12, 18 et 24 mois. Les lycées professionnels et les CFA n'accueillent pas les mêmes profils et le marché de l'emploi peut être différent.

L'accompagnement de l'orientation renvoie au collège. Il est très important de travailler sur les représentations. Il faut que les jeunes sachent que certains métiers sont porteurs et qu'ils ont la possibilité de s'engager dans cette voie. Ce travail d'orientation a été fortement accentué. Il me paraît majeur. Aujourd'hui, à compétences équivalentes, les élèves ne font pas les mêmes choix et je pense que certains se sous-estiment. Il faut les accompagner, surtout s'ils ont une mobilité à faire. Il est compliqué de bouger, notamment pour les jeunes de milieux défavorisés. Les actions menées au sein des établissements, mais aussi les mentorats ou les cordées de la réussite avec des étudiants, contribuent à tout cela, de même que l'information sur les métiers.

M. Éric Charbonnier. - Il existe aussi un enjeu d'élargissement des débouchés des filières professionnelles et de propositions d'évolutions jusqu'au niveau Master. En Allemagne, l'apprentissage et les filières professionnelles ont été fortement développés. Quand l'élève choisit une voie au lycée, il a la possibilité de poursuivre ses études pour sortir avec un Bac+5. Cette démarche est valorisante et crée des vocations.

Aujourd'hui, en France, l'orientation reste très axée sur les notes. Les élèves en échec scolaire se voient proposer la filière professionnelle. Or nous avons besoin de techniciens. Nous connaissons déjà des pénuries dans certains métiers. Il faut développer les poursuites d'études après le bac professionnel avec réussite, offrir des perspectives et les préparer au mieux à ces études.

M. Jean Hingray , président. - Merci d'avoir répondu à toutes nos questions. Je vous donne rendez-vous mercredi prochain à 17 heures pour une table ronde avec des représentants des associations de jeunesse.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat .

Audition de représentants des organisations de jeunesse

(Mercredi 10 mars 2021)

M. Jean Hingray , président . - Nous poursuivons les travaux de notre mission d'information sur la politique en faveur de l'égalité des chances et de l'émancipation de la jeunesse. Après deux auditions consacrées aux études et données disponibles sur le lien entre origine sociale et géographique d'une part, destinée scolaire ou professionnelle d'autre part, nous avons souhaité aujourd'hui entendre des représentants des organisations de jeunesse.

Je voudrais tout d'abord leur préciser que notre mission n'a pas vocation à aborder les questions spécifiques liées à l'impact de la crise sanitaire sur la jeunes, ni la situation des étudiants. Ces sujets font l'objet de travaux distincts au Sénat.

Notre mission porte sur des questions plus structurelles : l'égalité des chances, l'accès à l'autonomie, afin d'offrir à chaque jeune les mêmes opportunités, quelles que soient ses origines sociales ou territoriales.

Nous accueillons ainsi pour le Forum français de la jeunesse, qui regroupe de nombreuses associations, Mme Anaïs Anselme, déléguée générale et M. Charles Viger, membre du bureau ; pour le Comité pour les relations nationales et internationales des associations de jeunesse et d'éducation populaire (Cnajep), Mme Lucille Bertaud, vice-présidente « Politique jeunesse », et M. Paul Mayaux ; pour le Mouvement rural de la jeunesse chrétienne, Mmes Maximilienne Berthelot-Jerez, secrétaire nationale, et Nelly Vallance, présidente ; pour la Jeunesse ouvrière chrétienne, M. Nicolas Bellissimo, président ; enfin M. Bertrand Coly, membre du Conseil économique, social et environnemental (CESE) au titre des organisations de jeunesse, qui a notamment présenté devant le CESE un rapport sur la Place des jeunes dans les territoires ruraux.

M. Charles Viger, membre du bureau du Forum français de la jeunesse . - Le Forum français de la jeunesse est le porte-parole des organisations animées et gérées par des jeunes en France ; notre but est de rassembler des organisations diverses afin de participer à la coconstruction des politiques publiques.

Nous mettrons l'accent sur l'orientation et l'insertion des jeunes. L'orientation des jeunes est une variable clef pour comprendre les situations de précarité : les inégalités se répercutent évidemment sur l'insertion professionnelle, engendrant précarité des jeunes, absence d'égalité des chances, réduction des possibilités d'émancipation. L'orientation, à tous les niveaux - collège, lycée, supérieur - est un facteur de reproduction des inégalités, de classe, de genre, d'origine géographique, etc . L'obtention des diplômes révèle une reproduction forte des inégalités. Ainsi, les classes sociales aisées sont surreprésentées dans les grandes écoles et les territoires ruraux sous-représentés. On comptait moins de 30 % de femmes dans les écoles d'ingénieurs en 2017. Dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) et les territoires ruraux, l'orientation est souvent subie et le décrochage plus important.

Les NEET - Not in Education, Employment, or Training - sont dans la situation la plus précaire. Il y a donc un lien fort entre orientation et précarité.

On identifie aussi d'autres facteurs qui rendent plus difficile l'accès à l'emploi : l'obésité, les noms à la consonance maghrébine, etc. Selon l'Insee, les femmes obèses ont sept points de moins de chances de trouver un emploi que la moyenne. Le Forum français de la Jeunesse préconise la mise en place d'un service public de l'orientation, de l'information et de l'accompagnement, allant du secondaire à l'entrée dans la vie active, mais se prolongeant aussi tout au long de la vie, ou encore l'organisation de la formation en parcours, autour de voies en adéquation avec les aspirations et les capacités des jeunes, avec un accompagnement personnalisé et collectif par les pairs. Le Comité d'orientation des politiques de jeunesse travaille sur des préconisations similaires. La France est l'un des cinq pays d'Europe où le taux de chômage des jeunes est le plus élevé. Les jeunes sont bien une variable d'ajustement : en cas de crise, on cesse d'abord d'employer les jeunes, notamment ceux qui sont en insertion professionnelle. Nous plaidons pour une meilleure rémunération des stages, le CV anonyme, et la mise en place du RSA et de la garantie jeunes pour tous.

Mme Lucille Bertaud, vice-présidente « Politique jeunesse » du Comité pour les relations nationales et internationales des associations de jeunesse et d'éducation populaire (Cnajep) . - Le Cnajep est une coordination de 70 mouvements nationaux de jeunesse et d'éducation populaire. Nous aborderons la question de l'égalité des chances sous l'angle de l'émancipation, chère à nos associations. Des jeunes de Paris, de Haute-Saône ou de Seine-Saint-Denis n'auront pas les mêmes chances dans la vie, en raison de leur origine géographique. Selon l'enquête Provox « Jeunesse, opportunités, territoires », 80 % des jeunes estiment ainsi qu'il y a plus d'opportunités en ville qu'à la campagne. Nous plaidons pour une politique d'émancipation, avec un parcours sécurisé et choisi par chaque jeune, selon quatre axes : la mobilité culturelle et spatiale, l'engagement, l'accès aux loisirs et à la culture.

M. Paul Mayaux (Cnajep) . - J'évoquerai la mobilité culturelle et spatiale. L'accès aux vacances peut être source de mixité, d'émancipation et donc favoriser l'égalité des chances. Cela permet à des jeunes d'apprendre à vivre dans un cadre collectif. La question est de savoir comment faciliter le départ en vacances pour toutes et tous, comment créer des espaces de rencontres entre des jeunes issus de différentes origines sociales. L'Union nationale des centres sportifs de plein air (UCPA) a organisé l'an dernier, en partenariat avec le Crous, une opération « un bus pour un campus » permettant d'organiser le départ en vacances d'étudiantes et d'étudiants en santé, qui avaient participé à l'effort de la crise sanitaire, et d'étudiants issus de milieux défavorisés. Ce type de dispositifs semble intéressant et devrait être développé pour développer la mixité et l'égalité des chances par le partage de valeurs communes.

La question de la mobilité est fondamentale. Il s'agit de faciliter l'accès des personnes issues de milieux ruraux aux milieux urbains. Des dispositifs existent déjà, comme des bourses de mobilité ; on peut aussi développer des universités numériques qui pourraient être installées dans les milieux ruraux.

Le logement est le premier poste de dépenses chez les jeunes et c'est pourtant le premier vecteur d'émancipation et de réussite dans l'enseignement supérieur. Les perspectives de construction sont assez modestes ; on manque de foncier. Le plan de construction de 60 000 logements pour les étudiants et 20 000 pour les jeunes actifs a été un échec, faute de moyens et en raison de la baisse des APL qui solvabilisait les locataires, tout en sécurisant les bailleurs.

Notre sentiment quant aux mesures de décloisonnement est donc plutôt réservé, même si nous nous félicitons du dispositif Visale, de la facilitation de l'accès au parc HLM pour les jeunes, ou des actions en faveur de l'intergénérationnalité dans les associations et les institutions.

Mme Lucille Bertaud. - J'évoquerai la question des loisirs, du sport et de la culture, qui sont aussi un vecteur d'émancipation et de rencontre. Le Cnajep soutient le tissu associatif qui oeuvre en ce sens.

L'engagement est un facteur d'émancipation. Il permet à des jeunes de mieux comprendre l'environnement dans lequel ils vivent, de prendre des responsabilités, de rencontrer d'autres personnes et d'acquérir des savoir-être et des savoir-faire. Nous proposons de développer les parcours d'engagement : le brevet d'aptitude aux fonctions d'animateur (BAFA), les missions du service civique, les responsabilités associatives ou dans les institutions politiques, ce qui pose aussi la question du renouvellement des instances. Pour construire ces parcours collectifs et choisis, il faut travailler avec les organisations et les collectifs de jeunes. Cela pose la question de la gouvernance des politiques de la jeunesse. La région est chef de file, mais son rôle pourrait être approfondi. L'État doit aussi jouer son rôle, tandis que les jeunes sont très peu présents dans les espaces de coconstruction des politiques publiques et leur présence serait, pour nous, un élément majeur, pour élaborer des politiques publiques efficientes. Des dispositifs existent déjà, comme le dialogue structuré porté par le Cnajep qui permet à des jeunes de construire des propositions et de les porter auprès des décideurs politiques.

Mme Nelly Vallance, présidente du Mouvement rural de la jeunesse chrétienne (MRJC). - Le MRJC est une association de jeunesse et d'éducation populaire en milieu rural, qui réunit des jeunes de 13 à 30 ans, pour aider les jeunes à prendre des responsabilités, à s'engager sur les territoires où ils vivent et à s'émanciper pour devenir des citoyens et citoyennes engagés. La jeunesse est plurielle. Nous parlerons au nom de la jeunesse rurale. Les facteurs d'inégalité que nous identifions relèvent de l'accès à des conditions dignes d'existence et des conditions d'engagement des jeunes ruraux.

Mme Maximilienne Berthelot-Jerez, secrétaire nationale du MRJC. - Les difficultés d'insertion professionnelle des jeunes issus des territoires ruraux ne sont pas nouvelles : selon le rapport du CESE, un quart des jeunes ruraux de 18 à 24 ans sont sans emploi ou sans formation. Les possibilités d'étude ou d'emploi sont plus rares dans les zones rurales qu'en zone urbaine, ce qui entraine une besoin de mobilité.

Or les territoires ruraux sont peu desservis en transports publics et il est nécessaire de posséder son propre véhicule, condition souvent indispensable pour obtenir un emploi. Les jeunes peuvent aussi être conduits à quitter leur territoire pour poursuivre leurs études ou trouver un emploi, ce qui pose la problématique de l'accès au logement, des frais de transport, de l'éloignement par rapport à sa famille ou à ses proches. Les politiques d'accès au logement ont le mérite d'exister mais elles peuvent être améliorées.

Mme Nelly Vallance. - Les perspectives d'engagement et de loisirs pour les jeunes sont aussi rares dans les territoires ruraux. Or le développement de la personnalité et la construction de son parcours passe aussi par des espaces de rencontre et d'engagement au quotidien. Nous plaidons pour des propositions de proximité pour chaque jeune, en lien avec les aspirations et les besoins du territoire. Il faut développer les espaces de rencontre où l'on tisse du lien social. Nous insistons sur cette dimension collective, importante pour la construction de soi. Ces propositions sont peu nombreuses en zone rurale et trop peu diversifiées, la labellisation ayant pour effet de réduire la diversité des offres.

Mme Maximilienne Berthelot-Jerez. - Nous avons aussi des propositions pour offrir des conditions de vie dignes quel que soit le lieu où l'on vit. S'agissant de l'accès à l'emploi, nous proposons de développer la garantie jeunes ; le RSA peut être ouvert aux moins de 25 ans comme filet de sécurité mais devrait faciliter l'accès à l'emploi. On peut aussi créer des aides pour faciliter l'accès au permis de conduire ou l'acquisition du premier véhicule. Il faut développer les transports en commun ou partagés dans les territoires. Il est aussi important que les jeunes soient associés aux décisions qui les concernent, à tous les niveaux, et à toutes les politiques qui concernent leur territoire. Nous proposons de soutenir les espaces d'engagement de toutes natures, via des aides financières notamment.

M. Nicolas Bellissimo, président de la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC) . - La Jeunesse ouvrière chrétienne est la première organisation nationale de jeunes issus du milieu ouvrier et des quartiers populaires, elle réunit plusieurs milliers de jeunes, âgés de 13 à 30 ans, sur l'ensemble du territoire français. Depuis 1927, la JOC a construit une expertise sur la vie des jeunes par son contact permanent avec le terrain, sa présence sur l'ensemble du territoire et aussi par des enquêtes réalisées régulièrement auprès de milliers de jeunes, sur différentes thématiques de leur vie. Les inégalités qui touchent les jeunes du milieu ouvrier et des quartiers populaires sont nombreuses. Les jeunes sont tout d'abord les premières victimes du chômage : alors que le taux de chômage moyen en France oscillait entre 7 % et 9 % en 2020, il est supérieur à 20 % chez les 15-24 ans. On reproche souvent aux jeunes leur manque d'expérience lors de l'entrée sur le marché du travail; les jeunes du milieu ouvrier et des quartiers populaires sont encore plus touchés par ces inégalités d'accès à l'emploi, car ils n'ont pas les moyens, bien souvent, de faire des études longues et n'ont pas accès à un réseau susceptible de faciliter leur entrée dans le monde du travail. Ils sont souvent obligés de prendre le premier emploi disponible pour avoir un revenu et subvenir à leurs besoins.

Les jeunes issus des quartiers populaires sont aussi touchés par les inégalités géographiques, notamment en termes de mobilité. De nombreux quartiers ne sont pas ou sont très mal desservis par les transports en commun. Leurs habitants sont isolés, éloignés des centres-villes. Or, le manque d'emplois dans certains endroits condamne les jeunes à devoir bouger, mais tous n'en ont pas les moyens ! Comment postuler pour un stage dans une entreprise si on n'a aucun moyen de s'y rendre et que les transports en commun ne permettent pas d'y accéder : à Angers, par exemple, les jeunes issus de quartiers populaires postulent à des stages dans des entreprises proches des lignes de bus desservant leur quartier.

Ensuite, ces jeunes ont souvent des ressources financières limitées, ce qui constitue un frein pour l'accès à un logement, en raison du prix des loyers : les gratifications de stage, les indemnités de service civique ou la garantie jeunes ne sont pas suffisantes.

Enfin, les jeunes des quartiers populaires sont aussi victimes d'une inégalité d'accès à l'information et au droit ; les jeunes en apprentissage, en particulier, ne connaissent pas toujours leurs droits et beaucoup se font avoir par manque d'informations. L'absence de réseau est là encore préjudiciable. Je dois souligner toutefois qu'un travail a été mené, depuis plusieurs années, sur l'apprentissage et que la filière a été revalorisée.

Pour permettre une réelle émancipation de la jeunesse, il faut prendre en considération les jeunes tels qu'ils sont, les écouter et respecter leurs envies, leur donner les moyens de construire leur vie et leur projet librement, ainsi que les moyens de suivre la voie qu'ils ont choisie. La lutte contre les inégalités d'accès à l'emploi passe par la lutte contre le chômage de masse qui accentue les inégalités dont les jeunes des quartiers populaires sont victimes. Il faut également leur donner les moyens d'être mobiles localement, notamment en facilitant la desserte des quartiers populaires vers les centres-villes par les transports en commun. Enfin, il faut remédier au non-recours, car trop de jeunes ignorent qu'ils ont droit à des aides. Une attribution automatique de celles-ci serait pertinente.

M. Bertrand Coly, membre du Conseil économique, social et environnemental (CESE). - En raison du renouvellement du CESE, il s'agira certainement de l'une de mes dernières prises de parole. Je suis vice-président du CESE et représente les organisations étudiantes et les mouvements de jeunesse. Il serait d'ailleurs intéressant de s'interroger sur l'effet de la présence des organisations de jeunes dans une institution comme le CESE. J'évoquerai la question des jeunes ruraux. J'ai réalisé une étude sur la place des jeunes dans les territoires ruraux. J'ai identifié quatre caractéristiques, qui sont autant de facteurs d'inégalité.

La première caractéristique concerne les parcours scolaires et l'entrée dans la vie active. Les jeunes ruraux ont plutôt de meilleurs résultats jusqu'à la fin du collège, ce qui montre une capacité de rattrapage de l'école dans les territoires ruraux - qui comportent davantage de personnes issues des catégories populaires. Par la suite, les jeunes ruraux s'orientent majoritairement vers les voies professionnelles : plus de 50 % des ruraux font ce choix, contre 40 % des urbains. Leurs choix sont ainsi marqués par des déterminismes sociaux : lorsque l'on est entouré de personnes inscrites dans ces filières courtes, on a tendance à faire des études plus courtes. Cela pose aussi la question de l'accessibilité de l'offre, beaucoup moins diversifiée en zone rurale, sauf à aller dans une grande ville. L'entrée dans la vie active est aussi compliquée : un quart des jeunes des territoires ruraux se retrouve sans emploi et sans formation, du fait notamment de l'éloignement des lieux de formation et d'accompagnement dans ces territoires.

La deuxième dimension concerne l'engagement. Les jeunes ruraux tendent à s'engager davantage que l'ensemble de la jeunesse, pourtant il y a moins de politiques publiques en leur faveur. Il en découle une forte défiance des jeunes des territoires ruraux vis-à-vis de la politique : 92 % des jeunes ruraux n'ont pas confiance dans la politique et le fossé s'aggrave chaque année.

Troisième élément, les inégalités entre les femmes et les hommes sont bien plus marquées que sur l'ensemble du territoire. Il y a un problème d'orientation ; un article du Monde aujourd'hui évoque l'assignation sociale des jeunes dans ces territoires. Les emplois les plus précaires sont occupés par des femmes.

La quatrième caractéristique est la mobilité. Les jeunes sont la population rurale la plus impactée par les questions de mobilité, parce que les espaces dont ils ont besoin, et qui peuvent aller de l'auto-école à un cabinet de gynécologie, sont les plus éloignés des territoires ruraux. Cela a des répercussions très fortes sur l'employabilité : un tiers des jeunes n'a pas pu assister à un entretien lié à l'emploi dans ces territoires faute de mobilité, et les deux tiers disent qu'ils pourraient répondre à plus d'offres s'ils n'avaient pas de problème de mobilité. L'impact s'étend à la question du loisir et de l'accès à la culture, mais aussi de l'accès aux soins. Ce travail, en 2017, a montré que le premier département consommateur d'héroïne était la Meuse !

Vous avez évoqué notre regard sur les politiques menées ces dernières années. Mais lesquelles ? Depuis les années 2000, il n'y a pas eu de politique pour la jeunesse en tant que telle. Un certain nombre de politiques ont été structurées alors autour de la question de l'emploi, des emplois-jeunes, avec des dispositifs comme « Envie d'agir » ou le Conseil national de la jeunesse. Depuis, on a assisté à un enchaînement de mesures, comme le service civique ou des appels à projets, toutes choses qui peuvent être très intéressantes, mais ne sauraient structurer une politique en faveur de la jeunesse. Surtout qu'en même temps, on constatait la suppression de politiques structurantes en direction de la jeunesse : ainsi, de la disparition des directions départementales de la jeunesse et des sports (DDJS), ou de la suppression d'une ligne du ministère de l'agriculture en direction de l'animation rurale, qui a mis à plat un certain nombre de structures sur ces territoires. Du coup, il n'y a parfois plus d'acteurs de l'éducation populaire.

Nous avons cru, en 2017, avec la loi égalité et citoyenneté dans laquelle les organisations de jeunes se sont beaucoup impliquées, dans la reconnaissance d'un chef de filat des politiques de jeunesse confié aux régions. Mais nous avons été déçus, car il n'a pas beaucoup de substance aujourd'hui dans les conseils régionaux.

Le Conseil d'orientation des politiques de jeunesse a fait un très bon travail, sans être assez écouté. Certaines évolutions me paraissent incompréhensibles. Que le tutorat devienne une politique d'État ne lutte pas contre les inégalités. Le risque est plutôt de renforcer le sentiment d'arbitraire : si tu trouves le bon parrain, tu pourras t'en sortir, si tu ne le trouves pas, tant pis pour toi ! L'intitulé de votre commission évoque la résorption de l'inégalité des chances. L'enjeu majeur serait plutôt de les combattre pour faire en sorte qu'elles disparaissent.

La réforme des APL représente plus de 700 millions d'euros d'économies pour le budget de l'État, réalisées principalement sur les jeunes. Cela interroge. Depuis les années 2000, le mouvement de fragilisation et de paupérisation d'une grande part de la jeunesse a été particulièrement sévère, avec la crise de 2008 notamment. Les mineurs isolés sont une vraie problématique : un quart des gens qui se trouvent dans la rue sortent de l'aide sociale à l'enfance... Cela remet en cause notre système social ! Merci au Sénat de prendre cette question à bras le corps, car l'enjeu est fort.

Il faut remettre autour de la table l'ensemble des acteurs pour repenser une politique en faveur de la jeunesse. En 2001, le rapport Charvet pour le Haut-Commissariat au Plan, intitulé « Jeunesse, le devoir d'avenir », venait interroger la place des jeunes dans notre société. Il y a aujourd'hui trois enjeux majeurs et urgents. Comment protéger, d'abord, c'est-à-dire la question des filets de sécurité offerts aux jeunes, illustrée dans cette crise. Comment accompagner, ensuite, dans le logement comme dans les déplacements. Comment favoriser l'émancipation, enfin, en permettant aux jeunes d'accéder à la décision et à la responsabilité, pour participer au devenir de notre société, dont ils se sentent exclus.

La première question renvoie à celle de la précarité et des minima sociaux. On a considéré que le jeune était avant tout un enfant : jusqu'à 25 ans, il était majeur civilement mais mineur socialement. Cette situation n'est plus acceptable, ni pour les jeunes ni pour les familles. La précarité des jeunes risque d'entraîner une précarité des familles elles-mêmes, du fait de la situation sociale et économique. Des propositions sont sur la table, relatives au RSA ou à la volonté du Conseil d'orientation des politiques de jeunesse de faire de la garantie jeune un droit. En tous cas, il y a urgence à avancer.

La deuxième question renvoie aux outils à mobiliser pour favoriser la mobilité, la santé, l'accès à l'éducation. Pour que les jeunes ruraux puissent avoir le choix, et pour réduire les inégalités, il faut que les familles ne se sentent pas dans l'incapacité de faire en sorte que leurs enfants puissent continuer leur parcours scolaire. D'où l'importance des bourses. Les outils d'éducation populaire sont très importants aussi, et ils ont disparu d'un certain nombre de territoires ruraux. Nous devons les revivifier pour faire en sorte que ces espaces intègrent les jeunes à notre société, en leur permettant de se construire.

La dernière question est de savoir comment inclure les jeunes dans la construction des politiques publiques. Cela demande de repenser nos espaces démocratiques, d'y insérer la société civile organisée. C'est le moment. La situation est très critique et l'ensemble de la société s'en rend compte. Le risque serait d'accentuer le fossé entre les jeunes et nos institutions, et que les jeunes se trouvent exclus des outils de la protection sociale qui font la cohésion de notre société. S'ils en sont exclus au moment où ils en ont le plus besoin, ils ne croiront plus, demain, en leur valeur. Ce serait une catastrophe pour la cohésion de l'ensemble de notre société.

La société civile est prête à des évolutions. L'ensemble des composantes du CESE s'est positionné en faveur de l'accès des jeunes aux minima sociaux. Aux politiques, désormais, de s'emparer de cette question, pour promouvoir une vraie considération des jeunes dans la société !

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Vous avez tous parlé de la difficulté des jeunes, notamment en milieu rural, à faire des études et à chercher des emplois, pour des raisons que nous connaissons : manque de transports, de moyens, de réseaux. Considérez-vous que, du coup, ces jeunes ont tellement intégré toutes ces difficultés qu'ils s'interdisent l'accès à ces éléments, en quelque sorte en s'autocensurant, parce qu'ils pensent qu'ils ne viennent pas du bon milieu ? Je suis persuadée que certains jeunes, dans des banlieues difficiles ou en zones rurales, s'interdisent tout simplement d'aller en ville. Ai-je tort ? N'y a-t-il pas, en plus de la barrière géographique, une barrière psychologique et sociologique qui empêche d'accéder aux endroits où l'on peut faire ses études, se cultiver ? Avec tous ces interdits mentaux, ces jeunes n'ont plus aucune mobilité, ni sociale, ni spatiale, ni culturelle.

M. Bertrand Coly . - Les espaces de mixité, d'apprentissage, les espaces d'éducation populaire sont là pour cela ! Ils nous permettent d'aller en vacances, d'aller à la mer pour la première fois, d'aller à la découverte. J'anime un groupe d'enfants dans ma commune, qui est toute petite - 300 habitants. Je les ai emmenés visiter une ferme à côté. La moitié de ces enfants, alors qu'ils habitent le village, n'y avaient jamais été, et n'avaient jamais visité une ferme ! La découverte du monde dans un cadre de mixité sociale est indispensable. C'est en croisant des regards et des parcours de vie différents qu'on peut découvrir, faire des choix... Nous devons développer ces espaces où l'on partage un certain nombre de choses. Si chacun reste chez soi, dans son monde, l'ouverture sera plus difficile. L'école a un rôle à jouer, mais les acteurs associatifs aussi, notamment par les vacances. Le développement de colonies de vacances plus mixtes serait une bonne chose.

Mme Nelly Vallance . - Les barrières psychologiques existent, chez les jeunes ruraux comme dans les quartiers prioritaires. C'est dans la rencontre et dans les espaces de diversité qu'elles sautent. Il est important de venir voir chacun pour lui dire qu'il a sa place dans différents espaces, pour y trouver sa vocation.

L'isolement individuel, ou dans un seul milieu, ne fait que renforcer les barrières. D'où l'importance de la mixité, pour aller au-delà de ces verrous psychologiques. Un territoire géographique ne présente pas qu'une seule carrière, ou qu'un seul espace d'engagement. La diversité des propositions, bien réparties sur l'ensemble des territoires, permet de découvrir que d'autres choses sont possibles chez soi.

Mme Anaïs Anselme, déléguée générale du FFJ . - Ces phénomènes d'autocensure ne s'appliquent pas qu'aux jeunes ruraux ou aux jeunes des QPV. En fait, c'est toute la question des discriminations qui peut être prise sous cet angle. Outre cette autocensure, qui conduit à ne pas aller vers certaines opportunités, il existe aussi des espaces où règnent des préjugés et des discriminations. Ainsi, sur le marché du travail, un nom à consonance maghrébine rend plus difficile de se faire recruter. Il ne faut pas ignorer ces facteurs, qui pèsent sur l'insertion des jeunes. Il faut soutenir ces espaces d'engagement que sont les organisations représentées ce soir, mais aussi, au niveau local, tout le tissu associatif, sans négliger l'école, qui est l'espace où les jeunes sont tous présents et où, via l'orientation, on peut leur faire connaître toutes les opportunités qui s'offrent à eux pour leur vie future. Il y a un vrai besoin d'accompagnement, qui impose de former des conseillers d'orientation : c'est un bon moyen de lutter contre les discriminations que peuvent subir les jeunes.

M. Paul Mayaux . - De nombreux jeunes, dans les milieux ruraux, sont déjà en proie à l'impossibilité de se mouvoir et d'avoir accès à l'information. De ce fait, ils s'interdisent des choses dont ils n'ont même pas connaissance. Puis, une fois l'information acquise, se pose la question du filet de sécurité. Un jeune qui veut faire des études, ou se déplacer, est toujours confronté au poids financier que cela aura sur son foyer fiscal de référence. De là vient une forte part de l'autocensure.

Mme Lucille Bertaud . - On parle toujours de la mobilité dans un seul sens, en évoquant des jeunes ruraux ou des jeunes des quartiers populaires qui doivent aller dans un centre ou une métropole. On ne pense jamais le flux inverse. Souvent, de jeunes urbains souhaitent aller en zone rurale, ou dans des quartiers populaires, pour suivre une formation ou y habiter. Tous les services sont dans les grandes métropoles ou les grandes villes, ce qui pose question sur l'égalité des territoires et la solidarité entre villes et campagnes. On sait qu'un habitant qui habite en zone rurale fait l'objet d'une dépense publique moindre qu'un citadin. Il y aurait donc des choses à retravailler...

M. Laurent Burgoa . - Merci pour ce témoignage. J'ai été pendant treize ans adjoint au maire chargé de la politique de la ville dans une commune de 150 000 habitants comptant sept QPV. Mais, dans cette maison, la ruralité nous est chère ! En ce qui concerne les QPV, nous devrions faire l'autocritique des pouvoirs publics. En voulant trop faire pour ces quartiers, ne les a-t-on pas, implicitement, transformés en ghettos ? Un jeune qui naît dans ces quartiers n'en sort plus ! À Nîmes, il ne dira plus qu'il est nîmois, mais qu'il vient de tel ou tel quartier. Le conseiller départemental que j'ai été pense que ce fut une erreur de mettre les collèges dans ces QPV, car le résultat est que l'adolescent ne connaît en fin de compte que son quartier. Certes, il y a le problème de la mobilité, indéniable.

Il faut être réaliste : en matière de politique de la ville, depuis plusieurs années, l'État et les collectivités territoriales mettent le paquet, notamment à travers des projets de rénovation urbaine lourds, par des financements de projets sociaux, mais aussi par les fonds que l'éducation nationale alloue aux collèges : je me rappelle que les moyens financiers accordés au collège d'un QPV étaient trois fois supérieurs à ceux du collège du quartier le plus épais de ma commune ! Pensez-vous que ces moyens financiers lourds sont bien utilisés et bien ciblés ? Sinon, comment les orienter pour avoir plus de résultats ? Dans ces quartiers, il faut passer d'une politique de moyens à une politique de résultats.

Mme Brigitte Lherbier . - Je me suis fait le même genre de réflexion. J'étais adjointe à la sécurité et à la prévention à la mairie de Tourcoing, qui est située à une vingtaine de minutes de Lille. J'ai rencontré une jeune fille qui me disait ne pas trouver de stage, et me demandait de la prendre avec moi, pour être secrétaire. Elle est donc partie de Tourcoing. Quand elle est arrivée à mon bureau, elle était livide : c'était la première fois qu'elle prenait le tramway, le métro... Nous disposons dans l'agglomération de toutes les mobilités, mais je pense qu'on a habitué ces jeunes à rester dans le lieu où ils grandissent. Sur ce point, l'école pourrait faire beaucoup, en faisant davantage se déplacer ces jeunes, en proposant des vacances à l'extérieur, des séjours à l'étranger.

Quand on est confronté à un problème, on trouve des solutions, on cherche... La vie n'est faite que de rencontres, et d'évolutions. Vous avez évoqué le respect des envies des jeunes. Nous devons adapter ce qu'on propose aux envies. Pendant le confinement, on s'est rendu compte que, pour les jeunes des villes, le bonheur ne passait pas obligatoirement par des pratiques urbaines. Une grande part de la population française a pris conscience que la nature, la campagne, c'était un plus, un but de vie ! Pourquoi vouloir à toute fin une vie urbaine ? La jeune fille que j'évoquais n'avait pas profité de la ville, et même la vie urbaine la handicapait. Ne pensez-vous pas, aussi, que le service militaire, combattu par les jeunes de l'époque, avait l'avantage de donner une occasion de voir ce qui se passait ailleurs ?

Mme Sophie Taillé-Polian . - Le mot d'engagement est beaucoup revenu dans vos propos. Vous avez évoqué différents dispositifs, notamment le service civique. À l'origine, il était pensé comme un engagement volontaire au service de projets collectifs. Depuis la crise sanitaire, on a le sentiment qu'il est utilisé, à la fois par les associations et les services publics, d'une autre manière. Comment les jeunes le perçoivent-ils aujourd'hui ? Loin de sa vocation émancipatrice, n'est-il pas perçu comme une sorte de sous-travail, d'étape préalable au travail, avec moins de droits ?

M. Laurent Somon . - Dans vos propos, on n'a rien entendu sur l'institution scolaire et sur son rôle non seulement de formation, mais aussi d'information. Vous avez évoqué le besoin de mixité. Concernant les quartiers prioritaires, nous avons, hélas, une tendance à segmenter, alors que nous savons bien que la mixité amène l'unité.

Le premier lieu de mixité, c'était l'école. Comment fait-on pour retrouver ce creuset de la mixité ? On a parlé du service militaire d'hier, du service civique... L'idée, avec le service civique, c'est de rassembler les jeunes en un lieu hors de leur appartement et de leur faire connaître autre chose.

Les milieux ruraux et urbains ont des résultats scolaires globalement équivalents, mais il y a une rupture au niveau de l'orientation : les jeunes ruraux ne poursuivent pas des études supérieures. Nos politiques publiques à destination de la jeunesse manquent de cohérence pour les accompagner. On a supprimé les petites lignes de chemin de fer, ce qui complique l'accessibilité pour les formations, souvent choisies par défaut aujourd'hui. À cela s'ajoute également la problématique du logement.

Mme Michelle Meunier . - On compte sur vous pour nous donner de l'énergie, du dynamisme et de l'utopie sur cette thématique de l'égalité des chances. Vos propos sont, d'une manière générale, assez « plombants », avec notamment le poids des origines et des déterminismes, la dimension d'autocensure... Les jeunes ne s'autoriseraient pas l'engagement. Pour s'en sortir en 2021, les jeunes s'en remettent-ils à leur famille et à leurs réseaux ? Ou ont-ils encore recours au groupe, au collectif ?

M. Charles Viger . - La réunion de nos organisations autour de cette table est un bon exemple d'esprit de groupe. Le FFJ, tout comme le Cnajep, sont des regroupements d'associations de jeunes. Cet esprit de groupe, on le retrouve, par exemple, dans la création d'un parti politique organisé autour des jeunes : Allons Enfants.

Nous portons également la voix des jeunes au Sénat, dans les conseils économiques, sociaux et environnementaux régionaux (Ceser), au Conseil économique, social et environnemental (CESE), dans les différentes instances des villes. Plus nous sommes écoutés par les pouvoirs publics, plus cet esprit de groupe se développe.

Mme Anaïs Anselme . - Le tissu associatif a besoin de soutien pour exister. Si on veut de l'utopie et des jeunes qui s'engagent, il faut aussi donner des moyens à nos organisations. Au FFJ, nous constatons des moyens en baisse. Les financements pluriannuels, qui permettraient de structurer ces mouvements, sont quasiment inexistants pour les organisations de jeunes.

M. Charles Viger . - Je souhaite donner un chiffre concernant les quartiers prioritaires : selon une enquête réalisée en 2019 par l'Institut national de la jeunesse et de l'éducation populaire (Injep), le taux de chômage des jeunes y est deux fois et demie plus important que dans les quartiers d'unité urbaine « englobante ». Des politiques sont menées, mais cet argent n'est pas bien dépensé. Il faudrait réfléchir aux canaux qui permettraient à cet argent d'arriver dans les quartiers.

Dans ces quartiers pourtant proches des villes, 22 % seulement des jeunes ont un certificat d'aptitude professionnelle (CAP). On en revient au problème de l'orientation et au défaut d'informations.

Sur le service civique, il convient de faire attention. Au FFJ, nous demandons régulièrement l'augmentation du nombre de places, sachant que le service civique ne doit pas non plus constituer un dispositif d'emploi ; ce n'est pas sa vocation, il n'apporte pas les mêmes garanties qu'un emploi.

Mme Anaïs Anselme . - En ce moment, nous sommes en alerte sur la manière dont on communique autour du service civique. Quand il apparaît comme un élément de langage dans le plan « 1 jeune, 1 solution », on ouvre la porte à une conversion en dispositif d'emploi. Nous souhaitons qu'il reste un dispositif d'engagement.

M. Charles Viger . - Le FFJ s'est positionné contre le service militaire. Nous ne pensons pas que la mixité doive être prise en charge par l'armée, y compris dans le cadre du service national universel (SNU).

Mme Anaïs Anselme . - Il y a un mythe autour du service militaire. Cette idée de mixité sociale ne correspondait pas à une réalité à l'époque, et le SNU ne résoudra pas le problème. Pour nous, l'école est le lieu où la mixité sociale doit s'épanouir ; c'est dans cette institution que l'égalité des chances doit devenir une réalité.

M. Laurent Burgoa . - J'ai fait mon service national, et cela m'a donné une vision de la société française au-delà de mon cocon de la faculté de droit. Beaucoup de jeunes ont également pu, par le biais du service national, passer leur permis de conduire.

Mme Anaïs Anselme . - Nous portons plutôt des idées autour de la mobilité européenne ; je pense, par exemple, au programme Erasmus + qui donne à toute une classe d'âge l'opportunité de découvrir un ailleurs.

M. Paul Mayaux . - Chaque année, 100 000 jeunes effectuent leur service civique, avec une diversité très forte d'origine, de niveau social, de territoire, de cursus. Parmi eux, 500 ont accès à des grandes écoles ou à des filières sélectives, avec un taux de réussite de 92 %. Ce mécanisme pourrait être étendu, afin de diversifier le champ de l'enseignement supérieur et de promouvoir l'égalité des chances. Dans le rapport mené par Martin Hirsch sur la question de l'ouverture sociale, une proposition traitait également de l'égalité des chances. Ces pistes sont à creuser.

Les moyens financiers débloqués ne pallient que partiellement les besoins. Sur la question du logement, par exemple, la faute n'incombe pas seulement aux personnes qui versent l'argent, mais parfois à d'autres acteurs. Si l'on prend l'investissement lié au plan 60 000, les constructeurs sociaux vont privilégier une politique de l'habitat centrée sur la famille plutôt que sur les étudiants, considérés comme moins rentables.

Quand, en termes de politique sociale de l'habitat, les quotas dédiés aux milieux moins favorisés ne sont pas respectés par certaines municipalités, c'est problématique. À l'heure actuelle, nous recensons 175 000 logements Crous pour 2,7 millions d'étudiants.

Au sein de l'école, on peut envisager l'intervention d'acteurs de l'éducation populaire, afin de promouvoir la diversité. Il existe beaucoup de programmes d'intermédiation culturelle et d'échanges, qu'il serait intéressant de développer.

Mme Lucille Bertaud . - Le service civique ne doit pas se substituer à l'emploi, il convient de retrouver le sens initial de ce dispositif.

Au Cnajep, nous doutons de la pertinence du SNU, censé favoriser la mixité et la citoyenneté. Je vous invite à lire les rapports de l'Injep sur le SNU, qui fournissent beaucoup de chiffres. Le SNU ne peut être la seule et unique politique à destination de la jeunesse. Au vu de la situation actuelle des jeunes, cette politique doit être plus globale. La semaine dernière, le Cnajep a diffusé une lettre ouverte au Gouvernement, en proposant notamment que le crédit prévu pour le SNU en 2021 soit plutôt dédié au financement d'autres propositions en faveur des jeunes.

Dans le domaine de l'éducation populaire, le collectif est primordial. Surtout après cette année de confinement, nous avons observé un besoin de rencontres et d'espaces collectifs pour construire des choses ensemble.

Mme Maximilienne Berthelot-Jerez . - Au MRJC, nous accueillons des services civiques. On ne peut pas nier que des jeunes postulent à des missions de service civique aussi parce qu'ils ne trouvent pas d'emploi. C'est un moyen, pour eux, de nouer des liens et de « rentrer » dans le marché de l'emploi, ce qui nécessite un accompagnement différent. On ne peut pas détacher la question du service civique de la réalité du marché de l'emploi.

Quel sens veut-on donner aujourd'hui au service civique, avec des missions de 35 heures dans certaines structures ? Forcément, on se rapproche d'un emploi, alors que le dispositif est censé accompagner les jeunes dans leurs réflexions sur leur avenir.

La mixité se fait par l'école. Vous avez évoqué le problème de ces jeunes d'un même quartier qui se retrouvent dans un même collège. Peut-être pourrait-on inventer des espaces de rencontre entre écoles, dans le cadre d'un voyage scolaire par exemple. Nous savons également que les colonies sont très peu mixtes aujourd'hui. Des choses sont à inventer pour permettre cette mixité.

Mme Nelly Vallance . - Les jeunes ont-ils envie de se regrouper ? Il semblerait que oui. Le manque de liens et d'espaces pour se retrouver, comme l'a montré l'année écoulée, est problématique. Si l'on remonte à l'année précédente encore, la lutte pour le climat a rassemblé une génération autour d'une cause commune.

Si nos retours paraissent un peu « plombants », c'est aussi parce que nous essayons de comprendre les causes des inégalités. Nous portons ce désir d'avoir le choix et cette envie que le quotidien ne soit plus un poids.

M. Nicolas Bellissimo . - Dans le parcours des jeunes, on leur ferme des portes et on leur renvoie l'idée qu'ils ne pourront pas accéder à certaines formations. Tout un environnement favorise l'autocensure dont on parlait.

En termes de moyens financiers, il convient de cibler l'orientation des jeunes. On doit disposer de suffisamment de conseillers d'orientation psychologues (COP) pour rencontrer les jeunes, discuter avec eux, leur présenter les métiers, les informer sur les formations et le monde du travail.

Les jeunes du milieu ouvrier et des quartiers populaires ne demandent qu'à être autonomes, à trouver du travail et à pouvoir vivre leur vie. Ils sont prêts à se déplacer pour faire des études et chercher du travail, mais le manque d'informations et le manque de ressources les pénalisent.

Le service civique, pour certains jeunes, devient une option pour bénéficier d'un revenu pendant un certain temps. On a également des entreprises et des organismes qui abusent de la situation avec des emplois déguisés.

La mixité est importante à l'école, elle l'est également dans les lieux de vie. L'offre de logement doit être plus attractive, afin de donner envie à des familles plus aisées de s'installer dans les quartiers populaires. Par ailleurs, le phénomène de gentrification contribue à chasser les familles modestes des centres-villes.

La notion de groupe est toujours très importante à la JOC. En se retrouvant à plusieurs, en partageant leurs difficultés, leurs joies, leurs galères, les jeunes se rendent compte qu'ils ne sont pas seuls. Nous nous battons contre l'individualisation de la société, avec notamment une atomisation de l'emploi et des travailleurs de plus en plus isolés.

M. Bertrand Coly . - Beaucoup de moyens ont été engagés, dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) notamment. En revanche, on a oublié de soutenir ce qui relève du fonctionnement de la vie associative, de la prévention spécialisée, tous ces dispositifs à destination des jeunes qui créent du lien. C'est vrai dans les quartiers comme dans les territoires ruraux.

Ces dernières années, on a préféré miser sur des politiques sécuritaires plutôt que sur des moyens humains, et aujourd'hui nous en payons le prix.

On a un décalage entre les potentialités que l'on observe dans nos organisations, avec des jeunes qui s'impliquent, et le regard que porte la société sur sa jeunesse. Nos organisations galèrent, les financements sont en berne. J'ai passé ma vie de responsable associatif avec des budgets déficitaires. Quand les jeunes essayent de se battre, de faire des choses sur leur territoire, on ne leur donne pas les moyens. Créer du collectif, c'est une volonté politique.

Il n'y a pas eu de questions sur les minima sociaux, par exemple. Aujourd'hui, des jeunes crèvent de faim, et la société n'apporte pas de réponse. Si on veut que les jeunes s'engagent, ils doivent aussi pouvoir se nourrir et disposer d'un logement.

On pourrait imaginer que le permis de conduire, si important pour les jeunes ruraux notamment, soit passé dans le cadre du service civique ou de la formation professionnelle.

La société a tout intérêt à miser sur la jeunesse et à l'impliquer pour répondre aux grands enjeux, en particulier environnementaux. C'est peut-être plus d'un service écologique dont nous avons besoin que d'un service militaire... Il s'agit également de redonner vie aux espaces démocratiques qui se sont beaucoup appauvris. Les foyers ruraux, par exemple, ont longtemps eu dans leurs conseils d'administration des places dédiées aux moins de 30 ans ; cela s'est perdu, et il est primordial de renouer avec ce type d'initiatives.

M. Rémi Cardon . - J'ai été moi-même membre d'un comité régional des associations de jeunesse et d'éducation populaire (Crajep) et, à ce titre, du conseil économique, social et environnemental régional (Ceser), et je partage votre constat : chaque année nous faisions la course aux appels à projets pour essayer de récupérer des subventions supplémentaires, sachant que les subventions de l'État et de la région baissaient régulièrement de 5 à 10 %. Nous étions même parfois obligés de vendre notre patrimoine.

Il serait temps d'abandonner les plans du type « 1 jeune, 1 solution », qui ne visent qu'à mettre en valeur les multiples dispositifs existants, auxquels, à force, on ne comprend plus grand-chose, et qui sont méconnus du grand public. La garantie jeunes devient un peu visible auprès des jeunes ; pour le service civique, cela a pris du temps également.

Notre mission d'information doit raisonner sur deux volets : l'éducation nationale a un rôle important pour corriger certaines choses - nous n'avons pas tous les mêmes parents... Quant à l'éducation populaire, elle dispose d'autres méthodes très intéressantes pour permettre à des jeunes de s'émanciper.

Vu le constat que nous faisons tous sur les taux de pauvreté et de chômage des jeunes ou sur le rajeunissement des bénéficiaires de l'aide alimentaire, il est nécessaire de tout réinventer plutôt que de repartir sur des programmes existants qui, en définitive, sont des dispositifs et non pas des droits.

C'est pourquoi nous avons récemment lancé une proposition de loi pour des droits nouveaux dès 18 ans. Ce débat revient régulièrement : il y a un trou dans la raquette. Pourquoi n'alignerait-on pas la majorité sociale sur la majorité légale ?

Quelles propositions pourrions-nous faire émerger concrètement dans les prochains mois ? Par quoi commencer ? Si un jeune n'arrive pas à se loger ou à se nourrir, il ne peut pas non plus se déplacer, se former, s'insérer professionnellement.

Mme Monique Lubin , rapporteure. - Je m'apprêtais justement à formuler cette demande : chaque organisation que vous représentez pourrait-elle nous transmettre dans les prochains jours ne serait-ce qu'une proposition phare ? Vous avez dit des choses extrêmement riches et intéressantes, mais j'aimerais que vous puissiez en extraire une chose à faire en priorité dès demain.

Mme Anaïs Anselme . - Nous serions tous d'accord sur le RSA. Je propose donc autre chose : notre marronnier, c'est la création d'un comité interministériel de la jeunesse permettant de tout remettre à plat et d'en finir avec le millefeuille des politiques relatives à la jeunesse.

M. Paul Mayaux. - La garantie jeunes universelle, droit universel opposable, doit fournir à chacun, quel que soit son parcours, sa formation, sa catégorie socioprofessionnelle, un accompagnement social et fiscal. La garantie jeunes est aujourd'hui un dispositif qui fonctionne, mais elle n'est adaptée qu'à des publics assez restreints.

Mme Nelly Vallance. - Il nous paraît central de donner une cohérence à la politique jeunesse, autour de la question du minimum social notamment.

M. Nicolas Bellissimo . - Il faut garantir à tous les jeunes l'accès à un emploi digne - j'entends par là un emploi à durée indéterminée avec de bonnes conditions de travail -, c'est-à-dire à une réelle autonomie financière.

M. Bertrand Coly . - Je tirerai ma proposition du rapport du CESE : rendre obligatoire une compétence jeunesse dans les communautés de communes.

Mme Monique Lubin , rapporteure. - Envoyez-nous vos travaux ! Nous sommes preneurs.

M. Jean Hingray , président. - Merci pour ces échanges très fructueux.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat .

Audition de M. Édouard Geffray,
directeur général de l'enseignement scolaire (DGESCO)

(Mercredi 17 mars 2021)

M. Jean Hingray , président . - Nous recevons aujourd'hui Monsieur Édouard Geffray, directeur général de l'enseignement scolaire au ministère de l'éducation nationale. Il est accompagné par Monsieur Christophe Géhin, chef du service du budget et des politiques éducatives territoriales. Je vous propose de commencer sans plus tarder. Au terme de votre intervention, nos collègues - en présentiel et en visioconférence - qui le souhaitent pourront vous interroger.

M. Édouard Geffray, directeur général de l'enseignement scolaire . - Merci Monsieur le Président. Après une brève présentation, je répondrai autant que possible à vos questions.

Rappelons que la politique d'égalité des chances vise avant tout, d'une part à surmonter les contraintes sociales, financières et géographiques susceptibles d'entraver la réussite d'un élève, d'autre part à lui permettre de déployer toutes ses potentialités. L'ensemble des actions que je vous présente aujourd'hui forment un système très cohérent. L'objectif est d'offrir une réelle égalité des chances sur l'ensemble du cycle scolaire d'un élève, de 3 ans à 18 ans.

La construction du parcours et la réussite de l'élève dépendent principalement des conditions d'apprentissage proprement dites, de son environnement ainsi que de la libération des ambitions de l'élève. En termes d'égalité des chances, l'un des enjeux est de permettre à l'élève, au sens étymologique du mot « ambition », de voir autour et de voir plus loin.

Un certain nombre de dispositifs d'accompagnement existent à cet effet tout au long du parcours de l'élève.

Un premier élément d'évolution, consécutif à la loi pour une école de la confiance de 2019, réside dans l'instruction obligatoire entre 3 et 6 ans et l'obligation de formation entre 16 et 18 ans. Nous vivions avec le principe d'instruction obligatoire de 6 à 16 ans. Cette loi a augmenté de 50 % le temps d'instruction et de formation obligatoire. Un enfant intègre donc le système scolaire plus jeune. Sachant que toutes les bases en termes de diversification du vocabulaire se construisent entre 3 et 6 ans, cette évolution est essentielle. L'apprentissage, notamment de la lecture, est ensuite facilité.

À partir de la rentrée 2017-2018, le dédoublement des CP et des CE1 en REP et en REP+ contribue à améliorer les conditions d'apprentissage en réduisant le volume des classes à 12 élèves. Des évaluations nationales - menées en début de CP, en milieu de CP et en CE1 - ont montré une réduction progressive des écarts entre les élèves en zones d'éducation prioritaire et les élèves hors zones d'éducation prioritaire.

De plus, le ministre est spécialement attaché à faire valoir une approche territoriale. La décision de ne pas fermer d'écoles sans l'accord du maire a été réaffirmée avec la crise du Covid et représente 1 248 équivalents temps plein réinvestis.

À l'école élémentaire puis au collège, l'élève est accompagné sur l'ensemble des activités à caractère scolaire, y compris pendant les congés. Un million d'enfants ont bénéficié de l'opération « Vacances apprenantes » l'été dernier. Environ 250 000 élèves, dont une majorité en école primaire, ont participé à « École ouverte » et aux stages de réussite. Ces stages se déroulent sur cinq jours, généralement pendant la dernière semaine du mois d'août. Il s'agit, en lui « remettant le pied à l'étrier », de permettre à l'élève de recommencer une année scolaire dans les meilleures conditions d'apprentissage, après des grandes vacances qui représentent souvent une perte d'apprentissage significative. Ils réduisent ainsi les écarts entre les élèves provenant des zones d'éducation prioritaire et les autres élèves. Au niveau collège, le dispositif pédagogique « devoirs faits » prend le relais. Un tiers des élèves en bénéficient. Grâce à cet accompagnement professionnel renforcé, l'élève s'affranchit des contraintes sociales qui l'empêchent de faire correctement ses devoirs.

Au lycée, d'autres éléments d'égalité des chances interviennent. La transformation de la filière professionnelle ainsi que la réforme du lycée général et technologique ont donné aux élèves un panel de choix de métiers beaucoup plus large. Le décrochage diminue ainsi, notamment en filière professionnelle, en dépit d'une rentrée 2020 difficile. Le même phénomène s'observe sur la voie générale ; le fait de ne pas être enfermé dans une filière a priori permet aux élèves de suivre ce qui leur correspond.

Enfin, au-delà du lycée, a été mise en place l'obligation de formation jusqu'à 18 ans.

D'autres dispositifs visent à réduire les inégalités d'origine sociale ou géographique.

Le Gouvernement a annoncé cette semaine le renforcement du dispositif « petit-déjeuner gratuit » qui avait profité à 156 000 élèves l'année dernière et qui visera 265 000 ou 300 000 élèves à partir de la rentrée prochaine. Un enfant avec le ventre vide apprend moins bien. La République tient donc ses promesses. Un enfant en éducation prioritaire doit ainsi pouvoir poursuivre sa scolarité dans des conditions améliorées puisqu'il rentre à l'école à 3 ans, que sa grande section, son CP et son CE1 sont dédoublés et qu'un petit-déjeuner lui est assuré. Un système de suivi plus personnalisé au collège et au lycée prend ensuite le relais pour libérer l'ambition de l'élève.

Plusieurs dispositifs cités ici pourront faire l'objet de discussions. Dans les « cordées de la réussite », un établissement supérieur s'encorde avec un collège et un lycée. L'élève est suivi dans un cadre à la fois collectif et individuel, de la 4 ème jusqu'à la terminale, grâce à un système de mentorat. On constate en effet que plus on commence tôt, plus on libère les ambitions.

Face à des élèves qui doutent de pouvoir réaliser leurs souhaits, l'école fait la promesse d'apporter les meilleures conditions possibles de réussite scolaire et les encourage activement à suivre leurs aspirations professionnelles. 200 000 élèves en bénéficient cette année et un tiers des établissements publics locaux d'enseignement sont encordés avec un établissement supérieur.

L'affranchissement des contraintes géographiques est un autre aspect. C'est notamment l'un des enjeux des internats d'excellence. Un appel à manifestation d'intérêt a été publié dans le cadre du plan de relance. La finalisation des différentes procédures et de dossiers est en cours. Plutôt que d'adapter ses projets à l'offre territoriale immédiate, nous conseillons au jeune de partir en internat d'excellence afin de suivre la formation qui lui convient avec un dispositif de bourse associé. Désormais, pour un boursier échelon 6, le départ en internat est gratuit pour sa famille.

Le système est donc très cohérent à la fois en termes de conditions d'apprentissage et de création d'un environnement porteur. Les différentes mesures prennent systématiquement le relais les unes des autres en fonction de l'âge et des attentes légitimes du jeune.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Vous avez énoncé un ensemble de dispositifs en matière de réduction des inégalités sociales et territoriales. Je les trouve, à titre personnel, pertinents, mais ils soulèvent quelques questions.

Le dédoublement des classes de CP et CE1 est une excellente initiative, mais il s'impose pourtant souvent au détriment d'autres dispositifs vitaux pour nos territoires. Par exemple, le dispositif « plus de maîtres que de classes » a été supprimé dans mon département. Les élus et les parents d'élèves des zones rurales partagent l'impression que le dédoublement des CP et CE1 profite plus aux zones défavorisées urbaines qu'aux territoires ruraux. Des postes d'enseignants sont supprimés et le nombre d'élèves par classe augmente à nouveau en raison d'un soi-disant sous-effectif d'élèves. Les difficultés en zones rurales sont pourtant bien présentes et diffèrent des problématiques rencontrées en zones urbaines très denses.

M. Édouard Geffray . - Je peux affirmer avec beaucoup de conviction notre obsession territoriale au moment de la définition de dispositifs.

Les situations varient d'un territoire à l'autre mais nous nous sommes engagés à améliorer le taux d'encadrement des élèves dans tous les départements. C'est le cas depuis trois rentrées consécutives. Le taux moyen national d'encadrement, c'est-à-dire le nombre de professeurs pour 100 élèves, est en progression constante depuis 2017. Il est ainsi passé de 5,54 à la rentrée 2017 à 5,84 à la rentrée 2020, soit +0,1 point par an, progression également attendue pour la rentrée 2021. La chute de la natalité est la deuxième réalité avec laquelle nous devons conjuguer. Ce constat est extrêmement préoccupant, en particulier dans certains départements.

La réponse apportée doit être globale et doit considérer l'ensemble du cycle. En zone urbaine et rurale, les cités éducatives et les territoires éducatifs ruraux sont respectivement mis en place, avec la volonté manifeste d'une alliance éducative entre les acteurs concernés (collectivités locales, services de l'État, tissu associatif, etc.) qui varie dans ses modalités pour des raisons de distance géographique. Les internats d'excellence se développent en zone rurale, l'enjeu étant d'offrir une perspective de formations, que le maillage territorial ne permet pas de couvrir intégralement.

Dans le cadre des « cordées de la réussite » et du mentorat plus généralement, la dimension territoriale est fortement présente. Les élèves qui vivent dans un environnement rural ont parfois tendance à ajuster leurs ambitions, faute de rencontres et de connaissances. 20 000 élèves concernés par les « cordées » résident en zone rurale. Les dispositifs de mentorat doivent être renforcés, au travers notamment du tissu associatif, pour mieux faire connaître aux jeunes le panel de débouchés possibles.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Puisque vous parlez de ces cités éducatives, avez-vous déjà des premiers retours ?

M. Édouard Geffray . - Les premiers retours très positifs concernent le fonctionnement des 80 premières cités éducatives. Les acteurs travaillent en plus étroite collaboration qu'auparavant et disposent de davantage de moyens, permettant d'articuler de mieux en mieux les différents temps du parcours de l'élève.

L'évaluation des effets des dispositifs d'apprentissage et pédagogiques est en revanche prématurée. L'idéal serait de suivre le chemin d'un élève qui rentre aujourd'hui à l'école dans une cité éducative puis de le comparer dix ans plus tard avec des élèves rentrés à l'école dix ans avant lui.

M. Laurent Burgoa . -En tant qu'élu urbain, adjoint à la politique de la ville d'une commune de 150 000 habitants il y a encore quelques semaines, je partage totalement vos propos. Issu d'un département comprenant aussi de nombreuses communes rurales, je rejoins également l'analyse de Madame la rapporteure. L'impossibilité de mettre en place les mêmes dispositifs que dans les quartiers REP ou REP+ est souvent perçue comme une injustice. Du fait de leur petite taille, 4 ou 5 communes doivent parfois se rassembler afin qu'un groupe scolaire puisse exister.

Tant l'État que les élus souhaiteraient approfondir la territorialisation de l'action publique. Dès lors, ne serait-il pas intéressant, d'un point de vue expérimental, de laisser les élus locaux ruraux décider du dédoublement des CP et des CE1 ? La charge d'investissement et de fonctionnement revient avant tout aux communes, qui seraient libres de l'accepter ou non. Les élus locaux ruraux se sentent un peu « stigmatisés ».

M. Édouard Geffray . - Les situations démographiques sont très variables. Le dédoublement des CP et CE1 en REP et REP+ concernent souvent des classes de 24-25 élèves. La question de diviser les classes se pose moins en zone rurale, celles-ci étant en revanche exposées à des risques de fermeture pour des raisons de sous-effectifs d'élèves.

Dans certains départements ruraux, le taux d'encadrement atteint les 6,5, 7, 7,5 voire 8 professeurs pour 100 élèves comparativement à une moyenne nationale de 5,84. L'enjeu est donc plutôt le maintien de l'ouverture des classes et des élèves.

La proposition, ou l'hypothèse que vous formulez selon laquelle la collectivité pourrait éventuellement prendre en charge la décision du dédoublement ramène à des questions de compétences entre les collectivités locales. Il m'est difficile de me prononcer sur ce sujet. Il y a un effet d'attractivité forte autour de cette question du dédoublement du CP et du CE1 en REP et REP+ mais, en pratique, le taux d'encadrement est souvent assez favorable aux départements ruraux, malgré les autres difficultés auxquelles font face ces départements.

Mme Michelle Meunier . - Vous n'avez pas mentionné les propositions issues des états généraux du numérique, qui visent à développer et utiliser au mieux cet outil. La crise du Covid semble avoir favorisé, voire déclenché de fortes inégalités en matière d'accès et d'utilisation du digital. Je souhaite vivement vous entendre sur ce point.

M. Édouard Geffray . - La crise du Covid correspond à l'aspect conjoncturel. Face à cette crise, nos actions en matière numérique répondent aux difficultés liées aux fermetures d'écoles ou de classes. La mise en place d'une cellule d'appui numérique au niveau national en témoigne. Le premier déploiement massif de ce dispositif, avec plus de 400 ordinateurs fournis en moins de 24 heures, a eu lieu dans les Alpes-Maritimes au mois de décembre. Plusieurs dizaines voire centaines d'élèves ne pouvaient plus accéder à leur école.

Parallèlement, deux dispositifs plus structurels ont été lancés. Les territoires numériques éducatifs (TNE) sont expérimentés actuellement dans deux départements, l'Aisne et le Val d'Oise, l'un plutôt rural, l'autre urbain. Ce dispositif vise à équiper l'intégralité des écoles et à doter en équipements informatiques tous les professeurs nouvellement nommés dans ces départements. C'est une approche à 360 degrés ; ce n'est pas seulement une question d'équipements, c'est aussi une question de ressources numériques et de formation. L'intégralité du champ doit être investie. Notre logique consiste à équiper les professeurs mais aussi à les outiller intellectuellement. Ce dispositif a vocation à s'étendre à d'autres départements selon les résultats de ces expériences.

Le deuxième dispositif est le plan d'équipement des écoles primaires dans le cadre du plan de relance. Je laisse mon adjoint vous en dire un mot.

M. Christophe Géhin, chef du service du budget et des politiques éducatives territoriales . - Dans le cadre du plan de relance, la direction du numérique pour l'éducation pilote un plan visant à identifier les territoires les plus en difficulté et en retrait en termes d'équipements numériques. La mobilisation d'une partie des crédits du plan de relance garantit un appui de l'État aux collectivités concernées. Nous ne sommes pas encore dans la phase active, mais une ligne du plan de relance est prévue et sera activée progressivement, en collaboration les collectivités.

Mme Monique Lubin , rapporteur . - Dans mon département, les Landes, les élèves des collèges (3 ème et 4 ème ) sont dotés en ordinateurs depuis 20 ans. Au départ, les enseignants y résistaient fortement, notamment en lien avec la question de la numérisation des livres des matières enseignées. Y a-t-il eu des améliorations en la matière ?

M. Édouard Geffray . - La transition culturelle est antérieure à la crise du Covid. La crise a cependant accéléré le changement avec l'introduction de nouveaux dispositifs tels que « ma classe à la maison » du CNED ou les cours en visioconférence. L'offre de service proposée est, à mon sens, unique dans sa diversité et dans sa complétude.

L'autre aspect porte sur les ressources et la formation. Nous avons un opérateur de formation continue pour le numérique, Canopé. Pendant le confinement, 125 000 professeurs se sont inscrits en auto-formation et plus de 200 000 professeurs se sont formés via cet opérateur entre mars 2020 et mars 2021, soit quasiment un professeur sur quatre. Le goût et l'appétence envers le numérique existent donc. Davantage de ressources numériques doivent être disponibles, notamment des logiciels. L'outil « apps éducation » permet aux professeurs de retrouver gratuitement une série de logiciels et de ressources directement utilisables en classe.

Trois piliers centraux sont à considérer : l'accès aux équipements, la formation et l'appropriation de nouvelles techniques pédagogiques liées au numérique, l'accès gratuit à des logiciels pour les professeurs. Telle est donc notre approche à ce jour. Je suis résolument optimiste sur ce point.

M. Jacques Grosperrin . - Ma première question concerne la loi sur l'école obligatoire à 3 ans. Je ne suis pas persuadé que ce changement sera significatif, sachant que 97 % des enfants concernés sont déjà scolarisés. Un vrai plan maternelle, qui s'inspire du modèle finlandais, paraît beaucoup plus pertinent. Le système scolaire français peine à prendre en charge efficacement les jeunes en grande difficulté. Le dédoublement est une idée intéressante mais insuffisante car tout est déjà joué avant 6 ans.

Par ailleurs, de nouvelles réflexions autour des indices en termes d'égalité des chances doivent être menées. Outre le classement des établissements scolaires permis par l'indice de position sociale (IPS), des facteurs tels que l'origine socioprofessionnelle, l'origine culturelle et la profession de la mère pourraient être considérés.

La réforme actuelle des concours de la fonction publique, entre autres de l'ENA et des lycées d'excellence, est intéressante. Les collèges d'excellence doivent aussi être généralisés partout en France afin de limiter au maximum l'effet de « plafond de verre ». Quelles sont les actions menées sur ce point ? Pourquoi le ministère de l'éducation nationale n'est-il pas sollicité sur cette réforme des concours ?

Enfin, ma dernière question concernait notre difficulté « endémique », soulignée par les enquêtes PISA de l'OCDE, à améliorer la prise en compte des élèves les plus en difficulté, alors que notre système scolaire a plutôt de bons résulats, en moyenne, par rapport aux autres pays.

M. Édouard Geffray . - Sur les 3-6 ans, le taux de 97 % d'élèves scolarisés qui ne sont pas concernés par l'obligation de scolarité induit que 30 000 à 40 000 élèves sont concernés. L'absence de cette obligation équivaudrait à fermer toutes les écoles maternelles dans des départements comme l'Oise ou la Haute-Savoie. Ce chiffre est significatif à l'échelle d'une génération. Nous voulons tenir cette promesse collectivement.

Je vous rejoins totalement sur l'importance du niveau « maternelle ». Les travaux commencés l'année dernière incluent la grande section, le CP et le CE1. Ils ont aussi porté sur les repères de progression en mathématiques, en français et en éducation morale et civique, du CP à la 3 ème dans un but d'information auprès des parents. Statistiquement, une amélioration du niveau entre le CP et le CE1 apparaît. Les évaluations sur les 6 ème montrent une amélioration constante des résultats depuis 3 ans, en dépit du Covid. Cette tendance longue est susceptible de réduire, et de vaincre à terme, cette fatalité des 20 % élèves arrivant en 6 ème sans savoir parfaitement lire, écrire ou compter.

En revanche, jusque l'année dernière, le niveau d'entrée en CP ne connaissait que très peu de variation, notamment en éducation prioritaire. Le plan « je rentre en CP », lancé l'an dernier et déployé actuellement à grande échelle, vise à mieux partager les exigences pédagogiques et le type d'apprentissage en maternelle. Un ensemble de guides sont publiés par le ministère, dont l'un, le plus téléchargés sur le site d'Eduscol par les professeurs, a pour thème l'acquisition du vocabulaire en maternelle. Réfléchir à la manière de diversifier très tôt le vocabulaire d'un enfant pour l'aider à appréhender le monde à l'âge pertinent, constitue le plein coeur de notre travail. Le Conseil supérieur des programmes a émis la semaine dernière des repères sur les apprentissages en maternelle, qui seront mis en consultation et publiés en vue de la prochaine rentrée.

Les IPS sont un point extrêmement important. Les modèles d'allocation des ressources au niveau national dans les académies, les établissements et les écoles, ont été enrichis ces deux dernières années. Un indice d'éloignement a ainsi été intégré et prend en compte l'éloignement de la structure scolaire pour l'élève en termes de transports.

M. Christophe Géhin . - Nous pouvons citer également l'éloignement des infrastructures culturelles et sportives, ainsi que des établissements d'enseignement supérieur.

M. Édouard Geffray . - Ces critères permettent l'allocation de moyens supplémentaires, le renforcement des dispositifs et des ambitions.

Le Président de la République et le ministre souhaitent la généralisation des internats d'excellence avec, au minimum, un établissement par département.

Pour la réforme des concours de la fonction publique, et plus généralement de l'enseignement supérieur, nous ne sommes pas absents des réflexions interministérielles sans pour autant en être les pilotes. Des effets de rétroaction jouent. En effet, les jeunes dont nous avons la responsabilité seront les futurs candidats et ils doivent avoir la chance de se projeter très tôt sur des métiers, y compris des métiers de fonction publique.

Deux dispositifs sont mis en place par les ministères de l'éducation nationale et de l'enseignement supérieur et de la recherche. Les parcours préparatoires au professorat des écoles seront ouverts dans les lycées de 24 académies à la rentrée 2021. Ces classes préparatoires sont en lien avec l'université, avec une transition progressive sur trois ans, dont une première année en lycée, une deuxième année mixte et une troisième année en université. Le but est d'accompagner des élèves manifestant le désir de suivre ce parcours mais en situation économique peu favorable.

La préprofessionnalisation a été lancée en 2019 et fonctionne très bien. Dès la 2 ème année de licence, les étudiants boursiers peuvent découvrir le métier de professeur, à raison de 6 à 8 heures par semaine jusqu'au concours. Le parcours inclut l'observation, la participation aux « devoirs faits », une prise de responsabilité de groupes puis en classe. L'étudiant est rémunéré et cette rémunération est cumulable avec des bourses. La trajectoire est professionnellement accompagnée et financièrement sécurisée, potentiellement jusqu'à la fin de ses jours s'il rentre dans la fonction publique et reste professeur toute sa vie.

M. Laurent Somon . - Je souhaite d'abord souligner les efforts faits en matière de réussite scolaire et de ses dispositifs.

Madame Lubin et vous-même évoquiez votre attachement à la différenciation territoriale. Dans la Somme, les taux d'illettrisme sont largement supérieurs à la moyenne nationale. Malgré un rapport professeurs pour cent élèves supérieur à la moyenne nationale, la fermeture des classes donne souvent lieu in fine à des moyennes d'élèves par classe plus élevées qu'initialement. Il faudrait profiter d'une baisse de la natalité sur ces territoires pour, d'une part éviter la suppression de postes et de classes, d'autre part permettre le dédoublement systématique des CP-CE1 et de la grande section. Quels sont les traitements différenciés existants sur les territoires les plus marqués par ces problèmes d'illettrisme ?

Bien que les résultats scolaires en milieu rural soient aussi bons qu'en milieu urbain, les zones rurales connaissent un décrochage plus important après le collège. Nous avons deux internats d'excellence dans la Somme qui peinent à se remplir. Comment donc donner l'appétence à des jeunes venant de milieux sociaux en difficulté de poursuivre leurs études, d'aller en internat puis d'intégrer des formations qui correspondent à leur souhait propre ? Le mentorat est-il un dispositif réparti sur l'ensemble du territoire national ou est-il encore expérimental ?

Vous n'avez pas du tout évoqué les méthodes pédagogiques. Des réflexions sur des expérimentations qui marchent mieux et bien à l'étranger sont-elles menées au niveau territorial ou au niveau national ?

M. Édouard Geffray . - Il est d'usage de ne pas « reprendre la démographie », comme nous le disons dans notre jargon, c'est-à-dire de ne pas coller à une baisse démographique pour adapter le nombre de postes, d'où la situation critique actuelle. Dans le premier degré, des postes ont été créés dans toutes les académies alors même que certaines académies présentaient une démographie en chute libre. Le solde de création de poste est donc toujours positif. En mars-avril 2020, au moment du Covid, les révisions de la carte par le gouvernement ont abouti à la création de 1 248 équivalents temps plein en zone rurale au sens large, incluant toutes les villes de moins de 5 000 habitants et leurs alentours.

Les disparités en termes de résultats apparaissent principalement entre la fin du collège et l'entrée au lycée. Plusieurs leviers d'action permettent de créer l'appétence pour la poursuite des études.

Le panel d'offres de formations dans les lycées général et technologique a été repensé et élargi avec la mise en place de la carte des spécialités. 93 % des lycées proposent au minimum les sept spécialités les plus choisies. Dans l'ancien Bac, 84 % des lycées avaient seulement trois filières (S, ES, L).

Le deuxième levier est la carte de formation qui relève des régions, en lien avec le rectorat. Comment faire pour implanter des formations attractives de manière équilibrée sur un territoire ? Une « conférence diplôme » a été lancée afin de réexaminer les diplômes dans certains secteurs (aide à la personne, numérique, etc.), les mettre à jour et faire apparaître de nouveaux besoins (le numérique et le cyber) et permettre leur implantation sur le territoire.

Par ailleurs, je partage le constat sur la nécessité de remplir les internats. Le réel travail à accomplir est celui auprès des familles qui s'inquiètent de son coût financier. Le solde forfaitaire a été maintenu mais une part progressive a été renforcée en fonction de l'échelon de bourse. Un boursier échelon 6 ne coûte donc rien à sa famille s'il décide d'aller en internat. La bourse d'internat et les autres dispositifs existants prennent l'intégralité des dépenses en charge. Notre travail est à présent de faire connaître cette évolution.

L'accompagnement et le mentorat individuel doivent bénéficier à un maximum de jeunes car cette approche fonctionne. Des associations sont fortement impliquées dans le monde rural, à l'instar de l'association Chemins d'avenirs qui met en relation les jeunes avec des mentors dans le milieu professionnel.

La dimension pédagogique est essentielle pour l'acquisition des fondamentaux. Nous avons lancé un plan « mathématiques », dit « Villani-Torossian », et un plan « français ». Ils consistent, sur une période de 6 ans, à former tous les professeurs des écoles sur des approches pédagogiques en mathématiques et en français. Des constellations ou groupes de 6 ou 8 professeurs travaillent ensemble selon les besoins identifiés de leurs élèves ou les besoins révélés par les évaluations nationales en termes d'acquisition des compétences.

Chaque année, 16 % des professeurs de français et 16 % des professeurs de mathématiques sont formés dans le cadre de ces constellations, dont les référents sont des conseillers pédagogiques de circonscription. Devenir référent en mathématique ou en français requiert 24 jours de formation. C'est un effort considérable avec des formations lourdes d'au moins 5 ou 6 jours dans l'année pour les professeurs. Cette dimension pédagogique est le levier principal et je ne peux que saluer l'investissement de ces professeurs.

M. Jean Hingray , président . - Je dois vous quitter, en raison d'une obligation, et remercie Laurent Burgoa, vice-président, d'assurer la présidence de la fin de notre réunion. Je vous remercie pour vos interventions très intéressantes et donne la parole à notre rapporteure.

- Présidence de M. Laurent Burgoa, vice-président -

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Vous avez évoqué la formation des professeurs. La situation des professeurs des écoles dans les zones urbaines sensibles reste un sujet très délicat.

J'ai reçu récemment un professeur des écoles qui travaille en région parisienne depuis environ 15 ans. Ses premières années dans des secteurs difficiles l'ont épuisé. Il aspire à une mutation professionnelle qu'il aura très difficilement du fait de la lourdeur des critères de mutation. Ces conditions contribuent à décourager des jeunes qui souhaiteraient aller vers le professorat des écoles mais auxquels des professeurs plus âgés expliquent la difficulté d'enseigner aujourd'hui. Quelque part, ils se sentent aussi dans une certaine solitude et cet ensemble de conditions décourage des vocations.

Quelles dispositions sont-elles prises afin d'accompagner ces professeurs des écoles qui commencent leur carrière pour la plupart dans des secteurs difficiles ? Je parle de motivations financières mais aussi d'accompagnement dans l'exercice de leur profession, dans leur relation avec les parents et avec des élèves jeunes et déjà en difficulté. Comment éviter qu'ils se sentent bloqués sur des zones géographiques dont ils aimeraient sortir ? Je ne me fais pas la porte-parole des enseignants mais chacun aspire à un parcours professionnel heureux. Ma question comprend donc deux volets, respectivement celui de l'accompagnement des élèves mais surtout des enseignants.

Vous le savez mieux que moi car vous êtes très bien investis de votre mission, c'est évident. Cependant certains nous racontent des parcours extrêmement difficiles. Il faut le dire.

M. Édouard Geffray . - Ce sujet est en effet loin d'être simple.

Deux représentations contradictoires se confrontent. La première montre la rapidité du turnover des professeurs et leur départ précipité des écoles les moins favorisées. La deuxième reflète la peur des jeunes professeurs de rester bloqués dans des zones sensibles.

La durée d'ancienneté moyenne en poste est un critère intéressant. L'écart n'est pas significatif entre les écoles des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) et les écoles hors QPV. Ainsi, la durée d'ancienneté est inférieure d'un an seulement pour les premières. Un équilibre doit être trouvé entre la stabilité de l'équipe et la mobilité personnelle.

En termes d'accompagnement des enseignants, la rémunération est importante. Un professeur en REP touche une prime de 2 400 euros par an, contre 4 400 euros en REP+, ce qui représente une reconnaissance intéressante pour des jeunes professeurs en début de carrière.

L'exercice dans des conditions difficiles, sur des missions particulières dans des environnements spécifiques, aura des conséquences à long terme sur la carrière. Ces professeurs feront partie du « vivier 1 » qui a vocation à intégrer la « classe exceptionnelle » en troisième partie de carrière, avec une perspective de carrière très ouverte en termes de rémunération et d'avancement.

Pour préparer les enseignants au face à face avec les élèves et les familles, un travail considérable est engagé depuis deux ans avec les instituts nationaux supérieurs du professorat et de l'éducation (INSPÉ) et la conférence des présidents d'universités, sur le thème de la formation initiale et continue des professeurs. À la suite d'une formation à l'INSPÉ et de la possibilité, pour l'étudiant, de réaliser un stage en alternance au sein de l'éducation nationale, le titularisé rentre ensuite immédiatement dans une logique de formation continue qui doit coïncider in fine avec la formation initiale. Par exemple, un besoin de complément de formation en gestion de conflit en formation initiale sera comblé grâce à la formation continue. La formation continue est ainsi adaptée et répond aux besoins. Nous mettons actuellement ce dispositif en place.

Enfin, les professeurs doivent disposer d'espaces de travail commun, quel que soit le niveau d'enseignement. Pouvoir travailler avec six ou huit collègues de manière dédiée durant cinq jours dans l'année, sur le modèle des plans « français » et « mathématiques », aller dans la classe des autres professeurs, faire venir le collègue dans sa classe, sont autant d'outils qui participent de cette construction.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Il est réjouissant de voir que l'utilité d'une formation des maîtres d'école est reconnue à nouveau. Pendant plusieurs années, les maîtres étaient envoyés quasiment sans formation auprès des élèves, ce qui était catastrophique.

Mme Michelle Meunier . - Votre réflexion portant sur le langage en maternelle m'amène à souligner les inégalités d'apprentissage. Certains enfants, à 3 ans, maîtrisent trois cents mots quand d'autres en connaissent mille. Boris Cyrulnik souligne très bien l'importance du milieu de l'enfant qui est d'autant plus déterminante que l'apprentissage en lui-même. Notre mission devra s'intéresser à ces inégalités.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - CE sera bien le cas. La présentation de ce matin m'a beaucoup apporté. Vous avez été très concret et vous avez développé plusieurs d'axes sur lesquels nous pouvons partager.

Cependant, malgré tous les dispositifs mis en place ces dernières années, le déterminisme social n'a jamais paru aussi présent et davantage d'enfants semblent être en grande difficulté.

M. Édouard Geffray . - Qualifier la situation actuelle est compliqué. En revanche, je peux vous certifier que cette lutte contre les déterminismes sociaux est notre combat. Un des enjeux majeurs est d'éviter les ruptures de continuité, d'où ma présentation en termes de parcours. L'élève a besoin de conditions d'apprentissage adaptées dès l'élémentaire, même si à ce stade, il ne se pose pas encore de questions sur son avenir. Il a besoin d'interlocuteurs en 4 ème et en 3 ème lorsqu'il commence à chercher sa voie. Il doit pouvoir choisir ce qui lui correspond au lycée. S'il décroche, il doit être rappelé à son obligation de formation et être soutenu. Si nous parvenons à raccrocher tous les wagons et à faire en sorte que l'élève ne s'aperçoive pas qu'il passe d'un wagon à l'autre, alors nous avons gagné. Chaque fois qu'un effort est nécessaire pour l'amener d'un wagon à l'autre, nous le perdons.

M. Laurent Burgoa , président . - Je tiens, au nom de tous, à vous remercier Monsieur le directeur général, ainsi que votre adjoint, pour votre présence et vos propos très constructifs qui enrichissent notre réflexion.

L'audition de Monsieur Jean-Benoît Dujol, directeur de la jeunesse, de l'éducation populaire et de la vie associative, délégué interministériel à la jeunesse, initialement prévue cet après-midi, a été annulée. Nous avons tous déjà reçu un rectificatif à la convocation.

La prochaine réunion plénière aura lieu le jeudi 1 er avril à 11 heures. Nous entendrons l'Agence nationale de la cohésion des territoires sur ses actions en matière d'égalité des chances.

Madame Monique Lubin procédera à des auditions en format rapporteur mardi et jeudi après-midi de la semaine prochaine. Il est possible à tous les membres de la mission d'assister à ces auditions ou de les suivre en visioconférence. D'autres auditions en format rapporteur sont prévues au mois d'avril sur les thèmes que la mission a identifiés : les politiques de l'enfance et de soutien à la famille, les actions dans le domaine scolaire et l'orientation, l'encadrement et l'accompagnement des jeunes hors école et famille, l'insertion sociale et professionnelle. Le programme de ces auditions vous sera communiqué régulièrement.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat .

Audition de M. François-Antoine Mariani, directeur général délégué
à la politique de la ville et de Mme Simone Saillant, directrice
des programmes « ruralités » et « montagne » à l'Agence nationale
de la cohésion des territoires (ANCT)

(Jeudi 1 er avril 2021)

M. Jean Hingray , président . - Nous recevons M. François-Antoine Mariani, directeur général délégué à la politique de la ville de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) et Mme Simone Saillant, directrice des programmes « ruralités » et « montagne » à l'ANCT.

Créée il y a un an, l'ANCT a repris les missions du Commissariat général à l'égalité du territoire, lui-même issu de l'Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances, créée en 2006.

Nous l'avons vu depuis le début de nos travaux, l'égalité des chances présente une dimension territoriale : des inégalités de nature géographique s'ajoutent à celles liées à l'origine sociale ou au milieu familial. Elles engendrent, pour de nombreux jeunes, des obstacles difficiles à surmonter en termes d'opportunités d'études, d'orientation professionnelle et de vie personnelle.

L'ANCT intervient dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville, mais également dans les territoires ruraux.

C'est pourquoi il nous paraissait important de connaître son appréciation sur la situation des jeunes aujourd'hui en termes d'égalité des chances et surtout d'évoquer les actions qu'elle conduit en la matière, sur les territoires où elle intervient.

M. François-Antoine Mariani, directeur général délégué à la politique de la ville de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) . - L'ANCT a deux cibles territoriales principales : les quartiers de la politique de la ville (QPV) et la ruralité. Nos missions évoluent, celles d'administration centrale ne sont plus dévolues à l'ANCT, donc nous n'avons plus de tutelle sur l'Agence nationale de la rénovation urbaine (ANRU) ni la maîtrise budgétaire du programme 147. De même, nous ne sommes plus chargés de l'élaboration de textes réglementaires. Nous sommes davantage un opérateur, dans une logique de services auprès des acteurs de terrain. L'Agence comprend une direction de la politique de la ville, avec quatre programmes thématiques : l'emploi et le développement économique, la petite enfance, le lien social, le cadre de vie et la tranquillité publique. Nous avons également deux missions : le soutien à la vie associative, à travers laquelle nous finançons quelque 10 000 associations, et la Grande équipe de la réussite républicaine, qui a pour ambition de promouvoir une nouvelle méthode d'animation territoriale, à travers la fédération de l'ensemble des acteurs de terrain.

Mme Simone Saillant, directrice des programmes « ruralités » et « montagne » à l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) . - L'Agence développe deux axes en appui à la ruralité : l'aide à l'ingénierie de projet pour les petites communes rurales et le suivi de la mise en oeuvre des 181 mesures de l'Agenda rural, feuille de route présentée à l'automne 2019 par le Premier ministre. Ces mesures impliquent l'ensemble des ministères, l'ANCT en assure le suivi au quotidien et prépare les comités interministériels aux ruralités ; le dernier s'est tenu le 14 novembre, il a donné lieu à l'établissement d'une cartographie reposant sur une définition de la ruralité, laquelle n'existait pas puisque les territoires ruraux s'entendaient en négatif, comme les territoires non-urbains. Nous accompagnons la mise en place de référents « ruralité » dans chaque ministère, et dans l'administration déconcentrée. C'est avec cette architecture nouvelle de référents que nous comptons faire avancer les questions concernant la ruralité. Nous travaillons avec chaque ministère à des stratégies pour la ruralité, qui stimulent et donnent de la visibilité aux actions en soutien des territoires ruraux. Pour l'égalité des chances, par exemple, le ministère de l'éducation nationale a lancé récemment le dispositif des territoires éducatifs ruraux, une expérimentation sur trois académies. Nous nous efforçons de lui donner de la visibilité.

M. Laurent Burgoa . - Ne vous semble-t-il pas que l'action publique pour l'emploi gagnerait à ce qu'il n'y ait qu'un seul référent par quartier ? Est-il possible de rationnaliser l'action publique ? J'ai été adjoint au maire de Nîmes pendant treize ans, et nous avons échoué sur ce point, malgré nos efforts et la bonne volonté du préfet en la matière : n'est-ce pas une question importante à régler, pour que les jeunes en particulier ne se perdent pas et ne soient pas renvoyés d'un dispositif à l'autre ?

M. François-Antoine Mariani . - C'est un point important, car dans bien des territoires les dispositifs d'accès à l'emploi s'accumulent en se juxtaposant. Je crois qu'il est très compliqué d'essayer de désigner un interlocuteur unique, étant donné la pluralité d'administrations et de collectivités qui aident à l'emploi et qui chacune poursuit ses objectifs, avec la volonté de valoriser son action ; nous avons préféré renforcer la coordination entre les acteurs, en particulier en créant les « cités de l'emploi ». Ainsi, nous aidons les préfectures à organiser une équipe chargée de coordonner les dispositifs très divers qui facilitent l'accès à l'emploi et à la formation. C'est aussi la mission de la Grande équipe de la réussite républicaine que de réunir les acteurs de terrain autour d'une même table, pour assurer un suivi des jeunes vers la qualification et l'emploi, sans rupture entre les âges. C'est là notre mission, et je vous accorde très volontiers que la disparité des acteurs ne simplifie pas la vie sur le terrain.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - À travers l'Agenda rural, envisagez-vous des actions qui visent des difficultés particulières aux jeunes dans la ruralité - et vous semble-t-il que ces jeunes de la ruralité rencontrent des problèmes spécifiques ?

Mme Simone Saillant . - L'Agence n'est pas opérateur des dispositifs, nous suivons ceux qui ont été mis en place par les ministères dans le cadre de l'Agenda rural. Ils sont nombreux à viser les jeunes ruraux, par exemple les cordées de la réussite, lesquelles ont commencé dans les zones urbaines avant de s'étendre à la ruralité. 24 000 jeunes ruraux en bénéficient, au-delà de l'objectif de 20 000 fixé par l'agenda rural, et le ministère de la cohésion des territoires a accompagné celui de l'éducation nationale à hauteur de 2,8 millions d'euros l'été dernier. Nous allons voir s'il faut aller au-delà. Dans la ruralité, la jeunesse a plutôt de bons résultats scolaires, mais nous constatons des défauts d'ambition et des problèmes de mobilité, qui empêchent d'ouvrir suffisamment le champ des possibles.

Un autre dispositif qui fonctionne bien : les campus connectés, qui permettent de suivre à distance des études supérieures ; dix-neuf de ces campus étaient opérationnels en 2020. Le ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation a lancé un nouvel appel d'offres et l'objectif est de parvenir à une centaine de campus connectés, dont un tiers en zones rurales.

Il en va de même pour la Boussole des jeunes, un nouvel outil numérique qui rend visibles sur un territoire tous les services en direction de la jeunesse : 7 territoires sont couverts, 25 sont engagés pour une ouverture prochaine et 29 autres ont manifesté leur intérêt.

L'Agenda rural comprend aussi des mesures pour renforcer les missions locales ou développer le permis de conduire à 1 euro. Nous aidons à l'installation de simulateurs de conduite : 7 missions locales ont été équipées à titre expérimental et nous généralisons ce dispositif, avec l'objectif d'atteindre 60 missions locales d'ici à l'été. Les jeunes pourront ainsi s'entraîner en évitant les déplacements et les frais liés aux leçons.

Le ministère de l'éducation nationale a lancé plusieurs dispositifs pour l'égalité des chances. Je pense aux territoires éducatifs ruraux, pour fédérer autour des établissements scolaires les collectivités, les associations et l'ensemble des acteurs de terrain ; 24 sites ont été retenus sur trois académies, des diagnostics sont établis en vue de contrats de territoires, qui seront évalués.

Il y a aussi le projet d'établissement de services, pour créer, par exemple, des Points info service dans les établissements, en direction des jeunes, mais aussi des enseignants. Un appel à projets a été lancé dans ce sens et 50 points identifiés. Nous formalisons cette stratégie pour l'égalité des chances avec le ministère de l'éducation nationale, en vue du prochain comité interministériel aux ruralités.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Ces dispositifs sont-ils expérimentaux, ou bien extensibles à l'ensemble de la ruralité ?

M. François-Antoine Mariani . - Le dispositif des cordées de la réussite est ancien, il a visé d'abord les quartiers de la politique de la ville avant d'être étendu au monde rural, où son utilité s'est confirmée. Il a vocation à perdurer dans le temps.

Mme Michelle Meunier . - Quelles sont vos perspectives en direction de l'enfance et de l'éducation ?

M. François-Antoine Mariani . - L'enfance et l'éducation sont au coeur de la politique de la ville, les dispositifs sont très nombreux, des cordées de la réussite à l'aide pour les stages en classe de troisième, en passant par les programmes de réussite éducative (PRE).

Parmi nos priorités, je citerai les 80 cités éducatives que nous avons lancées, auxquelles s'ajoutent 46 nouvelles cités labellisées en janvier dernier, avec l'objectif de parvenir rapidement à 200 ; elles consistent à décloisonner les différents niveaux d'enseignement, avec une logique de chaîne de valeur autour du jeune, mais aussi à favoriser l'ouverture aux acteurs autour de l'école, parce que trop souvent il y a de la défiance envers le territoire environnant.

Autre priorité, le stage de la classe de troisième, qui représente un premier plafond de verre pour les élèves des quartiers populaires et dans la ruralité ; nous avons créé une plateforme où nous avons recueilli 30 000 offres de stage, que nous mettons à disposition des élèves pour leur faciliter la tâche. Nous envisageons d'étendre le dispositif au-delà du baccalauréat et nous réfléchissons aux moyens de répondre aux problèmes particuliers que rencontrent les jeunes dans la ruralité, avec toutefois des difficultés liées au nombre plus réduit de terrains de stage et aux questions de mobilité.

J'ai déjà évoqué les cordées de la réussite. Nous nous fixons un objectif de 200 000 jeunes « encordés ». Il y en a 180 000 à ce jour.

Nous soutenons aussi les dispositifs de tutorat et de mentorat. Le tutorat vie à accompagner les jeunes vers l'enseignement supérieur. Le mentorat s'adresse à des élèves un peu plus jeunes et nous l'avons mis en oeuvre lors du confinement, par exemple pour aider certains jeunes et leurs familles à se servir d'ordinateurs.

Enfin, les PRE représentent 60 millions d'euros par an, nous travaillons avec l'éducation nationale sur leur contenu.

Mme Michelle Meunier . - Et sur la petite enfance ?

M. François-Antoine Mariani . - La cité éducative vise les enfants à partir de 3 ans, mais nous accompagnons des actions qui visent également les mille premiers jours de l'enfant, en particulier autour des crèches, où ont été mis en place des bonus « territoires » et « mixité sociale » selon les caractéristiques sociales du territoire. Il faut également citer le dédoublement des classes de maternelle dans les réseaux d'éducation prioritaire (REP), qui a été un dispositif phare pour la politique de la ville.

Mme Michelle Meunier . - Il semble que de nombreuses communes n'aient pas recours à ces dispositifs, faute de les connaître, en particulier les petites communes : avez-vous une action pour les aider à y recourir quand elles y ont droit ?

M. François-Antoine Mariani . - Nous avons bien entendu une démarche « aller vers », mais aujourd'hui, nous demandons plutôt aux communes de manifester leur intérêt, de se signaler. Pour les cités éducatives par exemple, nous avons accompagné des communes, mais certaines ont hésité à s'engager, notamment pour des raisons financières. D'autres ont confirmé leur volonté de concrétiser la démarche et nous les avons aidées financièrement, en particulier pour mettre en place une équipe de projet. Dans les quartiers prioritaires, il me semble que les communes connaissent nos dispositifs. Beaucoup sont dans une situation fragile et nous avons toujours fait en sorte de pouvoir les accompagner. Je n'ai pas connaissance de communes qui auraient été écartées d'un dispositif par manque d'ingénierie. La situation peut être différente en zone rurale.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Depuis quand les référents « ruralité » sont-ils installés dans les préfectures ?

Mme Simone Saillant. - Des référents « ruralité » avaient été désignés à la suite de la signature des contrats de ruralité, mais la mobilité étant forte parmi les sous-préfets, il y a eu des changements. Une nouvelle série de nominations vient d'intervenir et nous en sommes à 67 référents. Joël Giraud, secrétaire d'État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité, vient de les réunir pour les mobiliser autour de l'Agenda rural, afin qu'ils définissent, avec les élus, une stratégie pour leur territoire, avec des axes prioritaires parmi les mesures prévues par l'Agenda rural. Ils ont mission de mieux faire connaître les outils sur le terrain et de constituer un point d'entrée bien identifié.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Plusieurs des dispositifs que vous avez évoqués sont mal connus. Je crois que les cordées de la réussite et la Boussole des jeunes seraient utiles dans la ruralité - alors n'hésitez pas à venir nous chercher, à faire connaitre ces outils...

En Île-de-France, la préfecture de région met en oeuvre sur une centaine de quartiers, et bientôt 100 quartiers supplémentaires, un plan régional d'insertion pour la jeunesse (PRIJ). N'y a-t-il pas de chevauchements avec les actions que vous menez dans les quartiers prioritaires ? Agissez-vous de manière coordonnée et complémentaire ?

M. François-Antoine Mariani . - Nous travaillons au quotidien avec la préfecture de région pour coordonner notre action. Nous allons labéliser certains des quartiers visés par le PRIJ en cité de l'emploi. Nous avons en effet considéré que ce qu'avait engagé la préfecture de région ressemblait beaucoup à ce que nous faisions. Il fallait éviter d'agir en silos et nous allons combiner les deux actions. Je ne nie pas qu'il puisse y avoir ici ou là des redondances, mais nous nous attelons à les diminuer. C'est d'ailleurs le principe de la cité de l'emploi. Il y a en région Île-de-France plus d'une cinquantaine de dispositifs en matière d'emploi, portés par un grand nombre d'acteurs. La préfecture de région les a d'ailleurs inventoriés dans un document. Notre action vise précisément à ce que les différents intervenants se connaissent, sachent ce que font les autres pour pouvoir en faire une ressource dans leur propre travail.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Concrètement, qu'est-ce qu'on trouve dans une cité de l'emploi ?

M. François-Antoine Mariani . - La cité de l'emploi n'est pas un lieu physique, un bâtiment ou des locaux, c'est un principe et une dynamique. Elle a vocation, via un financement pouvant aller jusqu'à 100 000 euros par an, à organiser et coordonner l'action en faveur de l'emploi sur un territoire. Il s'agit de réunir les acteurs qui identifient les publics, forment et donnent accès à l'emploi, pour qu'ils se connaissent - il arrive souvent que cela ne soit pas le cas sur un même territoire - et échangent sur leur action, afin que tous les dispositifs soient connus et qu'il n'y ait plus de rupture dans les parcours liée à la mauvaise articulation des dispositifs d'aide.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Il s'agit donc de réunir les acteurs de la formation, de l'insertion, de la recherche directe d'emploi.

M. François-Antoine Mariani . - Oui, ainsi que les associations d'identification des jeunes.

Nous avons labéllisé 24 cités de l'emploi, nous serons bientôt à 60, dont 6 en Île-de-France - je tiens la liste à votre disposition.

Il n'y a pas de lieu physique, mais un moment régulier tous les mois, où le territoire est passé au crible. Nous avons poussé les préfets à recruter des professionnels dont la spécialité est de mettre les acteurs en relation et de les faire travailler ensemble.

Je fais l'analogie avec la circulation dans l'espace public : la présence de feux tricolores ne rend pas inutile, quand il y a engorgement, la présence d'un agent de la circulation ; nous essayons que ne se reproduisent plus ces situations où un jeune se présente dans une structure et se voie répondre par la négative sans autre information. Il s'agit d'éviter les ruptures. Il faut que chaque intervenant, sur le terrain, connaisse les ressources du territoire, pour orienter à bon escient. Nous espérons aussi, par cette mobilisation précise, faire revenir des jeunes qui se sont éloignés de la formation et de l'emploi - nous passons, en particulier, par les éducateurs sportifs, qui viennent vers nous d'autant plus qu'ils perçoivent une dynamique.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Quels sont les facteurs qui vous paraissent les plus pénalisants pour les jeunes en matière d'égalité des chances ? Sont-ils analogues dans le rural et l'urbain ?

M. François-Antoine Mariani . - Les questions éducatives sont au coeur des différences dans l'égalité des chances.

Mme Simone Saillant . - S'y ajoutent, dans le monde rural, des freins supplémentaires liés aux problèmes de mobilité.

M. François-Antoine Mariani . - La notion de « perte de chance » est valable dans les territoires urbains comme dans les territoires ruraux, quand l'établissement scolaire ne fonctionne pas bien et que la famille n'a pas les moyens d'accompagner les enfants ; se pose aussi la question de la maîtrise du français, pour les familles non francophones. C'est pourquoi le Gouvernement a mis l'accent sur les petites classes et sur les mille premiers jours, les 0-3 ans.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Vous avez cité tout à l'heure le dédoublement des classes de CP. C'est une excellente mesure pour les classes surchargées .

M. François-Antoine Mariani . - Pour l'instant, c'est une mesure orientée REP et REP+.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Dans le même temps, on continue de supprimer des postes dans les zones rurales où l'on va demander de regrouper des classes. Ne pensez-vous pas qu'il faille donner les mêmes chances aux enfants des zones rurales, d'autant qu'il s'y trouve également des zones REP ? Je suis favorable à la pérennisation du dispositif, visant à doubler les classes de CP, mais pas au détriment des zones rurales. Les élus du monde rural ont souvent le sentiment que cette politique se fait à leur détriment. Ce sentiment est-il fondé ?

M. François-Antoine Mariani . - Nous évitons au maximum d'opposer les deux publics. Ces derniers mois, l'agenda rural et les différents financements mis en oeuvre ont montré que la question rurale était au centre de l'attention du Gouvernement. Je ne suis pas certain qu'il existe un lien de causalité avec la fermeture de classes en zones rurales. La politique éducative rurale est assez récente. L'extension du dispositif des cordées de la réussite au monde rural date d'un an.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Je ne partage pas votre point de vue. Si les élus n'avaient pas pris certaines initiatives, il y a longtemps qu'il n'y aurait plus d'écoles dans certaines zones rurales !

M. François-Antoine Mariani . - Je visais l'action de l'Etat. Certes, les élus locaux ont fait beaucoup de choses, mais l'orientation prise depuis un an et demi et l'Agenda rural prouvent qu'il existe de la part de l'Etat une réelle volonté de mieux appréhender le sujet.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - L'Agenda rural contient-il des cibles sur la très petite enfance.

Mme Simone Saillant . - Pas à ma connaissance.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - L'importance des toutes premières années de la vie est pourtant capitale. Il y a moins d'offres dans certaines zones, notamment dans les zones rurales, où les financements sont plus rares, et dans les zones urbaines sensibles.

Mme Simone Saillant . - La question est de savoir si la thématique est spécifique ou pas à un type de zone. Les missionnaires de l'agenda rural ont essayé de focaliser sur certains sujets, qui semblaient poser des problèmes particuliers. La question de la petite enfance concernera certainement l'ensemble de la France. L'idée, ici, est d'identifier des problématiques assez spécifiques à ces zones. La nouvelle cartographie des zones rurales concerne néanmoins 30 000 communes. La dimension n'est pas la même qu'avec les QPV. Le ministère de l'éducation nationale a mis en oeuvre des conventions ruralité. C'est un dispositif qui n'a pas rencontré un énorme succès, peut-être parce qu'il impliquait, pour les collectivités, de s'engager dans la restructuration scolaire.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Nous nous sommes méfiés !

Mme Simone Saillant . - Nous travaillons sur les contrats de relance et de transition écologique (CRTE), qui comprennent un volet éducation, sport et culture. Cela ouvrira peut-être un champ d'échange plus large et moins crispant. On pourra y évoquer les questions de mobilité, de rénovation du bâti. Le sujet reste sur la table, mais il existe des tentatives pour améliorer les choses.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Pourriez-vous nous préciser l'articulation entre les programmes de réussite éducative, qui regroupent un peu plus de 500 projets, et les cités éducatives, centrées sur quatre-vingts territoires ? Quelle est la différence entre ces deux dispositifs ? Les cités éducatives sont-elles uniquement centrées sur le public scolaire ou ont-elles une dimension d'insertion professionnelle ?

M. François-Antoine Mariani . - Le PRE est un dispositif ancien, qui fonctionne plutôt bien sur l'ensemble du territoire. Il est l'une des bases de la cité éducative, mais celle-ci englobe d'autres actions qui permettent d'aller au-delà. On a conservé la logique du PRE, qui mobilise plusieurs acteurs, notamment les familles, mais la cité éducative ne se réduit pas à un PRE amélioré. Le pilotage de la cité éducative repose d'ailleurs sur une troïka, entre les services de l'État, les collectivités locales et l'établissement.

Quant à la formation professionnelle, les cités éducatives ne sont pas obligées d'y participer. Nous avons établi un cahier des charges, regroupant l'ensemble des possibles, mais nous avons laissé chaque cité libre de mettre l'accent sur tel ou tel secteur, en fonction des réalités de chaque territoire. En périphérie des grandes métropoles, par exemple, l'emploi est moins un sujet de préoccupation que les questions éducatives. Notre objectif est d'arrimer les cités ayant souhaité s'orienter vers l'insertion professionnelle aux cités de l'emploi.

Mme Michelle Meunier . - Jean Jaurès disait : « quand les hommes ne peuvent changer les choses, ils changent les mots » ! C'est un peu mon sentiment aujourd'hui. Un dispositif n'a d'intérêt que s'il est connu, accessible et utilisé. Je comprends que certains maires baissent les bras devant cette forêt de dispositifs. Il ne suffit pas d'avoir mis en place un dispositif pour considérer que le « job » est fait !

Certes, la question de la petite enfance concerne l'ensemble des territoires. Que l'on réside dans une petite commune rurale ou dans une grande métropole, il faut pouvoir répondre à l'accueil des tout-petits, c'est important pour les parents. C'est aussi un élément qui donnera à l'enfant les canaux suffisants et nécessaires pour tisser des liens. Il y a encore du chemin à faire !

M. François-Antoine Mariani . - Nous recevons beaucoup trop de demandes pour les cités éducatives, preuve que le dispositif a bien été identifié par les communes. Nous sommes obligés d'effectuer un tri. S'agit-il seulement de changer les mots ? Le financement réservé à ce dispositif est important : les cités éducatives bénéficient de 30 millions d'euros par an. Les financements de certaines cités éducatives sont parfois deux ou trois fois supérieurs au montant de la subvention de la politique de la ville du territoire. Clairement, nous n'avons pas renommé les PRE, mais nous avons créé un autre dispositif en lui accordant plus de moyens. Néanmoins, cela ne résout effectivement pas la question de la multiplication des dispositifs dans certains territoires.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat .

Audition de M. Thibaut Guilluy, haut-commissaire
à l'emploi et à l'engagement des entreprises

(Jeudi 8 avril 2021)

M. Jean Hingray , président . - Nous entendons aujourd'hui M. Thibaut Guilluy, Haut-Commissaire à l'emploi et à l'engagement des entreprises, qui intervient en visioconférence.

M. Thibaut Guilluy, Haut-Commissaire à l'emploi et à l'engagement des entreprises . - Le Haut-Commissariat à l'emploi et à l'engagement des entreprises est rattaché à la ministre du travail et au ministre de l'économie.

Mon rôle est d'être le bras armé des politiques de l'emploi, et d'abord des politiques inclusives : il s'agit de mobiliser les entreprises pour qu'elles mettent en place des politiques de recrutement ouvertes aux populations fragiles, aux personnes handicapées, pour que chacun ait le plus de chance de développer ses talents sans discrimination ; en plus de cette promotion des politiques inclusives au sens large, pour l'égal accès aux entreprises, mon action vise à conforter les politiques d'accompagnement vers l'entreprise des personnes les plus éloignées de l'emploi.

On sait que les déterminants de l'éloignement sont nombreux : niveau de qualification, secteur de formation, facteurs sociaux, ascendance migratoire, faiblesse du capital social - les études abondent sur ces différents facteurs qui se combinent pour conduire à ce que des jeunes ne franchissent pas les portes de l'entreprise et ne conçoivent parfois pas qu'ils peuvent y parvenir, parce qu'ils n'ouvrent pas le champ des possibles.

La période de crise accentue ces phénomènes structurels d'éviction de l'emploi, en particulier pour les jeunes - pendant le premier confinement, l'insertion des jeunes en emploi a chuté de 80 %, puis il y a eu des actions ciblées, en particulier le plan « 1 jeune, 1 solution », et nous avons retrouvé, à partir du moins d'août, un recrutement des jeunes dans l'épure des années précédentes.

Le plan « 1 jeune, 1 solution » est une action forte, c'est une promesse qui  engage, quand notre pays compte 1,38 million de jeunes « NEET », ni en emploi, ni en études, ni en formation, un niveau bien plus élevé que la moyenne européenne, comme le soulignent régulièrement les organismes internationaux.

Nous mobilisons un grand nombre de mesures dans ce cadre pour encourager l'accès à l'emploi, en emploi durable, avec différentes formes d'alternance et des mesures ciblées sur les collectivités, sur l'emploi social et solidaire, sur les jeunes en situation de handicap, sur les quartiers de la politique de la ville, des mesures qui toutes tendent à corriger les défauts du marché de l'emploi. Ce plan durera au moins jusqu'à la fin de l'année 2021, le Premier ministre l'a annoncé.

L'apprentissage est un outil important d'égalité des chances, pour faciliter l'intégration professionnelle : au niveau CAP, c'est 20 points de plus pour l'accès à l'emploi durable, cette performance tient à ce que l'apprentissage met en lien direct avec l'entreprise, à ce qu'il donne une chance de développer un réseau, en plus des savoirs pratiques. L'apprentissage est également très utile pour lever les freins financiers à l'accès aux études supérieures, grâce à une prise en charge de frais d'études par le contrat d'apprentissage, c'est un outil à consolider.

Nous faisons également un effort sur la qualification, avec 200 000 places supplémentaires de formations qualifiantes, en invitant les régions à flécher les contrats vers certains domaines comme le numérique ou encore le social.

Nous avons aussi un programme ambitieux pour les 16-18 ans, avec 35 000 places ouvertes aux jeunes d'ici la fin de l'année au sein de l'Association pour la formation professionnelle des adultes (AFPA).

Nous ouvrons également 100 000 places supplémentaires en service civique, c'est important pour la capacité des jeunes concernés à gagner en confiance, à se faire du réseau et à avoir un contact avec le monde du travail, une piste à encourager.

Pour les jeunes NEET, nous mettons en oeuvre le droit à un accompagnement, qui est légal, mais pas encore effectif, et que je souhaite rendre effectif. Nous allons passer de 600 000 à 1 million de jeunes accompagnés, en s'appuyant sur le service public de l'emploi, les missions locales, Pôle emploi, pour proposer un accompagnement intensif, global et adapté aux jeunes. La Garantie jeunes et le Parcours contractualisé d'accompagnement vers l'emploi et l'autonomie (PACEA) seront renforcés.

Nous travaillons sur la Garantie jeunes universelle, pour faire progresser idée d'un accompagnement intensif et contractualisé de tous les jeunes, avec une garantie de ressources financières chaque fois que la situation du jeune le nécessite. C'est ce que nous avons commencé à faire en faisant passer le plafond annuel de l'allocation PACEA de trois à six fois le montant mensuel du RSA, de même que nous avons relevé le barème de rémunération des stagiaires de la formation professionnelle, qui n'avait pas évolué depuis 2002, et qui atteint désormais 500 euros mensuels pour les jeunes de 18 à 25 ans. L'enjeu de la ressource est crucial pour que la précarité financière n'entrave pas la capacité à s'engager dans un projet.

Plus récemment, nous avons lancé un appel à projets pour accompagner la création d'entreprises par les jeunes. Les jeunes de moins de 30 ans ayant moins de capital social et économique, ils sont moins armés pour créer leur entreprise et c'est pourquoi nous les visons. Il s'agit de leur offrir un accompagnement, les études ayant montré qu'un tel accompagnement augmentait de 10 points le taux de réussite dans la création d'entreprise, et de les faire bénéficier d'une dotation en capital de 3 000 euros, qui vient en complément de l'apport personnel et joue comme levier pour l'accès à d'autres financements.

Enfin, le Président de la République a lancé le programme « 1 jeune, 1 mentor », c'est un outil important et puissant pour lutter contre les discriminants sociaux, 30 000 jeunes sont accompagnés dans leur parcours scolaire ou d'insertion professionnelle grâce à la mobilisation de plusieurs associations soutenues par les entreprises. Le mentor est en mesure d'apporter le réseau, le capital social, les conseils en matière d'orientation qui manquent au jeune issu de milieu modeste ou de territoires défavorisés. Nous accompagnons le changement d'échelle du mentorat, pour passer à 100 000 jeunes à la fin de l'année, puis 200 000 jeunes en mentorat d'ici à 2022 : c'est un levier pour leur donner de meilleures chances de réussite scolaire ou professionnelle.

M. Jean Hingray , président . - Le plan mentorat, lancé par le Président de la République il y a un mois, vous semble-t-il suffisant pour amener la jeunesse de France à l'esprit d'entreprise ?

M. Thibaut Guilluy . - Non, une mesure seule ne suffirait pas. Cependant, dans « 1 jeune, 1 solution », l'idée est bien que les jeunes fassent partie de la solution. Dans un moment de fragilisation de l'économie et de la cohésion sociale, il faut investir dans la jeunesse. J'anime un réseau de plusieurs milliers de chefs d'entreprises engagés dans ce programme : je fais passer le message que si l'État aide à l'embauche des jeunes, c'est aussi pour passer la crise et pouvoir organiser la relance. Nous sommes en retard sur la transition numérique, nous avons besoin des jeunes, qui sont plus natifs dans ce domaine, de même pour la transition écologique. L'appel à projets sur la création d'entreprise accompagnera quelque 40 000 créateurs d'entreprises en deux ans ; je crois qu'il faut aller encore plus loin, car les jeunes ont l'envie de créer des entreprises. Les comparaisons internationales sont sur ce point à l'avantage de la jeunesse française. Il faut simplement lui donner les moyens de passer du projet à la réalisation et de crée les conditions de meilleurs taux de réussite ; c'est pourquoi nous les soutenons directement avec un apport en capital.

Le mentorat donne de la confiance, et c'est cette confiance qui ouvre les possibles. Pour avoir créé une vingtaine d'entreprises, je sais par mon expérience combien cet enjeu de la confiance et de l'accompagnement est important, et je suis convaincu que nous avons des marges de dynamique importantes avec le mentorat et le changement, par des démarches très pragmatiques, de l'écosystème entrepreneurial. J'indique également que Pôle emploi, avec la montée en puissance de son programme Activ'Créa, soutient fortement les demandeurs d'emploi sur la création d'entreprises avec des dispositifs très pragmatiques. Il y a encore énormément de marge sur ce plan.

M. Laurent Burgoa . - Vous avez évoqué la politique de la ville, et peu la ruralité : avez-vous des mesures spécifiques pour les territoires ruraux, ou est-ce le droit commun qui s'applique ?

M. Thibaut Guilluy . - Venant du Pas-de-Calais, je ne me sens guère métropolitain... J'ai parlé des quartiers de la politique de la ville, mais les zones de redynamisation rurale (ZRR) sont également concernées. Je déploie le programme « 1 jeune, 1 solution » avec la Mutualité sociale agricole (MSA), avec la Coopération agricole, avec la filière agroalimentaire, avec la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), dans toutes les zones rurales. Nous déployons aussi des animations, des webinaires, de la communication dans tous les départements et dans bien des communautés de communes.

Avec « 1 jeune, 1 solution », avons mis en ligne une plateforme géolocalisée, www.1jeune1solution.gouv.fr, pour que chaque jeune ait accès aux offres d'emploi et de formation en proximité, nous en sommes à 200 000 offres quotidiennes partout en France. Il faut ensuite que les réseaux locaux se mobilisent, j'organise des partenariats avec les collectivités territoriales, en particulier dans les zones rurales. Grâce à cette plateforme, les jeunes sont rappelés dans les 72 heures pour se voir proposer une formation ou une offre d'emploi. Nous avons une offre symétrique pour les petites entreprises qui peuvent déposer leurs offres sur cette plateforme et nous mobilisons les entreprises à travers 90 clubs départementaux. Je suis particulièrement attentif à cette irrigation dans le territoire, de même que sur le déploiement des tiers lieux, soutenu par le plan de relance.

M. Jean Hingray , président . - Quel est le lien entre les tiers lieux et le monde économique ?

M. Thibaut Guilluy . - Des tiers lieux en milieu rural permettent, par exemple, de déployer des formations, d'accueillir des formations mobiles, nous les soutenons, de même pour la formation à distance. Avec le développement du travail à distance, ces tiers lieux peuvent également accueillir les salariés lorsqu'ils ne sont pas présents dans l'entreprise.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Vous parlez création d'entreprises, je suis plus intéressée par la façon dont on amène les jeunes les plus défavorisés - qui sont souvent très loin de la création d'entreprise - à ouvrir leurs horizons : quels outils avez-vous dans ce sens ? Nous avons entendu ce matin des associations qui font du mentorat, nous avons parlé de bénévoles qui accompagnent les jeunes dans leurs projets, qui développent leur capacité à faire des projets.

M. Thibaut Guilluy . - Il n'y a pas de contradiction, l'enjeu est bien d'accompagner chaque jeune à accomplir son désir le plus fort. J'ai créé des entreprises d'insertion, pour accueillir des jeunes de la protection judiciaire de la jeunesse ou sortant de l'aide sociale à l'enfance, en particulier. Je crois qu'il faut d'abord reconnecter ces jeunes qui ont décroché de l'école et plus largement des circuits d'accompagnement. Nous consacrons des moyens pour accompagner chaque jeune, de façon digne. Je veux dire par là que si l'on a un conseiller d'insertion pour 200 ou 300 jeunes, l'accompagnement ne peut pas fonctionner. C'est pourquoi nous renforçons les équipes d'accompagnateurs des jeunes les plus éloignés de l'emploi, dans le réseau de Pôle emploi, des missions locales, des écoles de la deuxième chance, des EPIDE. Il faut en parallèle agir sur l'offre de solutions.

Nous renforçons aussi l'offre d'insertion avec l'objectif de 100 000 places supplémentaires dans l'offre d'insertion par l'économique. Il y a des dispositifs qui ont fait leur preuve auprès des jeunes très éloignés de l'emploi, tels que les préparations opérationnelles à l'emploi collectives (POEC) ou individuelles (POEI). Notre action est très concrète, en direction de jeunes très éloignés de l'emploi, pour les fidéliser et les amener vers une insertion réelle.

Nous le faisons aussi pour les parcours d'insertion dans l'emploi des personnes handicapées, avec les entreprises adaptées et un objectif de passer de 40 000 à 75 000 parcours.

Même chose pour le mentorat. Je suis mentor, je connais ce rôle de manière directe, son utilité propre - et je sais aussi que nous avons besoin de débouchés, c'est ce que nous faisons avec « 1 jeune, 1 solution », en proposant des stages, des formations, et un accès à l'entreprise. Nous avons un grand défi consistant à ouvrir les entreprises à ces jeunes, il faut des immersions en entreprise pour que le contact concret se fasse, c'est ce sur quoi nous travaillons. Les solutions existent, il faut les mettre en oeuvre en renforçant l'offre et en connectant le monde de l'entreprise et celui des accompagnateurs, le mentorat est un bon outil. C'est aussi un très bon moyen de créer des connexions positives entre le monde de l'entreprise et les jeunes.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Nous sommes convaincus de l'efficacité du mentorat, les associations sont satisfaites du plan annoncé, mais elles se posent des questions au-delà de 2022 : que va-t-il se passer ensuite ?

M. Thibaut Guilluy . - Il faut voir loin, effectivement. Le mentorat s'est développé depuis une quinzaine d'années grâce à des associations comme Article 1 ou Télémaque, sans intervention de la puissance publique et parallèlement à d'autres actions comme le parrainage, mis en place de longue date par les missions locales, un tiers des jeunes mentorés s'inscrivant dans ce programme. Les associations de mentorat se sont développées avec le soutien des entreprises, c'est une richesse d'innovation, de proximité, mais aussi une limite, en tout cas en nombre de jeunes bénéficiant d'un mentor : 30 000 jeunes, c'est bien, mais on peut aller plus loin, en tout cas c'est mon rêve, que chaque jeune puisse trouver un mentor s'il en a besoin. C'est pourquoi nous cherchons à renforcer le modèle opérationnel et économique. Avec notre plateforme « 1 jeune, 1 solution », où se rencontrent de très nombreux acteurs, venus de l'éducation, des services de l'État, des entreprises, nous encourageons ces dernières à s'engager dans le mentorat, si elles ne l'ont pas encore fait, ou à renforcer leur implication, en fournissant des mentors et aussi un soutien financier aux associations. Nous avons aussi d'autre part, du financement public - 30 millions d'euros cette année - pour accompagner l'ingénierie et le cofinancement du mentorat, il s'agit de permettre un effet de levier, sans créer cependant de dépendance trop forte au financement public et sans changer le modèle économique, qui repose essentiellement sur la société civile et où pourraient également intervenir, demain, les collectivités. Le modèle fonctionne, le mentorat coûte peu, entre 500 et 1 000 euros pour accompagner un jeune sur une année, pour des effets très positifs sur l'accompagnement et la réussite scolaire et professionnelle des jeunes concernés.

Le rapport entre le coût investi, les dépenses évitées et le bénéfice socio-économique est tel que je doute que des responsables avisés remettent en cause trop fortement une initiative qui a certes bénéficié du soutien de l'Etat mais qui est essentiellement portée par les associations et les entreprises.

Mme Michelle Meunier . - Le milieu médicosocial subit une crise des vocations, y compris dans les crèches : comment aider le développement de ces métiers du soin ?

M. Thibaut Guilluy . - L'entrepreneuriat n'est qu'une brique, comme mentor j'ai accompagné des jeunes et des adultes qui connaissaient ou qui aspiraient aux métiers du médico-social. Ces métiers ont du sens, c'est un facteur de motivation, mais ils sont mal reconnus, pas seulement sur le plan de la rémunération. Il y a une question de formation : on met en avant les compétences techniques, alors que les compétences humaines sont décisives, il faut faire mieux reconnaître la diversité des compétences utiles. Il faut aussi valoriser les circuits courts, entre les apprentissages et la mise en relation avec le métier lui-même. Des expérimentations sont en cours, et nous accompagnons le mouvement.

Ensuite, il y a la question des rémunérations, ça compte évidemment. Enfin, nous faisons le lien entre les associations intermédiaires et les besoins dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), pour construire des parcours avec des passerelles vers l'emploi. Les possibilités de recrutement ne manquent pas, beaucoup de jeunes aspirent à travailler dans ces métiers, il faut avancer en recrutant par les compétences plutôt que par le curriculum vitae.

Avec cette mission, vous mettez le doigt sur un enjeu très large. Le ministère, comme le Haut-Commissariat, porte une vision inclusive de la société : l'inégalité des chances est un véritable fléau, et nous n'avons pas trouvé la panacée ! J'attends donc avec impatience votre rapport d'information.

Il ne s'agit pas seulement d'aider les individus à se saisir des opportunités, il faut aussi promouvoir une culture d'inclusion au sein des entreprises, dont la culture managériale doit permettre d'accueillir chacun, avec ses singularités et ses fragilités, c'est-à-dire ce qui est consubstantiel à la nature humaine. Pour cela, nous devons remettre en question les normes et standards de productivité que nous ont inculqués les écoles. Il faut que l'écosystème incite aux pratiques inclusives : cela ne pourra qu'accroître notre performance globale, économique et financière, mais aussi humaine et sociale. Les quelques milliers d'entreprises qui nous ont rejoints dans « La France, une chance » s'engagent à progresser en matière d'égalité des chances. Merci pour ces échanges.

M. Jean Hingray , président . - Merci de votre participation.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat .

Audition de Mme Emmanuelle Pérès, directrice de la jeunesse,
de l'éducation populaire et de la vie associative,
déléguée interministérielle à la jeunesse

(Mardi 4 mai 2021)

M. Jean Hingray , président . - Nous recevons cet après-midi Mme Emmanuelle Pérès, directrice de la jeunesse, de l'éducation populaire et de la vie associative au ministère de l'éducation nationale, déléguée interministérielle à la jeunesse, qui est accompagnée de Mme Sylvie Hel-Thelier, sous-directrice des politiques interministérielles de jeunesse et de vie associative.

Madame la directrice, vous avez été nommée dans vos fonctions tout récemment, le 24 mars dernier. Votre audition aujourd'hui est donc l'occasion d'évoquer votre ressenti sur l'état des lieux que vous avez pu dresser, depuis cette date, sur l'action engagée en matière de politique de la jeunesse, ainsi que les priorités qui vous ont été assignées et les perspectives envisagées.

Au regard de la situation de la jeunesse et de la question de l'égalité des chances, qui préoccupe notre mission d'information, vous exercez une double responsabilité. D'une part, votre direction joue un rôle propre dans le soutien à l'éducation « informelle », pour favoriser l'accès des jeunes à la culture, aux loisirs et aux activités pouvant contribuer à leur autonomie ; d'autre part, depuis 2014, le directeur de la jeunesse est également délégué interministériel à la jeunesse, avec une mission de coordination des ministères qui contribuent, chacun dans leur secteur, à la politique en direction des jeunes.

C'est sous ce double aspect que nous souhaitons vous entendre aujourd'hui.

Mme Emmanuelle Pérès, directrice de la jeunesse, de l'éducation populaire et de la vie associative, déléguée interministérielle à la jeunesse . - Je vous remercie de votre accueil pour ma première audition dans le cadre de ces nouvelles fonctions que j'exerce depuis le 24 mars dernier. La direction de la jeunesse, de l'éducation populaire et de la vie associative (Djepva) est une direction de l'administration centrale qui est composée de trois sous-directions : la sous-direction des politiques interministérielles de jeunesse et de vie associative, dirigée par Sylvie Hel-Thelier ; la sous-direction de l'éducation populaire qui traite en priorité des accueils collectifs de mineurs, en lien étroit avec le tissu associatif ; enfin, la sous-direction du service national universel (SNU), plus récente, ce rattachement à notre direction de ce qui constituait une mission de préfiguration ayant permis de lever certaines difficultés.

L'Institut national de la jeunesse et de l'éducation populaire (Injep), dont le directeur, Thibaut de Saint Pol, vous a exposé le panorama des jeunesses, est pour nous un observatoire très précieux, y compris au travers de la statistique, sur les jeunesses et les politiques en leur faveur.

Nous assurons également le secrétariat général du Haut Conseil à la vie associative (HCVA), instance qui oriente nos politiques, et le secrétariat du Conseil d'orientation des politiques de jeunesse (COJ) mis en place en 2016 : il réunit tous les acteurs intéressés par ces politiques et met à leur disposition sa production. Notre action s'appuie aussi sur l'ensemble du réseau déconcentré de la jeunesse et des sports, dont la collaboration étroite pour mettre en place ces politiques sur les territoires relève désormais des recteurs et des préfets.

S'agissant de l'égalité des chances, l'agenda du Gouvernement s'étend sur toute la durée du quinquennat et inclut de nombreuses politiques publiques, telles que l'émancipation des individus, la lutte contre l'assignation à résidence et l'autocensure ainsi que l'accent porté sur les plus jeunes. La jeunesse est le coeur de cible de ces politiques d'égalité des chances, qui ont pour souci premier de promouvoir l'égalité des chances et d'assurer une vraie continuité de la maternelle à l'entrée dans la vie professionnelle.

La crise sanitaire a révélé des fractures très importantes au sein de la jeunesse. Nous sommes dans une situation d'urgence, la crise Covid ayant accéléré des phénomènes préexistants.

Le Gouvernement a dès le départ engagé un plan très ambitieux avec le doublement des classes de CP et de CE1 dans les réseaux d'éducation prioritaire (REP) et les réseaux d'éducation prioritaire renforcés (REP+), renforcé par le grand plan « 1 jeune, 1 solution » diffusé l'été dernier et comprenant de nombreux dispositifs en faveur de l'emploi et de la formation. S'agissant de ceux qui relèvent du champ de compétence de la Djepva, nous avons l'ambition d'accueillir 245 000 jeunes en mission de service civique au cours de l'année 2021 - contre 140 000 en 2020 - et d'ajouter aux 1 000 postes supplémentaires financés par le Fonds de coopération jeunesse et éducation populaire (Fonjep) au profit des associations prévus en 2021, 1 000 autres postes spécifiques aux jeunes de moins de trente ans, et ce dès 2022.

L'égalité des chances, qui est au coeur des principaux dispositifs de la Djepva, passe par l'information des jeunes, avec un fort enjeu de lisibilité des dispositifs et une vigilance particulière pour les jeunes ruraux, les ultra-marins et les « invisibles » : au lieu d'attendre qu'ils viennent, nous devons aller vers eux.

Nous travaillons aussi étroitement avec le ministère du travail sur le projet de Garantie jeunes universelle et tous les parcours d'accompagnement. De plus, dans le cadre du plan « 1 jeune, 1 solution », a été développée une plateforme servicielle distincte d'un site internet classique afin qu'elle s'adresse spécifiquement aux jeunes. Dans le même esprit, nous avons mis en place « La boussole des jeunes », qui est un nouveau service numérique pleinement complémentaire. visant à fédérer les acteurs sur un territoire. Nous travaillons actuellement à articuler les deux initiatives. Il s'agit de permettre aux jeunes d'accéder à des personnes physiques susceptibles de les accompagner et de les informer sur l'ensemble des dispositifs accessibles sur un territoire.

Nous nous appuyons sur l'enquête menée par l'Injep sur les attentes, les besoins et les comportements des jeunes pour faire évoluer l'information en direction de la jeunesse. Il s'agit non pas de décider pour eux, mais bien de les comprendre ; c'est la condition sine qua non pour renforcer l'égalité des chances. Enfin, nous nous référons à l'expertise du Centre d'information et de documentation jeunesse (CIDJ).

Le deuxième volet de notre action s'inscrit dans la mise en oeuvre du programme d'investissement d'avenir (PIA) pour la jeunesse et du Fonds d'expérimentation pour la jeunesse (FEJ), lancé il y a une dizaine d'années. Ils ont vocation à financer des projets innovants et à les assortir d'une évaluation scientifique pour pouvoir éventuellement les généraliser. Les deux axes retenus pour ces projets sont le dépassement des déterminismes sociaux dans les phases d'apprentissage et la prévention des discriminations et du creusement des inégalités. À ce jour, plus de 60 expérimentations ont été menées, toutes très instructives, car elles ont permis de définir de bonnes pratiques, de créer, entre autres, « La Malette des parents », les internats d'excellence, la Garantie jeunes : autant d'initiatives portées par des acteurs de terrain.

Le troisième volet est le SNU, dans ses trois composantes. La première est le séjour de cohésion - le prochain aura lieu le 21 juin -, qui dure une douzaine de jours en fin de seconde et vise à accentuer la mixité sociale et à ouvrir le champ des possibles pour ces jeunes adultes en devenir. Il s'agit aussi d'offrir une vraie occasion de mobilité géographique, bien souvent la première pour ces jeunes... Toutefois, cette année, en raison de la crise sanitaire, ils ne pourront se déplacer qu'au sein de leur région d'attache, ce qui n'empêchera pas les jeunes urbains d'être accueillis dans des zones rurales. À leur retour, les jeunes remplissent, cette fois-ci sur leur territoire, une mission d'intérêt général - c'est la deuxième composante du SNU - grâce à laquelle ils font l'expérience de l'engagement, prennent confiance et mettent en pratique les compétences transversales reçues lors du séjour de cohésion. Troisième composante : l'engagement volontaire, avant l'âge de 25 ans, dans des actions de trois mois minimum, dont le service civique est le dispositif le plus emblématique.

Il convient également de citer toute la politique de mobilité internationale en direction du plus grand nombre au travers d'actions volontaristes comme Erasmus +, le Corps européen de solidarité, l'Office franco-allemand pour la jeunesse (OFAJ) pour les 3 à 30 ans et l'Office franco-québécois pour la jeunesse (OFQJ) pour les 18 à 35 ans.

Autre grand chantier, l'accueil des jeunes en centres de loisirs sur le temps périscolaire et extrascolaire. Je pense en particulier au « Plan mercredi » et à l'action « Vacances apprenantes » qui devrait être renouvelée cette année. L'État n'organise pas directement les colonies de vacances, mais il les accompagne. Pour ce faire, nous travaillons en étroite collaboration avec les grands acteurs concernés, tels que l'Union nationale des associations de tourisme et de plein air (UNAT) et La Jeunesse au plein air (JPA).

Ces acteurs sont très fragilisés par la crise, alors que leur accueil est très important durant toute l'année pour ouvrir le champ des possibles et donner aux jeunes de nouvelles expériences. C'est pourquoi nous apportons un soutien très fort à ce secteur, notamment par le biais de campagnes de communications ou la prise en charge intégrale des frais de séjour en faveur de 70 000 enfants dans des « Colos apprenantes » en 2020. Nous réfléchissons à des modalités d'aide plus simples et plus accessibles au plus grand nombre.

Enfin, nous venons de clore l'appel à projets du mentorat. Comme l'a annoncé le Président de la République, l'enjeu est de créer 100 000 tandems en 2021 et 200 000 en 2022, au moment de l'insertion professionnelle, mais aussi dès le collège pour les jeunes moins favorisés.

En tant que déléguée interministérielle à la jeunesse, je me dois d'avoir une vision transversale sur l'ensemble des politiques de la jeunesse : la santé, l'emploi, la lutte contre la précarité, la culture, les sports, etc. Nous travaillons en lien avec les autres ministères et avons aussi la possibilité de réunir un comité interministériel de la jeunesse. Il est indispensable de nouer un dialogue structuré entre les pouvoirs publics, les régions - la loi en fait les chefs de file des politiques de la jeunesse - les représentants de la société civile et les jeunes, en vue d'élaborer et d'articuler les orientations stratégiques entre acteurs.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Cela montre l'étendue de votre mission.

Mme Emmanuelle Pérès . - Elle est passionnante, mais effectivement étendue !

Mme Monique Lubin , rapporteure . -En matière d'égalité des chances, les nombreuses actions en direction des jeunes passent par des politiques locales, ce qui suppose de coordonner différents acteurs : administrations, collectivités, associations. Comment s'effectue cette coordination ? Quelles difficultés rencontrez-vous ? Quel est le rôle de l'État, notamment depuis la disparition des directions départementales de la jeunesse et des sports ? La loi Égalité et citoyenneté de 2017 entendait donner un rôle de chef de file à la région : cette disposition a-t-elle trouvé une réelle traduction ?

Mme Emmanuelle Pérès . - La disparition des directions départementales s'inscrit dans le cadre de la réforme de l'organisation territoriale de l'État. Ont été créées les délégations régionales académiques à la jeunesse, à l'engagement et aux sports (Drajes). Cette nouvelle organisation doit nous permettre de mieux assurer un suivi continu de l'enfant et de l'adolescent. Les Drajes pilotent les services déconcentrés, en particulier dans les départements, qui comptent plus de 2 000 agents travaillant dans le domaine de la jeunesse et des sports.

Aujourd'hui, la situation est très tendue dans les départements. Nous travaillons à assurer l'adéquation entre nos politiques publiques, qui sont ambitieuses, et les moyens déployés sur les territoires. Depuis ma prise de fonctions, je fais des déplacements tous les quinze jours dans les régions, et je suis en contact avec les partenaires sociaux. Cette réforme a été voulue par tous parce qu'elle offrait davantage de cohérence sur le papier. Néanmoins se pose la question des moyens dans les départements.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - En tant qu'élue locale, je regrette ces fusions : les services de l'État dans les départements se réduisent comme peau de chagrin. Dans mon département, nous avons maintenant un grand service de l'État regroupant toutes les anciennes directions, avec de moins en moins de fonctionnaires et de moyens.

Mme Emmanuelle Pérès . - L'idée est de créer toutes les synergies possibles avec les rectorats, mais je vous rejoins sur la question des moyens dans les territoires. Nous y travaillons. Nous avons attiré l'attention de la secrétaire d'État sur ce point.

Mme Sylvie Hel-Thelier, sous-directrice des politiques interministérielles de jeunesse et de vie associative . - Le principe d'un dialogue structuré territorial et le chef de filât des régions au sein des collectivités locales ont été inscrits dans la loi Égalité et citoyenneté. Certains conseils régionaux se sont saisis de cette compétence pour organiser un dialogue entre l'État, les collectivités locales, la société civile, notamment les associations, et les jeunes. C'est le cas notamment en Bretagne, en Nouvelle-Aquitaine, en Occitanie, en Provence-Alpes-Côte d'Azur. En fonction de l'intérêt du conseil régional et des élus locaux pour ces sujets, on assiste à une plus ou moins grande mise en synergie des différents acteurs des politiques de jeunesse.

À notre niveau, nous avons organisé des séminaires associant les différentes parties prenantes - le dernier s'est tenu début 2020 juste avant le premier confinement. Nous avons également mis à la disposition des élus, des associations et des organisations de jeunesse des outils de travail, dont ils ont toute liberté de se saisir ou non.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Les organisations de jeunesse estiment que la coordination interministérielle des politiques de jeunesse, prévue par les textes, est inexistante. À quand remonte la dernière réunion du Comité interministériel de la jeunesse et est-il envisagé de le réunir à nouveau ? Quelles sont les difficultés pour faire émerger une politique plus globale en direction des jeunes ?

Mme Emmanuelle Pérès . - La dernière réunion du comité interministériel date de 2015. La décision de le réunir relève du Gouvernement - il me semble que c'est en projet compte tenu des enjeux. Le plan « 1 jeune, 1 solution » traduit la volonté de mener une action qui soit interministérielle. La mission qui m'a été confiée est justement de donner de la lisibilité et d'accentuer la dimension interministérielle.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Après avoir entendu de nombreuses structures, je fais le constat qu'un certain nombre de jeunes ne profitent pas des opportunités qui leur sont offertes alors qu'il existe une multitude d'acteurs et de dispositifs.

Vous avez évoqué le problème de l'information, mais il existe aussi un problème de coordination.

Mme Emmanuelle Pérès . - Certes, et il y a de quoi faire ! Nous cherchons à fluidifier le parcours des jeunes. Il existe énormément de dispositifs, qu'ils soient ministériels ou portés par les collectivités locales. C'est à nous d'« absorber » cette complexité pour que le jeune ait accès à l'information et qu'il puisse mobiliser les dispositifs qui lui correspondent. Notre responsabilité partagée, c'est qu'il n'y ait pas de rupture dans son parcours : passer d'un dispositif à l'autre ne doit pas engendrer une cassure qui serait source d'anxiété ou de décrochage.

Sur l'information, nous menons un travail pour « aller vers ». On peut développer des outils attractifs, mais si les jeunes ne s'en saisissent pas nous n'aurons fait que nous faire plaisir sans atteindre notre objectif. Il faut travailler étroitement avec ces publics : nous avons monté des expérimentations dans le cadre du FEJ, et le réseau Information Jeunesse, qui est un réseau multipartenarial incluant les collectivités locales, les associations, les régions, nous permet d'être au plus près des besoins.

La plateforme « 1 jeune, 1 solution » apporte une information de premier niveau au jeune ou, au moins, à celui qui l'accompagne. Il ne faut pas se priver des outils numériques qui apportent une meilleure lisibilité. Nous sommes au milieu du gué : l'enjeu, c'est l'accompagnement et la lisibilité. Comme le disait la ministre, la délégation interministérielle est la boussole des politiques pour la jeunesse, qu'il faut - j'insiste - rendre plus lisibles. C'est la mission qui m'a été confiée : elle n'est pas aisée, mais il faut s'y atteler.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Comment « aller vers » ? L'expression est reprise par tout le monde, mais de quels moyens dispose-t-on pour y parvenir ? La plateforme est-elle un de ces moyens ?

Mme Emmanuelle Pérès . - C'est un outil qui atteint certains publics, notamment ceux qui sont autonomes, et qui peut aider ceux qui accompagnent les jeunes, car elle est très accessible et ergonomique. Cela ne reste qu'un outil. C'est un outil précieux, il faut qu'il soit performant : les jeunes ne doivent pas être privés des technologies les plus efficaces et de l'intelligence artificielle pour obtenir des informations à jour sur les dispositifs correspondant le mieux à leur profil.

Pour autant, le « aller vers » passe surtout par le contact humain. Le réseau Information Jeunesse mène des actions de ce type. Nous soutenons également un certain nombre d'associations, en particulier dans le cadre des expérimentations jeunesse. Une expérience menée par les Apprentis d'Auteuil à Marseille consistait à aller dans les cages d'escalier des immeubles pour rencontrer les jeunes sur le terrain et susciter leur intérêt. De jeunes volontaires du service civique travaillent également avec ces associations, ce qui permet de faire un travail « de pair à pair ».

Le « aller vers » se décline de différentes façons, mais il passe par des actions très concrètes : ce n'est pas seulement un slogan.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Les structures d'éducation populaire ont un rôle important en matière d'égalité des chances, en permettant aux jeunes d'élargir le cadre de leur milieu d'origine. Nous avons le sentiment qu'elles sont en situation moins favorable que par le passé. Quelle appréciation portez-vous ? Quelle est l'action des pouvoirs publics en la matière, alors que les organisations de jeunesse ont mentionné une diminution du soutien de l'État ces dernières années ? Quelles sont les pistes pour revivifier ce moyen de contribuer à l'autonomie des jeunes et de leur ouvrir des opportunités ?

Nous avons entendu les représentants des structures d'éducation populaire : ils sont toujours aussi volontaires et passionnés, mais quelque peu découragés.

Mme Emmanuelle Pérès . - Surtout dans la période que nous venons de traverser...

S'agissant des colonies de vacances, qui représentent une activité importante des associations d'éducation populaire, on a assisté à un décrochage ces dix dernières années, que nous avons commencé à corriger en 2017. En 2018 et 2019, on accueillait à peu près 1,4 million de jeunes durant l'été, ce qui était un peu mieux que les années précédentes. Avec la pandémie, 600 000 jeunes seulement ont été accueillis l'année dernière. Vous pouvez imaginer la situation économique de ces structures... Nous avons mis en place un fonds d'urgence pour les aider, et nous les réunissons régulièrement pour examiner comme travailler ensemble. Les conditions sanitaires ne nous ont pas permis d'organiser les fameux stages de formation au brevet d'aptitude aux fonctions d'animateur (BAFA) en résidentiel et en présentiel. Nous devons travailler à tous ces sujets.

Nous nous mobilisons aussi pour que le dispositif des colos apprenantes soit renouvelé parce qu'il est un moyen de soutenir ces structures. Enfin, nous menons une campagne de communication sur les colonies de vacances.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Les associations ont évoqué les difficultés administratives liées à leur mission. On leur demande de répondre à des appels à projets, au lieu de leur donner un cahier des charges avec le financement correspondant. Les appels à projets sont des procédures compliquées, qui prennent du temps et qui ne leur assurent pas des ressources pérennes. Je sais bien que les appels à projets répondent à certaines logiques : il ne s'agit pas de subventionner pour subventionner sans droit de regard sur le travail des différentes structures.

Néanmoins, le constat doit être entendu : ne faudrait-il pas essayer de trouver des solutions pour pérenniser les financements de ces structures dont nous ne pouvons pas nous passer dans un certain nombre de domaines, notamment en zones rurales ?

Mme Emmanuelle Pérès . - En zones rurales, mais pas exclusivement. Certaines structures ont eu un rôle extrêmement actif pendant le confinement : elles ont assuré les accueils collectifs de mineurs pour les publics prioritaires.

En sortie de confinement, nous aurons encore davantage besoin d'elles : il faudra accueillir et accompagner les jeunes et peut-être réparer les maux découlant de la période d'isolement dont ils risquent de souffrir. Nous allons travailler en partenariat avec ces structures.

S'agissant des financements, nous avons mis en place des conventions pluriannuelles d'objectifs (CPO) : les engagements sont pris sur trois ans, et non plus sur une base annuelle.

Tout l'enjeu est bien sûr de garantir la pérennité de ces associations et d'assurer leur développement. Nous sommes en train d'engager un important travail avec elles en ce sens, car il s'agit pour nous de partenaires non seulement historiques, mais également stratégiques pour la politique en faveur de la jeunesse.

M. Michel Bonnus . - Je suis élu d'un canton très populaire, avec 78 % de logements sociaux pour 49 000 habitants. Vous êtes dans le vrai, mais les indicateurs mis en place doivent nous orienter par rapport à notre localité, à notre département et à notre région. Il importe en effet que nous soyons complémentaires. Il est essentiel à mon sens de se rapprocher des écoles et des collèges, qui sont une source d'informations sur les familles en difficulté et l'habitat. Quid également du suivi ? Nous devons avoir une capacité de lecture afin d'accompagner les fratries. Je ne perds pas de vue non plus l'aide à la parentalité. La sécurité, ce n'est pas que la justice, c'est aussi l'éducation et la culture.

Mme Emmanuelle Pérès . - La réforme de l'organisation territoriale de l'État (OTE) permet très concrètement de pouvoir travailler ensemble. Pour l'opération « Vacances apprenantes », nous devons nous appuyer sur les chefs d'établissement pour aller chercher certains jeunes, voire pousser les familles à les y inscrire. Il en va de même du Plan mercredi. Quant au SNU, il concerne aujourd'hui 25 000 jeunes, contre 2 000 volontaires il y a deux ans. Clairement, notre objectif est de demander aux chefs d'établissement, en passant par les recteurs, de favoriser la diversité. J'ai pu participer à des visioconférences avec 800 jeunes de milieux ruraux pour leur expliquer le sens du SNU et surmonter les autocensures. Notre nouvelle organisation administrative doit nous permettre de mieux assurer ce suivi complet de l'enfant et de l'adolescent. Ce ne sont pas que des mots, car nous décloisonnons nos champs d'action pour mieux travailler ensemble et accompagner ces jeunes dans leur individualité. Nous n'avions pas ces capacités-là au démarrage du SNU.

M. Michel Bonnus . - Comment se passe l'opération « Vacances apprenantes » ?

Mme Emmanuelle Pérès . - Il s'agissait d'anticiper l'année dernière sur le fait qu'un certain nombre de jeunes ne pourraient pas partir en vacances et également de compenser des carences de certains dans l'apprentissage scolaire. Il ne s'agit pas de refaire l'école, car il y existe aussi le dispositif « École ouverte » grâce auquel les enfants peuvent bénéficier de soutien scolaire pendant les vacances.

L'opération « Vacances apprenantes » s'inscrit davantage dans la dynamique des colonies de vacances et elle est portée par les organisations de jeunesse. Nous avons mis l'accent sur des séjours thématiques, avec des acquisitions de compétences plus formalisées.

M. Michel Bonnus . - Quelle est la prise en charge de l'État pour le dispositif « École ouverte » ?

Mme Emmanuelle Pérès . - Elle est importante, c'est l'éducation nationale qui paie les enseignants. Concernant les colonies apprenantes, la prise en charge s'élevait l'année dernière à 500 euros par semaine et par enfant, avec un reste à charge de zéro pour les familles.

M. Michel Bonnus . - Le dispositif « École ouverte » s'adresse à quelle tranche d'âge ? Quelle est sa périodicité ?

Mme Emmanuelle Pérès . - De la maternelle jusqu'à seize ans, les quinze premiers jours de juillet et quinze jours avant la rentrée.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Vous avez évoqué tout à l'heure la nécessité de s'intéresser aux jeunes dès la petite enfance et jusqu'à l'entrée dans l'âge adulte. C'est exactement le périmètre que couvre notre mission. Nous avons auditionné de nombreux acteurs de la petite enfance. Le constat est clair : tout se joue durant les trois premières années de la vie d'un enfant. L'une des solutions serait de pratiquer la mixité sociale dès les premiers mois. Pour autant, les familles les plus en difficulté, notamment les familles monoparentales, n'ont guère accès aux structures d'accueil - crèches, haltes-garderies - avant la scolarisation à l'école maternelle. Que peut-on faire pour les inciter à recourir à ces structures pour que la mixité s'installe dès la toute petite enfance ?

Mme Emmanuelle Pérès . - La petite enfance ne relève pas du périmètre de ma direction, même si c'est un sujet qui me préoccupe en tant que déléguée interministérielle à la jeunesse. En revanche, nous pouvons être amenés à prendre en charge de jeunes mamans, l'idée étant de démonter certaines idées reçues et de les accompagner, notamment dans le cadre de l'information jeunesse. Notre objectif est de changer les déterminismes. Quant à la mixité dans les crèches, je sais que des actions sont engagées, mais elles n'entrent pas stricto sensu dans mon domaine d'intervention. Il pourrait s'agir d'un sujet à traiter en priorité dans le cadre d'un comité interministériel.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Vous me donnez des idées ! Il serait effectivement très intéressant de traiter cette question par le biais des structures d'accueil des jeunes. Ces jeunes femmes mettent leur vie entre parenthèses et ne se forment pas dès lors qu'elles ont un enfant. Nous pourrions aborder cet aspect du problème grâce aux points information jeunesse (PIJ) ou aux missions locales pour l'insertion professionnelle et sociale des jeunes. Il existe des dispositifs très intéressants. Nous pourrions les adapter à ces publics. Je pense, par exemple, à la Garantie jeunes : nous pourrions y inscrire la question de l'accueil du jeune enfant.

Mme Emmanuelle Pérès . - C'est tout à fait possible. Nous le faisons également sur les actions de formation. Je rappelle que l'obligation de formation de seize à dix-huit ans est une mesure forte du Gouvernement en faveur de l'égalité des chances et contre les déterminismes. Il convient néanmoins de s'interroger : y a-t-il des trous dans la raquette ?

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Comment se met en place l'obligation de formation pour les jeunes de seize à dix-huit ans ?

Mme Sylvie Hel-Thelier . - La loi pour une école de la confiance a fixé cette obligation de formation de seize à dix-huit ans, qui passe par un certain nombre de dispositifs. Nous avons été plus particulièrement concernés par le sujet du service civique. Ce n'est certes pas une formation certifiante, mais il s'agit tout de même d'une formation civique et citoyenne. D'autres modalités existent via les missions locales - je pense, notamment, au parcours contractualisé d'accompagnement vers l'emploi et l'autonomie (Pacea) et à la Garantie jeunes - qui permettent d'assurer l'accompagnement du jeune entre seize et dix-huit ans vers une orientation professionnelle.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Le service civique est une excellente chose, mais il doit aboutir à des passerelles et à une reprise d'études. Avez-vous prévu des dispositifs en ce sens ?

Mme Emmanuelle Pérès . - C'est un chantier sans fin et sur lequel nous travaillons continuellement. Comme l'a souligné Sylvie Hel-Thelier, des compétences sont acquises pendant cette mission de service civique. Elles méritent d'être valorisées, en particulier auprès des employeurs éventuels. Au-delà, nous travaillons avec un certain nombre de grands acteurs qui accompagnent le jeune volontaire pendant sa mission de service civique afin de l'aider à construire son projet professionnel. La vocation du service civique n'est pas de conduire vers l'emploi, ce n'est pas un dispositif d'insertion dans l'emploi, mais c'est vraiment un dispositif d'engagement. Nous ne devons pas le dévoyer, je suis très vigilante sur ce point. Pour autant, tout l'apport du service civique pour un jeune, en particulier un jeune qui a décroché, est de pouvoir être accompagné dans l'élaboration de son projet professionnel, notamment grâce à la mise en place d'un tutorat. Ma mission est de m'assurer qu'à la fin de son service civique le jeune ne retrouvera pas livré à lui-même.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Vous dites que vous êtes attentive à ce que les jeunes en service civique n'occupent pas des emplois, mais dès lors que le Gouvernement en accroît considérablement le nombre juste après avoir fait quasiment disparaître les emplois aidés, n'y a-t-il pas un risque que le service civique remplace les anciens emplois aidés ?

Mme Emmanuelle Pérès . - Ce risque existe depuis le début, ce nouveau statut de volontariat doit trouver sa place particulière pour renforcer les associations, sans y occuper des emplois. Nous y sommes très vigilants, les missions sont étudiées en amont, nous avertissons les partenaires qu'elles ne doivent pas correspondre à des postes d'emploi, l'Agence du service civique s'est dotée d'outils pour exercer un contrôle précis. Pour avoir participé au conseil d'administration de cette agence, je peux témoigner qu'elle y est très vigilante, il y va de l'avenir du service civique.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Le jeune en service civique a un statut de volontaire, il n'a donc pas droit au chômage ; les missions durent huit mois qui doivent s'exercer en continu, sans interruption.

Mme Emmanuelle Pérès . - La mission peut être séquentielle lorsque cela se justifie, c'est le cas par exemple pour les étudiants.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - La durée doit être de 24 à 48 heures sur six jours pour une rémunération de 480 euros nets, soit 4,14 euros de l'heure - c'est peu, d'autant que le Gouvernement présente le service civique comme un outil d'émancipation.

Mme Emmanuelle Pérès . - Certes, mais le service civique est un volontariat rétribué, ce n'est pas un emploi assorti d'un salaire.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - On peut l'entendre, mais encore faut-il que le contingent reste modeste. Dès lors que les jeunes y seront bien plus nombreux, n'y a-t-il pas le risque d'une substitution ?

Mme Emmanuelle Pérès . - Les associations demandent l'extension, jusqu'à même rendre le service civique obligatoire, en particulier dans l'éducation populaire. Elles y trouvent certes leur intérêt, mais pour les jeunes aussi le service civique est une expérience intéressante. Nous donnons consigne à l'Agence du service civique de la plus grande vigilance vis-à-vis de ce risque de substitution à l'emploi ; nous veillons également à ce que les associations les plus modestes aient accès au service civique.

M. Michel Bonnus . - Il faut communiquer sur les dispositifs, nous devons être complémentaires et informer tout le monde : je vais m'y employer, c'est décisif.

Mme Sylvie Hel-Thelier . - Effectivement, nous nous y employons également, en particulier dans le dispositif « La boussole des jeunes ».

M. Michel Bonnus . - Nous aurions dû parler de tout cela avant de voter comme nous l'avons fait contre le port du voile pour les accompagnantes scolaires
- je me suis pour ma part abstenu. Car les accompagnantes sont indispensables, elles sont une source d'information incomparable, un lien avec bien des familles, des fratries, et en leur refusant l'accompagnement, nous nous privons en réalité d'un lien très important, d'une confiance qui est indispensable - sans compter que si nous manquons d'accompagnants, les enfants ne sortiront plus de l'école, de leur quartier, ils n'iront plus à la piscine ni aux activités culturelles.

Je le dis sans détour : dans mon canton, à Toulon, je compte au moins une vingtaine d'écoles où interdire aux accompagnantes de porter le voile, c'est s'interdire d'avoir des accompagnantes tout court, avec pour conséquence que les enfants ne participeront plus aux activités extérieures à l'école, mais également que nous couperons un lien avec bien des familles de ces quartiers et que nous préparerons plus de difficultés à l'avenir.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - J'en suis bien d'accord, même si ce n'est pas le débat d'aujourd'hui.

M. Michel Bonnus . - J'entends bien, mais les questions sont étroitement liées.

M. Jean Hingray , président . - Je me réjouis, comme centriste, que notre mission réconcilie la gauche et la droite...

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Le Fonds d'expérimentation pour la jeunesse sera-t-il pérennisé ?

Mme Emmanuelle Pérès . - Nous y travaillons, notre objectif est bien de le pérenniser. Il s'agit de faire émerger l'innovation, de l'évaluer et de la partager. Nous avons acquis une expertise et une ingénierie dans la capacité à mesurer l'impact d'expérimentations portées par les acteurs du territoire et à les généraliser lorsqu'elles marchent. Il est important que l'État soutienne des démarches innovantes, assorties d'évaluation.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Qu'en est-il du programme d'investissement d'avenir qui avait financé des projets innovants en faveur de la jeunesse ?

Mme Emmanuelle Pérès . - C'était dans le même esprit, avec un autre circuit de financement. Nous nous adapterons quel que soit le canal de financement.

M. Jean Hingray , président . - Merci pour toutes ces informations.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat .

Audition de Mme Bénédicte Legrand-Jung, adjointe au délégué général
à l'emploi et à la formation professionnelle, M. Stéphane Rémy,
sous-directeur chargé des politiques de formation et du contrôle
et Mme Cécile Charbaut, adjointe au sous-directeur
en charge des parcours d'accès à l'emploi

(Mardi 11 mai 2021)

M. Jean Hingray , président . - Mes chers collègues, nous entendons cet après-midi Mme Bénédicte Legrand-Jung, adjointe au délégué général à l'emploi et à la formation professionnelle, qui est accompagnée de M. Stéphane Rémy, sous-directeur chargé des politiques de formation et du contrôle, et de Mme Cécile Charbaut, adjointe au sous-directeur chargé des parcours d'accès à l'emploi.

Mme Bénédicte Legrand-Jung, adjointe au délégué général à l'emploi et à la formation professionnelle . - Je commencerai par un certain nombre de constats concernant la situation des jeunes sur le marché du travail.

Le taux de chômage des jeunes est très élevé, notamment pour les moins qualifiés. Fin 2020, ce taux était 2,3 fois supérieur à celui de la population générale. Le nombre des jeunes sans emploi ni formation est très important : on dénombre près de 1 million de jeunes sans emploi ni formation initiale ou professionnelle, les fameux NEET - Not in Education, Employment or Training. Le nombre des jeunes travailleurs précaires est, quant à lui, de l'ordre de 320 000 environ.

On sait par ailleurs qu'une part importante de cette population n'est pas accompagnée par le service public de l'emploi, ce qui soulève évidemment des problèmes en termes de repérage, et n'est pas indemnisée par l'assurance chômage.

Les jeunes se trouvant dans une situation de grande précarité sociale et financière cumulent, non seulement un handicap en matière d'accès à l'emploi, lié à leur niveau de qualification, mais aussi des handicaps sociaux : ils sont souvent confrontés à des problèmes de logement et de santé. Ce n'est pas un hasard si les jeunes issus des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) ou des zones de revitalisation rurale (ZRR) sont surreprésentés.

Il existe en outre une problématique spécifique aux jeunes mineurs : 60 000 jeunes âgés de seize et dix-sept ans sont sans emploi ni en formation.

Enfin, il faut évoquer les conséquences sociales de la crise économique et sanitaire sur la situation des jeunes, en particulier les effets de la non-création d'emploi et du gel des embauches dans les entreprises. En période normale, le nombre des jeunes entrant sur le marché du travail s'élève à 750 000 en moyenne chaque année.

L'ensemble de ces constats a conduit le Gouvernement à mettre en place, dans le cadre du plan France Relance, un plan très ambitieux en faveur des jeunes, le plan « 1 jeune, 1 solution », doté de plus de 9 milliards d'euros, qui mobilise un éventail très large de dispositifs pour répondre aux problèmes rencontrés par les jeunes. Dans cette perspective, nous sommes particulièrement attentifs aux conditions de mise en oeuvre opérationnelle et territoriale des mesures envisagées et à leur accessibilité pour les jeunes.

La politique menée par le ministère du travail et de l'emploi en faveur de l'insertion des jeunes est centrée autour de trois axes.

Le premier axe majeur concerne les mesures visant à favoriser un accès direct à l'emploi. C'est notamment le cas via le développement de l'apprentissage et de la formation par alternance. Celle-ci permet à tous les jeunes dès seize ans, voire dès quinze ans dès lors que ceux-ci ont achevé leur scolarité au collège, d'alterner un enseignement théorique en centre de formation des apprentis (CFA) et un enseignement pratique en entreprise, format qui peut être particulièrement adapté à des jeunes qui considèrent que l'enseignement scolaire est contraignant.

La formation par alternance offre aux jeunes la possibilité de bénéficier d'une rémunération, ce qui n'est pas négligeable pour des individus en quête d'émancipation et d'autonomie. Cette formation est gratuite et garantit l'accès à un certain nombre d'autres avantages, comme par exemple une aide au permis de conduire.

L'alternance a été profondément modifiée par la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, tant en ce qui concerne les relations entre l'employeur et l'apprenti que son financement. La réforme vise à développer l'apprentissage pour faciliter l'emploi et l'insertion des jeunes, en levant les freins au développement des CFA, en centrant la formation sur les pratiques des entreprises et en l'adaptant à leurs besoins. Dans ce cadre, une attention particulière a été portée aux publics les plus fragiles, comme les jeunes travailleurs handicapés, pour lesquels la durée du contrat peut être étendue d'un an par rapport aux jeunes non handicapés.

Je citerai également l'exemple de la prépa apprentissage. Ce dispositif, qui a fait l'objet d'appels à projets financés dans le cadre du plan d'investissement dans les compétences (PIC), a pour objet d'offrir aux jeunes un parcours dans la durée, sécurisé, modulable en fonction de leurs besoins, ce qui leur permet de travailler sur leurs prérequis et leurs compétences relationnelles. Il s'agit de limiter les ruptures prématurées de contrats d'apprentissage.

Dans le cadre de la crise sanitaire, le Gouvernement a souhaité amplifier les efforts en matière d'apprentissage au travers de plusieurs actions.

Je pense tout d'abord à l'aide à l'embauche de jeunes en contrat de professionnalisation, qui s'élève à 5 000 euros pour les apprentis mineurs et à 8 000 euros pour les majeurs. Cette aide financière a été prolongée jusqu'à la fin de l'année 2021.

L'effort porte en priorité sur les apprentis dont les niveaux de qualification sont les plus bas. Ainsi, les entreprises de moins de 250 salariés recrutant des jeunes jusqu'au niveau du bac peuvent bénéficier, le cas échéant, au terme de la première année du contrat d'apprentissage, d'avantages financiers exceptionnels. Par ailleurs, le délai de signature d'un contrat d'apprentissage avec une entreprise a été prolongé de trois à six mois après le début de la formation en CFA, et le forfait de premier équipement de 500 euros par apprenti a été étendu à l'achat de matériel informatique pour lutter contre la fracture numérique.

Au-delà de l'apprentissage, plusieurs aides directes à l'embauche des jeunes ont été mises en oeuvre.

C'est le cas de l'aide à l'embauche des jeunes, prévue du 1 er août 2020 au 31 mai 2021, qui est destinée à l'ensemble des entreprises embauchant un jeune de moins de vingt-six ans dans la limite de 1,6 SMIC. Cette aide peut atteindre 4 000 euros pour des embauches en CDD de plus de trois mois ou en CDI.

Les emplois francs sont un autre exemple. Ils font l'objet d'une expérimentation depuis 2018. Désormais généralisé, ce dispositif géré par Pôle emploi facilite le recrutement de personnes résidant dans les QPV par une aide aux employeurs qui les embauchent en CDD de plus de six mois ou en CDI. Afin de maintenir un avantage pour les jeunes résidant en QPV, le montant de l'aide a été bonifié, pour les embauches intervenues à partir du 15 octobre 2020, pour atteindre 7 000 euros la première année pour une embauche en CDI.

Du mois d'août au mois de décembre 2020, environ 1,2 million de jeunes ont été recrutés en CDI ou en CDD, chiffre à peu près équivalent à celui que l'on observait sur la même période en 2018. Nous avons donc réussi à protéger les jeunes de moins de vingt-six ans durant la crise sanitaire, l'apprentissage ayant évidemment beaucoup contribué à ces bons résultats, puisque plus de 500 000 contrats d'apprentissage ont été conclus en 2020. Ce chiffre s'inscrit dans la dynamique que l'on observait déjà en 2019, avec une augmentation de 16 % du volume des contrats sur l'année.

Le deuxième axe des politiques d'insertion concerne le développement de la formation professionnelle des jeunes en recherche d'emploi.

Les efforts déployés ont été confortés dans le cadre du PIC. Sur la période 2018-2022, notre objectif est de former 2 millions de jeunes demandeurs d'emploi peu ou pas qualifiés supplémentaires, moyennant un investissement financier significatif. Le plan se décline au niveau territorial en lien avec les conseils régionaux dans le cadre des pactes régionaux d'investissement dans les compétences (PRIC). Aujourd'hui, on constate une forte augmentation du recours des jeunes demandeurs d'emploi à la formation, puisque les moins de trente ans représentent près de 40 % des nouveaux bénéficiaires.

Le renforcement de la formation professionnelle des jeunes se concrétise aussi au travers du plan « 1 jeune, 1 solution ». L'objectif est d'atteindre 100 000 entrées en formation préqualifiante ou qualifiante supplémentaires. Le pilotage de cette action se fait en lien étroit avec Pôle emploi et les missions locales pour la formation et l'emploi des jeunes, qui sont les prescripteurs en matière de formation professionnelle des jeunes.

La deuxième mesure importante en matière de formation repose sur la revalorisation du barème de la rémunération des stagiaires, prévue par la loi de finances pour 2021. Cette réforme est en cours : elle repose sur le constat que le niveau des rémunérations était désincitatif et que leur évolution dépendait de critères trop complexes. La revalorisation est nette : pour les jeunes mineurs, elle passe de 130 à 200 euros ; pour les jeunes de dix-huit à vingt-cinq ans, elle passe à 500 euros.

Troisième mesure, nous allons étendre le bénéfice de cette rémunération aux jeunes qui sont engagés dans les parcours d'accompagnement financés par le PIC.

Le troisième axe des politiques d'insertion, qui s'est lui aussi considérablement développé dans le cadre du plan « 1 jeune, 1 solution », s'articule autour des parcours d'accompagnement et d'insertion des jeunes les plus éloignés de l'emploi, notamment ceux qui cumulent les handicaps : faible niveau de qualification, mauvais état de santé, problèmes de logement ou de mobilité, par exemple.

On peut distinguer, dans un premier temps, les parcours mis en oeuvre par les opérateurs du service public de l'emploi, à commencer bien sûr par les missions locales. Celles-ci sont notamment responsables des parcours contractualisés d'accompagnement vers l'emploi et l'autonomie (Pacea), sorte de cadre de droit commun de l'accompagnement des jeunes. Il s'agit d'un cadre souple offrant à tous les jeunes un accompagnement par phase pour une durée qui peut aller jusqu'à vingt-quatre mois. Les jeunes peuvent alors bénéficier d'une allocation ponctuelle pour répondre à des besoins financiers spécifiques.

Les missions locales sont aussi chargées du déploiement de la Garantie jeunes, dispositif destiné aux jeunes en situation de précarité, très orienté sur leur expérience professionnelle, et dont la durée peut atteindre jusqu'à dix-huit mois.

Le plan « 1 jeune, 1 solution » se fonde sur des objectifs ambitieux, qui ont évidemment fait l'objet d'échanges avec l'Union nationale des missions locales (UNML) : il vise à doubler le nombre des jeunes accompagnés dans le cadre du dispositif de la Garantie jeunes en 2021 pour atteindre 200 000 jeunes ; il vise également à augmenter de 80 000 le nombre de jeunes engagés dans un Pacea pour passer à 420 000. Pour ce faire, un certain nombre de mesures ont été prises, et des moyens supplémentaires sont consacrés aux missions locales pour financer l'accompagnement des jeunes.

Le dispositif d'accompagnement intensif de Pôle emploi destiné aux jeunes éprouvant des difficultés d'accès à un emploi durable a par ailleurs été considérablement renforcé dans le cadre du plan « 1 jeune, 1 solution » : l'objectif est que 240 000 jeunes puissent bénéficier de cet accompagnement intensif au cours de l'année 2021.

Enfin, nous prévoyons de mettre en place des mesures de sécurisation financière des parcours pour faire face à la hausse de la précarité financière des jeunes. Le Gouvernement a annoncé une revalorisation de l'allocation Pacea, dont le plafond a été porté de trois fois à six fois le montant mensuel du RSA sur une période de douze mois, et prévoit une aide équivalente pour les jeunes accompagnés par Pôle emploi ou par l'APEC, ainsi qu'à destination des jeunes diplômés ex-boursiers.

À côté des parcours suivis par les opérateurs du service public de l'emploi, il existe tout un catalogue de solutions proposées aux jeunes les plus éloignés de l'emploi.

Je pense aux contrats aidés. Pour les parcours emploi compétences (PEC) dans le secteur non marchand - associations et collectivités locales - l'objectif est de financer 80 000 PEC en 2021, en sachant que la prise en charge de l'État a été portée à 65 %. S'agissant du contrat initiative emploi (CIE) jeunes, contrat aidé du secteur marchand, sa durée potentielle a été allongée. Depuis la réforme de 2018, le cadre de ces contrats, notamment dans le secteur non-marchand, est plus qualitatif, avec un caractère plus insérant. On le constate sur les taux de sortie des bénéficiaires de ces contrats aidés.

Nous investissons aussi dans l'insertion par l'activité économique (IAE), via le recours aux structures d'insertion par l'activité économique. À souligner, l'existence d'un pacte d'ambition pour l'insertion par l'activité économique qui vise à augmenter significativement le nombre d'entrées dans les parcours de retour vers l'emploi : l'objectif est d'atteindre 35 000 jeunes en 2021.

Enfin, il faut évoquer les dispositifs de soutien à la création d'activité, qui peuvent constituer une solution adaptée pour un certain nombre de jeunes. Un appel à projets visant à développer le travail indépendant et la création d'activité comme solution d'insertion a été lancé. Dans ce cadre, 15 000 parcours de jeunes pourront être financés.

Les jeunes peuvent en outre profiter de l'action de structures comme les établissements pour l'insertion dans l'emploi, les Epide, ou les écoles de la deuxième chance, qui sont soutenus dans le cadre du plan d'investissement des compétences.

Je souhaite enfin faire un point sur les dispositifs à destination des mineurs, notamment dans le cadre de l'obligation de formation, entrée en vigueur le 1 er septembre 2020 dans le cadre de la loi pour une école de la confiance de juillet 2019. Je citerai en particulier le programme « La Promo 16.18 » proposé par l'Agence pour la formation professionnelle des adultes, l'AFPA, qui vise à formuler des solutions pour les jeunes mineurs décrocheurs, en leur proposant un véritable sas de remobilisation de quatre mois.

Enfin, certains appels à projets financés dans le cadre du plan d'investissement dans les compétences sont destinés à repérer les jeunes dits « invisibles » Un premier appel à projets a permis de financer 237 projets destinés à accompagner près de 34 000 de ces jeunes. Le but est de faire émerger des méthodes d'approche innovantes pour repérer les jeunes concernés et les orienter vers les acteurs institutionnels de la prise en charge et de l'accompagnement.

La mise en oeuvre opérationnelle de ces mesures est évidemment très importante. Le plan « 1 jeune, 1 solution » vise avant tout à garantir un accès effectif des jeunes et des entreprises aux mesures en vigueur.

Dans cette logique, une attention particulière est portée à la coordination des opérateurs du service public de l'emploi, notamment Pôle emploi et les missions locales, mais aussi les Cap emploi qui accompagnent les jeunes travailleurs handicapés. Cette politique fait l'objet d'un pilotage resserré au niveau territorial sous l'égide des préfets. Enfin, il faut mentionner certains outils comme la plateforme « 1 jeune, 1 solution », plateforme numérique destinée à proposer aux jeunes un accès simple et ergonomique à l'ensemble des solutions proposées dans le cadre du plan, mais également aux offres d'emploi et de stage.

Mme Agnès Canayer . - Ma première question porte sur la complexité des dispositifs existant sur le terrain : leur multitude ne nuit-elle pas à leur lisibilité ? Ne pensez-vous pas que certaines mesures, plus attractives, vont supplanter d'autres mesures pourtant intéressantes ?

Dans le cadre du dispositif prépa apprentissage, les rémunérations prévues n'ont pas encore été versées aux jeunes concernés : est-ce prévu dans un avenir proche ?

Ne pensez-vous pas qu'une meilleure coordination entre les outils informatiques (Ouiform pour les régions, I-MILO pour les missions locales...) sur lesquels reposent les différents dispositifs que vous avez évoqués accroîtrait leur efficacité ?

Enfin, pourriez-vous nous parler de la Garantie jeunes universelle ?

M. Laurent Burgoa . - Dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville, les dispositifs et les intervenants sont nombreux, manquent parfois de visibilité et les jeunes ne savent pas à qui s'adresser. Ne conviendrait-il pas de rationaliser ?

Mme Bénédicte Legrand-Jung . - Vous posez la question de l'accompagnement financier des parcours. Avec le plan de lutte contre la pauvreté, l'objectif est de sécuriser les parcours des jeunes, notamment par le biais de l'allocation Pacea, qui est gérée par les conseillers des missions locales, en lien éventuellement avec les conseillers de Pôle emploi : cette allocation permet de faire face aux besoins ponctuels des jeunes, dans le cadre de leur parcours d'insertion, ou à une situation d'urgence ou de précarité.

Vous soulignez aussi le risque d'écarts de rémunération entre les différents dispositifs. Dans le cadre de la réforme de la formation professionnelle, le niveau de la rémunération des jeunes en formation a été aligné sur le niveau de la Garantie jeunes. Cette revalorisation du barème est importante et va dans le sens que vous indiquez.

La refonte des systèmes d'information constitue un chantier structurant et de longue haleine. Nous travaillons à renforcer les articulations entre les systèmes d'information de Pôle emploi et des missions locales. Le projet Agora vise à recenser toutes les personnes inscrites dans un dispositif formation professionnelle, quel que soit le financeur, ce qui permettra d'avoir des données de pilotage mieux intégrées. L'outil Ouiform permet déjà aux différents prescripteurs de positionner les jeunes sur un catalogue de formations, qui est celui des Carif-Oref. La réforme des systèmes d'information est aussi au coeur du chantier du service public de l'insertion et de l'emploi ; il s'agit de faciliter le partage des données entre tous les acteurs.

La ministre de l'emploi, du travail et de l'insertion a l'ambition de créer une Garantie jeunes universelle, afin de pouvoir proposer à chaque jeune privé d'emploi, à chaque jeune NEET, un accompagnement renforcé et un parcours sécurisé, grâce à une garantie de ressources, pour permettre l'insertion sur le marché du travail. L'objectif est d'accroître l'autonomie des jeunes, dans une logique d'émancipation par le travail, tout en veillant à la simplicité du mécanisme et à sa personnalisation ; les réflexions sont en cours.

Vous avez aussi évoqué la question de la multiplicité des acteurs et de la lisibilité des dispositifs. C'est un sujet important. L'accord-cadre de partenariat renforcé entre Pôle emploi et les missions locales vise déjà à renforcer la fluidité entre les organismes. Je pourrais aussi mentionner l'appel à projets « 100 % inclusion » du plan d'investissement dans les compétences, qui vise à financer des projets innovants afin d'accompagner les personnes dans une logique sans couture, à 360 degrés, pour garantir la fluidité de leur parcours.

Quant à la plateforme « 1 jeune, 1 solution », elle fournit aux jeunes des outils pour qu'ils puissent s'orienter directement, entrer en relation avec des entreprises ou avec des conseillers des missions locales.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Quel regard portez-vous sur l'initiative de la préfecture de la région Ile-de-France qui a mis en oeuvre un plan régional d'insertion pour la jeunesse (PRIJ) pour mettre en cohérence les différentes interventions en faveur des jeunes ?

Mme Cécile Charbaut, adjointe au sous-directeur en charge des parcours d'accès à l'emploi . - Nous avons eu des contacts avec la préfecture dans le cadre de ce PRIJ et des travaux préparatoires à la mise en oeuvre de l'obligation de formation des jeunes de 16 à 18 ans. La démarche de la préfecture est très intéressante, notamment en ce qui concerne la coordination des acteurs et le repérage des jeunes. Ces échanges sont fructueux et cela nourrit nos réflexions.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Concernant l'obligation de formation jusqu'à 18 ans, quelles sont les actions qui sont développées par le ministère du travail ?

Mme Bénédicte Legrand-Jung . - Les actions sont de différentes natures. Il a fallu définir le cadre réglementaire pour préciser le fonctionnement du dispositif, le rôle des différents acteurs, l'offre de solutions disponible. Le ministère du travail y a pris part, en lien étroit avec le ministère de l'éducation nationale et la délégation interministérielle à la prévention et à lutte contre la pauvreté. Le ministère entretient aussi un dialogue étroit avec les missions locales sur le déploiement du dispositif et pour faire en sorte que les missions locales disposent des données de l'éducation nationale sur les décrocheurs grâce à une articulation de leurs systèmes d'information. Nous travaillons aussi avec les missions locales pour définir l'offre de services à leur disposition et les moyens qu'on leur fournit dans ce cadre. Il y a aussi le dispositif « La Promo16.18 », conçu avec l'Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes (l'AFPA), qui est déployé depuis l'année dernière au bénéfice des mineurs décrocheurs, notamment sous le pilotage des missions locales et qui permet aux jeunes d'avoir un parcours de mobilisation de quatre mois, avec des phases collectives et individuelles, de découverte des métiers, de travail, d'approfondissement de ses compétences relationnelles, etc.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - En somme, vous étendez avec ce plan ce qui a déjà cours avec la Garantie jeunes !

Mme Bénédicte Legrand-Jung . - Ce dispositif est destiné et conçu pour les mineurs. La Garantie jeunes a pour objectif de déboucher sur une formation ou un emploi. La Promo 16.18 est un dispositif de remobilisation qui intervient en amont, pour aider les jeunes à entrer dans un dispositif d'accompagnement.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Tous les jeunes décrocheurs seront-ils repérés et accompagnés de la sorte ? Il est quand même assez simple de repérer ces jeunes !

Mme Bénédicte Legrand-Jung . - Notre objectif est de repérer ces jeunes et de leur proposer des solutions. Le dispositif proposé par l'AFPA n'est qu'une solution parmi d'autres, au même titre que le retour dans la formation initiale par exemple.

Mme Cécile Charbaut . - L'obligation de formation est pilotée par les plateformes de suivi et d'appui aux décrocheurs (PSAD), instances de coordination entre tous les acteurs qui sont copilotés par les centres d'information et d'orientation (CIO) et les missions locales. Les PSAD ont vocation à repérer les mineurs en situation de décrochage scolaire grâce à des échanges de données, ou avec le concours des acteurs mobilisés dans le cadre de l'appel à projets « repérer et mobiliser les publics invisibles » pour identifier les jeunes hors listes. Nous nous efforçons, en développant les échanges de données, d'être plus réactifs pour repérer les cas de décrochage, prendre contact avec le jeune et sa famille, réaliser un diagnostic et lui proposer une orientation adaptée.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Et l'éducation nationale ? Ne serait-il pas plus simple qu'elle fournisse directement les coordonnées des décrocheurs ?

Mme Agnès Canayer . - L'enjeu, en effet, est d'éviter les décrochages et de renforcer la coopération entre tous les acteurs en amont. Cette coopération prend des formes diverses selon les territoires. Cela vaut aussi avec les départements pour les jeunes de l'aide sociale à l'enfance (ASE). Dans tous les cas, il faut anticiper et réagir vite pour ne pas perdre le contact avec les jeunes. Or les différentes structures ont parfois du mal à se parler. Je prends l'exemple d'une école de production, sur mon territoire, qui forme des jeunes de 15 à 16 ans en situation de décrochage aux métiers de la chaudronnerie : elle n'arrive pas à obtenir la reconnaissance de l'éducation nationale.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - J'ai présidé une mission locale : je n'ai pas le souvenir de liens avec l'éducation nationale... C'est dommage. On pourrait éviter ainsi de perdre la trace des jeunes qui sortent sans qualification du système scolaire.

Mme Bénédicte Legrand-Jung . - Le partenariat avec l'éducation nationale est au coeur du dispositif et de l'obligation de formation jusqu'18 ans. L'enjeu du chantier de refonte des systèmes d'informations est bien de parvenir à avoir des données en temps réel pour pouvoir détecter un jeune qui décroche et intervenir rapidement. Les ministres du travail et de l'éducation nationale ont donné des instructions à leurs services pour qu'ils travaillent ensemble dans le pilotage régional de l'obligation de formation, sous l'égide des préfets et des recteurs d'académie, en association aussi avec les régions. La volonté politique est forte. Les départements sont également associés en ce qui concerne les jeunes de l'ASE. Le décret dispose ainsi qu'en cas d'absence de solution dans le cadre de l'obligation de formation, le président du conseil départemental est alerté.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Certains dispositifs d'insertion s'accompagnent d'une allocation, d'autres non. Ne faudrait-il pas décorréler la formation et la rémunération ? Ne doit-on pas craindre que les jeunes ne s'orientent en priorité vers les formations les mieux rémunérées, mais peut-être pas les plus pertinentes pour eux ? Ne faudrait-il pas instaurer un revenu minimum pour les jeunes, indépendamment de la voie qu'ils ont choisie ?

Mme Bénédicte Legrand-Jung . - Des étapes ont déjà été franchies dans le sens que vous indiquez, avec, par exemple, la revalorisation de la rémunération des stagiaires en formation professionnelle. Le plan « 1 jeune, 1 solution » vise à développer l'accompagnement des jeunes, en sécurisant leur situation financière.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Le plan de relance contient des crédits exceptionnels en faveur de l'insertion des jeunes. Seront-ils pérennes ? Toute une génération de jeunes aura vu ses conditions de scolarité bouleversées avec la crise et risque d'être longtemps handicapée.

Mme Bénédicte Legrand-Jung . - Le plan de relance a été conçu pour faire face à la crise et accompagner aussi longtemps que nécessaire les jeunes. C'est le cas, par exemple, avec la prolongation des aides en faveur de l'apprentissage.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - La réforme de l'assurance chômage est controversée et frappera durement les jeunes, qui, pour certains, commenceront leur vie professionnelle par le chômage. Comment estimez-vous ses effets sur les jeunes ? La précarité ne risque-t-elle pas de les entrainer dans la spirale de l'échec ? N'est-ce pas en contradiction avec les annonces du Gouvernement en faveur de la jeunesse ? Le Gouvernement reverra-t-il sa copie ? Et si oui, comment ?

Mme Bénédicte Legrand-Jung . - Un plan massif a été mis en place pour proposer à tous les jeunes demandeurs d'emploi - qu'ils soient ou non indemnisés ou inscrits à Pôle emploi - des solutions d'insertion. Ce plan, d'une ampleur inédite, mobilise tous les leviers possibles pour aider les jeunes à s'insérer sur le marché du travail.  Je rappelle aussi les efforts de sécurisation financière entrepris avec la revalorisation de la rémunération des stages de formation professionnelle ou grâce à l'allocation Pacea.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Constate-t-on déjà une hausse du nombre d'apprentis en lien avec la hausse des rémunérations ?

Mme Bénédicte Legrand-Jung . - Pour le déterminer, il faudrait pouvoir réaliser des analyses macroéconomiques très fines : il est toujours difficile d'apprécier l'efficacité d'un dispositif, de faire la part des effets d'aubaine... Les centres de formation d'apprentis ont été durement frappés par la crise et ont dû adapter leur enseignement pour maintenir les enseignements à distance. Toutefois, les entrées en apprentissage ont continué à augmenter, avec 500 000 contrats conclus cette année. C'est lié à la réforme structurante de 2018. La hausse des aides a sans doute joué aussi et s'inscrit dans le cadre de cette politique d'ensemble.

M. Stéphane Rémy, sous-directeur en charge des politiques de formation et du contrôle . - Nous avons instauré un dialogue hebdomadaire avec les CFA à partir du 16 mars pour assurer la continuité pédagogique, notamment la formation à distance. Cela a été un succès. Une enquête de la Fédération nationale des associations régionales de directeurs de CFA montre que, dans 92 % des cas, des solutions en distanciel ont été proposées aux apprentis. On a aussi été attentif à éviter le risque de fracture, notamment pour les premiers niveaux, qui sont moins équipés, d'où l'importance du forfait de premier équipement. Au printemps 2020, on craignait une rentrée catastrophique car les prévisions faisaient état d'une chute annoncée de l'apprentissage de 25 % à 40 %. On a réussi à inverser la tendance. La réforme de 2018 a joué, car dès 2019, la hausse était de 16 %. La refonte des aides a aussi joué un rôle important. Elles ont été relevées pour tous les niveaux, toutes les entreprises. La question reste posée de savoir comment ces aides seront maintenues en sortie de crise. L'aide unique prendra le relais pour les entreprises de moins de 250 salariés et pour les formations de niveau inférieur ou égal au bac. La réforme a joué un rôle structurant. L'éventail d'offres de formation par apprentissage s'est développé. Des CFA d'entreprise sont apparus. Le système a été revu en profondeur. Il n'y a plus besoin d'une autorisation administrative de la région ; les branches professionnelles déterminent les niveaux de prise en charge en fonction des besoins économiques et les employeurs ont joué le jeu.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - L'aide à l'embauche des jeunes est versée à des entreprises qui embauchent aussi bien en CDD qu'en CDI. Ne craignez-vous pas que cette mesure crée des effets d'aubaine au profit des employeurs ?

Mme Bénédicte Legrand-Jung . - La décision a en effet été prise de verser l'aide à l'embauche des jeunes aux employeurs recrutant un jeune de moins de vingt-six ans en CDD de plus de trois mois ou en CDI.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Il serait certainement utile de mesurer rapidement les effets de cette décision.

Afin de promouvoir un égal accès aux compétences, le Gouvernement a lancé un plan d'investissement dans les compétences doté de 15 milliards d'euros pour la période 2018-2022, afin de financer des actions visant le développement des compétences des demandeurs d'emploi faiblement qualifiés et des jeunes sans qualification, dont les personnes en situation de handicap et les personnes issues des QPV et des ZRR. Quels sont vos leviers d'action dans le cadre de ce plan ? Pour quels résultats ?

Mme Bénédicte Legrand-Jung . - Le PIC vise en effet à renforcer l'accès à la formation des demandeurs d'emploi dans leur ensemble, et notamment les moins qualifiés, les jeunes et les individus les plus fragiles. Nous observons une hausse significative du recours de ces publics à la formation : un demandeur d'emploi sur six y a accès aujourd'hui, contre un sur dix en 2015.

Mme Agnès Canayer . - Les opérateurs de compétences, les OPCO, n'informent pas suffisamment bien sur la qualité, la spécificité et les modalités d'accès à telle ou telle formation, ce qui rend plus délicate l'orientation d'un certain nombre de jeunes.

Mme Bénédicte Legrand-Jung . - Ce ne sont pas les OPCO qui sont responsables de la qualité de l'information relative à l'offre de formation, mais le réseau des Carif-Oref, qui sont des acteurs financés par les conseils régionaux. Comme vous le soulignez, l'un de nos objectifs est d'améliorer la visibilité et l'accessibilité au catalogue des formations.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Un certain nombre de régions se sont manifestées encore récemment pour témoigner que la création des CFA d'entreprise n'était pas forcément une bonne chose, notamment parce que ces centres vidaient de leur substance les CFA existants. Il faut reconnaître que la formation d'un apprenti par une entreprise répond aux besoins de l'entreprise et ne permet pas nécessairement de lui délivrer une formation applicable partout.

Mme Bénédicte Legrand-Jung . - Les CFA d'entreprise doivent respecter exactement les mêmes obligations que les CFA, notamment en ce qui concerne la qualité de l'enseignement délivré. Aujourd'hui, le développement de l'apprentissage profite aussi bien aux CFA « traditionnels » qu'aux CFA d'entreprise : l'un n'empêche pas l'autre.

M. Stéphane Rémy . - La loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel visait à développer l'offre de formation par l'apprentissage, y compris dans le cadre des 53 CFA d'entreprise que nous avons recensés.

La très grande majorité des CFA dits « historiques » se portent bien. Au total, ce sont 2 400 organismes qui déclarent faire de l'apprentissage aujourd'hui : je vous confirme que ces structures sont toutes assujetties aux mêmes règles.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Il faudra certainement se donner le temps d'évaluer cette réforme. Je vous remercie pour cette audition de grande qualité.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat .

Audition de M. Louis Schweitzer, président du comité d'évaluation
de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté

(Mercredi 26 mai 2021)

M. Jean Hingray , président . - Mes chers collègues, nous avons le plaisir d'accueillir M. Louis Schweitzer, président du comité d'évaluation de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté. Vous êtes accompagné de Mme Marine de Montaignac, rapporteure du comité d'évaluation. Je vous remercie de votre présence.

Je vous propose de rentrer dans le vif du sujet avec un propos liminaire avant de répondre aux questions.

M. Louis Schweitzer . - Mesdames et messieurs les sénatrices et les sénateurs, mon exposé sera complété par Marine de Montaignac.

Je commence par quelques mots sur la stratégie de lutte contre la pauvreté. Elle a été annoncée à l'automne 2018. Le comité d'évaluation a été créé à l'automne 2019. Il a publié une première note en mars 2020, une note sur les premiers effets de la covid à l'automne 2020 et un premier « vrai » rapport en mars 2021. Nous ferons, par la suite, une nouvelle note sur l'impact de la covid sur la lutte contre la pauvreté à l'automne 2021 en espérant que la crise sanitaire sera derrière nous et que nous serons en état d'en mesurer les effets. Nous ferons un nouveau rapport annuel à la fin du printemps 2022, après la période électorale.

En France, il existe un accord universel sur l'égalité des droits et il est parfaitement établi dans les textes. Les discriminations montrent que quelques pas restent à accomplir pour aboutir à l'égalité des droits dans les faits. L'égalité des chances fait aussi l'objet d'un accord général sur le plan des principes, mais dont tout le monde s'accorde à reconnaître qu'elle n'est pas encore effective. L'égalité des situations, en revanche, ne fait pas l'objet d'un accord de principe. Mais une trop forte inégalité des situations rend impossible une réelle égalité des chances. C'est là où la stratégie de lutte contre la pauvreté rencontre les préoccupations de votre mission, puisque la pauvreté compromet l'égalité des chances. Des exemples caricaturaux, comme l'accès aux grandes écoles, l'illustrent, mais on constate, à tous les niveaux, une corrélation entre le parcours futur et les origines. Toutefois, la France est, sur ce plan, mieux placée que les États-Unis, où le mythe de l'égalité des chances existe, mais où elle a moins de réalité qu'en France.

Dans notre rapport, nous avons pour mission d'évaluer la mise en oeuvre effective de la stratégie de lutte contre la pauvreté, telle qu'elle a été définie par le Gouvernement. Elle comporte des mesures, d'une part en faveur de l'enfance et de l'adolescence pour assurer l'égalité des chances et, d'autre part, une série de mesures pour assurer l'accès à l'emploi et aux droits.

Nous avons ajouté un troisième volet dans notre évaluation : le respect de l'engagement d'éliminer la grande pauvreté, qu'a pris la France devant l'Organisation des nations unies (ONU). Au demeurant, et paradoxalement, les situations de grande pauvreté ne sont pas encore parfaitement définies en droit alors même qu'on a fixé un calendrier pour 2030. Si on estime que cette grande pauvreté consiste en un revenu par unité de consommation inférieur à la moitié du revenu médian accompagné de privations matérielles mesurées, on voit bien que, si la famille se trouve dans cette situation, l'enfant n'aura pas les mêmes chances, quoi que vous fassiez pour lui, qu'un enfant grandissant dans une famille plus favorisée. La lutte contre la grande pauvreté est donc un des éléments de l'égalité des chances des jeunes et des enfants.

La première mission de notre comité était de voir la mise en oeuvre effective de la stratégie annoncée par le Gouvernement. Marine de Montaignac va vous en faire une présentation. Auparavant, je voudrais vous dire que le comité a constaté, avec un certain chagrin, que les instruments de suivi de la mise en oeuvre effective de la stratégie, préalable à l'évaluation de son efficacité qui est notre mission première, étaient incomplets, tardifs et peu cohérents. Nous menons, malgré cela, une action de suivi.

Marine de Montaignac va vous exposer le suivi des mesures qui intéressent spécifiquement le comité, puis je dirai quelques mots de la mesure particulière concernant la garantie de ressource des jeunes de 18 à 24 ans.

Mme Marine de Montaignac . - Nous allons vous parler du suivi de la mise en oeuvre et de l'état de connaissance en matière de l'évaluation de la stratégie. Je vous propose également de vous donner une vue d'ensemble sur les 35 mesures de la stratégie, puisque plusieurs s'appliquent également au public qui vous intéresse.

Cette présentation s'appuie sur des éléments du rapport du comité d'évaluation publié début avril.

Le comité a publié tout d'abord une note d'étape en mars 2020, dans laquelle il avait précisé comment il procéderait pour son évaluation. Il avait ainsi indiqué que, pour les 35 mesures de la stratégie qu'il avait recensées, il s'attacherait, d'une part, à suivre leur mise en oeuvre et à évaluer l'effet de chacune des mesures, et d'autre part à procéder à l'évaluation de la stratégie dans son ensemble, sur la pauvreté et les objectifs visés. Il a également décidé d'évaluer la démarche adoptée pour mettre en oeuvre les mesures de la stratégie sur les territoires, qui en représentent un axe fort.

Le comité programme des travaux d'évaluation, s'appuie sur des travaux menés par les administrations ou par la délégation interministérielle à la prévention et à la lutte contre la pauvreté (DIPLP), et, pour les dispositifs comme le plan d'investissement dans les compétences (PIC) pour lesquels un comité scientifique d'évaluation sera mis en place, sur les conclusions de ces évaluations.

Je vous rappelle tout d'abord que l'évaluation nécessite du temps : il est trop tôt pour évaluer les effets des mesures. Toutes ne sont pas pleinement montées en charge. Il existe un délai pour qu'elles produisent des effets et pour pouvoir disposer des données. Le comité soulève à ce propos le risque que les données nécessaires aux indicateurs envisagés pour évaluer leur effet ne soient pas disponibles. Le travail d'évaluation de la stratégie, nécessitant de connaître avec précision l'objet à évaluer, le comité a étudié l'état d'avancement de la mise en oeuvre des mesures à la fin 2020, soit un peu plus de deux ans après son lancement.

Sur les 35 mesures que le comité a recensées, quatre sont pleinement mises en oeuvre. C'est le cas, par exemple, de la revalorisation de la prime d'activité. Deux mesures ont été abandonnées : celle concernant le soutien aux collectivités dans 60 quartiers prioritaires de la ville (QPV) avec deux adultes par classe de maternelle, fusionné avec le dispositif des cités éducatives, et celle qui correspondait à une expérimentation relative aux opérations et modalités de la Garantie jeunes qui reposait sur une initiative du plan d'investissement dans les compétences.

Pour les autres mesures, l'état d'avancement est très inégal. Par exemple, l'objectif de création de places de crèches bénéficiant du bonus mixité était presque atteint fin 2019, tandis qu'aucune formation des professionnels de la petite enfance ou des travailleurs sociaux prévue dans la stratégie n'a eu lieu en 2020. Il faut souligner également l'interruption de la concertation sur le revenu universel d'activité depuis le premier confinement de mars 2020, qui n'a pas repris ensuite. À ce stade, seul un rapport technique sur le sujet doit être réalisé à l'automne. Pour une autre mesure phare de la stratégie, le service public de l'insertion et de l'emploi, la mise en place en a été retardée afin d'en dessiner les contours, et permettre l'appui sur des expérimentations territoriales sur la base d'appel à volontariat pour son déploiement.

Deux mesures ont vu leurs objectifs revus à la baisse : le nombre de travailleurs sociaux formés - avec un ciblage sur ceux qui sont en contact avec des publics en situation de précarité ce qui fait passer le nombre de 700 000 annoncé dans la stratégie à 100 000 personnes - ainsi que le nombre de centres sociaux à ouvrir dans les quartiers prioritaires.

À l'inverse, cinq mesures ont été renforcées pour répondre à la crise en 2020, comme le complément de l'obligation de formation des jeunes de 16 à 18 ans par le dispositif de la « promo 16-18 » mis en oeuvre par l'AFPA, l'extension de la Garantie jeunes et des allocations « parcours d'accompagnement contractualisé vers l'emploi et l'autonomie (PACEA) » ou encore des mesures supplémentaires en faveur de l'insertion par l'activité économique.

Deux mesures ont été repriorisées : celle sur l'automatisation pour les demandes de droits sociaux et celle sur la prévention des expulsions dans le cadre du plan « logement d'abord ». Ces mesures ne semblaient pas avoir beaucoup avancé jusqu'alors.

Ainsi, la grande majorité des mesures ont été lancées. Le comité constate des retards dans la mise en oeuvre de la stratégie, en partie liés à la crise sanitaire et au fait qu'en 2020, notamment de mars à juin, la priorité de la DIPLP et des administrations en charge de la mise en oeuvre des mesures a été la gestion de la crise. Mais pour le comité - le comité citoyen l'a également signalé et le président Schweitzer en a parlé - le suivi de la mise en oeuvre n'est pas satisfaisant et il manque à ce jour un tableau de bord qui permettrait d'avoir une vision globale de la mise en oeuvre de la stratégie à mi-parcours, et une vision précise de son déploiement dans les territoires.

Concernant l'évaluation de l'effet des mesures, il est trop tôt pour y procéder. Pour certaines mesures, on dispose déjà de tous premiers résultats. Il y en aura davantage en cours d'année 2021, par exemple pour la revalorisation de la prime d'activité. Pour d'autres mesures - soit parce qu'elles ne sont pas encore très avancées, soit parce que leurs effets ne sont pas encore visibles - les résultats seront disponibles à compter de 2022, ce qui suppose que l'évaluation se poursuive au-delà de l'horizon de déploiement de la stratégie. Le comité a par ailleurs dressé l'état des lieux de la disponibilité des indicateurs d'évaluation qu'il avait sélectionnés et souligne le risque que les données nécessaires pour évaluer l'effet des mesures ne soient pas disponibles pour certaines d'entre elles.

Concernant l'évaluation de l'atteinte des objectifs globaux, le comité, avec son évaluation, souhaite évaluer l'effet de la stratégie sur la pauvreté et les objectifs fixés. L'évolution des indicateurs sur les grandes thématiques donne pour le moment une vision de la situation avant la mise en place de la stratégie, sauf pour les mesures en matière d'emploi et d'éducation, où des valeurs plus récentes sont disponibles, mais ne peuvent être reliées à la mise en oeuvre de la stratégie.

Toujours sur le même sujet, selon une simulation réalisée par l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) et la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees), avec le modèle de micro-simulation Ines selon certaines hypothèses, la revalorisation de la prime d'activité aurait eu un fort impact sur le taux de pauvreté. Toutefois, il faut noter que cette réforme ne concerne que les personnes percevant des revenus d'activité supérieurs à 50 % du Smic mensuel. Cette estimation sera complétée par une évaluation des effets de cette revalorisation sur la pauvreté monétaire, après prise en compte de ses effets sur les comportements d'activité. Cette étude est réalisée actuellement par l'Institut des politiques publiques à la demande du comité d'évaluation.

Enfin, et c'est le dernier point concernant l'évaluation, le comité s'attache également à évaluer la gouvernance. Les premiers résultats reposent en grande partie sur l'audition de 14 des 18 commissaires à la lutte contre la pauvreté, dont trois issus des départements d'outre-mer, et on peut dire à ce stade que l'organisation prévue pour piloter la stratégie est bien mise en place. Les moyens financiers annoncés ont été confirmés, rendant ainsi crédible l'engagement de l'État vis-à-vis des collectivités.

Toutefois, le comité souligne un point d'alerte important, sur le soutien politique qui reste insuffisant pour donner à la délégation qui en a la charge les moyens d'une coordination interministérielle et d'un pilotage propre, à garantir un niveau de mise en oeuvre à la hauteur des ambitions nationales.

L'une des nouveautés introduites dans la stratégie est la mise en oeuvre de contrats entre l'État et les départements. Les commissaires auditionnés sont plutôt positifs sur cette contractualisation, qui aurait permis de renouer un dialogue sur les objectifs et les moyens de compétence décentralisée depuis de nombreuses années, ainsi que sur le fait que le suivi d'indicateurs engagerait les départements sur la voie de l'évaluation de la performance. Elle met aussi à jour le déficit des systèmes d'information des départements.

Enfin, en ce qui concerne la participation des personnes concernées, qui était un axe fort de la stratégie, elle reste, au vu des retours sur le sujet, et notamment de la part du cinquième collège du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale (CNLE), pour le moment inférieure aux ambitions. Mais il est trop tôt pour en mesurer les effets, y compris parce que la crise a créé un décalage sur les conventions et les remontées d'indicateurs. Une recherche évaluative des laboratoires Arènes et un rapport de l'Inspection générale des affaires sociales sur la contractualisation, prévus pour 2021, permettront d'en savoir plus pour le prochain rapport du comité.

L'évaluation est un exercice sur le temps long. Il est encore trop tôt pour mesurer les effets des stratégies qui, pour la plupart, ne pourront être évaluées avant 2022. Cela suppose que l'évaluation se poursuive au-delà de l'horizon de déploiement de la stratégie.

M. Louis Schweitzer . - Je voudrais reprendre brièvement en évoquant deux points.

Le premier est l'accompagnement. L'accompagnement des personnes aidées est un élément central de la stratégie de lutte contre la pauvreté. Et nous avons été très frappés de voir, en dialoguant avec les responsables des grandes organisations de lutte contre la pauvreté, avec le cinquième collège des personnes en situation de pauvreté du CNLE, qu'en fait, l'accompagnement faisait l'objet de jugements ambivalents. D'une part, accompagnement et contrôle étaient souvent associés, ce qui expliquait un recul ou un retrait vis-à-vis des personnes chargées de cet accompagnement. C'est évidemment le cas dans l'emploi. D'autre part, parce que l'accompagnement peut et doit être multidimensionnel. Il n'est pas seulement professionnel, tourné vers l'emploi, mais il est aussi tourné vers tous les aspects psychologiques associés à la pauvreté, à la situation familiale, etc. Le sujet de la qualification des accompagnateurs dans tous ces domaines se pose. C'est un des points que le comité suivra avec attention.

Je voudrais en venir à la situation des jeunes de 18 à 25 ans. En France, le revenu de solidarité active (RSA) n'est ouvert qu'aux jeunes ayant passé leur vingt-cinquième anniversaire. C'est une situation différente de celle qu'on trouve dans certains pays, qui ont institué de revenu de même type, et qui n'en ont pas écarté les jeunes adultes, de 18 à 25 ans.

Les arguments contre l'extension du RSA aux 18-25 ans sont de deux natures : le premier est le coût de la mesure, évalué à 9 milliards d'euros en année pleine ; le second est la crainte que le fait qu'on accorde un revenu à des jeunes les détourne de rechercher un emploi.

Les études expérimentales faites dans des pays étrangers sur la question de savoir si un revenu minimum détourne de rechercher un emploi tendent plutôt à indiquer le contraire : elles n'ont pas d'effet négatif sur la recherche d'emploi, mais peuvent même avoir un effet positif parce qu'elles libèrent le jeune qui recherche un emploi. Mais il n'y a pas d'étude solide de ce type en France : nous avons désiré que la mise en oeuvre d'un tel revenu - que nous souhaitons - s'accompagne d'une étude expérimentale. Esther Duflo en a donné des méthodes. Des personnes compétentes en France peuvent faire de ce type d'évaluation en regardant ce qui se passe aux frontières des droits pour examiner si la mise en place des mesures nouvelles a ou n'a pas un effet sur la recherche d'emploi.

Le comité est allé plus loin, en proposant la mise en place d'un revenu pour les jeunes de 18 à 24 ans, mais en s'éloignant du RSA pur et simple. Nous avons proposé d'étendre à l'ensemble des jeunes un système similaire à celui des bourses. Pourquoi ? D'abord, parce que créer une distorsion entre les catégories de jeunes est moins justifié qu'à une époque où les étudiants représentaient une petite minorité d'une classe d'âge. Ce n'est plus le cas : désormais les étudiants représentent une proportion proche de la moitié d'une classe d'âge -, n'était pas justifié. Deuxièmement, le système des bourses prend en compte la capacité de bénéficier d'un soutien familial. Il nous paraît légitime de tenir compte de cette capacité de certaines familles à soutenir les jeunes, en particulier pour les plus jeunes d'entre eux. Éliminer le concept de solidarité familiale ne nous paraît ni justifié, ni souhaitable au niveau général.

Nous avons donc proposé la mise en place d'un système, dont on a défini les grands axes, qui s'inspire du système des bourses et qui consiste à donner un revenu calé au niveau maximum sur le RSA, mais qui tient compte de la capacité contributive ou de soutien familial quand il existe.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Vous avez brossé un large éventail de sujets intéressant notre mission, car elle se penche sur les inégalités, de la naissance à l'entrée dans l'âge adulte. Vous avez parlé, Madame, du premier regard porté par le comité d'évaluation sur les modes d'accueil du jeune enfant.

Vous avez raison de dire que nous manquons de recul pour disposer d'évaluations sérieuses, mais vous avez semblé indiquer que les modes d'accueil n'étaient pas suffisamment développés et vous avez évoqué la formation des personnes en charge de ces jeunes enfants. De nos auditions, et plus particulièrement celles sur la petite enfance - ma collègue Michelle Meunier qui est très qualifiée sur le sujet pourra en parler mieux que moi - il ressort que les personnels chargés d'accueillir ces très jeunes enfants ne sont pas suffisamment formés. Faites-vous le même constat ? Auriez-vous des préconisations ?

Mme Marine de Montaignac . - Une mesure prévoyait la mise en place de formations et la formation professionnelle de la petite enfance. À ce jour, ce qui a été prévu pour 2020 n'a pas été mis en place, sans doute en partie à cause de la crise mais aussi parce que l'organisation n'était pas suffisamment aboutie pour que ces formations puissent se tenir.

Pour ce qui est du manque de déploiement des modes d'accueil, la réponse sera la même. Je vous ai dressé un état des lieux à partir des informations dont nous disposions, qui vous donne une idée de l'avancement de la mise en oeuvre des mesures prévues par le Gouvernement dans sa stratégie. Je ne porterai pas de jugement pour savoir si cette mesure est plus ou moins bien calibrée. Il est d'ailleurs bien trop tôt pour pouvoir tirer des conclusions.

M. Louis Schweitzer . - Il est évident que la crise sanitaire a empêché d'exercer à grande échelle le programme de formation. Néanmoins, on aurait pu expérimenter, valider à plus petite échelle des plans de formation pour pouvoir les mettre en oeuvre à grande échelle, après avoir testé leur efficacité sur une échelle plus réduite. À notre connaissance, cela n'a pas été fait.

Mme Marine de Montaignac . - Un référentiel de formation a été publié par le Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge, tel que prévu par la mesure, et des actions d'ingénierie de formation ont été réalisées.

Mme Michelle Meunier . - Monsieur le président, vous venez de dire, dans votre présentation, que la mise en oeuvre et le suivi de la stratégie de lutte contre la pauvreté reste imparfaite. Selon vous, cela vient-il des mesures du plan elles-mêmes, du pilotage et de la gouvernance, ou bien est-ce une question de moyens ?

Je me dégage ici des questions de la petite enfance que Monique Lubin a soulevées. Sur ce point, je confirme que nous avons beaucoup entendu, lors de nos auditions, l'intérêt d'un repérage précoce des situations de pauvreté - et d'une action en conséquence - pour éviter qu'elles ne se forment et ne s'enkystent.

M. Louis Schweitzer . - Cette stratégie a été développée par Olivier Noblecourt, qui était alors délégué interministériel à la lutte contre la pauvreté, et qui a quitté ces fonctions après avoir élaboré cette stratégie mais avant qu'elle n'est ait été pleinement mise en oeuvre. La délégation interministérielle est une toute petite instance, qui regroupe moins de dix personnes à effectif complet dans la délégation centrale, auxquels il faut ajouter les délégués régionaux - dont le nombre se limite à une personne par région. Vous voyez ce que cela peut vouloir dire à l'échelle d'une région comme la Nouvelle-Aquitaine ! C'est une toute petite équipe. Et en réalité, cet effectif a été plus souvent inférieur à l'effectif autorisé : certains départs n'ont été compensés qu'au bout d'un grand nombre de mois. L'institution chargée de piloter cela au niveau central et les délégués régionaux de cette institution ont donc très peu de moyens.

Deuxième point : les grandes administrations qui ont cette capacité, que ce soient les administrations nationales - notamment la direction générale de la cohésion sociale - ou les services départementaux ou régionaux, n'ont pas de liens hiérarchiques ou structurels avec cette mission interministérielle. Il existe donc une stratégie globale, mais pas de cohérence de pilotage global de la stratégie au niveau de l'État.

Troisième problème : les instruments de mesure, qui relèvent souvent de collectivités départementales ou municipales, n'ont pas été mis en oeuvre. Il n'existe pas de système informatique qui permette - je pense aux petits déjeuners et aux cantines - de suivre quantitativement et effectivement la mise en oeuvre des mesures. Nous demandons à ce que soit mis en place un système qui permette de faire ce suivi. Si vous essayez de suivre une stratégie nationale qui concerne des centaines de milliers d'enfants et que vous le faites au moyen de quelques exemples illustratifs, on voit bien que ce n'est pas un suivi satisfaisant. Cela a été pour moi une source d'étonnement. Mes souvenirs de l'administration étaient que les données remontaient, étaient centralisées, et qu'on avait des instruments de suivi. L'action était plus ou moins efficace, l'évaluation de cette efficacité était plus ou moins bien assurée, mais les instruments de remontée statistique, qui sont la base de tout, sont ici incomplets, indisponibles. Cela a été pour le comité une source de frustration.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Nos auditions confirment que l'une des façons d'aider les très jeunes enfants naissant dans des milieux particulièrement défavorisés est de leur permettre d'accéder, dès les premières années de leur vie, à des modes d'accueil mixtes, où ils fréquenteraient des enfants issus de milieux différents et plus aisés. Cela nous questionne sur l'éventuel avènement d'un service public d'accueil de la petite enfance. Y avez-vous réfléchi ou bien pouvez-vous être amené à y réfléchir dans le cadre des travaux que vous avez à rendre ?

M. Louis Schweitzer . - Là aussi, la crise sanitaire, a limité la réalité de l'action sur l'accueil collectif. Il existe une mesure spécifique sur la mixité dans les crèches et dans les premières années. J'ignore si nous avons des données quantifiées.

Mme Marine de Montaignac . - L'objectif de 90 000 places bénéficiant du bonus mixité d'ici 2022 était quasiment atteint fin 2019, avec 82 000 places créées.

M. Louis Schweitzer . - Cette mesure ne montre que la mixité ou le progrès de mixité qui permet de toucher le bonus. Ce n'est pas une donnée quantifiée sur la réalité de la mixité sociale dans les crèches.

Cela dit, on voit un problème lié à des zones d'habitat plus pauvres, qui peuvent être compensées par des crèches plus proches des lieux d'emploi qui ne sont pas nécessairement les mêmes que les lieux d'habitat.

Je ne crois pas que nous ayons des instruments qui permettent de dire dans quelle mesure les crèches sont ou ne sont pas mixtes.

Mme Marine de Montaignac . - On suit un indicateur de la caisse nationale d'allocations familiales (CNAF). En 2018, 20 % des enfants en situation de pauvreté fréquentaient un établissement d'accueil du jeune enfant (EAJE). C'est un point de départ pour l'évaluation de la stratégie et des effets de certaines mesures. Une étude de la CNAF est en cours sur ce bonus mixité, pour avoir un regard plus précis sur son effet, qui pourra éventuellement mener à un recalibrage de la mesure.

M. Louis Schweitzer . - C'est l'occasion de dire que la CNAF est un acteur majeur de toutes ces mesures, avec lequel le travail est souvent plus facile.

Mme Monique Lubin , rapporteure . -La CNAF, que nous avons auditionnée, met en oeuvre de nombreux dispositifs pour les familles, notamment à destination des plus pauvres d'entre elles. Encore faut-il que ces familles s'en saisissent.

Mme Michelle Meunier . -Ce sont des chiffres plutôt satisfaisants en matière de mixité. Mais ils concernent l'accueil organisé et collectif. La moitié des enfants de 0 à 3 ans sont gardés selon des modes non déclarés ou de débrouille et de solidarité. Ces chiffres encourageants sont donc à mettre en regard de la réalité de l'accueil de la petite enfance, qui mériterait d'être développé.

M. Louis Schweitzer . - À cet égard, un des points soulignés par le comité, ainsi qu'une de ses recommandations, est la lutte contre le non-recours. Les chiffres sont incertains, mais la plupart des experts estiment qu'environ le tiers des personnes qui ont droit à une prestation ne l'exercent pas. Les causes de ce non-recours sont multiples : la peur de la stigmatisation, l'ignorance, la complexité des formules. Le revenu universel d'activité (RUA) avait pour objet de résoudre en partie ces problèmes. Quelques expériences locales ont été engagées, à l'image des territoires « zéro chômeur de longue durée », visant à avoir des territoires « zéro non-recours ». Si on se place dans cette optique, cela conduit à aller vers les gens et à mieux comprendre le non-recours. Je pense qu'il est exclu de transformer toute la France en un territoire « zéro non-recours », mais cela donne des pistes d'action concrètes pour lutter contre ce phénomène, qui n'est pas évalué ni analysé de façon suffisamment précise. C'est aussi le sentiment des grandes associations.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Vous citez l'« aller-vers ». Nous l'avons entendu dans la bouche de très nombreux intervenants. Ne trouvez-vous pas paradoxal qu'au moment où tout le monde nous parle d'« aller-vers », on mette finalement de moins en moins d'interlocuteurs en chair et en os en face des personnes en difficulté ? Nous devons tous passer par des plateformes informatiques, des outils numériques, pour faire les demandes du quotidien, alors que l'« aller-vers » est nécessaire aux personnes les plus en difficulté ?

M. Louis Schweitzer . - La crise sanitaire a rendu plus difficile l'« aller-vers ». On ne peut pas juger ce qui s'est passé pendant ces deux ans comme si elle n'avait pas eu lieu.

Il faut ajouter, en second lieu, qu'en dehors des services publics, nationaux, municipaux ou départementaux, ou encore des caisses d'allocations familiales qui pratiquent beaucoup l'« aller-vers », les associations ont montré qu'elles ont un rôle majeur en ce sens, par leurs bénévoles ou leurs salariés. Elles ont en effet une expérience de terrain très forte. Je regrette qu'on ne soutienne pas assez ces associations. Elles bénéficient d'un concours populaire certain, mais au fond, les responsables de ces associations disent que le surplus de tâches a excédé le complément de moyens qu'elles ont reçu. Je pense que du point de vue de cet « aller-vers », le monde associatif dispose d'une capacité que le service public n'a pas nécessairement de la même façon. Une aide à ce monde associatif est donc un élément central de l'« aller-vers ». Un autre élément est bien sûr l'automaticité et la simplification, qui étaient l'une des idées du RUA.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Nous allons d'ailleurs prochainement examiner une proposition de loi sur l'automaticité. Nous savons qu'elle a peu de chances de prospérer, mais nous espérons qu'elle ouvrira le débat.

M. Laurent Somon . - Je vais dresser des constats et poser quelques questions.

Le constat que vous faites est assez peu satisfaisant, même s'il s'explique en grande partie par la crise sanitaire. Pour autant, vous soulignez que certaines des 35 mesures ont été engagées. On a parlé de la petite enfance, mais au-delà de l'ouverture des crèches et la possibilité d'y accéder, certaines concernent aussi la santé. Dans le plan pauvreté, on note la volonté de faire en sorte que dans les mille premiers jours, et en particulier dès la naissance, on ait un accompagnement par les services de protection maternelle et infantile (PMI) afin que 100 % des enfants de zéro à un an soient vus le plus rapidement possible. Avez-vous pu constater, depuis que la stratégie a été engagée, que les départements très en retard dans ce domaine ont progressé ? Malgré la crise sanitaire, les PMI ont en effet continué à travailler.

Un deuxième axe a été fortement travaillé : les enfants issus de l'aide sociale à l'enfance (ASE) et les contrats « jeunes majeurs », en continuité de la responsabilité du département et avec la volonté de contractualiser au maximum pour les accompagner dans leur formation et qu'ils puissent s'insérer dans la vie sociale ou professionnelle rapidement.

Vous avez parlé du revenu universel. J'ai été président de département, et je me suis engagé dans le plan pauvreté. J'ai signé un contrat avec l'État dans l'appel à projets, et nous avons fait le service public de l'insertion, par un groupement d'intérêt public, avec la préfecture. Je dois reconnaître qu'il a du mal à prendre sa vitesse de croisière. Des expériences de revenu d'activité ont eu lieu au Canada, en Finlande, et elles montrent que c'est un élément favorisant la résolution de certains problèmes, comme la santé. En revanche, aussi bien en Finlande qu'au Canada, on observe assez peu d'effets sur l'emploi.

Le plan « un jeune, une solution » paraît produire des résultats plutôt probants. Je ne sais si cela est le cas partout, mais dans la Somme, nous nous y sommes vraiment attelés avec Pôle emploi. Avez-vous constaté, en matière d'insertion des jeunes de 18 à 24 ans dans le monde du travail, la volonté d'engager des moyens supplémentaires ? Vous l'avez dit conjointement : il faut accompagner. Mais ce n'est pas seulement une personne qui peut accompagner, il faut un panel de compétences pour accompagner. Je n'étais pas pour le RUA, mais j'avais proposé une allocation éducative et de recherche d'emploi, c'est-à-dire une contractualisation entre les jeunes et la collectivité, pour que les premiers s'engagent à suivre une formation ou un accompagnement social et professionnel et qu'on puisse les aider à déboucher sur un emploi.

Ma question finale est la suivante : vous avez dit que la contractualisation avec les départements semblait plutôt efficace. Qu'il n'y ait que dix personnes au niveau national pour piloter le plan pauvreté est un constat désagréable. Sur une politique majeure d'un gouvernement, cela paraît particulièrement ridicule. À côté de cela, avez-vous pu constater que les départements s'étaient engagés, puisque c'est de leur responsabilité sociale, dans le cadre de ce plan pauvreté, comme c'était la volonté initiale de M. Noblecourt ?

M. Louis Schweitzer . - Marine de Montaignac représente l'effectif permanent du comité d'évaluation : nous n'avons pas la capacité d'évaluer de façon complète l'action des différents départements ! Nous ne l'avons que via la délégation interministérielle dont j'ai évoqué la situation tout à l'heure.

Je réponds désormais sur « un jeune, une solution » et les mesures d'accompagnement spécifiques des jeunes. Toutes les grandes administrations assistent au comité, mais dans leur branche d'étude et de statistiques, et non dans leur branche exécutive. Ces administrations constatent qu'un jeune accompagné a de meilleures chances d'accéder à l'emploi qu'un jeune non accompagné. Cela mesure l'efficacité de l'accompagnement au profit de cette personne.

En revanche, elles nous disent ne pas savoir si les personnes accompagnées gagnent seulement des places dans la file d'attente, ou si cela permet de réduire globalement le chômage des jeunes. On sait que c'est utile à ceux qui en bénéficient, mais on ne sait pas si ça permet de réduire le chômage des jeunes.

Cela fait partie des sujets dont nous souhaitons approfondir l'étude.

Mme Marine de Montaignac . - Concernant la mesure sur les missions des PMI, le comité d'évaluation a eu très peu d'informations. La loi pour une école de la confiance a rendu obligatoire l'examen médical à 3-4 ans. Mais nous n'avons pas d'informations sur l'effectif de cette obligation et les effets qu'elle pourrait avoir sur la santé des enfants.

M. Laurent Somon . - Pourtant, parmi les 35 mesures, elle était considérée comme très importante.

M. Louis Schweitzer . - Je reviens sur le fait qu'il n'existe pas de système de consolidation des informations. Au fond, lorsque je compare à une gestion d'entreprise, cela fait une vraie différence.

M. Laurent Somon . - Dans la Somme, nous avions essayé d'engager une action sur l'insertion des jeunes, avec les entreprises - et notamment avec Break Poverty, qui regroupe des sociétés engagées sur la responsabilité sociale et environnementale (RSE) - mais c'est tombé en panne avec la covid. On essaie de redémarrer : en tant que conseiller départemental, je suis cela de près puisque les difficultés d'insertion des jeunes des 18-24 constituent un véritable fléau dans notre pays. Les raisons sont peut-être antérieures, mais ceux qui ont cet âge-là sont aujourd'hui dans une grande difficulté.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - J'ai auditionné le préfet de la région Île-de-France, Marc Guillaume, et nous en sommes ressortis avec un peu d'optimisme. Des actions menées dans sa région portent leurs fruits. J'ai apprécié qu'il souligne l'envie des jeunes des quartiers de s'en sortir. Les équipes mises en place par la préfecture de région mènent des actions très concrètes et obtiennent des résultats.

Laurent Somon a parlé de fléau et il a raison. Les résultats ne tiennent pas uniquement aux moyens financiers : le plan mis en place en île-de-France en engage relativement peu. En revanche, il y a mise en commun des moyens existants et une action d' « aller-vers » très importante qui porte ses fruits.

M. Louis Schweitzer . - Il est vrai que les jeunes ont envie de conquérir leur autonomie par le travail. L'idée qu'ils aspireraient à ne rien faire est fausse. J'évoquais des études montrant que l'attribution d'un revenu ne décourageait pas la recherche d'emploi : cela l'illustre. Que l'accompagnement soit un puissant facteur complémentaire est évident.

D'expérience et en repensant au temps où je m'occupais de la Haute autorité de lutte contre les discriminations (HALDE), on voit bien que dans l'entrée dans l'emploi ou l'apprentissage du travail, certaines choses doivent s'apprendre. Quand, vous avez devant votre porte 10 ou 15 jeunes gens, dont certains connaissent les codes et sont entraînés, vous écartez ceux qui n'ont pas cette expérience. Cela conduisait à une sorte de cercle vicieux : si vous n'aviez pas d'expérience professionnelle, vous n'étiez pas recruté, et comme vous n'aviez pas cette expérience, vous étiez exclu du système.

Je pense que les actions du type de celles que vous évoquez, Monsieur le sénateur Somon, sont pertinentes. Il ne s'agit pas toujours de formations lourdes, mais plutôt d'apprendre les codes de l'entreprise.

Mme Michelle Meunier . - Monsieur le Président, vous insistez sur l'importance de l'accompagnement social des situations. Je pense au film de Ken Loach, Moi, Daniel Blake. Quel est votre sentiment sur le fossé numérique ? Les plateformes et les sites internet connaissent un développement de plus en plus large et facilité, et leur recours est encouragé. Pensez-vous que cela influence, dans l'approche de lutte contre les inégalités, les stratégies de lutte contre la pauvreté ?

Vous évoquez l'ambiguïté des attitudes face à l'accompagnement et certaines de familles ou de jeunes vis-à-vis d'un contrôle social de leur façon de vivre. Le changement de regard prend du temps.

M. Louis Schweitzer . - Je n'ai pas de données chiffrées qui me permettent d'évaluer ce fossé numérique dont on parle souvent. J'ai tendance à penser qu'il est plus lié à l'âge qu'au niveau de revenus. Cependant, la France a mis en place depuis longtemps des systèmes de retraite et d'allocation de ressources pour les personnes âgées. Le taux de pauvreté monétaire des personnes âgées y est parmi les plus faibles d'Europe - 8 % - alors qu'il est de l'ordre de 14 à 14,5 % pour la population générale.

C'est autre chose que l'aller-vers.

M. Lucien Stanzione . - Je crois que vous avez raison : la question principale est celle de l'accompagnement. Ce n'est pas toujours une question de revenu. Pour moi, qui ai été éducateur spécialisé en milieu ouvert pendant une vingtaine d'années, c'est la présence qui est importante. Michelle Meunier parlait de contrôle social, c'est vrai, mais ce sujet disparaît petit à petit : une fois que l'accompagnement est engagé, il n'est plus vécu comme un contrôle social mais bien comme une mise à l'étrier. Comme vous le disiez, Monsieur le président, ce n'est pas l'envie de ne pas travailler qui domine. Quand on donne une perspective et une lueur d'espoir, un déclenchement se produit. Il faut aller dans ce sens : l'accompagnement est capital dans ces mesures.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Je reviens sur les jeunes enfants. Pouvez-vous évaluer les retours sur le dédoublement des classes de CP, sur les dispositifs « plus de maîtres que de classes » - qui ont été amincis au profit du dédoublement des classes de CP ? Avez-vous pu regarder ces dispositifs très récents ?

M. Louis Schweitzer . - Il faut suivre la lutte contre la pauvreté dans la durée, comme en thérapeutique lorsqu'on veut mesurer l'effet d'un médicament. Nous souhaitions évaluer le plan du précédent Gouvernement. Nous avons le recul nécessaire pour le faire. Il a été considéré que cette demande n'était pas prioritaire, donc cette évaluation n'a pas eu lieu. On est passé d'une doctrine de deux adultes par classe à un dédoublement des classes. Nous avons établi un arbre de causalité qu'une meilleure formation à l'âge de 3 ans débouche sur une meilleure chance d'accès à l'emploi à 18 ans, mais on voit bien que le plein effet de cela sera mesuré bien après la mise en place de la mesure.

Mme Marine de Montaignac . - La mesure « soutenir les collectivités dans 60 quartiers prioritaires » avec deux adultes par classe de maternelle ne fait plus partie de la stratégie. Elle a été fusionnée avec les cités éducatives. Nous ne disposons pas d'informations sur la mise en place de cette mesure pour répondre à votre question.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - On ne comprend pas bien la fusion avec les cités éducatives. On pouvait trouver le dispositif « plus de maîtres que de classes » dans nos zones rurales alors qu'on ne trouve pas partout de cités éducatives.

En avançant dans l'âge du public auquel nous nous intéressons, je veux en venir aux dispositifs en faveur de l'insertion des jeunes. Nous avons auditionné de nombreux acteurs ; les dispositifs et les structures sont nombreux, laissant l'impression d'une forte fragmentation. Au final, peut-être que trop de richesse nuit à l'efficacité. Pensez-vous qu'il faudrait regrouper ces dispositifs sous un seul et même chapiteau ? Les auditions ont confirmé l'impression d'un maquis.

M. Louis Schweitzer . - Un maquis vu d'en haut est une chose, un maquis pour l'individu en est une autre. Si vous êtes dans un département précis ou une ville précise et que vous avez un interlocuteur, le fait que quelqu'un d'autre, dans une autre ville, ait un autre système pour un autre type d'interlocuteur, n'est pas un problème. Si on essaie de définir un vaste système complètement homogène partout, il n'est pas évident ce soit le plus efficace. Je ne suis pas sûr qu'un « grand chapiteau », comme vous l'avez désigné, Madame la rapporteure, soit l'idéal. Le tout est qu'une personne dans un endroit sache qui trouver ou qu'on aille le trouver. Ce n'est pas exactement la même chose. Cela peut donner l'impression d'un foisonnement vu d'en haut, mais si la réalité est que, où que vous soyez, il y ait quelqu'un à qui vous adresser ou qui vienne à vous, le problème ne se pose pas.

Les systèmes d'aide sociale sont très largement décentralisés. La contractualisation a pour objet de les recentraliser. Cela permet d'avoir un regard. Je pense que c'est utile si on avait une information homogène, mais pas nécessairement des mécanismes ou des organismes similaires. Un exemple nous avait frappés : certaines communautés urbaines ont des attributions en matière sociale. D'autre ne les exercent pas. Cette couche supplémentaire est-elle un facteur d'efficacité supplémentaire ? La réponse n'est pas évidente.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Vous vous êtes exprimé sur la création d'un revenu de base pour les jeunes de 18 à 24 ans. Vous proposez quelque chose qui s'apparenterait à un système de bourse, qui deviendrait universel. Avez-vous fait des propositions concrètes au Gouvernement ? Est-ce cela qui a généré certaines annonces gouvernementales ?

M. Louis Schweitzer . - Je ne pense pas que nous soyons à l'origine de ces annonces. J'ai eu l'occasion de m'entretenir pendant une heure avec la ministre du travail, qui a exprimé de l'intérêt sur ce sujet. Je pense qu'elle est convaincue de l'absence de contradiction entre l'allocation d'un revenu et la recherche d'un emploi. Je ne pense pas qu'elle partage ce préjugé. Toutefois, le coût financier de la mesure fait que cela ne relève pas d'elle.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - On annonce une allocation de base pour les jeunes de moins de 25 ans. Pour l'instant, on n'en connaît pas les contours.

M. Louis Schweitzer . - Si cela arrive, je m'en réjouirai.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Je voudrais poser une question à l'ancien dirigeant d'entreprise. Les grands groupes tels que celui que vous avez présidé s'impliquent-ils suffisamment dans l'insertion des jeunes par le biais, notamment, de l'apprentissage ?

M. Louis Schweitzer . - J'ai dirigé ce groupe il y a plus de 15 ans. Il est vrai que nous n'avions pas un recours étendu à l'apprentissage. Même si pendant la période où j'étais en charge de ce groupe, sa production a considérablement augmenté - elle a été depuis divisée par deux, ce qui crée une situation différente -, compte tenu des progrès de productivité, nous ne recrutions que peu, en tout cas parmi les personnels de production. On recrutait plutôt des ingénieurs. Il y avait plus de gens formés que d'emplois de cadre. En revanche, et tous les groupes pourraient le faire, nous organisions des recrutements en contrat à durée déterminée pour des jeunes en premier emploi qui, formellement, ne débouchaient en aucun cas sur un emploi chez Renault, mais où nous aidions des jeunes qui avaient passé trois à six mois chez nous à trouver un emploi chez quelqu'un d'autre. Cela leur permettait de sortir du cercle vicieux : « comme tu n'as pas d'expérience, je ne te recrute pas ». On recrutait des gens dont on savait qu'ils n'avaient pas d'expérience - c'était même une condition d'accès - et on leur donnait l'expérience qui leur permettait ensuite de trouver un emploi.

Il faut reconnaître que c'était pour des métiers avec une formation très légère. Le gros de la formation consistait en de la discipline, de la rigueur, de la précision et un souci de la qualité plus qu'une formation technique lourde. Il s'agissait d'emplois n'exigeant pas, dans les faits, une professionnalisation de plus de quelques jours. Ils étaient, autrefois, exercés par les étudiants pendant les vacances d'été et un étudiant parvenait à apprendre le métier en deux jours.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Vous avez rappelé que cela date de plus de 15 ans. Depuis, l'apprentissage a été considérablement valorisé. Il en va de même dans le plan de lutte contre la pauvreté. Avez-vous une vision de ce que font les entreprises ?

M. Louis Schweitzer . - Elle n'est pas solide. Je vois se développer les formations en alternance. Par ailleurs, j'ai des activités en Seine-Saint-Denis : un jeune qui n'a pas d'appui a d'énormes difficultés pour trouver une entreprise qui lui donne un stage ou une formation en alternance.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Cela a été dit dans nos auditions. Des associations et des bénévoles s'investissent pour aider ces jeunes qui n'ont pas de réseau et, n'ayant pas la bonne adresse ou le nom qui convient, n'arrivent pas, par exemple, à trouver un stage de 3 ème .

M. Louis Schweitzer . - « Nous n'avons ni les réseaux ni les codes » : c'est le mot que j'entends sans cesse.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Mais comment fait-on pour donner ces réseaux et ces codes à tout le monde ?

M. Louis Schweitzer . - Autant l'apprentissage, qui est un mode de recrutement, implique que l'entreprise puisse s'engager sur le long terme vis-à-vis de la personne, autant des systèmes du type de celui que j'évoquais peuvent plus facilement être demandés aux entreprises car ils n'impliquent pas d'engagement. Mais je le répète, je ne suis pas expert sur le sujet.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Jusqu'à quand votre mission a-t-elle vocation à se poursuivre ?

M. Louis Schweitzer . - Jusqu'au moment où le Gouvernement décidera d'y mettre un terme.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Il serait intéressant qu'elle dure suffisamment pour avoir le recul nécessaire.

M. Louis Schweitzer . - Je ne me plaindrais pas si c'était le cas, Madame la rapporteure.

M. Jean Hingray , président . - Nous vous remercions de cette audition et de cette rencontre. Chers collègues, nous nous retrouvons la semaine prochaine avec la secrétaire d'État à la jeunesse pour continuer nos travaux.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat .

Audition de Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État
chargée de la jeunesse et de l'engagement

(Jeudi 3 juin 2021)

M. Jean Hingray , président . - Nous avons le plaisir de recevoir cet après-midi Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État auprès du ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports chargée de la jeunesse et de l'engagement.

Dans le cadre de cette mission d'information, nous avons eu à coeur, notre rapporteure Mme Lubin et moi-même, d'entendre et de rencontrer de nombreux intervenants. Ce matin encore, nous étions à Gennevilliers pour découvrir les cités éducatives. Dans ces rencontres, il y a du débat, de l'échange, des idées contradictoires. Nous souhaitons toucher un panel aussi large que possible, avec une attention particulière pour les 0-3 ans et les 15-25 ans. En parallèle de nos travaux, nous suivons aussi la proposition de loi sur le ticket restaurant étudiant, qui bénéficiera notamment à ceux qui n'ont pas accès à un restaurant universitaire.

Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État auprès du ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée de la jeunesse et de l'engagement . - Nous avons suivi attentivement les travaux de votre mission d'information.

Cette crise a bousculé les jeunesses, dans leur situation familiale, territoriale. Pourquoi « les jeunesses » ? Parce qu'il y a en France 12 millions d'adolescents et de jeunes adultes : collégiens, lycéens, étudiants, parfois en décrochage, de jeunes actifs ou en recherche d'emploi ; certains peuvent compter sur leur famille, d'autres non. Parler des jeunesses au pluriel, c'est prendre en considération leur diversité.

Cette classe d'âge est marquée par une multitude de transitions : études, entrée sur le marché du travail, autonomie financière, accès au logement. Cela multiplie les besoins d'accompagnement.

Notre rôle est de mettre au coeur de notre action la promesse républicaine, et l'égalité des possibles - de faire en sorte que les possibles se construisent.

On a pu parler, au cours de cette crise, de tensions entre générations, d'individualisme. Ce n'est pas ce que j'ai vu. J'ai vu, au contraire, des jeunesses engagées, solidaires. Un exemple : le site jeveuxaider.gouv.fr a reçu 350 000 inscriptions, dont 45 à 47 % de moins de trente ans. Pour beaucoup, c'était leur premier engagement. Plus de 58 000 missions de service civique ont également été adaptées de manière proactive à la crise sanitaire.

Il y a néanmoins des difficultés incontestables. Un jeune sur cinq vit en dessous du seuil de pauvreté. Quelque 14 % d'entre eux ne sont ni en emploi ni en formation, leur taux de chômage est deux fois supérieur à la moyenne de la population.

Nous avons évoqué, avec la sénatrice Michelle Meunier, l'impact psychologique de la crise sanitaire sur les jeunes, souligné par le psychiatre Boris Cyrulnik ; il y a aussi un impact économique avec la rupture qu'a été la fin brutale des petits boulots , pour les jeunes étudiants et jeunes actifs. La première réaction du Gouvernement à cette rupture a été de mettre en oeuvre rapidement le plan « 1 jeune, 1 solution ».

Dès 2017, le Gouvernement s'est donné pour priorité de réduire le chômage. Nous avons ainsi débloqué 15 milliards d'euros entre 2018 et 2022 pour former plus d'un million de jeunes ; nous sommes également allés chercher les jeunes en décrochage, en particulier dans les outremers, car notre regard doit être territorialisé.

Nous avons aussi été à l'origine d'avancées sociales : obligation scolaire entre 16 et 18 ans, accès accéléré à l'apprentissage notamment. Ma mission consiste à lever les freins à l'égalité des chances, où qu'ils se trouvent.

Le plan des 1 000 premiers jours, pour les 0-3 ans auxquels vous faisiez référence, est porté par Adrien Taquet. Citons également le dédoublement des classes de CP et CE1, les cités éducatives, l'éducation prioritaire, la détection renforcée des difficultés sociales.

Des mesures d'urgence ont été prises : 200 euros ont été versés à plus de 800 000 jeunes au début de la crise sanitaire, complétés en décembre par un versement de 150 euros à 400 000 bénéficiaires des APL et boursiers.

Comment toucher plusieurs jeunesses sans opposer les catégories, dans une vision universelle de l'accompagnement ? C'est la première question que nous nous posons. Nous atteignons aussi les jeunes aux endroits où ils se trouvent avec des dispositifs comme les job tutors dans les CROUS, une mesure portée par Frédérique Vidal.

Le plan « 1 jeune, 1 solution » a été prolongé jusqu'au mois de décembre, son budget passant de 6,7 à 10 milliards d'euros.

Il faut également mentionner des mesures diverses pour soutenir l'emploi : car protéger l'entreprise, c'est protéger les plus jeunes, le dernier arrivé étant souvent le premier sorti. Nous avons mis en place le chômage partiel accompagné et des stimulations au recrutement comme l'aide de 4 000 euros pour l'embauche d'un jeune de moins de 26 ans. J'ai enfin porté la création de 100 000 missions de service civique supplémentaires.

Un combat m'a tenu particulièrement à coeur : la lutte contre le non-recours. J'ai constaté, à ma prise de fonctions, qu'il était particulièrement élevé ; or les difficultés d'accès à l'information reproduisent et aggravent les inégalités. Il fallait donc universaliser, mais aussi faciliter l'accès à l'information. Grâce à la direction de la jeunesse, de l'éducation populaire et de la vie associative (Djepva), nous avons lancé la « Boussole des aides », une sorte de point d'entrée permettant à chaque jeune, après la réponse à un bref questionnaire, de s'informer sur les droits auxquels il peut prétendre. Nous avons aussi voulu concentrer sur le site 1jeune1solution.gouv.fr des réponses sur les stages, les jobs d'été.

Le ministère de l'éducation nationale a fait le maximum pour garder les écoles ouvertes, et garantir à tous les jeunes un accès à l'éducation et un accompagnement social, surtout pour ceux qui subissent des difficultés familiales.

Notre choix a été de conjuguer cette action avec un engagement très fort auprès de l'animation socio-éducative et l'éducation populaire. M. Blanquer a souhaité, dans ce nouveau ministère élargi de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports, accompagner l'enfant dans tous les moments de sa vie, en conjuguant éducation formelle et informelle. C'est le sens du dispositif des vacances apprenantes, reconduit et renforcé par les « colos apprenantes ».

En matière d'accès à l'information, beaucoup d'organismes existent pour accompagner les jeunes. Je souhaite également évoquer le dispositif « 1 jeune, 1 mentor », qui réunit des associations travaillant autour de la question de l'accompagnement. Le mentorat peut s'exercer à différents moments de la vie ; je pense à l'association Socrate, avec des lycéens qui accompagnent des collégiens, ou à des associations plus connues comme l'association de la fondation étudiante pour la ville (Afev) ou Télémaque. Disposant d'un budget de 30 millions d'euros, le collectif mentorat a permis le passage de 25 000 à 100 000 jeunes « mentorés » cette année ; l'ambition est de doubler ce chiffre l'année prochaine.

Dans cette volonté de lutter pour l'égalité des chances, il y a le projet du service national universel (SNU), que je porte plus particulièrement. Pour rappel, le SNU concerne les jeunes entre 15 et 17 ans. Pour la première fois cette année, 25 000 jeunes vont être accueillis sur tout le territoire. L'idée du dispositif est d'identifier les personnes en difficulté et d'apporter un accompagnement personnalisé ; son ambition est également de faire se rencontrer les jeunesses de notre pays.

La crise nous a mis face à nos responsabilités d'accompagnement. Nous devons contribuer à l'impulsion d'un nouvel élan et corriger des inégalités qui se sont accentuées pendant la crise. L'information de la jeunesse est, à mes yeux, un vrai combat pour ne plus laisser la place au hasard.

J'ai également sollicité l'office franco-allemand et l'office franco-québécois de la jeunesse, afin de relancer la mobilité en profitant d'un budget européen renforcé ; je pense notamment au corps européen de solidarité, un dispositif encore trop peu connu qui permet à des jeunes de vivre une mobilité internationale sans être dans le cadre universitaire.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Ce matin, nous étions à la cité éducative de Gennevilliers. Que se passera-t-il à l'issue des trois ans de l'expérimentation ? Avez-vous commencé à travailler sur l'avenir de ces cités éducatives ?

Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État . - Je ne peux pas prendre d'engagement à la place du ministre de l'éducation nationale. Ce que je peux vous garantir, c'est la volonté du ministère de l'éducation nationale d'accompagner ces alliances territoriales, qui peuvent prendre plusieurs formes, notamment celle des cités éducatives.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Nous avons rencontré beaucoup d'acteurs engagés et passionnants qui travaillent en direction de la jeunesse et, à l'issue de ces rencontres, ressort l'impression d'un manque de coordination. Que répondez-vous à cela ?

Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État . - Madame la sénatrice, votre constat est partagé. L'idée des cités éducatives était précisément de réunir tous ces acteurs. Il y a une nécessité de coordination. Au niveau ministériel, on a constitué ce pôle réunissant plusieurs temps de la jeunesse ; ainsi, nous avons lié la vie associative, l'engagement, le sport et l'éducation.

La réforme de l'organisation territoriale de l'État (OTE) est entrée en application le 1 er janvier dernier. Elle rassemble les administrations de l'éducation nationale, de la jeunesse, de l'engagement et des sports. La jeunesse nécessite des politiques transversales, et nous souhaitons aller plus loin dans l'inter-ministérialité, notamment avec Élisabeth Borne, la ministre du travail, sur la question du mentorat. Au niveau des territoires, on retrouve cet état d'esprit dans les projets éducatifs territoriaux (PEDT), avec un véritable partenariat entre l'État, les collectivités et les associations.

La réforme de l'information jeunesse ou encore le développement de la Boussole ont pour objectif de faciliter et de simplifier l'accès à l'information pour les jeunes. Le plus important pour eux est d'avoir un point d'entrée ; c'était l'un des premiers engagements de la lutte contre le non-recours.

Mme Michelle Meunier . - Aller au-devant de la personne est souvent une démarche fructueuse, comme nous l'a encore rappelé Louis Schweitzer la semaine dernière lors de son audition. Pensez-vous améliorer le dispositif « 1 jeune, 1 solution » ? Les chiffres, pour l'instant, ne sont pas au rendez-vous.

Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État . - Un jeune sur deux ignore les aides dont il peut bénéficier. Nous avons donc cherché à renforcer ces expérimentations et ces projets où l'on va vers les jeunes, en s'appuyant sur les acteurs associatifs et ceux de l'éducation populaire qui ont cette culture. Cette idée est aujourd'hui portée par le collectif mentorat avec qui l'on travaille. Le renforcement du budget d'accompagnement des missions locales va également dans ce sens. Pour cela, nous travaillons beaucoup avec la ministre du travail et Brigitte Klinkert, la ministre déléguée à l'insertion. Si l'on veut lutter contre le non-recours et la non-consommation de dispositifs, il faut démultiplier ces expérimentations.

Mme Michelle Meunier . - Dans Ouest-France ce matin, un article faisait état des travaux de deux chercheurs qui ont produit une étude sur la ségrégation scolaire. La carte est caricaturale, avec une surreprésentation des catégories socioprofessionnelles favorisées dans les établissements du centre de Nantes. La carte scolaire ne fait pas partie des prérogatives de l'État, mais avez-vous des idées pour endiguer ce phénomène ?

M. Jean Hingray , président . - Pour compléter la question de Michelle Meunier, qu'en est-il des zones rurales ?

Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État . - J'ai lu cet article et la carte présentée est, en effet, assez inquiétante. Pour redynamiser la mixité sociale et lutter contre la ségrégation scolaire, j'évoquerai deux outils : le premier, c'est le SNU, qui a vocation à faire vivre cette mixité sociale ; le deuxième, ce sont les travaux menés par le ministre de l'éducation nationale et Nathalie Élimas, la secrétaire d'État chargée de l'éducation prioritaire, pour développer des options et des parcours spécifiques dans le cadre du plan pour l'égalité des chances.

Avec l'Institut national de la jeunesse et d'éducation populaire (Injep), nous travaillons sur des profils de jeunes issus des territoires ruraux, des régions ultramarines et des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV). Dans le collectif mentorat, nous avons cherché des associations connaissant bien les territoires ruraux ; je pense, par exemple, à l'expertise de l'association Des territoires aux grandes écoles. Tous les projets que nous menons dans les QPV ont vocation à s'ouvrir aux jeunes ruraux.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Où en est la mise en place du SNU ? Dans les objectifs fixés, quelle sera la part du service civique ? Je m'interroge également sur l'organisation matérielle du SNU ; à quelle période de l'année va-t-il se dérouler ? Pendant les vacances scolaires ? Et sous quelles formes vont se décliner les missions d'intérêt général (MIG) prévues dans la seconde phase du SNU ?

Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État . - La première expérimentation du SNU date de 2019. Parmi les retours d'expérience, on peut évoquer le fait qu'un jeune sur deux n'avait jamais pris le train de sa vie ; on a également pu identifier de nombreux problèmes de santé. Durant cette première expérimentation, 2 000 jeunes ont été accueillis dans 13 départements.

En 2020, en dehors de la Nouvelle-Calédonie, nous n'avons pas pu organiser de séjours de cohésion. Toutefois, certains jeunes qui s'étaient engagés avaient envie de réaliser leur MIG ; nous avons permis l'inversion du calendrier et ils ont pu vivre leur expérience, notamment dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). Après avoir noté cette appétence, nous avons, avec Brigitte Bourguignon, la ministre déléguée chargée de l'autonomie, accompagné la création de 10 000 missions « Service civique solidarité senior », permettant à des jeunes en service civique de vivre ce lien intergénérationnel.

En 2021, nous avons reçu plus 30 000 candidatures, avec des profils divers. On a recensé un tiers de jeunes urbains, un tiers de jeunes ruraux et un tiers de jeunes issus des zones périurbaines. Les profils familiaux et sociaux-professionnels sont également très variés, beaucoup plus que lors de la première expérimentation. Le SNU est pensé comme un moment de creuset républicain, où l'on débat, où l'on apprend, où l'on fait ensemble, avec l'aide des structures de l'éducation populaire et du monde éducatif, et celle des corps en uniforme.

Concernant l'encadrement, un adulte aura sept jeunes sous sa responsabilité. Parmi les centres d'hébergement, on compte des centres de vacances, des internats, des lycées généraux ou agricoles. La question du calendrier déprendra de l'obligation, et il n'y aura pas d'obligation sans un débat parlementaire et une généralisation du dispositif qui concerne aujourd'hui entre 700 000 et 800 000 jeunes. En 2021, avec un nombre de 25 000 jeunes et le choix du volontariat, nous restons en dehors du temps scolaire.

La règle posée est de sortir de chez soi et de son département pour rencontrer l'autre. Au niveau de l'articulation, la MIG se déroule après le séjour de cohésion ; elle dure 15 jours ou 82 heures, et elle est principalement portée par le monde associatif, des collectivités de toutes tailles et des corps comme ceux de la gendarmerie, de la police ou des armées.

La dernière étape du SNU, celle du volontariat, concerne les missions d'engagements longs, entre 6 et 12 mois en fonction de la mission et selon les mobilités ; c'est là qu'intervient le service civique, à la fin du processus entamé par le séjour de cohésion. Avec l'agence du service civique, on travaille sur les parcours d'engagements ; par exemple, on précise à chaque jeune les formats européens de service civique auxquels il peut prétendre au-delà de ses études. Ce dispositif sera une réussite s'il arrive à conjuguer mixité sociale et mobilité territoriale, et si chaque jeune en repart avec des apprentissages qui lui serviront.

Mme Michelle Meunier . - Concrètement, comment cela va-t-il se passer ? Quand on est une association ou une commune, faut-il en passer par les appels à projets ?

Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État . - Concernant le séjour de cohésion, les associations sont aujourd'hui en lien avec les services territoriaux. Si les structures associatives accueillent le centre ou si elles proposent leurs animateurs pour encadrer les jeunes dans le centre, les expérimentations dépendent des territoires. Ensuite, vient le temps des MIG. L'idée n'est pas d'en passer par les appels à projets ; les services déconcentrés de l'État contactent les collectivités pour sensibiliser les maires et développer les MIG.

Concrètement, voilà le calendrier que nous suivons : nous avons commencé par les mairies accueillant des centres Service national universel (SNU) ; la deuxième phase, d'ici la fin de l'été, consiste à travailler avec celles qui envoient des jeunes en séjour de cohésion - 5 000 communes sont concernées ; enfin, des travaux ont vocation à être menés avec les associations d'élus au bénéfice des communes qui le souhaitent.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Depuis très longtemps, les associations d'éducation populaire jouent un rôle essentiel auprès de la jeunesse. Mais elles ont peine à survivre... Lorsque nous les avons rencontrées, elles se sont notamment plaintes des modes de financement par appels à projets. Nous devons les entendre !

Les associations d'éducation populaire avaient pourtant retrouvé leur raison d'être et avaient fait montre de leur efficacité lors de la modification des rythmes scolaires. Mais votre gouvernement y a mis fin et nous sommes revenus à la semaine de 4 jours. Cette réforme a été mise en place de façon précipitée, dans une période de crise où nombre de communes ont vu leurs dotations diminuer.

Plutôt que de mettre fin aux dispositifs d'éducation populaire, il aurait mieux valu les renforcer et octroyer aux communes des moyens supplémentaires - bon nombre n'y auraient pas renoncé, tel que cela s'est produit.

Tous les travailleurs de la petite enfance le reconnaissent : la semaine de 4 jours et demi facilite vraiment les apprentissages. Que ce soit dans les villes ou en zones rurales, elle permettait aux enfants, grâce à l'investissement des associations d'éducation populaire ou aux engagements d'éducation des petites communes, de faire connaissance avec toutes sortes de choses auxquelles ils n'avaient alors pas accès. Je déplore sincèrement qu'il ait été mis fin à ce dispositif...

Quel est votre avis sur la question, madame la secrétaire d'État ?

Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État . - Aujourd'hui, il est clair que nous pouvons améliorer les relations avec les structures d'éducation populaire. Certaines communes sont revenues sur le rythme scolaire, avec toutes les différences territoriales que cela a pu engendrer...

Nous sommes en train de démultiplier les contrats pluriannuels afin que les acteurs de l'éducation populaire, qu'ils dépendent ou non de l'éducation nationale, n'aient plus à répondre de leurs missions d'une année sur l'autre, vis-à-vis d'interlocuteurs divers. C'est d'autant plus important que leur action socio-éducative répond à un besoin réel.

Dans un premier temps, beaucoup d'enseignants se sont engagés dans l'éducation populaire ; plusieurs étaient accompagnateurs de colonies de vacances. S'est succédé à cela une période de creux, durant laquelle l'éducation nationale et l'éducation populaire ont pris leurs distances. Aujourd'hui, une période de renouveau s'ouvre à nous : le ministre Blanquer veut rapprocher de nouveau ces deux corps d'éducation, dans le but d'améliorer leur fonctionnement. C'est d'ailleurs dans cette perspective qu'a été déployé le plan Mercredi, qui propose des activités culturelles et de loisirs à vocation émancipatrice.

Durant la crise, les centres de colonies de vacances, avec ou sans hébergement, n'ont eu d'autre choix que de rester fermés. Ils permettent pourtant à tant de jeunes de partir en vacances, notamment à ceux qui en ont le plus besoin ! C'est pourquoi j'ai lancé un plan d'urgence de 15 millions d'euros destiné à les financer.

Aujourd'hui, le premier enjeu est de prioriser les contrats pluriannuels par rapport au financement par appels à projets. Telle est la philosophie poursuivie par le ministère, à travers les plans Mercredi et Vacances apprenantes, afin d'assurer une coordination et une coconstruction plus grandes.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Toutes les associations et les structures que nous avons rencontrées se sont dites favorables à un revenu de subsistance pour les jeunes de moins de 25 ans.

Nous avions déposé une proposition de loi visant à créer un RSA jeunes
- le RSA existant déjà, il aurait été facile de mettre en oeuvre un tel dispositif -, mais, pour le moment, cet appel n'est pas entendu. Comment l'expliquez-vous ?

Dernièrement, le Président de la République a annoncé le lancement d'une allocation de 500 euros pour les jeunes de moins de 25 ans. Où en est ce projet ?

Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État . - Madame la rapporteure, au-delà des lignes politiques qui nous séparent, notre préoccupation en matière de précarité des jeunes est commune. Cette dernière s'est accrue pendant la crise : aider financièrement les jeunes qui ne s'en sortent pas va donc de soi.

Aujourd'hui, le Gouvernement met en oeuvre tous les moyens nécessaires pour soutenir financièrement les jeunes qui en ont besoin, tout en renforçant les mesures d'accompagnement social. Le nombre de bénéficiaires de la Garantie jeunes a été élargi - 100 000 jeunes supplémentaires en ont ainsi bénéficié. Ce qui compte, en définitive, c'est le parcours d'insertion, car il lève toutes les difficultés.

Il n'y a aucun tabou sur la question de l'accompagnement financier des 18-25 ans, mais notre priorité était d'élargir le nombre de bénéficiaires de la garantie jeunes et d'assurer un accompagnement individualisé et plus long, jusqu'à 18 mois.

Le RSA nous paraissait ne pas jouer son rôle d'insertion, d'où le choix du Gouvernement de renforcer la Garantie jeunes : c'est un magnifique dispositif, qui finit par répondre à toutes les difficultés, qu'il s'agisse, entre autres, de l'accès à la santé ou du logement.

Au-delà d'une aide financière, les jeunes ont besoin d'un accompagnement humain. Telle est la ligne que nous avons adoptée en priorité et, à ce titre, nous avons considéré qu'il fallait concentrer nos efforts sur la Garantie jeunes : dès la remise du rapport du Conseil d'orientation des politiques de la jeunesse (COJ), Élisabeth Borne et moi-même avons travaillé à l'élargir, sans aucun frein financier.

Mme Michelle Meunier . - Notre mission d'information a mené beaucoup d'auditions sur la question du fossé numérique entre les jeunes. Les jeunes ont pour point commun de posséder un équipement numérique mobile, mais ils ne l'utilisent pas tous de la même manière.

Que compte faire le Gouvernement à ce sujet ?

Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État . - Sur cette question, il y a presque un malaise. L'illectronisme des jeunes n'est pas un fantasme, c'est une réalité.

Mme Michelle Meunier . - On a tendance à se focaliser uniquement sur les personnes âgées !

Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État . - En effet, c'est les plus âgés que nous avons l'habitude d'accompagner. Mais les plus jeunes sont aussi victimes de la fracture numérique - et elle s'accroît !

À travers les dispositifs « 1 jeune, 1 solution » et La Boussole des jeunes, le Gouvernement s'efforce d'accompagner les jeunes vers plus d'autonomie numérique.

Le ministre Blanquer travaille au renforcement des projets pédagogiques, via un plan numérique. En raison de l'expertise des acteurs de l'éducation populaire, sur des temps scolaires et périscolaires, les jeunes peuvent acquérir des compétences et de nouveaux outils. Nombreux sont ceux qui, grâce à ce système, ont pu trouver leur chemin et s'en sortir.

Frédérique Vidal et moi-même sommes en train de développer 89 campus connectés. Mais pour pleinement lutter contre les inégalités, nous devons assurer l'accès des jeunes aux outils numériques, ce qui n'est pas toujours acquis comme l'a démontré la crise. Les jeunes ne possèdent pas tous un ordinateur et beaucoup n'ont pas accès à internet ; en revanche, ils ont tous des smartphones, mais ces derniers ne permettent ni d'étudier ni de remplir des formulaires d'aides et créent en définitive une sorte de barrière.

L'éducation à l'information, dans le cadre de l'utilisation des smartphones, est indispensable pour prémunir les jeunes contre les fake news et les problèmes de harcèlement, d'autant que ces outils numériques tombent entre les mains des enfants à un âge de plus en plus précoce. Parce que l'accès aux médias via les smartphones constitue un fléau et peut mener au pire, nous nous efforçons d'y sensibiliser les jeunes et de renforcer leur éducation, avec l'aide des acteurs de l'éducation populaire.

Enfin, à travers les maisons France Service, nous nous employons à coordonner le réseau Information Jeunesse et travaillons à ce que les jeunes puissent être accompagnés par d'autres jeunes accomplissant leur service civique ou bénéficiant d'un premier contrat, dans un lien de pair à pair, sur le modèle des missions numériques.

M. Jean Hingray , président . - Je vous remercie, madame la secrétaire d'État, d'être venue échanger avec nous sur ces sujets.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat .

Audition de M. Yves Jégo, président d'honneur et fondateur
de la certification Origine France Garantie, et M. Arnaud Montebourg, président de la société « Les équipes du made in France »

(Mercredi 9 juin 2021)

M. Jean Hingray , président . - Nous sommes heureux de recevoir M. Yves Jégo, président d'honneur et fondateur de la certification Origine France Garantie. M. Arnaud Montebourg, président de la société Les équipes du made in France va nous rejoindre d'ici quelques instants.

Avec notre rapporteure, Monique Lubin, qui suit notre réunion en visioconférence depuis son département et que je salue, notre mission d'information s'intéresse aux moyens de favoriser l'émancipation de la jeunesse.

Le produire en France a-t-il un avenir, pour donner des perspectives à notre jeunesse ?

C'est le thème sur lequel nous souhaitions échanger avec vous. Je vous propose donne la parole pour un propos introductif.

M. Yves Jégo, président d'honneur et fondateur de la certification Origine France Garantie . - Je suis très honoré d'être parmi vous aujourd'hui sur un sujet majeur et qui me passionne : que fait-on pour la génération montante dans un monde de changements profonds et brutaux ?

Depuis plusieurs années, je suis engagé en faveur de la France des usines et des ateliers. Notre pays dispose d'entreprises, d'actionnaires et de marques qui bien souvent n'ont plus d'usines et d'ateliers en France.

Je suis attaché à la production française, dans une vision qui n'est pas fermée ni ultra-souverainiste, et qui se veut ouverte, dans un monde où les produits circulent. Mais je constate que là où les usines ont fermé se dessine une géographie française du mécontentement et du chômage, qui est finalement celle des gilets jaunes, celle de cette France rurale ou semi-rurale en désespérance faute d'avenir pour ses enfants.

Origine France Garantie est une association loi de 1901 que j'ai présidée pendant douze ans, avec l'objectif de mettre à disposition des entrepreneurs un outil certifiant l'origine de leurs produits. Plus de 600 entreprises couvrant plus de 6 000 gammes de produits ont eu recours à cet outil de certification.

C'est le combat pour la France des usines et des ateliers qui m'anime. Pour moi, produire en France constitue un véritable projet de société. Nous manquons aujourd'hui d'un projet partagé, capable de créer un lien entre les Français. Produire en France peut donner du sens à un projet collectif mobilisant les outils de formation et notre jeunesse. Il s'agit de donner à chacun une place dans la société, en tant que producteur, réalisateur de produits entrant dans notre vie quotidienne. J'y vois un moyen d'épanouissement, à un moment où beaucoup aspirent, dans tous les domaines, à faire eux-mêmes, à devenir des « makers ».

Le premier moteur de ce projet, ce sont les perspectives de création d'emploi qu'il ouvre pour la jeunesse : pas seulement des emplois d'ouvrier, mais aussi d'ingénieur, de technicien, de concepteur... En cela, il est très mobilisateur.

Comment intégrer la jeunesse dans ce projet, la mener sur le chemin des usines et des ateliers ?

L'industrie souffre dans notre pays d'un déficit d'image. La dirigeante d'une usine de fabrication de chaussures témoignait récemment de sa difficulté à recruter des piqueuses et constatait. Un emploi de caissière de supermarché, moins qualifié et moins payé, est privilégié à celui d'ouvrière, car on ne souhaite pas avoir à dire que l'on travaille à l'usine.

Il est donc nécessaire d'entreprendre un gros effort de communication et de promotion des métiers de l'industrie.

Ces dernières années, grâce à la télévision, le métier de cuisinier est de nouveau reconnu. La société doit fabriquer des « stars » de la production.

Il existe aujourd'hui une génération montante du produire en France : on le constate dans tous les secteurs d'activité, avec des jeunes voulant créer leur société. Appuyons-nous sur cette génération pour en faire les héros de demain, les valoriser et renforcer l'attractivité des usines et des ateliers qui produisent en France. Mobilisons les territoires pour accueillir et former ces jeunes.

Soyons également conscients de la dimension particulière que notre culture donne à la production française. La marque France est portée par un imaginaire culturel français qui constitue un véritable levier pour le produire en France.

Il s'agit d'un projet de société global, complet, qui concerne autant la formation que le développement du digital ou la promotion des circuits courts pour préserver l'environnement. Cela donne du sens et de la motivation pour la jeunesse.

Dans le cadre de vos travaux sur la jeunesse et l'égalité des chances, j'ai la conviction que l'une des réponses réside dans l'outil productif. Nous avons besoin d'usines et d'ateliers de proximité, dans tous les territoires. Nous devons valoriser ceux qui produisent et promouvoir les héros de la production !

M. Arnaud Montebourg, président de la société « Les équipes du made in France » . - De grandes mutations se profilent. Il faut s'attendre à des effondrements économiques dans certains secteurs important et une nouvelle économie est à créer.

Se pose également un enjeu de souveraineté économique : nous aurons à relocaliser une partie des outils de production stratégiques.

L'industrie représente 11,5 % de notre PIB, ce qui nous place en dernière position des grands pays européens. Atteindre 15 %, c'est-à-dire rattraper l'Espagne ou l'Angleterre, supposerait de rapatrier 75 milliards d'euros de chiffre d'affaires et nous serions encore loin de l'Italie ou de l'Allemagne.

Pour cela, il y a un grand besoin en compétences et en qualifications. Trop de jeunes sortent du système scolaire sans les qualifications adéquates.

Mon expérience personnelle me conduit à penser que les grandes réformes macroéconomiques ne fonctionnent pas, faute de pouvoir mettre en oeuvre un suivi opérationnel suffisamment efficace sur le terrain.

À l'inverse, comme j'ai pu le constater dans mon activité d'entrepreneur, il est possible de faire évoluer les choses en partant du niveau microéconomique.

Il est bien connu aujourd'hui que la transformation de l'agriculture et la transition écologique pourraient créer des millions d'emplois. Pour autant, personne ne semble vouloir occuper ces emplois, principalement pour des raisons culturelles.

Pour développer la formation au plus proche des réalités du terrain il faut que les entreprises créent des écoles avec une garantie d'emploi à la clé et un financement par le système de formation professionnelle. Il faut le faire dans l'ensemble des secteurs porteurs. Xavier Niel suit cette démarche dans le domaine du codage informatique. J'ai moi-même lancé une école d'apiculture, que j'ai dû fermer au bout de deux ans faute de financement. Il m'a également été opposé l'impossibilité de mobiliser les dispositifs existants pour former les gens à créer leur propre emploi.

Le système actuel de financement de l'apprentissage n'est pas adapté car trop bureaucratique et trop segmenté par branche professionnelle et par région. Ce sont les entreprises elles-mêmes qui connaissent leurs besoins, c'est d'elles que doit partir l'initiative.

C'est ainsi que des jeunes pourront placer leur confiance dans un métier qu'ils ont appris, quitte à ce qu'en contrepartie soient fixées certaines obligations, par exemple une durée minimale de maintien dans l'entreprise. Cela permettrait à bien des jeunes de sortir de leur milieu, d'apprécier le sens de leur travail et de faire l'apprentissage de l'art, car pour moi, l'agriculture comme l'industrie supposent des gestes, des méthodes, des apprentissages fins et pour autant accessibles à beaucoup de jeunes.

M. Jean Hingray , président . - Dans la logique de cette approche micro-économique, voyez-vous un rôle particulier pour les régions ou les départements ?

M. Arnaud Montebourg . - La formation professionnelle fonctionne sur un modèle paritaire. Les entreprises sont parties prenantes et c'est à elles de prendre l'initiative, car elles connaissent leurs besoins. On constate aujourd'hui un engouement croissant pour le retour à la terre et vers des métiers de la production, qui peut permettre de répondre aux besoins des territoires.

C'est en partant du niveau local que l'on peut changer la vie des français. Malheureusement, le système politique français ne fonctionne qu'avec de grandes annonces et de grands objectifs chiffrés.

Avec la réforme territoriale, l'échelon régional peut sembler éloigné des besoins du terrain. Les départements ont aujourd'hui un rôle essentiellement social. Un rôle de coordination et d'impulsion pourrait sans doute être confié aux préfets de département.

Mme Michelle Meunier . - Merci de nous permettre ce pas côté par rapport aux auditions menées jusqu'ici par notre mission d'information. Je me réjouis de constater une convergence de vues entre MM. Montebourg et Jégo.

Je suis fille et soeur de cordonnier et je peux témoigner qu'il s'agit d'un métier passionnant et valorisant. Pourtant, mon frère n'a pas pu trouver de repreneurs en raison de l'image négative que peuvent avoir les activités considérées comme manuelles.

Je partage le souhait de renforcer l'apprentissage, qui est encore trop souvent un choix fait par défaut.

Comment renforcer l'attractivité de cette voie pour les jeunes et faire évoluer l'image des métiers techniques ?

M. Yves Jégo . - Je partage le point de vue d'Arnaud Montebourg sur l'approche micro-économique et les effets d'entraînement pouvant en résulter sur les territoires, de préférence aux projets de grande réforme d'organisation.

Il convient de s'attaquer au problème culturel qui fait qu'en France, au-delà des discours sur les mérites de l'apprentissage, les parents le considèrent toujours comme une voie moins valorisante dans laquelle ils ne souhaitent pas, pour la plupart, engager leurs enfants.

Les journées portes ouvertes dans des usines, les visites scolaires, sont des idées simples et pragmatiques qui ne sont pour autant pas assez développées.

Il faudrait que dans les programmes scolaires, l'orientation soit abordée très différemment. La place qui lui est assignée est extrêmement faible. Les centres d'information et d'orientation (CIO) manquent de moyens. Il faut concrètement faire visiter des usines et des exploitations et faire découvrir ces métiers de la production.

Un mouvement est en train de naître, de plus en plus de Français veulent être des « makers » et retrouver la satisfaction de l'acte de production. Il faut que les pouvoirs publics amplifient ce mouvement. Cela suppose aussi de dédramatiser et de valoriser le travail manuel ou en usine. Les médias, et notamment les médias publics, ont un rôle à jouer en ce sens. On l'a vu pour les métiers de la restauration et de la pâtisserie. Les jeunes s'orientent vers ces formations parce que la télévision a porté ces métiers. Il faut mettre en avant des exemples, créer des héros dans l'imaginaire collectif. On a bien vu comment l'image des soignants véhiculée pendant la crise sanitaire a permis de susciter de nouvelles vocations d'infirmiers.

Il s'agit d'un projet de société. Le ministre chargé de l'industrie pourrait avoir une mission beaucoup plus transversale à ce sujet.

Ouvrons les usines, les ateliers, les fermes aux visites scolaires et nous contribuerons à développer envies et initiatives chez les jeunes.

M. Jean Hingray , président . - Faut-il inscrire l'orientation dans les programmes scolaires ?

M. Yves Jégo . - L'école doit développer la capacité de détecter les talents de chacun, non seulement les talents académiques, et la découverte des métiers ne doit pas être limitée à un stage en troisième, qui par ailleurs n'est jamais une usine. L'orientation doit être un moment fort de la scolarité, abordée dans les programmes scolaires plusieurs heures par semaine.

Il faudrait des professeurs d'orientation, qui devraient faire venir des intervenants extérieurs, chefs d'entreprises, créateurs, agriculteurs, faire visiter des usines, découvrir la réalité des métiers. La question de l'orientation doit être récurrente dans la vie de l'enfant, et non se poser uniquement lorsqu'il est temps de choisir. Lorsqu'on ne sait pas quelle voie choisir, l'outil d'aide à l'orientation n'existe pas. Or, s'agissant de l'éducation nationale, le débat se concentre surtout sur les cursus et les programmes et non sur l'orientation qui est pourtant absolument majeure.

Le directeur des ressources humaines du Futuroscope m'indiquais, il y a quelques années, avoir renoncé à recruter avec des curriculum vitae (CV) pour ne faire passer aux postulants que des tests d'habileté. Il ne regardait le CV qu'a posteriori. Dans la moitié des cas, le CV était très éloigné des compétences des personnes. Il a depuis entièrement renoncé aux CV. Le parcours d'insertion professionnelle reste fondé sur des critères qui ne sont plus ceux d'aujourd'hui. Des grandes entreprises comme Jouve, qui fait de la numérisation, recrutent parmi les champions de e-sport et montrent que jouer aux jeux vidéo est un formidable travail de préparation aux habilités numériques. Notre système n'est plus adapté à la réalité du monde et doit évoluer. Si des formations à l'orientation étaient prises en charge, si on visitait plus d'usines, certains se découvriraient peut-être des vocations.

M. Jean Hingray , président . - Les chaînes publiques ne devraient-elles pas prendre leur part de responsabilités ?

M. Yves Jégo . - Les chaînes publiques devraient réfléchir à des programmes attrayants, mettant en avant ceux qui travaillent et fabriquent. Le système médiatique est capable de construire des héros, mais aujourd'hui la production à l'usine est vue comme douloureuse et dégradante. Or l'imaginaire du jeune est construit par son environnement, et non seulement l'école.

M. Jean Hingray , président . - Que pensez-vous du dispositif sur le mentorat ?

M. Arnaud Montebourg . - Je ne connais pas assez ce dispositif pour me prononcer sur le sujet.

M. Yves Jégo . - Moi de même.

M. Jean Hingray , président . - Quel est votre point de vue dans le débat sur l'attribution d'une garantie de revenu aux jeunes de 18 à 24 ans ?

M. Arnaud Montebourg . - Il est certain que la jeunesse est en difficulté. Selon le Gouvernement, il faudrait que les jeunes travaillent davantage. Encore faut-il qu'il y ait du travail. Lorsqu'on est sans emploi, et que l'on n'a pas d'assurance chômage car l'on n'a pas cotisé, l'on est condamné à la pauvreté ou à vivre aux crochets des parents, qui n'en ont pas toujours les moyens. Je ne comprends pas pourquoi il n'a pas été mis en oeuvre un mécanisme faisant varier les allocations en fonction du taux de chômage. Lorsqu'il est très élevé, il est normal qu'il y ait un secours. Je ne suis pas un fanatique des allocations, dont on est dépendant toute sa vie, qui ne doivent pas être la solution. Cependant, nous sommes en période exceptionnelle, avec des dégâts humains considérables et les jeunes ne peuvent prendre tous les coups. Une jeunesse abîmée pourrait désespérer de la société.

M. Yves Jégo . - S'agissant du RSA pour les moins de 25 ans, la difficulté est d'assortir cette allocation à une activité, la société ayant du mal à admettre que pour certains de nos compatriotes, il sera très difficile de retrouver une insertion professionnelle. J'ai été fondateur de l'école de la deuxième chance en Seine et Marne et je suis vice-président de la fondation Édith Cresson pour les écoles de la deuxième chance. J'ai vécu l'arrivée de la Garantie jeunes. Mais lorsqu'un jeune a le choix entre intégrer une école de la deuxième chance, ou bénéficier d'une allocation sans contrepartie de 20 % de plus, le choix est vite fait. Je pense qu'il faut s'intéresser à la Garantie jeunes mais en étant innovant. Il faut apporter aux jeunes un revenu public, assorti d'une formation, si besoin dans des lycées pour adultes, lors des 146 jours de fermeture des établissements scolaires. Les 56 000 établissements scolaires fermés la moitié de l'année constituent un réel gâchis. Il me semble que, vu le niveau d'orthographe déplorable de certains jeunes, il faut utiliser ces établissements qui ne servent à rien pour renforcer leurs compétences dans certains domaines, et notamment le français, ou pour améliorer le niveau en langues et plus particulièrement en anglais, qui est la langue du futur. Il y a peu de chose à faire car tout existe, il suffit de remobiliser le patrimoine qui ne sert à rien. Je me souviens avoir voulu utiliser les locaux des collèges pour monter une aide aux devoirs. À l'époque les principaux de collège étaient très récalcitrants, car leur responsabilité est engagée dès que les élèves sont dans l'établissement, ce qui aboutissait à laisser les bâtiments vides l'essentiel de l'année. Éviter le gâchis de matériel public doit être une priorité, alors que des jeunes dans la rue sont aujourd'hui désoeuvrés.

Mme Michelle Meunier . - Je suis d'accord avec vous concernant le cloisonnement et ces systèmes qui ne fonctionnent pas ensemble et qui peuvent être sclérosants. Par ailleurs, comment améliorer plus particulièrement la situation des jeunes femmes. Les métiers de l'industrie et de la production sont souvent des métiers très masculins.

M. Yves Jégo . - J'ai beaucoup visité d'usines et le milieu, y compris les usines lourdes, à l'exception des aciéries, est très féminin ; à rebours, dans les usines textiles, les ouvrières sont quasi uniquement des femmes, ce qui pose également un problème de déséquilibre. Je ne dis pas que le combat est gagné, mais j'ai été très surpris, et je visite une cinquantaine d'usines par an.

Mme Michelle Meunier . - C'était le sens de ma question. Il est redoutable que les métiers soient segmentés selon le genre ; les métiers du soin à la personne étant trop féminisés par exemple. Comment inciter encore à davantage de mixité ?

M. Arnaud Montebourg . - Je pense que cela implique de parler de salaire. La question de la répartition de la rémunération entre le capital et le travail est centrale. Nous ne sommes pas équilibrés sur ce point. Un rapport McKinsey sur la dernière décennie, a montré que dans l'OCDE, 580 millions de ménages, soit 72 %, ont vu leur pouvoir d'achat stagner ou régresser. Lors de la décennie antérieure, c'était le cas de seulement 10 millions de ménages. Et pendant ce temps-là, l'économie a continué à fonctionner, et 80 % de la richesse est allée vers 1 % des patrimoines. Vous voyez la tension qui s'exerce. Les « premiers de corvée » qui ont fait tourner la France pendant la crise sont les plus mal payés.

Ce sujet apparaît même dans la pensée économique majeure. Patrick Artus, économiste chez Natixis, est par exemple l'auteur de Et si les salariés se révoltaient, et Pour en finir avec l'austérité salariale. Selon lui, il n'existe pas de politique de partage de la richesse créée. Cette promesse n'a pas été tenue par la droite ni mise en oeuvre par la gauche. Je suis de ce point de vue un gaulliste social. Les Allemands exercent un partage du revenu par le syndicalisme dans l'entreprise. En France, les salaires n'évoluent pas, les négociations salariales annuelles sont très pauvres. Je suis favorable aux dividendes salariés. Le Président de la République a initié des primes très ponctuelles, mais elles ne constituent pas un partage amélioré. Les rémunérations féminines plus faibles à travail égal nous incitent à nous pencher sur le rattrapage salarial de certains secteurs, comme la grande distribution ou le soin, qui ont peuplé les ronds-points des gilets jaunes et qui ont été en première ligne pendant la crise.

S'agissant de l'orientation, l'Onisep était un service public autonome. Mais le sujet concerne l'ensemble de la société et non uniquement l'éducation nationale. Dans les années 1950, les meilleurs étaient repérés par les instituteurs et dirigés vers les écoles normales. Aujourd'hui, les professeurs des écoles ne sont pas formés. On peut imaginer qu'il y ait des écoles normales sur tous les secteurs où les besoins existent, par exemple des écoles normales d'agriculteurs, etc.

M. Jean Hingray , président . - Nous allons conclure cette réunion.

M. Yves Jégo . - Je vous remercie de m'avoir convié . Nous touchons à un sujet majeur de la politique de notre pays, mais son organisation et sa structuration sont aujourd'hui si complexes qu'elles sont impossibles à réformer de manière globale. Il s'agit néanmoins de trouver les moyens d'avancer.

M. Arnaud Montebourg . - Si je devais retenir une recommandation en conclusion, elle concernerait notre système de formation professionnelle. On enchaîne réforme sur réforme, mais l'immobilisme prévaut. Quant à la gestion de son compte formation par une application sur un smartphone, je trouve cela grotesque : les choix sont certes individuels, mais les besoins sont collectifs. Il est absolument stratégique, pour un pays, d'orienter les formations. C'est ce que font tant les États-Unis, dans un cadre libéral, que la Chine, dans un cadre autoritaire : ils dirigent leurs talents vers les secteurs prioritaires. Si nous ne mettons pas en place un « plan quinquennal » pour la formation, nous serons « morts » et nous deviendrons ce que Michel Houellebecq a prédit dans « La carte et le territoire » : un pays magnifique d'emplois de service et de gardiens de musée pour accueillir une riche clientèle venue du reste du monde.

M. Jean Hingray , président . - Je vous remercie d'être venus échanger avec nous sur ces sujets.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat .

Audition de M. Jean-Louis Borloo, ancien ministre d'État

(Mercredi 30 juin 2021)

M. Jean Hingray , président . - Monsieur le Ministre, merci d'avoir bien voulu être entendu par la mission d'information sur la politique en faveur de l'égalité des chances et de l'émancipation de la jeunesse. Cette mission d'information a été souhaitée par le groupe socialiste et j'ai l'honneur de la présider depuis quelques mois.

Nous avons voulu solliciter votre expérience, notamment dans la politique de la ville, avec le plan de rénovation urbaine et les propositions de relance que vous avez récemment formulées. Nous souhaitons savoir si de votre point de vue, les écarts de chances se sont accentués dans notre pays. Quel état des lieux pouvez-vous dresser ? Quelles propositions pouvez-vous formuler ?

Je vois que vous avez amené avec vous le document « Vivre ensemble, vivre en grand », produit en 2018. Nous vous écoutons, avant de vous poser des questions.

M. Jean-Louis Borloo, ancien ministre d'État . - Monsieur le Président, Mesdames et messieurs. Je suis ravi d'être dans cette maison de réflexion de fonds sur la gouvernance de notre pays. Pourquoi est-il important que ce sujet soit évoqué au Sénat ? Il existe une réalité contre-intuitive selon laquelle la France serait un pays centralisé. Ce n'est pas le cas. La « Cour » l'est, mais la France est émiettée. Elle compte un nombre très élevé de vraies puissances d'action, d'intelligence et de moyens financiers que sont par exemple les organismes de sécurité sociale, comme la Caisse nationale des allocations familiales, les chambres de commerce, d'agriculture ou de métiers, les collectivités locales et bien d'autres. Le sujet qui nous intéresse aujourd'hui est prioritaire. Il doit être traité par toutes les forces vives de la nation en même temps, sans quoi cette mission d'information serait inutile. Le Sénat étant la maison des territoires par excellence, cette audition a d'autant plus de sens.

Ce sujet est vraiment le plus important de notre pays aujourd'hui. Une nation est, au fond, similaire à une voiture thermique. Celle qui aurait quatre cylindres, mais ne tournerait que sur trois d'entre eux - le quatrième représente la jeunesse qui n'est pas dans le train de la réussite, de la République, de la société -, serait une nation condamnée à un déclin lent, mais inéluctable et irréversible.

Essayons de comprendre pourquoi, lorsque certains pays affichent une croissance extraordinaire, la nôtre est l'une des plus mauvaises. On nous avance des raisons de fiscalité. C'est faux. La puissance d'un pays dépend de ses ressources humaines. Un quart de la jeunesse est « en bas de l'immeuble ». Elle est imaginative, pleine de lumière et d'espoir, multiculturelle, multilingue, agile, rêveuse, mais elle n'est pas là. À un moment donné, lorsqu'on n'est pas là, on est malheureusement autre part. Je suis très heureux que Paris-Saclay soit, cette année encore, consacrée parmi les grandes universités du monde. Toute une jeunesse de la France est extrêmement performante et brillante. Trois des dix premières écoles de commerce du monde sont françaises dans le secteur de la finance. C'est extraordinaire. Pour autant, notre système relève d'une conjugaison de ségrégation urbaine, d'arrivées non maîtrisées et non contrôlées, de systèmes familiaux déstructurés, mais avec beaucoup d'enfants, et d'une concentration de tous les problèmes au même endroit. Cela nous mène à une situation dramatique et irréversible.

Pour cette raison, je suis très heureux que vous organisiez cette audition. Vous devez, selon moi, vraiment aller à l'essentiel, et dresser un diagnostic sans concession. Il ne s'agit pas de critiquer tel moment de la vie démocratique ou tel gouvernement. Le problème est structurel. Il dépend d'une France dont le modèle reste homogène, alors qu'elle est elle-même hétérogène dans l'exercice de ses talents, dans ses écoles, dans sa formation. Elle est de plus en plus consanguine d'un côté, et de plus en plus écartée de l'autre. Ce système ne peut pas continuer ainsi.

Nous pourrions nous intéresser à telle ou telle mesure, mais nous avons besoin d'une mobilisation de l'ensemble des forces de la nation. Je pense par exemple aux caisses d'allocations familiales. Seules 5 % des 20 % de familles les plus pauvres en France accèdent à la socialisation par la crèche ou l'accueil. Pourquoi ?

De grâce, dites les choses fortement. Nous avons besoin d'un cri d'alarme. Faudra-t-il encore attendre de la violence pour que ce sujet soit mis sur la table ? La chance de notre pays réside dans sa jeunesse. Nous ne pouvons pas continuer ainsi. Les chiffres sont accablants.

Pour la jeunesse qui est dans le train de la réussite, tout va bien. Nous pouvons améliorer deux ou trois points, mais le système fonctionne bien. Il y a une quinzaine d'années, un collègue allemand m'indiquait que son pays était plus performant que le nôtre dans la majorité des secteurs d'activité, à l'exception de la médecine. Il expliquait cette différence par le fait qu'en médecine, nous pratiquions l'apprentissage, et pas eux. Autrement dit, l'apprentissage des différents métiers tout au long de la vie, dès un âge assez jeune, serait le seul point de faiblesse du modèle français classique. Pour le reste, il relève plutôt de l'excellence. La République n'a pas beaucoup plus à faire dans ce domaine. La sociabilisation pour les plus petits est très en avance en Europe. Le modèle français est bien différent du système anglais. L'ensemble des pouvoirs publics et des responsables s'occupent plutôt bien de la jeunesse. Nous pouvons nous en féliciter, même si nous pourrions bien évidemment toujours faire mieux. Ce n'est pas vital, et cela ne mérite pas une mission.

Pour autant, un petit quart de la jeunesse est totalement à l'écart. Tout commence à la crèche ou dans les systèmes d'accueil sociabilisés sous toutes leurs formes. Ces dispositifs sont six fois moins nombreux là où les besoins sont probablement trois fois plus importants. Quelqu'un a-t-il voulu ce scandale ? Bien sûr que non. Personne, en France, n'a décidé un jour d'affecter moins de moyens dans ces territoires. Il s'agit simplement de notre mécanique habituelle. Nous avons deux tares : les appels à projets et le cofinancement. La Caisse nationale d'allocations familiales exige un cofinancement par les collectivités et les parents. Les pauvres n'ont pas l'argent nécessaire pour payer le reste à charge. Cet outil d'universalisme de la méthode est scandaleux. Les parlementaires devraient unanimement décider de concentrer tous les moyens sur ces quartiers.

Tout commence à deux ans, dans toute la chaîne jusque l'arrivée à l'école. Cette période est vitale, puisqu'elle comprend l'apprentissage de la langue et du collectif, qu'elle permet d'alléger les familles et de les faire accéder à l'emploi, notamment pour les familles monoparentales. Combien de familles monoparentales se trouvent en difficulté ? Toutes les études américaines et scandinaves démontrent que cette période impacte la moitié de l'histoire, avec les programmes périscolaires. L'action sociale ne revient pas à gaspiller de l'argent. C'est au contraire un investissement dont la rentabilité est considérable. Ce sujet est vital et réglable. Il suffit de décider d'investir uniquement dans le rattrapage de besoins identifiés. Là où les collectivités sont riches, elles peuvent se débrouiller avec leur système d'accueil pendant cinq ans.

Si vous ne prenez pas le sujet à bras le corps maintenant, il sera oublié.

Je rappelle que cette situation est liée à la ségrégation urbaine. C'est vrai aussi outre-mer comme dans les zones rurales ou industrielles en déprise, ou dans les quartiers en difficulté. Dans notre pays, il est fascinant de constater que nous acceptons que des poches entières ne soient pas soutenues par la République. Les décrochants sont invisibles, jusqu'à ce que la violence, la délinquance ou l'extrémisme éclatent.

La ségrégation urbaine est un terrible phénomène. Nous avons autorisé l'immigration de travail. Nous avons construit son accueil à la va-vite, sur les préceptes de la charte d'Athènes. Ne m'en voulez pas de considérer cela comme le plus grand délire urbain communiste de l'humanité. Nous voyons les mêmes cités ailleurs dans le monde, sans commerces, ni bureaux, ni vraie ville. Ce sont des cicatrices dans le tissu urbain. Ces cités ont été construites très rapidement, dans de mauvaises conditions. C'est le passé, mais nous devons en tenir compte. Nous n'avons jamais réussi à désenclaver ces territoires. C'est compliqué. Il n'y a pas de transports en commun. C'est un autre univers. Cette jeunesse a à coeur d'en sortir, à quinze ans, avec tous les problèmes que cela suppose.

Prenons l'exemple de l'école de Grigny. Il me semble que le premier jour de maternelle, deux tiers des enfants ne parlent pas français. Essayez d'inscrire vos enfants à l'école bilingue, qui dispose de quatre fois plus de moyens que l'école communale. On ne peut pas, au titre d'une République solidaire, d'égalité, se contenter des mêmes moyens, qui plus est moins expérimentés, moins organisés, dans ce type de territoire. Ce n'est pas possible. Tout va à l'avenant. La dyslexie n'est par exemple pas très grave. Les enfants peuvent très facilement la surmonter en consultant des spécialistes. Ils bénéficient de nombreuses cordes de rappel pour ne pas avoir à la vivre comme un réel handicap. Pour autant, elle devient très difficile à vivre pour les enfants dont le français n'est pas la langue maternelle, surtout lorsque des conditions de vie compliquées s'y ajoutent.

Nous pouvons résoudre le problème de cette partie de la jeunesse qui n'est pas dans le train de la croissance. Ce n'est pas une question d'argent, mais d'organisation. Chacun doit faire sa part. On ne peut pas laisser les professeurs et l'école avec un dispositif de droit commun dans un territoire qui ne l'est pas. Nous rendons-nous compte de ce que nous demandons aux équipes éducatives ?

Les professeurs sont des héros. C'est pour cette raison que nous avions imaginé l'idée de la cité éducative. De nombreuses forces entourent l'école : associations, médecins, psychologues, maires, département... Un référent doit permettre à tout moment de fédérer ces forces extérieures pour s'occuper des enfants. Un proverbe arabe dit qu'il faut tout un village pour élever un enfant. C'est le cas dans ces endroits. Le village doit se mettre à la disposition de l'équipe éducative pour s'occuper de ces enfants, sous la coordination d'un spécialiste, pour que les enseignants n'aient qu'à gérer la transmission du savoir.

J'étais récemment à Garges-lès-Gonesse pour le lancement de la première école d'insertion par le sport. Les seules personnes en contact réel avec les préadolescents et adolescents sont aujourd'hui les coaches sportifs. Ils sont extraordinaires. Ce sont les seuls à pouvoir faire revenir les jeunes vers la rigueur, la discipline, le comportement. Les grandes entreprises sont prêtes à les accompagner et les sponsoriser, si c'est bien organisé, et pas sous forme de bénévolat insupportable. Cette jeunesse est incroyablement talentueuse. Elle affiche un QI normal, parfois très élevé, parfois moins, semblable aux autres générations. Son approche culturelle est toutefois différente, tout comme son ouverture sur le monde. Son sens de leadership et du rapport de force est très élevé. Il en va de même pour son sens de la communauté et de la fratrie. Bref, elle a des qualités particulières.

Notre système éducatif est extrêmement formaté. Il a sa puissance, mais ne sélectionne qu'une petite partie de l'intelligence française. La partie de la jeunesse qui est ascolaire, et qui ne vit d'ailleurs pas nécessairement dans les quartiers, n'est pas sans talent. Comment lui redonner une vraie chance de s'exprimer ? J'aurais moi-même été incapable de suivre de grandes études. J'ai quitté l'école et passé le bac en candidat libre. J'ai développé d'autres choses. 200 ou 300 000 jeunes sont comme moi chaque année en France. Nous peinons à appréhender ces talents dans un monde qui va de plus en plus vite. Nous passons à côté de certains d'entre eux. Nous avions invité l'académie des leaders pour recruter 500 jeunes par an, sur des critères tels que le QI, l'intelligence d'adaptation ou encore le leadership. Ces épreuves sont différentes des épreuves classiques, dont je n'apprécie pas qu'on les envisage sous un mode dégradé pour certains jeunes sous prétexte qu'ils viennent des quartiers. Ce modèle, s'il a le mérite d'exister, n'est pas optimal.

Le modèle français est performant, mais aussi formaté. D'autres modèles sont tout aussi performants, mais formatés différemment. C'est à mon sens l'un des sujets d'appel de notre jeunesse. Ce n'est pas parce qu'on ne fait pas une prépa HEC qu'on devient forcément garagiste. Si on souhaite devenir mécanicien, c'est génial. Mais ne le faisons pas par défaut.

Voilà l'essentiel de ce que je ressens. Je retiendrai simplement que c'est une affaire de tous les acteurs en même temps, avec un coordinateur. Le Gouvernement est un acteur parmi d'autres. Le Parlement doit demander à l'ensemble des acteurs de la nation d'établir un rapport cohérent, détaillé, chaque année. Nos agences ne sont pas des Ovnis en apesanteur. Nous devons agir dans l'intérêt de la nation française. Celle-ci dispose d'un Parlement et de deux chambres, qui doivent exiger le traitement de cette question. Cette petite partie de la jeunesse est vitale. Sans elle, la situation va mal se terminer.

M. Jean Hingray , président . - Merci, Monsieur le Ministre.

M. Cédric Vial . - Nous partageons votre constat. La jeunesse est la clé de toute civilisation, et a fortiori d'une nation comme la nôtre. Pour autant, s'il existe bien une jeunesse qui réussit, certains facteurs peuvent être un peu inquiétants. Nous ressentons un changement dans ces jeunesses, avec une perte de repères, d'envie ou de sens. Seuls 13 % des moins de 25 ans ont voté aux dernières élections. C'est trois fois moins que le reste de la population. Elle ne voit plus d'intérêt au système représentatif, ou encore moins que les autres. Selon le dernier sondage, 28 % des jeunes de moins de 18 ans se posaient des questions sur leur genre. C'est là aussi un phénomène nouveau. Nous voyons depuis plusieurs années arriver des jeunes acceptant de travailler pour la mairie, à condition qu'ils ne soient pas fonctionnarisés et qu'ils ne décrochent pas un CDI. Ils veulent rester en CDD, car ils craignent la situation durable.

Vous avez parlé de l'apprentissage. Je partage vos propos. Je crois que la situation a un peu évolué depuis l'époque où vous étiez ministre. Depuis que ce dispositif est également mis en place dans l'enseignement supérieur, son image est en train de changer. Les classes ne sont néanmoins pas pleines. Des employeurs font la queue à la sortie pour attendre des apprentis, mais nous ne parvenons pas à remplir les sections, notamment dans les domaines du BTP ou de la restauration. Avant, les jeunes avaient peur du chômage. Nous peinons désormais à recruter, car ils n'acceptent plus un certain nombre de contraintes associées à ces métiers. J'identifie donc un véritable manque de sens.

Revenons sur la question de la scolarité, de la réussite éducative ou des moyens de tendre vers celle-ci. Comment pouvons-nous redonner un peu de sens ou d'envie à cette jeunesse ? Nous avons parfois le sentiment qu'elle sait ce qu'elle ne veut pas, mais qu'elle ne sait plus vraiment ce qu'elle veut. Vous avez parlé des difficultés dans les quartiers ou dans la ruralité, de natures différentes. Ces jeunes ont, à mon avis, pour point commun la quête de sens. Comment leur redonner de l'envie, de l'espoir, ou une direction pour qu'ils se réengagent, et fassent ainsi redémarrer le quatrième cylindre du moteur ?

M. Jean-Louis Borloo . - En effet, le pourcentage de votants chez les moins de 25 ans est deux fois plus faible que chez les plus de trente ans. C'est historique. Les plus de trente ans ne sont pas allés voter, eux non plus. Nous n'avons pas observé de décrochage particulier, il est classique et banal. Nous savons exactement, par tranches d'âge, qui va le plus voter en France. Les jeunes militent plus et votent moins que les plus âgés. Votre remarque n'en est pas moins juste. Nous avons un problème de sentiment d'appartenance et de projet de destin.

Au risque de choquer, j'apprécie assez peu la grande mode d'aller vivre dans un autre pays après 45 ans, après avoir réussi spectaculairement, pour échapper aux prélèvements français plus élevés. C'est selon moi le plus grand des séparatismes. Tout le monde vit un peu au détriment du système, sur tous les bouts de la chaîne. J'estime pour ma part que nous payons l'impôt parce que nous sommes français, et pas parce que nous résidons en France, quitte à déduire l'impôt payé ailleurs. Cette idée d'arbitrage me semble grave. Elle est répandue dans les élites françaises. Ce n'est bien entendu pas le seul sujet.

Je peine à répondre à votre question. Il peut y avoir quelques petites victoires, telles que l'impôt national. Je précise d'ailleurs que les prélèvements sont beaucoup moins élevés ailleurs, mais que les personnes que j'évoquais plus tôt rentrent tout de même se faire soigner en France. Je ne suis pas d'accord. Nous devons probablement ressortir des drapeaux, remettre en place des symboles sur une chaîne de fraternité et de responsabilités. Je suis venu aujourd'hui avec l'idée de mesures concrètes opérationnelles pour éviter qu'une partie de la jeunesse ne décroche. Ne m'en veuillez donc pas de ne pas avoir réfléchi à ce sujet.

Ajoutons à cela un corps de doctrine qui reposait en quelque sorte sur la République, le Secours catholique et le Secours populaire. Il existait un tissu sociologique de valeurs, de doctrines. Le Président de la République et les grandes fonctions associatives pourvoyaient à tout cela. La famille n'était pas explosée. Je ne sais que dire. Il y a vingt ans, il n'y avait pas de crémation en vie de vie. Le curé de la paroisse et le médecin de quartier s'occupaient de tout. La famille parcourait en moyenne trois kilomètres pour se rendre aux obsèques. Aujourd'hui, les distances moyennes s'établissent à 500 kilomètres. La dernière grande réunion se tient dans l'église laïque du funérarium. Nous sommes passés à 35 % de crémations. Il n'y a peut-être pas de rapport, mais je jette quelques éléments auxquels je pense.

Vous avez raison, il y a un sujet de projet commun de la nation. Que signifie aujourd'hui ce terme, alors que les études sont réalisées dans le monde entier, que les groupes sont eux-mêmes mondiaux ? Les communautés virtuelles s'ajoutent à ces éléments. Elles peuvent être mondiales.

M. Cédric Vial . - Je n'ai pas parlé de laïcité, mais les nouvelles générations subissent également d'importants changements en la matière.

Vous l'avez dit, notre système fonctionne globalement bien. Les opportunités restent importantes sur différents domaines, pour les jeunes qui souhaitent ou peuvent les saisir. L'apprentissage est une voie d'excellence. Nous le disons depuis des années. Un apprenti a plus de chances de devenir chef d'entreprise et de très bien gagner sa vie dans dix ans qu'un étudiant en maîtrise de droit, qui sera au mieux chef-adjoint de bureau d'un département à 2 000 euros par mois. Ces voies d'excellence existent, mais les jeunes ne s'en saisissent pas. La société a pourtant besoin de cette jeunesse, de la faire travailler. Comment donner ces chances aux jeunes ?

Le problème est peut-être plus lointain que cela, dès la maternelle. Les problèmes sont certainement plus lourds dans certains quartiers que dans d'autres.

M. Jean-Louis Borloo . - J'ai connu des bassins en déprise : en outre-mer, dans les zones rurales non irriguées et non riches, les bassins industriels en crise et les poches de pauvreté et de ségrégation des agglomérations puissantes. C'est le même sujet que celui que vous traitez.

Vous parlez de l'apprentissage. La chance n'est pas saisie parce que l'information ne circule pas. Dans les milieux favorisés, les enfants peuvent discuter de multiples sujets à table avec leur famille, leurs oncles et tantes. Ces discussions accompagnent les jeunes par la main. Lorsque vous ne vous situez pas dans ce schéma, vous ne savez pas. Personne ne vous accompagne.

C'est pour cette raison que de grandes associations telles que Nos quartiers ont du talent existent. Une partie de la société doit accompagner chacun de ces jeunes pour les amener à l'information, à la découverte, à la sécurité. La coupure géographique est la même que la coupure culturelle. Il existe bien des bureaux d'aide sociale, des chambres de commerce, diverses structures dispensant de l'information. Il faut toutefois pousser ces jeunes à s'y rendre. Ils n'osent pas. Vous rendez-vous compte que vos enfants ont entendu au moins 500 fois une conversation leur permettant de disposer d'informations, et pas ces autres jeunes ? Il faut donc mettre en place du parrainage. Il en faut une armée. Il existe certaines initiatives, mais le fossé est trop large pour que les jeunes puissent savoir à quel point le métier de charcutier est formidable, par exemple. Cela ne tombe pas sous le sens. Les maisons rurales ont joué un rôle extraordinaire. Elles se sont mises en quatre pour aller chercher les jeunes et leur proposer des activités. Je peux vous assurer qu'il y avait alors des parrains.

Cette nation compte suffisamment de forces vives, de jeunes retraités en pleine forme, de gens qui ont du temps. Sans ce système, les jeunes n'entreront pas dans le dispositif existant. Ce n'est pas qu'ils ne saisissent pas l'opportunité. Elle n'existe pas pour certains d'entre eux.

M. Pierre-Antoine Levi . - Vos actions et votre engagement en faveur de l'égalité des chances ne sont plus à démontrer. Vous y avez consacré vos forces durant toute votre carrière. Après votre plan de cohésion sociale, présenté en 2004, puis la loi pour l'égalité des chances en 2006, vous avez rendu le rapport « Vivre ensemble, vivre en grand » au Président de la République en 2018, à sa demande. Il comportait une série de mesures ambitieuses, avec 19 programmes touchant tous les pans de la société. Malheureusement, après avoir commandé ce rapport, le Président de la République n'y a pas donné suite. En le rangeant dans un tiroir, il a même affirmé « cela n'aurait aucun sens que deux mâles blancs ne vivant pas dans ces quartiers s'échangent un rapport ». Cette annonce a été très mal perçue.

Fort de votre grande expérience, quel bilan tirez-vous de la politique en faveur de l'égalité des chances de ce gouvernement ? Certaines des mesures issues de votre rapport ont-elles finalement été reprises ?

M. Jean-Louis Borloo . - Je ne commenterai pas l'actualité gouvernementale. Je ne suis plus un acteur politique, je ne le souhaite pas.

Je le répète, la nation est émiettée. Pour traiter un problème comme celui-là, quantitativement assez faible, il faut arrêter de penser que c'est le Gouvernement qui l'a créé. Ce rapport comportait dix-neuf programmes, conçus avec leurs acteurs, auxquels était adressée une feuille de route, assortie d'un plan d'action de financements. Il ne s'agissait pas de mesures gouvernementales. Le chef de la nation n'avait qu'à donner son feu vert.

Le drame de notre pays résulte selon moi d'une erreur de diagnostic. Le pays n'est pas centralisé, mais émietté dans l'action. L'action centrale du gouvernement est en outre compliquée, puisque c'est par nature la seule organisation commençant l'année avec un déficit de 30 %. Elle doit se recentrer sur l'essentiel de sa mission. Les Français doivent arrêter d'en attendre plus de la part de l'État. Celui-ci, de son côté, ne doit pas laisser croire qu'il agit à la place des autres. Enfin, le travail est très compliqué. Je n'étais pas le plus ignorant lorsque je l'ai commencé. Il m'a quand même demandé sept mois d'ouvrage, car il fallait voir tous les acteurs. L'action publique, si elle est extraordinairement enthousiasmante, demande beaucoup de travail et de préparation.

Je m'inquiète de voir se succéder des politiques insuffisamment préparées en amont. Les équipes qui se présenteront aux prochaines échéances devront être prêtes. À huit mois des élections, elles doivent avoir rencontré l'ensemble des partenaires qui les accompagneront. La politique du logement dépend de la fiscalité, de l'urbanisme, des communes, du département, de la région, d'Action logement. L'action publique a pour rôle de fédérer des puissances légitimes différentes. Celles-ci ne rendent pas compte à la représentation nationale. On se demande d'ailleurs pourquoi.

Il faut être ultra-préparé. En France, on pense qu'il est facile de conduire l'action publique, et on s'autorise à ne pas se préparer. C'est une erreur. Une personne doit porter durant cinq ans une thématique avec l'ensemble des partenaires. Il y a un non-cumul des mandats. Par voie de conséquence, les gouvernements, quels qu'ils soient, peinent à gérer des complexités locales. Enfin, il n'est pas possible de réussir à se charger d'un sujet aussi compliqué sans y être préparé.

M. Cédric Vial . - Quelles suites envisagez-vous à ce rapport ? Vous sentez-vous capable de transmettre votre préparation à ce travail, pour qu'il ne soit pas vain ?

M. Jean-Louis Borloo . - Ma remarque concerne tous les secteurs. Une fois qu'on est en poste, on est pris dans l'actualité de la fonction. La réflexion doit avoir lieu en amont, dans tous les secteurs. Si quelqu'un me demande mon avis sur une présentation de programme, sur un certain nombre de sujets que je maîtrise, je me préoccupe peu de l'équipe concernée. J'aimerais que toutes les équipes soient à ce niveau. Ce n'est pour l'heure pas le cas.

M. Jean Hingray , président . - Que pensez-vous du RSA jeunes ?

M. Jean-Louis Borloo . - Je préfère ne pas m'exprimer sur un sujet dont je ne maîtrise pas la réalité actuelle.

M. Cédric Vial . - Pouvez-vous nous dire un mot sur la réussite éducative et les efforts collectifs autour de l'école ? Nous avons le sentiment que ces efforts concertés visent à rattraper ceux qui passent au travers des mailles du filet, qui sont de plus en plus nombreux, d'après nous. Nous confions donc de plus en plus de responsabilités à cet effort collectif, associatif ou autre. Cela peut fonctionner sur un nombre limité de personnes. Ce type d'organisation collective est-il toujours aussi efficace si le nombre de personnes en ayant besoin augmente ?

Ce système de parrainage que vous évoquiez est-il efficace ? Devons-nous au contraire essayer de concentrer les efforts et limiter le nombre de personnes concernées ?

M. Jean-Louis Borloo . - On connaît précisément le périmètre dans lequel il faut intervenir : les quartiers prioritaires, les zones rurales très éloignées et abandonnées, des petits bassins industriels identifiés.

M. Cédric Vial . - Quelle est la proportion de ces jeunes à l'intérieur de ces bassins ?

M. Jean-Louis Borloo . - Elle est assez stable. C'est un phénomène à deux tiers ou trois quarts masculin. La problématique touchant les filles est d'une autre nature. Il faut des endroits de protection, par exemple. L'agilité des filles à ne pas avoir peur de l'extérieur et à pouvoir entrer plus facilement dans les plis est sensiblement plus élevée.

La part de ces jeunes n'est pas si élevée. Ils doivent être environ 150 000 par génération. Le noyau dur en compte 50 à 80 000, avec ensuite un effet de contagion positive. Leur nombre est stable, en tout cas en métropole.

M. Jean Hingray , président . - Merci Monsieur le Ministre.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat .

Audition de M. Adrien Taquet,
secrétaire d'État en charge de l'enfance et des familles

(Mardi 20 juillet 2021)

M. Laurent Burgoa , vice-président . - Le président de notre mission d'information, Jean Hingray, ne peut être présent cet après-midi et m'a demandé de le suppléer. En son nom et en votre nom à tous, je souhaite la bienvenue à M. Adrien Taquet, secrétaire d'État en charge de l'enfance et des familles auprès du ministre des solidarités et de la santé.

Nous avons identifié la période de la petite enfance comme particulièrement cruciale pour les politiques en faveur de l'égalité des chances. C'est dès ce moment que se forment des inégalités liées au milieu social et familial d'origine, avec des répercussions sur toute la suite du parcours des jeunes, à l'école et à la sortie de l'école.

La politique d'accueil du jeune enfant ne peut donc pas se limiter à offrir des solutions de garde aux parents qui travaillent. Elle doit aussi intégrer cette dimension éducative pour les enfants les moins favorisés par leur environnement familial.

Nous souhaitons connaître les actions entreprises par le Gouvernement dans ce domaine, les résultats obtenus, mais aussi les voies d'amélioration possibles.

Monsieur le Secrétaire d'État, je vous propose d'intervenir pour un propos liminaire avant que notre rapporteure, Monique Lubin, et nos collègues, vous posent leurs questions.

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État en charge de l'enfance et des familles auprès du ministre des solidarités et de la santé . - Je ne sais pas où termine l'enfance et commence la jeunesse, cela dépend de chacun. Je sais en revanche que l'émancipation ne se prépare pas la veille de ses 18 ans, mais bien avant.

La petite enfance est ce moment où se forgent les inégalités de destin. C'est une période de la vie qui est peu investie par les politiques publiques dans notre pays, à la différence des pays du nord de l'Europe ; c'est pourquoi nous avons voulu mettre l'accent sur « les 1 000 premiers jours », du quatrième mois de grossesse à l'entrée à l'école, considérant que l'enfant est sujet de droit avant de devenir un élève, et que nous devons mieux garantir l'égalité de chances. Tout ne se joue pas dans ces 1 000 premiers jours, mais des choses s'y passent et, pour reprendre le sous-titre du rapport de la commission Cyrulnik, c'est « là où tout commence ».

C'est dans le début des trajectoires qu'apparaissent des inégalités sociales, de santé, de capacités cognitives. Les sciences nous ont appris beaucoup sur le sujet, en particulier les travaux du britannique David Barker, qui a établi, dans les années 1980, la corrélation du poids à la naissance et la probabilité de mourir d'une maladie cardio-vasculaire. Depuis lors, on fait des corrélations entre des événements intervenant dans la vie du très jeune enfant, ou dans son environnement, et la vie qu'il aura une fois adulte. On sait notamment que le stress de la femme enceinte, qu'elle éprouve par exemple quand elle subit de la violence domestique, aura un impact sur la santé mentale de son enfant devenu adulte, au moins jusqu'à ses trente ans ; on sait aussi, côté positif, que l'activité physique de la femme enceinte diminue la probabilité d'une dépression post-partum .

C'est pourquoi nous investissons sur les 1 000 premiers jours. On a beaucoup parlé, à juste titre, du dédoublement des classes maternelles et primaires en REP+. Mon action se situe avant l'entrée à l'école. C'est aussi très important dans notre pays, sachant qu'on met en moyenne six générations à sortir de la pauvreté, et qu'un fils de cadre de trois ans a deux fois plus de vocabulaire et a entendu 10 millions de mots en plus qu'un fils d'ouvrier. C'est pourquoi nous avons confié une mission à Boris Cyrulnik et 18 autres professionnels de la petite enfance, pour établir l'état des savoirs sur ces inégalités de chances, pour que nous en dégagions ensuite des politiques publiques pertinentes.

Notre démarche autour des 1 000 premiers jours s'est incarnée notamment par le doublement du congé paternité. Nous l'avons fait parce que la présence des parents lors des premières semaines est bon pour le développement de l'enfant, pour l'égalité femmes-hommes, et parce qu'elle diminue les risques de dépression post-partum , laquelle reste un sujet tabou dans notre pays bien qu'elle touche 15 à 20 % des femmes après l'accouchement. Les 1 000 premiers jours sont aussi la période où l'on peut établir des parcours pour mieux accompagner les parents, avec une approche universelle, au bénéfice de tous les parents et enfants. Ce parcours se déroule en trois étapes : un entretien prénatal précoce au quatrième mois de la grossesse, cet entretien gratuit permet d'aborder avec un professionnel les divers aspects de l'arrivée d'un enfant ; un contact plus étroit, dans les maternités, avec des professionnels de la protection maternelle et infantile (PMI) ; enfin, un entretien entre la 5 ème et la 12 ème semaine après l'accouchement, pour prévenir la dépression post-partum , nous recherchons à systématiser cet entretien qui est loin d'être effectué partout.

Nous développons également, dans cette démarche des 1 000 premiers jours, une logique de parcours spécifiques, selon les fragilités identifiées, qui sont très diverses et ne requièrent pas les mêmes actions - qu'il s'agisse par exemple de la naissance d'un enfant prématuré, d'un enfant souffrant de handicap, de personnes en situation de handicap qui deviennent parents. Nous cherchons à contrer les fragilités qui entraînent des pertes de chances si l'accompagnement n'est pas bien fait. Ces parcours spécifiques se traduisent par des actions ciblées, comme l'allongement du congé pour le second conjoint en cas d'hospitalisation d'un enfant prématuré, ou encore le renforcement des équipes de psychiatrie périnatale, pour lequel vous avez voté 10 millions d'euros dans le dernier projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS).

Notre démarche sur les 1 000 premiers jours vient également renforcer des actions déjà conduites dans la stratégie de lutte contre la pauvreté, par exemple les repas de cantine à 1 euro, les petits déjeuners gratuits - car nous savons qu'un enfant sur cinq arrive à l'école le ventre vide et que cela se ressent sur l'acquisition des connaissances. C'est une perte de chances que nous voulons compenser.

Un autre volet de notre action pour la petite enfance concerne les modes d'accueil. Il a un aspect quantitatif, la convention d'objectifs et de gestion avec la Caisse nationale d'allocations familiales (CNAF) prévoyait 30 000 places nouvelles. Nous n'y arriverons pas dans le délai imparti, en raison notamment de la crise sanitaire - mais ce n'est pas la seule raison. Vous connaissez également les bonus mixité, les bonus territoires, l'inclusion des enfants en situation de handicap. Nous avons aussi des actions visant à faciliter l'insertion professionnelle des mères, ainsi qu'un plan de formation de 100 000 professionnels de la petite enfance, mis en oeuvre depuis quelques mois.

En parlant d'accueil et non pas de garde du jeune enfant, je m'inscris dans la lignée des travaux de Sylviane Giampino, qui ont conduit à la charte nationale de l'accueil du jeune enfant, publiée le 23 mars 2017 et qui s'est traduite par tout un ensemble de mesures concrètes, avec des référentiels sur les bâtiments d'accueil, des taux d'encadrement, ou encore sur l'accès à la médecine du travail.

Sur l'aspect quantitatif, la CNAF a constaté que les objectifs de la convention d'objectifs et de gestion ne seraient pas atteints et elle a adopté en février dernier un « plan rebond », doté de 200 millions d'euros, notamment pour accélérer les projets d'investissements qui ont pu être retardés lors de la séquence des élections municipales.

Nous cherchons également à améliorer l'articulation entre vie professionnelle et vie familiale. C'est le sens de la mission qu'avec Élisabeth Borne, nous avons confiée en avril dernier à Christel Heydemann, présidente de Schneider Electric France et Julien Damon, conseiller scientifique de l'École nationale supérieure de sécurité sociale. Il faut réfléchir à l'articulation entre les congés et les modes d'accueil. En Suède, les congés familiaux de 14 à 16 mois sont obligatoirement partagés entre les deux parents, et aucun enfant n'a de place de crèche la première année, car les parents s'occupent de leurs enfants.

Enfin, dans le cadre de la stratégie nationale de prévention et de protection de l'enfance 2020-2022, le Gouvernement a déposé un projet de loi relatif à la protection des enfants, que l'Assemblée nationale a adopté le 8 juillet dernier et que le Sénat devrait examiner à son tour prochainement, j'espère à l'automne - je ne doute pas que le Sénat saura y apporter des améliorations. Je le mentionne en particulier pour la question de l'accès à l'autonomie des jeunes sortant de l'aide sociale à l'enfance (ASE), dont on attend trop qu'ils soient autonomes bien plus tôt qu'on ne l'exige de nos propres enfants. Nous devons accompagner ces enfants, ils veulent être considérés comme des enfants comme les autres, ce qui est à la fois simple et compliqué - cela demande qu'on leur garantisse l'horizon du droit commun.

C'est pourquoi nous avons décidé que les enfants de l'ASE en études supérieures - ils ne sont que 6 % à le faire, c'est assurément trop peu -, accèdent automatiquement aux bourses les plus élevées et qu'ils disposent d'un accès prioritaire au logement étudiant. Pour ceux qui ne font pas d'études, nous avons déposé un amendement au projet de loi adopté à l'Assemblée nationale, pour qu'ils accèdent automatiquement à la Garantie jeunes, et au contrat jeune majeur. Le débat parlementaire a montré que d'autres dispositifs encore sont possibles pour mieux préparer l'autonomie des jeunes suivis par l'ASE et pour instituer une sorte de droit à l'erreur dans le cas où ceux qui rompent tout lien avec l'institution à leur majorité, puissent cependant accéder à certains dispositifs et qu'ils puissent continuer à être suivis s'ils le demandent.

Enfin, nous travaillons à l'échelle européenne, avec la garantie européenne pour l'enfance, un texte adopté sous la présidence portugaise et qui demande aux États membres d'adopter sous neuf mois une stratégie pour protéger les enfants contre la pauvreté - ce délai conduit à la présidence française, c'est une action sur laquelle nous pouvons mettre l'accent.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - L'objectif fixé de places en crèche ne sera pas atteint. Nous constatons une désaffection des collectivités territoriales envers ce mode d'accueil parce qu'il pose des problèmes de coût, mais aussi parce qu'il engage la responsabilité des élus sur l'accueil des jeunes enfants. Que peut-on faire pour que les collectivités retrouvent leur appétence, leur goût pour investir dans les crèches ?

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État . - Effectivement, les objectifs de la convention d'objectifs et de gestion ne seront pas atteints, et ce n'est pas la première fois - il y a, cette fois-ci, l'incidence de la crise sanitaire et des élections municipales. Les petites collectivités territoriales ont du mal à s'engager pour des raisons de coût, il y a aussi des problèmes liés à l'ingénierie, c'est pourquoi la CNAF a mis en place une équipe dédiée à l'aide aux collectivités. Il faut compter aussi avec les autres modes d'accueil, ce qui fait la richesse de notre modèle - il n'y a pas un mode d'accueil meilleur que les autres, cela dépend de l'enfant, de son âge, de son environnement familial. Ces autres modes d'accueil se développent : les micro-crèches, nous en avons élevé le seuil de 10 à 12 enfants, et, en particulier dans la ruralité, les maisons d'assistantes maternelles, qui réunissent un peu le meilleur des deux mondes, du collectif et de l'individuel, en sortant les assistantes maternelles de l'isolement. Ensuite, il faut peut-être s'interroger sur le caractère facultatif de cette compétence petite enfance et sur l'intérêt qu'il y aurait à la rendre obligatoire - mais je ne fais que poser la question.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Des collectivités se désintéressent de ce mode d'accueil, les élus n'en voient pas l'urgence ; ils semblent davantage motivés pour des installations sportives, mais ils regardent surtout les difficultés pour construire des crèches, d'autant que c'est moins porteur politiquement. Il y a un problème de coût, de responsabilité, mais sans parler de compétence obligatoire qui devrait être assortie de moyens, il faut expliquer aux collectivités l'intérêt d'exercer cette compétence.

Dans nos ruralités, on oppose aux crèches les maisons et réseaux d'assistantes maternelles, alors que le collectif revêt un caractère important pour les jeunes enfants et les familles.

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État . - Vous avez raison, il est important que les enfants aillent tôt en collectif, je l'ai vu en particulier lors de mon déplacement en Guyane - avec les spécificités de ce territoire, où les besoins sont très importants et peu couverts, parce qu'il manque des porteurs de projets. Le schéma départemental enfance et famille est un bon outil contre le morcellement de l'offre pour la petite enfance, je l'ai vu en action dans les Côtes d'Armor. C'est le lieu où peuvent se retrouver autour de la même table tous ceux qui exercent la compétence petite enfance, pour définir une stratégie territoriale d'accueil du jeune enfant et d'accompagnement de la parentalité.

M. Laurent Burgoa , président . - La compétence petite enfance n'intéresse pas toujours car elle est très lourde en budget de fonctionnement, alors que c'est là où les marges de manoeuvre sont les plus faibles. Une communauté de communes du Gard a failli être mise sous tutelle du fait des charges financières entraînées par cette compétence petite enfance.

M. Rémi Cardon . - Une remarque sur l'accompagnement des jeunes dans le cadre de la Garantie jeunes : je crains que les missions locales ne se sentent placées en concurrence avec Pôle emploi, et que les jeunes eux-mêmes ne sachent pas bien à quelle porte frapper. La question de l'égalité territoriale se pose aussi : le Gouvernement pense-t-il amplifier les moyens pour certains territoires, pour plus d'équité ?

Ensuite, je redoute le manque de compréhension sur la Garantie jeunes, la plateforme est certes simple, à condition de s'y intéresser. Pour avoir été administrateur d'un centre régional d'information jeunesse (CRIJ), je peux témoigner de ce que les moyens ont été réduits, et qu'il est devenu difficile de produire une information de qualité pour les jeunes, alors que le réseau d'information jeunesse est un outil connu et éprouvé. Il faut faire savoir aux jeunes qu'ils peuvent être accompagnés, l'enjeu n'est pas nouveau mais il est loin d'être réglé.

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État . - Je partage vos constats, mais je ne peux guère répondre hors de mon champ de compétence. Sur l'information jeunesse, je vous crois volontiers. Sur la Garantie jeunes, vous avez entendu le Président de la République évoquant un revenu d'engagement qui va faire l'objet de discussions avec les partenaires sociaux, je ne peux guère vous en dire davantage. J'évoquais la Garantie jeunes pour le lien que je souhaite obligatoire avec les enfants suivis par l'ASE. Actuellement, nous avons une convention avec les différentes institutions qui participent aux politiques publiques en direction des jeunes, pour que chacune désigne un « référent ASE » qui se rapproche des équipes d'ASE, car trop souvent, les accompagnants n'ont pas de culture de l'insertion professionnelle. Je me suis rendu dans une mission locale où ce lien est très bien établi, avec un suivi des jeunes de l'ASE. Nous sommes allés plus loin dans la loi, avec cet accès automatique. Pour le reste, Élisabeth Borne serait plus à même de vous répondre.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Quel bilan faites-vous des bonus territoires et mixité ? Sont-ils suffisants pour atteindre les familles moins favorisées, ou faudrait-il un ciblage plus précis sur les quartiers prioritaires et les familles modestes ? Dans bien des zones rurales et des quartiers prioritaires, les familles hésitent à recourir à un mode de garde collectif quand la maman ne travaille pas, alors que l'accueil collectif est assurément un soutien aux familles défavorisées : comment les y aider ?

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État . - Je n'ai pas les données chiffrées avec moi, mais je vous les communiquerai - je sais que le bonus fonctionne bien pour le lien avec le handicap. Faut-il amplifier ces mécanismes ? Peut-être, même s'il ne faut pas perdre de vue la diversité des modes d'accueil. Il faut aussi aider le retour à l'emploi des femmes, c'est un sujet lié. C'est la vocation des crèches à vocation d'insertion professionnelle. Nous allons en effectuer une évaluation approfondie, et sur cette base, nous pourrions développer ce dispositif dans la prochaine convention d'objectifs et de gestion. Je pense également aux crèches à horaires atypiques ; en Finlande, des parents peuvent laisser leurs enfants en crèche jusqu'à cinq jours de suite, y compris les nuits, lorsque la situation professionnelle le commande, ceci pour des enfants jusqu'à 6 ans ; et dans l'évaluation faite de ces crèches, on voit qu'elles bénéficient d'abord aux plus précaires.

Après les rixes dramatiques qui se sont produites en Essonne, où des adolescents ont tué d'autres adolescents, j'ai rencontré les acteurs locaux, associations, maires, professionnels ; ils m'ont décrit cette réalité en grande couronne, où l'éloignement du lieu de travail fait que des parents laissent leurs enfants seuls. Des maires m'ont dit devoir faire une sorte de garde partagée avec les parents, qui partent très tôt le matin et reviennent tard le soir - c'est pour cela que nous avons besoin de crèches à horaires atypiques. Nous n'en disposons pas assez. Il y en a par exemple près de Roissy, il faut développer ce type d'accueil. Le plan « bandes » prévoit des mesures pour les plus grands, j'ai demandé à la Mutualité française de faire un panorama des dispositifs existants dans notre pays, pour aider les acteurs à mettre en place ces crèches à horaires atypiques qui nous font encore bien trop défaut.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Où en est-on sur la formation des professionnels de la petite enfance ?

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État . - Le plan de lutte contre la pauvreté prévoyait déjà de renforcer la formation des professionnels. Les discussions ont pris du temps avec les organismes de formation. Une signature est intervenue dans deux des trois branches professionnelles. Les premières formations sont lancées depuis peu, autour de sept modules qui vont de la qualité de l'accueil, à l'éveil culturel et artistique, en passant par les questions de langage. Il n'y a nul besoin d'attendre l'école pour avoir un projet pédagogique.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Peut-on envisager un rapprochement des structures de la petite enfance avec les établissements scolaires ? Peut-il y avoir des échanges avec les maternelles et des sortes de passerelles ?

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État . - Oui, il pourrait y avoir des échanges. Il faut, autant que possible, éviter le travail en silo. Il est pertinent d'avoir un projet pédagogique, tant en crèche qu'en maison d'assistantes maternelles. Mais je crois que le problème central n'est pas dans la distance avec l'école. Nous sommes plus préoccupés par l'éclatement des structures d'accueil, qui forment un système peu lisible. Il n'existe pas de guichet unique pour connaître l'offre disponible. Même le maire n'a qu'une vision parcellaire de l'offre sur la petite enfance. Ensuite, il y a un problème sur le reste à charge, qui varie beaucoup selon le mode d'accueil, c'est un problème.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Effectivement, d'autant que ce reste à charge peut accentuer les inégalités. Que pensez-vous de l'institution d'un service public de la petite enfance ?

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État . - Je peux vous renvoyer la question, car je ne suis pas sûr qu'on mette tous la même chose dans le périmètre d'un tel service public. S'agit-il d'instaurer un droit garanti à une place, comme en Allemagne ? Ou bien un nouveau partage des compétences, avec la notion d'obligation ? Je crois que nous avancerons progressivement vers ces objectifs, mais je n'en connais pas toutes les modalités - mon objectif c'est que tous les parents puissent se voir proposer une place, et à tout le moins une information précise et claire sur ce qui existe. Nous pouvons commencer par atténuer les inégalités en particulier sur le reste à charge.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - En matière d'apprentissage du langage, dont on sait qu'il est déterminant pour le reste de la vie, envisagez-vous des programmes spécifiques visant les enfants les moins bien dotés ?

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État . - Nous soutenons des actions spécifiques autour de la lecture, mais nous n'avons pas de plan précis à ce stade. D'une manière générale, nous avons travaillé avec Santé publique France pour constituer une série de messages sur une dizaine de sujets importants dont on sait qu'ils donnent lieu à des informations erronées, sachant que deux Français sur trois vont sur internet quand ils cherchent une réponse à leurs questions sur la petite enfance. Nous avons des messages sur le syndrome du bébé secoué, sur les perturbateurs endocriniens, sur l'éveil culturel et artistique, nous avons constaté que même les professionnels disaient des choses hétérogènes sur ces sujets. Nous développons une application sur les 1 000 premiers jours pour accompagner les parents, leur donner des informations sur cette période si particulière du début de l'enfance, qui peut être aussi celui de la parentalité. Il y a aussi une expérimentation avec un cadeau à la naissance, qui contient un livre à lire à l'enfant, c'est intéressant.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Nous le faisons dans les Landes.

M. Laurent Burgoa , président . - Merci encore pour toutes ces informations. Notre prochaine réunion se déroulera à la reprise de la session au mois de septembre, pour la présentation du rapport d'information.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat .

II. EXAMEN DU RAPPORT

M. Jean Hingray , président . - Mes chers collègues, madame la rapporteure, vous avez mené d'une main de maître nos travaux et auditions. Près de 80 institutions, associations ou personnalités ont été consultées.

Malgré les conditions sanitaires, nous avons également effectué un travail de terrain et l'accent a été mis sur la ruralité, ce qui me sied parfaitement. Vous avez la parole pour présenter le rapport.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Monsieur le président, mes chers collègues, les politiques en faveur de l'égalité des chances et de l'émancipation de la jeunesse, que le groupe socialiste souhaitait évaluer dans le cadre de cette mission d'information, comportent de très nombreuses dimensions. Toutes ne pouvaient pas être abordées et nous avons privilégié certaines thématiques, d'autant qu'il fallait également ne pas empiéter sur d'autres travaux menés au Sénat sur la situation des étudiants, la lutte contre la pauvreté ou encore les impacts de la crise sanitaire.

Comme je l'ai rappelé au long de nos travaux, nous sommes partis du constat que selon leur milieu familial, leurs origines sociales ou géographiques, les jeunes arrivés à l'âge adulte ne disposent pas des mêmes opportunités d'études, d'orientation professionnelle et de vie personnelle et ne s'autorisent pas les mêmes ambitions. Nous ne pouvons pas nous résigner à ce que l'avenir de certains jeunes paraisse déjà écrit dès leurs toutes premières années.

Pour examiner comment répondre à cet enjeu majeur de cohésion sociale, j'ai souhaité adopter une approche chronologique, en suivant le parcours de l'enfant et du jeune, de sa naissance à l'entrée dans l'âge adulte, en retenant quatre thématiques : la nécessaire contribution à l'égalité des chances de la politique de la petite enfance, période au cours de laquelle se cristallisent des inégalités liées au milieu familial, dont les effets vont se retrouver jusqu'à l'âge adulte ; les correctifs à apporter à notre système scolaire afin d'éviter qu'il accentue les inégalités de départ, comme il a trop tendance à le faire ; les actions à développer pour que les enfants et les jeunes puissent trouver, en dehors de l'école et de leur milieu familial, des points d'appui pour élargir leurs horizons et réaliser des apprentissages utiles au plan social et éducatif ; enfin, la recherche d'une plus grande efficacité dans les multiples dispositifs en faveur de l'insertion sociale et professionnelle des jeunes, notamment pour ceux qui sont aujourd'hui les plus éloignés des démarches proposées par les différentes institutions.

Nos auditions ont permis d'établir quelques constats, qui figurent dans la première partie du rapport et expliquent en quoi il est aujourd'hui plus difficile à certains jeunes qu'à d'autres de se projeter sereinement dans leur vie d'adulte. J'en mentionnerai simplement quatre.

Premièrement, les études montrent que les perspectives d'ascension sociale, encore importantes durant la période de mutation des Trente glorieuses, ont cessé de s'améliorer depuis le début des années 1990. La mobilité sociale, d'une génération sur l'autre, s'effectue désormais au ralenti.

Deuxièmement, les inégalités de revenu sont en France plutôt moins fortes que dans les autres pays de l'OCDE, mais elles ont beaucoup plus tendance à se reproduire d'une génération sur l'autre. Ce phénomène est en outre accentué si l'on y ajoute l'effet des transmissions de patrimoine, comme l'ont souligné France Stratégie et tout récemment la commission Blanchard-Tirole.

Troisièmement, même s'il existe, fort heureusement, des trajectoires individuelles de réussite dans tous les milieux, des caractéristiques liées au territoire de vie pèsent lourdement sur de très nombreux jeunes. C'est bien entendu le cas dans les quartiers de la politique de la ville, où se concentrent de nombreuses difficultés sociales, et dans les outre-mer, à des degrés très divers selon les territoires, qui ont chacun leurs problématiques propres - je pense notamment à la Guyane ou à Mayotte. C'est aussi le cas dans les territoires ruraux, où se posent des problèmes spécifiques d'information des jeunes, de mobilité et d'accès aux formations et aux emplois. S'ajoutent à cela, pour les jeunes filles, notamment en milieu rural, des possibilités ou des choix d'orientation qui réduisent leurs opportunités futures, souvent par autolimitation ou persistance de stéréotypes de genre.

Enfin, les études de l'OCDE le confirment, la France est l'un des pays où l'origine sociale conditionne le plus fortement le parcours scolaire des enfants. Les écarts sont perceptibles dès l'entrée à l'école primaire ; ils vont en s'accentuant plutôt qu'en s'atténuant au fil de la scolarité, avec, ici encore, d'importantes disparités territoriales. Cette situation a de fortes répercussions sur l'insertion professionnelle, compte tenu de l'importance attachée au diplôme dans notre pays, en particulier pour l'accès à l'emploi.

Je ne détaille pas davantage. Le rapport contient de nombreuses données chiffrées et des comparaisons avec d'autres pays. Ces éléments montrent que le sentiment de panne de l'ascenseur social traduit une certaine réalité, du moins pour une fraction importante - trop importante - des jeunes. C'est une situation dont on ne peut pas s'accommoder. Ce constat, toutefois, n'est pas absolument nouveau. Il a été dressé sous divers gouvernements et l'égalité des chances est régulièrement présentée comme une priorité des politiques en direction de la jeunesse.

Nous rappelons dans le rapport l'institution d'un haut-commissaire à la jeunesse sous le mandat de Nicolas Sarkozy ou la mise en oeuvre d'un plan Priorité jeunesse sous celui de François Hollande.

Au-delà des différences d'approche, ces initiatives marquaient une volonté d'imprimer de manière cohérente, dans les différentes politiques publiques, les priorités d'action en direction des jeunes, avec l'égalité des chances en fil directeur.

Nous avons constaté au cours de notre mission que les enjeux d'égalité des chances traversent plusieurs politiques publiques, que les acteurs, au niveau local comme national, étaient très dispersés et que l'action publique se traduisait souvent par l'addition ou la juxtaposition de nouveaux dispositifs, sans que leur mise en oeuvre soit ensuite toujours assurée de manière optimale auprès des jeunes censés en bénéficier.

D'où une première série de propositions qui visent à relancer cette politique de jeunesse, en assurant, dans la durée, l'impulsion politique et l'évaluation régulière qui sont nécessaires, mais font aujourd'hui défaut. Des instruments existent. Il faut les réactiver.

Aucun comité interministériel de la jeunesse ne s'est réuni depuis 2017 ; une réunion annuelle permettrait de définir une feuille de route pour chaque administration et de veiller à la réalisation des objectifs.

Il existe un délégué interministériel à la jeunesse - le directeur de la jeunesse - mais la Cour des comptes constate qu'il ne dispose pas des moyens d'assurer effectivement une coordination entre administrations. Il faut les lui donner, et plus généralement, veiller à ce que les moyens humains affectés aux questions de jeunesse dans les services déconcentrés de l'État soient maintenus.

De même, un réel dialogue est nécessaire entre les ministères et le Conseil d'orientation des politiques de jeunesse, afin que des réponses soient apportées aux questions qu'il soulève ou aux propositions qu'il formule.

En 2008, puis en 2014, avaient été mis en place des financements spécifiques pour soutenir des expérimentations ou des projets innovants visant à mieux traiter, notamment à l'échelle des territoires, les problèmes rencontrés par les jeunes. Ces fonds n'ont pas été alimentés depuis lors et les dotations arrivent à épuisement. La pérennité de ce soutien aux initiatives innovantes pour les jeunes est incertaine. Elle doit être garantie.

Enfin, de nombreuses actions pour l'égalité des chances ne peuvent être efficacement conduites qu'au plus près des situations individuelles et des réalités des territoires. Les acteurs sont nombreux, les compétences morcelées.

Des approches partenariales sont nécessaires. J'ai pu mesurer lors de deux visites la pertinence de certaines d'entre elles à l'échelle de quartiers, dans le cadre de la politique de la ville : les cités éducatives et les groupes opérationnels mis en place par la préfecture de région en Île-de-France pour l'insertion des jeunes. Ce sont des exemples à développer. Il faut également encourager des démarches telles que les projets éducatifs territoriaux ou celles impliquant les caisses d'allocations familiales (CAF), acteurs essentiels en matière d'enfance et de jeunesse : les schémas départementaux des services aux familles (SDSF), dont il faut enrichir le contenu au-delà de la seule petite enfance, et les conventions territoriales globales (CTG) à l'échelle des intercommunalités, cadre adapté pour développer un projet de territoire en direction des jeunes.

Ces partenariats locaux sont parfois perçus comme une source de complexité et de lourdeurs, sans pour autant satisfaire toutes les attentes de ceux qui y participent, notamment en matière de financements. Ils demeurent néanmoins des instruments incontournables pour renforcer la pertinence de l'action publique en direction des jeunes à l'échelle de chaque territoire.

Le premier des quatre volets sur lesquels nous avons concentré nos travaux est celui de la petite enfance. C'est un sujet qui ne vient pas immédiatement à l'esprit, lorsque l'on parle de jeunesse et d'égalité des chances, mais j'ai souhaité y porter une attention particulière. En effet, un large consensus, étayé par de nombreux travaux scientifiques, existe aujourd'hui pour considérer que les toutes premières années d'un enfant ont un impact considérable sur son développement, avec des effets pouvant se ressentir durablement sur le parcours scolaire et bien après l'école. Ce constat a inspiré les conclusions rendues au Gouvernement il y a un an par la commission sur les 1 000 premiers jours de l'enfant présidée par Boris Cyrulnik et dont nous avons pu entendre certains membres.

Nous mentionnons dans le rapport les études qui établissent de fortes inégalités du développement du langage à 2-3 ans selon la situation socio-économique des familles, des inégalités de même nature étant observées sur les capacités cognitives et sociocomportementales, comme les aptitudes sociales et les traits comportementaux. Or ces écarts, présents dès le plus jeune âge, expliquent en partie ceux que l'on retrouve tout au long du parcours scolaire.

Certes, il serait excessif de dire que tout se joue avant trois ans et il faut écarter tout déterminisme qui enfermerait l'avenir des enfants dans une trajectoire totalement préétablie. Les études n'indiquent pas que ces différences de développement durant la petite enfance provoqueraient des effets irréversibles. Il reste fort heureusement possible d'y remédier après trois ans.

Cependant, il est nécessaire d'agir sur les inégalités de développement entre enfants dès la période de la petite enfance, car plus les interventions sont précoces, plus élevées sont les chances de réduire ces inégalités, d'éviter que leurs effets négatifs se cumulent et qu'elles s'accentuent à l'âge scolaire.

De ce point de vue - c'est aussi la conclusion de nombreuses études - l'accueil dans une structure collective peut comporter des effets positifs, surtout pour les enfants des familles les moins favorisées, sous plusieurs conditions, tenant, en particulier, à la qualité de l'accueil assuré.

C'est pourquoi il me paraît très important de faire évoluer notre approche de la politique d'accueil du jeune enfant. Elle ne doit pas se limiter à offrir des solutions de garde aux parents qui travaillent, mais pleinement intégrer cet apport qualitatif bénéfique dans une perspective d'égalité des chances.

Or aujourd'hui, les familles les plus modestes ont proportionnellement moins recours aux modes d'accueil collectifs et l'on constate de très fortes disparités territoriales, avec des possibilités d'accueil formel très inférieures à la moyenne dans certains départements comme la Seine-Saint-Denis ou le Val-d'Oise, ou encore en outre-mer. C'est un point sur lequel a particulièrement insisté Jean-Louis Borloo devant notre mission.

Lors des auditions, Louis Schweitzer, qui préside le comité d'évaluation de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté, nous a indiqué que pour un objectif de 30 000 nouvelles places d'accueil entre 2018 et 2022, 5 240 seulement avaient été créées fin 2019. Fin 2022, l'objectif ne pourrait être atteint qu'à 40 %.

C'est pourquoi il me semble nécessaire à la fois de renforcer les moyens mis en oeuvre par la branche famille pour aider à la création de places d'accueil et orienter les efforts vers les quartiers prioritaires, à savoir les zones rurales sous-dotées et les outre-mer, et, de manière plus générale, les familles les plus modestes.

Nos auditions ont également mis en lumière un déficit de formation des professionnels de la petite enfance par rapport à d'autres pays européens. Le plan prévu par le Gouvernement n'a été lancé qu'avec retard, en mai dernier. Il faut renforcer la formation initiale et continuer de valoriser ces métiers, gage d'un accueil de qualité offrant les meilleurs bénéfices aux enfants accueillis.

Enfin, une politique ambitieuse en matière de petite enfance suppose une meilleure adéquation de l'offre d'accueil aux besoins des familles. Les SDSF doivent en être l'instrument privilégié. J'ai également souhaité esquisser, dans le rapport, une réflexion sur ce que pourrait être un service public de la petite enfance, qui garantirait aux familles une solution d'accueil, pas nécessairement à temps plein, mais permettant néanmoins pour toutes celles qui le souhaitent un accès régulier à un mode d'accueil formel répondant à des critères de qualité. Cela soulève évidemment beaucoup de questions en matière de compétences et de financement, mais il me paraît nécessaire de réfléchir sur ce point, tant les enjeux d'égalité des chances méritent d'être pris en compte dès la petite enfance.

Le deuxième volet du rapport porte sur le parcours scolaire, période évidemment cruciale pour le devenir des jeunes : au regard des moyens consacrés à notre système éducatif, les résultats en matière de réduction des inégalités scolaires ne sont pas satisfaisants.

L'égalité des chances inspire de nombreuses actions engagées ces dernières années. Elles sont le plus souvent ciblées sur certains types de classes, d'établissements ou de territoires, et leur déploiement demeure assez inégal, du fait de mises en oeuvre tributaires des moyens financiers et échelonnées dans le temps.

Tout d'abord, nous devons saluer l'accent mis sur le primaire, avec le dédoublement des classes CP-CE1 en éducation prioritaire et le renforcement des moyens financiers et du recrutement. Les premières évaluations semblent positives, mais le dédoublement ne concerne actuellement qu'une minorité d'élèves. Il semble nécessaire de l'accélérer, avant 2023, pour les classes de grande section, et d'envisager des dédoublements hors quartiers de la politique de la ville, dans des écoles non couvertes où les résultats des élèves le justifieraient, ainsi que dans certaines communes qui bénéficiaient jusqu'en 2017 du dispositif « Plus de maîtres que de classes ».

Cette priorité au primaire ne doit pas conduire à délaisser le secondaire, où il faut améliorer les taux d'encadrement et soutenir les initiatives locales visant à augmenter la mixité sociale, notamment en étendant à d'autres métropoles l'expérimentation parisienne de secteurs communs à plusieurs collèges, qui donne des résultats très encourageants.

L'amélioration de la formation des enseignants aux besoins des élèves les plus en difficulté constitue un corollaire au renforcement de l'encadrement. Cette dimension n'est prise en compte que de manière insuffisante et assez tardive. Cela pose aussi la question de la préparation au métier d'enseignant dans la formation initiale.

Il faut aussi souligner l'intérêt de nombreux dispositifs d'accompagnement visant à améliorer l'environnement des élèves, tout en constatant que leur déploiement n'est pas suffisant. C'est le cas des internats, de manière générale, et des internats de la réussite en particulier, qui n'ont pas bénéficié des financements initialement prévus. Le dispositif « Devoirs faits » donne des résultats encourageants. Il mériterait d'être étendu aux écoles élémentaires dans les territoires les plus en difficultés et d'être adapté pour tenir compte des contraintes du transport scolaire en milieu rural. La mise en place de « cités éducatives » permet une véritable synergie de tous les acteurs éducatifs d'un territoire, en incluant la société civile, et en lien avec les entreprises. C'est une valeur ajoutée appréciable que nous avons pu mesurer à Gennevilliers. Cette expérimentation prévue jusqu'en 2023 mérite d'être pérennisée et, comme plusieurs des dispositifs que je viens de mentionner, étendue hors réseaux d'éducation prioritaire. Sur ce modèle viennent d'ailleurs d'être lancés, dans trois académies, 23 territoires éducatifs ruraux. Il faudra être en mesure d'étendre la démarche si les résultats sont concluants.

L'orientation demeure un point noir de notre système scolaire. Le plus souvent, elle se limite à un aiguillage des élèves, en fin de collège et de lycée, sur le seul critère des résultats scolaires. Il y a deux ans, l'inspection générale de l'éducation nationale dressait ce constat sévère : « C'est dans l'orientation que se lisent avec le plus de brutalité les inégalités sociales et de genre dont souffre notre système scolaire. » La réforme du lycée, avec la suppression des séries et le choix d'enseignements de spécialité, introduit une complexité supplémentaire qui pénalise les familles et les élèves les moins informés, c'est-à-dire les moins favorisés. De plus, elle conduit à ce que les élèves des grandes villes bénéficient d'un choix d'options plus large que ceux des territoires ruraux. Enfin, beaucoup a été dit sur le logiciel Parcoursup, qui continue de faire peser sur les jeunes le poids de leur lycée d'origine.

La question de l'orientation doit être abordée beaucoup plus sérieusement au sein des établissements, avec l'inscription effective dans l'emploi du temps des élèves des heures, actuellement optionnelles, consacrées à l'accompagnement à l'orientation, avec des rendez-vous réguliers sur l'orientation avec l'élève et sa famille et avec une intégration du conseil en orientation dans la formation des enseignants.

Il importe également de l'ouvrir, beaucoup plus qu'aujourd'hui, sur la diversité et la réalité des métiers, avec des visites d'entreprises ou des rencontres avec des professionnels.

Le mentorat a son rôle à jouer dans l'orientation, comme dans le soutien au parcours scolaire et à l'ouverture des élèves à tous les domaines. Nous avons reçu les associations de mentorat et mesuré leur engagement fort. Cette forme de mobilisation de la société civile auprès des jeunes, notamment les moins favorisés par leur origine sociale ou géographique, est intéressante. Elle ne doit pas conduire à un moindre engagement des pouvoirs publics, ni à négliger d'autres formes plus traditionnelles d'action du milieu associatif auprès des jeunes. Le plan mentorat affiche des objectifs très ambitieux : passer de 25 000 jeunes bénéficiaires en 2020 à 100 000 fin 2021 et 200 000 fin 2022.

Pour que cette action s'inscrive dans la durée, il faudra pérenniser les moyens qui y sont consacrés au-delà de 2022, mais surtout assurer une mobilisation plus large de tous les acteurs, au-delà des associations, à commencer par l'Éducation nationale. L'accès des associations aux établissements, qui suppose actuellement une convention avec chacun d'entre eux, doit être simplifié et les enseignants doivent être davantage sensibilisés. Enfin, le recrutement de mentors doit être développé dans la fonction publique, alors que ses cadres sont aujourd'hui peu présents dans le dispositif, afin de continuer à ouvrir celle-ci aux jeunes les moins favorisés, ce qui ne peut passer par la seule réforme de l'École nationale d'administration (ENA).

J'en viens à un troisième aspect des politiques d'égalité des chances qu'il m'a paru important d'examiner. Il s'agit de toutes les actions menées hors du milieu scolaire et qui permettent aux enfants, aux adolescents et aux jeunes adultes dont les familles n'ont pas nécessairement la capacité de le faire, d'élargir leurs horizons, d'être pleinement informés sur les possibilités qui s'ouvrent à eux et d'être accompagnés lorsqu'ils présentent des risques de fragilité.

Je crois tout d'abord qu'il est nécessaire de prendre en compte dans les politiques publiques nationales et locales, beaucoup plus qu'on ne le fait aujourd'hui, ce que l'on appelle l'éducation non formelle, celle qui se diffuse hors du milieu familial et hors de l'école. C'est un vecteur d'autonomie et d'émancipation. Le Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge (HCFEA), dont la présidente a été auditionnée, a souligné son apport essentiel pour réduire les écarts de trajectoire entre enfants qui ne disposent pas des mêmes opportunités d'ouverture.

Or nous constatons dans ce domaine non seulement que les possibilités d'activités organisées hors milieu scolaire et familial ne sont pas toujours suffisantes, mais que lorsqu'elles existent, les enfants et les jeunes issus des milieux les moins favorisés, c'est-à-dire ceux pour lesquels ces activités sont les plus profitables, sont proportionnellement moins présents.

Cela est frappant pour les colonies de vacances, dont les effectifs sont en recul depuis plusieurs années et où les enfants des catégories moyennes et supérieures sont surreprésentés. Je pense qu'il faut les relancer, en simplifiant et en faisant mieux connaître les aides existantes et en étudiant la possibilité d'un « pass colo », pour toucher davantage les publics qui ne partent pas en vacances.

Je ne reviendrai pas sur les raisons qui ont conduit à un fort recul des activités périscolaires ces dernières années. Nous connaissons tous les difficultés qu'avait entraînées la réforme des rythmes scolaires, qui a constitué, à cet égard, une occasion manquée. Un Plan mercredi a été lancé depuis, mais le bilan est assez décevant, surtout dans les territoires prioritaires que sont les quartiers de la politique de la ville et les zones de revitalisation rurale. Il me paraît nécessaire de relancer la conclusion de projets éducatifs territoriaux, et pour cela d'assurer, de la part de l'État et des caisses d'allocations familiales, un soutien financier et un appui technique renforcé aux collectivités qui s'y engagent.

Au-delà de ces structures organisées, il existe un grand nombre d'initiatives associatives visant à favoriser l'accès des jeunes les moins favorisés aux activités culturelles et sportives. Je me suis intéressée par exemple au déploiement sur le territoire du projet Démos (Dispositif d'éducation musicale et orchestrale à vocation sociale), coordonné par la Philharmonie de Paris. Le soutien à ce type de projets me paraît devoir être renforcé, car les impacts en matière d'ouverture et d'égalité des chances me semblent beaucoup plus évidents que ceux de la généralisation du pass culture, qui place les jeunes en situation de simples consommateurs. Des initiatives de même type comme « Sport dans la ville » existent pour les activités sportives, avec un lien vers l'insertion professionnelle. Elles doivent également être soutenues.

Enfin, j'ai souhaité souligner dans le rapport le rôle de l'éducation populaire, qui doit retrouver sa place dans une politique de soutien à l'émancipation des jeunes.

Durant des décennies, des organisations d'inspiration confessionnelle ou laïque ont joué un rôle social considérable auprès des jeunes. Elles sont aujourd'hui affaiblies, fragilisées. Les liens avec l'institution scolaire se sont beaucoup distendus. Or cette présence de proximité auprès des jeunes me paraît plus que jamais nécessaire. Il convient de refonder les relations avec ce tissu associatif, en renforçant les partenariats les incluant dans les politiques territoriales en direction des jeunes et en sécurisant leur financement par des conventions pluriannuelles de préférence aux appels à projets.

De manière plus générale, la possibilité, pour tous les jeunes, de participer à des activités à portée éducative me semble être un objectif à retenir. En revanche, je suis plus dubitative sur l'intérêt de la phase destinée à devenir obligatoire du service national universel (SNU), qui exigerait en outre des moyens budgétaires très importants. C'est un point que la commission de la culture du Sénat a souligné à de nombreuses reprises.

L'accès des jeunes à l'information est également un enjeu majeur d'égalité des chances. Dans ce domaine, il existe un foisonnement d'acteurs, ce qui ne garantit pas pour autant l'arrivée de l'information auprès de ceux à qui elle fait le plus défaut. Néanmoins, l'existence d'un réseau à vocation généraliste, s'adressant spécifiquement aux jeunes, conserve sa pertinence. C'est le rôle des bureaux ou points information jeunesse (PIJ), qui bénéficient d'un label attribué par l'État.

Celui-ci a cependant réduit son soutien financier au cours des dernières années, et le positionnement respectif de l'État et des régions vis-à-vis de ce réseau manque de clarté. Il me paraît nécessaire de conforter ce réseau et de lui donner une meilleure visibilité.

En matière d'information, il faut bien entendu développer l'utilisation de l'outil numérique. Des démarches innovantes ont été engagées : la « boussole des jeunes », qui recense les offres de service dans un territoire donné, ou les « promeneurs du net », qui permet aux jeunes d'établir le contact avec les professionnels sans avoir à se déplacer dans une structure. La couverture du territoire par ces dispositifs doit être améliorée, mais le déploiement de plateformes numériques ne doit pas s'effectuer au détriment du maillage territorial du réseau information jeunesse.

Nous évoquons aussi dans le rapport le rôle des actions de prévention et d'accompagnement, lorsqu'existent des vulnérabilités ou des situations de fragilité. Cela va du soutien à la parentalité aux points d'accueil écoute jeunes (PAEJ), aux structures telles que les maisons des adolescents et aux associations de prévention spécialisée. Ces missions doivent être mieux valorisées et mieux articulées, notamment en décloisonnant les politiques sociales locales en direction des jeunes.

Enfin, je termine par le dernier volet de notre rapport. Il concerne l'accompagnement des jeunes en grande difficulté d'insertion.

Ces jeunes ni en études, ni en emploi, ni en formation, appelés les NEET, sont au nombre d'un million, selon la stricte définition européenne, sans doute deux millions selon une définition plus large incluant ceux qui suivent des formations courtes ou non formelles. C'est une proportion très élevée des 3,5 millions de jeunes de 16 à 25 ans sortis du système de formation, plus élevée que dans beaucoup d'autres pays européens, avec des territoires plus durement touchés que d'autres : les quartiers prioritaires de la politique de la ville et les outre-mer. Si certains de ces jeunes ne sont pas momentanément en recherche d'emploi, pour diverses raisons, d'autres s'inscrivent durablement dans une situation de décrochage social.

Depuis plusieurs années, de multiples dispositifs ont été mis en place sans parvenir à entamer significativement cette proportion toujours très importante de jeunes en difficulté. Le plan « 1 jeune, 1 solution » a dégagé des moyens supplémentaires massifs visant, pour l'essentiel, à majorer les capacités d'accueil dans les dispositifs existants. C'est une réponse conjoncturelle à la crise sanitaire dont la pérennité n'est assurée que sur le court terme.

Sur ces dispositifs eux-mêmes, on peut saluer la forte progression du recours à l'apprentissage. C'est le signe que l'image de l'apprentissage évolue et qu'il est aujourd'hui mieux identifié comme une voie efficace d'accès à l'emploi. Une nuance cependant : les entrées en apprentissage ont globalement progressé de plus de 40 % de 2019 à 2020, mais la progression n'est que de 7 % pour les niveaux de formation équivalents au CAP. En d'autres termes, l'apprentissage se développe rapidement dans les formations supérieures, beaucoup moins pour les publics les plus éloignés de l'emploi.

Nous nous sommes également intéressés aux dispositifs de deuxième chance qui s'adressent, précisément, aux jeunes en grande difficulté.

Le fait que plusieurs formules différentes coexistent, notamment les écoles de la deuxième chance et les centres de l'Épide (établissement pour l'insertion dans l'emploi) ne nous a pas paru en soi problématique. Cette diversité peut permettre de mieux répondre à la variété des profils et des besoins des jeunes NEET. Il faudrait en revanche assurer un meilleur maillage territorial. Il n'y a pas d'écoles de la deuxième chance dans tous les départements et il existe seulement 19 centres Épide, dont trois pour toute la moitié sud de la France. De fait, ces formules ne peuvent être proposées qu'à une minorité des jeunes pour lesquelles elles ont été mises en place. Le soutien financier de l'État doit être renforcé pour développer ce réseau. En ce qui concerne l'Épide, la fermeture des centres le week-end est très dissuasive pour les jeunes venant de territoires éloignés des lieux d'implantation. Il faudrait être en mesure d'assurer l'hébergement tous les jours de la semaine.

Le mode le plus courant d'accompagnement des jeunes en difficulté d'insertion par les missions locales passe par deux dispositifs : le Pacea (parcours contractualisé d'accompagnement vers l'emploi et l'autonomie) et la garantie jeunes, qui en constitue une modalité spécifique. Il y a sans doute un besoin de clarifier l'articulation entre ces deux dispositifs et la garantie jeunes, dont l'intérêt est très largement reconnu, devrait désormais constituer l'outil privilégié d'accompagnement des NEET. Je signale aussi que le Gouvernement a fait adopter par l'Assemblée nationale en juillet dernier un amendement au projet de loi sur la protection de l'enfance prévoyant que la garantie jeunes serait proposée systématiquement à tous les jeunes sortant de l'aide sociale à l'enfance.

Le plan « 1 jeune, 1 solution » procède à une réévaluation de tous les objectifs quantitatifs, notamment le doublement des places en garantie jeunes. C'est un effort important en réponse aux conséquences de la crise sanitaire, mais les actions en direction des NEET méritent de voir leurs financements pérennisés au-delà du plan, car les difficultés propres à ce public ne disparaîtront pas avec le redémarrage économique.

De nombreux interlocuteurs de la mission d'information ont souligné les limites de la coexistence d'un aussi grand nombre de dispositifs, difficiles à appréhender par les jeunes, mais également par les acteurs locaux en charge de l'insertion. Des effets de concurrence ou de cloisonnement peuvent aussi réduire l'efficacité de la prise en charge des bénéficiaires.

Les missions locales me paraissent devoir être confortées en tant qu'acteur central de l'insertion des jeunes. Des améliorations peuvent être apportées, en particulier dans les relations avec Pôle emploi, de manière à mieux articuler les actions et la fluidité des relations, au bénéfice des parcours d'accompagnement des jeunes. Sans remettre en cause l'autonomie des missions locales, leur organisation territoriale pourrait être ajustée. J'ai l'expérience d'une mission locale couvrant l'ensemble d'un département. Sans aller jusque-là, peut-être pourrait-on encourager des regroupements quand une échelle plus fine n'apparaît pas pertinente. J'estime aussi que les missions locales pourraient être compétentes pour l'ensemble des jeunes de leur territoire et constituer l'ébauche d'un service public de l'insertion des jeunes.

En complément, il est nécessaire de gommer les effets de concurrence entre dispositifs, qui existent aujourd'hui pour diverses raisons : des financements fondés sur des évaluations strictement quantitatives, telles que les taux de sorties positives, qui pénalisent les jeunes les plus éloignés de l'emploi et ne valorisent pas le travail d'accompagnement ; des disparités dans les allocations qui conduisent à privilégier certaines formules même si elles ne sont pas les plus adaptées à la situation du jeune.

Enfin, il faut trouver les moyens d'agir plus efficacement auprès des jeunes les plus en difficulté.

J'ai pu mesurer, lors d'une audition du préfet de la région Île-de-France puis lors d'une visite à la mission locale de Sarcelles, l'intérêt de l'organisation mise en place dans plus de 90 quartiers et qui doit être étendue à une centaine d'autres dans les mois à venir.

Ce plan régional d'insertion pour la jeunesse (PRIJ) repose sur la constitution, à l'échelle d'un ou plusieurs quartiers, de groupes opérationnels associant tous les acteurs de l'insertion chargés de repérer les jeunes NEET, de les contacter et de leur proposer un accompagnement personnalisé. Une convention a permis d'obtenir la transmission à ces groupes de la liste des décrocheurs par les services de l'éducation nationale.

Ce plan illustre les difficultés liées à la fragmentation de l'action publique en direction des jeunes décrocheurs, mais également les résultats qui peuvent être obtenus grâce à une coordination volontariste et une démarche d'aller vers. Cette démarche pourrait à mon sens être transposée hors de la région parisienne, y compris dans des territoires ruraux.

Je souhaiterais terminer par la nécessité de renforcer l'accompagnement financier des jeunes vers l'autonomie.

Les jeunes qui ont le plus de difficultés d'insertion sont également en général ceux dont les familles sont le moins à même de les soutenir financièrement.

La création d'un revenu d'engagement, qui constituerait une extension de la garantie jeunes, actuellement contingentée, a été annoncée. Au moment où a été rédigé le rapport, les contours précis de ce revenu d'engagement n'étaient pas connus, si ce n'est qu'il serait, comme la garantie jeunes, subordonné à un parcours d'accompagnement vers l'emploi et qu'il pourrait bénéficier à des jeunes exerçant des emplois occasionnels.

De nombreux interlocuteurs de la mission ont souligné que la précarité de nombreux jeunes entravait leur capacité à s'engager dans une démarche d'insertion. Lors de son audition, Louis Schweitzer a mentionné la proposition du comité d'évaluation de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté : expérimenter un revenu de base en faveur des jeunes en étude, en emploi peu rémunéré ou en recherche d'emploi, tenant compte des ressources familiales. Il a également indiqué que les études existantes ne révélaient pas d'effet désincitatif à la recherche d'emploi.

Je ne propose pas à la mission d'information de se prononcer sur cette question aujourd'hui, d'autant qu'une proposition de loi discutée par le Sénat en début d'année a ouvert le débat. Mais je tenais à dire que le travail effectué tout au long de cette mission a renforcé ma conviction personnelle que pour réduire les inégalités dans l'accès des jeunes à l'autonomie, il est nécessaire de garantir à tous, et surtout à ceux qui peuvent le moins compter sur le soutien parental, des ressources suffisantes, assorties d'un suivi leur assurant de meilleures chances d'insertion.

Au terme de cette mission d'information, je retire le sentiment que l'objectif d'égalité des chances inspire de multiples actions, mais que les résultats ne sont pas à la hauteur des moyens importants qui sont engagés. Le cloisonnement des politiques limite leur capacité à répondre aux situations des enfants et des jeunes auxquels elles s'adressent. Certains dispositifs sont ciblés sur un type de public ou de territoire, alors que la réalité des situations justifierait une application sur une échelle plus large, en particulier dans les zones rurales. D'autres, qui donnent de bons résultats, ont été mis en place dans le cadre d'un plan ponctuel, et faute de développement ultérieur ne peuvent toucher tous les jeunes qui mériteraient d'en bénéficier.

Alors que les facteurs obérant les chances d'accéder à ces conditions de vie satisfaisantes sont bien identifiés, de la petite enfance à l'entrée dans l'âge adulte, je suis convaincue que, pour progresser vers l'égalité des chances et l'égalité des droits, une approche beaucoup plus transversale des actions à entreprendre est nécessaire, aux plans national et local. Cet objectif doit être pleinement pris en compte dans manière continue et cohérente dans les politiques publiques concernant les jeunes à chaque stade de leur parcours. C'est ce que nous avons souhaité démontrer avec notre rapport.

Je tiens à vous remercier, monsieur le président, de m'avoir laissé toute liberté pour organiser ce travail. Je remercie également les administrateurs et mes collaborateurs qui ont contribué à ce rapport.

M. Laurent Somon . - Le groupe Les Républicains a pris connaissance du rapport. Nous remercions le président et la rapporteure pour l'ambition qu'ils ont donnée à ce sujet important de l'égalité des chances et de l'émancipation de la jeunesse. Je vous remercie du travail accompli pour essayer, au-delà du constat des difficultés, lesquelles ont des causes multifonctionnelles et complexes, de faire des propositions afin de lutter contre le manque de mobilité sociale lié à l'imprégnation familiale et contre l'absence de dynamisme de l'ascenseur social résultant du déterminisme social et territorial.

Le rapport avance des recommandations prudentes pour lutter contre les ruptures d'égalité subies par la ruralité et contre les déséquilibres entre territoires dans les critères d'affectation budgétaire. La jeunesse rurale est davantage impactée que le rapport ne l'indique. On parle souvent des quartiers prioritaires de la ville, en oubliant les difficultés rencontrées dans les territoires ruraux. Pour ma part, j'ai organisé une expérimentation du dédoublement scolaire dans les classes de grande section de maternelle, CP et CE1 dans mon département, qui est l'un des plus touchés par l'illettrisme.

Si, comme il est indiqué dans le rapport, le travail effectué a permis de « recueillir un matériau très riche », il révèle un constat social et territorial connu que nous partageons, notamment sur l'absence d'une véritable coordination des politiques en faveur de la jeunesse.

La politique à l'égard de la jeunesse doit être structurelle et pas seulement sectorielle, afin de prendre en compte la jeunesse dans la République, dans la famille, dans la société, à l'école ou dans l'emploi. La lutte contre les inégalités doit intégrer ces interactions.

Le rapport contient peu de choses sur ce que j'appellerai une vision politique citoyenne de la jeunesse, sur le lien étroit entre citoyenneté et émancipation républicaine, sur la définition même de l'émancipation. Nos conclusions ne sauraient se résumer à proposer un empilement de dispositifs ou un accroissement continu des aides distribuées.

Inventorier des dispositifs pour l'émancipation de la jeunesse dont on connaît par coeur les limites n'est pas inutile. Trouver des « moyens nouveaux » pour remédier à des « moyens insuffisants » n'est pas à la hauteur des constats d'inefficacité portés sur les dispositifs actuels.

Malgré tout, le rapport a le mérite d'attirer une nouvelle fois l'attention sur l'empilement des dispositifs en direction de la jeunesse, qui s'est amplifié à la suite de la crise de la covid.

J'attire l'attention sur le manque de stratégie et la défaillance d'impulsion de la part de l'État qui ne peuvent en tout état de cause être compensés par les collectivités territoriales, dont les compétences sont mal définies et enchevêtrées, ou par les acteurs historiques de certains secteurs. La loi 3DS ne réglera sans doute rien. Pour lutter contre les inégalités qui touchent la jeunesse, c'est aussi dans la situation institutionnelle de notre pays qu'il faut aller chercher des solutions, ce que le rapport ne fait pas. Mais ce n'était pas son ambition.

L'Assemblée nationale comme le Sénat se sont interrogés depuis longtemps sur les constats opérés dans ce rapport, sans que des conséquences aient été tirées des dysfonctionnements et insuffisances relevés. C'est la limite de l'inventaire. Des quartiers prioritaires de la politique de la ville au service public de la petite enfance, du service public de l'orientation au parcours scolaire et aux inégalités de langage, de l'information à « l'ouverture des horizons », de l'insertion par le travail au rapport entre l'école et les activités extérieures ou l'animation sociale : rien de réellement nouveau, simplement la répétition prudente de phénomènes connus. Deux exemples significatifs : la nécessaire articulation entre les missions locales et Pôle emploi, et la dévolution de compétences complètes aux collectivités - je pense par exemple à la protection maternelle et infantile (PMI) et à la santé scolaire aux départements.

Le groupe Les Républicains est opposé à une vision parfois très théorique de l'égalité des chances. Nous nous opposons à une recommandation figurant à la page 98 du rapport, celle qui prévoit de « consacrer un nombre de places réservées aux étudiants boursiers dans certaines filières universitaires sélectives ».

Si notre groupe partage entièrement l'objectif d'ouverture sociale des grandes écoles au nom de l'égalité des chances, nous ne pouvons souscrire à une mesure qui impacterait injustement les conditions de sélection des élèves. Nous estimons que l'accès à ces places très demandées doit se faire en fonction des seuls résultats obtenus par l'élève. Introduire d'autres critères que le mérite reviendrait à une imposture et créerait un sentiment d'injustice chez les postulants.

L'État acterait ainsi l'échec total et complet de la possibilité offerte par le système public de l'éducation de permettre à chacun d'atteindre le même niveau et d'être aussi fier de sa réussite que les autres.

C'est en amont qu'il faut agir : sur les 1 000 premiers jours de la vie, avec l'accompagnement à la parentalité, mais aussi sur les bancs de l'école de la République, pour lutter contre la fracture éducative mentionnée dans tous les classements internationaux. Je pense au dispositif « Devoirs faits » ou aux secteurs communs des collèges. En cela, nous rejoignons les conclusions du rapport qui dénoncent un système scolaire ne parvenant toujours pas à résorber les inégalités liées à la naissance ou débouchant sur une impasse à l'université.

Pour mon groupe, la solution n'est ni dans le déblocage de moyens nouveaux ni dans le simple rappel d'un besoin accru de bonne volonté des acteurs
- car ils en ont ! -, mais dans l'évaluation des politiques publiques mises en oeuvre, dont le rapport ne fait pas état.

L'audition de M. Schweitzer m'a laissé dubitatif. Il a indiqué qu'il n'avait pas de remontées concernant l'impact du plan pauvreté en termes sur la jeunesse. Faire l'évaluation d'une politique pour laquelle il n'existe pas de données paraît extrêmement difficile...

La crise de la covid a remis en lumière l'existence d'inégalités via les questions de travail à distance, d'illectronisme, de parentalité, de violence interfamiliale, de mal-être psychologique des étudiants. Ce rapport vient donc à point nommé, mais la proximité des élections présidentielles nous faire craindre que cette question de société qu'est l'égalité des chances ne soit traitée qu'au travers du prisme de surenchères financières.

Dernier point : le Président de la République a annoncé en juillet dernier l'extension du dispositif garantie jeunes à un million de bénéficiaires, contre 200 000 aujourd'hui, assortie d'une enveloppe de deux milliards d'euros. Cet effet d'annonce ne s'accompagnait d'aucun regard global ni de prospective audacieuse sur l'évolution de l'ensemble des politiques aujourd'hui conduites. Le président du Haut Conseil des finances publiques Pierre Moscovici vient de dénoncer un projet de budget pour 2022 « incomplet » : celui-ci n'intègre en effet pas dans les comptes les dépenses du revenu d'engagement pour les jeunes ainsi que celles du plan d'investissement « France 2030 »... Le rapport du Haut Conseil consacre quatre petites pages finales à la question de l'accompagnement financier vers l'autonomie. Tout un symbole !

Pour toutes ces raisons, mon groupe souhaite s'abstenir. Nous vous transmettons notre contribution sur ce sujet. Notre mission d'information a remis en lumière un sujet dont la crise de la covid a montré combien il était d'importance.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Je prends acte de vos remarques. Je ne partage pas tous vos propos, mais je suis d'accord sur le fait que l'on ne peut pas se contenter d'empiler des mesures et demander des moyens supplémentaires. La réponse réside dans notre capacité de mesurer l'efficacité des actions menées et de réorganiser l'ensemble des dispositifs.

Le rapport n'apporte aucune recette miracle, mais s'il y en avait une elle serait appliquée depuis longtemps ! Il a le mérite de présenter les choses de manière quelque peu inhabituelle, au travers du parcours de vie. Nous nous sommes volontairement arrêtés à la période de l'entrée dans l'âge adulte pour ne pas empiéter sur d'autres travaux du Sénat.

Je ne partage pas du tout votre avis au sujet de la possibilité de réserver des places aux boursiers. On peut être extrêmement méritant et ne pas réussir à atteindre certains objectifs parce que l'on se met soi-même des barrières...

La contribution de votre groupe sera annexée au rapport.

M. Jean Hingray , président . - La proposition relative aux quotas réservés aux étudiants boursiers dans certaines filières universitaires sélectives appelle aussi des réserves de ma part, car je crois profondément au mérite.

Madame la rapporteure, peut-être pourriez-vous accepter de la retirer du rapport ?

Mme Monique Lubin , rapporteure . - J'accepte de retirer ce point s'il doit constituer un point d'achoppement. Ce débat sur le mérite soulève néanmoins de vraies questions.

M. Laurent Somon . - Je remercie la rapporteure pour son effort.

M. Jean Hingray , président . - Nous allons donc retirer cette recommandation. La rapporteure a travaillé en pleine autonomie, mais j'ai également pu apporter ma contribution personnelle, sur certaines auditions ou recommandations auxquelles je tenais. Chacun a donc fait des efforts.

M. Laurent Somon . - C'est toute la grandeur du Sénat...

Le rapport est adopté et la mission d'information en autorise la publication.

LISTE DES DÉPLACEMENTS

___________

Déplacement à Gennevilliers (Hauts-de-Seine),
quartier du Luth

(Jeudi 3 juin 2021)

Déplacement du président et de la rapporteure de la mission d'information et échanges avec les acteurs de la cité éducative de Gennevilliers , en présence de :

Patrice Leclerc , maire de Gennevilliers

Richard Merra , conseiller municipal de Gennevilliers, chargé du projet de la cité éducative

Blandine Soulerin , directrice de l'enfance de la ville de Gennevilliers

François Durandeau , responsable du service enfance de la ville de Gennevilliers

Nadège Renet-Binkina , déléguée du préfet des Hauts-de-Seine

Delphine Pratlong , cheffe du bureau politique de la ville et de la cohésion sociale à la préfecture des Hauts-de-Seine

Mariane Tanzi , directrice académique adjointe des services de l'éducation nationale des Hauts-de-Seine

Benjamin Duluc , chef du projet cités éducatives pour les Hauts-de-Seine, rectorat de Versailles

Emmanuel Simonet , inspecteur de l'éducation nationale

Alexandre Xerri , principal du collège Guy Môquet

Émilie Dauzié , principale adjointe du collège Guy Môquet

Mélissa Péron , conseillère principale d'éducation du collège Guy Môquet

Mourad Hakmi , responsable du projet de réussite éducative

Safa Bejaoui , responsable du service club ados

Slimane Kacioui , association BDS création

Gabin Gomes , directeur de la mission locale de Gennevilliers

Dany Rosilio , chargée de projet à la mission locale

Jean-Benoît Schemitte , directeur de l'école maternelle Jean Lurçat

Isabelle Husson , directrice de l'école élémentaire Jean Lurçat

Benoît Romero , chargé de mission au pôle ressources ville et développement social

Jean-Christophe Delcroix , directeur du Tamanoir, scène de musiques actuelles

Déplacement à Sarcelles (Val-d'Oise),
antenne de la mission locale Val-d'Oise Est

(Jeudi 8 juillet 2021)

Déplacement de la rapporteure de la mission d'information et échanges avec les acteurs du plan régional d'insertion des jeunes (PRIJ ), en présence de :

Denis Dobo-Schoenenberg , sous-préfet de Sarcelles

Sonia Abed , déléguée du préfet du Val-d'Oise

Émeline Vidot , coordinatrice du PRIJ à la mission locale Val-d'Oise Est

Semao Denebo , coordinatrice adjointe du PRIJ à la mission locale Val-d'Oise Est

Sophie Astic , chargée de mission à la direction départementale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités du Val-d'Oise

Djida Techtach , première adjointe au maire de Villiers-le-Bel, vice-présidente de la mission locale Val-d'Oise Est

Patrick Haddad , maire de Sarcelles

Hamza Hammad , conseiller municipal de Goussainville, trésorier de la mission locale

Jean-Christophe Poulet , directeur de la mission locale Val-d'Oise Est

Elsey Gassou , chargée de projet à la mission locale Val-d'Oise Est

Yves Slama , directeur du service de prévention spécialisée de la fondation OPEJ

Isabelle Akkaya , référente de parcours du service de prévention spécialisée de la fondation OPE

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES ET DES CONTRIBUTIONS ÉCRITES

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• Tom Chevalier , chargé de recherche CNRS au laboratoire Arènes

• Sébastien Grobon , administrateur Insee en poste au ministère du travail (DARES), doctorant au Centre d'économie de la Sorbonne

• Olivier Galland , chercheur associé au Groupe d'étude des méthodes de l'analyse sociologique de la Sorbonne (GEMASS, CNRS, Paris 4)

• Institut national de la jeunesse et de l'éducation populaire (Injep)

Thibaut de Saint-Pol , directeur

• François Dubet , professeur émérite de l'Université Bordeaux II

• Marie Duru-Bellat , professeur émérite des Universités en sociologie

• France urbaine

Étienne Chaufour , directeur Île-de-France, en charge de l'éducation-petite enfance-jeunesse, maire honoraire de Juvisy

• Assemblée des communautés de France (AdCF)

Thomas Fromentin, président de la communauté Pays Foix-Varilhes

Jean-François Soto , président de la communauté de la Vallée de l'Hérault

Montaine Blonsard , responsable des relations avec le Parlement

• Association nationale des écoles de la 2 e chance

Alexandre Schajer, président

Sébastien Kiss , secrétaire général

Cyrille Cohas-Bogey , directeur général

• Établissement pour l'insertion dans l'emploi (EPIDE)

Florence Gerard-Chalet, directrice générale

François-Xavier Pourchet, directeur général adjoint

Jean-Luc Gely, directeur du centre EPIDE de Brétigny

• Association Proxité

Sébastien Lailheugue, directeur

• Association Article 1

Benjamin Blavier, co-fondateur, co-président

• Association Chemins d'avenir

Laura Chupin, responsable partenariats

• Association Télémaque

Ericka Cogne, directrice générale

• Association NQT

Guillaume Marmasse, directeur général

• Fédération nationale laïque de structures et d'activités éducatives, sociales et culturelles (Francas)

Irène Pequerul, déléguée générale

Sophie Dargelos, directrice de programme

• Confédération des maisons de jeunes et de la culture de France (CMJCF)

Patrick Chenu, directeur général

• Fédération sportive et culturelle de France (FSCF)

Laurence Munoz, vice-présidente « recherche, développement, innovations »

Julien Mary, responsable du pôle activités et formation, coordinateur des pôles du siège national

• Fédération Léo Lagrange

Vincent Séguéla, secrétaire général

• Confédération nationale des foyers ruraux (CNFR)

Véronique Marchand , co-présidente

Nathalie Monteiro, co-présidente

Laure Di Franco , animatrice du réseau national des foyers ruraux

• Jeunesse au plein air

Christian Dominé , président

Anne Carayon , directrice générale

Élise Roinel , responsable du plaidoyer

• Conseil d'orientation des politiques de jeunesse (COJ)

Elsa Bouneau , présidente

• Sciences-Po

Myriam Dubois-Monkachi , directrice de la scolarité et de la réussite étudiante

Karine Aurelia , directrice déléguée à l'égalité des chances

• ESSEC

Chantal Dardelet , directrice du centre Égalité des chances de l'ESSEC, directrice exécutive de #Together (démarche de transition de l'ESSEC)

• Conférence des directeurs des écoles françaises d'ingénieurs (CDEFI)

Philippe Dépincé , président de la commission Formation et société

Isabelle Schöninger , directrice exécutive

Nessim Le Picard , conseil, cabinet Communication & Institutions

• Union nationale de l'information jeunesse - Info Jeunes France (UNIJ-IJF)

Emmanuel Mourlet , président

Julie Francioli , chargée de développement

• Comité national de liaison des acteurs de la prévention spécialisée (CNLAPS)

Michèle Bellone , membre du bureau du CNLAPS, directrice d'une association de prévention spécialisée en Haute-Corse

Zakia Smail , membre du conseil d'administration du CNLAPS, directrice d'une association de prévention spécialisée dans les Yvelines

• Association nationale des points accueil-écoute jeunes ANPAEJ

Xavier Vanderplancke , vice-président

• Association nationale maison des adolescents (ANMDA)

Loïk Jousni , psychologue clinicien, responsable de la Maison des adolescents du Finistère Nord, trésorier de l'ANMDA

• Fédération nationale des écoles des parents et des éducateurs (FNEPE)

Bruno Jarry , vice-président, directeur du CLAVIM (Cultures, loisirs, animations de la ville d'Issy-les-Moulineaux)

Béatrice Bayo , directrice

• Fédération nationale de la médiation et des espaces familiaux (FENAMEF)

Jean-Louis Coquin , président

Laure Lechatellier , secrétaire générale

• Association des départements solidaires

Philippe Grosvalet , président du Conseil départemental de Loire-Atlantique

Nathalie Sarrabezolles , présidente du Conseil départemental du Finistère

Mathieu Claoué , chargé de mission de l'Association des Départements solidaires

• Magali Danner , maître de conférences en sciences de l'éducation, IREDU (Institut de recherche sur l'éducation), Université de Bourgogne

• Pr Jaqueline Wendland , directrice du diplôme d'université Psychologie et psychopathologie de la parentalité, Université de Paris - Institut de Psychologie, Laboratoire de psychopathologie et processus de santé

• Haut conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge

Sylviane Giampino , psychologue, présidente

• Ensemble pour l'éducation de la petite enfance

Nathalie Casso-Vicarini , fondatrice et déléguée générale

• Agnès Florin , professeur émérite de psychologie de l'enfant et de l'éducation à l'Université de Nantes

• Union nationale des comités locaux pour le logement autonome des jeunes (UNCLLAJ)

Tommy Veyrat , délégué national

• Union nationale pour l'habitat des jeunes (UNHAJ)

Marianne Auffret , directrice générale

Salim Didane , directeur Prospective et développement

Aude Pinault , déléguée à l'habitat

• Union nationale des associations familiales

Marie-Andrée Blanc , présidente

Patricia Humann , coordinatrice du pôle École, petite enfance, jeunesse

• Union nationale interfédérale des oeuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux (UNIOPSS)

Jérôme Voiturier , directeur général

Manon Jullien , conseillère technique Lutte contre l'exclusion

• Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF)

Clotilde Robin , première adjointe au maire de Roanne

Sarah Reilly , conseillère technique

• Yaëlle Amsellem-Mainguy , sociologue, chargée de recherche à l'Institut national de la jeunesse et de l'éducation populaire (Injep)

• Fondation Apprentis d'Auteuil

André Altmeyer , directeur général adjoint

Jonathan Tetas , chargé de plaidoyer

• Union nationale des missions locales

Jean-Raymond Lépinay , vice-président

Sandrine Aboubadra-Pauly , déléguée générale

Olivier Gaillet , chargé de mission

• Caisse nationale d'allocations familiales (CNAF)

Isabelle Sancerni , présidente du Conseil d'administration de la CNAF

Pauline Domingo , responsable du département enfance et parentalité

Florence Thibault , adjointe du directeur des statistiques et des études

Patricia Chantin , responsable des relations parlementaires et institutionnelles

• Préfecture de la région Île-de-France

Marc Guillaume , préfet de la région Île-de-France

Matthieu Piton , chef de la mission ville, secrétariat général aux politiques publiques

• Projet Démos, Philharmonie de Paris

Gille Delebarre , directeur délégué au projet Démos

Éric Lemaire , directeur adjoint au projet Démos

• Rose-Marie Lagrave , sociologue, directrice d'études à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS), Paris

• Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH)

Soraya Amrani-Mekki , vice-présidente de la CNCDH, co rapporteure de l'avis du 27 mai 2021, professeur agrégée des facultés de droit

Arnaud Gaillard , membre de la CNCDH, co-rapporteur de l'avis du 27 mai 2021, sociologue et chercheur

Louise Savri , chargée de mission à la CNCDH

• Office national d'information sur les enseignements et les professions (ONISEP)

Frédérique Alexandre-Bailly , directrice générale

Marie-Claude Gusto , directrice adjointe

• Alain Ayong Le Kama , recteur de région académique, recteur de l'académie de la Guyane

• Maël Disa , délégué interministériel pour l'égalité des chances des Français d'outre-mer

CONTRIBUTIONS ÉCRITES

• Assemblée des départements de France (ADF)

• Convention nationale des associations de protection de l'enfant (CNAPE)

• Association Femmes & sciences

CONTRIBUTION DU GROUPE LES RÉPUBLICAINS

___________

Bien que reconnaissant la qualité du travail effectué par la mission et son rapporteur, notre groupe émet quelques réserves sur certaines observations et propositions du rapport.

En premier lieu, on peut regretter que le vocabulaire employé mêle des notions aussi diverses qu'égalité et égalitarisme, égalité et discrimination positive...

Nous regrettons aussi que certains sujets n'aient pas été traités. Ainsi, alors que le Sénat a conduit des débats d'une grande richesse lors de l'examen de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, le rapport n'évoque pas le lien entre émancipation et citoyenneté. Une vision politique citoyenne de la jeunesse, promouvant les valeurs républicaines et un idéal démocratique, devrait accompagner l'émancipation de celle-ci, ce que le rapport ne développe pas, alors que nombre de jeunes manquent actuellement de repères.

On peut d'ailleurs regretter l'absence d'ouverture du champ de réflexion de la mission. Est-il en effet possible de traiter le sujet de la jeunesse sans évoquer l'évolution de la pauvreté en France, les politiques sociales ou fiscales de l'Etat, bien que ces sujets ne visent pas directement celle-ci ? De trop nombreuses interactions avec des questions d'ordre structurel auraient sans doute rendu l'exercice trop difficile, mais l'absence de ces sujets participe au sentiment d'inachevé laissé la lecture du rapport.

Notre groupe rejoint les perspectives dressées par les conclusions du rapport sur le constat de politiques insuffisamment soutenues et coordonnées pour défendre l'égalité des chances. Cependant, on peut regretter que la mission n'ait pas opéré d'évaluation approfondie de celles-ci.

De nombreux dispositifs sont évoqués. Les inventorier n'est pas inutile, mais les propositions du rapport se limitent trop souvent à recommander l'augmentation des moyens qui leur sont accordés sans réellement évaluer ni leur efficacité, ni leur coût, ni leurs interactions. Notre groupe regrette que le rapport valide ainsi l'empilement de dispositifs, même si des propositions de rationalisation des actions sont parfois formulées. Celles-ci se réduisent cependant souvent à des voeux pieux, telle l'articulation entre les missions locales et Pôle emploi...

Le Parlement remplit régulièrement sa mission de contrôle des politiques menées en faveur de la jeunesse. Nous disposons donc déjà de la plupart des constats opérés par la mission, que cela concerne la petite enfance, la scolarité, l'enseignement supérieur, l'orientation ou l'insertion... « L'ouverture des horizons » prônée par le rapport ne se concrétise guère par des propositions nouvelles, se résumant à la relance des projets éducatifs territoriaux, au soutien au projet Demos, à des recommandations visant à mieux communiquer ou à valoriser certains dispositifs (séjours collectifs de vacances)... Nous regrettons ce manque d'ambition.

Si le rapport prône la multiplication des moyens pour les dispositifs existants, il ne cherche pas à en évaluer l'impact. Le chapitre dédié au parcours scolaire illustre bien cela en recommandant pêle-mêle l'extension du dédoublement des classes, le développement des dispositifs « vacances apprenantes » et « devoirs faits », ou l'extension des cités éducatives et de l'accueil dès deux ans.

Par ailleurs, le rapport nous semble trop prudent dans ses recommandations sur la ruralité et les déséquilibres entre territoires, la jeunesse y étant davantage impactée que le rapport ne l'indique, en raison notamment de critères d'affectation budgétaire et de focalisation sur les grandes métropoles qui doivent être dénoncés.

Enfin, le groupe Les Républicains remarque que les annonces du Gouvernement, précédant la prochaine échéance électorale, ont sans doute contribué à paralyser les travaux de la mission. Les annonces du président de la République sur l'extension du dispositif « Garantie jeunes » à un million de bénéficiaires, contre deux cent mille aujourd'hui, assortie d'une enveloppe de deux milliards d'euros, ne s'accompagnaient d'aucun regard global ni prospective audacieuse sur l'évolution de l'ensemble des politiques aujourd'hui conduites. Le Président du Haut Conseil des Finances Publiques Pierre Moscovici vient de dénoncer un projet de budget 2022 « incomplet » car n'intégrant pas les dépenses du revenu d'engagement pour les jeunes. Le rapport ne consacre que quelques paragraphes à cette question de l'accompagnement financier vers l'autonomie. Mais était-il possible de procéder autrement à la veille de l'élection présidentielle ?


* 1 L'ascenseur social en panne ? Comment promouvoir la mobilité soci ale, OCDE, 2018.

* 2 L'inertie intergénérationnelle serait d'environ 45 % en Italie et au Royaume-Uni, 40 % aux États-Unis, 26 % en Suède et 12 % au Danemark.

* 3 La mobilité sociale en France : que sait-on vraiment ? , Clément Dherbécourt, France Stratégie, septembre 2020.

* 4 Les grands défis économiques , commission internationale présidée par Olivier Blanchard et Jean Tirole, juin 2021.

* 5 Audition de Mme Émilie Raynaud, responsable de la division des études sociales de l'Insee, 3 mars 2021.

* 6 La fluidité sociale est un indicateur d'égalité des chances en mesurant les chances relatives d'accéder aux différentes catégories socioprofessionnelles selon son origine sociale.

* 7 Audition de Mme Émilie Raynaud, responsable de la division des études sociales de l'Insee, 3 mars 2020.

* 8 Comme l'a indiqué Christian Dherbécourt (France Stratégie) devant la mission d'information le 3 mars 2021, aucun pays ne dispose de données retraçant la trajectoire d'individus sur six générations et selon ce calcul, effectué à partir du coefficient d'inertie d'une génération à l'autre, l'écart se réduit de 85 % au bout de trois générations, le résultat n'étant pas linéaire.

* 9 L'ascenseur social en panne ? Comment promouvoir la mobilité sociale , OCDE, 2018.

* 10 France Stratégie, Note d'analyse n° 51, janvier 2017.

* 11 Les grands défis économiques , commission internationale présidée par Olivier Blanchard et Jean Tirole, juin 2021.

* 12 Injep, fiche repère n° 54, mars 2021.

* 13 Centre d'études et de recherches sur les qualifications, Que deviennent les jeunes des quartiers prioritaires de la ville après leur bac ? , juin 2020.

* 14 Avis du CESE, Place des jeunes dans les territoires ruraux , janvier 2017.

* 15 Les filles du coin , Yaëlle Amsellem-Mainguy, Presses de Science Po, 2021.

* 16 Rapport d'information de M. Gérard Longuet au nom de la commission des finances du Sénat, L'enseignement scolaire en outre-mer : des moyens à mieux adapter à la réalité des territoires , janvier 2021.

* 17 DEPP, Filles et garçons sur le chemin de l'égalité, de l'école à l'enseignement supérieur , 2021.

* 18 Cnesco, Comment l'école aide-t-elle les élèves à construire leur orientation ?, 2018.

* 19 Contribution écrite adressée à la rapporteure.

* 20 Note d'information DEPP 20.07.

* 21 Audition de Mme Fabienne Rosenwald, directrice de la DEPP, 4 mars 2021.

* 22 Audition de Mme Fabienne Rosenwald, directrice de la DEPP, 4 mars 2021.

* 23 Note d'information DEPP 20.13.

* 24 Note d'information DEPP 20.24.

* 25 DEPP, L'Europe de l'éducation en chiffres , 2020.

* 26 Conseil national d'évaluation du système scolaire, Comment l'école amplifie-t-elle les inégalités sociales et migratoires ? , septembre 2016.

* 27 Annexe 14 au rapport général n° 138 (2020-2021) de M. Gérard Longuet, fait au nom de la commission des finances du Sénat, novembre 2020.

* 28 DEPP, État de l'école 2020 .

* 29 Cnesco, Panorama des inégalités scolaires d'origine territoriale dans les collèges d'Île-de-France , 2018.

* 30 Cnesco, Panorama des inégalités scolaires d'origine territoriale en France , 2018.

* 31 DEPP, note d'information 19.35.

* 32 Rapport Mission Territoires et réussite, Ariane Azéma et Pierre Mathiot, novembre 2019.

* 33 Mission orientation et égalité des chances dans la France des zones rurales et des petites villes, Restaurer la promesse républicaine, Salomé Berlioux, présidente de l'association Chemins d'avenirs, mars 2020.

* 34 Commissariat général du Plan, Jeunesse, le devoir d'avenir , rapport de la commission présidée par Dominique Charvet, mars 2001.

* 35 Commission sur la politique de la jeunesse, Livre vert , juillet 2009.

* 36 Cour des comptes, Référé sur l'action en faveur de la jeunesse conduite par la direction de la jeunesse, de l'éducation populaire et de la vie associative , 24 janvier 2020.

* 37 Audition de M. Louis Schweitzer, 26 mai 2021.

* 38 Article 3 du décret n° 82-367 du 30 avril 1982 portant création d'un comité interministériel de la jeunesse.

* 39 Décret n° 2014-18 du 9 janvier 2014.

* 40 Cour des comptes, Référé sur l'action en faveur de la jeunesse conduite par la direction de la jeunesse, de l'éducation populaire et de la vie associative , 24 janvier 2020.

* 41 Des délégations régionales académiques à la jeunesse, à l'engagement et aux sports (Drajes) sont désormais créées auprès des recteurs de région académique. Des services départementaux à la jeunesse, à l'engagement et aux sports (Sdjes) sont installés auprès des inspecteurs d'académie-directeurs académiques des services de l'éducation nationale (IA-Dasen).

* 42 Par fusion de trois instances : le conseil national de l'éducation populaire et de la jeunesse, le conseil national de la jeunesse et le conseil national des missions locales.

* 43 Décret n°2016-1377 du 15 octobre 2016.

* 44 Article 25 de la loi n° 2008-1249 du 1 er décembre 2008 généralisant le revenu de solidarité active et réformant les politiques d'insertion.

* 45 Convention du 20 décembre 2016 portant avenant n° 2 à la convention du 10 décembre 2014 entre l'État et l'ANRU relative au programme d'investissements d'avenir action : « Projets innovants en faveur de la jeunesse ».

* 46 Le FEJ est alimenté par des crédits publics et a également reçu, pour un quart environ de ses ressources, des contributions d'entreprises privées, principalement Total (plus de 45 millions d'euros versés) et, dans le cadre de dispositions fiscales spécifiques, d'entreprises ultramarines. Le lancement des projets et leur évaluation incombent à l'Injep mais la gestion financière du fonds est confiée à la Caisse des dépôts et consignations. Les dotations inscrites au PIA 2, quant à elles, ont pour une part abondé le FEJ et pour l'autre part, à hauteur de 54 millions d'euros, été transférées à l'Agence nationale de la rénovation urbaine (ANRU) qui a lancé 16 projets locaux.

* 47 Une analyse de ces expérimentations, effectuée sous l'égide de l'Injep, a été publiée en septembre 2019 dans les Cahiers de l'action, n° 54 , Politiques intégrées de jeunesse : une action publique renouvelée ?

* 48 Injep analyses et synthèses, Les politiques de jeunesse des conseils régionaux, Maëlle Moalic, Jordan Parisse, août 2020.

* 49 La place des jeunes dans les territoires ruraux, Danielle Even et Bertrand Coly, Conseil économique, social et environnemental, janvier 2017.

* 50 Article L. 1111-9 du code général des collectivités territoriales dans sa rédaction issue de l'article 54 de la loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017 relative à l'égalité et la citoyenneté.

* 51 Article 54 de la même loi.

* 52 Injep analyses et synthèses, Les politiques de jeunesse des conseils régionaux , Maëlle Moalic, Jordan Parisse, août 2020.

* 53 Relancer et généraliser les projets éducatifs territoriaux , avis du conseil d'orientation des politiques de jeunesse, 28 septembre 2020.

* 54 Évaluation de la préfiguration des schémas départementaux des services aux familles , Caisse nationale des allocations familiales, Dossier d'étude n° 202, 2019.

* 55 Institués par l'article 2 de l'ordonnance n° 2021-611 du 19 mai 2021 relative aux services aux familles, ils remplacent, avec un champ plus large, les commissions départementales de l'accueil du jeune enfant

* 56 Voir l'étude Impacts des conventions territoriales globales - CAF sur les politiques enfance jeunesse intercommunales, Kamel Rarrbo, Banque des territoires, septembre 2020.

* 57 Les 1 000 premiers jours, Là où tout commence , rapport de la commission des 1 000 premiers jours, Septembre 2020.

* 58 Développement du jeune enfant, modes d'accueil, formation des professionnels , rapport remis à la ministre des familles, de l'enfance et des droits des femmes par Mme Sylviane Giampino.

* 59 Principe n° 11 : « a. Les enfants ont droit à des services d'éducation et d'accueil de la petite enfance abordables et de qualité.

« b. Les enfants ont droit à la protection contre la pauvreté. Les enfants de milieux défavorisés ont le droit de bénéficier de mesures spécifiques visant à renforcer l'égalité des chances. »

* 60 Terra Nova, Investissons dans la petite enfance, L'égalité des chances se joue avant la maternelle , 31 mai 2017.

* 61 L'enquête Elfe (Étude longitudinale française depuis l'enfance) est une cohorte nationale de 18 000 enfants nés en 2011 et suivis de la naissance à l'âge adulte afin d'étudier les facteurs familiaux, économiques et socioculturels susceptibles d'influencer le développement des enfants à différents âges et dans différents domaines.

* 62 Sébastien Grobon, Lidia Panico, Anne Solaz, Inégalités socioéconomiques dans le développement langagier et moteur des enfants à 2 ans , Santé publique France, bulletin épidémiologique hebdomadaire du 8 janvier 2019.

* 63 Institut de Psychologie, Laboratoire de psychopathologie et processus de santé.

* 64 Professeur émérite en psychologie de l'enfant et de l'éducation, Université de Nantes.

* 65 Dossier d'étude n° 215 de la CNAF, 2020, Revue de littérature sur les politiques d'accompagnement au développement des capacités des jeunes enfants effectuée par le Laboratoire interdisciplinaire d'évaluation des politiques publiques de Sciences-Po.

* 66 Présentation de Carlo Barone, directeur de l'axe Politiques éducatives au Laboratoire interdisciplinaire d'évaluation des politiques publiques de Sciences-Po lors du séminaire « Premiers pas » du 15 décembre 2020.

* 67 OCDE, Petite enfance, grands défis 2017 : Les indicateurs clés de l'OCDE sur l'éducation et l'accueil des jeunes enfants . Cf. notamment le chapitre 5 : « Retombées des politiques d'éducation et d'accueil des jeunes enfants : Résultats à l'âge de 15 ans, impact sur les enfants défavorisés, sur la santé et le bien-être, et sur l'employabilité des mères ».

* 68 L'Étude sur les Déterminants pré et post natals précoces du développement psychomoteur et de la santé de l'ENfant (EDEN) est une étude épidémiologique longitudinale portant sur une cohorte de près de 1 500 enfants suivis à partir du premier trimestre de grossesse.

* 69 Cette corrélation est mise en évidence dans une étude exploitant les données de la cohorte EDEN : Gomajee R, El-Khoury F, Côté S, « Early childcare type predicts children's emotional and behavioural trajectories into middle childhood », Journal of epidemiology and community Health , 2018 ; 72:1033-1043.

* 70 Selon l'ONPE, 66 % des enfants de moins de 3 ans de parent isolé sont principalement gardé par ce parent, c'est-à-dire dans 92 % des cas la mère, et 57 % des parents isolés sont inactifs ou au chômage.

* 71 Insee, Études et résultats n° 896 octobre 2014, Modes de garde et d'accueil du jeune enfant en 2013 , Sophie Villaume, Émilie Legendre.

* 72 Premier quintile de niveau de vie.

* 73 L'accueil du jeune enfant en 2019 (édition 2020), Observatoire national de la petite enfance.

* 74 Cette offre est calculée en tenant compte du nombre d'assistants maternels agréés, du nombre de places en établissements d'accueil du jeune enfant, du nombre d'enfants effectivement gardés par un salarié à domicile et du nombre d'enfants scolarisés en école maternelle. Il convient de noter qu'une même place peut être occupée par un seul enfant.

* 75 Des personnes disposant d'un agrément peuvent ne plus souhaiter exercer cette activité ou ne souhaitent pas nécessairement accueillir autant d'enfants que leur agrément le permet. La question de la répartition géographique de ces professionnels et de l'adéquation avec le nombre d'enfants se pose également.

* 76 L'édition 2019 de l'enquête Eurydice de la commission européenne sur l'éducation et l'accueil des jeunes enfants en Europe souligne que les accueillants à domicile ne représente une part importante des modes d'accueil que dans une petite minorité de pays européens.

* 77 20,3 en France métropolitaine et 17,4 dans les départements d'outre-mer.

* 78 Les autres établissements sont notamment les crèches d'entreprise et des micro-crèches qui ne sont pas directement financées par la branche famille mais qui dont le coût est partiellement remboursé aux parents par l'intermédiaire du complément de libre choix du mode de garde (CMG).

* 79 Si ce chiffre comprend les nouveau-nés dont la mère est encore en congé maternité, il traduit un fort impact de la naissance sur les carrières professionnelles, notamment des femmes.

* 80 Audition de M. Adrien Taquet par la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale, 21 octobre 2020.

* 81 Circulaire CNAF n° 2021-004 du 17 mars 2021.

* 82 Cour des comptes, Rapport annuel sur les lois de financement de la sécurité sociale, L'action sociale de la branche famille , octobre 2020.

* 83 Le reste à charge moyen pour la collectivité est d'environ 33 %, une place d'accueil ayant un prix de revient moyen de 16 000 euros.

* 84 Audition de M. Jean-Louis Borloo, 30 juin 2021.

* 85 Cette part ne peut être inférieure à une place par tranche de vingt places d'accueil (art. D. 214-7).

* 86 L'ordonnance du 19 mai 2021 a prévu une nouvelle rédaction de cet article, qui doit entrer en vigueur le 1 er janvier 2022.

* 87 Texte transmis au Sénat et enregistré sous le numéro 592 (2020-2021), renvoyé à la commission des affaires sociales.

* 88 Propos de Mme Elisabeth Moreno en séance publique à l'Assemblée nationale le 12 mai 2021.

* 89 Certains experts auditionnés (le professeur Agnès Florin notamment) suggèrent qu'un accueil de mauvaise qualité peut avoir un impact nul voire négatif sur le développement des enfants. Le rapport Cyrulnik (p. 109) suggère également qu'un accueil dans un établissement de faible qualité peut avoir des effets négatifs sur le développement de l'enfant.

* 90 Article 8 du décret n° 2021-1131 du 30 août 2021 relatif aux assistants maternels et aux établissements d'accueil de jeunes enfants.

* 91 Rapport Eurydice, Chiffres clés de l'éducation et de l'accueil des jeunes enfants en Europe , édition 2019.

* 92 Op. cit. , annexe A, p. 153

* 93 L'enquête Eurydice 2019 souligne que 7 États membres de l'UE (Danemark, Allemagne, Estonie, Lettonie, Slovénie, Finlande et Suède), ainsi que la Norvège, garantissent une place en EAJE pour tous les jeunes enfants, généralement dès la fin des congés de naissance.

* 94 L'ODD n° 4 (« assurer l'accès de tous à une éducation de qualité ») comprend une cible 4.2 tendant à ce que, d'ici à 2030, tous les enfants aient accès à des activités de développement et de soins de la petite enfance et à une éducation pré-scolaire de qualité qui les prépare à suivre un enseignement primaire.

* 95 Ainsi, l'existence d'un système d'hôpitaux publics ne fait pas obstacle à l'existence d'établissements privés, et l'école publique coexiste avec l'enseignement privé.

* 96 Loi n° 2014-873 du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes.

* 97 Décret n° 2014-1708 du 30 décembre 2014 relatif à la prestation partagée d'éducation de l'enfant. Au cours des débats sur la loi du 4 août, une durée de 30 mois pour le premier parent et 6 pour le second avait été annoncée par le Gouvernement.

* 98 Si le remplacement du CLCA par la Prepare a été décidé par la loi du 4 août 2014, le décret d'application a été pris dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2015. L'économie attendue était de 70 millions d'euros en 2015 et de 290 millions d'euros par an à compter de 2017 pour un taux de recours des pères de 10 %, alors même que l'objectif affiché au moment du vote de la réforme était d'atteindre un taux de recours de 25 %.

* 99 OFCE Policy brief n°88, Cinq ans après la réforme du congé parental (PreParE), les objectifs sont-ils atteints ? , 6 avril 2021.

* 100 L'OFCE note que « pour les plus précaires, la réforme a entraîné un recours accru à l'allocation chômage ».

* 101 De même, ce faible niveau d'indemnisation du congé parental explique le faible recours par les pères, les familles choisissant de sacrifier le salaire le moins élevé, c'est-à-dire dans la majorité des cas, celui de la mère.

* 102 Les pays européens qui ont fait un choix proche de cette proposition (pays nordiques et Allemagne notamment) parviennent à garantir une place en mode d'accueil formel à tous les enfants dès 1 an.

* 103 La mobilité sociale en France : que sait-on vraiment ? , France Stratégie, septembre 2020.

* 104 Dédoublement des classes de CP en éducation prioritaire renforcée : première évaluation , étude de la DEPP, janvier 2019.

* 105 Loi n° 2019-791 du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance.

* 106 Conseil national d'évaluation du système scolaire, Comment l'école amplifie-t-elle les inégalités sociales et migratoires ? , septembre 2016.

* 107 Loi n° 2019-791 du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance.

* 108 Loi n° 2013-595 du 8 juillet 2013 d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République.

* 109 Rapport d'information n° 617 (2011-2012) de Mme Françoise Cartron, fait au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, juin 2012.

* 110 Conseil national d'évaluation du système scolaire, Comment l'école amplifie-t-elle les inégalités sociales et migratoires ? , septembre 2016.

* 111 Loi n° 2013-595 du 8 juillet 2013 d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République.

* 112 Secteurs multi-collèges à Paris : quel bilan après trois ans ? , Note IPP n° 62, Février 2021.

* 113 Cnesco, Panorama des inégalités scolaires d'origine territoriale dans les collèges d'Île-de-France , 2018.

* 114 DEPP, Géographie de l'École 2021 .

* 115 Inspection générale de l'éducation nationale, mission de suivi et d'observation de la mise en oeuvre des réformes en cours « Devoirs faits », rapport n° 2020-118, août 2020.

* 116 Comité national d'orientation et d'évaluation des cités éducatives, Rapport annuel 2020 , mai 2021.

* 117 Loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel.

* 118 Refonder l'orientation, un enjeu État-régions , MM. Charvet, Lugnier, Lacroix (IGEN-IGAENR), juin 2019.

* 119 Parcours dans l'enseignement supérieur : devenir des bacheliers 2008 , note d'information n° 6, ministère de l'enseignement supérieur, septembre 2018.

* 120 Une orientation réussie pour tous les élèves , rapport d'information de M. Guy-Dominique Kennel, fait au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication n° 737 (2015-2016), juin 2016.

* 121 Loi du 8 mars 2018 relative à l'orientation et à la réussite des étudiants.

* 122 Rapport d'information sur l'évaluation de l'accès à l'enseignement supérieur, M. Régis Juanico et Mme Nathalie Sarles, comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques de l'Assemblée nationale, juillet 2020.

* 123 Un premier bilan de l'accès à l'enseignement supérieur dans le cadre de la loi Orientation et réussite des étudiants , février 2020, Cour des comptes.

* 124 Pour un enseignement supérieur respectueux des droits fondamentaux : se doter des moyens de cette ambition , CNDH, mai 2021.

* 125 Un premier bilan de l'accès à l'enseignement supérieur dans le cadre de la loi Orientation et réussite des étudiants , février 2020, Cour des comptes.

* 126 Cité par Sophie Kennel, « Les cordées de la réussite, intentions et effets d'un dispositif pour l'égalité des chances », Éducation et socialisation , décembre 2020.

* 127 Refonder l'orientation, un enjeu État-régions , MM. Charvet, Lugnier, Lacroix (IGEN-IGAENR), juin 2019.

* 128 Table ronde des associations de soutien aux parcours de réussite - mentorat, 8 avril 2021.

* 129 Baromètre Ouverture sociale dans les Grandes écoles , conférence des grandes écoles, décembre 2019.

* 130 Diversité sociale dans les écoles normales supérieures, octobre 2019.

* 131 Rapport du Comité stratégique, Diversité sociale et territoriale dans l'enseignement supérieur , décembre 2020.

* 132 Les temps et les lieux tiers des enfants et des adolescents hors maison et hors scolarité , Haut conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge, 20 février 2018.

* 133 Selon les études citées par le Haut conseil, 84 % des enfants de moins de dix ans de familles disposant d'un revenu supérieur à 2 250 euros nets par mois ont une activité contre 32 % dans les familles à bas revenus (moins de 750 euros) et 41 % des enfants vivant dans des quartiers prioritaires apparaissent privés d'activités, contre 24 % en moyenne pour l'ensemble des enfants.

* 134 Selon le rapport du Haut conseil, 25 % des enfants passent plus de 3 heures par jour sur les écrans en période scolaire, plus de 5 heures pendant les week-ends et les congés.

* 135 Les vacances et les activités collectives des 5-19 ans , Crédoc, mai 2020.

* 136 Rapport du Haut conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge précité.

* 137 Injep, Données statistiques sur les accueils de loisir , décembre 2020.

* 138 Rapport d'information n° 577 (2016-2017) de MM. Jean-Claude Carle, Thierry Foucaud, Mme Mireille Jouve et M. Gérard Longuet, fait au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication et de la commission des finances, 7 juin 2017.

* 139 La Cour des comptes a évalué entre 840 et 940 millions d'euros par an le surcoût de cette réforme, dont 40 % pris en charge par l'État, 25 % par les caisses d'allocations familiales et 35 % par les collectivités locales et les familles (Rapport sur les finances publiques locales, septembre 2018).

* 140 Injep, Données statistiques sur les accueils de loisir , décembre 2020.

* 141 Les accueils de loisirs peuvent bénéficier d'une subvention de fonctionnement de la caisse d'allocations familiales. Cette prestation de service représente 30 % du prix de revient horaire du coût de la structure dans la limite d'un plafond fixé annuellement par la Caisse nationale des allocations familiales. Peuvent s'y ajouter des bonifications ou majorations pour les collectivités couvertes par une convention territoriale globale ou un plan mercredi.

* 142 Les nouveaux territoires de la culture , rapport d'information n° 210 (2019-2020) de M. Antoine Karam et Mme Sonia de la Provôté.

* 143 Décret n° 2021-628 du 20 mai 2021 relatif au « pass Culture » et arrêté du même jour pris pour son application.

* 144 59 millions d'euros prévus dans la loi de finances pour 2021 et 199 millions d'euros dans le projet de loi de finances pour 2022 compte tenu de la généralisation dès la classe de 4 ème .

* 145 Voir notamment l'avis n° 143 (2020-2021) de Mme Sylvie Robert sur le projet de loi de finances et le compte rendu de l'audition du président de la SAS pass Culture, le 17 mars 2021.

* 146 L'accès du plus grand nombre à la pratique d'activités physiques et sportives , avis du Conseil économique social et environnemental, Muriel Hurtis et Françoise Sauvageot, février 2018.

* 147 France, portrait social, édition 2020 , Insee Références, « Les pratiques sportives des collégiens sont très liées au rapport au sport de leurs parents et à leurs vacances d'été », Jean-Paul Caille.

* 148 Les vacances et les activités collectives des 5-19 ans, Crédoc, mai 2020.

* 149 Injep, Analyses et synthèses n° 44, janvier 2021, Fréquentation des colonies de vacances .

* 150 Rapport Les temps et les lieux tiers des enfants précité.

* 151 Le Haut conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge a proposé un pass-colo universel de 200 euros pour les 6/14 ans et des actions de médiation envers les familles pour diminuer le taux de non-recours aux aides des familles les plus pauvres. Jeunesse au plein air souhaite un pass d'un montant de 300 euros pour tous les enfants scolarisés en CM2.

* 152 Bilan des « colos apprenantes » présenté le 11 février 2021 à la commission de l'éducation populaire du Conseil d'orientation des politiques de jeunesse.

* 153 Comité pour les relations nationales et internationales des associations de jeunesse et d'éducation populaire.

* 154 Selon les indications fournies à la mission d'information par la direction de la jeunesse, de l'éducation populaire et de la vie associative, le soutien de celle-ci aux associations de jeunesse et d'éducation populaire est passé de 9,4 millions d'euros en 2014 à 7,6 millions d'euros en 2020.

* 155 Fonds de coopération de la jeunesse et de l'éducation populaire.

* 156 Audition de Mme Béatrice Angrand, présidente de l'Agence du service civique, Commission de la culture et de la communication du Sénat, 30 juin 2021.

* 157 Défenseur des droits, Enquête sur l'accès aux droits. Relations des usagères et usagers avec les services publics : le risque de non-recours , 2017.

* 158 Refonder l'orientation, un enjeu État-régions , MM. Charvet, Lugnier, Lacroix (IGEN-IGAENR), juin 2019.

* 159 Décret n° 2017-574 du 19 avril 2017 relatif à la labellisation des structures « Information Jeunesse », pris pour l'application de la loi relative à l'égalité et à la citoyenneté n° 2017-86 du 27 janvier 2017, et arrêté du 19 avril 2017 pris pour l'application de ce décret.

* 160 Cour des comptes, Référé sur l'action en faveur de la jeunesse conduite par la direction de la jeunesse, de l'éducation populaire et de la vie associative , 24 janvier 2020.

* 161 Loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017 relative à l'égalité et à la citoyenneté et loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel.

* 162 Article L. 6111-3 du code du travail.

* 163 Rapport d'information n° 4429 (14 ème législature) sur l'avenir de la prévention spécialisée, M. Denis Jacquat et Mme Kheira Bouziane-Laroussi, 1 er février 2017.

* 164 L'accompagnement des étudiants : une priorité et un enjeu d'avenir pour l'État et les collectivités , Rapport n° 742 (2020-2021) de la mission d'information sur les conditions de la vie étudiante en France, 6 juillet 2021.

* 165 Source : OCDE. Au premier trimestre 2021, ce taux était légèrement redescendu, à 19,7 %.

* 166 Le taux de chômage des 15-24 ans était en 2020 de 6,2 % en Allemagne et de 13,5 % au Royaume-Uni.

* 167 Dares Analyse n° 006, février 2020, Les jeunes ni en études, ni en emploi ni en formation (Neet) : quels profils et quels parcours ?

* 168 Selon la DGEFP, ce nombre était compris entre 898 000 et 1 017 000 au quatrième trimestre 2020.

* 169 Eurostat n'inclut pas dans sa définition les jeunes qui suivent une formation non-formelle, à la différence de l'OCDE notamment.

* 170 La part de Neet parmi les 16-18 ans, par ailleurs concernés depuis 2020 par l'obligation de formation, est marginale (3,3 % en 2020).

* 171 Les données relatives à Mayotte n'étaient pas disponibles.

* 172 Le nombre de Neet connaît une évolution très cyclique et un pic au troisième trimestre de chaque année.

* 173 Au sens du BIT, un chômeur est une personne en âge de travailler qui est sans emploi, disponible pour prendre un emploi dans les quinze jours et qui a cherché activement un emploi dans le mois précédent ou qui en a trouvé un qui débute dans moins de trois mois.

* 174 Quentin Francou, Les « Neet », des ressources et des conditions de vie hétérogènes , Injep Analyses & Synthèses, N°31, janvier 2020

* 175 Selon Magali Danner et Christine Guégnard (réponses écrites à la rapporteure), « les Neet les plus vulnérables restent cependant sous-estimés dans la mesure où ceux qui se marginalisent, échappent aux enquêtes ou aux organismes qui les recensent ».

* 176 Tant la capacité à se déplacer (existence d'un offre de transports en commun, possession du permis de conduire et d'un véhicule) que la possibilité de déménager pour saisir une opportunité.

* 177 En 2019, 60,4 % des jeunes ayant bénéficié d'une mesure de formation professionnelle en mobilité étaient insérés professionnellement six mois après leur sortie.

* 178 Les taux de Neet parmi les 16-25 ans sont respectivement de 13,3 % pour les jeunes hommes et 12,5 % pour les jeunes femmes. Toutefois, les écarts s'inversent si on ne prend en compte que les jeunes sortis de formation initiale (respectivement 27,2 % et 28,7 %), ce qui suggère que les filles décrochent moins souvent ou moins tôt de leur formation initiale mais ont ensuite plus de difficultés à trouver un travail.

* 179 Loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel.

* 180 Ce constat est en partie corroboré par l'âge des apprentis : 21,5 % des contrats concernaient des mineurs et 46 % âgés de plus de 26 ans.

* 181 Avant l'entrée en vigueur de la loi du 8 août 2016, les jeunes pouvaient conclure un contrat d'insertion dans la vie sociale (CIVIS).

* 182 Décret n° 2013-880 du 1 er octobre 2013 relatif à l'expérimentation de la « garantie jeunes ».

* 183 Loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels.

* 184 Art. R. 5131-17 du code du travail.

* 185 Décret n° 2021-664 du 26 mai 2021 relatif à la garantie jeunes.

* 186 Instruction DGEFP/SDPAE/2018/124 du 17 mai 2018 précisée par la note d'information DGEFP/SDPAE/MAJE du 28 mai 2021.

* 187 Par exemple sur le site dédié au plan « 1 jeune, 1 solution ».

* 188 Article 3 bis D du projet de loi relatif la protection des enfants.

* 189 Art. L. 214-14 du code de l'éducation. Les E2C sont des établissements ou des organismes de formation gérés pas une personne physique ou morale auxquels a été décerné le label « école de la deuxième chance » par une association « Réseau des E2C en France » sur la base d'un cahier des charges établi sur avis conforme des ministres chargés de l'éducation et de la formation professionnelle.

* 190 Source : Réseau E2C.

* 191 Cet établissement reste désigné dans les textes normatifs comme établissement public d'insertion de la Défense, bien que le rôle du ministère des armées dans sa gouvernance et son financement soit désormais faible.

* 192 Ordonnance n° 2005-883 du 2 août 2005 relative à la mise en place au sein des institutions de la défense d'un dispositif d'accompagnement à l'insertion sociale et professionnelle des jeunes en difficulté.

* 193 La formation en Epide ne repose pas sur l'alternance en entreprise.

* 194 L'évaluation de l'Établissement pour l'insertion dans l'emploi (EPIDE) , communication à la commission des finances de l'Assemblée nationale, mai 2021.

* 195 Les centres sont généralement localisés dans d'anciennes casernes désaffectées qui, pour des raisons historiques, sont inégalement répartie sur le territoire.

* 196 Le SMA a fait l'objet d'un rapport d'information n° 329 (2018-2019) de MM. Nuihau Laurey et Georges Patient pour la commission des finances du Sénat, publié le 20 février 2019.

* 197 Loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018 relative à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense, article 32.

* 198 Rapport d'information n° 329 (2018-2019) de MM. Nuihau Laurey et Georges Patient, fait au nom de la commission des finances, déposé le 20 février 2019.

* 199 Ifrap, Comparatif SMA, Épide et Service militaire volontaire , 26 novembre 2016.

* 200 Ce dispositif d'aide à la recherche d'un emploi ne vise pas à lever les freins périphériques qui peuvent pénaliser le jeune.

* 201 Ce dispositif constitue donc une évolution des missions de l'agence, auparavant centrée sur les adultes.

* 202 Loi n° 2019-791 du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance, article 15.

* 203 Source : Projet annuel de performance pour 2021 du programme 364.

* 204 « Cela peut donner l'impression d'un foisonnement vu d'en haut, mais si la réalité est que, où que vous soyez, il y ait quelqu'un à qui vous adresser ou qui vienne à vous, le problème ne se pose pas. », audition de M. Louis Schweitzer, 26 mai 2021.

* 205 Igas, Évaluation du partenariat renforcé entre Pôle emploi et les missions locales , rapport n° 2018-058R, décembre 2018.

* 206 Source : réponses de la DGEFP au questionnaire de la rapporteure.

* 207 Source : réponses de l'UNML au questionnaire de la rapporteure.

* 208 L'article L. 5314-1 du code du travail dispose que les missions locales peuvent être constituées entre l'État, des collectivités territoriales, des établissements publics, des organisations professionnelles et syndicales et des associations.

* 209 À titre d'exemple, le département des Pyrénées-Atlantiques, voisin des Landes, compte une mission locale pour le Pays Basque et trois pour le Béarn (Pau ; Mourenx-Oloron-Orthez ; Béarn-Adour pour le nord-est du département).

* 210 Cour des comptes, rapport public annuel 2021, Tome II, Les relations entre le ministère du travail et les acteurs associatifs .

* 211 La Cour des comptes pointe notamment les limites de l'implantation territoriale de l'Épide, résultant de la disponibilité d'anciens sites militaires.

* 212 Le contrat de volontaire stagiaire (jeunes sans diplôme) est d'une durée de 8 à 12 mois non renouvelable. Le contrat de volontaire expert (jeunes ayant au moins un CAP) est d'une durée de 12 mois renouvelable quatre fois.

* 213 Le parcours de volontaire stagiaire peut prendre la forme d'un cursus court (6 ou 8 mois) pour les jeunes titulaires d'un CAP ou d'un BEP ou un cursus long (8 à 12 mois) pour les jeunes sans diplôme. Un contrat de volontaire technicien a une durée de 12 mois, renouvelable 4 fois.

* 214 Barème de la rémunération des stagiaires de la formation professionnelle tel que revalorisé par le décret n° 2021-522 du 29 avril 2021.

* 215 Source : Documents budgétaires 2021. Le plan de relance prévoit l'accompagnement en Pacea de 130 000 jeunes supplémentaires, dont 50 000 en Garantie jeunes.

* 216 Source : Projet annuel de performance 2019, prévision pour 2019. Pour les exercices suivants, l'indicateur a été modifié et ne comptabilise plus les sorties vers une formation.

* 217 Décret n° 2021-522 du 29 avril 2021 fixant les taux et les montants des rémunérations versées aux stagiaires de la formation professionnelle.

* 218 La préfecture de la région Île-de-France recensait ainsi 54 dispositifs distincts.

* 219 Préfecture de région Île-de-France, Kit pratique pour le déploiement et l'essaimage du PRIJ en Île-de-France .

* 220 Préfecture d'Île-de-France, réponses au questionnaire de la rapporteure.

* 221 Une charte déontologique validée par la Cnil encadre les échanges d'informations nominatives relatives aux jeunes suivis.

* 222 « La plupart des experts estiment qu'environ un tiers des personnes qui ont droit une prestation ne l'exercent pas. », audition de M. Louis Schweitzer, 26 mai 2021.

* 223 Il ressort des auditions de la mission que le PRIJ est une initiative lancée sans que les administrations centrales ou le Gouvernement en soit à l'origine.

* 224 Instruction du Gouvernement du 12 mai 2021 relative à l'extension territoriale du programme Cité de l'emploi ; NOR : TERB2102503J.

* 225 À la baisse générale de 5 euros par mois à compter du 1 er octobre 2017 s'ajoutent les effets de la révision du mode de calcul des aides personnelles au logement depuis le 1 er janvier 2021 qui a entraîné une diminution de celles-ci pour un grand nombre de jeunes, notamment les jeunes actifs à très faibles revenus, selon l'évaluation effectuée par l'Union nationale pour l'habitat des jeunes. Par un décret du 6 juin 2021, le Gouvernement a cependant étendu aux jeunes en contrat de professionnalisation à compter du 1 er septembre, le dispositif garantissant aux étudiants et apprentis le maintien du montant de leur allocation.

* 226 Proposition de loi n° 182 (2020-2021) relative aux droits nouveaux dès 18 ans de M. Rémi Cardon et plusieurs de ses collègues du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain rejetée par le Sénat le 20 janvier 2021.

* 227 Mission d'information sur les conditions de la vie étudiante en France.

* 228 Mission d'information sur l'évolution et la lutte contre la précarisation et la paupérisation d'une partie des Français.

* 229 Au 1 er janvier 2021, selon l'Insee, la France comptait près de 8 millions de jeunes de 15 à 24 ans.

* 230 Audition de M. Louis Schweitzer, 26 mai 2021.

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