AVANT-PROPOS

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On ferme les yeux des morts avec douceur ; c'est aussi avec douceur qu'il faut ouvrir les yeux des vivants.

Jean Cocteau
Le coq et l'arlequin , 1918

Mesdames, Messieurs,

Alors que le sujet de l'accompagnement de la fin de vie était absent de la dernière révision des lois de bioéthique, la crise sanitaire liée à l'épidémie de covid-19 a contribué à le ramener au centre du débat public. En concentrant, dans des délais de prise en charge contraints, des situations cliniques complexes et traversées de lourdes questions éthiques, cette crise a servi de révélateur des principales problématiques de la fin de vie dans notre pays. Le défaut d'anticipation des souhaits des personnes hospitalisées ou encore les difficultés de la prise en charge palliative à domicile et dans les établissements d'hébergement des personnes âgées (Ehpad) sont autant d'enjeux aiguisés par la crise sanitaire.

Généralement tenue à distance et renvoyée à la médecine dans un contexte de médicalisation croissante des parcours de soins , la mort a été de plus en plus perçue comme un problème essentiellement médical dont notre société a eu tendance à se dessaisir. Il est regrettable que la fin de vie reste un sujet tabou alors qu'il s'agit d'une question essentielle dans une société vieillissante 1 ( * ) , dont la transition épidémiologique est marquée par l'augmentation des situations de polypathologies qui tendent à se prolonger au gré des avancées thérapeutiques. Le soin que l'on apporte aux morts est, selon les termes de l'historien américain Thomas Laqueur, un « marqueur de civilisation » 2 ( * ) : par extension, ce souci d'humanité recouvre l'attention portée aux mourants et aux plus vulnérables. Plus que jamais, l'amélioration de la qualité de la prise en charge palliative et de l'écoute du patient et de son entourage dans l'expression et l'analyse de ses besoins et de ses souhaits doit donc constituer une priorité dans l'organisation et le fonctionnement de notre système de santé.

Pour une partie du corps médical, la mort est encore vue comme un échec, alors qu'elle fait partie de la vie, si bien que les prises en charge en soins palliatifs restent globalement trop tardives.

Dans un système de santé orienté vers le curatif, l'attention portée à l'éthique de la sollicitude ou de la bienveillance 3 ( * ) - qui vise à prendre soin de l'autre dans la globalité de ses vulnérabilités en étant à l'écoute permanente de ses besoins et de ses choix - reste insuffisante .

En dépit des avancées permises par les quatre derniers plans nationaux pour le développement des soins palliatifs et l'accompagnement de la fin de vie, l'anticipation des situations singulières de fin de vie demeure mal appréhendée en France dans le dialogue entre les équipes soignantes, le patient et les proches, à l'inverse des pays de tradition anglo-saxonne ou scandinave où le concept d'« advance care planning » (« projet de soins anticipé ») en matière de soins palliatifs s'est progressivement imposé dans la prise en charge des pathologies graves.

Aussi, plus de vingt ans après la consécration dans notre législation 4 ( * ) , en 1999, du droit de toute personne dont l'état le requiert d'avoir accès aux soins palliatifs et à un accompagnement, la commission des affaires sociales du Sénat a-t-elle voulu dresser un état des lieux des soins palliatifs et des conditions d'accompagnement de la fin de vie dans notre pays .

Dans le sillage de la présentation du nouveau plan national pour le développement des soins palliatifs 5 ( * ) , elle entend ainsi contribuer à la réflexion sur les meilleurs moyens de répondre aux défis de notre politique publique dans ce domaine : comment rendre le droit d'accès aux soins palliatifs effectif en tout point du territoire, tant dans les hôpitaux qu'à domicile et dans les Ehpad ? Comment mieux anticiper les besoins en soins palliatifs et assurer une meilleure connaissance des droits des patients en la matière ? Comment concilier les avancées thérapeutiques dans la lutte contre les maladies et la prise en compte des souhaits du patient dans l'amélioration de son confort et de sa qualité de vie ?

Partant de ces interrogations, les rapporteures considèrent que la clé d'un meilleur accès aux soins palliatifs réside dans le renforcement des ressources médicales et paramédicales spécialisées et plus largement la formation de tous les acteurs engagés dans les prises en charge de proximité. Elles appellent à faire émerger, tant au sein de la communauté soignante que du grand public, une véritable culture palliative qui ne réduise pas les soins palliatifs à l'ultime fin de vie mais en fasse un instrument de l'amélioration de la qualité de vie et du respect de l'autonomie du patient tout au long de son parcours de soins.

I. GARANTIR ENFIN L'ACCÈS AUX SOINS PALLIATIFS : RENFORCER L'OFFRE DE PRISE EN CHARGE EN L'ADAPTANT AUX BESOINS

D'abord porté par des initiatives charitables et par le milieu associatif 6 ( * ) engagé dans l'écoute des malades et de leurs proches et l'apaisement de la souffrance, le soutien au développement des soins palliatifs et de l'accompagnement des personnes en fin de vie ne fait l'objet d'une politique publique de santé que depuis une date relativement récente : en 1986, une première circulaire, dite « Laroque » 7 ( * ) , précise « ce que sont les soins d'accompagnement parfois appelés soins palliatifs » et présente « les modalités essentielles de leur organisation compte tenu de la diversité des situations (maladie, vieillesse, accident ; à domicile ou en institution) » ; les soins palliatifs sont inscrits au rang des missions du service public hospitalier par la loi de 1991 portant réforme hospitalière ; puis l'impulsion majeure vient de la loi du 9 juin 1999 8 ( * ) qui garantit à « toute personne malade dont l'état le requiert » le « droit d'accéder à des soins palliatifs et à un accompagnement » , au sein des institutions sanitaires ou médico-sociales et à domicile. Cette loi définit les soins palliatifs comme « des soins actifs et continus pratiqués par une équipe interdisciplinaire en institution ou à domicile. Ils visent à soulager la douleur, à apaiser la souffrance psychique, à sauvegarder la dignité de la personne malade et à soutenir son entourage. » 9 ( * )

Depuis cette date, quatre plans ou programmes nationaux pour le développement des soins palliatifs (1999-2001, 2002-2005, 2008-2012, 2015-2018) se sont succédé. Le cinquième plan, couvrant la période 2021-2024, a été lancé par le Gouvernement le 22 septembre 2021.

Si ces plans ont permis en plus de vingt ans des avancées en matière de prise en charge des patients en fin de vie, pour renforcer l'offre de soins palliatifs ou rééquilibrer sa répartition sur le territoire, celles-ci demeurent, selon des témoignages unanimes, encore insuffisantes pour donner sa pleine portée au droit affirmé par le législateur en 1999.

Face aux enjeux majeurs posés, en particulier, par le vieillissement de la population, le constat d'un « manque de moyens massif » - pour reprendre les propos du Pr Fabrice Michel, représentant la Société française d'anesthésie et de réanimation (SFAR) 10 ( * ) - en particulier de professionnels formés, ou encore celui d'un arsenal de prise en charge conçu pour l'hôpital quand près de la moitié des décès ont lieu hors de celui-ci, appellent à renforcer encore les efforts en faveur de l'inscription des soins palliatifs dans les parcours d'accompagnement des personnes malades ou en fin de vie.

A. UN DROIT À UNE PRISE EN CHARGE PALLIATIVE NON ENCORE EFFECTIF POUR TOUS

1. La montée en charge d'une offre de soins palliatifs sous l'impulsion de quatre plans nationaux : une avancée qui marque des signes d'essoufflement et se heurte à des limites
a) Le développement progressif d'une offre de soins graduée, ciblée sur les prises en charge hospitalières

• A l'instar d'autres pans du système de santé, l'organisation des prises en charge palliatives repose sur une logique de gradation en fonction de la gravité et de la complexité de l'état du patient. Celle-ci a connu relativement peu d'évolution structurelle au cours des dernières années : elle repose notamment sur la circulaire du 25 mars 2008 11 ( * ) qui constitue encore, pour les professionnels des soins palliatifs, leur « bible » en la matière.

Le premier niveau de prise en charge est l'accompagnement dans un service hospitalier lambda de médecine-chirurgie-obstétrique (MCO), en soins de suite et de réadaptation (SSR), ou dans des unités de soins de longue durée (USLD) qui accueillent notamment des personnes âgées dépendantes nécessitant des soins quotidiens ou une surveillance constante.

Les autres niveaux reposent sur trois principaux dispositifs, ciblés pour l'essentiel sur les prises en charge hospitalières et qui concentrent l'expertise en matière palliative :

- les unités de soins palliatifs (USP) accueillent les situations les plus complexes ;

- les lits identifiés de soins palliatifs (LISP), situés dans les services confrontés à des décès fréquents, assurent un niveau intermédiaire de prise en charge ;

- les équipes mobiles de soins palliatifs (EMSP) interviennent à la demande des professionnels confrontés à des situations de fin de vie, en soutien des services hospitaliers disposant ou non de LISP, c'est-à-dire des premier et deuxième niveaux de prise en charge, ou des acteurs non hospitaliers.

La circulaire de 2008 fournit des référentiels précisant les missions et les modalités de fonctionnement de chacun de ces dispositifs, résumés dans l'encadré ci-après.

Elle décrit également les dispositifs d'appui aux prises en charge hors des murs de l'hôpital que sont les structures de l'hospitalisation à domicile et les réseaux de soins palliatifs.

Cet arsenal de prise en charge a été complété à compter de 2010 par des équipes régionales ressources spécialisées dans les prises en charge palliatives pédiatriques.

L'organisation de l'offre de soins palliatifs

• Les unités de soins palliatifs, le coeur de l'expertise à l'hôpital

Les unités de soins palliatifs (USP) forment le haut de la pyramide : il s'agit des structures de référence et de recours en matière palliative .

Au sein des établissements de santé, ces unités spécialisées ont une activité exclusive en soins palliatifs . Elles accueillent, le cas échéant pour un séjour temporaire, les personnes présentant les situations les plus complexes, qui ne peuvent plus être suivies à domicile, en établissement médico-social ou dans leur service hospitalier d'origine. Elles contribuent en outre à la formation initiale et continue des professionnels dans la région et assurent une mission de recherche et de ressources.

La circulaire de 2008 recommande qu'une USP comporte au moins 10 lits et fixe des « objectifs indicatifs » pour leur encadrement : une USP de 10 lits doit ainsi disposer au minimum de 2,5 ETP de médecins de plein exercice dont au moins un formé et expérimenté en soins palliatifs, 1 ETP de cadre infirmier, 9 ETP d'infirmier, 10 ETP d'aide-soignant, 3,5 ETP d'ASH, 1 ETP de psychologue et du temps de kinésithérapeute, de psychomotricien et d'assistant de service social.

• Les lits identifiés de soins palliatifs (LISP), une logique de proximité

Les lits identifiés de soins palliatifs constituent un niveau intermédiaire de prise en charge, par rapport au premier niveau qu'est l'accompagnement palliatif dans un service hospitalier sans lit identifié.

Situés dans des services confrontés à des situations de fin de vie ou décès fréquents (dans les services de court, moyen ou long séjour, en particulier en cancérologie ou pneumologie) mais dont l'activité n'est pas exclusivement consacrée aux soins palliatifs , ces lits permettent d'assurer une prise en charge de proximité pour des patients présentant des situations moins complexes. En pratique, il peut s'agir de lits « volants » mis à disposition des services selon leur besoin et non de lits physiques ou fixes.

Leur déploiement a été accompagné à compter du plan soins palliatifs 2002-2005, pour mieux reconnaître la pratique palliative et ouvrir l'accès à des dotations financières adaptées. La circulaire de 2008 note que l'intérêt d'identifier de tels lits est d'optimiser l'organisation du service pour apporter un accompagnement plus adapté aux patients comme à leurs proches.

Pour remplir ces missions, les LISP bénéficient d'un ratio majoré de personnel infirmier ou aide-soignant de 0,3 ETP par rapport à un lit standard. L'ensemble des personnels doit être formé et la responsabilité de la démarche palliative repose sur la désignation d'un référent.

• Les équipes mobiles de soins palliatifs, un rôle de conseil et d'appui en direction des équipes hospitalières, ou désormais, extrahospitalières

Les équipes mobiles de soins palliatifs (EMSP) sont des équipes multidisciplinaires et pluriprofessionnelles rattachées à un établissement de santé , qui se déplacent au lit du malade et auprès des soignants, à la demande des professionnels ou équipes confrontés à des problématiques complexes liées à l'évolution d'une maladie grave et à la fin de vie d'un patient.

La circulaire de 2008 définit leur vocation « à la croisée des missions de soins et de formation » : au sein de l'établissement ou au niveau inter-hospitalier, elles exercent un rôle de conseil et de soutien auprès des équipes soignantes dans les services, qu'ils disposent ou non de LISP, et peuvent par exemple s'inscrire dans des dispositifs de concertation existants comme des réunions consultatives d'éthique. Elles participent au soutien psychologique et social des malades et de leurs proches, contribuent à la formation pratique et théorique des équipes mettant en oeuvre des soins palliatifs et à la diffusion de bonnes pratiques, ainsi qu'à la recherche clinique dans le domaine des soins palliatifs.

Ces équipes mobiles fonctionnent au minimum 5 jours sur 7 aux heures ouvrables. La circulaire de 2008 définit également un effectif « optimum » qui, comme pour les USP, ne constitue pas une norme : pour une activité correspondant à une file active de 200 nouveaux patients par an, il est de 1,5 ETP de médecin, 1 ETP de cadre infirmier, 2 ETP d'infirmier, 1 ETP de secrétaire, 0,75 ETP de psychologue, kinésithérapeute et assistant social.

Les équipes mobiles peuvent également intervenir dans une institution médico-sociale ou à domicile, ce qui représente en pratique une part croissante de leurs interventions 12 ( * ) alors que cette possibilité n'était envisagée dans la circulaire de 2008 qu'« à titre expérimental » ; une instruction DGOS 13 ( * ) de 2010 a généralisé la collaboration des EMSP avec les Ehpad, dans le cadre de conventions.

La structuration à compter de 2010 d'équipes régionales ressources de soins palliatifs pédiatriques

La structuration des soins palliatifs pédiatriques 14 ( * ) s'est opérée plus récemment avec la mise en place des équipes ressources régionales de soins palliatifs pédiatriques (ERRSP). Leurs missions et le cadre de référence pour leur organisation ont été précisés dans une note de la DGOS du 14 décembre 2010 adressée aux directeurs généraux d'agences régionales de santé.

Il s'agit, à l'instar des EMSP, d'équipes multidisciplinaires et pluri-professionnelles rattachées à un établissement de santé. Elles exercent un rôle de conseil et de soutien auprès des équipes soignantes confrontées à la fin de vie en pédiatrie. Leurs missions visent à acculturer les équipes pédiatriques à la démarche palliative, sensibiliser les équipes de soins palliatifs aux spécificités des prises en charge pédiatriques, s'assurer de la prise en charge de l'entourage des patients, mettre en oeuvre des actions de formation et contribuer à la recherche clinique.

Leur activité, à l'échelon régional, est à la fois inter et extrahospitalière.

• En dehors des murs de l'hôpital, l'appui sur l'hospitalisation à domicile et les réseaux de soins palliatifs

En tant qu'établissements de santé, les structures d'hospitalisation à domicile (HAD) sont soumises à l'obligation d'assurer des soins palliatifs. La circulaire de 2008 précise ainsi dans un référentiel annexé l'organisation des soins palliatifs en HAD. Elle ne fournit pas cependant d'organisation-type pour ces prises en charge diverses, réservées sur prescription aux patients nécessitant des soins complexes ou d'une technicité spécifique.

Dans le secteur extrahospitalier, les réseaux de soins palliatifs 15 ( * ) sont chargés de coordonner les acteurs hospitaliers, libéraux ou associatifs, dans un objectif de continuité et de qualité des prises en charge. Ils ont pour mission d'apporter conseil, soutien, appui et formation aux différents intervenants à domicile, en établissement de santé ou en structures médico-sociales, de diffuser des informations, de proposer des actions de communication ou de sensibilisation, par exemple sous la forme de la mise à disposition d'un annuaire des professionnels, structures et associations « ressources », d'une astreinte téléphonique ou de réunions pluridisciplinaires périodiques des acteurs de terrain.

• Le premier plan triennal 1999-2001 de développement des soins palliatifs, dit « plan Kouchner », faisait état au 30 mai 1997 d'un recensement de 547 lits de soins palliatifs répartis en 51 unités de soins palliatifs et 55 équipes mobiles. À cette date, quatre régions (Centre, Corse, Limousin et Languedoc-Roussillon) et 41 départements ne disposaient d'aucun équipement. Fin 1999, le nombre de lits d'USP était déjà passé à 742 et celui d'équipes mobiles à 85 ( cf. tableau page suivante).

Sous l'impulsion de quatre plans nationaux, cette offre de soins, dont la structuration n'était alors qu'embryonnaire, s'est fortement étoffée : l'Atlas des soins palliatifs et de la fin de vie en France 16 ( * ) recense près de 7 500 lits hospitaliers de soins palliatifs en 2019 , 10 fois plus qu'en 1999.

L'offre de soins palliatifs en 2019 : les principales données

164 unités de soins palliatifs (USP)

soit 1 880 lits

901 établissements de santé dotés de lits identifiés en soins palliatifs (LISP)

soit 5 618 lits

Total lits

7 498 lits

428 équipes mobiles de soins palliatifs (EMSP) intervenant auprès des équipes des établissements et services hospitaliers dotés ou non de LISP et auprès des équipes intervenant à domicile ou en institution médico-sociale

22 équipes ressources régionales de soins palliatifs pédiatriques (ERRSPP)

En vingt ans, de 1999 à 2019, l'offre hospitalière a fortement progressé : le nombre d'unités de soins palliatifs a été multiplié par trois et celui des équipes mobiles de soins palliatifs par cinq .

L'évolution de l'offre de soins palliatifs entre 1999 et 2019

1999

2007

2015

2019

Évolution
1999-2019

Évolution
2015-2019

Nombre d'USP

Nombre de lits en USP

Lits pour 100 000 hab .

51

742

1,2

101

937

1,5

139

1 562

2,4

164

1 880

2,8

+ 221 %

+ 153 %

+ 18 %

+ 20 %

Nombre de LISP

Lits pour 100 000 hab.

-

-

3 075

4,8

5 072

7,9

5 618

8,4

-

-

+ 11 %

Nombre d'EMSP

EMSP pour 100 000 hab.

85

0,1

350

0,5

424

0,6

428

0,6

+ 403 %

+ 0,9 %

Sources : IGAS, Évaluation du plan national 2015-2018 pour les données 1999, 2007 et 2015 et Atlas des soins palliatifs et de la fin de vie en France édition 2020 pour les données 2019

Cette évolution est singulière dans un paysage hospitalier marqué sur la même période par une diminution du nombre de lits d'hospitalisation, aussi bien en court séjour qu'en long séjour, en raison du développement d'alternatives à l'hospitalisation complète (pratique ambulatoire, transformation d'unités de long séjour en Ehpad...) : à titre de comparaison, entre 2003 et 2019, le nombre de lits d'hospitalisation complète, tous secteurs confondus, est passé de 468 000 à 393 000, soit une diminution de 16 % 17 ( * ) .

• La montée en charge progressive de l'offre de soins palliatifs a été portée par les plans nationaux successifs, dont les objectifs en matière d'offre de soins et les financements fléchés, ciblés sur les dispositifs mentionnés, traduisent une certaine continuité.

Les principaux objectifs des plans nationaux de développement
des soins palliatifs en matière d'offre de soins

Principaux objectifs affichés

Financements cibles

Taux d'exécution

Plan 1999-2001 ( avril 1998 )

Doter tous les départements (sauf Guyane et Martinique) d'au moins une USP ou EMSP et renforcer les moyens des structures existantes

58 M€

pour l'ensemble du plan

ND

Plan 2002-2005 (février 2002)

Développer l'accompagnement et les soins palliatifs à domicile ou dans le lieu de vie (meilleure rémunération des professionnels de ville, renforcement de l'HAD et des réseaux)

17 M€ pour l'année 2002 (cf. circulaire 2002-98 du 19 février 2002)

ND

Poursuivre le développement des soins palliatifs dans les établissements de santé : identification de lits de soins palliatifs dans des services - LISP ; objectif d'au moins une USP dans chaque région, en CHU ou établissement de référence régional

Plan 2008-2012 ( juin 2008 )

Garantir un nombre d'USP et LISP adapté au nombre de décès annuel dans les établissements de santé pour les activités en court séjour

85 M€

ND

Doubler l'activité des réseaux (objectif de 50 000 patients pris en charge)

24 M€

Assurer une prise en charge en soins palliatifs pédiatriques (objectif de création d'une équipe ressources par région)

14 M€

Quadrupler le nombre de lits identifiés dans les services de soins de suites (objectif de 1 200 lits supplémentaires en SSR)

16 M€

Renforcer les équipes mobiles et systématiser leur collaboration avec les Ehpad

30 M€

Plan 2015-2018 (décembre 2015)

Renforcer les moyens en USP dans les régions comptant < 1 lit pour 100 000 hab.

43,5 M€

41 %

Développer des LISP dans les régions sous dotées

9 M€

171 %

Renforcement des EMSP (objectif de 37 équipes supplémentaires) et ERRSPP

31 M€

100 %

Développer les prises en charge en HAD (doubler le nombre de patients admis)

60 M€

165 %

Développer les prises en charge à domicile : soutien aux projets territoriaux initiés par les professionnels de ville

9 M€

89 %

Développer les prises en charge en Ehpad : favoriser une présence infirmière la nuit sur la base des expérimentations engagées

6 M€

167%

Source : Commission des affaires sociales. À partir des données de l'Igas pour le plan 2015-2018

Sur les 190 millions d'euros d'engagements financiers mobilisés, toutes actions confondues, en faveur du plan 2015-2018, 83,5 millions d'euros étaient dédiés aux dispositifs spécialisés (USP, LISP, EMSP et ERRSPP), quand les axes consacrés à l'information sur la fin de vie, ou à l'enseignement et à la recherche, ont fait l'objet d'engagements plus modestes, à hauteur, respectivement, de 11 millions et 6 millions d'euros.

Une attention croissante a été portée, dès le deuxième plan 2002-2005, au développement des prises en charge extra-hospitalières : 75 millions d'euros ont été fléchés sur cet axe du plan 2015-2018, qui constitue un de ses axes prioritaires pour développer une prise en charge en proximité et des soins palliatifs au domicile des patients et pour les résidents en établissements sociaux et médico-sociaux.

• En dépit des avancées que ces plans successifs ont permis d'accompagner, l'élan porté doit être nuancé . Dans son rapport d'évaluation du quatrième plan 2015-2018 18 ( * ) , l'Inspection générale des affaires sociales note ainsi un « essoufflement de la dynamique des quatre premiers plans et la permanence de nombreuses questions de fond complexes, liées notamment à l'environnement du système de santé et aux évolutions de l'épidémiologie » .

Sur un plan quantitatif, le nombre d'EMSP a stagné sur la période de mise en oeuvre du plan 2015-2018 qui prévoyait pourtant leur renforcement, en ciblant sur la création de 37 équipes supplémentaires en 2016 et 2017.

En outre, la portée opérationnelle de cet exercice triennal s'est heurtée à des limites : comme le relève l'Igas, seules 9 des 40 actions sont accompagnées d'un engagement financier ; le plan est « silencieux sur les modalités de sa propre évaluation » , ne comporte pas les modalités de suivi de sa mise en oeuvre et de son impact et les très rares indicateurs mentionnés n'ont pas été suivis. Ainsi, le renforcement envisagé des équipes ressources en soins palliatifs pédiatriques et des équipes mobiles existantes n'est mesuré par aucune donnée disponible, sauf le constat a posteriori d'une mobilisation effective des financements prévus. L'impact des actions ciblées sur le développement des prises en charge de proximité est jugé très limité quand il n'est pas tout simplement non mesurable, à défaut d'indicateurs.

Enfin, sous un angle qualitatif, cette évaluation note que plusieurs aspects stratégiques en matière d'organisation des soins palliatifs ont été négligés ou laissés de côté : c'est par exemple le cas des mesures visant à promouvoir le repérage précoce des besoins en soins palliatifs ou à évaluer la réponse apportée aux personnes en fin de vie sur leur territoire. La promotion de démarches d'évaluation des qualités des structures de soins palliatifs n'a donné lieu à aucune mesure concrète sur le terrain.

Au final, les témoignages des acteurs de terrain recueillis par les rapporteures au cours de leurs travaux convergent sur un même constat : des progrès sont encore attendus pour garantir l'équité d'accès aux soins palliatifs et des parcours de prise en charge adaptés, dans l'hôpital mais aussi surtout en dehors de celui-ci .

Si tous les pays développés sont confrontés à ces défis, le Dr Sarah Dauchy, présidente du conseil d'orientation stratégique du Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie a rappelé qu'il existait une marge de progression importante en France : notre pays se situe au 10 e rang mondial sur la base d'un panel de 20 indicateurs quantitatifs et qualitatifs, mais s'il est au 5 e rang pour la qualité des soins, il ne se classe qu'au 22 e rang pour l'accès aux soins 19 ( * ) , loin derrière le Royaume-Uni et la Belgique (en 1 er sur ce dernier critère) ou l'Allemagne et l'Italie (6 e ).

En particulier, deux principales limites conduisent à tempérer l'augmentation progressive du nombre de structures de soins palliatifs : la persistance de disparités territoriales dans leur répartition et le manque de personnels formés pour assurer leur bon fonctionnement .

b) La persistance de disparités territoriales : un maillage à parachever

En dépit des objectifs reconduits de plan en plan en vue de compléter et rééquilibrer le maillage territorial en structures spécialisées, l'Igas constate en juillet 2019, au terme du quatrième plan, qu' « on ne dispose toujours pas d'un « maillage territorial juste et équitable » qu'appelaient de leurs voeux les pouvoirs publics au moment du lancement du plan » .

• La répartition des unités de soins palliatifs (USP) illustre ces disparités. Le plan 2015-2018 (premier volet de l'action 14.1) affichait l'ambition de renforcer les USP dans les régions comptant moins de 1 lit pour 100 000 habitants. La mise en oeuvre de ce volet n'a été que partielle :

- 214 lits d'USP ont été créés en trois ans en métropole, faisant passer le taux de couverture pour 100 000 habitants de 2,43 à 2,74 en France métropolitaine. L'offre a notamment été renforcée en Nouvelle Aquitaine (+ 63 lits) ou en Bretagne (+ 27 lits), cette dernière région étant déjà parmi les mieux dotées avec la Corse, l'Île-de-France ou les Hauts-de-France ;

- sur les deux régions métropolitaines dotées de moins de 1 lit d'USP pour 100 000 habitants en 2015, seule une a franchi le cap trois ans plus tard, la région Pays de la Loire, avec 25 lits d'USP créés sur la durée du plan. Aucun lit n'a en revanche été créé en Centre-Val de Loire, région affectée, d'une manière générale, par une démographie médicale fragile ;

- aucune évolution du nombre de lit d'USP n'est intervenue, de même, dans les régions ultra-marines sur la durée du plan, où la situation en matière de soins palliatifs n'était pourtant pas satisfaisante.

En 2019 20 ( * ) , 24 départements métropolitains répartis dans neuf régions 21 ( * ) et deux territoires ultra-marins (Guyane et Mayotte) sont dépourvus d'USP et trois départements ou territoires (Isère, Haute-Savoie, La Réunion) sont insuffisamment dotés en lits d'USP au regard du seuil fixé par ce plan.

Densité en lits d'USP par département et par région en 2019

Source : Atlas des soins palliatifs et de la fin de vie en France édition 2020

• Le maillage en lits identifiés en soins palliatifs (LISP) marque également de fortes disparités, tandis que la répartition des équipes mobiles (EMSP) apparaît, à l'échelon régional, plus homogène. Les équipes ressources régionales de soins palliatifs pédiatriques (ERRSPP), au nombre de 22, couvrent quant à elles le seul territoire métropolitain et la Réunion.

Densité en LISP et en EMSP par région en 2019

Source : Atlas des soins palliatifs et de la fin de vie en France édition 2020

La densité en LISP est inversement proportionnelle dans certaines régions à celle en USP : c'est le cas en Centre-Val de Loire, région comptant l'offre de LISP la plus élevée du territoire alors qu'elle est sous-dotée en USP. Cette forme de compensation ne s'applique pas à un territoire comme Mayotte qui ne compte ni USP ni LISP. Il ne s'agit pas, par ailleurs, d'une alternative pleinement satisfaisante au déficit en USP puisque, comme l'ont relevé le Pr Julien Nizard et le Dr Sabine Tharreau, chef de service et responsable de l'unité de soins palliatifs au CHU de Nantes, la prise en charge ne peut y être la même au regard des effectifs soignants mis à disposition ou de l'insuffisance de formation de certains personnels affectés auprès des LISP. Les USP restent, comme l'ont relevé les copilotes du plan national, « un élément moteur pour la diffusion d'une culture palliative au sein d'un territoire » 22 ( * ) , dont le maillage territorial doit être encore amélioré.

Proposition n° 1 : poursuivre le déploiement des unités de soins palliatifs dans les régions et départements sous-dotés

S'agissant du maillage en LISP et EMSP, le plan 2015-2018 comportait des objectifs définis en des termes assez vagues, en évoquant une « attention particulière à porter aux régions sous-dotées en LISP, pour développer cette offre en établissement de santé » (second volet de l'action 14.1), sans cible ou indicateur précis, ou encore un « renforcement » des ERRSPP et des équipes mobiles pour renforcer leur maillage de proximité.

Or, d'après l'Igas, ce rattrapage n'a été que partiel pour les LISP, en ne concernant que trois régions sur les cinq les moins dotées, et beaucoup plus limité que prévu pour les EMSP, en excluant l'outre-mer.

De surcroît, il n'a pas permis de corriger les disparités infra-départementales constatées, même dans des régions ou départements situés dans la moyenne nationale en LISP ou USP. Or, l' intérêt de LISP dans des hôpitaux de proximité ou périphériques , notamment en milieu rural ou semi-rural, a été souligné par plusieurs professionnels auditionnés, pour assurer une proximité des malades avec leurs proches.

Enfin, au-delà de leur maillage territorial inégal, les prises en charge dans ces structures et leur organisation sont perçues comme peu homogènes . C'est le cas notamment des prises en charges extrahospitalières par les EMSP, variables d'un territoire à l'autre, ou de l'organisation des LISP perçue par certains acteurs comme peu lisible et s'appuyant sur des financements peu visibles. L'Igas relevait dans son évaluation du plan 2015-2018 qu' il n'existe « ni doctrine d'emploi, ni évaluation claire des LISP qui sont parfois physiquement regroupés dans des quasi-USP, parfois isolés dans tel ou tel service ou parfois enfin tout simplement virtuels » . Dans une contribution transmise aux rapporteures, le CNSPFV reconnaît également que les conditions de prises en charge dans les LISP souffrent d'un « manque de données sur la localisation exacte des LISP, sur les prises en charges réalisées et leurs articulations avec les autres dispositifs de soins palliatifs [qui] ne permet pas de conclure sur leur effectivité dans l'accompagnement des patients en fin de vie en milieu hospitalier » . Une enquête exploratoire qualitative sur le parcours patient en LISP est conduite dans quatre régions. Ses résultats seront particulièrement intéressants à connaître afin d'affiner la stratégie, territoire par territoire, de renforcement de ces dispositifs, qui suppose de s'appuyer sur leur évaluation préalable.

Proposition n° 2 : procéder à une évaluation qualitative de l'offre de lits identifiés de soins palliatifs

c) Un fonctionnement entravé par des carences en professionnels de santé : un besoin de formation massif

Le manque de médecins et d'autres professionnels formés aux soins palliatifs constitue, selon un constat unanime, un frein important au développement de prises en charge de qualité.

Même dans les régions apparemment les mieux dotées, ce n'est pas tant le manque de structures que l'insuffisance de ressources humaines formées, particulièrement médicales, qui est souligné par les équipes . Celui-ci a un impact très concret sur leur fonctionnement.

Sur un plan quantitatif, les données présentées dans la dernière édition de l'Atlas des soins palliatifs traduisent un décalage significatif - de l'ordre de 30 % - entre les effectifs réels qui sont affectés dans les unités ou équipes mobiles de soins palliatifs, collectés pour la première fois en 2019, et l'encadrement en ETP théorique recommandé par la circulaire de 2008.

L'état des ressources humaines en 2019 dans les unités et équipes mobiles
de soins palliatifs au regard des objectifs indicatifs de la circulaire de 2008

Unités de soins palliatifs

Équipes mobiles de soins palliatifs

ETP effectifs

ETP théoriques

ETP effectifs

ETP théoriques*

Médecins

1,6

2,5

1

1,5

Cadre de santé

0,5

1

0,1

1

Infirmiers

7,2

9

1,5

2

Aides-soignants

6,8

10

-

-

Psychologues

0,5

1

0,6

0,75

* Effectifs recommandés pour une EMSP sur la base d'une file active de 200 nouveaux patients par an.

Source : Atlas des soins palliatifs et de la fin de vie en France édition 2020

Comme l'ont souligné des professionnels de terrain, les difficultés de recrutement de personnel peuvent entraîner une instabilité voire mettre en péril de manière passagère ou plus durable le fonctionnement d'une unité, d'un service ou d'une équipe. Pour le Dr Virginie Fossey-Diaz, représentant la Société française de gériatrie et de gérontologie, cela a notamment pour conséquence qu' en dehors des unités ou services spécialisés en soins palliatifs « les médecins hospitaliers ont appris à faire sans l'aide des soins palliatifs et au final ne font pas de soins palliatifs » 23 ( * ) . Il serait possible de décliner cette affirmation aux prises en charge extrahospitalières, pour lesquelles le soutien des EMSP est essentiel 24 ( * ) .

Pour la région Ile-de-France, la responsable de l'EMSP de la Maison médicale Jeanne Garnier a indiqué qu'il manquerait, selon une enquête, 60,7 ETP sur 52 équipes mobiles répondantes (dont 16,7 ETP de médecin, 20,6 ETP d'infirmier, 8 ETP de psychologue et 7,7 ETP de secrétariat) mobilisant au total 367 ETP, soit en moyenne un écart de 1,2 ETP par équipe 25 ( * ) . La moitié des équipes manquent de médecin.

Pour les seuls postes médicaux, une enquête réalisée par Lucas Morin et le Pr Régis Aubry en 2020 auprès de médecins en soins palliatifs montre que près de 10 % des postes (en ETP) sur le total déclaré ne sont pas pourvus dans les EMSP ; cette proportion est de plus de 7 % dans les USP. Sous un angle plus prospectif, en tenant compte également de la pyramide des âges des soignants, les auteurs de l'étude estiment qu' il faudrait d'ici cinq ans dans l'idéal plus de 440 nouveaux médecins pour les USP et EMSP , et entre 260 et 285 dans une hypothèse de maintien à périmètre constant de ces unités ou équipes.

La tension sur la ressource médicale et paramédicale limite la capacité des équipes spécialisées à prendre en charge de nouveaux patients ou les contraint, comme l'a souligné le Dr Sylvie Schoonberg, responsable de l'équipe mobile du centre hospitalier d'Agen, à des suivis « dégradés ». Pour reprendre la formule employée par le Dr Claire Fourcade, présidente de la SFAP, « il manque du carburant pour faire fonctionner la machine » , ce qui réduit considérablement la portée des ambitions affichées dans les plans successifs de développement des soins palliatifs.

Le domaine spécialisé des soins palliatifs pédiatriques n'échappe pas à ce manque général de moyens, tant humains (en temps médical, mais également en infirmier ou psychologue) que matériels. Le Dr Matthias Schell, président de la Société française de soins palliatifs pédiatriques, a également attiré l'attention sur un certain manque de reconnaissance institutionnelle de ces équipes, dont les personnels sont appelés sur leur temps « soins palliatifs » à combler les manques dans d'autres services de soins.

2. Un accès à une prise en charge palliative qui demeure insatisfaisant
a) Un accès globalement trop limité aux soins palliatifs dans les parcours de fin de vie

Dans une étude sur les soins palliatifs publiée en 2015 26 ( * ) , la Cour des comptes relevait une « méconnaissance de la réalité des prises en charge » , jugée « très anormale » et qui « empêche de prendre en compte la juste mesure des écarts, à l'évidence toujours importants selon tous les témoignages, entre les demandes et les attentes des patients, de leur entourage, et des professionnels qui les aident et la possibilité effective d'accéder à ce type de soins » .

Ce constat est partagé par de nombreux rapports et travaux sur le sujet des soins palliatifs. Comme l'ont reconnu les copilotes du nouveau plan triennal, peu de données permettent de préciser la population ayant eu accès aux soins palliatifs, pour la mettre en balance avec l'estimation de la population dite requérante , c'est-à-dire susceptible de bénéficier d'un tel accompagnement 27 ( * ) , et ainsi d'apprécier le degré d'adéquation entre l'offre de soins existants et les besoins potentiels.

Des travaux repris par l'Observatoire nationale de la fin de vie dans son rapport de 2011 puis par le Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie, dans sa première édition, en 2018, de l'Atlas des soins palliatifs et de la fin de vie, évaluent cette population requérante à 62,2 % des personnes de 18 ans et plus décédées en 2014, ayant un âge médian de 81 ans.

Lors de son audition, le Dr Sarah Dauchy, présidente du conseil d'orientation stratégique du CNSPFV, citant ces travaux, a indiqué que « sur les 552 000 patients morts en 2014, 343 000 auraient pu recevoir des soins palliatifs - je veux dire que leur fin de vie s'est révélée suffisamment progressive pour que des soins palliatifs aient pu leur être prodigués - et, pourtant, seuls 44 % d'entre eux en ont effectivement reçu. » Ce pourcentage de 44 % correspond, selon la même enquête, à la part des patients décédés à l'hôpital (319 045 décès en 2016) ayant fait l'objet au cours de l'année d'un séjour identifié comme comportant des soins palliatifs. Ces patients sont en moyenne plus jeunes que ceux n'ayant pas bénéficié d'une telle prise en charge (78 ans vs 82 ans) et sont décédés à titre principal dans un service d'oncologie tandis que ceux n'ayant pas bénéficié d'une prise en charge palliative sont décédés le plus souvent dans une unité de soins intensifs.

Pour le CNSPFV, cette évaluation est à prendre avec précaution et reste imprécise quant à la « réalité » de la fin de vie à l'hôpital, puisqu'il est possible que des patients aient bénéficié d'une prise en charge palliative sans que cette activité ait été renseignée dans le système d'information des données hospitalières 28 ( * ) . Elle concerne en outre les seuls décès intervenus en établissements de santé, qui représentent 53 % des décès.

Le Dr Claire Fourcade, présidente de la Société française d'accompagnement et de soins palliatifs (SFAP), a estimé quant à elle que seuls 30 % des patients qui en auraient besoin ont effectivement accès à des soins palliatifs en France 29 ( * ) .

Au-delà des difficultés à « tracer » de manière fiable ces prises en charge, notamment celles dispensées hors des murs de l'hôpital probablement sous-estimées dans ces données, cela traduit un ressenti général de l'ensemble des acteurs d'un accès encore insuffisant des patients aux soins palliatifs et à un accompagnement de fin de vie de qualité.

Pour améliorer la connaissance des parcours de fin de vie et assurer un pilotage plus efficient de l'offre de soins, tenant compte des besoins actuels comme futurs, le développement d'indicateurs de suivi des prises en charge palliatives devrait constituer un élément clé.

Cela permettrait d'analyser, sur un plan qualitatif, les parcours parfois discontinus de patients en fin de vie : ceux-ci se caractérisent en effet par des transferts entre l'hôpital et le lieu de vie, plus fréquemment des transferts du lieu de vie vers l'hôpital, voire des passages itératifs aux urgences. L'étude de l'Institut national d'études démographiques (Ined) sur le dernier mois de l'existence 30 ( * ) montre que « plus on approche de la mort, plus le maintien à domicile se raréfie au profit de l'hospitalisation. En un mois, la proportion de personnes hospitalisées fait plus que doubler (...). Le maintien à domicile connaît le sort inverse ». Elle rappelle cependant que « les circonstances de la fin de vie, phase ultime de l'existence, restent largement inexplorées en France » . En outre, sur les patients pris en charge en USP ou LISP en 2018, respectivement 4/5 e et un tiers sont décédés au cours du séjour 31 ( * ) , sans que l'on puisse retracer la continuité de la prise en charge palliative dont ils ont pu bénéficier à défaut de traçabilité des prises en charge extrahospitalières.

Proposition n° 3 : renforcer la traçabilité des prises en charge palliatives, à l'hôpital et hors de l'hôpital, afin de documenter les parcours de fin de vie et de mieux évaluer les besoins de prise en charge

b) Des soins palliatifs cantonnés dans une approche restrictive et une médicalisation de la fin de vie qui ne prend pas en compte tous les besoins, actuels ou futurs

• D'une manière unanime, les professionnels des soins palliatifs entendus par les rapporteures ont déploré un recours beaucoup trop tardif à leur spécialité : proposer des soins palliatifs à un patient est encore pour de nombreux médecins un aveu d'échec.

Cela traduit selon eux la méconnaissance de l'activité palliative et les projections négatives qu'elle emporte de ce fait chez les patients, leurs proches comme bon nombre de professionnels de santé. Lors de son audition, le Dr Françoise Ellien, secrétaire générale de la Société française et francophone de psycho-oncologie, a estimé qu'il existait chez de nombreux soignants une confusion entre les soins palliatifs et la fin de vie : les premiers sont assimilés à ce qu'elle a qualifié de « chronique d'une mort annoncée », alors qu'ils sont bien plus larges, en ayant vocation à améliorer la qualité de vie, préserver l'autonomie de la personne jusqu'au bout et respecter ses choix. De ce fait, le passage des soins curatifs aux soins palliatifs se fait trop souvent de manière violente, alors qu'il ne devrait pas s'agir, selon ses propos, d'une simple « bascule on/off ».

Les soins palliatifs ne se réduisent pas à l'ultime fin de vie, d'ailleurs difficile à identifier ou à anticiper selon les situations, les pathologies et les différentes trajectoires de fin de vie qui y sont généralement associées ( cf. encadré suivant). Ils englobent, en amont, les soins de support et, en aval du décès, le soutien aux proches et l'accompagnement du deuil.

Les trajectoires de fin de vie : une modélisation théorique

En 2006, l'Institut national de santé publique du Québec a distingué, à partir des travaux de Scott Murray et al . ( Illness trajectories and palliative care, 2005), trois types de trajectoire de fin de vie liée à une pathologie qui correspondent chacune à des stratégies spécifiques de prise en charge des personnes en fin de vie.

Déclin fonctionnel rapide (trajectoire de type I) : le décès intervient à la suite d'une maladie à évolution progressive, comportant une phase terminale relativement identifiable et rapide (le cas des cancers notamment). Le déclin dure souvent quelques années mais la phase terminale est généralement limitée à quelques mois.

D'après les données présentées dans l'Atlas des soins palliatifs et de la fin de vie, cette trajectoire concernerait 47 % des décès enregistrés en population générale en 2016, et 36 % des décès enregistrés chez les plus de 75 ans.

Déclin graduel (trajectoire de type II) : le décès intervient à la suite d'une maladie marquée par un déclin graduel mais ponctuée par des épisodes de détérioration aigus et certains moments de récupération, avec une mort parfois soudaine et inattendue (défaillances cardiopulmonaires, maladies métaboliques, affections de l'appareil digestif, etc.). Le déclin dure entre 2 et 5 ans mais la mort est généralement soudaine. Il est plus difficile d'identifier la phase terminale de la maladie.

Cette trajectoire concernerait 37 % des décès enregistrés en population générale en 2016, et 43 % des décès enregistrés chez les plus de 75 ans.

Déclin graduel et prolongé (trajectoire de type 3) : le décès intervient à la suite d'une maladie définie par un déclin graduel et prolongé, typique des personnes âgées et fragiles ou des personnes atteintes de démence. La période de déclin est variable mais généralement longue, elle peut durer jusque 6-8 ans.

Cette trajectoire concernerait 16 % des décès enregistrés en population générale en 2016, et 21 % des décès enregistrés chez les plus de 75 ans.

• À cet égard, l'arsenal de prise en charge palliative, principalement hospitalo-centré, demeure ciblé sur les trajectoires de fin de vie marquées par un déclin rapide : 78 % des séjours en USP et 73 % des séjours en LISP en 2015 ont concerné des patients décédés d'un cancer 32 ( * ) , alors que les cancers sont à l'origine d'environ un tiers des décès.

Une étude sur la trajectoire de la dernière année de vie des patients décédés en 2013, publiée en juillet 2018 par l'assurance maladie montre en effet des prises en charge en soins palliatifs hétérogènes selon la pathologie : si le recours à des soins palliatifs hospitaliers était de 52 % 33 ( * ) en présence d'un cancer, il était de 24 % en cas d'un accident vasculaire cérébral aigu, de 17 % en cas d'insuffisance cardiaque, de 23 % en cas de sclérose en plaques et de 17 % en présence d'un cas de démence 34 ( * ) . Dans plus de la moitié des cas, le recours à ces soins s'est fait lors du séjour qui a compris le décès.

Si ces situations de fin de vie peuvent être considérées comme les plus complexes, elles sont loin de recouvrir l'étendue des besoins actuels et à venir en matière d'accompagnement de la fin de vie.

C'est déjà le constat que dressait en 2012 la commission de réflexion sur la fin de vie présidée par le Pr Didier Sicard, qui relevait que « la mort à l'hôpital est essentiellement une mort dans un service clinique inadapté à cette situation. Il n'existe pas de culture palliative de l'âge, ni de culture palliative pour les accidents vasculaires. À côté des cancers, seules les maladies neurodégénératies et les états végétatifs prolongés font l'objet d'une telle attention » .

Pour le Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie 35 ( * ) , cela révèle la mesure des enjeux de l'évolution de l'offre en soins palliatifs « prenant en compte les changements démographiques et épidémiologiques » . Alors que le nombre de personnes âgées de 75 ans et plus va quasiment doubler en cinquante ans, passant de 9,3 % en 2020 à 17,9 % en 2070, « le vieillissement attendu de la population s'associe à une modification des profils de fin de vie : augmentation des pathologies chroniques, de polypathologies ou de maladies neurodégénératives, à l'origine d'une augmentation de la dépendance. Cette population de patients décédera vraisemblablement de plus en plus au domicile (et c'est le souhait de la majorité des patients et des familles) ou en Ehpad. » L'Igas, dans son rapport d'évaluation du plan 2015-2018, partageait ce constat en soulignant également la transformation des parcours de fin de vie des patients et des causes de décès, sous l'effet conjugué de « l'amélioration de la qualité des soins et [de] l'innovation en matière de santé » .

En 2018, 53 % des décès sont intervenus à l'hôpital, cette proportion diminuant légèrement pour les personnes les plus âgées tout en restant néanmoins importante : chez les personnes de 95 ans et plus, 32 % des femmes et 43 % des hommes sont décédés dans le cadre hospitalier 36 ( * ) .

Ces éléments de réflexion prospective sur les besoins actuels et futurs de prise en charge doivent évidemment être au coeur de la stratégie de développement des soins palliatifs. Cela implique également et plus largement un changement de culture et d'approche de la mort au sein de la société et du système de santé : comme l'a relevé le Pr Régis Aubry, alors que, d'après les sondages, une majorité de personnes souhaitent mourir chez elles entourés des leurs 37 ( * ) , le conditionnement des familles et des malades et même des professionnels de santé sur la médicalisation de la fin de vie conduit à ce que la mort devienne perçue comme une urgence médicale, à défaut d'une prise en charge anticipée et coordonnée quand cela est possible.


* 1 La part des 75 ans et plus a augmenté de 2,4 points au cours des vingt dernières années pour atteindre 10 % de la population au 1 er janvier 2020. Selon l'institut national de la statistique et des études économiques

* 2 Entretien avec Fabien Paquet, « Le soin des morts. Un “marqueur de civilisation” », L'Histoire , n° 473-474 « Vivre avec les morts », juillet-août 2020.

* 3 Également appelée éthique du « care », concept développé par la philosophe américaine Carol Gilligan.

* 4 Loi n° 99-477 du 9 juin 1999 visant à garantir le droit à l'accès aux soins palliatifs.

* 5 Présenté par le 22 septembre 2021 lors du congrès annuel de la SFAP.

* 6 Des associations de bénévoles comme la fédération Jalmav (Jusqu'à la mort accompagner la vie) et l'ASP fondatrice sont créées respectivement en 1983 et 1984.

* 7 Circulaire du 26 août 1986 relative à l'organisation des soins et l'accompagnement des malades en phase terminale.

* 8 Loi n° 99-477 du 9 juin 1999 visant à garantir le droit à l'accès aux soins palliatifs.

* 9 Article L. 1110-10 du code de la santé publique.

* 10 Cf. compte rendu de l'audition par la commission des affaires sociales le 5 mai 2021.

* 11 Circulaire n° DHOS/O2/2008/99 du 25 mars 2008 relative à l'organisation des soins palliatifs.

* 12 Cf. partie B.

* 13 Instruction DGOS/R4/DGCS n° 2010-275 du 15 juillet 2010 relative aux modalités d'intervention des équipes mobiles de soins palliatifs dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes.

* 14 Au niveau international, la discipline des soins palliatifs pédiatriques a été consacrée lors d'un congrès organisé en 2003 à La Haye, avec la création d'un réseau international des soins palliatifs pédiatriques (ICPCN). En France, les professionnels du secteur se sont organisés depuis 2020 dans une société savante dédiée, la société de soins palliatifs pédiatriques, dont les rapporteures ont auditionné les représentants. Cette société savante est issue de la transformation de la fédération des ERRSPP qui existait depuis novembre 2011.

* 15 Circulaire DHOS/O2/O3/CNAMTS n° 2008-100 du 25 mars 2008 relative au référentiel national d'organisation des réseaux de santé en soins palliatifs.

* 16 Cet Atlas est publié depuis 2018 par le Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie. Les données sont notamment issues de la statistique annuelle des établissements (SAE) réalisée par la Drees (direction de la recherche, des études de l'évaluation et des statistiques du ministère des solidarités et de la santé). Sa deuxième édition est parue en octobre 2020.

* 17 DREES, Les établissements de santé - édition 2021 , juillet 2021.

* 18 Évaluation du plan national 2015-2018 pour le développement des soins palliatifs et de la fin de vie , Inspection générale des affaires sociales, juillet 2019.

* 19 Cf. compte rendu de la réunion de la commission des affaires sociales du 7 avril 2021. Ces données sont issues d'un classement des pays réalisé en 2015 par l'Economist Intelligence Unit, selon le « EIU quality of death index ».

* 20 Atlas des soins palliatifs et de la fin de vie , deuxième édition 2020.

* 21 En Auvergne-Rhône Alpes : Allier, Cantal ; en Bourgogne Franche-Comté : Jura, Haute-Saône ; en Centre Val de Loire : Cher, Eure-et-Loir, Indre, Loir-et-Cher ; en Grand Est : Ardennes, Haute-Marne, Meuse, Vosges ; en Normandie : Manche et Orne ; en Nouvelle-Aquitaine : Corrèze et Creuse ; en Occitanie : Ariège, Gers, Lot, Lozère, Pyrénées-Orientales, Tarn-et-Garonne ; en Pays de la Loire : Mayenne ; en PACA : Alpes-de-Haute-Provence.

* 22 Contribution écrite des D rs Olivier Mermet et Bruno Richard adressée aux rapporteures.

* 23 Contribution écrite adressée aux rapporteures.

* 24 Cf. partie I-B qui aborde ces enjeux.

* 25 Ces données sont issues d'une enquête établie pour le rapport d'activité 2019 des EMSP d'Île-de-France, à laquelle ont répondu 52 équipes sur 74 au total. Ces 52 équipes gèrent une file active de 28 000 patients dont 13 000 nouveaux patients.

* 26 Les soins palliatifs : une prise en charge toujours très incomplète , Cour des comptes, Rapport public annuel 2015, février 2015.

* 27 Dans un guide intitulé L'essentiel de la démarche palliative publié en décembre 2016, la Haute Autorité de santé (HAS) définit ainsi la population requérante : « Toutes les personnes approchant de leur fin de vie et qui sont dans l'une ou l'autre des situations suivantes doivent pouvoir, en cas de besoins identifiés, accéder précocement aux soins palliatifs, quels que soient leur état de santé ou leur perte d'autonomie, quel que soit leur lieu de soins et s'ils en sont d'accord :

- état général précaire associé à des comorbidités graves ;

- ou maladie grave, évolutive, potentiellement mortelle ;

- ou risque de mourir d'une complication aiguë survenant au cours d'une maladie préexistante ;

- ou pronostic vital menacé par une affection aiguë causée par des événements soudains et catastrophiques. »

* 28 Cf. partie I-B ci-après.

* 29 Cf. compte rendu de l'audition devant la commission des affaires sociales le 5 mai 2021.

* 30 « Le dernier mois de l'existence : les lieux de fin de vie et de décès en France » , Sophie Pennec, Joëlle Gaymu, Alain Monnier, Françoise Riou, Régis Aubry, Silvia Pontone, Chantal Cases, Ined Éditions, Population 2013/4 Vol. 68.

* 31 Cf. Atlas des soins palliatifs et de la fin de vie.

* 32 Atlas des soins palliatifs et de la fin de vie , octobre 2020.

* 33 Cette proportion est passée à 59 % selon une étude réalisée en 2015 citée par l'Assurance maladie.

* 34 Fin de vie : un besoin d'études pour mieux comprendre cette période de recours ultime aux soins , Rapport sur les charges et produits de l'assurance maladie pour 2019, Caisse nationale d'assurance maladie, juillet 2018. Cette étude rappelle toutefois que les pathologies ne sont pas exclusives les unes des autres et que la fin de vie peut être associée à un contexte de polupathologie.

* 35 Note stratégique du CNSPFV transmise aux rapporteures.

* 36 Données de l'Insee pour 2018 citées dans l'Atlas des soins palliatifs et de la fin de vie.

* 37 Selon un sondage réalisé par l'Ifop en 2016, 85% des Français souhaitent mourir chez eux.

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