II. MAIS UN ENSEIGNEMENT AGRICOLE QUI TRAVERSE AUJOURD'HUI DE RÉELLES DIFFICULTÉS

Au travers de ses auditions et déplacements, la mission d'information constate que l'enseignement agricole, et plus précisément l'enseignement technique agricole, est aujourd'hui confronté à de réelles difficultés, de quatre ordres :

- une diminution tendancielle des effectifs en formation initiale scolaire sur fond de difficultés d'image et d'une insuffisante valorisation par le système d'orientation ;

- une situation financière des établissements parfois préoccupante ;

- une concurrence entre établissements, interne à l'enseignement agricole mais surtout avec l'Éducation nationale, qui fragilise le réseau ;

- un attachement au ministère de l'agriculture qui se délite chez une partie du corps enseignant, pour des raisons statutaires et de positionnement institutionnel du ministère.

A. DES EFFECTIFS TENDANCIELLEMENT EN BAISSE, SUR FOND DE DÉFICIT D'IMAGE ET D'UNE INSUFFISANTE VALORISATION PAR LE SYSTÈME D'ORIENTATION

1. 11 % de baisse des effectifs de la formation initiale scolaire dans l'enseignement technique agricole en 10 ans
a) Une nette baisse dans l'enseignement technique agricole qui traduit une perte d'attractivité et qui résulte pour partie de la rénovation de la voie professionnelle

L'enseignement technique agricole est confronté à une baisse de 11 % des effectifs de la formation initiale scolaire, passés de 173 548 à 154 695 élèves entre la rentrée 2011 et la rentrée 2020, dont respectivement 36 % puis 39 % dans l'enseignement agricole public.

Comme l'a souligné Bruno Ricard, inspecteur général, lors de son audition, cette baisse globale cache des disparités. Elle est plus importante dans l'enseignement privé que dans l'enseignement public. Le cycle secondaire perd des élèves, tandis que le cycle supérieur court enregistre une hausse. Les spécialités professionnelles connaissent des évolutions différentes : les filières « services » et « industrie » sont en diminution, les formations « aménagement » et « ventes » en augmentation et les formations « production-gestion » restent relativement stables.

Dans la réponse apportée au questionnaire de la rapporteure, l'UNMFREO souligne la désaffection qui touche de manière générale l'enseignement professionnel, ce que met également en évidence la Cour des comptes dans ses observations définitives précitées sur les coûts et la performance de l'enseignement technique agricole. La Cour met en évidence le contraste par rapport à la période de 1980-2000 (+ 53 000 élèves dans l'enseignement technique agricole, signe qu'il était à l'époque clairement valorisé et qu'il exerçait un fort pouvoir d'attraction). Elle relève qu'entre 2005 et 2019, les effectifs du second cycle professionnel de l'Éducation nationale ont baissé de 11 % et ceux de l'enseignement agricole, y compris le supérieur court, de 10 %. La Cour souligne néanmoins à juste titre que la baisse des effectifs de la voie professionnelle a des conséquences beaucoup plus fortes et dommageables pour l'enseignement technique agricole que pour l'Éducation nationale en raison de sa taille et du fait qu'elle n'est pas compensée par une augmentation équivalente des effectifs des voies générales et technologiques.

Outre les éléments liés au contexte et au système d'orientation, développés ci-après, plusieurs personnes auditionnées ont souligné que la rénovation de la voie professionnelle avait contribué à cette diminution des effectifs d'apprenants au cours de la décennie passée.

Roland Grimault, directeur de l'UNMFREO, a ainsi expliqué à la mission que : « Concernant l'évolution des effectifs, une baisse a été enregistrée lors de la dernière rentrée. Mais l'évolution constatée ces dernières années résulte en partie d'une décision de réorganisation de la filière professionnelle. La réforme menée en 2009 pour le baccalauréat professionnel agricole puis en 2011 pour le secteur des services a fait passer le baccalauréat professionnel de quatre ans à trois ans, avec des incidences sur les effectifs. Avant la réforme, nous avions beaucoup de brevets d'études professionnelles (BEP), dont 40 % à 60 % passaient en baccalauréat. L'ambition de la réforme était d'emmener 80 % d'une classe d'âge au niveau du baccalauréat, mais il y avait aussi un argument économique - pourquoi faire en quatre ans ce que l'on peut faire en trois ? En passant du baccalauréat en quatre ans au baccalauréat en trois ans, nous avons perdu une promotion par année, soit 5 000 à 6 000 élèves en moins dans les MFR. La baisse des effectifs constatée dans les MFR résulte d'abord de cette réforme. Nous nous y sommes désormais adaptés ».

Cette analyse est partagée par la FEP-CFDT qui souligne que « le passage de la voie professionnelle de 4 ans à 3 diminue de fait le nombre d'apprenants. Les réformes du bac général et du bac technologique STAV n'ont pas permis de valoriser ces formations diplômantes par rapport à l'Éducation nationale. Les familles et les jeunes choisissent les établissements à proximité et les moins coûteuses financièrement . »

Certaines évolutions d'effectifs peuvent également dépendre de situations locales particulières, comme l'a souligné, à propos des MFR à La Réunion, Saadia Ait-Abed, suppléante au conseil d'administration de l' Association nationale des directeurs de centre d'information et d'orientation (ANDCIO) et directrice du CIO de Saint-Benoît : « si les élèves y sont de moins en moins nombreux, il ne faut pas oublier que l'internat y est obligatoire, puisque cela fait partie du travail éducatif et social à mener. Or les jeunes Réunionnais ne veulent plus de l'internat. C'est aussi peut-être une des raisons pour lesquelles ils se dirigent moins vers les MFR alors que cela pourrait correspondre à leurs objectifs, avec un environnement plus sûr ». Au-delà des chiffres globaux, la trajectoire d'évolution des effectifs mérite donc une analyse territorialisée.

b) Une baisse qui contraste avec le dynamisme des effectifs de l'enseignement supérieur long

Cette baisse des apprenants dans l'enseignement technique agricole contraste avec le dynamisme constaté dans l'enseignement supérieur agricole, qui s'est profondément réformé et restructuré ( cf . infra).

En effet, l'enseignement supérieur agricole long a su s'adapter à l'évolution des besoins de formation et s'attache à diversifier les profils. En témoigne la création de classes préparatoires intégrées post-bac aux écoles vétérinaires avec 160 places offertes par Parcoursup , afin d'améliorer la diversité des profils en école vétérinaire et permettre une plus juste répartition géographique, dans un but de renouvellement des candidatures. Les échanges que la rapporteure a pu avoir avec la direction de l'ENVA montre que, grâce à Parcoursup, cette diversification des profils est réelle.

Cette adaptation et cette structuration - facilitant les coopérations entre écoles - ont permis à l'enseignement supérieur agricole long d'attirer depuis 2015 un nombre croissant d'étudiants : + 14 % sur la période 2015-2020, soit une augmentation de près de 2 000 étudiants. Par rapport à la rentrée 2019, les effectifs ont progressé en 2020 de 6 %.

Évolution du nombre d'étudiants dans l'enseignement agricole supérieur long

Source : DGER

c) Une baisse enrayée en 2019, premier signe d'une reconquête ?

Cette baisse tendancielle serait toutefois en passe d'être enrayée.

Pour la première fois depuis de nombreuses années, les effectifs de l'enseignement agricole étaient en augmentation à la rentrée 2019.

Malheureusement, la crise de la covid-19 a eu des conséquences importantes sur les inscriptions à la rentrée 2020 - qui vont mathématiquement se répercuter sur les effectifs des classes suivantes dans les années à venir. Les raisons sont nombreuses et identifiées : annulation des portes ouvertes dans les établissements, salons de l'orientation qui sont des moments importants de découverte de l'enseignement agricole et d'inscription, craintes sur les risques de transmission du virus dans les internats...

Le camion de l'Aventure du vivant, qui devait sillonner la France pour faire découvrir l'enseignement agricole, a dû s'arrêter à l'automne 2020, après seulement deux étapes.

Comme l'a d'ailleurs indiqué Valérie Baduel, directrice générale de l'enseignement et de la recherche (DGER), « les spécificités qui faisaient la richesse de l'enseignement agricole, en particulier les internats, ont été vues par certains élèves ou certains parents comme des handicaps. De plus, l'année dernière comme cette année, l'absence de journées portes ouvertes en présentiel pour valoriser la qualité de l'environnement a été dommageable pour le recrutement de nouveaux apprenants ».

Les premières estimations pour la rentrée 2021 semblent témoigner d'une nouvelle remontée des effectifs d'apprenants . Selon les chiffres indiqués par le ministre de l'agriculture et de l'alimentation lors de son audition, ils passeraient entre 2020 et 2021 de 193 000 à 197 000 apprenants pour l'enseignement technique agricole, en y incluant les apprentis. Les premiers éléments transmis par la DGER pour les effectifs d'élèves - soit jusqu'au baccalauréat - témoignent de cette légère hausse à la rentrée 2021 : + 1,4 % (1 870 élèves supplémentaires). Les effectifs étudiants de l'enseignement agricole supérieur court seraient en revanche en baisse de 4,5 % (19 438 inscrits). La hausse globale des effectifs de l'enseignement technique agricole par voie scolaire s'établirait ainsi à environ 0,6 %, le ministère précisant que cette augmentation serait en particulier constatée dans les classes de 4ème, 3ème, seconde et CAPA, cibles des dernières opérations de communication et d'orientation. Les effectifs de l'enseignement agricole supérieur long et de l'apprentissage ne sont en revanche pas stabilisés.

Évolution des effectifs de l'enseignement technique agricole en voie scolaire
entre les rentrées 2020-2021 et 2021-2022

Source : DGER à partir des données transmises par les établissements
ayant achevé leurs remontées en septembre 2021

2. L'enseignement agricole se trouve pénalisé par le contexte d'agribashing, reste méconnu et est insuffisamment valorisé par le système d'orientation

L'ensemble des personnes auditionnées partagent un même constat : les élèves et leurs familles qui fréquentent l'enseignement agricole s'y plaisent, mais cette filière de formation reste trop méconnue du public. Valérie Baduel, directrice générale de l'enseignement et de la recherche (DGER), le résume en ces termes devant la mission : « notre défi est d'assurer une meilleure connaissance et reconnaissance de l'enseignement agricole en adoptant un plan d'action résolu pour renforcer ce dispositif précieux, véritable atout pour la France. Pour paraphraser une ancienne publicité, connaître l'enseignement agricole, c'est l'aimer. Le problème c'est qu'il n'est pas assez connu ».

a) Un contexte d'agribashing qui nuit à l'attractivité de l'enseignement agricole

Le rapport du Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) sur l'orientation des élèves vers l'enseignement agricole et son attractivité souligne que le développement de l'agribashing a « sans doute une influence négative sur l'attractivité des métiers de l'agriculture ». Ce point a été corroboré et souligné par de nombreuses personnes auditionnées par la mission d'information. L'agribashing, ou le dénigrement de l'agriculture, apparaît ainsi comme un véritable « rouleau compresseur », pour reprendre l'expression utilisée par Françoise Férat, sénateur.

Les attaques répétées contre les exploitants agricoles de toutes les filières, y compris en agriculture biologique, sont une source de mal-être pour de nombreux producteurs. Lors de ses échanges sur le terrain, la rapporteure a constaté que cette communication négative sur la réalité du métier d'agriculteur était considérée, par les professionnels, comme un des facteurs principaux engendrant une difficulté à attirer de nouveaux jeunes dans l'enseignement agricole.

Comme l'a souligné Joris Miachon, représentant de la Coordination rurale : « concernant l'attractivité, certains mots sont en effet durs et difficiles à entendre. Il y a des problèmes de valorisation, de prix de vente, de suicide, d'agribashing. J'ai conscience qu'il est difficile pour les parents d'inciter leurs enfants à se diriger vers l'enseignement agricole. »

Si l'agribashing témoigne avant tout d'un éloignement évident des citoyens des réalités du monde paysan, engendrant une incompréhension entre les deux mondes, il est indéniable que ses effets sur l'attractivité du métier se manifesteront à court terme.

Cette difficulté est accentuée par la perception de la dureté des métiers dans certaines filières comme l'a souligné Saadia Ait-Abed, suppléante au conseil d'administration de l'ANDCIO et directrice du CIO de Saint-Benoît : « À la Réunion, effectivement, les filières agricoles sont également peu attractives, en raison notamment de l'image de la canne à sucre, qui est un secteur peu mécanisé et difficilement mécanisable. Il attire donc peu de monde car le travail est assez ardu ».

La note de conjoncture de janvier 2021 de l'Association nationale des industries alimentaires (ANIA) faisait état de 30 000 emplois restés non pourvus dans l'industrie agroalimentaire en 2020 contre 10 000 en 2013, une entreprise sur deux rencontrant des difficultés de recrutement. Au nombre des difficultés avancées figuraient la mauvaise presse du secteur et les conditions de travail (pénibilité ; rythme 3*8) perçues comme difficiles par rapport à d'autres secteurs industriels.

Dans ce contexte, l'accentuation des efforts de communication positive sur les métiers de l'agriculture et de l'agroalimentaire apparaît absolument nécessaire.

b) Un potentiel de formations mal identifié en dépit de campagnes de communication

L'enseignement agricole reste encore trop perçu comme une filière pour les élèves souhaitant se dédier aux métiers de l'agriculture - et oubliant comme le souligne le CGAAER, que « l'enseignement agricole ne se résume pas aux formations purement agricoles qui représentent [seulement] un tiers de l'offre de formation », ou pour les élèves en situation d'échec scolaire .

En témoignent les contributions de plusieurs personnes et organismes auditionnées : « l'enseignement agricole ne doit pas être perçu comme un dispositif alternatif à l'éducation nationale pour les élèves en difficultés » (APCA), ou encore « l'enseignement agricole a un problème de repli sur soi. Il sait faire plein de choses, mais ne sait pas le faire savoir. C'est l'un des freins au recrutement. Souvent, il transmet une image d'un monde professionnel uniquement. Pour beaucoup de parents, c'est un recrutement par l'échec, un choix par défaut. L'enseignement agricole en souffre beaucoup » (Peep Agri).

Les salons d'orientation représentent un moment essentiel de recrutement pour tous les établissements de l'enseignement agricole. C'est d'ailleurs l'une des raisons qui expliquent la diminution des effectifs à la rentrée 2020, de nombreux salons d'orientation ou de journées portes ouvertes n'ayant pas pu se tenir en raison de la pandémie. À titre d'exemple, Fabien Chalumeau, proviseur du lycée agricole Terre d'horizon a indiqué que son établissement participait en moyenne à 35 jours de salons d'orientation des étudiants par an. C'est en effet un moment fort de présentation des formations et des métiers. Or, force est de constater que l'organisation de ces évènements est de plus en plus prise en charge par des structures privées, avec un coût d'exposition pour l'établissement d'enseignement. Le chiffre de 1 500 euros pour deux tables a ainsi été indiqué lors des rencontres. D'autres personnes auditionnées ont mentionné rencontrer des difficultés pour être associés aux forums d'orientation des lycées organisés par les conseils départementaux. Quant à la possibilité de présenter l'enseignement agricole dans les collèges du bassin, les établissements de l'enseignement agricole reçoivent malheureusement encore trop souvent une fin de non-recevoir.

De manière générale, la communication pour faire connaître l'enseignement agricole et les formations proposées est un point essentiel. La directrice générale de l'enseignement et de la recherche a elle-même reconnu cette nécessité. Or, les moyens dédiés à la communication diminuent au niveau local. Certaines directions régionales de l'agriculture, de l'alimentation et de la forêt (DRAAF) ont fait le choix d'y consacrer des moyens administratifs. Mais elles sont également concernées par des suppressions de postes. À titre d'exemple, il a été indiqué qu'en Bourgogne, un départ à la retraite d'un personnel de DRAAF chargé de l'animation du réseau et de la communication n'a pas été remplacé. Face à cela, certains établissements ont décidé, sur leurs fonds propres, de recruter une chargée de communication.

Enfin, la campagne de communication « l'Aventure du vivant », selon plusieurs personnes auditionnées et selon le CGAAER, n'a eu que peu de répercussions sur un public ne connaissant pas l'enseignement agricole. Le tour de France du camion de l'Aventure du vivant, qui avait vocation, à se déplacer de ville en ville pour aller à la rencontre des collégiens, est pour le moment stoppé en raison de la pandémie. La mission a pris acte de la nouvelle campagne de communication #CestFaitPourMoi, lancée en avril dans le cadre du plan France Relance, puis de la nouvelle campagne de communication, lancée conjointement fin juin par le ministère de l'agriculture et celui de la mer, sur les métiers et formations de l'agriculture, de l'agroalimentaire, de la forêt, des paysages, de la pêche et de l'aquaculture. Elle forme le voeu que leurs résultats soient plus concluants que ceux de « l'Aventure du vivant ».

c) Un système d'orientation qui ne valorise pas suffisamment l'enseignement agricole
(1) Une image dépréciative de la part des enseignants de la filière générale de l'Éducation nationale

Alors qu'il constitue une filière d'excellence, l'enseignement agricole se trouve pénalisé par un système d'orientation qui ne le met pas suffisamment en valeur et qui, de fait, lui associe une image dépréciative.

Témoignage d'un parent d'élèves dans l'enseignement agricole

« Pour l'orientation de mes deux enfants j'ai eu le même problème. Lorsque mon premier fils est arrivé en troisième, il y a eu en décembre une réunion d'orientation. Nous avions émis en premier voeu une seconde générale dans un lycée agricole pour faire un bac S. La première réaction du collège a été de nous demander pourquoi nous souhaitions la faire en lycée agricole, alors qu'il y avait un lycée général à côté. En outre, cela ne servait à rien de mettre ce choix, nous ne l'obtiendrions pas car le lycée agricole n'est pas le lycée de secteur.

Le même scénario a recommencé trois ans plus tard. Il y a une volonté de la part des établissements de l'éducation nationale de garder leurs enfants. Ils ne les laisseront pas partir vers l'enseignement agricole, sauf les enfants dont on ne veut plus : les DYS 29 ( * ) , les décrocheurs, ceux à la limite de la phobie scolaire.

Il y a aussi des équipes qui ne connaissent pas bien l'enseignement agricole. À l'exception des enfants qui souhaitent reprendre l'exploitation agricole familiale, souvent est posée la question : pourquoi le mettre dans l'enseignement agricole ? Des formations de vente, ou aux services à la personne existent ailleurs. Il y a une image « bottes de foin et de caoutchouc » qui colle à la peau de l'enseignement agricole ».

Les enseignants des collèges, qui jouent un rôle essentiel dans l'orientation, sont souvent d'anciens élèves de filières classiques et ont une vision influencée par leurs propres parcours scolaires.

Lors des auditions, la mission d'information a en outre appris que, jusqu'à une date récente, il existait au sein de l'Éducation nationale des incitations visant à limiter le nombre d'élèves partant dans l'enseignement professionnel, notamment dans l'enseignement agricole. Comme le souligne l'Union nationale rurale d'éducation et de promotion (UNREP), « les mesures visant à ne pas laisser partir les jeunes vers l'enseignement professionnel, agricole et privé ne sont plus dans les pratiques depuis quelques années, mais sont encore dans les esprits ! », et d'ajouter : « un jeune qui sort de troisième est obligé « d'affronter » toutes les autorités de son collège pour retourner dans une formation jugée réservée à un public prioritaire alors qu'il s'agit avant tout d'une formation professionnalisante ».

Ces propos ont été confirmés par Michel Sinoir, DRAAF de la région Rhône-Alpes, pour lequel « pour les classes entrantes - et notamment le collège - nous pouvons clairement constater une certaine réticence des équipes pédagogiques à envoyer des élèves en 4 ème -3 ème dans l'enseignement agricole» .

(2) Des présentations par les CIO et l'ONISEP qui ne peuvent pas, compte tenu de leur positionnement, contrebalancer cette perception

Il en est de même pour les autres prescripteurs de la formation. Ainsi certaines personnes auditionnées estiment que l'information délivrée par les CIO sur l'enseignement agricole varie. Leur action même a fait l'objet d'analyses divergentes de la part des personnes rencontrées par la mission d'information.

Selon le SGEN-CFDT, « l'enseignement agricole est présenté dans certaines brochures de l'ONISEP mais demeure peu lisible et visible. Encore faut-il que ces documents soient disponibles, visibles et utilisés par les acteurs de ces structures. Il existe une grande hétérogénéité entre régions. Des directeurs de CIO sont convaincus par l'offre de formation de l'enseignement agricole, d'autres s'en désintéressent ».

Pour Corinne Blieck, ancienne présidente de l'Association nationale des directeurs de CIO, « si, dans l'Éducation nationale, des gens sont au courant des formations en général, et dans l'agriculture en particulier, ce sont bien les personnels de CIO, grâce aux échanges que je viens d'évoquer mais aussi aux productions de l'ONISEP . ». Mais elle précise les limites de leur action en indiquant que les CIO n'ont pas pour mission « de promouvoir des formations ou des filières, comme l'enseignement agricole, au détriment d'autres. (...) Nous sommes peut-être les seuls dans le système qui n'orientons pas. On a simplement un rôle de conseil en orientation. Pour nous, la victoire est de voir un jeune qui, quand il va sortir de nos entretiens - en CIO ou en établissement scolaire -, sera capable de choisir par lui-même son orientation. On n'est ni dans la prescription d'une orientation, ni dans la recommandation, ni dans la suggestion, mais dans la présentation de ce que peut faire le jeune par rapport à son profil (scolaire, étudiant) et ses intérêts. »

Quant à l'action de l'ONISEP ( cf . encadré ci-dessous), la manière dont l'organisme aborde la présentation des formations proposées par l'enseignement agricole n'appelle pas de remarque. La question qui se pose est davantage celle de l'utilisation de ses productions et de l'impact qu'elles peuvent avoir sur le choix d'orientation.

La présentation de l'enseignement agricole par l'ONISEP

La mission d'information a interrogé l'ONISEP pour savoir de quelle manière l'enseignement agricole était pris en compte par cet organisme.

Celui-ci a indiqué que « l'enseignement agricole est intégré au même titre et de la même manière que tout autre enseignement ou toute autre information délivrée ». L'enseignement agricole ne souffre donc d'aucune discrimination ou absence de prise en considération par l'ONISEP, qui précise que « sur un plan éditorial, il n'y a pas de « hiérarchisation » dans le traitement de l'information, c'est la marque et le professionnalisme de l'ONISEP. L'enseignement agricole est présenté chaque fois que cela s'impose. Les informations concernant les formations et les métiers relevant de l'Agriculture sont délivrées et actualisées dans nos différentes ressources quels que soient les supports utilisés (imprimés ou en ligne sur nos sites et espaces) ».

L'ONISEP référence dans sa base de données diffusée sur de nombreux sites web, dont www.onisep.fr , l'ensemble de la formation initiale dont les diplômes gérés par le ministère de l'agriculture et les établissements qui y préparent.

Depuis 2020, l'organisme fournit au Téléservice Affelnet deux fichiers qui contiennent des données sur ce périmètre :

1- Un fichier des diplômes accessibles après la 3 e , dont ceux de type CAP agricole, seconde professionnelle, bac pro du secteur agricole. Pour chaque diplôme, l'ONISEP fournit à Affelnet un renvoi vers la fiche descriptive sur www.onisep.fr avec un accès à un descriptif général, un descriptif des poursuites d'études et le ou les métiers accessibles ;

2- Un fichier de 6 000 établissements qui proposent au moins une formation post 3 e , dont 1 100 de la sphère agricole, à savoir les :

- lycées agricoles publics,

- lycées sous contrat (dont le réseau du CNEAP),

- réseau des MFR,

- CFA.

Pour chaque établissement, l'ONISEP fournit à Affelnet un renvoi vers la fiche descriptive de l'établissement sur www.onisep.fr avec l'intégralité de son offre de formation initiale.

Source : réponse de l'ONISEP au questionnaire de la rapporteure

(3) L'enjeu de la prise en main par les régions de leurs nouvelles compétences en matière d'orientation

Le cadre de l'orientation a été profondément modifié par la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel 30 ( * ) , qui a notamment transféré aux régions les missions auparavant exercées par les délégations régionales de l'ONISEP (transfert évalué à 8,2 millions d'euros sur le plan budgétaire, assorti d'une réduction du plafond d'emplois de l'ONISEP).

Comme l'a souligné Bruno Ricard, au nom du CGAAER, le nouveau cadre institutionnel de l'orientation est une opportunité à saisir pour l'enseignement agricole. Dans ce nouveau dispositif, celui-ci est pris en compte au même titre que l'Éducation nationale. La convention régionale type, annexée au cadre national de référence, prévoit que le directeur régional de l'agriculture, de l'alimentation et de la forêt est signataire de la future convention régionale sur l'orientation au même titre que le recteur. Dans l'ensemble des régions, les conseils régionaux ont une perception positive de l'enseignement agricole et l'intègrent pleinement dans leurs politiques d'éducation et d'information.

Le CGAAER recommande donc aux services des DRAAF de s'impliquer activement dans la politique d'information et de participer pleinement à l'élaboration et à la relecture avant diffusion de tous les documents et vecteurs de communication portant sur les métiers, les diplômes et les formations de l'enseignement agricole.

Dans la réponse au questionnaire adressé par la rapporteure, Régions de France souligne que depuis 2018, les régions ont renforcé leur implication dans la politique de l'orientation : réorganisations des services, nouvelles formes d'intervention (agences régionales de l'orientation...), mise au point des conventions entre autorités académiques et Régions, transferts de personnels des DR-ONISEP, définition de plans d'action et de nouvelles stratégies des Régions...

Régions de France relève que la réforme accroît les opportunités d'ouverture des établissements sur le monde professionnel, mais la répartition des rôles sur l'orientation reste complexe. Si l'information sur les métiers et les formations a été transférée aux régions, les établissements conservent un rôle d'information sur les parcours de formation.

Les modalités des futures actions d'information des régions dans les établissements sont encore en phase de démarrage, en raison de la crise sanitaire. L'un des enjeux sera en particulier d'organiser un maillage territorial auprès des établissements et ainsi faciliter le déploiement de l'offre de services de la région en matière d'information sur les métiers.

Par ailleurs se pose la question des liens avec les DRAAF pour renforcer l'attractivité et la connaissance de l'enseignement agricole. Un certain nombre de régions, comme les régions Occitanie, Grand Est et Normandie, ont signé des protocoles d'accord avec les DRAAF pour valoriser l'enseignement agricole, passant par des déclinaisons en contrats d'objectifs tripartites avec chaque EPLEFPA pour porter les spécificités de l'enseignement agricole au coeur des champs d'intervention des politiques régionales : soutien au numérique, à l'innovation, plan régional de l'alimentation, construction de l'offre de formation, investissement immobilier, aide à l'équipement. Cette démarche n'est toutefois pas finalisée dans toutes les régions et mériterait, par ailleurs, de bien prendre en compte les établissements privés, compte tenu de leur part dans l'enseignement technique agricole.


* 29 Troubles d'apprentissage comme la dyslexie, la dyspraxie, la dysorthographie, la dysphasie, la dyscalculie, le trouble spécifique du développement des processus attentionnels et des fonctions exécutives (TDA/H).

* 30 Loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018.

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