ANNEXE

Le Sénat promeut depuis longtemps
l'introduction d'une régulation forte des plateformes structurantes

• Il a appelé dès 2013 à une gouvernance européenne du numérique

Un rapport publié en 2013 par la commission des affaires européennes, présenté par Mme Catherine Morin-Desailly 23 ( * ) a posé la question de la nécessité d'une gouvernance européenne de ce monde qui est dominé par de grands acteurs privés non européens.

Appelant à une prise de conscience politique, il a exploré la possibilité et les modalités d'une régulation publique, au niveau européen, de la révolution numérique, « levier de croissance mais aussi enjeu de civilisation pour l'Union européenne », et avancé trente propositions pour que l'Union européenne ne devienne pas une « colonie du monde numérique ».

• Il a souhaité en 2014 que l'Europe soutienne la démocratisation de la gouvernance de l'internet en s'appuyant sur une ambition politique et industrielle européenne

Le rapport d'information, également présenté par Mme Catherine Morin-Desailly, mais au nom de la mission commune d'information sur la gouvernance mondiale de l'internet 24 ( * ) , a dénoncé la surveillance de masse exercée en ligne qui fait d'internet un instrument de puissance qui échappe à l'Europe et un support d'un monde d'hypersurveillance et de vulnérabilité.

Il formulé un ensemble de proposition au soutien de la mise en place d'une gouvernance de l'Internet afin de promouvoir un avenir d'Internet conforme aux valeurs démocratiques et aux droits et libertés fondamentaux.

• Il a soutenu en 2018 une première avancée de réglementation ex ante lors de l'examen du règlement européen « PtoB »

Le Sénat a soutenu l'approche du règlement (UE) 2019/1150 du 20 juin 2019 promouvant l'équité et la transparence pour les entreprises utilisatrices de services d'intermédiation en ligne 25 ( * ) , qui fixe des règles comportementales ex ante dont la méconnaissance est passible de sanctions.

Dans la résolution qu'il a adoptée, il a toutefois souhaité que ce règlement aille plus loin dans la protection des entreprises recourant à des plateformes pour proposer des biens et services et dans la transparence vis-à-vis des acheteurs lorsque l'opérateur propose des biens et services concurrents sur la même plateforme.

• En 2019, il a identifié des moyens de reconquérir une souveraineté numérique

Le rapport de M. Gérard Longuet, qui a conclu les travaux de la commission d'enquête sur la souveraineté numérique 26 ( * ) , s'est interrogé sur la possibilité pour l'État de conserver une capacité autonome d'appréciation, de décision et d'action dans le cyberespace, face à de redoutables concurrents privés extra-européens. Il en va en effet de l' « autonomie informationnelle » de nos concitoyens toujours plus dépendants d'intermédiaires techniques au fonctionnement opaque.

La commission a identifié les champs fondamentaux, à l'échelle individuelle ou collective, pour esquisser les moyens de reconquérir la souveraineté numérique, que ceux-ci relèvent de la règlementation ou de la mise en oeuvre de politiques publiques, en particulier en matière de défense, en matière juridique, d'ordre économique, ou encore de fiscalité et de monnaie.

Pour remédier à l'absence de stratégie globale et lisible, elle propose un principe et une méthode (le forum institutionnel du numérique), un rendez-vous régulier (la loi d'orientation et de suivi de la souveraineté numérique) et une série de mesures précises et urgentes, notamment dans les domaines de la protection des données personnelles et des données économiques stratégiques, de la concurrence, et en faveur de l'innovation et du multilatéralisme

• Il a appelé à l'intégration de nouveaux concepts d'analyse adaptés au numérique afin d'assurer un suivi préventif des comportements des grands acteurs

Parmi la douzaine de propositions figurant dans le rapport d'information du groupe de suivi de la stratégie industrielle, commun aux commissions des affaires européennes et des affaires économiques, sur la modernisation de la politique européenne de concurrence 27 ( * ) , reprise dans une résolution européenne 28 ( * ) et un avis politique, figure en particulier la nécessité d'une « intégration de nouveaux concepts d'analyse adaptés au numérique afin d'assurer un suivi préventif des comportements des acteurs ».

La résolution préconise, notamment dans le cadre de la révision de la directive e-commerce, que l'analyse du pouvoir de marché prenne en compte les effets de réseaux et que les relations entre les plateformes, - en particulier celles qui sont en position de verrouiller le marché -, et leurs utilisateurs ou concurrents soient rééquilibrées par un encadrement a priori de la collecte et de l'utilisation des données (portabilité des données personnelles, interopérabilité, auditabilité, non-discrimination, loyauté ...), ce qui permettra de prendre rapidement des mesures correctrices en cas de manquement à ces règles.

Le Sénat a en outre estimé qu'il était urgent de définir la notion clé de plateformes verrouillant un marché ( gatekeeping platforms ) à partir de critères précis (effets de réseau, nombre d'utilisateurs et/ou capacité du service à obtenir des données sur les marchés...), comme le proposait alors la Commission dans la consultation qu'elle venait de lancer, et d'identifier le caractère systémique de certains opérateurs numériques afin de pouvoir en assurer un suivi rapproché, y compris pour contrôler les acquisitions par ces opérateurs de petites entreprises innovantes qui génèrent peu de chiffres d'affaires et donc n'atteignent pas les seuils de notification actuels, et ainsi s'assurer que l'opération envisagée n'est pas de nature à réduire la concurrence, voire à l'éliminer ( killer acquisitions ).

• Il a adopté, en février 2020, une proposition de loi visant à garantir le libre choix du consommateur dans le cyberespace

Présentée par Mme Sophie Primas et plusieurs de ses collègues 29 ( * ) , la proposition de loi votée par le Sénat traite du rééquilibrage de la relation entre les plateformes structurantes et les consommateur s. Elle prévoit, dans ses deux premiers chapitres, de confier à un régulateur la mission d'orienter le marché de telle sorte que des comportements dommageables ne puissent voir le jour. Un faisceau d'indices est proposé, auquel l'Autorité de la concurrence pourrait avoir recours pour caractériser les géants du numérique.

Elle promeut une logique de régulation a priori , - ex ante -, et d' accompagnement des acteurs , la sanction n'étant là que pour crédibiliser la régulation. Deux points d'entrée sont particulièrement visés : la neutralité des terminaux , en particulier la lutte contre les dark patterns , et l' interopérabilité des plateformes .

L'impossibilité de désinstaller certaines applications et d'en installer certaines autres, ainsi que le traitement discriminatoire des applications tierces par rapport aux applications de la plateforme sont prohibés car ils sont autant de manières de brider la concurrence et de limiter la liberté du consommateur.


* 23 Rapport d'information n° 443 (2012-2013) de Mme Catherine Morin-Desailly, fait au nom de la commission des affaires européennes - L'Union européenne, colonie du monde numérique ?

* 24 Rapport d'information n° 696 (2013-2014) de Mme Catherine Morin-Desailly, fait au nom de la mission commune d'information sur la gouvernance mondiale de l'Internet, L'Europe au secours de l'Internet : démocratiser la gouvernance de l'Internet en s'appuyant sur une ambition politique et industrielle européenne.

* 25 Proposition de résolution européenne n° 37 (2018-2019) au nom de la commission des affaires européennes, en application de l'article 73 quater du Règlement, présentée par M. André Gattolin et Mme Colette Mélot, devenue résolution du Sénat n° 23 (2018-2019) le 16 novembre 2018.

* 26 Rapport n° 7 (2019-2020) de M. Gérard Longuet fait au nom de la commission d'enquête sur la souveraineté numérique.

* 27 Rapport d'information n° 603 (2019-2020), fait au nom de la commission des affaires européennes et de la commission des affaires économiques, par MM. Alain Chatillon et Olivier Henno.

* 28 Résolution du Sénat n° 122 (2019-2020) du 20 juillet 2020 faisant suite à la proposition de résolution n° 593 (2019-2020) de MM. Alain Chatillon et Olivier Henno

* 29 Proposition de loi n° 48 (2019-2020) présentée par Mme Sophie Primas et plusieurs de ses collègues, visant à garantir le libre choix du consommateur dans le cyberespace. Rapport n° 301 (2019-2020) fait au nom de la commission des affaires économiques par M. Franck Montaugé et Mme Sylviane Noël.

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