B. DES OBSTACLES SPÉCIFIQUES À L'ENTREPRENEURIAT AU FÉMININ

La délégation a identifié cinq principaux obstacles rencontrés par les femmes cheffes d'entreprise dans les territoires ruraux .

1. Un manque de moyens financiers

L'accès aux financements est le principal enjeu pour l'ensemble des entrepreneurs, hommes comme femmes. Cependant, cette question se pose avec une acuité toute particulière pour les femmes, qui doivent notamment faire face à des réticences plus grandes de la part des banques .

Ophélie Héliès indiquait devant la délégation : « Le taux de rejet de crédits demandés par les créatrices est de 4,3 % contre 2,3 % pour les hommes. Or l'aspect financier est essentiel dans la volonté d'entreprendre, pour se développer ou pour réfléchir à son projet de création. 44 % des femmes estiment que les échecs de la création s'expliquent par le manque de financement. Les femmes ayant demandé un financement se disent aussi victimes d'un biais de genre au moment de leur demande , au travers des questions qui leur sont posées sur leur organisation familiale, leur crédibilité en tant que cheffe d'entreprise ou encore leur capacité à créer un modèle économique viable. Évidemment, ces statistiques ne prennent pas en compte toutes les femmes qui ont renoncé à demander un financement, celles-ci estimant, avant même d'entreprendre leur démarche, qu'elles ne pouvaient pas y prétendre . »

La délégation déplore en outre le manque de données pour objectiver ce phénomène. Elle a été interpellée par ces propos de Marie Eloy : « l'ADIE est capable d'indiquer le pourcentage de femmes accompagnées directement dans ses financements, ce qui n'est par exemple pas encore le cas de Bpifrance aujourd'hui, ni en termes de capital ni en termes de prêt. Pourtant, connaître ce pourcentage est essentiel afin de savoir s'il existe des biais sociétaux, notamment dans les territoires. Je peux témoigner que ces biais existent bel et bien. [...] Je perçois [un] manque de crédibilité de façon très forte, en permanence. Néanmoins, il s'agit de ressentis, difficiles à expliquer. C'est pour cette raison que des statistiques et des chiffres sont nécessaires . »

2. Un manque de reconnaissance et d'assistance institutionnelles, conjugué à un manque d'information sur les services existants

Pour Ophélie Héliès, « les freins à l'entrepreneuriat en milieu rural sont multiples et se cumulent parfois avec les freins liés au genre. L'accès à l'information sur les services existants y est difficile. En effet, le bouche-à-oreille, principal levier en milieu rural pour connaître les dynamiques du territoire, n'est accessible que si l'on dispose déjà d'un petit réseau. Notons également le peu de services d'appui à l'entrepreneuriat et leur faible maillage. En outre, il est indispensable de se déplacer pour faire appel à ces services . »

Les témoignages recueillis par la délégation confirment que les femmes peinent à accéder à l'information et aux aides nécessaires pour créer et développer leur entreprise . La délégation a trouvé particulièrement révélateur ce ressenti exprimé par Carole Jung, adhérente de l'association Dirigeantes Actives 77 , réseau de femmes cheffes d'entreprise en Seine-et-Marne lors de sa table ronde du 25 mars 2021 : « hors des réseaux, nous ne disposons pas d'aide et nous ne sommes pas considérées ».

Depuis la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite loi NOTRe, les régions et les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) jouent un rôle éminent sur le plan économique. Pourtant, les actions tournées vers l'entrepreneuriat au féminin sont rares dans les programmes économiques des régions et des EPCI. Plusieurs régions ont néanmoins signés avec l'État et Bpifrance des Plans d'Action Régionaux en faveur de l'Entrepreneuriat par les Femmes (PAREF).

Les problématiques des femmes sont également insuffisamment prises en compte au sein des réseaux, instances consulaires et organisations professionnelles existants.

Les hommes s'organisent davantage en réseau que les femmes, bien que de plus en plus de réseaux féminins se mettent en place avec succès. Pour reprendre les propos de Marie Eloy : « Pour les femmes, s'insérer dans un réseau n'est pas un réflexe naturel, contrairement aux hommes. Il faut que les femmes puissent s'identifier à l'image du réseau et aux personnes qui y adhèrent. Or les réseaux sont essentiellement masculins dans les territoires, puisqu'ils comptent 80 à 90 % d'hommes en moyenne . »

En outre, les femmes entrepreneures n'investissent pas suffisamment les institutions qui pourraient défendre leurs intérêts , ainsi qu'a pu le relever Marie Eloy : « En 2019, nous avons effectué un Tour de France de l'entrepreneuriat féminin, au cours duquel nous avons rencontré des milliers de dirigeantes. Nous nous sommes rendu compte que ce réseau se portait très bien dans les territoires mais qu'il était complètement hors-sol, c'est-à-dire déconnecté des CCI, des Chambres de métiers et de l'artisanat (CMA), des grandes écoles et des mairies, celles-ci restant traditionnellement des lieux très masculins . »

Des progrès doivent néanmoins être notés. Des décisions au sein des Chambres de métiers et de l'artisanat (CMA) de France ont permis aux femmes d'être officiellement représentées parmi les élus, avec un nombre obligatoire d'élues inscrit dans les textes. S'agissant des conjoints-collaborateurs, souvent des femmes qui participent à la création d'une entreprise avec leur conjoint, depuis 1982, dans le secteur de l'artisanat, des mesures concourent à offrir aux femmes une vraie place, reconnue juridiquement et socialement, en particulier s'agissant de leurs droits à la retraite et à la formation, et la loi PACTE impose que toutes les femmes qui travaillent en tant que conjoints-collaborateurs disposent désormais d'un véritable statut.

Il n'en demeure pas moins que très peu de femmes sont présentes dans les organisations patronales et dans les réseaux représentatifs de l'entrepreneuriat en général.

Cependant, les réseaux féminins prennent désormais part aux consultations et décisions des services relevant du ministre des petites et moyennes entreprises , comme l'a salué Marie Eloy en présence d'Alain Griset.

3. Une difficile conciliation des différents temps de vie

Paradoxalement peut-être, l'entrepreneuriat est parfois une manière de tenter de mieux concilier vie professionnelle et vie personnelle en obtenant la possibilité d'organiser son emploi du temps avec davantage de flexibilité.

Ophélie Héliès en a témoigné devant la délégation : « 46 % des femmes estiment qu'il est plus facile de concilier vie privée et vie professionnelle en étant cheffe d'entreprise. Il s'agit aussi parfois d'un choix. Je dispose de nombreux exemples de personnes que j'ai accompagnées au cours de ces dernières années qui disent se tourner vers l'entrepreneuriat parce qu'elles en ont envie mais aussi parce que ce poste leur permet de concilier plus facilement leur vie personnelle et leur vie professionnelle. Au sein de l'ADIE, nous finançons un grand nombre de femmes qui s'occupent seules de leurs enfants. Elles parviennent à être cheffes d'entreprise dans cette situation. Cela prouve donc que c'est possible . »

Pour autant, les femmes entrepreneures pâtissent elles aussi de l'inégale répartition des tâches domestiques , qui apparaît plus prononcée dans les territoires ruraux, ainsi que de l'insuffisance des modes de garde d'enfants, souvent trop éloignés ou trop coûteux.

Ainsi que l'indiquait Marie Eloy, « il est tout à fait possible de mener une carrière en étant mère avec une organisation et un partage des tâches équilibré avec un conjoint - ce qui n'est pas le cas dans la plupart des foyers. La situation est plus difficile pour les femmes seules. Le fait que les questions des femmes entrepreneures concernent la garde d'enfants est une réalité ».

Cette dernière a également relevé les difficultés spécifiques liées à la crise sanitaire auxquelles ont dû faire face les femmes entrepreneures : « Ce sont les femmes qui sont restées au foyer afin de garder les enfants en attendant l'ouverture des écoles. Quand elle est salariée, une femme passe à côté de promotions. Quand elle est entrepreneure, une femme n'a pas le droit aux allocations chômage alors qu'elle a investi toutes ses économies dans l'entreprise. En outre, les femmes entrepreneures, dont les entreprises sont moins viables que celles des hommes au démarrage, n'ont souvent pas pu prospecter ni générer de chiffre d'affaires entre les mois de mars et septembre derniers. Les aides du Gouvernement ont heureusement pu aider les femmes entrepreneures après ces six mois de forte fragilité. Elles ont utilisé ces aides en très grande majorité . »

4. Le poids des stéréotypes de genre et d'un manque de confiance en soi

La délégation a été sensible à ces propos d'Alain Griset, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargé des petites et moyennes entreprises : « À une échelle globale et plus particulièrement dans les territoires ruraux, se perpétue une certaine mentalité selon laquelle la création d'entreprise ne constituerait pas une bonne solution, et encore moins pour les jeunes femmes . »

Le manque de rôles modèles féminins apparaît particulièrement préjudiciable, comme en a témoigné Marie Eloy : « Aujourd'hui, parmi les personnalités les plus médiatisées en France dans les catégories patrons et business, on compte seulement 1 % de femmes. Dans les territoires, 55 % des dirigeantes d'entreprise sont incapables de citer le nom d'une entrepreneure inspirante. En outre, parmi les noms cités, les deux premiers sont ceux de Michelle Obama et d'Oprah Winfrey . »

Les stéréotypes de genre sont renforcés par un manque de confiance en elles dont font trop souvent preuve les femmes, selon un constat partagé par les diverses interlocutrices de la délégation, elles-mêmes pleinement investies dans leurs activités.

Ophélie Héliès note ainsi que « 35 % des femmes estiment ne pas posséder les compétences requises pour créer leur entreprise contre 23 % des hommes. Nombre d'entre elles ressentent un sentiment d'imposture. Elles se montrent plus prudentes dans leur parcours et elles sont beaucoup plus consommatrices de services d'accompagnement . »

De même, Marie-Christine Farges, élue de la Chambre de commerce et d'industrie de la Corrèze, gérante de la Minoterie Farges à Bar, relève que « les femmes rencontrent davantage de difficultés à accéder au poste de cheffe d'entreprise car elles sont moins nombreuses à demander des renseignements en ce sens. Les femmes restent encore dans leur statut de salariée et peinent à accéder à cette fonction de dirigeante d'entreprise. Seules 32 % des personnes demandant des renseignements à la CCI de la Corrèze sont des femmes. Parmi elles, seules 20 % concrétisent leur projet. Ce chiffre prouve qu'il existe encore des freins, à mon sens davantage familiaux que financiers . »

5. Un défaut de formation

Au cours de leurs études primaires et secondaires, peu de jeunes gens ont l'opportunité de découvrir le monde de l'entrepreneuriat et les compétences nécessaires à la création et au développement d'une entreprise. Par la suite, les offres de formation, permettant d'acquérir de telles compétences, sont plus limitées dans les territoires ruraux.

Selon Marie Eloy, parmi les femmes qui se reconvertissent dans l'entrepreneuriat qu'elle rencontre « 60 % n'ont pas effectué de business plan . Seules 12 % se financent. Si la quête de sens et l'envie sont présentes, les codes ainsi qu'une bonne connaissance des notions de rentabilité, de business et de chiffre d'affaires font défaut . » En outre, « les femmes estiment qu'elles sont encore 50 % à ne pas posséder le niveau de formation digitale suffisant pour surmonter la crise. »

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page