B. UN SUIVI ET UNE CONNAISSANCE PERFECTIONNÉS DE LA QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ POUR LES JUSTICIABLES ET LES CITOYENS

Depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, ainsi que la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution, tout justiciable estimant qu'une disposition législative en vigueur porte atteinte aux droits et libertés constitutionnellement garantis peut soulever une question prioritaire de constitutionnalité 16 ( * ) . Alors que les juridictions administratives s'étaient initialement saisies avec plus de vitalité du mécanisme de la QPC, le Conseil d'État et la Cour de cassation ont désormais des taux de transmission relativement voisins. Sur la période récente, la part occupée dans le total par les QPC reçues des juridictions judiciaires s'est accrue, notamment du fait d'un tassement du nombre de questions fiscales reçues du Conseil d'État et d'une augmentation du nombre des transmissions émanant de la chambre criminelle de la Cour de cassation 17 ( * ) .

Source : Titre VII, Hors-série consacré à la QPC, octobre 2020

L'un des objectifs du président Fabius est d'ériger la question prioritaire de constitutionnalité en « question citoyenne », d'autant que l'activité enregistrée au titre de cette procédure ne cesse de croître : 41 des 60 décisions prises par le Conseil au premier semestre 2021 en relèvent, contre 46 sur 81 en 2020 et 61 sur 109 en 2019 18 ( * ) . De plus, entre le 1 er septembre 2020 et le 31 août 2021 , le Conseil constitutionnel a été saisi de 83 QPC , contre 51 saisines QPC sur la période entre le 1 er septembre 2019 et le 31 août 2020 19 ( * ) .

Source : site du Conseil constitutionnel

En outre, la possibilité de recours accru aux QPC a pu être invoquée pour justifier les décisions du Conseil constitutionnel relatives au régime des ordonnances de l'article 38 de la Constitution. En effet, dans sa décision Force 5 du 28 mai 2020 20 ( * ) , le juge constitutionnel a considéré que, à l'expiration du délai de l'habilitation fixé par la loi, les dispositions d'une ordonnance prise sur son fondement ne peuvent plus être modifiées que par la loi dans les matières qui sont du domaine législatif 21 ( * ) et que, dès lors, à compter de cette date, elles « doivent être regardées comme des dispositions législatives ». Par une décision Sofiane A. du 3 juillet 2020 22 ( * ) , le Conseil constitutionnel a confirmé ce revirement de jurisprudence et a précisé que de telles dispositions devaient être regardées comme des dispositions législatives « au sens de l'article 61-1 de la Constitution ». Par suite, au terme du délai d'habilitation, le contrôle de leur conformité aux droits et libertés garantis par le Constitution relève du seul Conseil constitutionnel, dans le cadre d'une QPC.

En adoptant en première lecture le 4 novembre 2021, à une majorité de 322 voix contre 22 voix, la proposition de loi constitutionnelle garantissant le respect des principes de la démocratie représentative et de l'État de droit en cas de législation par ordonnance, le Sénat a marqué son opposition à cette conception et son attachement à la lettre et à l'esprit de l'article 38 de la Constitution. En effet, depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, l'article 38 précise que les ordonnances « ne peuvent être ratifiées que de manière expresse », ce qui suppose un vote du Parlement. Ainsi, selon les termes de la Constitution, les dispositions d'une ordonnance non ratifiée par le Parlement ne sauraient mécaniquement être regardées comme des dispositions législatives au sens de l'article 61-1 de la Constitution.

1. La concrétisation salutaire de la procédure de suivi des questions prioritaires de constitutionnalité

Partant du constat que les praticiens souffraient de l'absence de base de données des décisions QPC rendues par les juges du fond , le Conseil constitutionnel a appelé de ses voeux la mise en place d'un outil dématérialisé « pour que, dans le futur, chacun puisse plus aisément connaître la jurisprudence des deux ordres de juridiction et vérifier notamment si des QPC ont déjà été soumises aux juges du fond » 23 ( * ) .

Reporté du fait de la pandémie, un dispositif de recensement 24 ( * ) des décisions QPC rendues par l'ensemble des juridictions françaises devrait être mis en place d'ici la fin 2022 . L'alimentation du portail pourra notamment s'appuyer sur la démarche d'open data des deux ordres de juridiction , tout en nécessitant, préalablement à son application complète, un mécanisme transitoire de transmission directe de certaines décisions du Conseil constitutionnel par les juridictions concernées.

Un budget d'investissement pour 2022, à hauteur de près de 900 000 euros , vise à déployer un portail numérique. Cette enveloppe sera dédiée principalement au marché de réalisation du portail . Les documents de la consultation ont été publiés le 15 novembre 2021 et le marché sera notifié d'ici début février 2022. L'enveloppe permettra aussi la prise en charge d'un marché d'assistance à la maîtrise d'ouvrage , en cours de préparation. Le restant de l'enveloppe sera consacré, en priorité, au développement de contenus de présentation de la QPC, complémentaires de ceux déjà rendus accessibles sur le site internet du Conseil constitutionnel 25 ( * ) .

2. La poursuite de la tenue d'audiences délocalisées pour parfaire l'ancrage territorial de la question prioritaire de constitutionnalité

La connaissance de la procédure de la QPC sur tout le territoire national participe à l'ouverture du Conseil constitutionnel et à la meilleure connaissance de la QPC, aussi bien pour les justiciables que pour tous les citoyens. Même si les audiences hors les murs de la rue de Montpensier constituent une « délocalisation », elles peuvent être également envisagées comme une relocalisation, dans la mesure où elles permettent à la QPC « d'habiter les lieux où elle se pratique » 26 ( * ) .

Les audiences publiques en région ont débuté au palais de justice de Metz le 12 février 2019 pour l'examen de deux QPC relatives au financement de la sécurité sociale et à l'amélioration des rapports locatifs 27 ( * ) , puis à Nantes le 14 mai 2019 dans les locaux de la cour administrative d'appel 28 ( * ) , puis à la cour d'appel de Pau le 6 novembre 2019 29 ( * ) , et enfin le 4 mars 2020 à la cour administrative d'appel de Lyon 30 ( * ) . Le 16 novembre 2021 , le Conseil a rendu sa cinquième audience délocalisée à la cour d'appel de Bourges . Le Conseil constitutionnel a été précurseur de la mise en oeuvre de cette pratique auprès d'autres juridictions étrangères, et notamment la Cour suprême du Canada . Cette dernière, qui siège à Ottawa, a ainsi tenu à l'automne 2019 une audience à Winnipeg dans la province du Manitoba.

Les audiences délocalisées ne sont pas prévues par les textes , qu'il s'agisse de les autoriser ou de les proscrire. En effet, aucun texte concernant le Conseil constitutionnel n'impose que les audiences se déroulent au siège du Conseil constitutionnel. La seule exigence relative aux audiences QPC tient à leur « retransmission audiovisuelle diffusée en direct dans une salle ouverte au public dans l'enceinte du Conseil constitutionnel » conformément aux dispositions du deuxième alinéa de l'article 8 du Règlement intérieur sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité .

Si les audiences publiques en région peuvent entraîner certaines contraintes logistiques pour les acteurs locaux sur le terrain, il n'en demeure pas moins que, rapporté aux bénéfices de confiance des citoyens dans le système de justice constitutionnelle, le coût de ces audiences demeure assez limité . Il est de l'ordre de 20 000 euros par audience délocalisée . Le coût de la retransmission audiovisuelle en direct représente 70% de ces dépenses , les autres frais couvrant le transport et la restauration . De plus, l'audience délocalisée bénéficie d'un suivi puisque le président de Conseil constitutionnel retourne dans la ville le jour du rendu des décisions examinées dix jours plus tôt afin de rencontrer des étudiants en droit, leur commenter la décision prise et échanger avec eux, avec le Secrétaire général du Conseil constitutionnel 31 ( * ) . En parallèle de ce versant pédagogique des audiences délocalisées, le Conseil constitutionnel a également noué un partenariat intense avec le ministère de l'éducation nationale, à travers le lancement du concours « Découvrons notre Constitution » en 2016, ainsi qu'avec l'inauguration en 2021 de la « Fête de la Constitution », organisée dans les classes durant la semaine du 28 septembre au 4 octobre 2021 32 ( * ) .

Par ailleurs, chaque audience de ce type est préparée par une mission de reconnaissance sur place du Secrétaire général du Conseil constitutionnel , à laquelle prend part le service de la communication de l'institution. Cette mission permet d'identifier avec l'aide de la juridiction-hôte les correspondants de presse écrite ou audiovisuelle auxquels il peut être proposé d'assister à ces déplacements 33 ( * ) .

Le rapporteur salue une telle pratique ainsi que sa perpétuation dans d'autres villes . Il tient toutefois à souligner que le développement des audiences publiques en région mériterait de s'accompagner à l'avenir d'une définition claire des critères d'éligibilité des villes candidates à la tenue d'une audience délocalisée .

Pour l'heure, le Conseil constitutionnel alterne entre les juridictions administratives et les juridictions judiciaires qui se portent volontaires pour accueillir des audiences en leurs murs. Par ailleurs, l'organisation de ces audiences suit une procédure désormais éprouvée et d'ailleurs formalisée par le secrétariat général du Conseil constitutionnel au sein de son guide des procédures 34 ( * ) .

À l'instar des audiences délocalisées, les déplacements internationaux du Conseil constitutionnel participent eux aussi, mais à une autre échelle, au rayonnement du juge constitutionnel français.

La reprise des déplacements internationaux

Le Conseil constitutionnel tend à reprendre progressivement ses échanges internationaux. À ce titre, les crédits alloués aux relations extérieures s'élèvent pour 2022 à 1 614 719 euros , soit un montant constant par rapport à l'exercice précédent 35 ( * ) .

Le Conseil constitutionnel s'est rendu à la Cour constitutionnelle fédérale allemande de Karlsruhe du 28 juin au 1 er juillet 2021 . Trois sessions de travail ont été organisées et ont permis aux juges allemands et français d'échanger autour de la protection de l'environnement , de la coopération multiniveau des cours européennes et de la gestion de l'épidémie de Covid-19 . Afin de faciliter et de renforcer leurs relations, les homologues allemands et français se sont lancés dans une démarche active de traduction des décisions rendues. Ainsi, une version allemande du site internet du Conseil constitutionnel est désormais disponible (conseil-constitutionnel.fr/de).

À ce jour, plusieurs déplacements se dessinent pour 2022, avec notamment une participation au 9 e Congrès de l'Association des cours constitutionnelles francophones (ACCF) organisé en janvier prochain à Dakar sur le thème « Le juge constitutionnel et les droits de l'homme ». En outre, des échanges sont également envisagés avec la cour constitutionnelle autrichienne , et les cours constitutionnelles latines , sous réserve d'une évolution de la situation sanitaire.


* 16 L'article 61-1 de la Constitution dispose que « lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé ».

* 17 Depuis la naissance de la procédure, le Conseil constitutionnel a reçu 427 transmissions du Conseil d'État et 520 de la Cour de cassation.

* 18 Réponse au questionnaire budgétaire.

* 19 Rapports d'activité 2021 et 2020 du Conseil constitutionnel.

* 20 Conseil constitutionnel, décision n° 2020-843 QPC du 28 mai 2020.

* 21 Postérieurement à cette décision, le Conseil d'État a refusé de transmettre une QPC portant sur une ordonnance non ratifiée pour laquelle le délai de ratification avait expiré : CE, 11 juin 2020, Patry, n° 437851, C.

* 22 Conseil constitutionnel, décision n° 2020-851/852 QPC du 3 juillet 2020.

* 23 Titre VII, Avant-propos du Président Laurent Fabius, Hors-série, octobre 2020.

* 24 Il ne s'agira pas d'un outil de dématérialisation des procédures suivies devant ces différentes juridictions, la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel étant d'ores et déjà entièrement dématérialisée.

* 25 Réponses au questionnaire budgétaire complémentaire.

* 26 Mathieu DISANT, La délocalisation du Conseil constitutionnel, JCP G , n° 6, 2019.

* 27 Le Conseil a analysé deux QPC pour lesquelles il a rendu la décision n°2018-766 QPC du 22 février 2019, Mme Sylviane D. [Majoration du dépôt de garantie restant dû à défaut de restitution dans les délais prévus] et la décision n° 2018-767 QPC du 22 février 2019 Société ODDO BHF [Exclusion de l'assiette des cotisations sociales des actions attribuées gratuitement].

* 28 Deux QPC ont été audiencées pour lesquelles le Conseil a rendu la décision n° 2019-785 QPC du 24 mai 2019, M. Mario S. [Point de départ du délai de prescription de l'action publique en matière criminelle] et la décision n° 2018-768 DC du 26 juillet 2018, Loi relative à la protection du secret des affaires.

* 29 Le Conseil a analysé deux QPC pour lesquelles il a rendu la décision n° 2019-812 QPC du 15 novembre 2019, M. Sébastien M. et autre [Suppression de l'abattement pour durée de détention sur les gains nets retirés des cessions d'actions et de parts sociales] et la décision n° 2019-813 QPC du 15 novembre 2019, M. Calogero G. [Exigence d'agrément pour l'exonération d'impôt sur le revenu des titres représentatifs d'un apport partiel d'actif par une société étrangère.

* 30 Le Conseil a analysé deux QPC pour lesquelles il a rendu la décision n° 2019-830 QPC du 12 mars 2020, Conseil national des centres commerciaux [Délivrance des autorisations d'exploitation commerciale] et la décision n° 2019-831 QPC du 12 mars 2020 M. Pierre V. [Limitation géographique de l'intervention du défenseur syndical].

* 31 Site du Conseil constitutionnel.

* 32 Rapport d'activité 2021 du Conseil constitutionnel.

* 33 Réponse au questionnaire budgétaire complémentaire.

* 34 Réponses au questionnaire budgétaire complémentaire.

* 35 1 614 779 euros avaient été ouverts par la loi de finances initiale pour 2021.

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