Rapport d'information n° 217 (2021-2022) de MM. Pascal ALLIZARD et Yannick VAUGRENARD , fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, déposé le 24 novembre 2021

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N° 217

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2021-2022

Enregistré à la Présidence du Sénat le 24 novembre 2021

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur l' environnement et la prospective de la politique de défense ,

Par MM. Pascal ALLIZARD et Yannick VAUGRENARD,

Sénateurs

(1) Cette commission est composée de : M. Christian Cambon , président ; MM. Pascal Allizard, Olivier Cadic, Olivier Cigolotti, André Gattolin, Guillaume Gontard, Jean-Noël Guérini, Joël Guerriau, Pierre Laurent, Philippe Paul, Cédric Perrin, Gilbert Roger, Jean-Marc Todeschini , vice-présidents ; Mmes Hélène Conway-Mouret, Joëlle Garriaud-Maylam, Isabelle Raimond-Pavero, M. Hugues Saury , secrétaires ; MM. François Bonneau, Gilbert Bouchet, Mme Marie-Arlette Carlotti, MM. Alain Cazabonne, Pierre Charon, Édouard Courtial, Yves Détraigne, Mmes Catherine Dumas, Nicole Duranton, MM. Philippe Folliot, Bernard Fournier, Mme Sylvie Goy-Chavent, M. Jean-Pierre Grand, Mme Michelle Gréaume, MM. André Guiol, Abdallah Hassani, Alain Houpert, Mme Gisèle Jourda, MM. Alain Joyandet, Jean-Louis Lagourgue, Ronan Le Gleut, Jacques Le Nay, Mme Vivette Lopez, MM. Jean-Jacques Panunzi, François Patriat, Gérard Poadja, Stéphane Ravier, Bruno Sido, Rachid Temal, Mickaël Vallet, André Vallini, Yannick Vaugrenard .

L'ESSENTIEL

Principaux constats et préconisations

D'un montant de 1,77 milliard d'€, en hausse de 5,6 % par rapport à 2021, le budget pour 2022 du programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense » dépasse l'objectif de croissance fixé par la LPM 2019-2025 dont la hausse pour l'ensemble de la mission « Défense » est de 3,9 %.

Cette évolution confirme le maintien au rang des priorités du ministère des armées des missions stratégiques que représentent la recherche et l'exploitation du renseignement intéressant la sécurité de la France, la préparation des capacités militaires futures par la recherche et l'innovation. Toutefois, la trajectoire budgétaire 2022 est inégalement répartie .

En matière de renseignement , la priorité est donnée à la modernisation de la Direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD) dont les crédits passeront de 18,4 M€ à 35,4 M€, soit + 92,4 %. En revanche, après une hausse de 11 % des crédits dédiés en 2021, on observe une contraction de 3,6 % des crédits de fonctionnement, d'équipement et d'intervention de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE). La progression des crédits de personnel au titre du programme 212 doit être soulignée mais elle ne fait qu'accroitre l'attention portée par les rapporteurs à la probable sous-dotation de la DGSE et de la DRSD en crédits de fonctionnement .

En matière de recherche et innovation , l'engagement de porter à 1 milliard d'€ les crédits d'études amont est respecté . Toutefois, trois points de vigilance majeurs sont soulevés :

• la mobilisation effective des crédits d'études amont supplémentaires ;

• la dotation de l'Office national d'études et de recherches aérospatiales (ONERA) ;

l'accès au financement bancaire des PME et PMI de la base industrielle et technologique de défense (BITD).

***

Réunie le mercredi 24 novembre 2021, sous la présidence de M. Philippe Paul, vice-président, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a donné acte de leur communication aux rapporteurs et en a autorisé la publication sous la forme d'un rapport d'information, la forme initiale de l'avis budgétaire étant devenue sans objet à la suite du rejet par le Sénat, le 23 novembre 2021, du projet de loi de finances pour 2022.

I. LES ENGAGEMENTS BUDGÉTAIRES DE LA LPM 2019-2025 SONT TENUS MAIS INÉGALEMENT RÉPARTIS

Hausse globale du budget du programme 151 est inégalement répartie...

... entre 0,8 % pour le renseignement (DGSE et DRSD)...

... et 11 % pour le financement de la prospective de défense relative aux études amont.

Entre les crédits votés en LFI 2021 et la prévision du PLF 2022, le programme 144 progresse de 93 M€ essentiellement fléchés vers la prospective de défense (+ 90 M€). Compte tenu de l'actualisation de la revue stratégique 2021, actant l'apparition de menaces nouvelles et la montée en puissance de compétiteurs régionaux, en méditerranée orientale et au Moyen-Orient, cet effort accru en matière de recherche et d'innovation s'inscrit dans l'analyse que fait la direction générale des relations internationales et de la stratégie, en charge du pilotage du programme 144, sur « les stratégies hybrides [qui] nous imposent une agilité inédite » 1 ( * ) . Cette priorité est bien prise en compte au profit de la prospective de défense (cf. tableau ci-dessous).

Évolution des crédits de paiement du programme 144

(en millions d'euros)

LFI 2021

PLF pour 2022

Évolution 2021-2022

Action 3 : Recherche et exploitation du renseignement intéressant la sécurité de la France

406.3

409.5

0,8%

Sous-action 3-1 Renseignement extérieur

387.9

374.1

-3,6%

Sous-action 3-2 Renseignement de sécurité de défense

18.4

35.4

92,4%

Action 7 : Prospective de défense

1 237.7

1 327.7

7,3%

Sous-action 7-1 Analyse stratégique

9.3

8.7

-6,5%

Sous-action 7-2 Prospective des systèmes de forces

22.3

22.6

1,3%

Sous-action 7-3 Etudes amont

901.0

1 001.8

11,2%

Sous-action 7-4 Gestion des moyens et

subventions

305.1

294.6

-3,4%

Action 8 : Relations internationales et diplomatie de défense

40.7

41.3

1,5%

TOTAL

1 684.7

1 778.4

5,6%

Source : DGRIS

Mais les rapporteurs pour avis remarquent que le budget du renseignement extérieur marque le pas - peut-être au plus mauvais moment - alors que s'accumulent les adversités provenant de nos compétiteurs (comportements agressifs dans l'espace de la part de la Russie, expérimentation de planeurs hypersoniques transcontinentaux par la Chine, menaces cyber tous azimuts, etc.) mais aussi de nos propres alliés, qu'il s'agisse du retrait américain précipité d'Afghanistan, de l'annulation du contrat australien des sous-marins Naval Groupe de classe Attack au profit de l'alliance AUKUS, ou encore de la survenue de coups d'état au Mali et dans d'autres pays partenaires d'accord de défense avec la France.

Plus que jamais, le contexte stratégique nous impose de décrypter les signaux faibles pour prévenir les attaques les plus immédiates et les menaces de demain. La fonction de recherche et d'anticipation du renseignement doit être renforcée, sans attendre la prochaine marche budgétaire de 2023, pour légitimement éprouver la fiabilité de nos partenaires, pour rester influents et écoutés.

Si notre ambition en matière de souveraineté nationale doit rester élevée, la question se pose de réorienter nos moyens pas seulement pour se maintenir à niveau dans la compétition internationale (expérimentation de capacités spatiales, poursuite de l'effort sur les technologies de rupture et de dissuasion, etc.) mais surtout pour rattraper nos compétiteurs directs et nos partenaires (développement de solutions souveraines d'outils cyber, capacités d'observation sur tout le spectre des moyens de renseignement, etc.). Il s'agit de conforter nos domaines d'excellence sans accumuler les retards sur d'autres priorités (drones, effectifs cyber combattants, etc.).

II. CLARIFIER NOS OBJECTIFS POUR LE RENSEIGNEMENT : SE MAINTENIR À NIVEAU OU RATTRAPER NOS CONCURRENTS ?

Fixés à 409 M€ , l'évolution des crédits de l'action 3 « Recherche et exploitation du renseignement intéressant la sécurité de la France », en hausse de seulement 0,8 %, est très fortement contrastée entre une baisse des dépenses de fonctionnement, d'équipement et d'intervention de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) et une progression de 92 % de ceux de la Direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD) pour laquelle l'année 2022 correspondra à un saut qualitatif majeur.

A. LA HAUSSE DES CRÉDITS DE LA DGSE MARQUERA UNE PAUSE EN 2022

Après la hausse de 11 % de ses crédits en 2021, qui ont atteint 388 M€, le budget de la DGSE fléchira de 3,6 % en 2022 pour s'établir à 374 millions d'euros . Tandis que les dépenses de fonctionnement resteront stables à 197 M€, la réduction impactera plus particulièrement les dépenses d'investissement (177 M€ contre 190 M€ en 2021) et dans une moindre mesure les dépenses d'intervention (235 000 € pour 2022 au lieu de 280 000 €). Cette « pause » budgétaire est présentée comme conforme à la trajectoire prévue en LPM, la prochaine marche devant intervenir en 2023 conformément à l'engagement d'abonder de 45 M€ supplémentaire le budget de la DGSE tous les 2 ans à partir de 2021.

Selon les réponses apportées à vos rapporteurs par la DGRIS, il convient de resituer la diminution des crédits de fonctionnement par rapport au contexte de 2021. En effet, la hausse significative précédemment évoquée en PLF 2021 était conjoncturelle et correspondait au lancement de la réalisation du projet du nouveau siège de la DGSE. En conséquence, la diminution en AE et CP au PLF 2022 doit être relativisée. Il s'agirait donc d'une « baisse optique des crédits concernant le renseignement extérieur ». De fait, les rapporteurs ont pris note que la notification du marché principal liée à la construction du bâtiment du futur siège aura lieu en 2022. Ils prennent donc date pour que le futur PLF 2023 intègre en conséquence les crédits d'investissement nécessaires aux travaux.

Les dépenses de personnel (titre II) de la DGSE sont prises en charge par le programme 212. Elles représenteront 498 M€ en 2022 pour 5745 ETPT (contre 492 M€ en 2021 pour 5641 ETPT 2 ( * ) ) mais cet effort en matière d'effectif reste insuffisant pour maintenir le budget global de la DGSE pour 2022 (872 M€ y compris le titre II) au niveau de 2021 (880 M€) . En complément de ce plafond d'emploi, la ministre des armées a annoncé le recrutement de « 770 cyber-combattants en plus des 1 100 initialement prévus » 3 ( * ) d'ici à 2025 afin de porter leur nombre total à 5 000. Il est prévu que la DGSE bénéficie d'une part importante de ces créations de postes, dont une partie dès 2022.

La course technologique et l'augmentation des effectifs techniques sont la condition sine qua non pour ne pas décrocher par rapport à nos alliés notamment britannique et américain . Cela pose la question de l'attractivité des conditions de recrutement et de fidélisation par rapport aux niveaux de rémunération du secteur privé dans le numérique et le cyber, donc d'un effort accru sur les crédits de titre II.

Éléménts de comparaison des effectifs dédiés aux systèmes d'informtion et de communication (SIC)

Plus de 35 000 agents au sein de la National Security Agency (NSA)

Environ 6 500 agents pour le seul Government Communications Headquarters (GCHQ) sans compter les effectifs du MI6 et du MI5

Environ 2 700 ETPT au sein de la direction technique de la DGSE soit environ 50 % du nombre total d'ETPT

Plus de 1 000 agents au département technique et télécommunication du Bundesnachrichtendienst (BND) sur un total de 6 500 agents

Source : ordre de grandeur en données ouvertes

L'accroissement de la puissance capacitaire du service (cf. encadré ci-dessous) passe également par le projet de déménagement du siège de la DGSE du boulevard Mortier à Paris vers le Fort neuf de Vincennes afin de disposer d'une emprise de 380 000 m 2 et de 6 000 postes de travail en un même lieu. En application de l'annonce présidentielle du 6 mai dernier, le projet dont le coût estimatif est de 1,4 milliard d'€, a d'ores et déjà commencé sous l'actuelle LPM, avec la notification du marché principal du projet nouveau siège ainsi que la poursuite du programme de rénovation des bâtiments existants sur l'ensemble des emprises du service (440 M€), et se poursuivra principalement durant la prochaine LPM (890 M€ auxquels s'ajouteront les frais d'aménagement du Fort pour l'hébergement Sentinelle et le réaménagement des locaux libérés sur le dite Mortier).

Les priorités de la DGSE définies par le plan stratégique dans le cadre de la LPM

o Garantir la résilience des infrastructures ;

o Accroître les capacités d'action ;

o S'adapter aux menaces cyber et à l'accélération des enjeux technologiques (numérique et espace) ;

o Mutualiser des dispositifs techniques au bénéfice de l'ensemble de la communauté du renseignement ;

o Poursuivre les projets d'infrastructure (dont le lancement du marché principal pour l'opération de déménagement à Vincennes).

B. 2022 : UNE ANNÉE DE MODERNISATION MAJEURE POUR LA DRSD,
« LE PREMIER SERVICE ENQUÊTEUR DE FRANCE »

Premier service enquêteur de France avec une cible de 350 000 enquêtes administratives réalisées en 2021, la DRSD va connaître en 2022 une transition majeure et inédite justifiant une hausse de 92 % de ses crédits de paiements : ceux-ci passeront de 18,4 M€ (hors dépenses de personnel) à 35,4 M€. Cette progression est concentrée sur des dépenses d'investissement sur les projets suivants :

o La construction d'un nouveau bâtiment de 646 places pour la direction centrale ;

o Le développement d'un système d'information de renseignement de contre-ingérence de défense (SIRCID) et des capacités techniques cyber ;

o La poursuite de l'automatisation du processus d'habilitation .

Le budget d'investissement pour 2022 s'établira à 23 millions d'euros contre 4,8 millions d'euros en 2021.Dans le même temps, les dépenses de personnel prises en charge par le programme 212 vont augmenter : de 124,72 millions d'euros pour 2021, elles s'établiront à 131,98 millions d'euros en 2022, soit une hausse de 5,8 %. Par rapport à 2021 où les effectifs étaient de 1 540 agents, le niveau des effectifs prévu pour 2022 poursuivra sa progression à 1 590 ETPT dans l'objectif d'atteindre en 2024 un total de 1 700 agents.

À l'inverse, les dépenses de fonctionnement vont diminuer : de 13,57 M€ pour 2021, elles baisseront de 9,2 % pour s'établir à 12,32 M€ en 2022. Les rapporteurs pour avis s'interrogent sur la sincérité de cette prévision alors même que la consommation de crédits en 2020, qui a été de 13,21 M€, s'est établie dans un contexte de baisse d'activité liée à la crise sanitaire (réduction des missions et notamment des déplacements aériens, non remplacement de véhicules de fonction, etc.). Compte tenu du retour à une activité « normale » en 2022, cette courbe de réduction des dépenses de fonctionnement n'est-elle pas « trop volontariste » ou sous-budgétée alors même qu'il est fait état de menaces nouvelles sur nos sites de défense et les entreprises de la BITD ?

C. OBSERVATIONS COMMUNES À LA DGSE ET LA DRSD

L'année 2022 se présente comme une marche très importante dans la montée en puissance de la DGSE (recrutements et développements cyber) et de la DRSD (crédits d'investissement presque quintuplés, hausse des effectifs), mais deux motifs de vigilance demeurent :

- Les crédits de fonctionnement de la DGSE restent au même niveau que l'année précédente et ceux de la DRSD baisse de plus de 9 %. La perspective d'ouvertures de crédits supplémentaires en 2022 apparaît d'ores et déjà probable et souhaitable ;

- L'objectif stratégique de la LPM 2019-2025 est-il à la hauteur des besoins de rattrapage capacitaire ou ne se limite-t-il pas qu'à un simple maintien à niveau ?

III. LA PROSPECTIVE ET L'INNOVATION DE DÉFENSE AU DÉFI DU FINANCEMENT PUBLIC ET PRIVÉ

A. PLUS 11 % EN 2022 : L'ENGAGEMENT DE LA LPM DE PORTER À 1 MILLIARD LES CRÉDITS DES ÉTUDES AMONT EST TENU

Les crédits de paiement affectés aux études amont sont en hausse conformément à la trajectoire de la LPM : de 821 M€ en LFI 2020, ils ont progressé à 901 M€ en 2021 et atteindront 1 milliard d'€ pour 2022. S'y ajouteront pour 2022, 117 M€ de subventions de recherche et technologie (R&T), en baisse par rapport à 2021 (132,9 M€ en LFI 2021).

Source : Agence de l'innovation de défense

La contribution de la DGRIS met en lumière les priorités du PLF pour 2022 sur les technologies de rupture et les démonstrateurs innovants. Les principaux engagements concernent la préparation du renouvellement des capacités de renseignement et de télécommunications spatiales, les études du MGCS (Main Ground Combat System) en coopération franco-allemande, les technologies qui concourent au Système de combat aérien du futur (SCAF), aux évolutions du programme Rafale et des planeurs hypersoniques. Les nouvelles thématiques d'innovation incluent la lutte anti-drones, l'hypervélocité, le quantique et l'énergie.

Répartition des crédits d'études amont par domaine d'innovation

(en millions d'euros)

LFI 2021

PLF 2022

Part
du total

Evolution 2021/2022

Dissuasion

191

202

20%

6%

Aéronautique et missiles

229

258

26%

13%

Information et renseignement classique

123

103

10%

-16%

Espace

42

85

8%

103%

Naval

28

42

4%

50%

Terrestre, NRBC et santé

93

71

7%

-24%

Technologies transverses

78

106

11%

36%

Recherche et captation innovation

117

135

13%

15%

Total

901

1002

100%

11%

Source : réponse du ministère des armées au questionnaire budgétaire

Toutefois les auditions menées par les rapporteurs auprès des industriels de la défense (GICAN, GIFAS et GICAT) font apparaître deux motifs de préoccupations :

- la part des domaines d'innovation dans le renseignement ainsi que dans le terrestre régresse alors même que pour ce dernier, il est rappelé que les études associées au développement du programme Scorpion ne sont pas terminées . Ainsi que l'a rappelé par ailleurs le chef d'état-major des armées par le concept de « gagner la guerre avant la guerre » décliné dans la doctrine d'emploi des forces terrestres, la recherche et l'innovation dans la numérisation du champ de bataille et sa déclinaison multi-milieux doivent être renforcées ;

- d'autre part, il faut tirer parti du retour d'expérience de l'exécution budgétaire de 2020 où 121 M€ d'autorisations d'engagement et 65 M€ de crédits de paiement sur les 821 M€ alloués n'ont pas été consommés 4 ( * ) au sein du programme 144. Aussi faut-il rappeler et veiller à ce que la concrétisation budgétaire du milliard d'€ d'études amont soit bien fléchée au sein de ce programme .

B. CONFORTER LES MOYENS DE L'ONERA DANS LE CADRE DU NOUVEAU CONTRAT D'OBJECTIFS ET DE PERFORMANCE (COP) POUR 2022-2026

L'Office national d'études et de recherches aérospatiales (ONERA) est l'opérateur chargé de la recherche fondamentale et de l'innovation dans le domaine de l'aéronautique et de l'espace. Il avait été rappelé pour 2021 la « situation anachronique » par laquelle cet opérateur était enfermé dans une logique de décroissance avant la LPM actuelle. L'augmentation de 106 M€ à 110 M€ en 2021 avait été saluée par les rapporteurs comme un « revirement bienvenu, quoique tardif et limité ».

Que dire alors de la prévision, en baisse pour 2022, de la subvention pour charges de service public (cf. encadré ci-dessous) ? Elle apparaît contre-intuitive, voire contradictoire, par rapport aux objectifs fixés par le ministère des armées de renforcement du lien entre l'opérateur et la délégation générale à l'armement (DGA) 5 ( * ) , de participation au plan de relance 6 ( * ) , mais aussi d'évolution des effectifs.

Chiffres clés de l'ONERA pour 2022

Le niveau de subvention pour charges de service public de l'ONERA au titre de l'année 2022 s'élève à 108,9 M€, en baisse de -1,1 M€ par rapport à la LFI 2021 (110 M€).

Le budget global de l'ONERA est de 237 millions d'euros, dont plus de la moitié provient donc de contrats commerciaux.

L'ONERA connaitra une hausse de son plafond d'emplois de +15 ETPT (soit 1775 ETPT pour 2022 contre 1760 ETPT en 2021) afin de pouvoir recruter les personnels lui permettant notamment d'adapter son activité, en cohérence avec les perspectives 2022. Les emplois hors plafond restent stables à 139 ETPT. Au total, le nombre d'emplois rémunérés par l'opérateur passera de 1899 à 1914 ETPT.

Ce sujet prend une acuité particulière puisque le PLF 2022 constituera la première annuité du COP 2022-2026. L'autorité de tutelle inscrit l'ONERA dans une LPM qu'elle qualifie elle-même de « particulièrement ambitieuse dans laquelle l'Office est sollicité (lancement de grands programmes aéronautiques dont le SCAF, dissuasion, innovation...) dans les perspectives du post-COVID (incertitudes industrielles, mais aussi le plan de relance de l'économie et le 4ème volet du programme d'investissement d'avenir) ». Ce contexte justifierait au contraire une progression de la subvention pour la mettre en accord avec les charges nouvelles de service public .

Visite du siège de l'ONERA à Palaiseau (16 novembre 2021)

Accueil par M. Bruno SAINJON, PDG

Banc d'essai de stratoréacteur

Pales Blue Edge développées par l'ONERA utilisées par Airbus pour l'hélicoptère H 160

Satellite MICROSCOPE du CNES,
équipé des accéléromètres de l'ONERA

De plus, la question du recrutement revêt plusieurs dimensions :

- celle du plafond d'emploi, certes en progression, mais qui semble excessivement contraint au regard des « objectifs de valorisation » fixés par la tutelle pour accroître la part des contrats commerciaux. À cet égard, la performance de l'opérateur dans ce domaine est à souligner dans la mesure où il atteindra 140 M€ de prise de commande au cours de l'année ;

- le revers d'une contrainte trop étroite tant en matière budgétaire que d'effectif se matérialise dans le risque de flécher les ressources vers les études de court terme au détriment de la recherche fondamentale et du développement à long terme pour lesquels la subvention publique se justifie . Il est rappelé que des applications duales et concrètes en matière de défense (pales « boomerang » utilisées par le futur hélicoptère H 160, gravimétrie quantique pour des usages spatiaux et le recalage des centrales inertielles) sont issues de la recherche fondamentale. La décarbonation du transport aérien comme le soutien aux start up sont également de nouvelles frontières technologique à prendre en compte dans le futur COP 2022-2026.

La réponse de la DGRIS selon laquelle les futurs recrutements « ne pourront être réalisés que sur des ressources contractuelles » et qu'à cet effet une modification a été portée par la Direction générale de l'administration et de la fonction publique (DGAFP) pour permettre à l'ONERA « d'esquiver le plafond de recrutement, de bien payer les contractuels et d'embaucher des personnes qualifiées pour des missions limitées dans le temps » constitue un début bienvenu de solution, mais il ne saurait justifier, à lui seul, la réduction du financement public de la recherche fondamentale et de l'innovation. Il faudrait également permettre à l'Office de poursuivre la démarche, amorcée en 2020, de rattrapage des écarts de salaires avec son environnement proche, lesquels seront probablement plus élevées dans les prochaines années.

Les rapporteurs préconisent que le montant de la subvention pour charge de service public augmente a minima au prorata des charges nouvelles imposées par l'autorité de tutelle , notamment au titre de la convention ONERA/DGA, du plan de relance et des nouveaux objectifs du COP 2022-2026. Dans le cadre d'un resoclage budgétaire, l'ordre de grandeur indicatif de l'étiage à l'orée du nouveau COP doit continuer à progresser au-delà des 110 M€ et non régresser.

C. SÉCURISER L'ACCÈS DES PME ET PMI DE LA BITD AU FINANCEMENT BANCAIRE

Enfin, les rapporteurs ont souhaité revenir sur l'impact tangible pour les industries de défense des difficultés d'accès au financement bancaire par les entreprises de la BITD pour le financement de l'innovation.

Au regard de l'absence de progrès réalisé entre les industries de défense, l'État et les banques autour de cette question, un nouveau tour de table a été réalisé pour faire le point sur les constats effectués à l'occasion de l'examen du PLF 2021 concernant les difficultés rencontrées en particulier par les PME et PMI auprès du secteur bancaire et les 3 préconisations visant :

- à ouvrir un dialogue entre l'Etat, principalement la DG Trésor, le Médiateur national du crédit, l'Autorité de contrôle prudentiel et de régulation (APCR), les entreprises de la BITD et les banques ;

- à assumer une pédagogie et une communication autour de l'autonomie stratégique de la France au travers de son industrie de défense ;

- et à la soutenir par divers moyens : souveraineté économique, actions concertées au niveau européen pour s'affranchir des sanctions extraterritoriales américaines, constitution d'une BITD européenne, etc.

Depuis l'an dernier, on peut clairement discerner une pression accrue du contexte international sur la sphère bancaire . Sont à l'oeuvre des mécanismes classiques tels que le retrait officiel de certains pays (la Norvège) de certaines banques (HSBC) du financement d'opérations d'armement . Sur le front des ONG, la pratique du « name and shame » se développe tout particulièrement pour l'application du traité sur l'interdiction des armements nucléaires (TIAN) qui est entrée en vigueur le 22 janvier 2021, mais dont il faut rappeler que les pays détenteurs de l'arme nucléaire ne sont pas signataires. Cette pratique vise à désigner les industries d'armement et les banques qui les financent .

S'il ne faut pas négliger l'impact de ces pratiques, quel que soit le soutien qui puisse être attribué à leur cause, la DG Trésor a confirmé qu'en aucun cas les banques françaises ne s'étaient retirées, du moins officiellement du financement des industries de défense . À la demande insistante des rapporteurs pour avis, l'administration a toutefois livré les conclusions d'une enquête qui confirme et objective le phénomène :

• 40 % des entreprises ne rencontrent pas de difficultés de financement ;

• 60 % en rencontrent avec dans la moitié des cas des difficultés dues à la nature du pays de destination des exportations d'armes (pays sensibles, situation des droits humains, etc.) et dans l'autre moitié des cas des difficultés inhérentes à la surface ou la fragilité financière de l'entreprise (petits contrats, prestations de maintenance, etc.).

Parmi les causes de ce phénomène figure en premier lieu une « inflation des exigences bancaires », sous l'effet du développement de l'analyse du risque coût/image et des procédures internes de conformité ( compliance, due diligence, know your customer , etc.), mais aussi d'un « double langage » défavorable aux PME et PMI : oui aux « gros contrats qui rapportent », mais non aux petits contrats qui présentent un risque réputationnel supérieur au gain escompté. Les rapporteurs pour avis ont annoncé « ne pas lâcher l'affaire » et poursuivre leurs consultations sur ce sujet vital pour l'industrie de défense française .

L'autonomie stratégique en matière de BITD impose une réflexion, d'une part, sur le respect bancaire des autorisations d'exportation délivrées par la Commission interministérielle pour l'étude des exportations de matériels de guerre (CIEEMG), d'autre part, sur la constitution d'un fonds souverain de défense fédérant et allant au-delà des dispositifs actuels : DEFINVEST et Fonds d'innovation de la défense (FID) 7 ( * ) .

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 24 novembre 2021, sous la présidence de M. Philippe Paul, vice-président, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a procédé à l'examen du rapport de MM. Pascal Allizard et Yannick Vaugrenard, sur les crédits de l'environnement et de la prospective de la politique de défense.

M. Pascal Allizard, rapporteur. - À l'instar des programmes 146 et 178, les crédits du programme 144 s'inscrivent dans la trajectoire de la loi de programmation militaire (LPM). D'un montant de 1,77 milliard d'euros, ce programme augmentera de 5,6 % par rapport à 2021, soit un peu plus que les 3,9 % de croissance de l'ensemble du budget de la mission « Défense ».

Toutefois, cette hausse est inégalement répartie, avec 0,8 % pour le renseignement - direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) et direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD) - et 11 % pour le financement des études amont et la prospective de défense.

En matière de recherche et innovation, l'engagement de porter à 1 milliard d'euros les crédits d'études amont est respecté. Pour autant, nos auditions ont mis en lumière trois points de vigilance majeurs.

Concernant la mobilisation des crédits d'études amont supplémentaires, nous avons observé, avec les groupements d'industriels de la défense, deux motifs de préoccupations. Tout d'abord, la part des crédits affectés à la recherche dans le renseignement et le terrestre régresse. Or, les études associées au développement du programme Scorpion, par exemple, ne sont pas achevées. Le chef d'état-major de l'armée de terre a rappelé devant la commission que le concept de « gagner la guerre avant la guerre » devait se traduire dans la doctrine d'emploi des forces terrestres par davantage de recherche et d'innovation dans la numérisation du champ de bataille.

Nous avons également constaté que, sur les 821 millions d'euros de crédits alloués en 2020, 121 millions d'euros d'autorisations d'engagement (AE) et 65 millions d'euros de crédits de paiement (CP) n'avaient pas été consommés ; il faudra donc veiller à ce que le milliard d'euros d'études amont soit bien fléché et dépensé.

Un autre point de vigilance concerne l'Office national d'études et de recherches aérospatiales (Onera) et le nouveau contrat d'objectifs et de performance (COP) en train d'être négocié pour la période 2022-2026. Il faut signaler la validation des objectifs du précédent COP et dire que l'Onera revient de loin. Nous avions noté, l'an dernier, que l'augmentation de 106 à 110 millions d'euros en 2021 était un « revirement bienvenu, quoique tardif et limité » après des années de décroissance ; alors, que dire de la prévision en baisse pour 2022 de la subvention pour charges de service public...

Envisager une diminution de crédits dès la première année du nouveau COP ne semble pas justifié ; il y a comme une contradiction à donner moins et demander plus. Je peux citer, par exemple, le renforcement du partenariat entre l'opérateur et la délégation générale à l'armement (DGA), mais aussi sa participation au plan de relance. Le montant de la subvention pour charge de service public doit progresser, a minima , au prorata des charges nouvelles imposées par l'autorité de tutelle. L'ordre de grandeur se situe davantage autour de 120 millions d'euros que de 108 millions d'euros.

Enfin, je souhaite revenir sur les problèmes d'accès au financement bancaire des petites et moyennes entreprises (PME) et petites et moyennes industries (PMI) de la base industrielle et technologique de défense (BITD). Ce sujet, que nous avions défriché l'an dernier, mérite d'être approfondi. Nous avions observé une forme de déni de la part de l'État et des banques, en décalage avec les difficultés rencontrées en particulier par les petites entreprises et start-up de défense.

On peut clairement discerner un mouvement de restriction sur le financement des activités de défense, avec le retrait officiel de certains pays - la Norvège par exemple - et de certaines banques - HSBC - de toute opération d'armement. Sur le front des organisations non gouvernementales (ONG), la pratique du « name and shame » se développe plus particulièrement encore depuis que le traité sur l'interdiction des armements nucléaires est entré en vigueur, le 22 janvier dernier. Rappelons que les pays détenteurs de l'arme nucléaire ne sont pas signataires ; ce traité ne s'applique donc pas à la France.

La direction générale du Trésor nous a confirmé qu'en aucun cas les banques françaises ne s'étaient retirées du financement des industries de défense. Pour information, la première partie de cette audition a été marquée par un déni total ; il a fallu lourdement insister pour enfin parler du sujet.

L'administration a procédé à une enquête ; celle-ci a révélé que 60 % des entreprises de défense ont rencontré des difficultés de financement à l'export. Dans la moitié des cas, ces difficultés sont dues à la nature du pays de destination des exportations d'armes - une dizaine de pays sensibles, comme l'Arabie saoudite. Dans l'autre moitié des cas, il s'agit de difficultés inhérentes à la surface ou la fragilité financière de l'entreprise.

Il y a donc clairement un double langage des banques qui acceptent de financer les « gros contrats » - Rafale, frégates et autres -, mais pas les « petits contrats » pour lesquels le risque prime.

Nous estimons que l'autonomie stratégique de notre industrie impose une réflexion sur l'articulation entre la procédure d'autorisation d'exportation délivrée par la commission interministérielle pour l'étude des exportations de matériels de guerre (CIEEMG) et les méthodes d'analyse et de conformité mises en oeuvre par les banques.

Nous sommes arrivés à cette situation paradoxale où l'autorisation gouvernementale d'exportation ne produit aucun effet sur l'autorisation de financement. Quand un pays est capable de ce genre de contradiction, il est grand temps qu'il se remette en question. Cela doit aussi nous inciter à réfléchir à une solution de fonds souverain de défense.

M. Yannick Vaugrenard, rapporteur. - J'ajoute aux observations de Pascal Allizard que le contexte stratégique nous impose de décrypter des signaux qui peuvent apparaître comme faibles aujourd'hui, afin de prévenir les menaces de demain et aussi de tester la fiabilité de nos propres alliés. Cependant, les propos de notre ministre des affaires étrangères et de notre ministre des armées n'avaient rien de rassurant quant à notre capacité à être écouté et respecté.

J'en viens au volet budgétaire du renseignement. Fixés à 409 millions d'euros, les crédits de l'action « Recherche et exploitation du renseignement intéressant la sécurité de la France » sont en hausse de seulement 0,8 %. Cette hausse s'avère très contrastée. On observe ainsi une baisse des dépenses de fonctionnement, d'équipement et d'intervention de la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) et une progression de 92 % de celles de la direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD) ; pour cette dernière, l'année 2022 correspondra à un saut qualitatif majeur.

Après une hausse de 11 % de ses crédits en 2021, qui ont atteint le montant de 388 millions d'euros, le budget de la DGSE fléchira de 3,6 % en 2022. Cette baisse intervient peut-être au plus mauvais moment, alors que s'accumulent les comportements agressifs et les menaces de potentiels adversaires, mais aussi parfois de nos propres alliés, comme en témoignent le retrait américain précipité d'Afghanistan ou encore la survenue de coups d'État au Mali et dans d'autres pays partenaires d'accord de défense avec la France.

La course technologique et l'augmentation des effectifs techniques sont la condition sine qua non pour ne pas décrocher par rapport à nos alliés, notamment britannique et américain. Cela pose la question de l'attractivité des conditions de recrutement et de fidélisation par rapport au niveau de rémunération du secteur privé dans le numérique et le cyber ; et cela suppose un effort accru au niveau des crédits pour le personnel.

Si notre ambition en matière de souveraineté nationale doit rester élevée, la question se pose de réorienter nos moyens pour se maintenir à niveau dans la compétition internationale. Ce maintien à niveau passe par l'expérimentation de capacités spatiales, la poursuite de l'effort sur les technologies de rupture et de dissuasion, et surtout, pour rattraper nos compétiteurs directs et nos partenaires, par le développement d'une solution souveraine d'outils cyber, de nos capacités d'observation sur tout le spectre des moyens de renseignement, ainsi que par le renforcement de nos effectifs en personnels techniques chargés des systèmes d'information et de communication. À titre d'exemple, les effectifs de la direction technique de la DGSE ne représentent aujourd'hui qu'à peine la moitié de ceux de notre homologue britannique en charge des communications.

Il s'agit d'un point crucial, dont la ministre des armées semble avoir pris la mesure, puisqu'elle a annoncé le recrutement de 770 cyber-combattants, en plus des 1 100 initialement prévus par la LPM d'ici à 2025.

Le projet de déménagement du siège de la DGSE du boulevard Mortier à Paris vers le fort de Vincennes participe aussi de cette montée en puissance d'ici à 2028. À titre de comparaison, les Britanniques ont procédé à leur grande opération immobilière en 2014 et les Allemands ont déménagé leur siège à Berlin en 2018.

À une autre échelle, il faut noter la priorité donnée à la DRSD en 2022. Cette direction chargée de la sécurité des emprises militaires ainsi que des entreprises de la BITD connaîtra une transition majeure et inédite, avec la construction d'un nouveau bâtiment pour la direction centrale, le développement d'un système d'information de renseignement de contre-ingérence de défense (Sircid) et de capacités techniques cyber.

L'année 2022 marquera la montée en puissance de la DGSE - recrutements et développements cyber - et de la DRSD - crédits d'investissement presque quintuplés, hausse des effectifs. Cependant, deux motifs de vigilance demeurent : d'une part, peut-on escompter une stabilisation des dépenses de fonctionnement pour la DGSE ? D'autre part, l'objectif stratégique de la LPM 2019-2025 est-il à la hauteur des besoins de rattrapage capacitaire ou se limite-t-il à un simple maintien à niveau ?

L'effort à accomplir dans la prochaine LPM devra être particulièrement conséquent.

M. Cédric Perrin. - Ma remarque concerne les projets de technologies de défense (PTD), le nouveau nom des programmes études amont (PEA). Les crédits sont passés à 1 milliard d'euros, comme cela avait été annoncé dans la LPM. Je m'interroge sur la réalité de ce milliard d'euros. En 2017, les crédits s'élevaient à 750 millions d'euros. Depuis, le Gouvernement a créé l'Agence de l'innovation de défense (AID). Avec le recul, ne considérez-vous pas que cette agence manque d'autonomie hiérarchique et financière ?

Aujourd'hui, la captation de l'innovation est le grand défi. Nous avons bien conscience que la DGA n'est pas réformée de manière à pouvoir capter cette innovation. Ce milliard d'euros dédié aux PTD correspond-il à une réalité ? Ou dissimule-t-il le fonctionnement d'une AID créée sans qu'on lui attribue de budget particulier ?

Mme Hélène Conway-Mouret. - Lors des auditions que nous avons menées avec Cédric Perrin, les petites et moyennes entreprises (PME) en capacité d'exporter nous ont expliqué qu'elles avaient un énorme souci avec les banques. Bien sûr, les banques étant des institutions privées, nous ne pouvons pas faire pression. La création d'un fonds souverain est-elle une proposition ? Une réelle volonté existe-t-elle ?

Les Britanniques investissent le double de ce que nous faisons dans les services de renseignement. Le déficit de la France est criant, malgré des augmentations. Mais comme nous n'avons pas procédé à la clause de revoyure de la LPM, nous restons sur le budget voté en 2018. Cela va-t-il poser des problèmes dans les prochaines années ? Nous devrions sans doute investir beaucoup plus sur cette ligne budgétaire et faire en sorte qu'elle soit prioritaire.

M. Pascal Allizard, rapporteur. - Je partage complètement votre commentaire, monsieur Perrin. Je rappellerai quand même qu'à la différence d'un opérateur, l'AID ne dispose pas de budget propre - il a un rôle de pilotage des crédits autour des PTD que vous avez mentionnés. En dépenses réelles, l'expérience des années précédentes démontre que cette croissance de crédits n'est pas toujours consommée, une réalité dommageable que nous retrouvons dans le développement de certains programmes, et qui a d'ailleurs fait l'objet d'un commentaire de votre part sur le programme 146.

La question du fonds souverain revient depuis quelque temps. Le fonds Definvest et le Fonds Innovation Défense (FID) existent mais sommes-nous à la hauteur de l'enjeu ? Les professionnels de la défense, avec leur groupement, sont en train d'essayer de constituer un fonds souverain à la hauteur de la problématique.

Nous avons affaire à une forme un déni. Effectivement, les banques sont privées, et toutes nos grandes banques françaises sont exposées au risque d'extraterritorialité du droit américain. Je rappelle d'ailleurs que, dans notre rapport sur la Chine, l'une de nos propositions consiste à la création d'une extraterritorialité du droit européen.

Contrairement à l'Allemagne, nous ne disposons pas d'un réseau de banques régionales, qui sont dissociées de ce risque et qui peuvent donc accompagner les entreprises allemandes qui souhaitent exporter. Par ailleurs, si nos grands industriels n'ont pas de problème de financement pour exporter, leurs fournisseurs en ont.

Il s'agit d'un vrai sujet qui peut fragiliser notre base industrielle de défense ; c'est la raison pour laquelle nous ne lâcherons pas. L'audition des trois représentants de la direction générale du Trésor a été révélatrice, nous avons dû insister pour pouvoir aborder le sujet.

M. Yannick Vaugrenard, rapporteur. - L'ambiance de l'audition de la direction générale du Trésor était particulière, avec des non-dits et une non-reconnaissance de ce qui apparaissait comme une évidence après l'audition des représentants des petites entreprises, en particulier.

Il ne faut pas lâcher l'affaire, notamment pour des raisons économiques. Nous pouvons comprendre que les banques soient parfois un peu frileuses, car elles peuvent être sollicitées de manière un peu particulière par un certain nombre d'organisations non gouvernementales (ONG). Néanmoins, un budget de la défense a été voté et il faut le dépenser.

Au-delà du fonds souverain qui a été évoqué, je pense que nous aurons l'occasion de rencontrer, tous ensemble, la direction générale du Trésor et les responsables d'entreprises et des systèmes bancaires. Sinon, nous aurons des difficultés, même si cela avance de manière intéressante.

S'agissant de nos amis britanniques, la LPM actuelle a fait preuve d'une ambition intéressante par rapport au renseignement, mais qui ne se suffira pas pour rattraper notre retard par rapport aux Britanniques, aux Allemands ou encore aux Américains. C'est la raison pour laquelle j'ai terminé mon propos en insistant sur le fait que, au-delà de la LPM 2019-2025, dans la LPM suivante, si nous souhaitons être à niveau, les forces devront être particulièrement importantes dans le domaine du renseignement, à la fois sur les aspects techniques, technologiques et humains, j'insiste sur ce dernier point.

Nous avons beaucoup progressé sur les aspects techniques et technologiques, mais le renseignement humain est essentiel, ce que nous avons parfois tendance à ignorer.

M. Cédric Perrin. - Concernant les PME et les entreprises de taille intermédiaire (ETI), nous parlons beaucoup de la difficulté de l'accompagnement bancaire et je suis parfaitement d'accord. Nous sommes également en phase sur l'importance du fonds souverain, qui est indispensable pour pouvoir capitaliser nos entreprises, conserver nos emplois, nos richesses et nos savoir-faire.

S'agissant des PTD, nous avions rédigé un rapport en 2019 dans lequel nous avions préconisé qu'une partie des PTD soit fléchée sur les ETI et les PME pour éviter que les sept grandes entreprises ne captent 99 % des PTD. Qu'en est-il aujourd'hui ?

M. Pascal Allizard, rapporteur. - Il faut indiscutablement avancer, mais pour le moment la situation est bloquée. Les banques disposent de leurs ressources et de leur propre accès au marché, et elles en font l'usage qu'elles jugent justifié. Yannick Vaugrenard l'a indiqué, il va falloir mettre tout le monde autour de la table pour essayer d'avancer. Mais pour ce faire, il faut que les derniers réticents sortent du déni, ce qui n'est pas le cas jusqu'à présent.

M. Yannick Vaugrenard, rapporteur. - Je partage l'avis et la proposition de Cédric Perrin. Nous pourrions demander en effet un ciblage d'une partie des PTD en direction des PME et des ETI, une discussion que nous devrons avoir avec la direction générale du Trésor, le système bancaire et les représentants des différentes entreprises.

M. Olivier Cadic. - Pascal Allizard et moi-même avions travaillé, avec succès, sur le dossier Photonis, puisque cette société est restée en France. Cette année, j'ai évoqué avec le délégué général pour l'armement (DGA) la question de Cilas, qui doit être acquise par Safran, ArianeGroup lui vendant ses parts.

Une ETI, Lumibird, qui détient 38 % de Cilas, a fait une proposition pour acquérir 100 % des parts afin que Cilas reste française. Or nous avons vu avec quelle légèreté la DGA laisse filer Cilas en donnant la majorité à Safran.

Puisque nous défendons les ETI, la question qui se pose est la suivante : à quel moment pouvons-nous demander à être informés sur ce type de sujet afin de pouvoir discuter des décisions du DGA ? Avez-vous été mis au courant de cette décision, messieurs les rapporteurs ?

M. Pascal Allizard, rapporteur. - Nous n'exerçons pas de tutelle sur la DGA, elle ne nous dit que ce qu'elle a envie de nous dire. Par ailleurs, sur ces dossiers, ce sont les acteurs inquiets qui nous alertent, et pas les canaux officiels. Enfin, d'un point de vue strictement financier, nous n'avons pas d'outils pour répondre à votre question.

La commission donne acte de leur communication aux rapporteurs et en autorise la publication sous la forme d'un rapport d'information.

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

Auditions en réunion plénière

- Mme Florence PARLY , ministre des armées (6 octobre 2021)

- M. Joël BARRE , délégué général pour l'armement (27 octobre 2021)

Auditions des rapporteurs pour avis

- table ronde des groupements d'industriels de défense

• GICAN : M. Philippe MISSOFFE , Délégué général, M. Jean-Marie DUMON , Délégué général adjoint, Mme Apolline CHORAND , Déléguée affaires publiques et communication,

• GICAT : M. Jean-Marc DUQUESNE , Délégué général, M. François MATTENS , Directeur des affaires publiques,

• GIFAS : M. Jérôme JEAN , directeur des Affaires publiques.

- DGSE : M. Antoine GUERIN , Directeur de l'administration.

- DG Trésor : Mme Magali CESANA , Cheffe de service des affaires bilatérales et de l'internationalisation des entreprises (Sabine), M. Mohammed KHALLOUK , adjoint à la cheffe de bureau FinInter3, M. Baptiste LEDAN , conseiller parlementaire et relations institutionnelles.

- DRSD : M. Éric BUCQUET , Directeur, M. Paul CHIAPPORE , Sous-directeur stratégie et ressources à la DRSD, Mme Claire LAGET .

Déplacement

Déplacement à Palaiseau au siège de l'ONERA : M. Bruno SAINJON , président, M. Jacques LAFAYE , conseiller (16 novembre 2021)

Contributions écrites

- Direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS)

- Agence de l'innovation de défense (AID)


* 1 Alice Guitton, directrice générale des relations internationales et de la stratégie (entretien du 6 mai 2021 paru dans AIR&COSMOS n° 2757 du 12 novembre 2021).

* 2 Ce niveau d'équivalent temps plein travaillé correspond à environ 7 100 agents.

* 3 Annonce de la ministre des armées du 8 septembre 2021 à l'occasion du Forum International de la Cybersécurité (FIC).

* 4 Dans sa réponse, la DGRIS indique qu'il s'agit d'une « apparente sous-consommation des crédits d'études amont », les écarts entre les crédits d'études amont prévus par la loi de finances pour 2020 et leur exécution finale relevant, d'une part, de mouvements réglementaires (décrets de transfert sortant principalement à destination du programme 192 « Recherche et enseignement supérieur en matière économique et industrielle » pour le financement du dispositif RAPID (Régime d'appui aux PME pour l'innovation duale) et la contribution du ministère des armées au plan NANO 2022), d'autre part, de l'annulation de crédits par la loi de finances rectificative (LFR) pour le financement des surcoûts OPEX et MISSINT.

* 5 Conclusion en mai 2021 d'une convention de partenariat ONERA/DGA afin de favoriser pour les dix prochaines années, la mise à la disposition du ministère des Armées de compétences spécifiques de l'ONERA, pour relever des défis majeurs dans le domaine de l'aéronautique militaire et de l'espace.

* 6 Pour 2022 dans le cadre du nouveau COP, l'ONERA sera appelé à participer au plan de relance de l'aéronautique dans les thèmes structurants de la dissuasion et de la surveillance de l'espace.

* 7 Le FID a été lancé en 2021 (il est trop tôt pour en dresser un premier bilan) et s'articule dans son organisation avec le fonds « French Tech Souveraineté » du programme d'investissements d'avenir (PIA) et prévoit un co-investissement avec BPI d'une part et des industriels d'autre part pour un montant pouvant aller jusqu'à 400 M€. Le ministère des Armées participe à hauteur de 200 millions d'euros sur 6 ans pour prendre des participations dans des entreprises innovantes en phase de croissance, start-ups, petites et moyennes entreprises (PME) et entreprises de taille intermédiaire (ETI) développant des technologies duales et transverses intéressant le monde de la défense. Il vise à compléter l'action publique et l'investissement privé de soutien aux entreprises innovantes présentant un intérêt pour la défense en complémentarité avec le fonds DEFINVEST, plus centré sur le soutien des entreprises de la base industrielle et technologique de défense (BITD).

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