II. AFFIRMER UNE VÉRITABLE POLITIQUE EUROPÉENNE DU PATRIMOINE

En s'appuyant sur les textes fondateurs de l'Union européenne, il est légitime d'affirmer une véritable politique en faveur du patrimoine. Celle-ci doit être revendiquée, rendue lisible et cohérente et rendue accessible à ceux qui en sont les acteurs, élus, collectivités, organismes publics et privés, associations et fondations.

La Présidence française du Conseil de l'Union européenne est une opportunité à saisir pour impulser un sursaut et affirmer cette politique européenne du patrimoine en valorisant les territoires.

A. AFFIRMER LE RÔLE DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES DANS LA POLITIQUE PATRIMONIALE EUROPÉENNE POUR DÉVELOPPER L'ATTRACTIVITÉ DES TERRITOIRES EUROPÉENS

La période post-pandémique où nous entrons est propice pour développer le patrimoine comme levier d'attractivité et de tourisme.

1. S'appuyer sur l'exemple des petites Cités de caractère pour créer un réseau européen

Le réseau territorial de l'association Petites Cités de caractère est né en 1975 en Bretagne et comprend aujourd'hui près de 200 communes en France. Présidée par la sénatrice Françoise Gatel, présidente de la délégation aux collectivités territoriales du Sénat, cette association peut fournir un exemple inspirant pour une action européenne élargie et renouvelée dans ce domaine, s'appuyant sur l'expérience des élus de terrain, autour de la valorisation du patrimoine de leurs communes 19 ( * ) .

Le patrimoine, culturel, naturel et paysager a des effets d'entraînement en termes de croissance, de créations d'emplois, notamment dans le secteur du tourisme, mais aussi de développement durable et d'attractivité des territoires.

Les aspirations des Européens en matière de qualité du cadre de vie se sont renforcées avec la pandémie qui a accentué un mouvement observé auparavant, vers les villes petites et moyennes, ou les espaces ruraux. 20 ( * ) Pour certains chercheurs, c'est une véritable transition sociétale qui est en cours. Les élus locaux, au plus près du terrain, observent et accompagnent cette profonde évolution qualitative qui paraît constituer une tendance lourde. Le patrimoine, culturel, mais aussi naturel et paysager, apparaît comme un facteur clé de cette évolution.

Celle-ci ne touche pas que les « nouveaux » habitants de nos cités et de nos villages, mais s'étend aussi à une nouvelle conception du tourisme, plus durable, un tourisme de sens, de valeurs et de partage culturel, à laquelle le patrimoine des petites cités de caractère correspond.

Il en va de même des itinéraires culturels, qui peuvent contribuer à développer un tourisme d'itinérance, en dehors ou en complément des plus hauts lieux, qui aura pour effet de répartir les flux.

La crise sanitaire a accéléré l'évolution vers un tourisme plus localisé, plus soucieux du développement durable dans ses multiples dimensions : l'usage des transports et l'empreinte carbone, le développement local et les circuits courts, la protection de la biodiversité et des paysages, les itinérances douces.

Les expériences en ce domaine sont légion. Celles qui sont portées par le réseau des petites cités de caractère ont vocation à essaimer ou à rencontrer des expériences similaires au niveau européen, centrées sur cette nouvelle conception du patrimoine, en parfaite cohérence avec les priorités du pacte vert de la Commission européenne.

Il s'agit d'ouvrir et de nourrir un réseau d'échanges de bonnes pratiques territoriales à l'échelle européenne. De nombreuses collectivités, de nombreux acteurs sont tout à fait disposés à le faire, comme le montrent les réponses reçues 21 ( * ) par les rapporteurs au questionnaire envoyé à l'été 2021 aux services culturels de nos ambassades dans les pays de l'UE, notamment en Espagne (Communauté autonome de Castilla y Léon), en Italie (région de Vénétie), mais aussi en Lettonie.

C'est pourquoi il importe de fédérer les élus territoriaux européens en faveur du patrimoine et de créer un réseau européen des cités et territoires de caractère.

Ce réseau pourrait être soutenu par la Commission européenne, au titre du programme Europe Créative, « le patrimoine culturel en action », et déboucher sur un nouveau prix du patrimoine européen de proximité.

2. Rendre lisible et cohérente la politique de labellisation en valorisant le label du patrimoine au sein d'une nouvelle Liste européenne du patrimoine.

Pour approfondir et étendre la dynamique du label du patrimoine européen, plusieurs pistes sont à explorer.

Dans un premier temps, il s'agirait de renforcer le rôle des coordinateurs nationaux, qui forment un réseau expérimenté, et dont le rôle correspond en partie à celui du centre du patrimoine mondial de l'Unesco, puis de réviser la décision de 2011 afin d'en revoir les critères, d'enrichir le contenu du label, de l'approfondir et d'en étendre le champ. Un groupe de travail ad hoc pourra être créé à partir du groupe d'experts sur le patrimoine, mais qui devra comporter des correspondants de la direction générale des réseaux numériques, du contenu et des technologies (DG CONNECT), de la direction générale de la politique régionale et urbaine (DG REGIO) et de la direction générale de l'agriculture et du développement rural (DG AGRI) de la Commission européenne, le cas échéant, afin d'établir une liaison avec les divers sources de financement existants et que soient explicités et définis les liens entre le label et les financements.

Deux options méritent examen : soit un maintien et une extension de l'existant, soit un changement plus profond.

Dans le second cas, il faudrait desserrer les contraintes actuelles, pour inclure les pays qui ne sont pas couverts, permettre les candidatures transnationales, et surtout doter l'attribution du label de moyens ou d'une liaison vers les fonds existants.

Dans tous les cas, le caractère transsectoriel du patrimoine, participant de la transition écologique en faveur de développement durable, doit être affirmé plus nettement encore. À cette fin, une « mission » transversale dédiée au patrimoine européen, fondé sur le patrimoine culturel mais englobant le patrimoine environnant, pourrait être créée pour fédérer les initiatives et encourager les candidatures.

3. Créer une « Liste du patrimoine européen » articulée notamment avec la Liste du patrimoine mondial de l'Unesco et les itinéraires culturels du Conseil de l'Europe

Il ne s'agit pas de rajouter une touche supplémentaire dans un paysage déjà très pointilliste, mais au contraire, de tenter une harmonisation « par le haut » de ce paysage. Au cas où l'option de changement plus radical préconisée ci-dessus serait retenue pour métamorphoser le label du patrimoine européen, l'architecture des labels et prix existants, dans le cadre de l'UE, mériterait d'être restructurée afin :

1°) de l'articuler avec celle des labels de l'Unesco et du Conseil de l'Europe ;

2°) de renforcer sa hiérarchisation thématique et, partant, sa cohérence et sa visibilité.

La liste du « patrimoine européen que cela permettrait d'élaborer comprendrait :

1°) les « merveilles de l'Europe », grands sites et monuments historiques ou naturels, dont ceux inscrits sur la Liste du patrimoine mondial de l'Unesco, mais aussi les éléments du patrimoine immatériel classés sur celle-ci ;

2°) les « mémoires de l'Europe », lieux de mémoire, maisons des illustres européens et éléments du patrimoine immatériel ancestral et remarquables qui ne seraient pas classés au titre de l'Unesco ;

3°) les « fiertés de l'Europe » regrouperaient le patrimoine vernaculaire ou de proximité, y compris le patrimoine rural, notamment celui qui bénéficie des aides du FEADER via les régions, mais pourraient inclure le « petit » patrimoine, tels les lavoirs, calvaires, croix, etc., mais aussi le patrimoine immatériel tel que les savoir-faire artisanaux régionaux, qui font la diversité de l'Europe ; ainsi la notion de patrimoine d'intérêt européen serait reliée au local, au régional ;

4°) ces différents niveaux seraient reliés entre eux par les « routes de l'Europe », qui reprendraient les itinéraires culturels du Conseil de l'Europe et leurs carrefours, bien identifiés et passeraient par de petites cités de caractère.

Ce maillage serait doté de moyens et d'une signalétique renforcée et visible, qui matérialiserait le sentiment d'appartenance et l'identité européenne des lieux et régions d'Europe.

Il importe de souligner qu'il ne s'agit pas d'une création ex nihilo mais d'une mise en relation, en synergie, en dynamique participative des réseaux existants, au niveau européen.

Sans doute faut-il mieux connaître les fonds existants, renforcer les dispositifs existants, relier explicitement le FEDER et INTERREG en particulier au patrimoine, pour mieux les utiliser en accompagnant les porteurs de projets. Dans un contexte de ressources publiques limitées, il convient aussi de poser la question de moyens nouveaux.


* 19 Cf le guide « Placer les personnes et le patrimoine au coeur du projet de territoire », publié en juin 2021 par l'association Petites cités de caractère de France.

* 20 Cf Valérie Jousseaume, Plouc Pride, un nouveau récit pour les campagnes , édition de l'Aube, 2021, 301 p. qui fait notamment appel au « génie territorial » des élus.

* 21 La synthèse de ces réponses figure en annexe.

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