EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mardi 29 mars 2022, la commission a examiné le rapport d'information de Mme Patricia Demas sur le volet « Inclusion numérique » de la mission d'information sur les perspectives de la politique d'aménagement du territoire et de cohésion territoriale .

M. Jean-François Longeot , président . - Nous examinons aujourd'hui en premier lieu les conclusions du travail mené par Patricia Demas, dont les propositions visent à renforcer l'inclusion numérique dans nos territoires à travers un meilleur accès aux réseaux internet, mais surtout l'apprentissage pour les usagers numériques.

L'Insee estimait en 2019 à 17 % la part de la population française touchée par l'illectronisme. Près d'un Français sur deux serait mal à l'aise avec les outils numériques. Ce constat est alarmant au vu de la place désormais incontournable du numérique dans la société, y compris pour l'accès aux services publics, qui se dématérialisent à marche rapide.

En 2020, le Sénat dressait dans un rapport d'information sur l'illectronisme un vaste état des lieux de l'exclusion numérique en France et des moyens mis en oeuvre pour lutter contre ce phénomène à l'échelon national, auprès des citoyens, mais aussi à l'école et dans l'entreprise.

La mission d'information sur les perspectives pour l'aménagement du territoire a souhaité creuser ce sujet sous un angle plus local, pour s'intéresser aux outils mis à disposition des collectivités territoriales et aux difficultés que celles-ci rencontrent pour élaborer des projets d'inclusion numérique. La mobilisation de tous les territoires est nécessaire pour lutter contre la fracture numérique ; les élus locaux sont souvent en première ligne pour apporter des solutions d'accompagnement aux usagers rencontrant des difficultés avec les outils numériques.

Notre rapporteure a réalisé un important travail et effectué plus d'une vingtaine d'auditions ; elle s'est montrée à l'écoute des territoires en recueillant les témoignages sur ce sujet de nombreux élus locaux par une consultation en ligne.

Sur le fondement de ce travail, vingt propositions simples et pragmatiques vous seront soumises. Elles visent à mieux outiller les collectivités territoriales face au défi de l'exclusion numérique et à favoriser l'élaboration de politiques d'inclusion numérique plus claires et ambitieuses à l'échelle nationale et locale.

Mme Patricia Demas , rapporteure . - Je tiens à vous remercier, monsieur le président, ainsi que M. Didier Mandelli, pour la confiance que vous m'avez accordée pour l'accomplissement de cette mission.

J'ai le plaisir de vous présenter les conclusions du travail que je mène depuis le mois de janvier sur le thème « Renforcer l'inclusion numérique, indissociable de l'équité territoriale », qui m'a conduite à organiser près de quinze auditions, en plus des dix auditions communes auxquelles j'ai participé avec mes collègues rapporteurs sur les autres volets de la mission d'information.

Afin de mieux appréhender les enjeux de ce sujet dans les territoires, une consultation en ligne a permis de recueillir les témoignages de 1 668 élus locaux. Les répondants sont issus à 80 % de l'échelon communal et à 70 % de territoires ruraux ou à dominante rurale.

Consulter les élus locaux, en particulier ceux des territoires les plus éloignés des grandes métropoles et de la start-up nation , m'a semblé indispensable pour deux raisons : d'abord parce que les élus locaux sont en première ligne face à l'exclusion numérique, que ce soit pour détecter les publics fragiles ou pour leur proposer des dispositifs d'accompagnement ; ensuite parce que j'avais à coeur de proposer des solutions simples, pragmatiques et lisibles à ces élus, qui peinent déjà à se retrouver dans le « maquis » de l'inclusion numérique en France.

Alors, comment lutter plus efficacement contre l'exclusion numérique dans notre pays et combler les fractures territoriales qui existent en la matière ?

D'emblée, je souhaite relever deux difficultés méthodologiques liées à l'étendue du sujet : premièrement, l'inclusion numérique touche à de nombreux pans de l'action publique - économie, enseignement scolaire et supérieur, accès aux droits sociaux, santé -, comme en témoigne le riche travail effectué par le Sénat en 2020 sur la lutte contre l'illectronisme ; deuxièmement, si l'exclusion numérique a bien une dimension matérielle, autour de l'accès aux réseaux et aux équipements numériques, elle en a une autre, liée à la compétence, qui se rapproche de la notion d'illectronisme.

Je me suis concentrée sur deux thématiques : la réduction de la fracture numérique territoriale, qui inclut la question de l'accès aux réseaux internet, facteur d'exclusion numérique majeur dans de nombreux territoires ruraux, et le renforcement des capacités des collectivités territoriales à élaborer des projets d'inclusion numérique adaptés pour améliorer les compétences numériques des Français.

Au fil des auditions, trois axes se sont dégagés de manière distincte : d'abord, la nécessité de clarifier et de renforcer le pilotage de la politique d'inclusion numérique à l'échelon national, afin de permettre aux acteurs locaux de s'inscrire dans un cadre global à la fois clair et ambitieux ; ensuite, le besoin de mettre de la cohérence dans la gouvernance locale de l'inclusion numérique ; enfin, l'opportunité de renforcer les efforts pour combler les inégalités territoriales liées au numérique et de tisser plus étroitement la toile de l'inclusion numérique à l'échelle locale.

Pour chacun de ces axes, je vais à présent vous exposer mes principaux constats et les recommandations qui seront soumises à votre vote.

Au sein du premier axe - clarifier et renforcer le pilotage de la politique d'inclusion numérique au niveau national -, plusieurs constats sont ressortis des auditions et de la consultation en ligne des élus locaux.

Tout d'abord, on manque en France de données précises et actualisées sur l'exclusion numérique. Comment pouvons-nous concevoir des politiques d'inclusion numérique efficaces, que ce soit nationalement ou localement, sans connaître et comprendre finement le phénomène qu'il s'agit de combattre ? Une étude a bien été réalisée en 2019 par l'Insee sur l'illectronisme, mais les données n'ont pas été mises à jour depuis lors, alors même que les comportements des Français à l'égard du numérique ont été bouleversés par la crise sanitaire. Les autres données disponibles sur l'inclusion numérique sont éclatées entre de multiples sources, dont le Conseil national du numérique, l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), ou même l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep). Nous avons besoin de centraliser les données sur l'exclusion numérique, afin qu'elles soient facilement accessibles à tous et puissent être mises à jour de façon régulière suivant l'évolution constante des pratiques et des outils numériques.

C'est la raison pour laquelle la première proposition de mon rapport est la création d'un Observatoire national de l'inclusion numérique.

Ensuite, de l'avis de nombreux acteurs locaux, le pilotage national de la politique d'inclusion numérique manque de clarté : une multitude d'acteurs interviennent et la stratégie nationale pour un numérique inclusif n'a pas été actualisée depuis 2018.

Je propose donc de refonder la stratégie nationale pour un numérique inclusif et de l'accompagner d'une feuille de route aux objectifs clairs pour les acteurs locaux et d'un calendrier pour les atteindre.

Par ailleurs, le financement de la politique d'inclusion manque encore cruellement d'ampleur, alors qu'un Français sur deux rencontre des difficultés dans l'usage des outils numériques. Des moyens additionnels ont été prévus dans le cadre du plan de relance, mais ils restent en deçà des enjeux. Or, face à l'accélération de la dématérialisation des services publics, mettre en place une politique ambitieuse dotée de moyens financiers de long terme est impératif pour garantir l'accès aux droits des usagers.

Je préconise donc de dédier des financements pérennes à la politique d'inclusion numérique, en s'appuyant par exemple sur les préconisations formulées par le Sénat en 2020 sur ce sujet, comme l'institution d'un fonds dédié à la lutte contre l'exclusion numérique.

Enfin, j'ai constaté que les collectivités locales, en particulier les communes et les EPCI de petite taille, avaient du mal à s'approprier les dispositifs nationaux d'inclusion numérique. Lors de la consultation en ligne, certains élus issus de la ruralité ont indiqué ignorer l'existence du pass numérique, ou encore des hubs territoriaux pour un numérique inclusif, qui sont pourtant les clés de voûte de la stratégie nationale définie en 2018. D'autres ont souligné un manque d'information et de pédagogie de la part de l'État pour diffuser ces outils.

Je propose donc d'élaborer un guide national présentant de façon pédagogique l'ensemble des outils mis à la disposition des collectivités.

J'en viens à présent au deuxième axe de mon rapport - mettre de l'ordre dans la gouvernance locale de l'inclusion numérique.

Trois problématiques me semblent importantes au sein de cet axe : clarifier l'articulation des différentes interventions territoriales sur l'inclusion numérique, à commencer par celles des collectivités territoriales ; mieux prendre en compte l'inclusion numérique dans les outils de planification locale ; enfin, renforcer le rôle des hubs territoriaux de l'inclusion numérique dans les écosystèmes locaux.

S'agissant de l'articulation des interventions territoriales en matière d'inclusion numérique, je me suis heurtée à une difficulté majeure. Dans un premier temps, la solution la plus évidente pour mieux coordonner l'action des différents échelons de collectivités m'a semblé être la désignation d'un chef de file dans le code général des collectivités territoriales. Toutefois, les nombreuses auditions menées sur le sujet m'ont conduite à réviser ma position pour deux raisons principales : premièrement, chaque échelon de collectivité a sa pertinence d'intervention sur le sujet de l'inclusion numérique, qu'il s'agisse de la région, du département, ou du bloc communal ; deuxièmement, désigner un chef de file ne permet pas de tenir compte des dynamiques locales, qui varient fortement d'un territoire à l'autre : si dans les territoires ruraux le département apparaît comme l'interlocuteur principal en matière d'inclusion numérique, dans les territoires urbains l'EPCI semble davantage identifié comme l'acteur incontournable. Il m'a dès lors semblé préférable, plutôt que de désigner un chef de file, de faciliter la constitution de coalitions locales de l'inclusion numérique de manière souple.

Je propose donc d'encourager la constitution de commissions territoriales de l'inclusion numérique.

S'agissant de la prise en compte de l'inclusion numérique dans les outils de planification locale, j'ai constaté avec surprise que très peu de territoires avaient mis en place des schémas directeurs d'inclusion numérique, alors que le Gouvernement avait annoncé leur généralisation dès 2018.

Je propose donc d'inclure dans les schémas directeurs d'aménagement numérique prévus par le code général des collectivités territoriales un volet consacré à l'inclusion numérique.

Enfin, s'agissant du rôle des hubs pour un numérique inclusif, j'ai constaté avec inquiétude que certains d'entre eux rencontraient de réelles difficultés à se financer et étaient amenés à développer des activités économiquement rentables pour assurer leur survie, ce qui les éloigne de leur mission originelle de coordination des réseaux d'inclusion numérique et d'accompagnement des collectivités territoriales pour élaborer des projets d'inclusion numérique.

Je propose donc d'attribuer aux hubs une dotation financière pérenne, destinée à assurer l'accomplissement de leurs missions les plus centrales.

J'en arrive au troisième et dernier axe de mon rapport - renforcer les efforts pour combler les inégalités territoriales liées au numérique et tisser plus étroitement la toile de l'inclusion numérique au niveau local.

Deux problématiques m'ont ici intéressée : les disparités territoriales dans l'accès aux réseaux internet et les difficultés rencontrées par les collectivités pour accompagner les publics éloignés du numérique.

S'agissant d'abord de la fracture numérique territoriale, si le déploiement de la fibre avance à bon train, y compris dans les zones à réseaux d'initiative publique (RIP), il reste beaucoup de chemin à parcourir : seule la moitié des locaux prévus a été raccordée dans les RIP et les derniers raccordements seront sans doute les plus difficiles à effectuer. En outre, les alternatives à la fibre peinent à se déployer dans les territoires, alors que le Gouvernement vient de renouveler le dispositif « Cohésion numérique des territoires », qui permet aux ménages dotés d'une connexion internet inférieure à 8 Mbit/s de bénéficier d'une subvention pour recourir à l'une de ces alternatives.

Je formule donc deux propositions : d'une part, pérenniser le fonds de financement des raccordements complexes à la fibre aussi longtemps que nécessaire et l'augmenter si besoin est ; d'autre part, encourager les ménages à recourir au dispositif « Cohésion numérique des territoires » en communiquant plus largement sur cet outil et, surtout, permettre à tout ménage ne disposant pas d'une connexion à très haut débit d'y recourir. Je souhaite également que ce dispositif soit reconduit jusqu'en 2025 a minima .

S'agissant à présent de l'accompagnement des usagers éloignés du numérique à l'échelon local, je souhaite tout d'abord que les cartographies de l'exclusion numérique et des acteurs de l'inclusion numérique soient plus largement diffusées au niveau local, avec l'appui des hubs . Ces instruments sont un préalable indispensable à l'élaboration de toute stratégie locale d'inclusion numérique ; ils permettent, à partir du diagnostic de la fragilité numérique de la population, de faciliter la bonne répartition des moyens d'accompagnement dans chaque territoire.

Ensuite, il importe d'outiller les collectivités territoriales afin qu'elles soient en mesure de concevoir de véritables parcours d'accompagnement. À cet égard, plusieurs évolutions me paraissent essentielles.

Premièrement, il convient de mieux former les agents publics territoriaux chargés de l'accueil des usagers à la détection et à l'orientation des personnes rencontrant des difficultés numériques. Il importe aussi que ces agents soient en mesure d'apporter une aide d'urgence à ces personnes pour la réalisation de démarches en ligne, notamment dans les mairies, en particulier dans les territoires ruraux qui pâtissent de la fermeture de nombreux points d'accès administratifs.

Deuxièmement, il faudrait diffuser plus largement les bonnes pratiques d'inclusion numérique identifiées dans les territoires, afin que les collectivités territoriales puissent s'en inspirer.

J'en arrive au dernier point de mon propos, qui porte sur les moyens de renforcer l'offre de médiation numérique dans les territoires.

Dans le cadre de la consultation en ligne, 52 % des répondants ont indiqué ne pas disposer d'une offre de médiation numérique sur le territoire de leur commune ou à proximité. Plus inquiétant encore, 81 % d'entre eux ont indiqué ne pas disposer sur leur territoire d'une offre de médiation numérique en itinérance, alors qu'il s'agit d'une innovation très intéressante pour les territoires ruraux. Près d'un quart des participants ont indiqué que l'insuffisance de moyens financiers était le principal obstacle à l'élaboration d'une politique d'inclusion numérique sur leur territoire.

La dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) constituerait un outil adapté pour financer plus largement des équipements destinés à l'accompagnement numérique des habitants au sein des communes et des EPCI de la ruralité. Or, sur les 20 000 projets financés par cette dotation en 2020, moins de 500 concernaient des équipements numériques et tous n'étaient pas liés à l'élaboration d'un service de médiation numérique.

Je souhaite donc que les commissions départementales intègrent l'inclusion numérique parmi les catégories d'actions prioritaires de la DETR.

Je propose également que le financement par l'État des 4 000 conseillers numériques France Services soit pérennisé au moins jusqu'en 2025 et que leur nombre soit augmenté si besoin est.

Enfin, je me suis penchée sur le pass numérique, dispositif qui est au coeur de la stratégie nationale pour un numérique inclusif et qui est censé permettre aux personnes en difficulté numérique d'accéder à une formation gratuite. De l'avis de la Cour des comptes et de nombreux acteurs, cet outil produit des résultats peu convaincants : moins de 600 000 pass ont été déployés depuis 2019, alors que le Gouvernement avait fixé pour objectif d'en déployer plus d'un million. Plusieurs facteurs sont invoqués pour expliquer ce chiffre, parmi lesquels la complexité de la procédure d'achat, l'insuffisance de l'offre de lieux de médiation numérique, ou encore la durée de validité du pass, limitée à un an, et sa valeur insuffisante. En outre, on observe une forte déperdition entre l'achat du pass par la collectivité, sa distribution et son utilisation par l'usager, notamment du fait de l'insuffisance des relations entre les multiples acteurs de cette chaîne de distribution.

Je préconise, à court terme, de consolider cet outil afin de tenter d'intensifier son déploiement, notamment en simplifiant la procédure de commande et en encourageant l'institution d'une véritable chaîne de distribution des pass. À plus long terme, il me semble indispensable d'évaluer l'efficacité et la pertinence de ce dispositif afin, si cela se révèle nécessaire, de le recalibrer ou d'envisager l'élaboration d'un outil plus opérationnel.

Tels sont, mes chers collègues, mes principaux constats et l'essentiel des recommandations contenues dans mon rapport.

M. Jean-François Longeot , président . - Merci pour ces constatations et ces préconisations. Le volet DETR peut être intéressant, il faudra le faire entendre dans chaque département.

Mme Martine Filleul . - Merci à notre rapporteure pour la qualité de son travail et de ses propositions. Mon groupe partage ces éléments de diagnostic quant au manque de connaissances sur l'illectronisme et à l'éparpillement des initiatives et des intervenants, ce qui brouille la lisibilité de la stratégie et empêche certains de nos concitoyens d'avoir accès aux dispositifs mis en oeuvre. La stratégie bottom up de l'État empêche d'atteindre les personnes les plus concernées. Nous partageons aussi son constat sur l'insuffisance des moyens consacrés à la lutte contre l'illectronisme, alors même que la numérisation s'accélère : l'État n'est pas au rendez-vous pour la mise en place d'alternatives humaines ou téléphoniques lors de chaque numérisation d'un service public. Nombreux sont ceux de nos concitoyens qui n'ont plus accès à leurs droits et ne se sentent plus partie prenante de la République. C'est gravissime : le Défenseur des droits avait parlé de rupture d'égalité.

Mon groupe ajouterait quelques suggestions à ce rapport déjà fort pertinent. La première serait de faire de la lutte contre l'illectronisme une grande cause nationale, dotée de moyens substantiels ; l'école devrait en être partie prenante, elle est l'interlocuteur nécessaire pour ne pas reproduire des générations d'éloignés du numérique.

Nous estimons ensuite que le département pourrait être le chef de file, ou d'orchestre, de la lutte contre l'illectronisme, en tant que collectivité chargée de la solidarité. Son périmètre raisonnable lui permet de conserver le lien avec toutes les communes et les associations, de rassembler et coordonner les efforts, voire de lancer des initiatives dans les territoires laissés vacants. L'Assemblée des départements de France en convient, d'autant que de nombreux départements travaillent déjà en ce sens.

Enfin, notre troisième suggestion porte sur la démarche d'« aller vers ». Bien des initiatives sont offertes dans des lieux, des centres sociaux, où les plus éloignés du numérique ne se rendent jamais ; il faut donc faire appel à des acteurs comme les auxiliaires de vie, mais aussi La Poste, qui a une présence extraordinaire au travers de ses agences et des facteurs.

M. Éric Gold . - J'adresse mes félicitations à notre rapporteure. Je retrouve dans son travail certains éléments déjà mentionnés dans le rapport d'information de Raymond Vall sur l'illectronisme. L'un des enjeux principaux est de passer d'une logique de 100 % numérique à une logique de 100 % accessible. Installer la fibre sur tous les territoires est une solution ; il faut faire attention aux alternatives qui seraient accolées au réseau cuivre, dont la disparition est envisagée dès 2030. Pour une meilleure inclusion, il faut un débit suffisant, du matériel renouvelé régulièrement et une formation continue. Si même un seul de ces facteurs est défaillant, l'accès des citoyens à leurs droits est menacé.

Dès lors, pourrait-on envisager le financement par la DETR de la connexion des particuliers et de leur matériel ? Il faut également songer à développer la formation au numérique tout au long de la vie, car on est tous frappés d'illectronisme à un moment ou à un autre ; la formation dans le milieu professionnel ne doit pas être négligée.

M. Michel Dennemont . - Je suis satisfait du déploiement intégral de la fibre dans mon département. En revanche, je souhaite attirer l'attention sur les problèmes relatifs aux déclarations d'impôts en ligne, que de nombreuses personnes ne savent pas faire. Or, du moins quand j'étais maire, le code confidentiel requis pour ces déclarations ne pouvait pas légalement être partagé, ce qui posait des difficultés aux collectivités voulant aider ces personnes. Une solution a-t-elle été trouvée ?

Mme Patricia Demas , rapporteure . - Nous sommes tous d'accord pour faire de la lutte contre l'illectronisme une cause nationale. Cette mission d'information devait rester dans un cadre d'investigation et de propositions, il était donc difficile d'aborder tous les sujets liés à l'exclusion numérique. Il faut faire de ce combat l'une des premières causes nationales, notamment dans l'enseignement.

Quant à faire du département le chef de file en la matière, l'idée m'a certes « titillée », ce serait sans doute le plus facile. Or, au fil des auditions, il s'avère que le département est certes le chef de file naturel dans les zones rurales, mais beaucoup moins dans les zones urbaines, où les EPCI et les centres communaux d'action sociale (CCAS) jouent un rôle bien plus important. Il convient de se fonder sur les caractéristiques de chaque territoire pour ne pas casser les dynamiques locales. Il faut aussi prendre en considération tous les acteurs, publics, privés et associatifs. C'est ce que je propose de faire dans les commissions territoriales de l'inclusion numérique, pour ne pas oublier les volets économiques et culturels de cette action.

Quant à l'« aller vers », nous sommes d'accord. Pour apporter des réponses aux Français, La Poste est un maillon indispensable. J'évoque aussi dans mon rapport les aides à domicile, auxquelles on pourrait délivrer une certification « Aidants Connect ». Il faut aussi offrir une formation aux agents des collectivités territoriales, notamment aux secrétaires de mairie.

Concernant l'accessibilité, des alternatives peuvent être offertes pour une connexion internet dans les endroits les plus difficiles ; c'est tout l'intérêt du guichet « cohésion numérique des territoires ». Ce guichet reste trop peu connu. Je recommande aussi une boîte à outils lisible sur les sites des préfectures.

Quant aux déclarations d'impôts, la certification « Aidants Connect » vise justement à résoudre ces problèmes. Je propose de développer cette certification auprès d'acteurs de proximité.

M. Bruno Belin . - Il est essentiel de déterminer qui fait quoi. Avec Gilbert Favreau, nous avions créé un syndicat commun, « Poitou numérique », pour développer la fibre sur nos territoires. Il avait fallu mettre près de 300 millions d'euros sur la table, à destination avant tout des opérateurs. Ceux qui gagnent autant d'argent au bout ne peuvent-ils pas s'impliquer davantage ? Orange fait de très bonnes affaires. Contractuellement, ne peut-on pas imposer aux opérateurs d'aller faire le boulot qui va leur fournir des abonnements ? Certains opérateurs publics ou parapublics comme La Poste offrent bien un accompagnement.

Nous avons aussi remarqué que c'était parfois plus simple pour les EPCI que pour les départements d'agir en la matière : il faut y aller au cas par cas.

Quant au suivi dans les maisons France Services, l'État avait pris beaucoup d'engagements. Où en est-on ? Ce sont toujours les communes qui paient ! Pour l'accompagnement des usagers, rappelons que les secrétaires de mairie ne travaillent que rarement à temps plein dans les zones rurales et sont déjà surchargés de travail. Les opérateurs et l'État doivent prendre leur part de l'effort.

Mme Patricia Demas , rapporteure . - La recherche de sources de financement pérennes est bien sûr cruciale : tous les acteurs, publics ou privés, doivent être mis autour de la table pour financer l'inclusion numérique sur le long terme.

Concernant les maisons France Services, je recommande de refonder la stratégie nationale, qui remonte à 2018 et n'a fait l'objet d'aucun feedback .

Quant à l'« aller vers », je préconise la mise en place d'un numéro vert, car la dématérialisation des services n'est pas une fin en soi : il faut maintenir l'accessibilité des droits à tout Français, où qu'il habite.

Mme Angèle Préville . - Si l'on ne choisit pas un chef de file, quelle assurance avons-nous que tous les territoires seront accompagnés et qu'il n'y aura pas de trous dans la raquette ?

Mme Patricia Demas , rapporteure . - Je propose un chef de file à la carte, car il me semble inopportun d'imposer le même à tous les territoires. Les auditions ont montré qu'il existe des chefs de file naturels qui varient en fonction des zones : plutôt les départements en zone rurale, plutôt les EPCI en zone urbaine. Il faut travailler de manière transversale et de manière souple, en encourageant les dynamiques locales.

Mme Angèle Préville . - Mais est-on sûr qu'aucun territoire ne sera oublié ?

Mme Patricia Demas , rapporteure . - C'est avant tout une question de volonté politique. Il y a des territoires où les élus en ont plus que dans d'autres.

M. Didier Mandelli . - Certains élus, même si on les désignait chefs de file, n'assumeraient pas ce rôle dans les faits. Tous les acteurs de l'inclusion numérique ne sont d'ailleurs pas des collectivités : il y a beaucoup d'associations, des CCAS... Il serait compliqué aujourd'hui de désigner une seule institution. Ce qui importe est d'être le plus efficient possible, au plus proche des besoins des exclus du numérique, en accompagnant tous les acteurs.

Mme Marta de Cidrac . - Je félicite à mon tour notre rapporteure pour ce travail fort intéressant. L'illectronisme est parfois dû à une mauvaise connexion, voire à l'impossibilité de se connecter. Pour résorber ce problème, l'adressage physique joue un rôle important. La Poste dispose d'un quasi-monopole en la matière, ce qui lui permet d'offrir de nombreux services. Le partage de ces données avec les collectivités compétentes est-il envisagé ? Dans quelle mesure la puissance publique peut-elle aujourd'hui accéder à l'ensemble de nos concitoyens ?

Mme Évelyne Perrot . - Dans mon département, les maisons France Services fonctionnent bien quand les EPCI sont volontaires et que les maires assurent correctement le relais.

Mme Laurence Muller-Bronn . - Merci à notre rapporteure pour ce rapport très clair et intéressant. M. Belin a suggéré que les opérateurs participent au financement de la mise en réseau des territoires. En Alsace, la région et les départements ont lancé une grande opération et se sont adressés à Orange pour couvrir notre canton : cet opérateur finance les installations dans les zones rurales, rien ne reste à la charge de notre communauté de communes. De tels accords existent !

M. Jean-François Longeot , président . - Tous les territoires ne sont pas égaux en la matière...

Mme Patricia Demas , rapporteure . - L'inclusion numérique dépend aussi de la volonté politique des élus locaux dans chaque territoire.

L'ANCT a lancé un programme sur le sujet de l'adressage en 2020, avec une base de données actuellement en construction.

Je reconnais les disparités, voire les inégalités entre territoires quant au déploiement de la fibre. Pour réduire la fracture numérique, les réseaux d'initiative publique ont déjà joué un rôle important.

La commission adopte les propositions et autorise la publication du rapport d'information.

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