Rapport d'information n° 603 (2021-2022) de M. Serge BABARY et Mme Annick BILLON , fait au nom de la délégation aux droits des femmes et de la délégation aux entreprises, déposé le 6 avril 2022

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N° 603

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2021-2022

Enregistré à la Présidence du Sénat le 6 avril 2022

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la délégation aux entreprises (1) et de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes (2) rendant compte de l' événement consacré à la place des femmes et à la mixité de genre au sein des entreprises , organisé à l'occasion de la Journée internationale des droits des femmes , le 8 mars 2022,

Par M. Serge BABARY et Mme Annick BILLON,

Sénateur et Sénatrice

(1) Cette délégation est composée de : M. Serge Babary, président ; M. Stéphane Artano, Mmes Martine Berthet, Florence Blatrix Contat, MM. Gilbert Bouchet, Emmanuel Capus, Mme Anne Chain-Larché, MM. Gilbert-Luc Devinaz, Thomas Dossus, Fabien Gay, Jacques Le Nay, Dominique Théophile, vice-présidents ; MM. Rémi Cardon, Jean Hingray, Sébastien Meurant, Vincent Segouin, secrétaires ; Mmes Cathy Apourceau-Poly, Annick Billon, Nicole Bonnefoy, MM. Michel Canévet, Daniel Chasseing, Alain Chatillon, Mme Marie-Christine Chauvin, MM. Pierre Cuypers, Alain Duffourg, Mme Pascale Gruny, MM. Christian Klinger, Daniel Laurent, Stéphane Le Rudulier, Martin Lévrier, Didier Mandelli, Jean-Pierre Moga, Albéric de  Montgolfier, Claude Nougein, Mme Guylène Pantel, MM. Georges Patient, Sebastien Pla, Mmes Émilienne Poumirol, Frédérique Puissat, MM. Christian Redon-Sarrazy, Olivier Rietmann, Daniel Salmon.

(2) Cette délégation est composée de : Mme Annick Billon, présidente ; M. Max Brisson, Mmes Laurence Cohen, Laure Darcos, Martine Filleul, Joëlle Garriaud-Maylam, Nadège Havet, MM. Marc Laménie, Pierre Médevielle, Mmes Marie-Pierre Monier, Guylène Pantel, Raymonde Poncet Monge, Dominique Vérien, vice-présidents ; Mmes Viviane Malet, Sylviane Noël, secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Bruno Belin, Mme Alexandra Borchio Fontimp, M. Hussein Bourgi, Mmes Valérie Boyer, Isabelle Briquet, Samantha Cazebonne, M. Jean-Pierre Corbisez, Mme Patricia Demas, M. Loïc Hervé, Mmes Annick Jacquemet, Micheline Jacques, Victoire Jasmin, Else Joseph, Kristina Pluchet, Marie-Pierre Richer, Laurence Rossignol, Elsa Schalck, Lana Tetuanui, Sabine Van Heghe, Marie-Claude Varaillas.

Avant-propos

Mardi 8 mars 2022, à l'occasion de la journée internationale des droits des femmes, la délégation aux droits des femmes et la délégation aux entreprises du Sénat ont, à l'initiative de leurs présidents respectifs, Annick Billon et Serge Babary, organisé ensemble un événement consacré à la place des femmes et à la mixité de genre au sein des entreprises, un sujet situé à la croisée des compétences et des sujets de réflexion des deux délégations.

La mixité, à tous les échelons de l'entreprise et dans tous les secteurs d'activité, constitue en effet un facteur majeur de progression de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, mais aussi un vecteur de progrès et de performance économique pour nos entreprises.

Le programme de l'après-midi s'est articulé autour de deux tables rondes, regroupées sous la thématique Place des femmes dans l'entreprise : assurer la mixité à tous les échelons .

La première table ronde, intitulée Orienter et former pour davantage de mixité , visait à aborder les problématiques d'orientation et de formation : des filles vers les métiers manuels, scientifiques ou technologiques, où elles sont sous-représentées, mais aussi des garçons vers des métiers caractérisés par une surreprésentation des femmes.

La seconde table ronde, intitulée Faire progresser l'égalité professionnelle au sein de chaque entreprise en promouvant la mixité à tous les échelons , avait notamment pour objectif d'étudier les politiques, initiatives et programmes pouvant contribuer à augmenter la proportion de femmes au sein des postes opérationnels, techniques ou à responsabilités et à améliorer la situation des femmes comme des hommes occupant de tels postes.

Pour l'organisation de ces deux tables rondes, les deux délégations se sont tout naturellement tournées vers des interlocutrices et interlocuteurs dont l'engagement et les prises de parole avaient marqué leurs membres lors de précédents travaux, en audition ou déplacement sur le terrain. Tel était par exemple le cas d'Armelle Carminati-Rabasse, présidente du comité Entreprise Inclusive du Medef, d'Emmanuel Gobin, membre du bureau de l' Association nationale des DRH (ANDRH) et président de l'ANDRH Nord Maritime, et de Franck Deveughele, président de Clef Job.

Les délégations ont également sollicité de nouveaux interlocuteurs, en s'appuyant sur des réseaux et des associations locales, dont elles tiennent à saluer le dynamisme et l'implication sur le terrain. Ont ainsi pu être entendus : Aline Aubertin, présidente de l'association Femmes ingénieures , Fabienne Birot-Pauly, vice-présidente de L'Outil en Main France et cheffe d'entreprise, Maurice Loué, président de L'Outil en Main des Sables-d'Olonne, Mélanie Rault, directrice régionale de l'association Entreprendre pour apprendre de Bretagne, et Laurence Piketty, membre du Cercle InterElles et administratrice générale adjointe au Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA).

Elles ont par ailleurs souhaité aborder le sujet spécifique de la réforme du lycée et son impact sur le nombre de filles intégrant des parcours mathématiques et scientifiques. À ce titre, sont intervenus Sophie Béjean, rectrice de la région académique Occitanie, rectrice de l'académie de Montpellier, et Jean-Charles Ringard, Inspecteur général Éducation, sport et recherche, co-auteurs d'un rapport intitulé Faire de l'égalité filles-garçons une nouvelle étape dans la mise en oeuvre du lycée du XXI e siècle , remis au ministre de l'éducation nationale le 9 juillet 2021.

Le présent rapport, qui reproduit les propos tenus au Sénat lors de ces deux tables rondes, permet de prendre connaissance de la richesse des échanges intervenus à l'occasion de cette journée internationale des droits des femmes, le 8 mars 2022.

Programme

Propos introductifs d' Annick BILLON , présidente de la délégation aux droits des femmes et de Serge BABARY , président de la délégation sénatoriale aux entreprises

PREMIÈRE TABLE RONDE :
ORIENTER ET FORMER POUR DAVANTAGE DE MIXITÉ

Animée par Annick BILLON ,
présidente de la délégation aux droits des femmes

- Sophie BÉJEAN , rectrice de la région académique Occitanie, rectrice de l'académie de Montpellier, et Jean-Charles RINGARD , Inspecteur général de l'Éducation, du sport et de la recherche, co-auteurs d'un rapport intitulé Faire de l'égalité filles-garçons une nouvelle étape dans la mise en oeuvre du lycée du XXI e siècle ;

- Aline AUBERTIN , présidente de l'association Femmes ingénieures ;

- Fabienne BIROT-PAULY , vice-présidente de L'Outil en Main France et Maurice LOUÉ , président de L'Outil en Main des Sables-d'Olonne ;

- Mélanie RAULT , directrice régionale de l'association Entreprendre pour apprendre de Bretagne.

SECONDE TABLE RONDE :
FAIRE PROGRESSER L'ÉGALITÉ PROFESSIONNELLE AU SEIN DE CHAQUE ENTREPRISE EN PROMOUVANT LA MIXITÉ À TOUS LES ÉCHELONS

Animée par Serge BABARY ,
président de la délégation sénatoriale aux entreprises

- Armelle CARMINATI-RABASSE , présidente du comité Entreprise Inclusive du Medef ;

- Emmanuel GOBIN , membre du bureau national de l' Association nationale des DRH (ANDRH), président de l'ANDRH Nord Maritime ;

- Laurence PIKETTY , membre du Cercle InterElles , administratrice générale adjointe au Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) ;

- Franck DEVEUGHELE , président de Clef Job , groupement d'employeurs, spécialiste du recrutement en entreprises.

Propos introductifs

Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes

C'est un grand plaisir pour moi de vous accueillir au Sénat aujourd'hui en ce 8 mars, journée internationale des droits des femmes.

Chaque 8 mars, comme tout au long de l'année d'ailleurs, la délégation aux droits des femmes du Sénat se mobilise afin d'attirer l'attention sur des problématiques spécifiques aux droits des femmes et à l'égalité entre les femmes et les hommes. Ces problématiques sont nombreuses comme en témoignent les dernières thématiques de travail de notre délégation : violences intrafamiliales, manque de visibilité des femmes - et notamment des femmes expertes - dans les médias, progression difficile de la parité dans les postes à responsabilités dans les entreprises comme dans la fonction publique, cumul d'inégalités et de difficultés pour les femmes des territoires ruraux... Sur tous ces sujets, nous vous invitons à consulter les derniers rapports de la délégation, et des synthèses sont disponibles à l'entrée de cette salle.

Nous cherchons aussi à donner une tonalité positive à cette célébration du 8 mars, qui est l'occasion de mettre en valeur des femmes qui, par leur action professionnelle, politique ou associative, contribuent à la vitalité de notre pays. Nous croyons beaucoup à l'importance des « rôles modèles » comme à la force des réseaux féminins, qui sans cesse font la preuve de leur efficacité, dans le monde professionnel comme dans le monde politique.

Cette année, notre délégation a décidé d'organiser un événement en commun avec la délégation sénatoriale aux entreprises sur le sujet fondamental de la place des femmes dans l'entreprise. Nous sommes convaincus que la mixité, à tous les échelons de l'entreprise et dans tous les secteurs d'activité, est un facteur majeur de progression de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, mais peut aussi être un vecteur de performance économique pour nos entreprises.

Merci Monsieur le Président Babary pour votre implication dans l'organisation de cet événement, je me réjouis que nos deux délégations puissent travailler ensemble sur ce sujet.

Serge Babary, président de la délégation sénatoriale aux entreprises

Avec les collègues de la délégation aux entreprises, je me réjouis également de cette double table ronde que nous organisons ensemble en ce jour emblématique.

Questionner la place des femmes dans l'entreprise et la mixité à tous les échelons, cela revient bien sûr à s'adresser aux femmes comme aux hommes. Ils et elles sont parties prenantes de la communauté éducative et contribuent à ce titre à l'orientation et à la formation des jeunes. Ils et elles constituent ensemble la communauté de travail, au sein de laquelle chacun doit être reconnu équitablement pour ses compétences.

La délégation aux entreprises du Sénat, créée à l'initiative du Président Larcher fin 2014, a pour vocation d'informer le Sénat sur la situation des entreprises, de recenser les obstacles à leur développement et de proposer des mesures visant à encourager l'esprit d'entreprise, l'activité économique et l'emploi dans les territoires.

Notre mission nous conduit donc à aller à la rencontre des entrepreneur(e)s et de leurs salarié(e)s sur le terrain. Je dois dire que nous rencontrons plus souvent des hommes que des femmes. Mais la situation évolue. Des personnes comme Emmanuelle Cadiou, que nous avions auditionnée et avons invitée aujourd'hui, en sont l'incarnation.

Nos travaux ne sont pas conduits avec le prisme du genre. Mais il est vrai que certains de nos rapports montrent à la fois les avancées et le chemin qu'il reste à parcourir. Je pense en particulier à trois d'entre eux :

- celui sur la responsabilité sociétale des entreprises. Nous avons d'ailleurs souligné à cette occasion que l'importance des sujets environnementaux pris en compte dans la politique de RSE des entreprises, ne devait pas conduire à minorer d'autres enjeux, tel que celui de l'égalité professionnelle entre hommes et femmes ;

- je pense aussi à notre rapport sur les problèmes de recrutement, qui renvoient aux enjeux d'orientation, de formation, d'images préconçues et périmées sur les métiers... ;

- je pense enfin à nos travaux sur les nouveaux modes de travail et de management. Quelle que soit la place des femmes pendant la pandémie, elles ont été particulièrement impactées. Elles ont supporté une charge mentale exacerbée, qu'elles aient été en télétravail ou en première ligne sur le front lorsque leur métier ne se prêtait pas au télétravail.

Le coup de projecteur que nous proposons aujourd'hui sur la place des femmes dans l'entreprise me paraît particulièrement utile : il nous permet d'aborder de façon approfondie la thématique qu'est l'égalité entre les hommes et les femmes. L'équilibre qui doit en découler sera toujours vecteur de progrès et de croissance pour notre économie et nos entreprises.

Merci à tous pour votre présence.

Première table ronde :

Orienter et former pour davantage de mixité

Animée par Annick Billon,
présidente de la délégation aux droits des femmes

Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes

Notre première table ronde est consacrée aux sujets d'orientation et de formation. Nous le savons, encourager la mixité dans les entreprises implique une action en amont, auprès de nos jeunes, étudiants, lycéens, collégiens et même écoliers. C'est dès le plus jeune âge qu'il faut agir.

Notre premier axe de réflexion porte sur les obstacles qui freinent aujourd'hui la progression de la mixité et de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.

Pourquoi, encore aujourd'hui, les jeunes filles n'investissent-elles pas davantage les secteurs manuels, techniques ou scientifiques ?

Pourquoi ne représentent-elles qu'un quart des salariés du secteur du numérique, où le potentiel d'emploi est pourtant important. Cette proportion ne semble pas en voie d'amélioration : les filles ne représentent que 3 % des lycéens suivant la spécialité « Numérique et Sciences Informatiques » et 7 % des étudiants d'école d'ingénieur suivant la spécialité « Informatique et science informatique ».

Pourquoi les femmes sont-elles moins nombreuses à occuper des postes à responsabilités opérationnelles et techniques, alors qu'elles sont aujourd'hui plus nombreuses que les hommes à être diplômées de master et aussi nombreuses à être diplômées des grandes écoles ? À noter néanmoins : elles ne représentent que 28 % des étudiants en école d'ingénieur, un taux qui stagne depuis dix ans.

Pourquoi, à l'inverse, les secteurs du soin, de l'aide à la personne et du social sont-ils féminisés à plus de 75 % ?

Dans ce cadre, sans doute faut-il aussi s'interroger sur l'impact de la réforme du lycée mise en oeuvre depuis 2019. En effet, la part des filles dans les enseignements de mathématiques en filière générale a brusquement chuté, retombant en 2021 à 40 %, soit le niveau de 1994. Ces résultats risquent de diminuer à nouveau la part des femmes en école d'ingénieur ou dans les autres filières scientifiques et, par conséquent, de réduire leur présence dans les secteurs de l'industrie et du numérique.

Notre second axe de réflexion est davantage prospectif et opérationnel. En tant que parlementaires, nous nous intéressons à l'évaluation des mesures mises en place et aux recommandations de politique publique en matière d'orientation et de formation. Notre démarche est également pragmatique, valorisant les initiatives locales ou les programmes concrets qui ont fait leurs preuves et gagneraient à être davantage connus et généralisés.

Pour nourrir nos réflexions, nous accueillons Sophie Béjean, rectrice de la région académique Occitanie, rectrice de l'académie de Montpellier, chancelière des universités, co-auteure d'un rapport intitulé Faire de l'égalité filles-garçons une nouvelle étape dans la mise en oeuvre du lycée du XXI e siècle , remis au ministre de l'éducation nationale le 9 juillet 2021, et M. Jean Charles Ringard, Inspecteur général Éducation, sport et recherche, co-auteur du rapport précité ; Aline Aubertin, présidente de l'association Femmes ingénieures ; Fabienne Birot-Pauly, vice-présidente de L'Outil en Main France et cheffe d'entreprise, et Maurice Loué, président de L'Outil en Main des Sables-d'Olonne ; et Mélanie Rault, directrice régionale de l'association Entreprendre pour apprendre de Bretagne.

Je vous souhaite la bienvenue à toutes et à tous.

Nous nous réjouissons d'entendre vos témoignages et de voir comment, chacun dans vos champs d'intervention spécifique, vous réfléchissez au sujet de la mixité et, surtout, menez des initiatives concrètes qui contribuent à améliorer la mixité dans tous les secteurs.

Sophie Béjean, rectrice de la région académique Occitanie, rectrice de l'académie de Montpellier, chancelière des universités

En tant que rectrice, je suis évidemment engagée pour faire progresser les enjeux de mixité dans les formations et dans les enseignements de la voie générale et technologique, mais aussi dans la voie professionnelle. J'étais ce matin avec des associations, des entreprises du numérique et des jeunes filles, élèves de nos collèges et lycées, pour leur montrer tout l'intérêt des métiers du numérique. Je serai plus tard dans la journée avec Capital fille , association engagée de longue date aux côtés de l'Éducation nationale avec des entreprises de tous secteurs d'activité, des parrains et des marraines, pour lutter contre les stéréotypes de genre mais aussi sociaux dans les choix d'orientation. Ce soir, avec la présidente de la région Occitanie et la présidente régionale du Medef, nous lancerons le plan régional d'action pour plus d'égalité filles-garçons, plus de mixité dans les formations et dans les parcours d'orientation.

Je suis aussi présidente de l' Association pour les femmes dirigeantes de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation (Afdersi), qui promeut la place des femmes dans les postes à responsabilités dans l'enseignement supérieur, l'université et la recherche. Ces secteurs n'échappent ni au plafond de verre, ni à ce qu'on appelle parfois le « tuyau percé ». Nous travaillons avec bien d'autres réseaux féminins du secteur public, mais aussi du secteur privé, dans le cadre d'une plateforme intitulée 2GAP , Gender & governance action platform , dont fait partie l'association Femmes ingénieures , représentée ici par Aline Aubertin.

Il y a un an, le 8 mars 2021, le ministre Jean-Michel Blanquer installait un groupe de travail pour réfléchir à des actions susceptibles de dépasser les rigidités et les freins à la mixité dans les formations et les métiers au sein des parcours d'orientation des élèves. Ce groupe de travail, que j'ai présidé, a réuni des représentants des organisations syndicales, des associations, des parents d'élèves, des lycéens et des chercheurs spécialistes. Il a produit un état des lieux quantitatif, puis mené une enquête auprès de 5 500 lycéennes et lycéens représentatifs de l'ensemble du territoire, métropolitain et d'outre-mer. Privilégiant une approche individuelle, celle-ci a notamment révélé que les lycéens et lycéennes choisissent leur orientation en fonction de la possibilité d'avoir une diversité de parcours, et que leurs choix restent très marqués par des stéréotypes de genre bien qu'ils aient le sentiment de choisir par eux-mêmes.

Quels sont les principaux constats ? En dépit d'actions foisonnantes sur le terrain, dans les académies et les établissements scolaires, les inégalités sont persistantes. Le cadre réglementaire apparaît pourtant satisfaisant : l'égalité entre les filles et les garçons est inscrite dans la loi. L'engagement des acteurs publics n'est pas davantage en cause : de l'Éducation nationale bien sûr, du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche mais également des ministères partenaires engagés par la convention interministérielle signée en 2019. La réforme du baccalauréat a-t-elle joué un rôle ? En offrant plus de diversité de parcours, elle a révélé des inégalités qui préexistaient mais qui étaient masquées par le fait que les élèves étaient réunis dans un nombre de filières - S, ES et L - plus réduit.

Quelques chiffres montrent que les choix des élèves sont encore très marqués par les stéréotypes de genre. Les élèves du lycée ont la possibilité de combiner des enseignements de spécialité, trois en première, deux en seconde. Les filles sont 82 % au sein de la doublette « Humanités, sciences économiques et sociales », et 81 % au sein de la doublette « Humanités, langues et civilisations étrangères ». La mixité allant dans les deux sens, on constate que les garçons ne s'intéressent pas suffisamment à ces filières. À l'inverse, la doublette « Mathématiques et sciences de l'ingénieur » ne compte que 12 % de filles, et la doublette « Mathématiques, numérique et sciences informatiques » 10 %. En revanche, elles sont plus de 53 % à choisir « Mathématiques et SVT ».

Dans l'enseignement supérieur, les formations médicales, paramédicales et sociales sont choisies à 84 % par des filles et, à l'inverse, elles ne représentent que 20 % des effectifs dans les formations d'ingénieurs, sans même distinguer celles qui relèvent des sciences de la vie ou de l'agronomie, qui sont plus choisies par les filles que les filières liées à l'industrie. Quant à la voie technologique, elle montre les mêmes déséquilibres.

À partir de ces constats, nous avons retenu cinq leviers d'actions.

En premier lieu, un pilotage volontariste à tous les niveaux : ministère, régions, académies et établissements scolaires, à partir d'une mesure nouvelle qui doit mobiliser l'ensemble de la communauté éducative. Nous mettons en place au lycée un label « égalité filles-garçons », à l'image du label en faveur du développement durable, qui doit inciter les établissements à développer un projet « égalité filles-garçons », y compris en matière de mixité, dans tous les enseignements ainsi que dans le choix des filières. Notre Premier ministre a également souhaité la mise en place d'une semaine de l'égalité autour du 8 mars. Dans l'académie de Montpellier, ce sera la deuxième semaine de l'égalité, puisque que nous avions anticipé avec une première semaine au mois d'octobre dernier.

Deuxième levier, le renforcement de la communication et de l'information en direction des jeunes, à travers des messages auxquels ils peuvent être sensibles. Le mentorat est très important, à l'image de ce que nous pratiquons avec l'association Capital filles , où des représentants du monde professionnel viennent mentorer, parrainer ou marrainer des jeunes élèves. Nous souhaitons aussi développer le mentorat réalisé par des étudiants, qui sont des modèles plus proches pour les élèves. Nous voulons favoriser l'accueil des filles dans les formations où elles sont peu nombreuses ainsi que dans les stages en entreprise. Dans la région Occitanie, nous lançons avec le Medef et l'ensemble des acteurs économiques une charte d'accueil pour les filles dans les stages en entreprise. Avec les régions, le monde économique, les branches professionnelles et l'appui de l'Onisep (Office national d'information sur les enseignements et les professions), il faut également continuer à communiquer sur la mixité des métiers, sur le fait que nos représentations des métiers et des formations sont périmées et que toutes les filières peuvent accueillir filles et garçons.

Troisième levier, l'orientation, pour laquelle nous avons décidé de doter l'Éducation nationale, les académies et les établissements scolaires d'un objectif cible de 30 % de mixité au lycée et dans les formations post bac. Le ministre souhaite également lancer une expérimentation de « bourses à l'égalité », pour inciter les filles ou les garçons à rejoindre les formations les plus déséquilibrées. Certains établissements d'enseignement supérieur le font déjà, notamment l'école de management de Montpellier qui a mis en place des bourses à l'égalité pour les filles qui rejoignent certaines formations.

Quatrième levier, l'action sur ce qui se fait dans la classe même, c'est-à-dire la façon dont les professeurs, dans leurs postures professionnelles ou dans certains enseignements - éducation à la citoyenneté, éducation aux valeurs de la République - vont pouvoir agir pour déconstruire les stéréotypes de genre. À cet égard, le grand oral, cette nouvelle épreuve du baccalauréat réformé, nous semble être un levier particulièrement intéressant. Moins encouragées que leurs homologues masculins à prendre la parole en classe, les filles ont souvent plus de freins à l'oral. À condition d'y avoir été correctement préparées par leurs professeurs, le grand oral constitue une formidable occasion pour les filles d'être mises en confiance et d'exprimer toutes leurs connaissances et leurs talents.

Le dernier levier concerne la formation initiale et continue de nos personnels et de nos professeurs. En réalité, nos professeurs ne savent pas toujours comment s'y prendre pour lutter contre les stéréotypes de genre. Quelles sont les postures professionnelles qui sont autant favorables aux filles qu'aux garçons ? Nous sensibiliserons également les membres des jurys et tous les acteurs de l'orientation.

Voici en résumé le plan d'action en cinq axes, comportant une vingtaine de mesures, des objectifs cibles clairs qui responsabilisent chacun à tous les niveaux. Nous le lancerons dès ce soir avec la présidente de la région Occitanie, la présidente du Medef Occitanie, des partenaires économiques, des universités, des établissements de l'enseignement supérieur et des associations.

Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes

Ces propos font écho aux travaux que nous menons dans nos délégations respectives. Nous avons nettement perçu ces stéréotypes de genre, en matière d'orientation, dans le cadre de l'élaboration de notre rapport sur la ruralité intitulé Femmes et ruralités : en finir avec les zones blanches de l'égalité .

Jean-Charles Ringard, inspecteur général éducation, sport et recherche

Avec le rapport que nous avons remis au ministre, dont l'essentiel des propositions seront mises en oeuvre à la rentrée 2022, nous changeons de paradigme. Les premiers travaux sur l'égalité entre filles et garçons datent d'une quarantaine d'années : en 1984, Jean Pierre Chevènement et Yvette Roudy amorcent les premières réflexions sur la place des filles et des femmes dans les filières scientifiques. À l'époque, l'approche est centrée sur l'orientation, considérée comme une cause, plutôt qu'une conséquence. Nous changeons cela et, à cette fin, agissons sur deux niveaux.

Le premier niveau se situe dans la classe. Le rapport maître élève est tel que le geste professionnel d'un enseignant a une influence sur la représentation des filles, sur leur confiance en elles-mêmes et leurs choix futurs. Le premier changement de paradigme consiste à faire prendre conscience aux enseignants de leur influence sur les représentations, les stéréotypes, et, par conséquent, sur les projections de parcours. Notre rapport identifie un certain nombre de travaux scientifiques qui montrent combien on peut modifier le rapport aux mathématiques et aux sciences des filles à partir de la manière dont elles sont interpellées et stimulées dans la classe.

Le deuxième niveau se situe dans les établissements, qui doivent avoir des objectifs clairs. Nous nous sommes posé la question des quotas, à l'image des quotas de boursiers dans les classes préparatoires. Finalement, le ministre a retenu l'idée qu'entre 2022 et 2025, chaque enseignement de spécialité de lycée, chaque filière technologique et chaque filière sélective post bac devrait avoir au moins 30 % de mixité, ce qui va dans les deux sens, les garçons étant très peu présents dans les lettres et les humanités.

Au-delà du changement de paradigme, la Présidente Billon a annoncé des chiffres qui montrent un effondrement de la part des filles dans les filières scientifiques et mathématiques. À ce sujet, trois remarques.

D'abord, il ne faut pas comparer ce qui n'est plus comparable. Nous étions auparavant dans une logique de série : les séries A, B, C, D depuis 1965 puis L, ES, S à partir de 1994. La série est un menu complet. En 2018, plus d'un élève sur deux allait en série S. En vingt ans, le lycée a progressivement dérivé vers la série S, considérée comme une série d'excellence mais dont seulement 52 % des élèves se dirigeaient ensuite vers les filières scientifiques, avec des proportions à peu près symétriques s'agissant des filles. La nouvelle logique du lycée n'est pas une logique de menu mais une logique de choix à la carte. Ce choix à la carte part d'un principe pédagogique extrêmement simple, celui de la motivation des élèves lorsqu'on les invite à choisir une spécialité. Depuis le mois de janvier, il y a eu quelques polémiques autour des mathématiques. Je m'étonne un peu que certains mathématiciens comparent des choses qui ne sont pas totalement comparables. On ne peut comprendre le choix des filles et des garçons au lycée qu'en fonction de cette logique de choix, en fonction de leur appétence, et non à partir de la logique antérieure des séries.

Ma deuxième remarque porte sur la situation effective des filles dans le cadre du nouveau lycée. Certes, il y a potentiellement moins de filles dans les matières scientifiques, mais que deviennent, un an après, celles qui ont choisi mathématiques, physique, chimie, Sciences et vie de la terre (SVT), Numérique et sciences informatiques (NSI) ou Sciences de l'ingénieur (SI) ? Nous devons faire preuve de prudence méthodologique. La réforme n'a qu'un an, le contexte du Covid est présent, nous manquons de recul. Mais d'ores et déjà nous constatons un frémissement au niveau des quatre classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE) scientifiques : un peu plus de filles les ont choisies. En l'état actuel, il est vrai qu'il y a moins de filles dans les parcours scientifiques, et particulièrement les plus mathématisés, mais il y a plus de filles qui s'orientent vers les sciences et les mathématiques après le bac.

Enfin, il importe que nous ne travaillions pas seulement sur l'aspect orientation, mais également sur les actions à mener dans les lycées, collèges et écoles. L'Éducation nationale a sa part de responsabilité dans la situation et ne peut s'en exonérer. Nous devons corriger ou atténuer certains effets de la réforme. Cette correction relève aussi de choix de société. Ce qui est sûr, c'est qu'à travers notre rapport, le ministre Blanquer prend une vraie orientation politique. C'est un travail de longue haleine qui nécessite une grande détermination.

Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes

Notre collègue Marie-Pierre Monier, co-rapporteure avec notre collègue Max Brisson et moi-même du rapport de la commission de la culture sur le bilan des mesures éducatives du quinquennat, aura peut-être souri à vos propos. Pour choisir à la carte, encore faut-il qu'elle soit compréhensible et que l'on sache où tel plat vous emmène. Bien souvent, les élèves ne connaissent ni les attendus ni les prérequis des formations supérieures.

Aline Aubertin, présidente de l'association Femmes ingénieures

Je suis directrice des achats chez GE Healthcare , dans un secteur très scientifique, et administratrice de la biopharma Oncodesign . J'ai fait toute ma carrière dans l'industrie et, depuis une trentaine d'années, je suis très engagée au sein de l'association Femmes ingénieures que j'ai le plaisir de présider depuis 2013. Nous agissons avec la conviction que l'égalité réelle est source de richesse, et sommes confortées par de nombreuses études montrant que plus une entreprise est féminisée, plus son « bas de page », diraient les financiers, est intéressant, plus elle est créative, plus elle innove, se développe et crée de la richesse. Forts de cette conviction, nous cherchons à valoriser les ingénieures pour inspirer notre société puisque, effectivement, seuls 30 % des élèves ingénieurs sont des filles.

Notre mission consiste à faire la promotion des métiers d'ingénieurs auprès des filles et des femmes. J'insiste sur le mot femme car il s'agit également de rendre les ingénieures plus visibles dans l'entreprise et dans la société en général, puisque les petites filles ne voient jamais d'ingénieures autour d'elles. Elles n'ont donc pas la possibilité de se projeter facilement et ne vont pas vers ces métiers.

Femmes ingénieures est une association d'intérêt général qui joue un rôle de think tank et d'influence. Elle existe depuis quarante ans et a été créée par des femmes ingénieures qui avaient envie de se rassembler pour se sentir un peu moins seules. Progressivement, l'association s'est ouverte également à l'adhésion des personnes morales. Les nombreuses entreprises membres marquent bien leur volonté de recruter plus de femmes. C'est d'ailleurs désespérant : les entreprises viennent auprès de Femmes ingénieures et nous demandent : « Que pouvons-nous faire pour avoir plus de femmes ? », alors que les filles investissent des filières où il n'y a pas forcément autant de métiers différents, ou le plein emploi comme chez les ingénieurs. Nous comptons aussi de nombreuses associations, notamment des associations d' Alumni .

Puisqu'on a parlé de changement de paradigme, la nouveauté depuis quelques années, c'est que des écoles d'ingénieurs commencent également à se saisir de cette problématique. Elles ne disent plus : « les filles sont les bienvenues, si elles ne viennent pas qu'y pouvons-nous, le problème se situe avant nous dans les classes prépa ». Aujourd'hui, les écoles elles-mêmes se disent qu'elles ne peuvent plus conserver cette posture et qu'elles doivent faire quelque chose. L'Observatoire des ingénieurs réalise chaque année une analyse statistique comparée de la population des ingénieurs hommes et des ingénieures femmes à partir des données statistiques de la Fédération de l'ensemble des associations d'ingénieurs, Ingénieurs et scientifiques de France , qui montre que la proportion de filles dans les écoles d'ingénieurs s'élève à 30 % aujourd'hui, soit dix points de plus qu'il y a trente ans. Les chiffres évoluent, mais très peu, et la tendance est plutôt à la stagnation depuis quelque temps.

C'est d'autant plus désespérant qu'en 2020, en pleine pandémie, 90 % des jeunes diplômées ont mis moins d'un an pour trouver un emploi et que 80 % avaient trouvé en moins de trois mois. Leur salaire d'embauche atteint deux fois le SMIC. Le chômage est inconnu dans la profession. Donc il n'y a aucune raison que les filles ne s'y dirigent pas. Une remarque quand même : dès l'embauche, les femmes ingénieures gagnent 4 % de moins que les hommes. Ce n'est pas toujours dans le même métier, d'accord, ce ne sont pas toujours les mêmes formations, d'accord, mais la posture qui est de dire : « On veut des ingénieures mais dès l'embauche, on commence à les payer moins que les hommes » pose problème et n'est pas très vendeuse.

Ceci étant posé, un autre chiffre extrait de l'enquête Gender scale à laquelle nous collaborons, donne une image de la perception des métiers scientifiques par des adolescents aux alentours de 11 ans. Il en ressort que les filles sont a priori beaucoup moins intéressées par ces métiers. S'agissant du numérique, 7 % des filles se montrent intéressées, contre 29 % des garçons à cet âge. C'est là où les propos de M. l'inspecteur général, avec tout le respect que je lui dois, me font bondir, car autant je n'ai jamais été favorable au fait d'avoir une filière d'excellence qui fausse les règles du jeu et qui menait certains élèves à choisir la filière S pour aller à Sciences Po, autant je ne suis pas d'accord avec ce que je viens d'entendre parce que, s'il y a un menu à la carte, on n'a pas expliqué aux filles que, suivant les choix qu'elles ont fait sur la carte, elles seraient potentiellement privées de dessert ! Si elles n'ont pas fait les bons choix, elles ne pourront pas aller vers les filières scientifiques et techniques, elles laisseront la place à des garçons qui auront des emplois mieux payés qu'elles, qui auront des carrières qu'elles auraient tout à fait pu s'offrir si elles avaient fait les bons choix et si on leur avait donné les bonnes explications. Je veux bien croire que ce n'était pas du tout l'objectif de cette réforme qui fait sens par ailleurs, mais force est de constater ses résultats et, si on ne fait rien, la proportion de femmes ingénieures va diminuer.

C'est un enjeu de société parce que l'on va manquer d'ingénieurs et surtout parce que les outils du numérique sont omniprésents dans notre vie. L'idée que les femmes pourraient demain être exclues de ce monde de technologies est impensable. D'ores et déjà, l'intelligence artificielle reconnaît mieux les visages d'hommes que les visages de femmes, les femmes blanches que les femmes noires. Chez GE Healthcare , on fabrique des mammographes. Croyez-vous vraiment qu'on peut inventer le mammographe de demain sans que, dans les écoles et les équipes de recherche et développement, il y ait une femme ? Pour moi, c'est absolument inenvisageable, et c'est pourquoi l'enjeu d'avoir des femmes dans la technologie est crucial.

Dernier chiffre, les résultats d'une enquête sociologique de 2016 - elle date un peu mais la réalité n'a pas changé - réalisée dans des écoles d'ingénieurs auprès de filles et de garçons cherchant à évaluer le vécu des filles et des garçons. Pour 72 % des filles et 75 % des garçons, la culture de leur école d'ingénieurs est encore très masculine. Le milieu n'est pas si accueillant que ça pour les filles, parce qu'il est hyper masculinisé. Les garçons disent que ça pourrait décourager les filles et ils le regrettent. Ils nous disent « Nous, on voudrait qu'il y ait plus de filles dans les écoles d'ingénieurs ». Ce faible pourcentage de filles active dès le départ le syndrome de l'imposture. Il est difficile aujourd'hui d'être dans une école d'ingénieurs quand vous êtes moins de 10 % de filles et que l'on vous renvoie le message que vous n'êtes pas à la bonne place, parce que vous ne ressemblez pas au monde qui vous entoure.

À chaque élection présidentielle, nous soumettons des propositions concrètes aux candidats. Nous venons de les actualiser avec nos amis des associations Femmes et mathématiques et Femmes et sciences . Elles sont au nombre de 26 et les axes majeurs sont les suivants.

Tout d'abord, il faut agir sur le grand public, les professionnels, les parents et, surtout, il faut repenser la place des sciences dans l'enseignement primaire et secondaire. À l'école primaire, les enseignantes ont majoritairement fait des études littéraires et ne sont pas à l'aise avec les mathématiques et les sciences. Bien malgré elles, elles véhiculent des stéréotypes - il n'est pas question de stigmatiser, mais la réalité est là.

Il faut encourager l'orientation des jeunes filles vers les filières scientifiques et techniques. Des études scientifiques montrent que pour changer leur perception, il faut aller à leur rencontre à des moments clés de l'orientation et ce, à plusieurs reprises. La Fondation L'Oréal notamment a financé une étude qui prouve que lorsque des jeunes filles rencontrent des professionnels, elles vont davantage vers ces métiers mais que les résultats sont meilleurs quand elles les ont rencontrés peu de temps avant de faire leur choix dans Parcoursup , et encore plus si elles en ont rencontrés plusieurs fois.

Il faut également mettre en place un environnement non sexiste qui favorise la mixité dans les lycées et les établissements, et dynamiser la carrière des femmes pour éviter qu'elles ne se heurtent au plafond de verre.

Maurice Loué, président de L'Outil en Main des Sables-d'Olonne

Je suis président de L'Outil en Main des Sables-d'Olonne et membre du conseil d'administration de L'Outil en Main Vendée et Pays de la Loire. L'Outil en Main est un réseau national créé par Mme Marie Pascale Ragueneau en 1994, réunissant 235 associations partout en France depuis vingt-huit ans et, j'insiste, entièrement porté par des bénévoles.

L'Outil en Main apporte sa contribution à la mixité par une action concrète sur le terrain en familiarisant les jeunes de 9 à 14 ans, et notamment les filles, aux métiers manuels de l'artisanat, du patrimoine, du numérique, etc. Aux Sables-d'Olonne, nous accueillons les mercredis après-midi trente enfants, dont onze filles et dix-neuf garçons pour douze métiers différents : maçonnerie, mécanique, motorisation, zinguerie, plomberie, métallisation, électricité, menuiserie, marqueterie, couture, boulangerie-pâtisserie et peinture. Au cours de l'année, chaque jeune passera trois mercredis de suite dans chacun des métiers. Fin novembre dernier, nous avons accueilli durant une semaine entière 160 collégiens, avec toujours un pourcentage de 30 % de filles.

Dans toute la France, chaque semaine, 3 500 jeunes sont initiés à plus de cent métiers, dans de vrais ateliers, avec de vrais outils. Filles et garçons pétrissent la pâte, forgent, soudent, taillent la pierre, découpent du bois et manient le chalumeau. Tous les ouvrages réalisés leur sont remis en fin d'année, ainsi qu'un certificat d'initiation aux métiers manuels.

C'est par la transmission intergénérationnelle que nous travaillons toute l'année à changer le regard des jeunes filles et garçons sur les métiers et les savoir-faire, en leur faisant découvrir l'intelligence de la main et ce qui ne s'apprend pas dans les livres. Grâce à L'Outil en Main , les jeunes filles peuvent envisager un métier manuel comme horizon professionnel désirable et valorisant.

Fabienne Birot-Pauly, présidente de l'association L'Outil en Main de Saint-Nazaire, vice-présidente du réseau national

Au-delà de mes fonctions à L'Outil en Main , je dirige une entreprise de menuiserie. En France, une entreprise artisanale sur quatre est dirigée par une femme. Cette part a doublé en l'espace de trente ans, mais la répartition des hommes et des femmes par métier est loin d'être équilibrée dans les métiers manuels de l'artisanat et du patrimoine. Parmi les salariés des entreprises artisanales, les hommes occupent le plus souvent des postes de production alors que les femmes occupent majoritairement des fonctions transverses de secrétariat, de vente ou de comptabilité.

Je réalise des planches, je dessine des plans, je suis les chantiers. Il y a trente ans, il était tout à fait exceptionnel de voir des femmes dans le secteur du bâtiment. Pour légitimer sa place, il fallait prouver ses compétences. C'est encore un peu le cas et c'est bien dommage.

En fait, dans les métiers manuels, les choix d'orientation demeurent marqués. Doucement cependant, les métiers se féminisent : dans le BTP par exemple, en peinture, en électricité, mais très peu encore en menuiserie, en charpente, en maçonnerie, etc. Chez les apprentis, les femmes demeurent largement minoritaires, si bien que celles qui choisissent ces métiers évoluent dans un environnement masculin.

À L'Outil en Main , les filles et les garçons découvrent en s'amusant tous les métiers représentés dans un atelier. À Saint-Nazaire, vingt sont représentés, de la coiffure à la menuiserie, en passant par la charpente, la couture et le dessin industriel. Les enfants vont également passer trois mercredis d'affilée avec un bénévole qui va leur faire découvrir ces activités. Ils ne choisissent pas entre couture ou mécanique, ils seront initiés à tous les métiers proposés dans l'atelier, peu importe les idées reçues et les mécanismes d'autocensure. Chaque année nous observons des a priori chez les jeunes filles comme chez les jeunes garçons. Les jeunes filles démontent avec ferveur des moteurs de voitures pendant que les garçons s'appliquent sur leur ouvrage de confection. C'est là tout le sens du projet de L'Outil en Main qui consiste à déconstruire les idées reçues sur les métiers manuels. Nos 5 500 bénévoles y travaillent chaque semaine.

Nous sommes des architectes de l'avenir car nous savons que plus tôt nous intervenons, plus tôt nous pouvons semer des idées, des voies différentes, montrer que cela est possible. Nous savons tous que l'accès à l'entreprise est difficile pour les jeunes. Nous leur donnons la possibilité d'expérimenter, et même si la voie choisie plus tard n'est pas dans ce domaine, il est évident que l'état d'esprit aura évolué, la façon d'appréhender l'avenir sera différente. Il faut donc s'y prendre bien avant le moment de l'orientation, et pas uniquement à l'école, pour que les jeunes aient une idée réaliste de la noblesse et de l'intelligence de ces métiers. Comme nous le faisons dans nos ateliers, il faut être présent à leurs côtés pour leur montrer les gestes, répondre à leurs questions sans tabou, les inciter, ne pas les juger. Notre monde change, les bénévoles retraités ou encore en activité montrent le chemin. Il faut continuer, c'est ainsi que nous pourrons voir plus de jeunes et plus de filles embrasser des carrières dans l'artisanat et améliorer la mixité à tous les échelons de l'entreprise.

Maurice Loué

Je souhaite vous lire un témoignage. Il y a dix ans, Émilie franchissait la porte des ateliers de L'Outil en Main . C'était une fille assidue, appliquée et très intéressée. Voici la lettre qu'elle nous a adressée quelques années plus tard : « Les ateliers que j'ai préférés sont la menuiserie et la peinture. L'ambiance est super entre nous, on s'entend bien, on parle de nos réalisations. Les papys sont gentils, ils nous apprennent plein de choses, ils sont toujours là pour nous aider à réaliser nos objets. Nous avons découvert le travail manuel en situation réelle, les matériaux, les outils dans de vrais ateliers. J'ai découvert le métier que j'aimerais faire plus tard : ébéniste. Ils m'ont tous encouragée. Grâce à L'Outil en Main, par l'échange et la transmission des savoirs, des professionnels passionnés m'ont guidée vers le métier que je pratique maintenant. Ma formation en ébénisterie et menuiserie d'agencement achevée, mon CAP et Bac pro obtenus, je travaille dans une entreprise de menuiserie spécialisée dans l'installation de scènes de spectacles et je m'épanouis pleinement dans mon métier. Quand on me demande mon parcours professionnel, je cite toujours en premier L'Outil en Main et j'en suis très fière. Plus tard, j'intègrerai votre association pour redonner ce que l'on m'a transmis . » Je termine avec ma phrase favorite. « Des mamies et des papys comme ça ne se trouvent qu'à L'Outil en Main, ce sont des mamies et des papys en or ». Signé : Émilie.

Mélanie Rault, directrice régionale de l'association Entreprendre pour apprendre de Bretagne

L'association Entreprendre pour apprendre de Bretagne, association loi 1901 reconnue d'intérêt général, a pour objectif le développement de l'esprit d'entreprise et de l'envie d'entreprendre chez les jeunes. Elle s'adresse aux jeunes publics de 12 à 25 ans, scolaires ou hors scolaires, aux personnes en insertion professionnelle, en situation de handicap ou en situation carcérale. Elle propose des parcours allant de la sensibilisation pendant une journée à des parcours de plusieurs mois pendant lesquels les jeunes créent leur entreprise en équipe, de trois élèves à une classe entière.

Nous partageons les valeurs de ce qui vient d'être dit. Nous faisons découvrir l'entreprise à travers le mentorat, pour travailler sur la mixité des filles et des garçons dans les parcours. L'idée d'entreprendre, au sens large, c'est aussi d'être acteur de sa vie. Nos jeunes ne seront pas forcément des chefs d'entreprise, mais nous leur montrons qu'à chaque niveau, on peut entreprendre, on peut s'engager, cela peut être en politique, cela peut être dans la société, en tant que chef d'entreprise. L'idée est de leur faire prendre conscience que, fille ou garçon, ils ont des talents.

Nous proposons trois parcours :

- un parcours de sensibilisation en une journée à partir d'une thématique, qui peut être Comment relever le défi des stéréotypes de genre ? Les jeunes ont d'excellentes idées, que nous allons relever ;

- des parcours intermédiaires, de 35 heures à peu près, sur le modèle d'une semaine de stage, où ils s'essayent à la création d'entreprise, jusqu'au prototypage. Les élèves définissent une idée sur une thématique de métier ou de secteur et ils y répondent concrètement. C'est ce que nous appelons la « mini-entreprise » ;

- des parcours de plusieurs mois, de la production jusqu'à la commercialisation. Ils découvrent le métier de menuisier en travaillant sur la récupération de palettes pour faire des meubles, ils récupèrent des gouttières pour en faire des jardinières, des tissus pour en faire des trousses, etc. Ils revendent ensuite leurs produits dans l'économie locale et circulaire, une occasion pour eux de créer du lien avec des entreprises locales. Les bénéfices sont distribués à des associations, l'idée étant aussi d'apprendre à entreprendre pour les autres.

Nous existons à travers une fédération nationale composée de dix-sept associations Entreprendre pour apprendre , que je vous invite à rencontrer sur vos territoires. Tous nos parcours sont habilités par le ministère de l'Éducation nationale et nous travaillons en étroit partenariat avec les équipes pédagogiques. Nous considérons également le mentorat comme fondamental. Nous avons constaté que les filles ont du mal à se projeter quand le mentor est un homme. Leur montrer des parcours féminins aussi riches et porteurs les incite davantage à se dire : « c'est possible, je peux ».

La question de l'égalité ne surgit pas vraiment au collège, mais plutôt au lycée, quand les jeunes filles commencent à se dire qu'elles veulent être maman et qu'elles vont donc se diriger vers tel type de carrière. Nous leur apprenons qu'on peut choisir d'être maman, évidemment, mais que cela n'est pas incompatible avec une carrière. Dans cette perspective, le mentorat est fondamental et nous avons besoin de femmes engagées. Nous nous appuyons à cette fin sur des réseaux féminins, Femmes de Bretagne , 100 000 entrepreneurs , et nous venons de faire connaissance avec L'Outil en Main . C'est effectivement en partageant ces valeurs communes et en fédérant ce tissu associatif que l'on ira plus loin sur le sujet de la mixité.

Emmanuelle Cadiou, présidente de Cadiou Industrie

Je dirige également une menuiserie, la société Cadiou, qui compte 750 collaborateurs. Pour changer de paradigme, il faut se dire qu'on ne fabrique pas des produits, mais que nos produits procurent du bien-être aux gens. Les femmes ont besoin de sens et de savoir à quoi elles servent ! Quelles sont les valeurs et la raison d'être de l'entreprise ? C'est en pensant « raison d'être » et « à quoi on sert ? » plutôt que « produit » qu'on les attirera. Pour ma part, je suis disposée à m'engager auprès du réseau breton pour être mentor dans votre association Entreprendre pour apprendre .

Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes

C'est le pouvoir magique d'une telle table ronde que de faire se rencontrer de belles personnes qui vont associer leurs talents pour progresser vers plus d'égalité et plus de mixité.

Laure Darcos, sénatrice

En tant qu'élue de l'Essonne sur le plateau de Saclay, je suis très intéressée par le milieu scientifique. De nombreuses associations essayent d'y valoriser les femmes. Ce qui me frappe, c'est la difficulté de leur prise de parole, notamment lorsqu'elles présentent des projets. J'ai connu l'année dernière l'expérience malheureuse d'une femme qui avait développé une start-up formidable. Elle en a fait la présentation à la Banque publique d'investissement (BPI) mais n'a pas été retenue. Avait-elle été trop virulente ? L'année suivante, son associé a présenté le projet dans les mêmes termes exactement : il a été accepté. Les femmes peuvent rencontrer des difficultés lors de leur prise de parole, liées à leur façon de poser leur voix ou d'exprimer les choses. En face, il faut aussi que dans les banques, Banque publique d'investissement (BPI) ou autres, ceux qui reçoivent nos projets soient plus ouverts. Au-delà d'apprendre plus de sciences aux femmes, il faut aussi, dès leur plus jeune âge, leur apprendre à ne plus avoir peur, à se dire « même si je ne coche pas toutes les cases, j'y vais ».

Aline Aubertin

Il y a quand même des études qui montrent que les femmes ayant un cursus scientifique ne demandent pas moins d'augmentation de salaire que les hommes, mais qu'elles les obtiennent moins. Quand on s'est pris dix fois la porte dans le nez, au bout d'un moment on se lasse ! D'autres montrent que les femmes sont aussi ambitieuses que les hommes. Je ne supporte plus d'entendre que les femmes n'osent pas. Ce n'est pas vrai, et si c'est vrai, c'est parce qu'elles ont tellement osé, elles se sont tellement heurtées au plafond de verre ! Cessons de leur faire porter la responsabilité !

Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes

Nous avons tous une responsabilité. Les statistiques d'occupation d'une cour d'école montrent que l'espace est occupé à moins de 30 % par les petites filles et le reste par les garçons. Les stéréotypes sont précoces ! Il faut avancer dans les représentations et les modèles.

Avec la rapporteure de la commission des affaires sociales du Sénat, Laurence Garnier, nous avons fait adopter une proposition de loi de notre collègue députée Marie Pierre-Rixain, présidente de la délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale, sur l'égalité économique et professionnelle. Nous pouvons aussi nous appuyer sur la loi Copé-Zimmermann, qui a fêté ses dix ans l'an dernier, ainsi que sur l'index de l'égalité professionnelle. La bonne application de toutes ces mesures législatives doit cependant être contrôlée et il faut communiquer sur les résultats, car la société accepte de moins en moins les inégalités. Nous devons savoir quelles sont les entreprises qui n'accordent pas les augmentations de salaires ou les congés paternité. Nous devons également veiller à ce que l'égalité ne soit pas uniquement le souci des grandes entreprises.

Florence Blatrix Contat, sénatrice

J'ai récemment été invitée dans une école. Des élèves de CM1 et de CM2 m'ont demandé si c'était difficile d'être une femme au Sénat. Je leur ai expliqué qu'une femme pouvait tout faire, et un petit garçon me dit - c'est dans une commune forestière - « Mais une femme, elle ne peut pas être débardeuse quand même ? ». Les stéréotypes sont vraiment très présents et il faut les déconstruire dès le plus jeune âge. Vos actions auprès du grand public et des parents sont vraiment essentielles pour l'avenir.

S'agissant de la réforme des lycées, il y a très peu de filles dans le binôme maths et numérique, 10 à 12 %. C'est très inquiétant parce que c'est un secteur d'avenir qui est en train de se structurer, qui construit son système de valeurs, son système de management et si les filles et les femmes en sont exclues dès maintenant, ce secteur se détachera d'elles pour longtemps. Il faut vraiment redresser la barre.

La réforme est aussi inégalitaire parce que tous les élèves n'ont pas la même information sur les débouchés de telle ou telle spécialité. En général, quand il y a des inégalités, les femmes sont plus touchées que les autres, donc il faut vraiment travailler à mieux informer les élèves de ce qu'ils pourront faire après leur spécialité, c'est un enjeu et un travail à reprendre sur le lycée, si on ne veut pas que les filles soient privées de dessert.

Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes

Vos propos font écho à une situation dans laquelle je me suis trouvée hier. Je présentais la délégation aux droits des femmes à une quarantaine d'élèves et un jeune d'une classe de 3 e m'a posé une question qui valait son pesant d'or : « Est-ce que la voix d'une sénatrice a le même poids que celle d'un homme ? »

Seconde table ronde :

Faire progresser l'égalité professionnelle au sein de chaque entreprise en promouvant la mixité à tous les échelons

Animée par Serge Babary,
président de la délégation sénatoriale aux entreprises

Serge Babary, président de la délégation sénatoriale aux entreprises

En guise d'introduction, je vous propose de visionner une courte vidéo réalisée par Emmanuelle Cadiou, présidente de Cadiou Industrie, entreprise située en Bretagne. Elle illustre bien la place des femmes dans les métiers de l'industrie et montre que les préjugés sur les métiers peuvent être surmontés.

La vidéo est projetée .

Emmanuelle Cadiou, présidente de Cadiou Industrie

Au sein de Cadiou, nous recrutons non pas sur CV, mais grâce à un système par simulation, mis en place avec Pôle Emploi . Cette méthode simple, qui permet d'éviter les discriminations et les préjugés, a porté ses fruits. En dix ans, nous sommes ainsi passés de 200 à 700 salariés, tandis que l'entreprise a été largement féminisée.

Aujourd'hui, nous apprenons aux femmes, dans des ateliers écoles, à devenir menuisier, débiteur ou usineur. Pour donner envie aux femmes, il faut leur parler de la finalité du produit, plus que du cahier des charges. C'est fondamental, nous avons besoin de mixité dans les entreprises.

Serge Babary, président de la délégation sénatoriale aux entreprises

Souvent évoquée pour les plus hauts postes de direction, la question de l'égalité professionnelle doit être traitée à tous les niveaux de poste et de qualification.

S'agissant des plus hauts postes, force est de constater, onze ans après la loi Copé-Zimmermann, que nos entreprises ont joué le jeu de la mixité. La part des femmes au sein des conseils d'administration et de surveillance du SBF 120 est passée de 13 % en 2010 à 46 % en 2021, hissant ainsi la France au premier rang mondial.

Toutefois, si les instances pour lesquelles la loi impose un quota se rapprochent de la parité, ce n'est pas le cas des conseils d'administration des grandes entreprises non cotées en bourse, où les femmes ne sont représentées qu'à 24 %, ni des postes exécutifs des très grandes entreprises. À l'échelle des petites entreprises, le constat est sensiblement le même : en 2014, seulement trois chefs d'entreprise sur dix étaient des femmes et ce chiffre diminue à mesure que l'entreprise grandit.

Comment expliquer cette situation et comment l'améliorer ? Le fait de focaliser sur les plus grandes entreprises et les plus hauts postes de direction a-t-il, par ricochet, un impact sur tous les échelons et métiers de l'entreprise ? Conduirait-il, au contraire, à se désintéresser des obstacles persistants à la mixité à d'autres niveaux ? De quelle nature sont ces obstacles ? Sur quels facteurs peut-on agir le plus facilement ? Les causes et les solutions sont-elles éducatives, culturelles ou encore réglementaires, financières ou liées au management des entreprises ? Comment attirer les femmes - et inversement les hommes, d'ailleurs - vers des métiers dont elles sont quasi absentes, alors même que ces derniers sont porteurs et pourvoyeurs d'emplois ?

Armelle Carminati-Rabasse, présidente du comité Entreprise Inclusive du Medef

En tant qu'ingénieure, je sais à quel point on peut être aveugle, pendant ses études, à la surreprésentation des garçons et à la sous-représentation des filles. Ce n'est qu'une fois devenue dirigeante que j'ai créé, en 2004 chez Accenture , mon premier réseau de femmes cadres, qui comptera, à mon départ en 2013, près de 2 000 membres. En 2009, j'ai ensuite cofondé le Laboratoire de l'égalité avant d'écrire quelques ouvrages sur l'égalité professionnelle en entreprise. J'ai également été membre du Conseil supérieur de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et de l'Observatoire de la laïcité.

Mon engagement au Medef s'explique autant par ma volonté d'encourager les chefs d'entreprise silencieux, inquiets, frileux ou ignorants sur ces questions d'égalité femmes-hommes que par celle de rendre audibles, auprès des pouvoirs publics et des médias, les chefs d'entreprise qui agissent dans ce domaine. En réalité, les territoires sont maillés de chefs d'entreprise humanistes pour certains, pragmatiques pour d'autres, mais tous conscients qu'ils ne peuvent se priver de talents. Finalement, l'enveloppe compte peu. Ce qui compte, c'est l'énergie, la motivation, l'envie de s'intégrer dans un collectif.

En plus de quinze ans d'engagement au Medef, j'ai eu le plaisir de voir cette maison progresser, lentement mais sûrement, sur de nombreux sujets liés à l'égalité femmes-hommes. En 2012, nous avons ainsi créé le premier baromètre de perception du climat d'égalité des chances. Dès 2013, nous avons travaillé sur le harcèlement et sur les violences sexuelles et sexistes. En 2018, nous avons été très impliqués, sur l'invitation de Muriel Pénicaud, alors ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion, dans les travaux visant à construire et à préfigurer l'architecture de l'index de l'égalité salariale en entreprise. Enfin, en 2020, le Medef a été très actif dans la mise en place des accords sur le télétravail.

Autant vous dire que la « maison » avance dans ce domaine, même si les autorités publiques ou les médias n'en ont pas pris la mesure.

Par-delà leurs différences, les mondes de la finance et de la tech, à la croisée desquels j'évolue en tant que chef d'entreprise, ont pour point commun l'absence ou la moindre présence des femmes en leur sein. Dans le monde de la finance, les femmes sont extrêmement nombreuses, mais plutôt en bas de la pyramide. Des efforts certains sont à noter, sous l'impulsion notamment du réseau Financi'Elles , mais ils tardent à produire leurs effets.

Si le secteur de la tech est jeune et moderne, il n'est pas, pour autant, exemplaire. Aline Aubertin l'a rappelé dans la table ronde précédente : les ingénieures représentent en France à peine 24 % des diplômés. Dans les technologies de l'information, ce taux tombe à 19 % et il est encore plus faible chez les data scientists . Dans ces domaines, nous assistons bien à une désertion des vocations féminines, qui ne peut être due qu'aux chromosomes !

L'égalité se mérite et se travaille. Bien plus qu'une conviction, c'est une valeur. Il n'y a pas de pente naturelle vers l'égalité en général ; il n'y en a pas non plus vers l'égalité femmes-hommes. Si on la veut, il faut y travailler et il faut y travailler à plusieurs ; citoyens, chefs d'entreprise et aussi, parfois, législateurs.

En matière de parentalité par exemple, nous avons vu émerger une grande attente citoyenne. Le législateur s'en est finalement emparé en juillet dernier, en augmentant la durée du congé paternité, mais certaines jeunes entreprises l'avaient devancé, à la fin de 2020 et au début de 2021, au travers du Parental Act .

Dans nos rangs, beaucoup avaient commencé à avancer sur le sujet. Ainsi, un congé paternel de cinq semaines a été octroyé chez Ikea dès 2018. Il est aujourd'hui de huit semaines chez Mastercard . Des entreprises françaises comme AG2R ou Aviva ont accordé de nombreuses semaines de congé aux parents, qu'ils soient hommes ou femmes. Dans les branches enfin, les accords sont progressifs, mais ils commencent à s'appliquer dans le secteur électrique et gazier ou encore dans le secteur bancaire par exemple.

Lorsque les choses n'avancent pas, l'intervention du législateur peut être attendue. C'est le cas, à mon sens, sur la question des discriminations, qui sont des vents contraires invisibles aux privilégiés. De fait, on ne peut attendre de la société qu'elle les détecte toute seule. Il faut donc l'y obliger. Tout citoyen - et donc tout chef d'entreprise - étant généralement de bonne volonté, aucun ou presque ne peut tolérer, une fois le constat établi, que certains vents soient très porteurs, toujours pour les mêmes, et très contraires, toujours pour certains ou pour certaines.

Les questions de l'égalité salariale ou des quotas de représentation nécessitent également des avancées communes. Dans notre pays qui écrit « égalité » au fronton de tous ses bâtiments publics, force est de constater qu'il ne suffit pas de décréter l'égalité pour l'obtenir. À cet égard, les quotas peuvent s'imposer, car ils permettent une décision partagée, non confisquée par certains. Or une décision partagée est une décision intelligente.

La transparence des données est un dernier sujet qui nous concerne tous. La donnée brute n'est intéressante que si elle est expliquée. Dans le monde de l'entreprise, la transparence des données doit s'accompagner de sous-titres et d'arguments explicatifs. La négociation entre partenaires sociaux en matière d'égalité professionnelle nous en donne notamment l'occasion, tous les quatre ans. Les cinq composants de l'index de l'égalité salariale peuvent être parfois déroutants quand on les considère de manière brute. Ils appellent des commentaires précis de la part de l'entreprise quant à la réalité des situations.

Parmi les obstacles classiques à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, nous pouvons citer l'exigence de flexibilité entre vie professionnelle et vie personnelle, la pression sociale, qui demande à certaines d'arbitrer de façon très claire entre famille et travail quand d'autres peuvent faire les arbitrages inverses, l'insuffisance des viviers de recrutement, des styles de leadership qui peuvent être déroutants, la question de l'autorité ou de l'expression de l'ambition ou encore l'accès aux postes de décision qui est pour certains une conquête quand il est pour d'autres une attente.

Dans ces matières, le législateur peut difficilement intervenir. Le problème est universel mais la solution est à chaque fois locale et individuelle. Les dirigeants doivent changer de lunettes. Un chef d'entreprise qui recherche un ingénieur recherche en réalité une personne rigoureuse, analytique, curieuse et inventive, qui sache décomposer des problèmes complexes en petits morceaux simples. Or nombreux sont les filières, études ou parcours professionnels qui ont doté les personnes non pas d'un diplôme d'ingénieur, mais de ces aptitudes et de ces compétences.

Parfois, c'est une question de mots. Ainsi le changement de nom de l'École nationale supérieure en génie des systèmes industriels de Nancy, devenue École nationale supérieure en génie des systèmes et de l'innovation (ENSGSI), a-t-il été suivi, en quelques années - même s'il n'en est pas la seule explication - d'une augmentation de 40 % des candidatures féminines. Le pouvoir d'attraction des mots a réveillé et rééquilibré les vocations.

Il reste beaucoup à faire pour lever les obstacles inutiles. Peut-être vous souvenez-vous de cette astronaute qui, en 2019, n'a pas pu participer à un vol spatial faute de combinaison adaptée au gabarit des femmes ? Autre exemple, l' École 42 a renoué avec les candidatures féminines après s'être préoccupée du parcours des filles, en retravaillant notamment la question de l'accès aux douches dans le cadre de l'épreuve de sélection dite de la « piscine ». Certaines filles renonçaient à se présenter, voire abandonnaient en cours de route, plutôt que de rester enfermées 72 heures dans un hangar. La levée des obstacles inutiles relève donc avant tout d'un travail de terrain, pas du législateur.

La question de la performance est importante. Dans sa définition d'abord, la performance n'est pas nécessairement synonyme d'infaillibilité. Les événements récents nous prouvent d'ailleurs à quel point un chef de file doit savoir reconnaître l'incertitude, dès lors qu'il parvient à rassembler ses troupes.

Se pose ensuite la question de la preuve de la performance. Exiger des femmes qu'elles aient déjà exercé des fonctions de direction pour leur permettre d'en exercer revient en quelque sorte à demander à un joueur de jouer sans être admis sur le terrain. Il faut donner aux femmes la possibilité d'agir et c'est ici qu'apparaît la vertu des quotas. Dans certains cas, les quotas ne sont autre chose qu'une méritocratie transparente.

S'agissant des mesures, ne laissons pas les outils qui fonctionnent cannibaliser le reste. Je m'explique : l'index de l'égalité salariale mis en place par Muriel Pénicaud a été travaillé du mieux possible. Il n'est pas parfait, mais il a le mérite d'exister. Il permet aux grands groupes de mesurer leurs actions et, parce qu'ils en ont les moyens, de les corriger. Il permet aux PME de mettre le pied à l'étrier et d'objectiver la question de l'égalité salariale, qui peut paraître vaste, confuse et subjective, en la décomposant en cinq items.

En revanche, il faut se garder d'intégrer dans cet index l'ensemble des critères de l'égalité professionnelle. L'index traite du salaire ; il ne traite ni de la formation, ni de l'équilibre des temps, ni de la parentalité - en dehors du retour de congé maternité -, ni de la question du télétravail, ni encore des aménagements des parcours et des carrières. Pour ces critères, il faut s'obliger à inventer autre chose. C'est ce qui a été fait, par exemple, en juillet dernier, en matière de parentalité et de congé paternité.

La loi Rixain a ainsi introduit dans l'index des obligations supplémentaires qui, au fond, l'alourdissent, sans effet véritable sur l'égalité professionnelle au sens large.

Une tentation du même type existe en matière de labels : celle d'exiger de la part des entreprises ou des collectivités publiques, comme condition à l'examen de leur dossier, un score de 75 sur 100 à l'index. Cela reviendrait à réduire le label au salaire et à ne pas considérer les autres composantes de l'égalité professionnelle.

Emmanuel Gobin, membre du bureau national de l' Association nationale des DRH (ANDRH) et président de l'ANDRH Nord Maritime

L' Association nationale des directeurs des ressources humaines (ANDRH) représente plus de 5 000 personnes qui, chaque jour en France, assurent cette fonction au sein d'entreprises de tailles différentes, depuis les très grands groupes cotés jusqu'aux PME, en passant par des regroupements de TPE. L'ANDRH Nord Maritime représente, de son côté, des entreprises et organisations qui emploient environ 12 000 salariés dans les Hauts-de-France.

Aux yeux de l'ANDRH, parler de mixité est, pour les organisations, une occasion de richesse et de performance. La diversité des points de vue constitue en effet, dans notre monde complexe, une manière de s'approcher de la vérité.

La raison même de mon engagement dans la fonction RH remonte à plus de vingt ans. Lors d'un voyage au Québec, j'ai rencontré la représentante du Conseil du statut de la femme au Canada, une organisation publique qui défend la place des femmes dans le monde du travail. Elle venait de rédiger le premier référentiel des compétences des mères au foyer souhaitant revenir à l'emploi.

La plupart de ces personnes avaient été confrontées à un phénomène que nous connaissons tous en tant que professionnels des ressources humaines : au bout de quelques années dans l'emploi, les femmes présentent souvent des trous dans leur CV. Généralement, cela les exclut purement et simplement des systèmes de sélection, pour la simple raison que les recruteurs émettent un doute sur la réalité de l'apprentissage ou du développement des compétences pendant cette période. Combien de compétences ont-elles été ainsi négligées de la part des recruteurs au Canada ?

J'espérais qu'en France il en aille désormais autrement, mais la teneur de la table ronde précédente me fait dire que beaucoup de progrès restent à faire. À cet égard, un chiffre me paraît éloquent : seulement 19 % des 87 familles professionnelles identifiées en France sont dites mixtes, c'est-à-dire que, en leur sein, aucun des deux sexes ne représente moins de 30 à 35 % des effectifs.

Or dans le secteur médico-social par exemple, où la question de la mixité effective concerne plutôt la place des hommes que celle des femmes, la qualité de l'accompagnement que l'on peut apporter aux personnes en situation de handicap dépend également de la diversité des points de vue.

En matière d'égalité professionnelle, il est nécessaire de prendre en considération la taille des organisations, la nature des emplois et la démographie locale. Nombre d'entreprises adhérentes à l'ANDRH sont ainsi implantées sur des territoires ruraux et sont à ce titre concernées par la nature des perspectives professionnelles au plan local.

En la matière, la réforme du système d'orientation scolaire a eu un effet majeur. Dès la seconde, on demande aux jeunes de choisir des options. Or ils le font tout simplement en reproduisant les schémas et les modèles sociaux auxquels ils ont été confrontés.

Je vis en Flandre intérieure, un territoire magnifique que je ne qualifierai pas de vivier majeur d'emplois. Quand ils se posent la question de leur orientation, les jeunes, filles ou garçons, regardent les emplois immédiatement accessibles à proximité, sans envisager de mobilité géographique. Dans la réalité, nous reproduisons, de génération en génération, les mêmes schémas sociaux, l'avenir professionnel perceptible d'une famille se limitant à certains métiers, le plus souvent sous-payés.

J'appelle par ailleurs votre attention sur les effets qu'a pu entraîner le télétravail, dans certaines organisations où les métiers sont particulièrement sexués. Parce que les tâches télétravaillables ont été distinguées de celles qui ne l'étaient pas, le télétravail a pu constituer, dans mon territoire, un facteur de reproduction des inégalités doublé d'un phénomène d'exclusion. Ainsi, pendant la crise sanitaire, les femmes, qui exercent le plus souvent des tâches administratives, ont-elles pu télétravailler relativement facilement, contrairement à la plupart des hommes, qui occupaient des emplois industriels. J'ai ainsi pu constater pendant cette période, une diminution de la mixité effective dans nos organisations.

« Il n'est pas question que je télétravaille, cela va me renvoyer à l'âge où je devais rester à la maison ». Ces propos, qui m'ont été tenus par l'une de mes collaboratrices, sont sévères, mais bien réels.

D'autres modes d'organisation me semblent possibles. La semaine de quatre jours pour tous, par exemple, pourrait permettre de concilier plus aisément vie privée et vie professionnelle.

En attendant ces évolutions, il est important de faciliter la carrière professionnelle de tous. Tout au long de la vie professionnelle, des arbitrages propres à chaque foyer ont des effets sur la carrière des femmes. Nous pourrions envisager la mise en place d'un système de rattrapage de droits, mais aussi aller plus loin, en permettant aux femmes qui n'ont pas pu travailler pendant plusieurs années ou qui ont dû faire le choix de rester à domicile, de compenser ces périodes d'éloignement, par exemple grâce à un compte personnel de formation (CPF) renforcé.

Une étude récente de la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) sur les familles monoparentales m'a particulièrement frappé. Elle montre combien la situation de monoparentalité non choisie restreint l'ambition professionnelle des femmes et les contraint à faire des choix professionnels guidés par des problématiques de subsistance. Il devrait être possible, là encore, d'imaginer des solutions susceptibles d'atténuer la perte de pouvoir d'achat des jeunes femmes élevant seules des enfants et leur éviter ainsi de faire de mauvais choix professionnels. Au-delà des principes de base qui nous réunissent, les petits gestes du quotidien comptent également.

Laurence Piketty, membre du Cercle InterElles , administratrice générale adjointe au Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA)

Acteur majeur de la recherche, le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) travaille, à partir d'un socle de recherche fondamentale, sur les grands enjeux sociétaux que sont les transitions énergétique et numérique, le climat, la médecine du futur ou encore la défense et la sécurité.

Depuis plusieurs années, le CEA a mené des actions concrètes visant à faire progresser la mixité à tous les échelons. Au sein de nos entreprises, bien des barrières, visibles ou invisibles, doivent encore tomber, qui bloquent la progression des femmes vers les postes à responsabilités. Elles s'expliquent notamment par le poids des préjugés, de la culture, par les comportements sexistes ou encore par les stéréotypes, qui sont parfois, d'ailleurs, intériorisés par les femmes elles-mêmes. Nous devons nous en libérer collectivement.

Sans objectifs chiffrés ambitieux, nous progresserions trop lentement. Au-delà des mesures législatives qui ont été prises et qui portent leurs fruits, cette ambition doit être portée au plus haut niveau de l'entreprise. Grâce à la volonté de l'administrateur général en poste depuis 2018, nous sommes passés, au sein du CEA, de 11 % de femmes membres au comité exécutif à 45 %. Il s'agit d'un niveau inédit, qui dépasse d'ailleurs les objectifs de la loi Rixain.

Le CEA est également membre du Cercle InterElles , un réseau pionnier d'entreprises technologiques représentant plus de 10 000 personnes actives au sein de seize entreprises partenaires. Depuis vingt ans, le Cercle InterElles est engagé en faveur de la mixité et de l'égalité professionnelle dans les secteurs scientifiques et technologiques. Luttant contre toutes les formes de stéréotypes, il a notamment pour ambition de promouvoir la carrière des femmes et d'agir auprès des pouvoirs publics, afin de créer les conditions favorables à l'équilibre des genres.

Les membres du Cercle InterElles partagent tout au long de l'année les avancées et les bonnes pratiques nées dans les entreprises et les restituent lors d'un colloque annuel. Pour soutenir son action, le cercle a noué des partenariats, en particulier avec l'association Femmes ingénieures , et s'engage auprès d'associations.

Force de proposition, lieu de partage de l'intelligence collective où sont mises en commun des expériences de terrain, le Cercle InterElles cherche à être un référent dans le débat public. À cet égard, son ancienne présidente, Catherine Ladousse, a pu apporter son expérience de terrain dans le cadre des auditions préparatoires à l'adoption de la loi Rixain. Autre exemple de cette participation au débat public, le cercle explore depuis trois ans le sujet de l'intelligence artificielle (IA). Si l'IA est un outil formidable, elle porte en elle des défis d'ordre éthique, mais également, entre autres, des risques de discrimination liés aux biais de genre.

Ainsi, l'élaboration d'un pacte Femmes & IA permettra de faire émerger des solutions concrètes pour les entreprises demandeuses d'une intelligence artificielle responsable et non sexiste. Ne laissons pas en effet les hommes développer seuls l'IA, nous nous retrouverions alors avec des algorithmes écrits par des hommes, pour des hommes !

Si la féminisation du CEA est satisfaisante au niveau du comité exécutif, nous devons encore nous améliorer à tous les niveaux de responsabilité afin de renforcer les viviers. Cela passe évidemment par le recrutement de jeunes femmes. Aussi le CEA promeut-il les carrières scientifiques en faisant valoir que nos sujets s'inscrivent dans des enjeux de société majeurs qui intéressent les jeunes, femmes et hommes, la recherche étant l'un des meilleurs vecteurs de progrès.

Dès le collège, le CEA mène également des campagnes de communication et de sensibilisation, telle la campagne Scientifique, toi aussi ! Certaines campagnes visent plus spécifiquement les jeunes femmes et il serait souhaitable - cela a été dit - d'élargir ce type d'actions à l'école primaire.

Parmi les autres mesures et actions concrètes, nous organisons des cycles de conférences-débats sur le thème de l'égalité professionnelle femmes-hommes et publions des vidéos témoignages de femmes aux parcours exemplaires, dans des milieux professionnels autrefois plutôt destinés ou réservés aux hommes. Citons enfin le mentorat, les sessions de formation sur la prise de confiance en soi, la sensibilisation des nouveaux arrivants à la diversité et à l'égalité professionnelle ou encore les campagnes de prévention des agissements sexistes et sexuels.

Franck Deveughele, président de Clef Job , groupement d'employeurs, spécialiste du recrutement en entreprises

Clef Job est un groupement d'employeurs, c'est-à-dire une structure spécialisée dans le temps partagé, qui embauche en CDI de multiples compétences dans différents secteurs d'activité, puis prête son personnel à de petites, moyennes et grandes entreprises.

Cette activité nous confère pour ainsi dire un rôle d'observatoire des enjeux de la mixité au sein des entreprises. À cet égard, notre constat est le suivant : si nous sommes associés aux objectifs que nos adhérents - essentiellement les grands groupes - se fixent en matière d'égalité professionnelle, avec des discours souvent bien convenus, nous avons affaire, au quotidien, à des responsables opérationnels, à des managers, chefs d'équipe et, a fortiori , adjoints de chef d'équipe qui ne semblent pas être très au courant, sur le terrain, de ce qui a été établi plus haut.

Concrètement, cela se traduit par un certain nombre d'obstacles, comme ces entrepôts dont les vestiaires et les toilettes sont totalement inadaptés au personnel féminin et qui, de fait, lui en interdisent l'accès. Un autre obstacle est la formation des chefs d'équipe et des managers qui, pour certains, ne savent même pas ce que signifie l'égalité hommes-femmes. Ils en ont certes entendu parler, mais ne disposent pas des moyens ou des méthodes pour choisir leurs collaborateurs de manière objective. Je peux vous assurer que, quand ils ont 50 CV à examiner ou je ne sais combien d'entretiens à mener à la chaîne en dix minutes, ils se sentent désarmés et cèdent à la facilité du recruteur paresseux. Je vous parle ici non pas du recrutement de cadres ou d'ingénieurs, mais de publics peu qualifiés, pour des emplois de logisticien, de tri ou de valorisation des déchets. Dans ces secteurs à forte masse salariale, je ne vois guère trace des ambitions souvent affichées en haut lieu.

S'agissant à présent de l'intelligence artificielle, notre groupement d'employeurs a dû développer, devant une demande en très forte croissance, un véritable savoir-faire en termes de sourcing . Nous avons ainsi demandé à un cabinet spécialisé de tester les algorithmes prétendument intelligents des job boards comme Indeed ou Le Bon Coin , censés rapprocher les besoins des entreprises et les candidatures.

Il en ressort que ces algorithmes, qui reposent essentiellement sur la sémantique, affichent une fiabilité de seulement 40 %. En réalité, la data qui a été rentrée pour rendre le système intelligent est une data du passé : elle ne fait que reproduire le modèle existant. Si vous recherchez un soudeur, le système ira chercher les CV masculins qui comportent le mot « soudeur », ainsi que les expériences requises et répétées dans ce domaine. Il en va de même pour de nombreux autres métiers.

Sans doute ces algorithmes seront-ils un jour assez puissants. Ils ne le sont pas encore aujourd'hui et manquent d'intelligence. Or de nombreux recruteurs et entreprises leur font en partie confiance. Le secteur de l'intérim, en particulier, est en train de se développer complètement en distanciel. Les clients et futurs intérimaires ne sont même plus reçus en agence : les intérimaires postulent en laissant leurs données et les entreprises peuvent demander, à 23 heures ou minuit un intérimaire pour le lendemain matin ! Dans ces conditions, je vous invite à faire preuve de vigilance à l'égard des algorithmes qui ne font, d'après cette étude, que répéter notre modèle imparfait, qualifié aujourd'hui d'inégalitaire.

Un dernier obstacle est évidemment la sphère familiale. Au-delà des projections très stéréotypées des métiers dès l'enfance - au pied du sapin, le camion de pompier au garçon, la poupée à la fille - nous sommes confrontés toutes les semaines à la question du mari. Il y a des femmes dont le mari refuse qu'elle gagne plus que lui ; il y a des femmes dont le mari jaloux - ils sont nombreux à le faire - vient à la sortie du travail les surveiller ou les récupérer ; il y a enfin celles qu'on ne voit même pas en entretien, parce que leur conjoint leur a interdit de travailler dans un environnement masculin. Ce sont des femmes divorcées la plupart du temps - et donc désormais libérées dans leur parole - qui nous l'expliquent en entretien.

Cette pression exercée au sein du couple se ressent de plus en plus sur le terrain. Peut-être est-ce à d'autres institutions ou associations de s'en emparer, toujours est-il qu'elle ne doit pas être négligée.

S'agissant des solutions, je favorise, au sein de Clef Job , les démarches de recrutement « phygitales ». Bien sûr, la technologie des algorithmes peut être intéressante pour classer ou ordonner les profils. Dans notre outil de gestion des candidatures, nous avons fait disparaître le critère du genre, non pas par idéologie - je tiens à le préciser -, mais parce que nous considérons que le prénom, le nom ou le genre n'ont pas à intervenir dans le processus de sélection.

Lorsqu'une candidature est enregistrée dans notre système, nous nous fondons sur le code ROME (Répertoire opérationnel des métiers et des emplois), une table bien connue grâce à laquelle Pôle Emploi qualifie les savoir-faire de chaque demandeur d'emploi. Ces codes ROME permettent de filtrer les candidatures plus finement, non plus par métier, mais par les aptitudes et les compétences. Les recherches ainsi réalisées gomment les risques d'inégalité car elles ne portent plus que sur les aptitudes et les savoir-faire. Cela favorise également la transférabilité des compétences. Pour des métiers genrés, auxquels notre imaginaire associe le sexe masculin ou le sexe féminin, le système proposera ainsi au recruteur des candidatures auxquelles il n'aurait pas pensé.

Enfin, dans le cadre de la diffusion des offres, nous avons également testé les accroches. Cela a été dit : il suffit parfois d'un mot, d'une phrase ou d'un détail pour tout changer. Ainsi, le simple fait d'ajouter, sur une offre d'emploi pour un métier réputé masculin, la photo d'une femme en activité a pour effet d'augmenter le nombre de candidatures féminines de 25 %. Désormais, lorsque nous passons une annonce pour un métier que nous savons très genré, nous intégrons systématiquement une photo du sexe opposé, de façon à attirer de nouvelles candidatures.

Au-delà de la formation absolument indispensable des recruteurs ou du développement d'un « marketing RH », le mode groupement d'employeurs est, me semble-t-il, très adapté aux nécessités de transférabilité des compétences, de polyvalence, de partage et de plannings adaptés aux contraintes familiales. Il peut contribuer à l'effacement des inégalités entre les hommes et les femmes.

Armelle Carminati-Rabasse

Permettez-moi de compléter mon intervention afin de répondre à l'ensemble des questions qui ont été posées.

Pour les entreprises, la pandémie de Covid-19 a été à la fois synonyme d'énorme opportunité et de surcroît de vigilance.

Énorme opportunité, d'abord, car nous avons vu, en mars 2020, l'impossible devenir possible. Les freins au développement du travail à distance, qui reposaient jusqu'alors sur des arguments techniques - l'absence de matériel - ou qui étaient liés à un manque de confiance des managers envers leurs collaborateurs, ont été rapidement levés. En deux à quatre semaines, qu'elles aient été préparées ou non, au prix de bricolages pour certaines et de complications pour tout le monde, les entreprises françaises ont mis en place le télétravail. Notre pays a su, à la faveur de la crise et aussi bien que d'autres, basculer de façon radicale dans un changement auquel la culture française n'était pas prête. Cela me semble rassurant quant à l'agilité, à la capacité à se fédérer, inventer et surmonter les obstacles dans les corps sociaux et sociétaux que sont nos entreprises.

Simultanément, cet épisode nous invite à une grande vigilance. En effet, travailler à distance, c'est être invisible. Or nous sommes déjà confrontés - nous l'avons vu - à l'invisibilité des talents féminins. Nous manquons encore de recul pour savoir si les promotions ou évolutions de carrière des millésimes 2020 et 2021 marquent un recul des opportunités données aux femmes éloignées qui ont travaillé à distance, par rapport aux hommes. Peut-être les pouvoirs publics pourraient-ils analyser cette question de plus près et nous aider à comprendre la situation.

À l'occasion de la crise, nous avons noté également des effets d'opportunité très intéressants pour les travailleurs et travailleuses de la première ligne. Ainsi, à la reprise d'activité, les négociations salariales ont-elles été extrêmement rapides dans l'hôtellerie-restauration. Elles ont abouti à une augmentation de 16 % pour tous, femmes et hommes confondus.

S'agissant des propositions que peuvent faire les entreprises en matière de mixité, permettez-moi de vous suggérer la lecture de cet ouvrage collectif intitulé Remixer la mixité , que nous venons de publier. Il revient sur les raisons pour lesquelles les programmes de mixité qui ont été engagés il y a longtemps dans les entreprises, sont un peu grippés. Il traite également du contexte sociétal, de ce qui se passe dans la vie domestique, de ce qui se dit ou ne se dit pas dans les médias ou encore du phénomène #MeToo , qui n'est pas resté aux portes de l'entreprise.

S'agissant des questions de culture, on peut se dire parfois avec modestie qu'on ne renverse pas d'un coup la culture millénaire d'un pays et qu'il convient d'avancer progressivement en la matière. Pour avoir passé trente-cinq ans en entreprise, je peux pourtant vous assurer de la plasticité inouïe des cultures d'entreprise. Changez un dirigeant ou une dirigeante, changez un manager ou une manageuse et, en quelques semaines, l'atmosphère changera. En quelques mois, les décisions seront différentes.

La culture est plastique. Il ne faut pas en avoir peur. Nous pouvons tous, collectivement, travailler, réformer, changer les cultures. Une fois une action mise en place, il faut en revanche lui laisser le temps de produire ses effets. Je pense notamment à l'Index Pénicaud ou à la loi Rixain, qui demandent, en particulier dans les petites entreprises, un temps d'appropriation.

Enfin, il faut s'aider les uns les autres. Les entreprises ne peuvent pas progresser dans une société qui régresse ou resterait bloquée. De même que la loi Sauvadet avait imposé très rapidement des obligations au secteur public après la loi Copé-Zimmermann, il semble nécessaire que les pouvoirs publics se penchent sur la question des obligations des employeurs publics en matière de mixité.

Toute citoyenne ou tout citoyen né dans ce pays doit pouvoir bénéficier, quelle que soit sa carrière et à tout moment, des mêmes vents porteurs.

Serge Babary, président de la délégation sénatoriale aux entreprises

Merci à toutes et à tous pour ces intéressants échanges. En conclusion, je vous propose de projeter une vidéo réalisée par la Chambre de métiers et de l'artisanat (CMA). Vous y entendrez Fabienne Munoz, vice-présidente de CMA France et présidente de la CMA de l'Ardèche. Les entreprises s'impliquent pour faire bouger les lignes, leurs représentants également. Il nous paraît utile d'informer chacun des actions concrètes conduites par les chambres consulaires.

La vidéo est projetée .

Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes

Il était important de marquer, au Sénat, cette journée internationale des droits des femmes.

Nous l'avons vu tout au long de vos témoignages : au-delà des processus d'éducation et de lutte contre les stéréotypes, nous nous devons d'installer des verrous, des contraintes ou des seuils pour progresser et ne pas reculer.

La mise en place de l'index de l'égalité salariale est récente et nous manquons encore de recul pour en apprécier les effets. Force est de constater néanmoins qu'il faudra à terme le modifier et l'élargir. En tant que législateur, nous ne pouvons imaginer imposer des contraintes au secteur privé et en exonérer le secteur public. Ce dernier doit donner l'exemple, c'est une évidence.

Des perspectives s'ouvrent devant nous. Elles sont législatives, mais aussi d'éducation et de formation, en vue d'un changement de société. Nombreuses sont les femmes déterminées qui entreprennent. Elles méritent d'être mises à l'honneur. Nous devons certes lutter contre les violences faites aux femmes, mais n'oublions jamais de mettre en valeur celles qui sont des modèles pour les générations futures. Lorsque l'on se bat pour les droits des femmes, on se bat pour une société plus égalitaire, pour les hommes et pour les femmes.

LES PHOTOS DE L'ÉVÉNEMENT DU 8 MARS 2022

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