IV. RENDRE PLUS ÉCOLOGIQUEMENT RESPONSABLES LES LIVRAISONS DE MARCHANDISES AUX PARTICULIERS

A. SENSIBILISER LES CONSOMMATEURS À L'IMPACT ENVIRONNEMENTAL DE LEURS LIVRAISONS

1. Les livraisons aux particuliers, un phénomène croissant qui aggrave l'impact environnemental du transport de marchandises en ville

Comme évoqué plus haut, le transport de marchandises représente une part élevée du trafic et des émissions polluantes en ville.

Les livraisons aux particuliers constituent une part croissante du transport de marchandises en ville du fait de l'essor du commerce en ligne (« e-commerce »). La crise sanitaire liée à la covid-19 a amplifié ce phénomène : d'après les chiffres de la Fevad, en 2021 , le secteur du e-commerce a dépassé 129 Mds€, soit une hausse de 15,1 % sur un an, dont 67 Mds€ pour les ventes de produits . En un an, la Fevad recense 2,1 Mds de transactions dans le secteur du e-commerce en France , soit une hausse de 16 % par rapport à 2020.

Le recours au commerce en ligne concerne désormais 90 % des 15-79 ans selon l'Ademe .

Le recours aux livraisons aux particuliers a permis d' amortir les effets économiques des confinements successifs durant la crise sanitaire. En outre, en comparaison du commerce traditionnel, il présente certains avantages environnementaux : selon une étude publiée par le Massachussets Institute of Technology 121 ( * ) , le commerce en ligne permettrait de réduire les émissions de CO 2 de 36 %. Selon la Fevad, cette différence s'explique par l'optimisation des livraisons et l'éviction des émissions liées aux kilomètres parcourus en voiture individuelle pour effectuer des achats en magasin.

Toutefois, le commerce en ligne a un impact non négligeable sur le trafic de marchandises en ville et, en conséquence, sur la qualité de l'air.

Le mode de transport utilisé pour l'acheminement final de la marchandise (« livraison du dernier kilomètre ») est un facteur déterminant dans l'impact environnemental de la livraison.

Comme évoqué précédemment, les livraisons en ville sont effectuées par des poids lourds (véhicules de plus 3,5 tonnes), par des véhicules utilitaires légers (VUL) conçus pour le transport de marchandises d'un poids inférieur à 3,5 tonnes pour une part croissante et, plus marginalement, par des véhicules non motorisés.

Le recours croissant aux VUL pour effectuer des livraisons en ville soulève certaines difficultés.

Selon la DGITM, on estime à environ 150 000 le nombre de VUL servant à effectuer du transport de marchandises rien que pour le compte d'autrui. Comme évoqué plus haut, le trafic des VUL a augmenté ces dernières décennies, ce qui génère d'importantes émissions de GES.

2. Mieux informer les consommateurs du e-commerce afin de générer des comportements plus vertueux

Face à ces constats, et dans la droite lignée des préconisations du rapport de Nicole Bonnefoy et Rémy Pointereau précité, les rapporteures estiment indispensable de responsabiliser les consommateurs sur l' impact environnemental de leurs livraisons .

Plusieurs pistes d'évolution peuvent être mises en avant.

a) Rétablir un principe de « vérité des prix » pour les ventes en ligne aux particuliers

De nombreux sites de vente en ligne aux particuliers mettent en avant la « gratuité des frais de port ».

En 2021, partant du constat que la pratique de la livraison gratuite induisait une « perte de visibilité » de l'acte de livraison - la livraison faisant pourtant partie intégrante du service pour les entreprises de transport -, la mission d'information sénatoriale sur le transport de marchandises face aux impératifs environnementaux avait préconisé de mettre fin à l'usage de la mention « livraison gratuite » sur les sites de vente en ligne, pour y substituer la mention de « livraison offerte » .

Une telle évolution pourrait permettre d'induire des comportements plus vertueux et responsables d'un point de vue environnemental de la part des consommateurs.

Le changement sémantique ainsi proposé permettrait en outre, comme l'avait indiqué le groupe La Poste devant les membres de la mission d'information en 2021, « de ne pas laisser sous-entendre au consommateur que les livraisons n'ont aucun coût » .

Dans le cadre de l'examen de la loi « Climat et résilience », le Sénat avait porté une proposition en ce sens , qui n'a pas été conservée au stade de la commission mixte paritaire 122 ( * ) .

b) Informer le consommateur sur l'impact environnemental de ses livraisons

Les rapporteures déplorent que, sur les sites de vente en ligne, aucune information ne soit généralement donnée au consommateur sur l'impact environnemental des différentes solutions de livraison proposées.

En 2021, la mission d'information sénatoriale sur le transport de marchandises face aux impératifs environnementaux avait organisé une consultation en ligne ayant permis de recueillir le point de vue de près de 3 000 personnes sur des questions concernant l'impact environnemental des livraisons aux particuliers.

Dans ce cadre, 93 % des personnes interrogées avaient indiqué s'estimer insuffisamment informées des conséquences environnementales de la livraison lorsqu'elles effectuent un achat en ligne . Par ailleurs, 90 % des répondants avaient fait part de leur souhait, lorsqu'ils effectuent un achat en ligne, de disposer d'une information concernant l'impact environnemental des solutions de livraison proposées.

Partant de ces constats, la mission d'information avait proposé d'imposer aux sites de vente en ligne l'affichage du bilan carbone des solutions de livraison proposées, pour informer le consommateur sur l'empreinte environnementale de l'acte de livraison et l'inciter à moduler son choix d'un mode de livraison (livraison à domicile ou en point-relais, délai de livraison...).

Les rapporteures souscrivent à cette proposition et regrettent son absence de mise en oeuvre à ce jour , tout en reconnaissant que l'impact environnemental d'une livraison peut s'avérer difficile à estimer de manière « a priori ». En effet, le vendeur ne dispose pas forcément, au moment où l'achat est effectué, d'informations pourtant déterminantes pour établir le bilan carbone final de la livraison, comme le type de véhicule qui sera utilisé.

Aussi, dans un souci de pragmatisme, les rapporteures proposent une solution alternative semblant plus facile à mettre en oeuvre : renseigner le consommateur sur le coût carbone de sa livraison de manière a posteriori, une fois la marchandise réceptionnée. À des fins pédagogiques , cette estimation pourrait s'accompagner d'une comparaison « parlante », par exemple « la livraison a émis X grammes de CO 2 , soit l'équivalent de X minutes/heures d'utilisation d'une ampoule ». L'évaluation de ces émissions pourrait s'appuyer sur la méthodologie mise au point par l'Ademe détaillée dans l'encadré ci-après.

À ce bilan environnemental pourraient être jointes des recommandations visant à réduire, à l'avenir, l'impact environnemental des solutions de livraison retenues (privilégier une livraison en point relais, une livraison sur rendez-vous, un délai de livraison plus lent...).

Base Carbone de l'Ademe

En 2016, l'Ademe a mis à disposition la « Base carbone », afin de permettre la mise en oeuvre de l'article L. 229-25 du code de l'environnement, tel que modifié en 2015 par l'ordonnance n° 2015-1737 du 24 décembre 2015 relative aux bilans d'émission de gaz à effet de serre et aux audits énergétiques. Cet article a instauré l'obligation pour certaines personnes morales 123 ( * ) de réaliser un bilan de leurs émissions de gaz à effet de serre (GES).

La base vise à faciliter la diffusion des données nécessaires à la réalisation d'une évaluation d'émission de dioxyde de carbone. Elle est accessible sur le site « Bilan GES » de l'Ademe 124 ( * ) . Elle recense les facteurs d'émission nécessaires à l'établissement d'une comptabilité carbone et permettre d'évaluer les émissions de GES en kilogrammes équivalent CO 2 . Avec cet outil, une entreprise peut par exemple déterminer la quantité de CO 2 émise par le transport d'un produit donné, selon le véhicule utilisé et la distance parcourue.

La base carbone constitue un outil essentiel pour la mise en oeuvre de la Stratégie nationale bas carbone , qui fixe l'objectif d'atteindre la neutralité carbone à horizon 2050 et de réduire l'empreinte carbone de la consommation des Français.

Donner au consommateur une information sur les émissions de GES liées à la livraison du produit commandé pourrait permettre, comme l'a indiqué la Fédération du e-commerce et de la vente à distance ( Fevad) aux rapporteures, de réduire « le paradoxe entre les attentes en tant que client (délai de livraison, prix de la livraison) et celles en tant que citoyen (réduire les nuisances, la circulation et les émissions de CO 2 ). »

En juillet 2021 , le ministère de la Transition écologique, le secrétariat d'État chargé de la Transition numérique et des Communications électroniques, la Fevad et quatorze grandes enseignes du commerce en ligne 125 ( * ) ont signé une « Charte d'engagements pour la réduction de l'impact environnemental du commerce en ligne » comportant des engagements relatifs à l'information du consommateur (informer le consommateur sur l'impact environnemental de sa livraison, rappeler les consignes de tri et de réemploi...), aux emballages (notamment, conduire des actions de réduction du volume des emballages), aux entrepôts et à la livraison (regrouper les livraisons de produits commandés en même temps par exemple). En mars 2022, 18 nouvelles entreprises 126 ( * ) ont rejoint cette démarche.

Les rapporteures saluent cette initiative.

En outre, informer le consommateur sur l'impact environnemental de ses livraisons est conforme à l'esprit de l'article L. 1431-3 du code du transport , qui prévoit que « toute personne qui commercialise ou organise une prestation de transport de personnes, de marchandises ou de déménagement doit fournir au bénéficiaire de la prestation une information relative à la quantité de gaz à effet de serre émise par le ou les modes de transport utilisés pour réaliser cette prestation » . Dans le cadre de la loi « Climat et résilience », le Sénat a d'ailleurs renforcé ce dispositif en instaurant, à compter de 2025, une amende administrative dont le montant ne peut excéder 3 000 € en cas de manquement à cette obligation. Pour aller plus loin, le Sénat a également proposé d'instaurer une obligation, pour les entreprises situées au-delà d'un seuil de chiffre d'affaires défini par voie réglementaire, d' informer leurs clients de l'impact environnemental du service de livraison des produits qu'elles leur ont vendus 127 ( * ) . Cette disposition n'a pas été conservée au stade de la commission mixte paritaire.

Proposition n° 13 - Sensibiliser les consommateurs au coût environnemental de leurs livraisons en [État, acteurs privés] :

- interdisant la mention « livraison gratuite » sur les sites de vente en ligne aux particuliers à compter du 1 er janvier 2023 ;

- donnant une information sur l'impact environnemental de leurs livraisons a posteriori, associé à des recommandations en vue de le réduire lors de futures livraisons.


* 121 MIT, Prologis Research, Logistics Real Estate and E-Commerce Lower the Carbon Footprint of Retail, Janvier 2021.

* 122 Amendement COM-1615 présenté par Nicole Bonnefoy et Rémy Pointereau, adopté par la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable.

* 123 1° Les personnes morales de droit privé employant plus de cinq cents personnes ; 2° Dans les régions et départements d'outre-mer, les personnes morales de droit privé employant plus de deux cent cinquante personnes exerçant les activités définies au 1° ; 3° L'État, les régions, les départements, les métropoles, les communautés urbaines, les communautés d'agglomération et les communes ou communautés de communes de plus de 50 000 habitants ainsi que les autres personnes morales de droit public employant plus de deux cent cinquante personnes. »

* 124 https://bilans-ges.ademe.fr/fr/accueil/contenu/index/page/presentation/siGras/0

* 125 Cdiscount, Ebay, Fnac, Darty, La Redoute, Maisons du Monde, Millet Mountain Group, Sensee, Otelo, Rakuten France SAS, Groupe Rosa, Sarenza, Showroomprivé, SOS accessoire et Veepee.

* 126 Afibel, Agrizone, Blancheporte, Boulanger, Damart, E.Leclerc, Electro Dépôt, Fleurance Nature, FM Logistic, Kadolis, Leroy Merlin, Manutan, Mondial Relay, Quel Bon Plan, Sédagyl, Tikamoon, Topaz, et Vitrine Magique.

* 127 Amendement n° 1108 rect bis de Nicole Bonnefoy et Rémy Pointereau, adopté en séance publique.

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