DEUXIÈME PARTIE : LES RECOMMANDATIONS
DE LA DÉLÉGATION POUR RENFORCER L'ACCÈS
DES FEMMES AUX RESPONSABILITÉS
DANS LA HAUTE FONCTION PUBLIQUE

Faisant part à la délégation de leurs observations sur le bilan d'application de la loi Sauvadet, les différents participants à la table ronde organisée le 24 février 2022 ont également tracé plusieurs pistes d'amélioration qui ont amené la délégation à formuler 12 recommandations ayant trois finalités principales :

- élargir les obligations paritaires des employeurs publics et renforcer la transparence de leur suivi ;

- accompagner davantage les femmes de la haute fonction publique dans leurs parcours de carrière en construisant une véritable politique publique de gestion des ressources humaines ;

- renforcer la mobilisation autour d'une politique d'égalité professionnelle et salariale ambitieuse.

I. ÉLARGIR LES OBLIGATIONS PARITAIRES ET RENFORCER LEUR SUIVI

A. ÉLARGIR LES OBLIGATIONS PARITAIRES DES EMPLOYEURS PUBLICS ET RENFORCER LES SANCTIONS

Lors de la table ronde du 24 février 2022, un consensus s'est dégagé quant à la nécessaire évolution du dispositif actuel des nominations équilibrées dans la haute fonction publique avec, en premier lieu, l'instauration de quotas portant sur le « stock », c'est-à-dire la proportion de femmes en poste dans l'encadrement supérieur et dirigeant de la fonction publique, et non plus sur le seul « flux », qui concerne les primo-nominations de femmes dans les postes d'encadrement.

1. Pour une extension des ambitions et du périmètre de la loi

Dans un premier temps, la délégation propose de faire évoluer le dispositif qui prévaut actuellement en modifiant le champ d'application de la loi afin :

- de définir l'objectif poursuivi par la loi en termes de stock et non plus seulement en termes de flux ;

- d' élargir le périmètre d'application des quotas à l'ensemble des postes de direction des fonctions publiques, aux établissements publics et aux collectivités de plus de 20 000 habitants.

a) Agir plus efficacement sur le stock

Lors de la table ronde du 24 février 2022, la ministre de la transformation et de la fonction publiques, Amélie de Montchalin, a notamment indiqué devant la délégation : « parce que les évolutions sont satisfaisantes mais pas suffisantes, je porte l'ambition d'aller encore plus loin. (...) j'ai pu travailler (...) à une évolution du dispositif des nominations équilibrées pour qu'au-delà de la mesure du flux, efficace mais comportant certains biais, nous nous attachions à une mesure de stock, et donc à un suivi de la proportion des femmes en poste dans l'encadrement supérieur de l'État . Ce n'est que par cette mesure que nous parviendrons à une égalité réelle effective. Avec le soutien de beaucoup d'entre vous, nous avions tenté de l'intégrer dans la proposition de loi visant à renforcer l'égalité économique et professionnelle entre les femmes et les hommes. Cette proposition s'est malheureusement heurtée à une forme de résistance, dont nous connaissons la nature, et que je regrette. Je suis néanmoins persuadée que le sujet est maintenant mûr. Il a été arbitré en interministériel et bénéficie du soutien des employeurs publics . J'espère qu'il pourra être voté dans une prochaine mandature et avoir force de loi ».

La délégation partage cette préoccupation de la ministre et constate que les objectifs de flux n'ont eu que peu d'incidence sur le stock et ne prémunissent pas contre les « reflux » des résultats d'une année sur l'autre . Ainsi que le soulignait Agnès Saal, haute fonctionnaire à la responsabilité sociale des organisations du ministère de la culture, « malgré ce progrès dans les chiffres, nous craignons encore en permanence un retour en arrière. Rien n'est définitivement acquis. Nous avons bien vu dans la fluctuation des pourcentages, ne serait-ce que dans l'atteinte des quotas Sauvadet, avec toutes ses imperfections, que ce qui peut être très bon une année peut être très mauvais l'année suivante. Nous devons donc nous intéresser aux stocks, pas uniquement aux flux (...) ».

Ce constat est aussi celui du Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCE) qui, dans son rapport de février 2021, sur la parité dans le secteur public 8 ( * ) , proposait d'instaurer « à terme, un pourcentage de nominations équilibrées dans le stock ». Lors de la table ronde du 24 février 2022, Agnès Arcier, alors présidente de la commission Parité du HCE, avait indiqué devant la délégation souhaiter « qu'il puisse y avoir une mesure en stock ».

Le HCE recommande notamment à terme, d'ici cinq ans, à partir du moment où le stock atteindra au moins 40 % sous l'effet des primo-nominations, d' instaurer un quota de 40 % du sexe sous-représenté dans le stock, sous peine de sanction, dans le but de maintenir la pression sur le flux . En outre, le Haut conseil estime que l'instauration d'un pourcentage de 45 % du stock, à terme, doit également rester une hypothèse de travail.

Tout en recommandant un quota de 40 %, la délégation tient à rappeler que la parité doit constituer l'objectif pour les employeurs publics.

Recommandation n° 1 : définir, à terme, un quota de 40 % du sexe sous-représenté dans le stock des postes d'encadrement supérieur et dirigeant de la fonction publique.

Une réflexion pourrait également être menée  sur le montant du quota de flux lorsque le stock n'atteint pas un certain seuil : par exemple, lorsque le stock de femmes occupant des postes d'encadrement supérieur et dirigeant dans la fonction publique est inférieur à 40 %, le quota de flux visant les primo-nominations pourrait être porté à 50 % afin d'exercer une plus forte pression sur le stock.

Dans cet état d'esprit, Caroline Chassin, chargée des thématiques « égalité professionnelle » au Syndicat des managers publics de santé (SMPS), a plaidé pour passer « dès 2023, à 50 % de primo-nominations en faveur du sexe sous-représenté. C'est d'autant plus pertinent que nous nous basons sur une logique de flux. Pourquoi nous arrêter à 40 %, et ainsi accepter intrinsèquement dans les chiffres que les femmes doivent être minoritaires ? Il est temps de passer à une égalité entre les hommes et les femmes dans les nominations aux plus hautes responsabilités ».

Recommandation n° 2 : imposer un quota de 50 % de primo-nominations du sexe sous-représenté.

b) Élargir à d'autres postes le périmètre d'application des quotas dans la haute fonction publique

La question de l'élargissement du champ de la loi à tous les emplois à haute responsabilité des fonctions publiques a été unanimement soulevée par les interlocuteurs de la délégation. C'est pourquoi la délégation recommande de modifier le périmètre des postes concernés en soumettant notamment aux règles paritaires :

- l'ensemble des postes d'encadrement supérieur et de direction des fonctions publiques, y compris ceux de la fonction publique parlementaire, de l'Assemblée nationale et du Sénat ;

- les établissements publics ;

- les collectivités territoriales de plus de 20 000 habitants.

Dans ses réponses au questionnaire adressé par la délégation sur l'application de la loi Sauvadet, le ministère de la transformation et de la fonction publiques a indiqué qu'il « est prévu d'étendre le dispositif des nominations équilibrées aux emplois supérieurs des établissements publics de l'État (plus de 500 établissements) en 2023 », ce dont la délégation se félicite.

L'extension du champ des nominations équilibrées est notamment recommandée par le Haut conseil à l'égalité et a été appelée de leurs voeux par plusieurs intervenantes de la table ronde organisée par la délégation le 24 février 2022.

Ainsi, Corinne Desforges, vice-présidente de l'association Femmes de l'Intérieur , inspectrice générale de l'administration, a indiqué devant la délégation : « beaucoup d'éléments doivent être améliorés. Les établissements publics devraient être ajoutés dans la loi Sauvadet . Le ministère de l'intérieur compte huit établissements. Seul l'un d'eux est dirigé par une femme, et ce depuis peu. Puisqu'ils n'entrent pas dans le champ de la loi Sauvadet, on continue d'y nommer des hommes. Surtout, la Gendarmerie nationale devrait être intégrée au périmètre de la loi Sauvadet . Elle ne compte aucune femme à un poste de directeur ».

S'agissant de la fonction publique territoriale , Françoise Belet, déléguée nationale de l' Association des administrateurs territoriaux de France (AATF), en charge de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, a plaidé devant la délégation pour un « élargissement de la loi Sauvadet à l'ensemble des postes de direction, au-delà des directions générales » et pour le relèvement de son seuil d'application « aux collectivités de plus de 20 000 habitants » qui correspond au seuil à partir duquel l'instauration d'un plan d'action en faveur de l'égalité professionnelle est obligatoire au sein des collectivités territoriales conformément aux dispositions de la loi n° 2019-828 du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique.

Enfin, s'agissant de la fonction publique hospitalière , l'extension des dispositions sur les nominations équilibrées à tous les emplois qui ne sont pas encore concernés par la loi Sauvadet a également été défendue par la représentante du Syndicat des managers publics de santé (SMPS), Caroline Chassin, chargée des thématiques « égalité professionnelle », par ailleurs directrice générale du Centre hospitalier de Draguignan. Elle a précisé : « il nous faut aller au-delà des apparences, et considérer les différents métiers dans le détail pour garantir l'égalité des primo-nominations ».

Recommandation n° 3 : élargir à tous les emplois d'encadrement supérieur et de direction des fonctions publiques le périmètre des postes couverts par la loi Sauvadet.

2. Pour un renforcement des sanctions financières

La délégation estime également nécessaire de renforcer les sanctions financières prévues par la loi Sauvadet afin de dissuader véritablement les employeurs publics de se soustraire à leurs obligations de quotas.

Le renforcement des pénalités financières infligées aux employeurs publics qui ne respecteraient pas les obligations légales de nominations équilibrées dans les postes d'encadrement supérieur et dirigeant se pose avec d'autant plus d'acuité que, pour certains employeurs, le paiement de ces pénalités constitue un moyen de contourner leurs obligations paritaires.

Si le Haut conseil à l'égalité recommande de « sanctionner un peu plus » les employeurs publics qui ne se conforment pas à leurs obligations légales, comme l'a souligné Agnès Arcier lors de la table ronde de la délégation du 24 février 2022, d'autres interlocuteurs de la délégation ont également insisté sur la nécessité de convaincre davantage les employeurs publics de l'opportunité d'une plus grande mixité au sein des postes d'encadrement.

Ainsi, Nathalie Pilhes, présidente de l'association Administration moderne , a indiqué qu'aujourd'hui, les employeurs publics « perçoivent la loi Sauvadet comme une contrainte plutôt que comme une opportunité. C'est là aussi un sujet sur lequel il est nécessaire de se concentrer et de communiquer pour bien convaincre les employeurs publics qu'il s'agit d'une opportunité. Un certain nombre de secrétaires généraux de ministères ne sont aujourd'hui pas du tout convaincus de l'impact positif de la mixité dans leurs organisations et dans le partage de la décision ».

En outre, comme le rappelait Caroline Chassin du SMPS : « encourager les responsables revient peut être aussi à affiner et renforcer le dispositif de sanctions en cas de non-respect du principe de nominations équilibrées par les employeurs publics. Cet encouragement pourrait également passer par un vrai coup de pouce, sous forme de bonus, pour les employeurs publics très engagés sur l'égalité professionnelle et la parité ».

Recommandation n° 4 : renforcer les pénalités financières prévues par la loi à l'encontre des employeurs publics ne respectant pas leurs obligations paritaires.


* 8 Parité dans le secteur public : des avancées réelles mais lentes, un levier de transformation publique à saisir - Rapport du HCE n° 2021-02-23 PAR - 46 voté le 23 février 2021 .

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page