Rapport d'information n° 755 (2021-2022) de Mmes Sophie PRIMAS , Amel GACQUERRE et M. Franck MONTAUGÉ , fait au nom de la commission des affaires économiques, déposé le 6 juillet 2022

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Synthèse du rapport (1,9 Moctet)


N° 755

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2021-2022

Enregistré à la Présidence du Sénat le 6 juillet 2022

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires économiques (1) sur la souveraineté économique de la France ,

Par Mmes Sophie PRIMAS, Amel GACQUERRE et M. Franck MONTAUGÉ,

Sénateurs et Sénatrice

(1) Cette commission est composée de : Mme Sophie Primas , présidente ; M. Alain Chatillon, Mme Dominique Estrosi Sassone, M. Patrick Chaize, Mme Viviane Artigalas, M. Franck Montaugé, Mme Anne-Catherine Loisier, MM. Jean-Pierre Moga, Bernard Buis, Fabien Gay, Henri Cabanel, Franck Menonville, Joël Labbé , vice-présidents ; MM. Laurent Duplomb, Daniel Laurent, Mme Sylviane Noël, MM. Rémi Cardon, Pierre Louault , secrétaires ; MM. Serge Babary, Jean-Pierre Bansard, Mmes Martine Berthet, Florence Blatrix Contat, MM. Michel Bonnus, Denis Bouad, Yves Bouloux, Jean-Marc Boyer, Alain Cadec, Mme Anne Chain-Larché, M. Patrick Chauvet, Mme Marie-Christine Chauvin, M. Pierre Cuypers, Mmes Françoise Férat, Amel Gacquerre, M. Daniel Gremillet, Mme Micheline Jacques, M. Jean-Marie Janssens, Mmes Valérie Létard, Marie-Noëlle Lienemann, MM. Claude Malhuret, Serge Mérillou, Jean-Jacques Michau, Mme Guylène Pantel, MM. Sebastien Pla, Christian Redon-Sarrazy, Mme Évelyne Renaud-Garabedian, MM. Olivier Rietmann, Daniel Salmon, Mme Patricia Schillinger, MM. Laurent Somon, Jean-Claude Tissot .

L'ESSENTIEL

La commission des affaires économiques a adopté le 6 juillet 2022 le rapport présenté par Mme Sophie Primas, Mme Amel Gacquerre et M. Franck Montaugé en conclusion de leur mission d'information relative à la souveraineté économique de la France.

I. UN CONSTAT ALARMANT : UNE PERTE DE SOUVERAINETÉ BIEN PLUS PROFONDE QUE NE L'ADMET LE GOUVERNEMENT

Entre 2020 et 2022, les conséquences concrètes de la crise liée à la pandémie de Covid-19, aux tensions sur les matières premières et au conflit russo-ukrainien ont choqué les Français et pris de court le Gouvernement. Pour beaucoup, elles ont été le révélateur des faiblesses de l'économie française , comme découvertes soudainement à l'occasion de ces chocs majeurs. Nos dépendances en matière de masques et de paracétamol en furent les illustrations les plus flagrantes.

Pourtant, au cours de la quarantaine d'auditions qu'ils ont menées auprès d'acteurs économiques, de décideurs politiques, de chercheurs et de régulateurs, les rapporteurs de la commission établissent deux constats alarmants :

• D'abord, les pénuries de produits de santé et de matières premières ne sont que la partie émergée d'un immense iceberg. Dans les faits, la perte de souveraineté économique progressive de notre pays depuis les années 1980, a fortiori au cours des années récentes, est bien plus transversale et bien plus profonde qu'on ne le soupçonne. Elle frappe l'ensemble des secteurs (agriculture, industrie, numérique, énergie) et des thématiques (échanges internationaux, gouvernance des entreprises, données, communications, compétences) étudiés, dans des proportions rarement soulignées par les travaux préexistants consultés par les rapporteurs.

• Surtout, nombre de ces dépendances et fragilités étaient connues ou dénoncées de longue date, mais se sont renforcées à la faveur de la naïveté, ou pis, de l'inaction des pouvoirs publics. En matière d'importations alimentaires, de métaux précieux, de principes actifs pharmaceutiques ou d'infrastructures numériques, ce « laissez-faire » a conduit à une situation critique de grande vulnérabilité, et à une forme de captivité de nos politiques économiques , vis-à-vis d'importations désormais incontournables et d'États ou entreprises étrangers aux intérêts plus ou moins alignés avec les nôtres.

Les maigres annonces des récents « Plan de relance », « Plan de résilience » ou « France 2030 » ne concernent qu'un nombre réduit d'actions, et relèvent plutôt d'un affichage politique à la faveur du regain d'intérêt pour la souveraineté, que de mesures structurantes nécessaires à un véritable changement de cap .

II. CINQ PLANS THÉMATIQUES CONCRETS POUR RECONSTRUIRE LA SOUVERAINETÉ ÉCONOMIQUE DE LA FRANCE ET DE L'EUROPE

Pour s'attacher à reconstruire enfin la souveraineté de la France et initier une politique ambitieuse de reconquête économique, les rapporteurs présentent à l'issue de leurs travaux cinq plans de souveraineté thématiques .

Chacun de ces plans est issu d'un diagnostic approfondi de l'état de nos dépendances, de nos forces et de nos faiblesses, qui s'appuie sur des chiffres inédits et des témoignages concrets d'acteurs économiques, relatés dans le rapport. Les rapporteurs ont identifié cinq thématiques principales , couvrant l'ensemble des secteurs économiques :

1) L'approvisionnement en intrants . Notre industrie comme notre agriculture sont fortement dépendantes d'importations critiques, telles que les protéines végétales destinées à l'alimentation animale, les métaux critiques ou certaines substances chimiques. Alors que les grandes transitions - énergétique, numérique et écologique - vont fortement accroître nos besoins en ressources, la sécurisation de notre accès à ces intrants est un enjeu majeur.

2) Les infrastructures énergétiques et numériques, qui sont essentielles pour répondre aux besoins des citoyens et des entreprises françaises. La décarbonation de notre économie - facteur d'indépendance vis-à-vis des énergies fossiles - génère un besoin important en installations de stockage de l'énergie, et rend plus pressant le développement de la filière nucléaire. Pour les réseaux de télécommunication - terrestres comme maritimes -, un investissement colossal est nécessaire pour venir soutenir la croissance des usages : il doit être partagé de manière plus équitable entre pouvoirs publics et acteurs privés, tout en assurant l'indépendance de ces infrastructures critiques vis-à-vis des grandes entreprises du numérique.

3) Les compétences et métiers de demain. La reconfiguration de notre économie, pour répondre aux défis numériques et environnementaux, génère de nouvelles activités et de nouveaux besoins en compétences. Pourtant, les difficultés de recrutement s'accentuent dans de nombreux secteurs, l'offre de formation à certains métiers se raréfie et le renouvellement des générations fait craindre une perte de savoir-faire qui mettrait en danger notre souveraineté numérique, industrielle et alimentaire.

4) La politique commerciale, clef pour assurer l'équilibre entre souveraineté et ouverture au monde. Elle est aujourd'hui affaiblie par le manque de réciprocité de nos échanges, la dégradation de notre empreinte carbone globale en dépit de nos efforts de décarbonation au sein de l'UE et un déficit de transparence et d'évaluation qui accroît la défiance des acteurs économiques.

5) La protection de nos entreprises, impérative dans un contexte de compétition internationale accrue. Les mesures extraterritoriales nous privent d'opportunités de croissance et de développement tandis que les acquisitions prédatrices d'entreprises stratégiques ou les subventions étrangères obèrent notre capacité d'innovation et menacent les activités essentielles de la Nation. Il faut muscler les mécanismes défensifs de la France et de l'Europe, et renforcer l'ancrage territorial de notre tissu productif.

Réaffirmant l'engagement de la commission en faveur d'une économie ouverte, orientée vers l'innovation, la reconstruction de capacités stratégiques et l'ancrage dans les territoires, chaque plan formule une dizaine de mesures concrètes .

Ces feuilles de route peuvent être mises en oeuvre au plus vite au niveau national ou européen pour sortir enfin de cette dépendance lourde de conséquences et redonner au pays la capacité de déterminer son avenir.

LISTE DES RECOMMANDATIONS

LA SOUVERAINETÉ PAR UN APPROVISIONNEMENT SÉCURISÉ
EN INTRANTS INDUSTRIELS, MINIERS ET AGRICOLES

Recommandation n° 1 :

Établir une cartographie complète des dépendances critiques en intrants industriels de la France et de l'Union européenne, en :

- menant, sous l'égide du Conseil national de l'industrie (CNI) et en lien avec les Comités stratégiques de filière (CSF), un travail transversal et exhaustif de cartographie des dépendances et des vulnérabilités de l'approvisionnement de la France en intrants et biens intermédiaires industriels ;

- poursuivant au niveau européen l'effort amorcé par la Commission européenne de réalisation d'une cartographie des dépendances stratégiques, chaîne de valeur par chaîne de valeur ;

- introduisant au niveau européen des obligations de traçabilité pour une liste de produits stratégiques ou vulnérables, afin d'améliorer la connaissance des chaînes de valeur et des flux d'échange, et en facilitant l'accès aux données d'échanges intra-européennes existantes ;

- incluant dans l'ensemble de ces travaux une analyse de la criticité des produits pour l'économie européenne et une analyse des risques, y compris géopolitiques, pesant sur l'approvisionnement actuel, à l'échelle tant nationale qu'agrégée (en prenant en compte les dépendances indirectes).

Recommandation n° 2 :

Confier aux filières stratégiques un rôle accru dans la sécurisation de l'approvisionnement industriel, à l'initiative et avec l'appui de l'État :

- identifier les besoins communs en intrants industriels au sein des entreprises d'une même filière ou de filières différentes ;

- lorsque cela paraît pertinent, et dans le cadre défini par le droit de la concurrence, mettre en place des structures d'achats mutualisés afin de rééquilibre les relations commerciales des entreprises industrielles françaises, en particulier les petites et moyennes entreprises (PME) vis-à-vis de leurs fournisseurs et de mettre en oeuvre des stratégies de diversification ;

- sensibiliser les chefs d'entreprises à l'enjeu de la diversification des sources d'approvisionnement et identifier le potentiel de diversification existant pour les entreprises de la filière ;

- dans le respect du droit de la concurrence, favoriser le recours à des contrats de fourniture de long terme, offrant une meilleure visibilité sur l'approvisionnement en intrants industriels.

Recommandation n° 3 :

Modifier le traitement fiscal de l'actif des entreprises industrielles, afin de rendre plus incitative la constitution de stocks d'intrants et de produits intermédiaires stratégiques, dont la liste sera établie sur la base d'une cartographie des intrants stratégiques ( voir recommandation n°1 ).

Recommandation n° 4 :

Développer le soutien public, par le biais de fonds ou de garanties, aux projets d'investissement des entreprises françaises dans des producteurs d'intrants à l'étranger, afin de contribuer à la sécurisation des chaînes de valeur.

Recommandation n° 5 :

- Améliorer l'évaluation continue et ex post des aides à la « relocalisation », afin de garantir l'efficacité de la dépense publique et le bon ciblage des aides ;

- Mieux cibler sur les intrants critiques ces aides publiques à la « relocalisation » d'activités productives, ainsi que les aides à l'innovation, en s'appuyant sur les résultats des cartographies réalisées par les filières sous l'égide du CNI (voir recommandation n° 1) ;

- En fonction des résultats de ces évaluations, donner à la France un cap clair en faveur de la réindustrialisation à un horizon de dix ans, en fixant des cibles chiffrées de réduction de la dépendance à certains intrants stratégiques importés, couplées à des cibles de production nationale.

Recommandation n° 6 :

Amplifier et accélérer la mise en oeuvre de projets importants d'intérêt européen commun (PIIEC) permettant d'investir dans des maillons clés des chaînes de valeur européennes, notamment en :

- pérennisant les aménagements pertinents apportés au cadre juridique européen des PIIEC durant la crise liée à la pandémie de Covid-19, et en étudiant la possibilité d'assouplir davantage la réglementation relative aux aides d'État ;

- accompagnant l'émergence de nouveaux projets grâce à un dialogue renforcé entre industriels et États membres ;

- augmentant les moyens humains et financiers des directions générales de la Commission européenne chargées d'accompagner ces projets ;

- améliorant la défense des intérêts français au sein des instances européennes grâce à des simplifications administratives et une action plus volontariste de l'exécutif, afin d'exploiter pleinement les opportunités industrielles ouvertes par les PIIEC.

Recommandation n° 7 :

- Accentuer le soutien, par le biais des aides à la réindustrialisation et à l'innovation, le développement ou l'émergence de filières françaises de recyclage, en particulier concernant les intrants stratégiques ou vulnérables ;

- Évaluer l'impact des obligations introduites par la loi « Économie circulaire » en matière d'écoconception, de réparabilité et de recyclage des produits ainsi que d'utilisation de matériaux recyclés, et le cas échéant les renforcer de manière ciblée ;

- Faciliter le recyclage des produits usagés, en apportant le cas échéant des modifications au statut juridique des déchets.

Recommandation n° 8 :

Consolider l'effort public consenti en direction de l'exploration, de la recherche, de l'innovation et de l'investissement miniers, en :

- débloquant au moins 100 M€ pour l'actualisation de l'inventaire du sous-sol français, en veillant à inclure la France hexagonale mais aussi les Outre-mer et les fonds marins ;

- investissant dans l'ensemble des champs scientifiques requis (cycle de vie des matières minérales, exploration et exploitation du sous-sol, méthodes d'extraction, recyclage, approvisionnement, gouvernance) ;

- consacrant des aides publiques pérennes, en investissement comme en fonctionnement, en accordant une attention spécifique aux entreprises (PME et ETI) et aux étapes (phases pilotes) présentant le plus de vulnérabilités ;

- instituant un inter-groupe dédié aux métaux critiques au sein du Conseil national de l'industrie (CNI), assurant le lien entre les différents comités stratégiques de filières (CSF) existants (mines et métallurgie, nouveaux systèmes énergétiques, plateforme automobile).

Recommandation n° 9 :

Garantir la sécurité d'approvisionnement en métaux critiques, en :

- évaluant et compensant l'impact de la guerre en Ukraine sur les entreprises, dans les stratégies française (Plan de résilience) et européenne (Plan RePowerUE ) de sortie de la dépendance aux importations d'hydrocarbures russes ;

- étudiant, dans ce cadre, la mise en oeuvre de contrats de long-terme, de groupements d'achat, de prises de participation ou de stocks stratégiques ;

- favorisant, en complément de ce cadre, l'extraction ou la transformation sur le territoire national ou européen des métaux critiques nécessaires aux filières énergétiques, nucléaire comme renouvelable, à l'instar du lithium, composant de certaines batteries électriques.

Recommandation n° 10 :

Accélérer la relocalisation de l'activité minière, dans le respect d'un haut niveau d'exigences environnementales, en :

- promouvant la constitution de chaînes de valeur en métaux critiques, à l'instar du lithium, en inscrivant les besoins miniers du système énergétique dans les stratégies française (Loi quinquennale sur l'énergie de 2023, Programmation pluriannuelle de l'énergie, Stratégie nationale bas-carbone) et européenne (Paquet Ajustement à l'objectif 55) ;

- accélérant la délivrance de permis d'exploration et d'exploitation minières, en veillant à la proportionnalité des procédures, à la sécurité juridique des contentieux, à l'équilibre du régime de responsabilité et à l'association des collectivités territoriales, dans le cadre de l'application législative et règlementaire de la réforme du code minier ;

- intégrant le concept de « mine durable » dans la législation française (Réforme du code minier) et européenne (Taxonomie verte européenne), afin de favoriser une approche durable de l'activité minière ;

- soutenant la mise en oeuvre par les professionnels d`infrastructures de collecte et de transformation et intégrer les enjeux miniers au critère du « bilan carbone » conditionnant l'accès des projets d'énergies renouvelables aux dispositifs de soutien publics, afin de promouvoir le recyclage des métaux critiques.

Recommandation n° 11 :

- Élaborer un « plan de résilience » de la chaîne alimentaire pour mieux prévenir les crises, incluant un meilleur suivi de stocks dits stratégiques pour les denrées agricoles ;

- Renforcer la planification territoriale de l'alimentation, par le biais notamment des projets alimentaires territoriaux.

Recommandation n° 12 :

Amender la stratégie européenne « de la Ferme à la fourchette » afin de trouver un meilleur équilibre entre les objectifs quantitatifs en matière de production pour renforcer la souveraineté alimentaire du continent et les objectifs environnementaux.

Recommandation n° 13 :

Renforcer la transparence sur l'origine des produits agricoles et des denrées alimentaires pour garantir un affichage systématique des principaux ingrédients primaires des produits transformés en modifiant le règlement européen INCO.

Recommandation n° 14 :

Maximiser les aides agricoles et investir dans l'innovation des productions les plus menacées par une substitution par les importations.

Recommandation n° 15 :

Renforcer le plan Protéines végétales pour réduire notre dépendance en protéines végétales, notamment dans l'alimentation animale, en l'axant principalement sur des aides à l'investissement pour l'acquisition du matériel nécessaire à la production et à la transformation, qui demeure aujourd'hui un des principaux freins à l'essor de la filière oléo-protéagineuse.

R ecommandation n° 16 :

- S'abstenir de mettre en place dans le contexte actuel le mécanisme fiscal portant sur les engrais prévu dans la loi Climat et résilience ;

- Publier enfin le plan « Eco'Azot », en le tournant résolument vers la reconquête d'une souveraineté en matière d'engrais.

Recommandation n° 17 :

Adapter notre droit en vigueur au niveau européen et français pour sécuriser la propriété des données agricoles qui sont d'importance stratégique (propriété et portabilité des données des agriculteurs, sécurisation des données clés par l'État).

LA SOUVERAINETÉ PAR L'INDÉPENDANCE DES INFRASTRUCTURES ÉNERGÉTIQUES ET NUMÉRIQUES

Recommandation n° 18 :

Garantir la sécurité d'approvisionnement en électricité l'hiver prochain et les suivants, en :

- appuyant l'effort des professionnels pour répondre aux difficultés du parc nucléaire, en particulier le phénomène de « corrosion sous contrainte » ;

- soutenant le système électrique dans son ensemble (économies d'énergie et mécanismes de flexibilité) ;

- répondant à la crise gazière (régulation des prix, obligation de stockage, groupements d'achat, production de biométhane).

Recommandation n° 19 :

Afin de donner un cap clair à la filière nucléaire et de répondre aux besoins croissants d'électricité, sans remettre en cause l'essor des énergies renouvelables, s'affranchir de la limitation a priori de la production d'énergie nucléaire à 50 % d'ici à 2035 dans la planification énergétique (loi quinquennale sur l'énergie de 2023, Programmation pluriannuelle de l'énergie, Stratégie nationale bas-carbone).

Recommandation n° 20 :

Garantir un mode de financement robuste à la filière nucléaire, en :

- intégrant le financement et la réalisation des projets de nouveaux réacteurs nucléaires à la loi quinquennale sur l'énergie de 2023 ;

- consolidant le soutien public aux projets de recherche et de développement nucléaires, dans le cadre du Plan de relance et du Plan d'investissement ;

- limitant le coût de l'électricité pour les consommateurs, en les protégeant de la hausse des prix, tout en évaluant et prévenant l'impact sur les fournisseurs, à commencer par le groupe EDF, dont il faut garantir la durabilité, dans son financement comme dans son organisation, afin qu'il demeure l'un des acteurs majeurs de la filière nucléaire ;

- intégrant pleinement l'énergie nucléaire à la taxonomie verte européenne, en levant les verrous posés (champ, délais, conditions).

Recommandation n° 21 :

Accorder une attention spécifique à la fermeture du cycle du combustible, en mobilisant les financements publics et privés en direction du MOX, des SMR, des réacteurs de 4 e génération et du projet ITER.

Recommandation n° 22 :

Renforcer la planification et le cadre juridique du stockage de l'énergie, en :

- intégrant pleinement le stockage à la planification énergétique (loi quinquennale sur l'énergie de 2023, Programmation pluriannuelle de l'énergie, Stratégie nationale bas-carbone), en veillant à couvrir l'ensemble des modes de stockage et à consacrer les projets importants d'intérêt européen commun (PIIEC) ;

- apportant un cadre juridique complet au stockage de l'énergie, en garantissant une neutralité technologique pour l'hydrogène (« Taxonomie verte » européenne et Paquet ajustement à l'objectif 55) et en favorisant le réemploi des batteries (règlement sur les batteries électriques).

Recommandation n° 23 :

Consolider les dispositifs de soutien au stockage, en veillant à leur application (garanties d'origine sur l'hydrogène issues de la loi Énergie-Climat et appel d'offres sur le stockage issu de la loi Climat-Résilience), à leur harmonisation (compléments de rémunération sur les énergies renouvelables et réductions de TICFE et de TURPE), à leur pérennité (appels d'offres existants sur l'hydrogène et les batteries) ainsi qu'à leur complétude (appel d'offres attendu sur les STEP).

Recommandation n° 24 :

Accélérer le déploiement des énergies renouvelables, en :

- engageant un chantier de simplification des normes, en étroite association avec les élus locaux (institution de guichets et d'autorisations uniques, utilisation du foncier, procédures d'appels d'offres, conditions de raccordement, modalités de raccordement, délais de recours, planification territoriale) ;

- consolidant les dispositifs de soutien (budgétaires, extrabudgétaires et fiscaux) ;

- relevant les objectifs (dont hydroélectricité, biogaz ou biocarburants).

Recommandation n° 25 :

Élaborer une proposition de règlement européen sur la contribution des plateformes au financement des réseaux de télécommunications permettant à l'Organe des régulateurs européens des communications électroniques de :

- collecter les informations nécessaires à la détermination de la méthodologie de calcul de la contribution financière envisagée ;

- fixer des tarifs harmonisés pour tous les opérateurs européens de télécommunications ;

- réviser régulièrement la méthodologie de calcul et les tarifs fixés ;

- établir une procédure unifiée de règlement des litiges.

Recommandation n° 26 :

Évaluer la faisabilité de constituer un réseau indépendant de câbles sous-marins de télécommunications reliant la France et les pays de l'Union européenne entre eux afin d'améliorer la résilience des infrastructures, la redondance des flux de données et la continuité du trafic Internet en cas d'incidents ou de menaces extérieures.

Recommandation n° 27 :

Confier au Comité interministériel de la mer une mission de simplification de la procédure de demande de pose de câbles sous-marins sur le sol national, en particulier pour les territoires ultramarins.

Recommandation n° 28 :

Amender la proposition de règlement européen établissant des règles harmonisées en matière d'accès loyal aux données et d'utilisation équitables des données ( Data Act ) pour rendre obligatoire la localisation des données à caractère personnel des citoyens européens et des données des entreprises européennes sur le territoire de l'Union européenne.

LA SOUVERAINETÉ PAR L'INVESTISSEMENT DANS LES COMPÉTENCES
ET LES MÉTIERS DE DEMAIN

Recommandation n° 29 :

Faire entrer l'industrie dans les écoles, et les écoles dans l'industrie. Encourager l'organisation de visites scolaires ou de stages en entreprise industrielle et de présentation des métiers industriels au sein des établissements, dans le cadre de l'enseignement primaire et secondaire. Refaire de l'orientation un temps fort de la scolarité.

Recommandation n° 30 :

- Mener à bien les études sur les filières et diplômes d'aujourd'hui et de demain et en tirer les conséquences concrètes sur l'enseignement secondaire et supérieur, pour combler les carences sur certaines filières d'éducation et de formation initiale ;

- Repenser en particulier l'offre de formation dans les secteurs de l'électronique, de la métallurgie, du nucléaire et des outils numériques ;

- Confier au ministère chargé de l'industrie la compétence de la conception des filières de formation industrielle et le pilotage de l'enseignement professionnel et technique.

Recommandation n° 31 :

- Accroître le financement de l'apprentissage en France, au regard du nombre croissant d'apprentis et dans l'objectif d'une réindustrialisation durable du pays ;

- Accentuer les efforts d'orientation vers l'apprentissage au sein des lycées professionnels et envers les métiers de niveau Bac pro ou BTS.

Recommandation n° 32 :

Améliorer encore la formation aux métiers, en début et au cours de la carrière, en :

- simplifiant le recours aux actions de formation en situation de travail (AFEST), consacrées par la loi en 2018, au potentiel encore sous-exploité ;

- faisant évoluer les dispositifs de formation continue afin d'accroître leur ciblage sur les métiers en tension et ceux offrant de fortes chances d'accès à l'emploi, par exemple en encourageant à développer des modes de co-financement des formations par l'entreprise lorsqu'elles visent à répondre à un besoin fort de compétences.

Recommandation n° 33 :

Renforcer l'offre nationale de formation aux métiers du cloud pour sortir de la dépendance aux GAFAM en la matière, en :

- augmentant, jusqu'à bac + 3, le nombre de licences professionnelles et de diplômes universitaires technologiques spécialisés dans l'informatique ;

- augmentant, à compter de bac + 4, le nombre de mastères spécialisés dans les métiers du cloud ;

- facilitant les passerelles et les formations complémentaires entre les écoles d'ingénieurs et celles d'informatique ;

- poursuivant, pour la formation initiale et continue tout au long de la vie, le développement des établissements supérieurs d'autoformation en programmation informatique.

Recommandation n° 34 :

Amender la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant des règles harmonisées en matière d'accès loyal aux données et d'utilisation équitables des données ( Data Act ) pour :

- limiter la durée et les montants des « crédits cloud » accordés aux jeunes pousses ;

- encadrer les conditions de changement de plateformes d'hébergement des données et de logiciels cloud vers d'autres entreprises ;

- garantir l'interopérabilité des services d'informatique en nuage et la portabilité des données transférées.

Recommandation n° 35 :

Préserver et consolider les politiques publiques favorisant le travail saisonnier en France à court terme, tout en réduisant notre dépendance à la main d'oeuvre saisonnière étrangère :

- Soutenir l'emploi de saisonniers par une pérennisation définitive du dispositif dit « TO-DE » ;

- Accompagner les filières dans le recensement et la structuration de l'offre de saisonniers, en anticipant en amont les besoins administratifs ou de logement ;

- Réduire la dépendance tout en gagnant en compétitivité, en favorisant à long terme le recours à la mécanisation.

LA SOUVERAINETÉ PAR UNE POLITIQUE COMMERCIALE
ET DE CONCURRENCE RÉÉQUILIBRÉE

Recommandation n° 36 :

S'engager à mieux faire respecter les normes minimales de production requises au sein de l'Union européenne en :

- poursuivant le déploiement de clauses miroirs dans les législations européennes en matière agricole, notamment dès 2023 sur les textes relatifs au bien-être animal ou aux additifs destinés à l'alimentation des animaux, ainsi que dans les accords de libre-échange ;

- s'engageant plus activement dans les instances internationales de normalisation (notamment Codex Alimentarius ) afin de faire évoluer l'ensemble des pratiques agricoles.

Recommandation n° 37 :

Durcir les contrôles sur les denrées alimentaires importées pour garantir le respect des normes minimales requises au sein de l'Union européenne en agissant :

- à court terme, au niveau national pour relever le niveau d'exigences, notamment i) en augmentant les effectifs des contrôles nationaux, profitant du transfert de la compétence sanitaire de la DGCCRF à la DGAL pour constituer une vraie « police sanitaire nationale » ; ii) en renforçant le nombre de contrôles aléatoires intégrés au plan de contrôle et en durcissant le contenu des analyses, notamment en renforçant le nombre de substances actives effectivement contrôlées par les laboratoires nationaux ;

- à moyen terme, au niveau européen en promouvant la constitution d'une task force européenne sur la sécurité alimentaire pour des interventions harmonisées au niveau européen, afin d'éviter les comportements de détournement des contrôles franco-français par une entrée dans d'autres pays.

Recommandation n° 38 :

Renforcer la base juridique et le caractère opérationnel du MACF et améliorer la prise en compte des enjeux de compétitivité des filières européennes, en :

- prévoyant une affectation intégrale des recettes du MACF aux politiques environnementales, en cohérence avec son ambition en faveur de la décarbonation et gage de bonne foi de la démarche européenne vis-à-vis de l'OMC et de nos partenaires commerciaux ;

- reportant à 2033 l'extinction des quotas gratuits tant qu'une évaluation ex post des effets du MACF n'aura pas été rendue, et permettre jusqu'à cette date le maintien de quotas gratuits à leur niveau actuel pendant la montée en charge du MACF ; ou en maintenant à défaut une allocation de quotas gratuits pour les exportations des 30 % des installations productrices les moins émissives couvertes par le marché carbone ;

- élargissant le champ des secteurs couverts par le MACF, afin de mieux en répartir l'impact au long des chaînes de valeur européennes. Faire porter cet élargissement sur l'ensemble des biens couverts par le marché carbone européen et à de nouveaux secteurs (produits agricoles, hydrogène...) et sur les produits finis, qui devront préalablement être intégrés dans le marché carbone européen.

Recommandation n° 39 :

- Prévoir la ratification systématique des accords commerciaux mixtes par les parlements nationaux, à commencer par le CETA, pour assurer la transparence et le contrôle démocratique sur ces accords ;

- Évaluer de façon transversale et exhaustive, filière par filière, les effets potentiels des accords commerciaux, à commencer par l'accord avec le Mercosur, à l'aune des résultats constatés des précédents accords. Évaluer l'articulation des traités à venir avec les traités passés et leur impact cumulé.

Recommandation n° 40 :

Pousser les États tiers à donner accès à leur commande publique aux entreprises européennes en :

- abaissant le seuil des marchés entrant dans le champ d'application de l'instrument pour la réciprocité dans les marchés publics (IPI) ;

- permettant aux États, comme à la Commission qui le pourra déjà, de prendre des mesures de rétorsion sous réserve de notification à la Commission ;

- étudiant l'opportunité de prendre des mesures de rétorsion contre des États non coopératifs, même lorsque l'UE est juridiquement engagée avec eux dans le cadre d'un accord sur l'accès aux marchés publics.

LA SOUVERAINETÉ PAR DAVANTAGE DE PROTECTION
DE NOS ENTREPRISES FACE AUX INFLUENCES ÉTRANGÈRES

Recommandation n° 41 :

Accélérer la création d'un projet important d'intérêt européen commun (PIIEC) pour soutenir le développement des filières industrielles française et européenne de l'informatique en nuage.

Recommandation n° 42 :

- Établir un bilan économique complet des mesures extraterritoriales subies par les acteurs économiques européens, afin de mieux chiffrer l'ampleur des coûts induits par le défaut de protection de nos entreprises et ainsi accélérer les actions de l'UE en la matière.

- Confier au Service de l'information stratégique et de la sécurité économiques (SISSE), en lien avec l'Agence française anticorruption, TRACFIN et le réseau des services économiques régionaux, le soin d'établir une revue périodique nationale de l'exposition aux risques de l'extraterritorialité, croisant en particulier les aires géographiques, secteurs d'activité et législations en cause, rendue publique et diffusée auprès des entreprises françaises, pour les aider à s'orienter et limiter les pratiques de sur-conformité dommageables à notre économie.

Recommandation n° 43 :

Renforcer le caractère dissuasif du règlement de blocage à l'occasion de sa révision pour mieux protéger les entreprises françaises, en :

- étendant son application aux filiales des sociétés européennes ;

- établissant des seuils minimaux de sanctions pour les entreprises se conformant à des mesures extraterritoriales d'États tiers ;

- envisageant de permettre à une entreprise de se retourner contre un partenaire commercial qui n'aurait pas respecté le règlement de blocage en transigeant avec les autorités d'un État tiers.

Recommandation n° 44 :

Inclure l'ensemble des sanctions extraterritoriales dans le champ du nouvel instrument anti-coercition, et étendre son application aux mesures coercitives illégales visant à modifier le comportement des entreprises européennes.

Recommandation n° 45 :

Négocier une convention sur les sanctions secondaires, en tirant parti de l'amélioration de nos relations avec les États-Unis.

Clarifier dans ce cadre la nature et l'étendue du lien de rattachement de nos entreprises avec les États-Unis, en garantissant plus de transparence et un droit au recours ( judicial review ) dans le cadre des transactions conclues par nos entreprises avec la justice américaine.

Recommandation n° 46 :

Poursuivre le renforcement du contrôle des investissements étrangers, en :

- abaissant de façon pérenne, de 25 % à 10 %, le franchissement du seuil de détention des droits de vote par un investisseur hors-UE déclenchant un contrôle de l'investissement, et appliquer ce nouveau seuil à toutes les sociétés stratégiques françaises, qu'elles soient cotées ou non. Une modification réglementaire du 3° de l'article R. 151-2 du code monétaire et financier est nécessaire pour cela ;

- actualisant la liste des activités sensibles et stratégiques figurant à l'article R. 151-3 du code monétaire et financier pour y intégrer le secteur des médias au sens large ainsi que les infrastructures électorales.

Recommandation n° 47 :

Appuyer la mise en oeuvre du DMA et renforcer la lutte contre les acquisitions prédatrices en France, en :

- évaluant l'opportunité d'autoriser l'Autorité de la concurrence, lorsqu'elle renvoie à la Commission européenne l'examen d'une opération située sous les seuils nationaux et que la Commission européenne n'y donne pas suite, d'instruire elle-même l'opération en question ;

- envisageant une notification à l'Autorité de la concurrence des opérations de concentration sous les seuils nationaux mais dont la valeur de transaction dépasse un certain montant, dans l'optique d'un renvoi possible de l'opération concernée, par l'Autorité de la concurrence, à la Commission européenne.

Recommandation n° 48 :

Adapter et moderniser les outils du droit européen de la concurrence afin de l'articuler au mieux avec les exigences d'une politique industrielle ambitieuse, en :

- faisant rapidement aboutir l'actualisation des lignes directrices de la Commission européenne en matière de marché pertinent, afin de saisir au mieux les évolutions rapides de ce concept induites par le développement fulgurant du numérique ;

- clarifiant les composantes du critère de « bien-être du consommateur » au regard duquel la Commission analyse les opérations de concentration, et y intégrer de nouvelles composantes comme la compétitivité, le maintien de l'emploi ou la souveraineté numérique ;

- allongeant l'horizon temporel des analyses de la Commission, en le portant de deux à cinq ans sauf exception, et clarifier la doctrine de la Commission en matière de concurrence potentielle future, dans le but que des opérations ne soient pas rejetées alors que des menaces potentielles à moyen terme semblent élevées.

Recommandation n° 49 :

S'assurer d'un contrôle effectif, harmonisé et efficace des subventions étrangères en cas de concentration ou de procédure de passation d'un marché public, en :

- promouvant, dans les discussions entre co-législateurs européens, la fixation de seuils de notification qui soient moins élevés que ceux aujourd'hui envisagés, afin d'étendre le champ d'application du règlement en cours de négociation ;

- en clarifiant, au niveau européen et français, l'articulation entre le nouveau contrôle des subventions et celui des investissements étrangers aujourd'hui à l'oeuvre en France, dans l'objectif de minimiser les divergences de pratique et d'interprétation potentiellement sources de contentieux et de longueurs dans l'analyse de l'impact des subventions étrangères.

Recommandation n° 50 :

Augmenter significativement la représentation, d'ici 2030, des salariés dans les conseils d'administration ou de surveillance des grandes entreprises et améliorer encore la formation de ces représentants des salariés.

CINQ PLANS POUR RECONSTRUIRE
LA SOUVERAINETÉ ÉCONOMIQUE

INTRODUCTION
-
QUELLE SOUVERAINETÉ ÉCONOMIQUE AUJOURD'HUI ?

La guerre en Ukraine , menée par la Russie depuis février 2022, a ravivé les inquiétudes sur la capacité de l'économie française et européenne à résister aux chocs frappant les chaînes de valeur mondiales . Cette crise, qui a fortement accru le prix des matières premières, énergétiques et agricoles, hausse se répercutant dans l'ensemble des secteurs et notamment dans le domaine de l'industrie, est survenue dans un contexte déjà très incertain.

Déjà, l'irruption de la pandémie de Covid-19 à l'hiver 2020 et ses résurgences périodiques avaient fortement perturbé les chaînes de valeur globales et le commerce international de marchandises. Les tensions d'approvisionnement engendrées ont favorisé une prise de conscience en France et en Europe de la vulnérabilité de notre approvisionnement en certains biens essentiels. Au début de l'année 2018, avec la mise en place par à-coups de barrières commerciales entre les États-Unis, la Chine et l'Europe , la division internationale des processus de production avait également été mise à l'épreuve.

La succession de ces trois épisodes a favorisé la mise - ou remise - à l'agenda politique de la « souveraineté économique » . En France, depuis le printemps 2022, la souveraineté a figuré en bonne place dans les débats de la campagne présidentielle, puis désormais dans l'intitulé et les attributions de ministères économiques 1 ( * ) , bien que cette évolution ne se soit pas traduite par un changement de configuration institutionnelle. À l'évidence, nous connaissons aujourd'hui un « moment souveraineté ».

Cette inquiétude accrue pour la capacité de notre pays à définir librement ses politiques publiques - économique, énergétique ou environnementale notamment - a poussé la commission des affaires économiques à se saisir de plusieurs thématiques liées à la souveraineté au cours des dernières années . Ainsi, en 2019, Laurent Duplomb avait présenté un rapport relatif à la place de l'agriculture française sur les marchés mondiaux, qui mettait en évidence la pénétration croissante des importations sur le marché agricole et agroalimentaire français. En 2019 également, le rapport Le projet de cession des Chantiers de l'Atlantique : éviter l'erreur stratégique, construire l'avenir de Sophie Primas avait mis en garde face aux risques pesant sur la vente de ce champion national, en termes de souveraineté militaire comme de leadership technologique. Le rapport d'Alain Chatillon et Olivier Henno Moderniser la politique européenne de concurrence (2020) avait également appelé à mieux articuler la politique de concurrence avec l'impératif de souveraineté économique.

En dépit de ces alertes et de la volonté affichée - si ce n'est d'affichage... - par le Gouvernement de restaurer notre souveraineté à grands coups de milliards d'euros , celle-ci figurant en bonne place au sein du plan de Relance et du plan France 2030, le constat reste sans appel : d'année en année, de crise en crise, les Français découvrent de nouvelles vulnérabilités, de nouvelles dépendances insoupçonnées . Celles qui étaient déjà connues - pour certains métaux, pour le paracétamol par exemple - ont été bien vite oubliées. Surtout, combien d'entre elles ignorons-nous toujours ? Une action volontariste de cartographie des risques, mais aussi d'identification de nos opportunités (par exemple pour réindustrialiser nos territoires), fait défaut, tout comme des plans concrets et ambitieux pour remettre enfin notre économie sur les rails de la souveraineté économique.

Cette dépendance est en effet source de risques multiples pour notre économie . Elle est source d'imprévisibilité et de fragilité pour le socle productif de notre Nation jusqu'aux activités les plus essentielles comme la production de notre alimentation, de nos produits de santé, de notre énergie. Elle expose nos entreprises, et les hommes et femmes qui y travaillent, aux aléas des échanges et de la conjoncture mondiale, pesant sur notre effort en faveur de l'emploi. Elle contribue à la dégradation inexorable de notre solde commercial, qui met en péril notre autonomie financière et budgétaire et nous impose une dette publique non soutenable. Elle est enfin une menace pour notre compétitivité lorsqu'elle confère à des acteurs ou États étrangers un pouvoir démesuré sur les prix de marché, subi de plein fouet par nos acteurs économiques . À l'heure où le pouvoir d'achat est une préoccupation majeure pour l'ensemble des Français , où notre pays renoue avec l'inflation et les pénuries, que l'on pensait reliques d'une période révolue, ces dangers revêtent une urgence toute particulière. Le projet de loi relatif au pouvoir d'achat que le Gouvernement devrait présenter au Parlement dans les semaines à venir ne peut faire l'économie d'une réflexion préalable sur notre stratégie de reconquête de la souveraineté .

L'approche des rapporteurs, il convient de le dire clairement, ne constitue pas une remise en cause du bien-fondé des échanges mondialisés ni une posture de repli national. Souveraineté n'est pas synonyme d'autarcie. Une France souveraine est une France capable de conduire une politique économique qui ne soit pas captive ni d'une autre puissance ni d'un déclin inexorable qui nous contraigne et nous résigne. Pour cela, notre pays a besoin de ses partenaires commerciaux , car il ne pourra assurer seul l'ensemble de ses besoins. Il a également besoin de la coopération européenne , pour être en mesure de rivaliser avec d'autres blocs économiques, afin de construire un marché intérieur de poids et qui puisse exporter ses normes et ses valeurs.

L'Union européenne a récemment inscrit son action économique et politique dans la continuité de la politique française de souveraineté, y préférant toutefois le concept « autonomie stratégique » économique . Il désigne « la capacité à agir de manière autonome et à choisir quand agir, dans quels domaines et avec quels partenaires partageant les mêmes valeurs 2 ( * ) ». Il s'approche, en ce sens, de notre souveraineté « à la française » désignant, en théorie politique, la capacité de « faire et de défaire les lois ». Certains voient, en l'autonomie stratégique, alternativement, un ensemble de moyens permettant d'atteindre notre objectif de souveraineté économique. Dans tous les cas, l'Union européenne a certainement retenu avec « l'autonomie stratégique » ou encore la « résilience », une sémantique plus consensuelle et « moins menaçant[e] pour les paradigmes existants 3 ( * ) » que celle de « souveraineté », trop facilement rattachable à son caractère national. Ce nouveau vocabulaire démontre quoi qu'il en soit la volonté de la Commission européenne de signaler sa bonne prise en compte du nouveau contexte international, sans fondamentalement remettre en cause sa ligne traditionnelle d'ouverture commerciale . La notion nouvelle d' « autonomie stratégique ouverte », au centre de la nouvelle stratégie commerciale de l'Union européenne adoptée en février 2021, témoigne de la difficulté à faire admettre à certains États membres la notion d'autonomie 4 ( * ) .

Par le passé, en donnant la priorité à la politique de concurrence sur les politiques industrielles, dans un contexte où pourtant, les autres blocs économiques de la planète tendaient plutôt à l'inverse, la Commission européenne n'a pas toujours été motrice dans la recherche de souveraineté économique. Elle a même parfois été perçue comme entravant certaines actions des États membres en ce sens, comme la constitution de « champions économiques », le financement public de l'innovation, ou encore la protection de nos entreprises face à des pratiques commerciales déloyales.

Cette conception de la souveraineté économique uniquement réduite à la « souveraineté du consommateur » 5 ( * ) a pu se retourner contre ce dernier, constat récemment admis par la commissaire européenne Margrethe Vestager en ce qui concerne les approvisionnements énergétiques et industriels : « Nous n'avons pas été naïfs, nous avons été cupides . Notre industrie s'est beaucoup construite autour de l'énergie russe avant tout car elle n'était pas chère. Idem avec la Chine pour de nombreux produits ou avec Taïwan pour les puces, où nous sommes avant tout allés chercher des coûts de production plus bas. Mais derrière toutes ces économies, il y avait une grosse prime de risque - la dépendance - que nous payons aujourd'hui . La leçon à tirer, c'est qu' il faudra désormais plutôt payer une prime à la sécurité . Nous devons diversifier notre approvisionnement et cela aura forcément un coût. Le gaz naturel liquéfié (GNL), par exemple, sur lequel nous allons devoir plus miser, sera plus cher. Mais avec ces coûts viendront la stabilité et la prédictibilité , qui amèneront des investissements 6 ( * ) . »

LA PRISE EN COMPTE DE LA VARIABLE (GÉO)POLITIQUE DANS LES MODÈLES ÉCONOMIQUES

Les concepts de souveraineté économique ou d'autonomie stratégique économique ont pour point commun d'être nés hors du champ de la recherche académique dans le domaine de l'économie. Jusqu'à récemment encore, seul un faible nombre d'études économiques de référence existait sur le sujet, les économistes ne s'étant approprié que récemment ce vocable d'origine juridico-politique, géopolitique voire militaire .

La plupart des modèles économiques prennent ainsi pour hypothèse une situation idéale, sans frictions aux échanges, ou agendas politiques, ou difficultés logistiques, soit une « terre plate » pourtant éloignée de la réalité vécue par les entreprises au quotidien.

C'est particulièrement le cas en matière de commerce extérieur : le risque d'attitude non coopérative d'États tiers, qui augmente en période de crise, est rarement intégré au calcul des gains associés au libre-échange. Les services de la DG commerce de la Commission européenne assument ainsi que « l'impact des tensions politiques n'a en général pas été comptabilisé dans les exercices de modélisation des gains liés à la conclusion d'un accord de libre-échange effectués jusqu'ici. Nos études d'impact sont fondées sur des projections à long terme dont l'horizon (en général d'une dizaine d'années) est découplé des évolutions conjoncturelles. »

Cette prise de position, que complètent la nouvelle stratégie commerciale de l'Union, les revues stratégiques en matière d'intrants critiques, les projets importants d'intérêt européen commun (PIIEC) et les instruments de défense commerciale (règlement antisubventions distorsives, mécanisme ajustement carbone aux frontières et réciprocité dans les marchés publics) témoigne d'un changement progressif des perceptions et des objectifs au sein de l'UE, à l'initiative en particulier de notre pays .

Ce changement de « logiciel » politique est d'autant plus souhaitable que la souveraineté économique ne se fera pas sans action à l'échelle européenne , comme évoqué plus haut. Le marché unique et la régionalisation des chaînes de valeur et des échanges sont des atouts nécessaires pour rivaliser avec nos compétiteurs internationaux.

Ainsi, certains concepts récents, comme celui de « relocalisation », doivent être maniés avec prudence . Il est à la fois restrictif, puisque centré sur l'activité existante - et non sur l'innovation ou la création d'activité nouvelle - et sur l'activité située à l'étranger, au détriment parfois des considérations économiques du marché national (comme les caractéristiques de la consommation domestique). On pourrait y préférer plutôt une réindustrialisation profonde, bien que ne portant pas sur l'ensemble des produits ; une réflexion portant sur la valeur ajoutée et le raccourcissement des chaînes de valeur ; ou encore le nearshoring , c'est-à-dire la production rapprochée du marché de consommation. La souveraineté économique ne doit pas être le prétexte à un retour du protectionnisme , qui réunit contre lui le consensus des économistes et des expériences passées. Les bénéfices de l'ouverture réciproque des marchés, de la diversification de l'approvisionnement et de l'élargissement des choix du consommateur sont un acquis certain de l'ère des échanges mondialisés.

Enfin, les rapporteurs partagent la conviction qu'à long terme, il n'est pas de souveraineté sans compétitivité dans une économie ouverte. Seule une amélioration durable de l'environnement économique, fiscal, institutionnel et même culturel de l'activité en France saura l'ancrer sur le territoire. Au-delà des cinquante recommandations formulées par le présent rapport, l'effort de compétitivité doit donc être poursuivi, au service de notre souveraineté économique.

I. LA SOUVERAINETÉ PAR UN APPROVISIONNEMENT SÉCURISÉ EN INTRANTS INDUSTRIELS, MINIERS ET AGRICOLES

A. GARANTIR L'ACCÈS AUX INTRANTS ET AUX BIENS INDUSTRIELS STRATÉGIQUES

1. 40 % des intrants utilisés dans l'industrie sont aujourd'hui produits hors de France, contre 29 % il y a vingt ans

Très intégrée dans les flux commerciaux et les chaînes de valeur internationales, l'industrie française assoit sa production à hauteur de près de 40 %, sur des intrants importés d'autres pays 7 ( * ) . Selon les chiffres collectés par l'administration, les intrants industriels importés par la France se répartissent aujourd'hui entre 22 % d'intrants provenant de l'Union européenne, c'est-à-dire du marché intérieur caractérisé par des flux stables entre pays proches, et 17 % d'intrants provenant des pays n'appartenant pas à l'Union européenne .

Source : « Vulnérabilité des approvisionnements français et européens », Trésor-Eco n° 274, décembre 2020, Direction générale du Trésor du ministère de l'économie, des finances et de la relance.

Certes, aucun pays du monde ne saurait assurer la totalité de ses besoins en matières premières et biens intermédiaires : la répartition des activités productives au niveau mondial traduit tant la disponibilité de ressources naturelles ou de savoir-faire spécifiques que la recherche d'une meilleure efficacité de la production grâce à des économies d'échelle.

Mais le constat que dessinent ces chiffres est d'autant plus inquiétant que la dépendance vis-à-vis de nos partenaires commerciaux est en augmentation constante dans tous les secteurs industriels. Seulement 29 % des intrants utilisés en France il y a vingt ans provenaient de l'étranger, contre 40 % aujourd'hui . Certains secteurs, tels que l'industrie textile, ont connu des hausses particulièrement marquées (d'environ 25 % à près de 60 % de dépendance aux importations). Même les grands secteurs de spécialisation de l'économie française, moteurs d'activité et d'exportations, tels que la production de matériels de transport et le secteur de la chimie, sont touchés par ce phénomène.

Évolution de la part des intrants importés
par secteur de l'industrie française entre 2000 et 2019

Source : « Vulnérabilité des approvisionnements français et européens », précité.

Ces chiffres reflètent, selon les cas, l'apparition de nouveaux besoins de matières premières , au fur et à mesure des innovations technologiques, ne pouvant être satisfaits sur le territoire français (comme en matière de minerais et de terres rares), l'émergence progressive de fournisseurs étrangers plus compétitifs que leurs concurrents français ayant conduit au quasi-abandon de certains segments par l'industrie nationale (c'est le cas par exemple de l'acier) ou encore la réorientation des producteurs français vers des produits à plus haute valeur ajoutée , qui a favorisé un recours accru à l'importation de commodités (pour certains produits chimiques et principes actifs notamment).

Dans ces deux derniers cas, la réorientation de l'approvisionnement et de la production des entreprises françaises s'est toutefois traduite, il ne faut pas l'oublier, par plusieurs décennies de fermetures de sites industriels français , aboutissant à une division par deux de la part de l'industrie dans le produit intérieur brut de la France (passant de 32 % environ en 1974 à 13 % environ en 2018).

La dépendance de l'économie française aux importations est donc tout autant une conséquence qu'un moteur de la désindustrialisation profonde qu'a connue la France depuis les années 1980.

Part de l'industrie dans l'emploi et la valeur ajoutée
de l'économie française (1973-2018)

Source : Les politiques industrielles en France : évolutions et comparaisons internationales ,
France Stratégie, novembre 2020.

2. La dépendance de l'industrie française aux importations, un constat aux implications multiples

Un fort recours aux importations, dans de telles proportions et pour des milliers de biens industriels, peut être source d'instabilité et de vulnérabilité pour le socle productif de la Nation face aux chocs extérieurs . C'est en particulier le cas s'il concerne des intrants considérés comme « essentiels » au bon fonctionnement du pays, « critiques » pour nos producteurs, ou « stratégiques » au vu des priorités fixées par les pouvoirs publics, qu'il s'agisse d'ailleurs de produits de commodité à faible valeur ajoutée ou de produits à fort contenu technologique.

Un approvisionnement assuré majoritairement auprès de sites et d'entreprises étrangères expose l'industrie française à une chute de compétitivité en cas de hausse des prix, voire à des risques d'interruption totale de la production en cas d'interruption des flux commerciaux, qu'elle résulte d'un choc économique ou de décisions géopolitiques délibérées.

Pour des produits essentiels à la vie et à la continuité de la Nation, comme ceux nécessaires au bon fonctionnement des systèmes de santé , à l'alimentation de la population, à la fourniture d'énergie , ou à la défense nationale , de telles interruptions durables d'approvisionnement et de production ne sont pas envisageables sous peine d'une perte totale de souveraineté .

Au-delà des seuls risques que cette situation fait peser sur l'approvisionnement de la Nation en biens industriels essentiels, le recours accru de la France aux importations a contribué à la dégradation continue de la balance commerciale de la France . La nette hausse des importations, dans une proportion supérieure à celle des importations depuis le début des années 2000, résulte en un déficit structurel (+ 75 % d'importations, contre + 54 % d'exportations) 8 ( * ) . Un éclairage offert par une note du Haut-Commissariat au Plan, intitulée « Reconquête de l'appareil productif : la bataille du commerce extérieur » et publiée en décembre 2021 précise que 900 produits importés (soit 10 % des produits étudiés) , dont le déficit dépasse 50 millions d'euros, sont responsables, à eux seuls, de 80 % du déficit commercial total de la France (60 % si l'on exclut les hydrocarbures).

Source : Commission des affaires économiques du Sénat, données issues de la note « Reconquête de l'appareil productif : la bataille du commerce extérieur » du Haut-Commissariat au Plan, décembre 2021.

Solde de la balance commerciale en biens
de la France (1971-2021)

Source : INSEE

Dans une situation déjà précaire, l'économie et les finances publiques françaises sont donc particulièrement vulnérables aux variations des cours internationaux de certains produits importés - au-delà des seules matières premières énergétiques. En période de tension, comme c'est actuellement le cas depuis le redémarrage de l'économie mondiale en 2021 et le retour d'un conflit armé en Europe, tant l'État que les entreprises industrielles s'exposent à une explosion du coût des intrants, qui met en péril leur compétitivité, voire la pérennité de leur activité . Ce levier des prix pourrait, en cas de renforcement des tensions géopolitiques , devenir une arme de guerre économique redoutable dans les mains de nos adversaires.

En dehors du seul enjeu de disponibilité immédiate des intrants, la dépendance de la France créée génère donc aussi un cercle vicieux de déficit commercial, de dette et de perte de compétitivité, incompatible avec l'objectif de souveraineté industrielle .

3. Secret de polichinelle, la vulnérabilité de notre approvisionnement n'a pourtant fait l'objet que d'un travail de cartographie embryonnaire

La pandémie de Covid-19 et ses conséquences sur l'économie mondiale ont marqué une prise de conscience de l'interconnexion des économies mondiales et surtout des risques pesant sur l'approvisionnement des industries française et européenne . Lors de la crise sanitaire, l'accroissement brutal de la demande pour certains produits - tels que certains médicaments ou équipements sanitaires - et le coup d'arrêt porté aux activités logistiques et productives lors des confinements successifs, ont bouleversé les flux d'échange internationaux usuels entre fournisseurs et clients.

Pourtant, certaines des vulnérabilités de l'approvisionnement en produits industriels étaient connues de longue date et avaient fait l'objet d'alertes nombreuses. Par exemple, le Sénat dénonçait depuis plusieurs années l'indisponibilité chronique de certains vaccins et produits médicaux , comme dans le rapport d'information présenté par Jean-Pierre Decool en 2018. Le Conseil général de l'économie (CGE) avait également mis en évidence la dépendance de la France en matières premières, tirant les leçons de tensions constatées sur l'alumine par exemple.

UNE DÉPENDANCE CRITIQUE EN MATIÈRE DE PRINCIPES ACTIFS ESSENTIELS

Alors que l'Europe assurait dans les années 1990 environ 60 % de la production des principes actifs qu'elle utilisait, l'approvisionnement de la France en ingrédients pharmaceutiques actifs provient aujourd'hui à plus de 80 % de Chine et d'Inde 9 ( * ) .

Cette forte concentration des sources de principes actifs à l'échelle mondiale - production parfois elle-même concentrée au sein de certaines régions des pays exportateurs - est connue de longue date, tout comme ses conséquences concrètes. Dès 2017, comme l'avait signalé un rapport du Sénat, près de 530 médicaments essentiels se trouvaient alors en situation de pénurie dans le pays , marquant une tendance forte à l'augmentation. 10 ( * )

La délocalisation quasi totale de la production des principes actifs nécessaires à la fabrication européenne en Asie (principalement vers l'Inde et la Chine) au cours des décennies précédentes est le principal moteur de la forte dépendance actuelle de l'Europe. En effet, les producteurs européens s'étaient réorientés vers des principes actifs à volume moindre, mais à plus forte valeur ajoutée, plus adaptés à la structure de coût de production offerte en Europe que la production de commodités.

À l'heure où la demande intérieure de la région asiatique s'accroît, et que cette dernière est progressivement devenue productrice de produits finis au fur et à mesure de sa montée en gamme, l'approvisionnement de l'industrie chimique et pharmaceutique européenne n'est plus assuré . Celle-ci assure pourtant la production de nombreux intrants utilisés par l'ensemble du tissu industriel, mais aussi essentiels à la vie de la Nation, notamment dans les secteurs de la santé ou de l'agriculture .

À titre d'exemple, la production mondiale de paracétamol est aujourd'hui presque exclusivement située en Inde, en Chine, et aux États-Unis - ces derniers ayant adopté des mesures fortes de protection de leurs producteurs nationaux via une combinaison de barrières commerciales et de normalisation accrue. Le dernier site de production français avait fermé en 2008, au profit d'une production en Chine. Seul le conditionnement du paracétamol était depuis assuré en France. La perturbation des productions des pays asiatiques lors de la pandémie de Covid-19 en 2020, voire dans certains cas l'arrêt volontaire des exportations de principes actifs, ont eu des répercussions importantes sur les chaînes de valeur internationales, les producteurs de médicaments faisant par ailleurs face à une demande accrue des systèmes de santé pour lutter contre la pandémie. Face à cette prise de conscience, les pouvoirs publics ont annoncé au cours des années 2020 et 2021 des aides publiques visant à faciliter la « relocalisation » d'une activité de fabrication de paracétamol sur le sol français .

Les antibiotiques sont également touchés par les problématiques d'approvisionnement depuis l'étranger. Selon la récente étude de la Direction générale du Trésor, au moins deux antibiotiques - la streptomycine et le chloramphénicol , figurant tous deux sur la liste des médicaments essentiels de l'Organisation mondiale de la santé - font partie des produits dont l'approvisionnement est à la fois majoritairement dépendant de pays tiers et très concentré (un fournisseur pourvoyant plus des deux tiers du marché mondial). En 2017, cette dépendance de l'Europe à l'Asie avait déjà pu être évaluée lorsque des mesures anti-pollution décidées en Chine avaient fortement contraint la disponibilité d'amoxicilline et d'acide clavulanique en Europe, essentiels à la fabrication d'un antibiotique très utilisé.

En réponse - bien tardive - aux pénuries constatées à compter de 2020 (en particulier en matière de composants électroniques), le Gouvernement a récemment initié certains travaux de cartographie de l'origine des intrants industriels et d'identification des composants stratégiques.

Une étude conduite en 2020 par la Direction générale du Trésor établit ainsi le constat d'une vulnérabilité globale de l'approvisionnement de la France qui resterait limitée : selon les chiffres cités, 121 produits sur les 4927 étudiés, soit 2,5 %, dépendraient d'un nombre de fournisseurs restreints . Pour 12 de ces intrants (soit 0,2 %), l'approvisionnement serait particulièrement vulnérable, en ce que le principal producteur assurerait plus des deux tiers de la production mondiale . Figurent parmi eux des produits « de niche » à la criticité limitée, tels que certaines plantes artificielles, mais aussi des produits à l'usage très répandu dans de nombreux secteurs industriels, comme les lampes LED. Au total, le déficit commercial imputable à ces intrants importés concentrés et vulnérables serait respectivement de 670 millions d'euros et de 307 millions d'euros (soit entre 0,5 et 1,5 % du déficit commercial de biens industriels de la France ).

Source : « Vulnérabilité des approvisionnements français et européens », précité.

Une autre analyse, conduite par le Conseil d'analyse économique selon une méthode proche dans une note intitulée « Quelle stratégie de résilience dans la mondialisation ? » et publiée en avril 2021, identifie 644 produits vulnérables (sur environ 9 300 produits importés étudiés) , représentant environ 4 % des importations françaises. 122 de ces 644 produits présenteraient une vulnérabilité renforcée, c'est-à-dire que leur approvisionnement est majoritairement issu de pays non-membres de l'Union européenne et qu'il est en outre concentré à plus de 70 % sur un unique pays producteur ou qu'il transite à plus de 90 % par une seule entreprise importatrice.

Comparaison des résultats des études relatives à la vulnérabilité de l'approvisionnement de l'industrie française

Intrants concentrés

Intrants vulnérables

Exemples cités

Par l'étude de la Direction générale du Trésor (2020)

Produits chimiques
et pharmaceutiques
, dont antibiotiques (streptomycines
et chloramphénicol)

Produits métallurgiques ,
dont terres rares (scandium, yttrium)

Biens d'équipement (accumulateurs, machines-outils, notamment pour la fabrication
de pneumatiques)

Lampes LED

Simulateurs de vol

Couvertures en fibre synthétique

Plantes artificielles décoratives

Meubles de jardin

Produits d'horlogerie

Gravures

Objets d'antiquité

Intrants vulnérables

Intrants
à la vulnérabilité renforcée

Exemples cités

Par l'étude du Conseil d'analyse économique (2021)

Minerais (dont tungstène)

Produits de chimie inorganique (dont iode) ou organique
(dont antibiotiques)

Appareils médicaux (IRM)

Biens de consommation courante sans portée stratégique
(consoles de jeux, parasols...)

Entre autres, intrants du secteur
de la chimie
(dont principes actifs de médicaments, vitamines,
acide barbiturique, calcium...)

Source : « Vulnérabilité des approvisionnements français et européens », précité ;
Étude du CAE « Quelle stratégie de résilience dans la mondialisation ? », avril 2021.

La France n'est certes pas seule à connaître cette situation de dépendance excessive. Les études comparatives récentes suggèrent que le pays se situe au niveau de la moyenne européenne (en pourcentage d'intrants industriels étrangers importés). Ces chiffres doivent toutefois être mis au regard de la désindustrialisation particulièrement intense ayant frappé la France au cours des dernières décennies , y compris en comparaison avec l'Allemagne ou l'Italie.

Selon les chiffres ministériels, l'Union européenne serait en situation de dépendance pour 137 produits relevant d'écosystèmes sensibles , représentant 6 % de la valeur des importations extra-européennes de l'UE, en particulier depuis les pays émergents des zones Asie et Amérique du Sud. Parmi ceux-ci figurent des produits biocides, l'insuline, certains antibiotiques, des demi-produits sidérurgiques, ou encore des moteurs à explosion. Cela suggère non seulement une dépendance individuelle de la France, mais aussi une dépendance collective de l'Union européenne vis-à-vis d'autres grandes régions économiques, plus préoccupante encore .

VERS DES PÉNURIES D'ACIER EN EUROPE ?

L'acier est l'un des intrants les plus consommés par l'industrie française, qui en utilise environ 15 millions de tonnes chaque année (consommation apparente) . Le seul secteur du bâtiment consomme annuellement près de 4,3 millions de tonnes d'acier (pour les poutres et grillages), suivi par les secteurs des matériels de transports (automobile et aéronautique principalement) et de la mécanique.

Bien que la France soit exportatrice nette d'acier (principalement de produits dits « plats »), elle importe autant d'acier qu'elle en vend à l'extérieur. En effet, sur certains segments, la France n'est aujourd'hui plus en mesure d'assurer son approvisionnement souverain sur l'ensemble des produits sidérurgiques . La dépendance de l'industrie française aux exportations d'acier est particulièrement forte sur le segment des produits longs de commodités, à moins haute valeur ajoutée (tels que les barres, les poutrelles et les fils). Par exemple, la France est exportatrice nette de rails, mais les produit sur le territoire grâce à des « blooms » très majoritairement importés. Autre cas emblématique : la production nationale de tubes d'acier a été divisée par trois entre 2008 et 2018, représentant une perte d'emplois de près de 3600 personnes, alors même que ces tubes sont très utilisés dans les secteurs de la construction, du pétrole, du gaz, de l'automobile ou encore de la mécanique. Depuis 2015, la France ne produit plus de grands tubes soudés. Depuis 1990, la production totale d'acier en France s'est réduite de l'ordre de 20 % sur le segment des produits de base et de 80 % sur le segment des tubes et tuyaux .

Comme l'exprimait le rapport d'information n° 649 (2018-2019) de Mme Valérie Létard , fait au nom de la mission d'information du Sénat sur les enjeux de la filière sidérurgique, et publié le 9 juillet 2019, « l'industrie française est donc fortement dépendante des flux commerciaux d'acier : d'une part, les secteurs aval utilisateurs d'acier ont recours à l'importation de produits non disponibles ou non compétitifs sur le territoire français ; de l'autre, les entreprises de la filière sidérurgique elles-mêmes se fournissent et écoulent leur production sur les marchés extérieurs. La seule production nationale d'acier est peu adaptée à l'ensemble des besoins des industries consommatrices. »

Si cette situation pouvait être regardée comme peu problématique il y a encore quelques années, en raison d'une importante surcapacité d'acier au niveau mondial qui permettait facilement à l'industrie française de s'approvisionner à bas coût sur les marchés internationaux, la crise économique consécutive à la pandémie de Covid-19 a fait office de rappel à l'ordre . La mise à l'arrêt des hauts-fourneaux chinois pendant les confinements, puis le conflit entre deux des principaux fournisseurs de l'Europe, à savoir la Russie et l'Ukraine, ont réduit la disponibilité des produits sidérurgiques et grignoté les stocks des entreprises dépendantes des importations, alors même que la reprise économique s'amorçait dans les pays occidentaux. En conséquence, l'Europe et la France connaissent aujourd'hui une pénurie d'acier . Or, il n'est pas toujours possible de trouver d'autres vendeurs en Europe ni même en dehors, certains fournisseurs turcs ou même italiens de demi-produits se fournissant eux-mêmes en Ukraine ou en Chine.

Plusieurs sites métallurgiques ou d'autres secteurs industriels français ont ainsi dû fortement réduire leur activité, malgré la reprise économique , et mettre une partie de leur personnel au chômage partiel. Pour ceux qui ont pu la maintenir et trouver un approvisionnement alternatif, les prix à l'achat de l'acier ont considérablement augmenté , forçant certains à vendre à perte ou à accepter une moindre compétitivité de leurs produits finis. Les délais de livraison ont aussi été allongés de plusieurs mois. Les entreprises sous-traitantes et petites et moyennes industries (PMI) sont proportionnellement plus touchées par ces difficultés, leurs volumes d'achat plus restreints fragilisant leur position de négociation vis-à-vis des producteurs et des donneurs d'ordres. En cascade, la pénurie actuelle d'acier a déjà un impact négatif sur les secteurs aval de l'industrie française , comme le secteur du bâtiment, fortement utilisateur de grillage et de tiges pour béton armé.

La parole aux entreprises - Les tensions autour de l'approvisionnement en acier

La mission d'information a entendu plusieurs entreprises des secteurs de la mécanique et de l'automobile, confrontées aux tensions sur l'approvisionnement en acier .

L'une d'entre elles a indiqué qu'en raison du fort ralentissement de la production d'acier durant la crise liée à la pandémie puis de l'importante compétition entre entreprises pour se fournir, ses contrats d'approvisionnement auprès d'un aciériste français ont été annulés : elle a en conséquence dans un premier temps dû réorienter son approvisionnement vers l'Ukraine, avant que celui-ci ne soit à son tour mis en péril par le conflit armé. Elle souffre également d'une pénurie de tôles magnétiques.

Une autre entreprise a, quant à elle, dû stopper une partie de son activité en raison de la pénurie d'inox . Elle a en effet expliqué que le prix de la tôle inox qu'elle consomme avait été multiplié par deux entre novembre 2020 et 2022 , et rendant déficitaire l'activité de production, en dépit d'une hausse cumulée des prix de vente de 12 % grevant sa compétitivité.

Une troisième entreprise a indiqué que « pour certaines matières, les engagements de prix et de délais des fournisseurs peuvent par moment être garantis uniquement pendant quelques heures », ceux-ci connaissant des variations extrêmement importantes. Les prix des vis et des boulons qu'elle achète ont ainsi augmenté de + 35 % à + 280 % . Ces écarts lui apparaissent « incompréhensibles », l'entreprise notant qu'elle ne dispose que d'une connaissance partielle de l'approvisionnement de ses fournisseurs . Elle a augmenté ses stocks, mais indique que cela contribue probablement à la tendance inflationniste actuelle. Face à cette situation, l'entreprise a d'abord attendu avant de répercuter les hausses de prix sur ses produits, mais n'a pu supporter très longtemps l'impact sur la trésorerie et doit désormais se résoudre à modifier presque chaque semaine ses prix de vente , ce qui tend les relations avec ses clients.

Une quatrième entreprise du secteur de l'automobile a également témoigné de hausses des prix de l'inox de l'ordre de 55 % en deux ans , de délais de livraison allongés et des risques de sanctions financières que ces difficultés font courir aux entreprises qui ne pourraient honorer leurs contrats. En outre, la possibilité de répercuter ces hausses sur les grands clients apparaît très limitée . L'entreprise tente de négocier des contrats longs d'approvisionnement pour améliorer sa visibilité.

Nombre des entreprises précitées ont par ailleurs souligné leurs fortes inquiétudes vis-à-vis du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF) que l'Union européenne entend mettre en oeuvre dans les prochaines années : le renchérissement des importations soumises au MACF (de l'ordre de 150 euros la tonne sur certains produits métalliques selon elles) pourrait encore aggraver les tensions déjà fortes sur l'approvisionnement de l'industrie européenne et peser lourdement sur la compétitivité des entreprises exportatrices .

Enfin, les dirigeants des sociétés ont dénoncé un certain manque de vision globale des autorités européennes chargées de la politique commerciale. Dans la période de pénurie actuelle, l'Union européenne a en effet reconduit pour deux ans supplémentaires les mesures anti-dumping, c'est-à-dire les quotas d'importations d'acier , qu'elle avait mises en place en 2019 dans le contexte des barrières commerciales mises en oeuvre par les États-Unis, réduisant les possibilités d'importer depuis la Turquie par exemple. Ces mesures, pertinentes en période de surproduction mondiale, sont à leurs yeux dommageables en période de forte tension sur l'approvisionnement.

Les rapporteurs relèvent toutefois que les résultats des études précitées ne sont toutefois pas aussi rassurants que les administrations entendues lors des travaux de la mission ont souhaité les présenter .

• Premièrement, parmi le faible nombre de produits à l'approvisionnement vulnérable identifiés, on ne retrouve pas certains des produits actuellement touchés par des pénuries marquées , tels que les semi-conducteurs . Pourtant, certains de ces produits relèvent bien d'un marché très concentré au niveau mondial, avec des possibilités restreintes de substitution et une demande en augmentation. De l'aveu même de la Direction générale du Trésor interrogée par les rapporteurs, « les semi-conducteurs peuvent être considérés comme des intrants vulnérables dans la mesure où seuls deux constructeurs maîtrisent la technologie la plus avancée, que la plupart des fonderies sont situées à Taïwan ce qui les rend tributaires d'éventuels chocs d'offre et dépendantes de facteurs climatiques comme la sécheresse et que la part des composants électroniques dans nombre d'équipements (dont les véhicules) va croissant. Les semi-conducteurs n'étaient pourtant pas classés comme intrants vulnérables [...] » . Une approche complémentaire basée sur la criticité du produit pour l'industrie française, et non seulement sur sa vulnérabilité in abstracto est donc absolument nécessaire : ce travail reste aujourd'hui entièrement à réaliser.

La parole aux entreprises - La pénurie de semi-conducteurs

Parmi les entreprises du secteur de la mécanique entendues par les rapporteurs, l'une d'entre elles a fait part de ses importantes difficultés à se fournir en composants électroniques.

En janvier 2020, avant que la pandémie de coronavirus ne stoppe les chaînes de valeur mondiales, ses délais de livraison en cartes électroniques étaient d'environ 6 semaines. Au début de l'année 2022, ils sont passés à 82 semaines , sans qu'un retour à la normale ne soit pour l'instant en vue.

Cela a poussé l'entreprise à revoir l'ensemble de sa stratégie de stocks . Ayant anticipé les difficultés en mars 2020, elle a pu constituer près de 80 semaines de stocks stratégiques et a pu maintenir son activité sans arrêt de la production. Toutefois, n'ayant pas reçu de livraison depuis juin 2021, l'entreprise aujourd'hui a consommé la quasi-totalité de ses stocks . Elle fait désormais face à de très fortes augmentations de prix, de l'ordre de 15 à 20 % par an , qu'elle devra en partie répercuter sur ses produits.

L'entreprise est particulièrement inquiète du peu de possibilités de substitution qui existent en France et en Europe . Elle a ainsi indiqué qu'il existait il y a trente ans environ 130 fournisseurs de cartes électroniques en France, contre deux aujourd'hui, qui devraient bientôt fermer leurs portes.

L'enjeu du renouvellement générationnel des dirigeants des petites entreprises qui fournissent leur site est primordial, mais l'entreprise réfléchit désormais à réinternaliser un certain nombre de ses productions intermédiaires à défaut de solutions.

• Deuxièmement, ces études ont été conduites sur des données reflétant un contexte de flux commerciaux « normaux » , en dehors de toute tension logistique, de conflit commercial ou conventionnel. Or, c'est bien la vulnérabilité à l'ensemble de ces risques qui doit être mesurée, et non celle au seul risque de concentration excessive : la période actuelle, marquée par le retour d'un conflit armé conventionnel (qui place sous forte tension l'approvisionnement en blé, en gaz ou encore en métaux) et par la remise en cause des règles commerciales multilatérales le démontre de manière éclatante.

La parole aux entreprises - Les tensions d'approvisionnement liées au conflit en Ukraine

Parmi les entreprises de plusieurs secteurs entendues par les rapporteurs, plusieurs ont fait état de difficultés d'approvisionnement engendrées ou aggravées par le conflit en Ukraine et les sanctions imposées à la Russie (outre l'acier évoqué plus haut).

L'une a fait part de ses importantes difficultés à se fournir en câbles de cuivre . Elle a précisé qu'elle dénombrait il y a trente ans environ 22 fournisseurs en France et en Europe pour les câbles qu'elle utilise : il n'en reste aujourd'hui plus qu'un. Son approvisionnement provenait en partie d'Ukraine, et est remis en cause par le conflit.

Une entreprise du secteur de la mécanique a également exprimé son inquiétude concernant son approvisionnement en granulats pour les fonderies françaises , ceux-ci provenant en grande partie de matières premières de Russie ou d'Ukraine. Ses fournisseurs doivent en conséquence rechercher en permanence des alternatives à ces circuits d'approvisionnement ordinaires, or, il n'existe pas en France de capacité de production propre .

Une troisième entreprise a indiqué que le conflit russo-ukrainien fait peser des risques sur l'approvisionnement européen en aluminium , assuré à près de 30 % par la Russie sur certains produits. Les prix ayant déjà fortement augmenté et la situation étant tendue, certains sites devront peut-être réduire leur activité , ce qui pourrait représenter une perte allant jusqu'à 15 % du chiffre d'affaires de l'entreprise.

Une entreprise du secteur de la production de caoutchouc fait face à une forte pénurie de noir de carbone . Produit principalement en Russie (10 % du marché mondial), cet intrant critique à la production de pneus et de joints - rendant les gommes plus résistantes - est aujourd'hui en forte tension. L'entreprise, qui s'approvisionnait à hauteur de 37 % de ses besoins européens en Russie, et pour une petite part en Ukraine , a dû réorienter son approvisionnement en affrétant des avions depuis l'Asie (la Chine et le Vietnam notamment), mais rencontre des difficultés à transporter cet intrant fragile et craint de recréer de nouvelles dépendances. Il n'existe qu'une très petite capacité de production de noir de carbone en France , auprès de laquelle l'entreprise s'approvisionne déjà. À court terme, il n'existe aucun produit pouvant servir de substitut.

Cette même entreprise a également cité l'exemple des gommes synthétiques , intrant nécessaire et pour lequel la Russie fournit jusqu'à 60 % de la production mondiale , selon les gammes. L'entreprise étudie aujourd'hui les possibilités de diversification, toutefois limitées. L'innovation pourrait permettre à moyen terme de trouver des substituts, mais au prix de lourds investissements et de délais importants.

• Troisièmement, conduites au niveau individuel, les études ne prennent pas en compte la vulnérabilité agrégée de l'approvisionnement . Qu'en est-il si l'ensemble des entreprises qui fournissent le produit sont basées dans le même pays, voire la même région ou si le même pays fournit à la France un nombre important d'intrants ? L'exposition au risque tant économique que politique en serait alors décuplée d'un point de vue agrégé. C'est pourtant précisément la situation actuelle : la Russie, les États-Unis et la Chine sont les principaux fournisseurs de la France sur un grand nombre de produits pour lesquels il n'existe parfois par d'alternative d'approvisionnement. Selon les chiffres fournis par la Direction générale du Trésor, « le renforcement du rôle de la Chine dans les chaînes de valeur mondiales en tant que fournisseur d'intrants a eu pour effet d'accroître la contribution de ce pays aux exportations de l'Union européenne ». Entre 2005 et 2018, la Chine est devenue le deuxième fournisseur d'intrants étrangers de l'Union pour la production de ses exportations, représentant désormais 12 % du volume global des importations. 40 % des approvisionnements étrangers concentrés de l'Union proviennent de Chine .

• L'industrie française est également dépendante de l'importation de nombreux biens industriels intermédiaires , dont l'insuffisance de la production en France n'est pas liée à une indisponibilité de ressources rares, mais plutôt à des enjeux de compétitivité. La vulnérabilité des chaînes de valeur ne se limite donc pas à l'approvisionnement primaire. L'exemple des batteries électriques destinées au secteur automobile est frappant : l'utilisation en Europe de batteries produites en Chine relève davantage de la structuration rapide d'une filière chinoise de production ayant rapidement atteint une compétitivité-coût élevée, que d'un avantage spécifique en matière de ressources ou de technologies. Consciente de ces faiblesses, l'Union européenne s'est donné pour objectif de construire sa propre filière de batteries électriques, visant 25 % de la production mondiale d'ici 2030, contre environ 3 % en 2020 .

• Enfin, ces études ne prennent pas en compte certaines dépendances indirectes au sein de l'Union européenne : une centaine de produits importés principalement de l'UE - notamment de l'Allemagne, de la Belgique ou de l'Italie - pourraient être classés comme « concentrés » si l'on soumettait leur approvisionnement aux mêmes critères d'examen que ceux listés ci-dessus. Sont concernés des intrants des secteurs de la chimie, de la métallurgie, du textile, des biens d'équipement, ainsi que des produits finis agroalimentaires. À titre d'exemple, le trichlorure de phosphore , utilisé notamment pour les technologies photovoltaïques, est en grande partie importé d'Allemagne. Supposées moins vulnérables que celles situées hors-UE, ces concentrations n'en sont pas moins préoccupantes en cas de choc externe frappant nos partenaires commerciaux européens. D'ailleurs, l'Allemagne est elle-même très dépendante des importations chinoises.

• Il convient de noter que l'étude de la Direction générale du Trésor ne couvre volontairement pas le champ des matières premières énergétiques , qui représentent un enjeu colossal comme le démontrent les conséquences de la guerre entre la Russie et l'Ukraine sur le marché européen de l'énergie. Ce sujet sera traité dans la seconde partie du présent rapport (II).

Il résulte en conclusion des travaux de la mission d'information que le chantier d'identification des dépendances et des vulnérabilités de la France en matière d'intrants industriels, tant à un niveau individuel qu'agrégé, ainsi que de l'examen de la criticité de ces produits, reste embryonnaire .

Les auditions des rapporteurs ont démontré qu'en dépit d'une prise de conscience notable au cours des trois dernières années et de récents efforts, concentrés sur quelques produits, il reste aujourd'hui difficile d'établir clairement les priorités de l'État en matière de sécurisation de l'approvisionnement industriel, faute de travaux offrant une connaissance plus fine des besoins de nos entreprises industrielles, des flux d'échange existants et des alternatives.

C'est là une carence réelle, alors que nombre d'économistes, d'industriels et de spécialistes des relations internationales alertent depuis deux décennies sur la dépendance croissance de l'industrie française et sur la perte progressive de souveraineté industrielle . Cette situation interroge également les bases stratégiques sur lesquelles le Gouvernement entend, comme il l'a annoncé, déployer une stratégie de « réindustrialisation » et de « relocalisation ».

Comme le recommande le Conseil d'analyse économique dans sa note précitée, ce travail d'identification statistique, sur la base des données des douanes, puis d'une sélection des intrants jugés « stratégiques », est un préalable nécessaire à la définition de toute stratégie nationale de réduction de la dépendance ou de réindustrialisation de la France . À ce chantier doivent être associées les filières industrielles, par le biais du Conseil national de l'industrie et des différents comités stratégiques de filière. Les rapporteurs recommandent de dédier un budget spécifique à cet effort exceptionnel de cartographie , par le biais de la mission budgétaire « Économie », mise en oeuvre par la Direction générale des entreprises (DGE).

Afin d'obtenir des données agrégées plus fiables et d'identifier les dépendances mutuelles et indirectes, les personnes auditionnées par les rapporteurs estiment qu'il est nécessaire d'approfondir également les études menées au niveau européen , telles que celles initiées par la Commission européenne au cours des dernières années. L'Union européenne collecte ainsi depuis janvier 2022 des données relatives aux flux d'exports intra-européens, qu'il conviendrait de pouvoir consolider .

En outre, pour améliorer encore la connaissance des chaînes de valeur, il serait utile de disposer de données de traçabilité plus précises et au champ plus large au niveau national . En effet, seules les entreprises aujourd'hui soumises à des obligations de traçabilité environnementale (par exemple concernant la déforestation), sociale (dont certains minerais), ou en termes de sécurité alimentaire et de santé publique (pour certains produits agroalimentaires), sont tenues de suivre ou de déclarer précisément leurs circuits d'approvisionnement. Il serait utile d'étendre ces obligations de traçabilité pour une liste de produits considérés stratégiques ou vulnérables : c'est la solution qu'ont par exemple retenue les États-Unis en matière de semi-conducteurs. La France récolte uniquement des informations relatives aux échanges entre pays, tandis que la Belgique par exemple utilise déjà les formulaires relatifs à la taxe sur la valeur ajoutée pour suivre plus précisément les circuits de fourniture au sein du pays. Une meilleure traçabilité contribuerait aussi à améliorer la connaissance des circuits de fourniture par les entreprises elles-mêmes , qui situent parfois mal leur positionnement au sein des chaînes de valeur mondiales.

Recommandation n° 1 :

Établir une cartographie complète des dépendances critiques en intrants industriels de la France et de l'Union européenne, en :

- menant, sous l'égide du Conseil national de l'industrie (CNI) et en lien avec les Comités stratégiques de filière (CSF), un travail transversal et exhaustif de cartographie des dépendances et des vulnérabilités de l'approvisionnement de la France en intrants et biens intermédiaires industriels ;

- poursuivant au niveau européen l'effort amorcé par la Commission européenne de réalisation d'une cartographie des dépendances stratégiques, chaîne de valeur par chaîne de valeur ;

- introduisant au niveau européen des obligations de traçabilité pour une liste de produits stratégiques ou vulnérables, afin d'améliorer la connaissance des chaînes de valeur et des flux d'échange, et en facilitant l'accès aux données d'échanges intra-européennes existantes ;

- incluant dans l'ensemble de ces travaux une analyse de la criticité des produits pour l'économie européenne et une analyse des risques, y compris géopolitiques, pesant sur l'approvisionnement actuel, à l'échelle tant nationale qu'agrégée (en prenant en compte les dépendances indirectes).

4. Pour sécuriser l'approvisionnement de l'industrie française, combiner politique des stocks, diplomatie économique de diversification des échanges et investissement stratégique...

Dans notre économie mondialisée, l'interdépendance est la règle plutôt que l'exception : une parfaite indépendance économique n'est ni faisable ni souhaitable pour la France. Certaines ressources naturelles ou intrants nécessaires ne sont pas disponibles sur le territoire français, et certaines productions ne pourraient y être assurées avec un modèle économique viable. Dès lors, et bien que ce terme ait habité le débat public et politique depuis plus de deux ans, la « relocalisation » de la production d'intrants et de biens ne saurait résoudre seule la dépendance industrielle de la France .

Deux leviers doivent être mobilisés en priorité, car ils offrent un degré de flexibilité et de réactivité qui permettra de sécuriser rapidement l'approvisionnement de l'industrie française : repenser les stratégies d'approvisionnement et d'achats et revitaliser la diplomatie économique .

a) Sensibiliser et inciter les entreprises à la diversification, aux achats communs et à la constitution de stocks stratégiques
(1) Confier aux filières un rôle accru dans la sécurisation de l'approvisionnement, en sensibilisant les industriels aux enjeux des politiques d'achat

La pandémie de Covid-19 a conduit certaines entreprises à modifier rapidement et fortement leurs pratiques d'achat , en mettant par exemple en place des centrales d'achats de masques au plus fort de la crise sanitaire. Conscientes des difficultés de leurs fournisseurs, parfois des PME, à se procurer des masques en période de pénurie, et craignant en conséquence un arrêt de leur activité, les grands groupes, parfois dans le cadre des filières stratégiques placées sous l'égide du CNI, ont organisé des achats mutualisés, voire redistribué une partie de leurs achats aux autres membres de la chaîne de valeur.

Aujourd'hui, alors que les pénuries d'intrants se multiplient, ce type d'action semble pouvoir être répliqué : les entreprises entendues par les rapporteurs ont ainsi indiqué que la filière réfléchissait à mettre en commun certains achats de produits sidérurgiques, afin d'accroître le pouvoir collectif de marché et ainsi éviter que les contrats de fourniture des PME françaises ne soient annulés au profit de plus gros clients étrangers par exemple.

La parole aux entreprises - Le rôle des filières, l'exemple de l'automobile

Une entreprise du secteur de l'automobile , entendue par les rapporteurs, a indiqué qu'au plus fort de la pénurie d'intrants, les entreprises de la filière ont échangé afin de prévoir au mieux la disponibilité de certains composants le long de la chaîne de valeur, et d'éviter tout arrêt de production .

Dans certains cas, avec l'appui de la filière, ils ont pu se procurer certains produits, faire accepter aux grands donneurs d'ordre de répercuter le différentiel de coût de leur approvisionnement, afin de limiter l'impact financier sur les plus petites entreprises. Ils ont également échangé des informations sur le potentiel de diversification.

En vue de la création des futures « gigafactories » de voitures électriques, il sera nécessaire d'effectuer ce même travail de coordination et d'identification des besoins, pour éviter toute pénurie ou rupture de la chaîne de production.

Alors que les économistes prévoient que certaines de ces pénuries s'inscrivent dans le temps ou se répètent ; alors que la rareté de certaines ressources ne fera que s'accroître au fil des années, il serait utile de multiplier ce type de démarches solidaires , a fortiori au sein des filières industrielles les plus intégrées .

Plus généralement, les filières stratégiques pourraient se voir confier un rôle d'anticipation et de prospective à cet égard . Accompagnées par l'État et par le CNI, le cas échéant avec l'appui des informations agrégées relatives aux échanges internationaux dont dispose l'État, elles pourraient être chargées de conduire des études visant à identifier les besoins communs en intrants industriels entre plusieurs entreprises de la même chaîne de valeur . Lorsque cela paraîtrait pertinent, des structures d'achats mutualisés pourraient être mises en place par chaque filière, en respectant toutefois le droit de la concurrence pour éviter tout risque d'entente.

LE TRAVAIL D'IDENTIFICATION DES VULNÉRABILITÉS MENÉ PAR LA FILIÈRE DE LA CHIMIE

À titre d'exemple des travaux pouvant être efficacement menés à l'échelle des filières, la branche française de la chimie a conduit en 2020 une étude visant à identifier les « maillons » vulnérables de sa chaîne d'approvisionnement . Le secteur de la chimie est en effet marqué par d'importantes interdépendances, la disponibilité d'un produit étant parfois impactée par le besoin de l'un de ses « coproduits », et par de fortes contraintes sur la production et le transport de certains produits, limitant la possibilité de diversification des sources.

L'étude distingue les maillons produits sur le territoire français et ceux, liés à ces productions, présentant d'importants risques de vulnérabilités. Parmi les maillons vulnérables, elle identifie notamment l'approvisionnement en soude, en chlore, en glycérine, et désinfectants, en propylène, en acétone , ou encore, plus spécifiquement dans le secteur pharmaceutique, en antibiotiques et en principes actifs .

Ces travaux préalables d'identification menés à l'initiative de la filière ont permis à celle-ci de bénéficier des aides à la « relocalisation » dans les secteurs stratégiques , prévues par le plan de relance en 2021, et informent sa participation aux alliances industrielles européennes (par le biais des PIIEC).

D'autre part, la sensibilisation aux enjeux de diversification pourrait être renforcée, également dans le cadre d'actions pilotées par les filières industrielles . Les entreprises françaises exploitent en effet moins bien que leurs homologues européennes le potentiel de diversification de leurs fournisseurs, en privilégiant un interlocuteur établi et unique à plusieurs. Source de confiance et de facilité, la dépendance à un seul et même fournisseur n'en est pas moins source de risques. Les filières pourraient se charger, peut-être en lien avec les chambres de commerce et d'industrie locales, d'identifier l'ensemble des entreprises pouvant offrir des prestations similaires afin de pouvoir en informer les chefs d'entreprises qui souhaiteraient diversifier leurs sources d'approvisionnement .

Par ailleurs, de manière plus générale et complémentaire à la mise en commun de certains achats, le recours aux contrats longs de fourniture pourrait être développé, dans le respect du droit de la concurrence . Une politique d'achats basée sur des délais courts et des renégociations fréquentes s'avère particulièrement vulnérable aux chocs d'offres, comme on peut aujourd'hui le constater dans plusieurs secteurs industriels souffrant de pénuries, ou en matière d'approvisionnement énergétique. Les concurrents internationaux des entreprises françaises ont déjà reconnu que les contrats longs pouvaient être un levier de stabilité et de visibilité, comme l'entreprise Tesla, qui a récemment annoncé avoir signé un contrat de long terme pour garantir son approvisionnement en nickel.

Recommandation n° 2 :

Confier aux filières stratégiques un rôle accru dans la sécurisation de l'approvisionnement industriel, à l'initiative et avec l'appui de l'État :

- identifier les besoins communs en intrants industriels au sein des entreprises d'une même filière ou de filières différentes ;

- lorsque cela paraît pertinent, et dans le cadre défini par le droit de la concurrence, mettre en place des structures d'achats mutualisés afin de rééquilibre les relations commerciales des entreprises industrielles françaises, en particulier les petites et moyennes entreprises (PME) vis-à-vis de leurs fournisseurs et de mettre en oeuvre des stratégies de diversification ;

- sensibiliser les chefs d'entreprises à l'enjeu de la diversification des sources d'approvisionnement et identifier le potentiel de diversification existant pour les entreprises de la filière ;

- dans le respect du droit de la concurrence, favoriser le recours à des contrats de fourniture de long terme, offrant une meilleure visibilité sur l'approvisionnement en intrants industriels.

(2) Inciter à la constitution de stocks stratégiques

Les politiques de stocks pourraient également être revues au profit d'une plus grande sécurité de l'approvisionnement.

Comme l'ont remarqué les entreprises et les économistes pendant la crise économique causée par la pandémie de Covid-19, la forte inertie de l'outil industriel fait qu'un arrêt de la production consécutif à une pénurie d'intrants est extrêmement coûteux, et le redémarrage difficile. Pourtant, les modèles économiques d'activité et les caractéristiques de certains intrants (notamment les intrants périssables ou se dégradant rapidement) tendent à favoriser une politique de stock bas , qui ne suppose ni contraintes de stockage ni mobilisation de trésorerie supplémentaire.

Pour certains intrants structurants ou critiques, voire certains biens intermédiaires à l'approvisionnement concentré et vulnérable, l'État pourrait dès lors encourager la mise en place de stocks stratégiques, permettant de garantir la continuité de la production même en cas de tensions sur l'approvisionnement .

Les entreprises ont en effet souligné l'effet désincitatif de la fiscalité sur la constitution de stocks : la valeur correspondant à l'acquisition d'intrants - parfois très coûteux justement en raison de leur rareté ou en période de tensions - est en effet comptabilisée dans l'actif de la société, ce qui peut modifier l'assiette fiscale de certains impôts. En conséquence, plus une entreprise constituera de stocks, plus la charge fiscale attachée sera élevée . En outre, lorsque le stock sera « déstocké », c'est-à-dire effectivement utilisé dans le processus de production et transformé en produit fini, il augmentera le résultat et donc l'imposition avec un effet décalé dans le temps, entraînant une variabilité accrue de la charge fiscale parfois difficile à supporter pour les entreprises.

Il pourrait donc être envisagé, pour certains types d'intrants particulièrement stratégiques ou structurants pour l'activité industrielle française, de modifier le traitement fiscal des stocks , afin de rendre plus incitatif le glissement vers une politique de stock tournée vers l'anticipation des difficultés d'approvisionnement. Des dispositifs spécifiques de « suramortissement » de la dépréciation des stocks, voire de déductions fiscales pour tout ou partie de la valeur des acquisitions, pourraient être étudiés. Le ciblage de ces incitations fiscales devrait faire l'objet d'une étude précise : il ne pourrait concerner, par exemple, qu'une liste de produits définie par voie réglementaire.

Selon Philippe Varin, entendu par la commission des affaires économiques, ce problème a déjà bien été identifié par certains États membres de l'Union européenne, notamment l'Allemagne , qui a d'ores et déjà lancé une réflexion sur le traitement fiscal des stocks.

Recommandation n° 3 :

Modifier le traitement fiscal de l'actif des entreprises industrielles, afin de rendre plus incitative la constitution de stocks d'intrants et de produits intermédiaires stratégiques, dont la liste sera établie sur la base d'une cartographie des intrants stratégiques ( voir recommandation n°1 ).

b) Engager une politique de diplomatie économique active et mieux exploiter le potentiel de diversification des sources d'approvisionnement

Au-delà d'un seul rôle d'accompagnement des entreprises dans la recherche de nouveaux fournisseurs ou dans la constitution de stock, il revient aussi à l'État français d'engager une politique active de diplomatie de l'approvisionnement .

Les partenaires commerciaux historiques de la France ou les principaux producteurs de certains intrants tendent à représenter une part majeure des fournisseurs étrangers des entreprises françaises. Pourtant, il existe d'autres canaux d'approvisionnement équivalents, parfois moins identifiés et, en conséquence, moins exploités.

Ainsi, l'étude précitée menée par la Direction générale du Trésor sur la vulnérabilité de l'approvisionnement en intrants industriels de la France mentionne que « sur les 121 produits [à l'approvisionnement concentré] identifiés pour la France, 66 ne le sont pas pour l'UE-27, ce qui signale un potentiel de diversification envers d'autres pays tiers, non exploité par la France, mais exploité par ses voisins. »

Ces chiffres pointent du doigt un manque de sensibilisation des entreprises françaises au champ des approvisionnements possibles, mais aussi une carence de l'action de l'État envers la promotion des opportunités offertes par le commerce international . A minima, ce constat suggère qu'il conviendrait de développer encore l'action publique en faveur de l'internationalisation des échanges des entreprises françaises - pas uniquement à l'exportation, mais aussi en matière d'approvisionnement. Un effort spécifique devrait porter sur les intrants dont la vulnérabilité de l'approvisionnement semble relever d'une spécificité française, afin de promouvoir le recours à des fournisseurs multiples.

Surtout, il faut accentuer l'effort de diplomatie économique mené par la France, en donnant une importance particulière aux enjeux d'approvisionnement en intrants et en matières premières . Certes, la Direction générale du Trésor, sollicitée par les rapporteurs, a indiqué que « l e projet d'accord UE-Chili tel qu'annoncé par la Commission en novembre 2021, par exemple, obtient une sécurisation unique des conditions d'accès au lithium [...]. La négociation en cours avec l'Australie comporte des enjeux similaires sur l'accès aux ressources australiennes de bauxite et de terres rares. ». Il faudrait toutefois systématiser ces efforts, pour que l'élaboration des accords commerciaux - aujourd'hui compétence exclusive de la Commission européenne - comporte systématiquement un volet dédié aux matières premières . Au niveau français, l'accent pourrait être mis sur les relations commerciales en matière d'intrants stratégiques, en décuplant les efforts réalisés aujourd'hui par le ministère de l'Europe et des affaires étrangères.

Aux questions adressées par la mission d'information, la direction de la diplomatie économique a répondu qu'il existe aujourd'hui « un agent chargé de la diplomatie des métaux et des matières premières, orienté pour l'essentiel vers la sécurisation des approvisionnements ». Une diplomatie des matières premières redynamisée impliquerait peut-être de dédier davantage de moyens techniques et humains - y compris au sein des institutions européennes - à la défense des intérêts de l'industrie française en matière d'approvisionnement. Dans certains cas, ces efforts pourraient mener jusqu'à la signature de nouveaux accords commerciaux bilatéraux entre l'Union européenne et ses partenaires. Enfin, le dialogue entre le ministère de l'économie et des finances, le ministère de l'Europe et des affaires étrangères , éventuellement les comités stratégiques de filière et l'Union européenne pourrait être intensifié et mieux coordonné.

Enfin, l'État pourrait soutenir, voire abonder, l'investissement des entreprises publiques à l'étranger lorsqu'il vise à se doter de filiales permettant une sécurisation de l'approvisionnement .

Cette solution est notamment recommandée par le rapport Sécuriser l'approvisionnement de l'industrie en matières premières minérales remis au Gouvernement par Philippe Varin en janvier 2022. Il préconise la mise en place d'un « Fonds d'investissement dans les métaux stratégiques », dédié au soutien des prises de participation d'industriels français dans des entreprises extractives à l'étranger.

Une telle solution - celle d'un fonds public-privé dédié - pourrait être répliquée pour d'autres types d'intrants industriels stratégiques , en substitution ou en complément des leviers identifiés plus haut.

La Direction générale du Trésor a également signalé aux rapporteurs que le dispositif « Garantie des projets stratégiques », distribué par Bpifrance Assurance Export pour le compte de l'État, a été mobilisé en vue de la sécurisation de l'approvisionnement industriel. Il permet, selon la Direction, d'offrir une garantie publique à des projets « en contrepartie de contrats de fourniture de matières premières, sans condition de part française » .

Recommandation n° 4 :

Développer le soutien public, par le biais de fonds ou de garanties, aux projets d'investissement des entreprises françaises dans des producteurs d'intrants à l'étranger, afin de contribuer à la sécurisation des chaînes de valeur.

Si ces modes d'actions ne sauraient seuls résoudre les problèmes d'approvisionnement, en ce qu'ils reposent également sur des producteurs situés dans des pays tiers, ils peuvent néanmoins contribuer à assurer que les intérêts des industriels français seront bien pris en compte par leurs fournisseurs étrangers et que les contrats d'approvisionnement seront bien honorés.

5. ... et une véritable stratégie de réindustrialisation afin de développer les capacités de production française et européenne
(1) La « relocalisation » industrielle a bénéficié d'importantes aides publiques au cours des années 2020 et 2022...

La « relocalisation » d'activités productives en France a bénéficié d'importantes aides au cours des deux années précédentes. Dès les premières mesures de soutien à l'économie décidées au milieu de l'année 2020, des crédits exceptionnels ont été votés par le Sénat au sein de la mission « Économie », afin de financer des projets d'investissement dans des activités productives porteuses d'enjeux de souveraineté. Abondés et structurés dans la mission « Plan de relance » au début de l'année 2021, ils se traduisent par deux appels à projets distincts dédiés à la relocalisation industrielle, répondant à deux logiques complémentaires :

• Une logique sectorielle d'abord, visant des investissements dans la production sur le territoire national de produits appartenant à des filières stratégiques, ou eux-mêmes stratégiques (telles que la santé, l'électronique ou les « intrants essentiels de l'industrie ») ;

• Une logique territoriale , déclinée et mise en oeuvre à l'échelle locale dans le cadre du programme « Territoires d'industrie », visant à encourager les investissements productifs structurants à l'échelle des bassins d'emplois, en lien avec les régions.

UNE POLITIQUE NAISSANTE DE SOUTIEN À L'INVESTISSEMENT
DANS LA « RELOCALISATION » DE LA PRODUCTION
DES INTRANTS INDUSTRIELS STRATÉGIQUES

Dans le cadre de l'effort budgétaire en faveur du soutien à l'économie française frappée par la crise économique liée à la pandémie de Covid-19, puis dans le cadre du plan de relance, deux dispositifs d'aide à la « relocalisation » ont été mis en oeuvre en 2020 et 2021.

Le premier volet, nommé « Relocalisation : sécurisation des approvisionnements stratégiques » et piloté par l'État, vise à soutenir l'investissement dans des projets de reconstruction de capacité industrielle dans cinq filières stratégiques, répondant ainsi à une logique sectorielle. Les secteurs retenus sont l'agro-alimentaire, la santé, l'électronique, les « intrants essentiels de l'industrie » (chimie, matériaux, matières premières), et les télécommunications 5G. Financé dans le cadre du plan de relance, il a pris la suite des actions lancées dès juillet 2020 et avait bénéficié de crédits budgétaires grâce à un amendement au troisième projet de loi de finances rectificative adopté par le Sénat.

Selon les chiffres relevés par les rapporteurs auprès de l'administration centrale, à la date de rédaction de ce rapport, 477 entreprises bénéficiaires auraient été aidées d'un investissement de l'État au titre du volet « sécurisation des approvisionnements stratégiques » . Parmi celles-ci, 311 seraient des petites ou moyennes entreprises (PME). Au total, les projets retenus dans le cadre des appels à projets représenteraient un investissement industriel de près de 3,2 milliards d'euros, pour un montant total d'aides publiques de 846,5 millions d'euros . L'enveloppe initiale de 600 millions d'euros, réabondée de 250 millions d'euros, a été totalement consommée. Selon la Direction générale du Trésor, « à titre d'illustration, dans le secteur de la santé, sur les 30 médicaments identifiés en grande tension pendant la crise sanitaire, 24 ont vu tout ou partie de leurs étapes de fabrication en cours de relocalisation sur le territoire » .

Source : Chiffres mis en ligne par le Gouvernement.

Le second volet, « Relocalisation : soutien aux projets industriels dans les territoires » , vise à mettre en oeuvre un investissement coordonné de l'État et des régions dans des projets industriels structurants à l'échelle locale, en s'appuyant principalement sur le programme « Territoires d'Industrie », et sans distinction sectorielle.

Près de 950 millions d'euros ont été consacrés à date à ce volet, également désigné sous le nom de « Fonds d'accélération des investissements industriels dans les territoires » , dont environ 700 millions d'euros par l'État, à la suite du ré-abondement de l'enveloppe initialement mobilisée dans le cadre de la troisième loi de finances rectificative pour 2020 puis du plan de relance. Selon la Direction générale du Trésor, parmi les près de 1800 projets lauréats soutenus, 246 relèveraient d'une relocalisation industrielle, pour un montant total de 115 millions d'euros d'aides .

Dans les premiers bilans publiés par le Gouvernement, celui-ci se félicite que « les investissements engagés par le plan France Relance permettront 23 premières industrialisations en France de technologies jusqu'à présent non maîtrisées sur le territoire, comme la fabrication de plaquettes (wafer) de carbure de silicium pour la fabrication de composants en électronique de puissance, dont 5 conduisant directement à une création d'usines dans des secteurs de dépendance historique vis-à-vis de l'étranger. En matière de relocalisation d'intrants et de composants stratégiques, [...] le plan [...] a permis de soutenir l'émergence d'une filière d'assemblage et de conditionnement de puces de semi-conducteurs, avec un focus sur les composants critiques et de haute valeur ajoutée de petite et moyenne série, prioritaires pour rééquilibrer le poids de l'Asie dans ce domaine » . De même, la Direction générale du Trésor a indiqué que « dans le secteur de la santé, sur les 30 médicaments identifiés en grande tension pendant la crise sanitaire, 24 ont vu toutes ou une partie de leurs étapes de fabrication en cours de relocalisation sur le territoire. »

Au total, environ 1,5 milliard d'euros d'aides à l'investissement ont ainsi été mobilisés en plusieurs temps au cours des années 2021 et 2022, au profit d'environ 750 projets de « relocalisation » industrielle .

De nouvelles actions de soutien à la « relocalisation » de la production de biens industriels ont en outre été annoncées dans le cadre du plan « France 2030 » , dont l'un des objectifs est, selon les annonces gouvernementales, « de réindustrialiser le pays pour notre prospérité, notre souveraineté économique » . Bien que ce plan d'investissement n'ait à ce stade fait l'objet que d'une présentation pour le moins succincte, et qu'il soit en conséquence difficile d'appréhender la substance réelle des dispositifs qu'il entend financer au cours des prochaines années , sont mentionnées parmi les actions envisagées :

• « la décarbonation de l'industrie et la production d'intrants » industriels, financées à hauteur de 5 milliards d'euros, sans qu'il soit précisé la part de ce montant prévisionnel alloué à chaque volet ;

• la « production en France de 20 biomédicaments », objectif auquel le plan allouerait 2,3 milliards d'euros ;

• le « renforcement de l'offre française en matière d'équipements pour l'Industrie du futur », qui bénéficierait de 800 millions d'euros ;

• la production de semi-conducteurs en France , pour un montant estimé de 4,75 milliards d'euros, en visant à l'horizon 2030 un doublement de la production française de composants électroniques.

(2) ... mais en réponse à un bilan mitigé, un effort durable et volontariste de réindustrialisation doit être engagé par le Gouvernement

Le déploiement de ces différents dispositifs témoigne d'une prise de conscience des conséquences dommageables de la désindustrialisation française et de la volonté de l'État de renouer avec une politique industrielle plus volontariste . Ils n'en restent pas moins insuffisants à plusieurs égards.

Premièrement, l'effort budgétaire exceptionnel consenti en 2020 et 2021 révèle en réalité le peu d'outils qui existaient jusqu'alors pour soutenir l'investissement productif stratégique en France, notamment au coeur des territoires, la France ayant abandonné toute politique industrielle volontariste . Bien que l'effort de compétitivité mené depuis le début des années 2000 ait permis d'améliorer l'attractivité du territoire français en tant que terre de production, les marges de manoeuvre de l'État et des collectivités en matière d'aides publiques restent réduites lorsqu'il s'agit de donner une impulsion nette à la réindustrialisation sur des segments particulièrement porteurs d'enjeux de souveraineté économique. Plusieurs des personnes auditionnées par les rapporteurs ont ainsi souligné l'insuffisance des dispositifs actuels - Fonds d'innovation dans l'industrie, investissements de Bpifrance - pour répondre aux besoins identifiés.

À ce titre, se pose la question de la continuité de l'effort d'investissement dans les activités productives stratégiques : à l'heure où les crédits du plan de relance sont déjà en grande partie consommés, où l'assouplissement des règles européennes relatives aux aides d'État consenti au coeur de la crise économique sera bientôt révoqué, et alors qu'il n'existe à ce jour aucune garantie concrète sur la bonne mise en oeuvre des actions du plan France 2030, quel est l'avenir de la politique de relocalisation ?

Deuxièmement, on peut s'interroger sur l'existence d'une réelle « stratégie de relocalisation », c'est-à-dire d'une doctrine étatique établissant des priorités claires concernant les produits dont la production doit être développée en France. Un premier effort de ciblage a été réalisé dans le cadre de l'appel à projet « Relocalisation : sécurisation des approvisionnements stratégiques » sur les cinq secteurs jugés prioritaires, mais une granularité plus fine n'a pour l'instant pas été atteinte. En préalable à toute prolongation de l'effort de soutien public à l'investissement, il conviendra de mener ce travail d'identification des intrants critiques et de ciblage des aides, qui pourra s'appuyer sur les résultats des études menées par les filières industrielles sous l'égide du CNI , comme le recommandent plus haut les rapporteurs.

À défaut, il existe un risque de « saupoudrage » des aides, voire d'effet d'aubaine pour certaines entreprises actives sur des segments non-porteurs d'enjeux de souveraineté , au détriment des actions prioritaires. Interrogées par les rapporteurs, certaines des personnes entendues ont ainsi estimé que les aides à la « relocalisation » du plan de relance ont été assez peu transparentes dans leur attribution et souffrent d'un défaut d'évaluation .

Si le Gouvernement a pu faire le choix d'assumer ces risques, dans une période de relance marquée à la fois par des moyens budgétaires exceptionnels et par une volonté de dynamiser l'activité économique « quoi qu'il en coûte », il faudra toutefois mieux prendre en compte l'impératif d'efficacité de la dépense publique dans les années à venir .

Recommandation n° 5 :

- Améliorer l'évaluation continue et ex post des aides à la « relocalisation », afin de garantir l'efficacité de la dépense publique et le bon ciblage des aides ;

- Mieux cibler sur les intrants critiques ces aides publiques à la « relocalisation » d'activités productives, ainsi que les aides à l'innovation, en s'appuyant sur les résultats des cartographies réalisées par les filières sous l'égide du CNI (voir recommandation n° 1) ;

- En fonction des résultats de ces évaluations, donner à la France un cap clair en faveur de la réindustrialisation à un horizon de dix ans, en fixant des cibles chiffrées de réduction de la dépendance à certains intrants stratégiques importés, couplées à des cibles de production nationale.

Troisièmement, nombre des projets ayant bénéficié d'aides publiques semblent relever moins de réelles « relocalisations » que des projets de développement industriel se situant dans le prolongement d'activités existantes. La modalité administrative retenue, c'est-à-dire les appels à projets, tend en effet généralement à privilégier des projets parfois déjà matures plutôt qu'à susciter de réels nouveaux projets, certaines entreprises ayant probablement bénéficié d'un effet d'aubaine sur des investissements envisagés de longue date. Cela questionne à l'inverse la capacité de l'État à susciter, avec de tels dispositifs en tout cas, des relocalisations volontaristes sur certains segments sur lesquels l'initiative privée fait défaut : il semble plutôt que les aides à la relocalisation aient joué un rôle accompagnateur plutôt que déclencheur.

Les aides mises en oeuvre dans le cadre de la relance ne suffiront pas, seules, à « relocaliser » la production des intrants et des biens stratégiques ni à doter la France de capacités nouvelles sur certaines filières clés. L'une des limites à ces dispositifs, en particulier une fois révolue la période de relance, est l'encadrement des aides d'État prévu par le droit de l'Union européenne . En dehors de l'assouplissement exceptionnel décidé en 2020 et ayant permis de mobiliser les sommes colossales finançant les divers plans de relance des États membres, la dépense publique en faveur des entreprises industrielles doit rester ciblée et justifiée par des objectifs précis de politique publique, sous peine de constituer une distorsion inadmissible de concurrence entre pays. L'échelle européenne sera donc incontournable pour mettre en oeuvre des politiques volontaristes de « capacity building » , c'est-à-dire de développement de capacités de production nouvelles .

À ce titre, les projets importants d'intérêt européen commun (PIIEC) sont un outil remarquable, que les rapporteurs appellent à développer et à faire encore évoluer dans le sens d'une plus grande souplesse . Ils permettent la mobilisation d'investissements de montants bien supérieurs à ceux dégagés des budgets nationaux, et la construction de véritables chaînes de valeur européennes nouvelles grâce à la coordination des efforts d'États membres en faveur de plusieurs sites de production. Dans son rapport relatif à l'approvisionnement de l'industrie, Philippe Varin recommande par exemple « d'agir auprès de l'UE pour élargir les PIIEC à l'approvisionnement en métaux stratégiques » .

Si l'ensemble des personnes entendues par les rapporteurs ont souligné la pertinence et l'ambition des PIIEC, ils ont toutefois évoqué plusieurs pistes d'amélioration du dispositif, regrettant les importants délais de mise en oeuvre et un cadre parfois trop rigide :

• De nouvelles souplesses pourraient être apportées en matière d'aides d'État , dans l'esprit des dérogations consenties au cours de l'année 2020 par la Commission européenne au profit des plans de relance. La récente révision de la « communication PIIEC » , qui s'applique depuis le 1 er janvier 2022, va dans le bon sens, mais pourrait être approfondie, par exemple en autorisant la constitution de PIIEC associant moins de quatre États membres en dehors des seuls cas « exceptionnels » et en augmentant les possibilités de subventionnement public.

• Tout en améliorant le cadre juridique, il est aussi nécessaire de mieux accompagner, voire de donner l'impulsion nécessaire à l'émergence de nouveaux PIIEC . En France, les représentants des filières industrielles, par le biais de France Industrie, ont d'ores et déjà mis en place des forums de concertation avec leurs homologues industriels allemands afin de détecter les opportunités de coopération européenne pouvant déboucher sur des PIIEC. Des tours de table associant États et filières industrielles européennes pourraient aussi être animés par la Commission européenne, sous l'égide de la Direction générale du marché intérieur, de l'industrie, de l'entrepreneuriat et des PME de la Commission européenne (DG Grow) afin d'identifier les produits et intrants insuffisamment produits en Europe et qui pourraient faire l'objet de nouveaux PIIEC, dans un objectif de meilleure anticipation des besoins des filières d'avenir. On peut d'ailleurs regretter qu'il ait fallu attendre la pandémie de Covid-19 pour initier, le 3 mars 2022, un PIIEC dans le secteur de la santé.

Les moyens humains nécessaires à l'instruction et à l'animation des PIIEC semblent aussi faire défaut . Dans de récents entretiens publiés dans la presse, le directeur général de la Direction générale de la compétitivité de la Commission européenne indiquait que « les PIIEC se multiplient et sont victimes de leur succès. Même en ayant doublé mes effectifs, je ne dispose que de vingt personnes pour traiter tous les dossiers. Ce n'est clairement pas à la hauteur des défis. Pourtant le temps presse. » 11 ( * )

Il appartient au Gouvernement français de se donner les moyens de défendre plus efficacement les intérêts de la France au sein des initiatives européennes coordonnées . De l'aveu des personnes auditionnées par les rapporteurs, les délais de traitement administratif des dossiers, la complexité des circuits de décision et le nombre d'interlocuteurs impliqués sont trop souvent des obstacles bien français à ce que notre pays soit retenu pour l'implantation d'un nouveau site industriel soutenu par les PIIEC. Il est de la responsabilité de l'exécutif que de s'assurer, par des simplifications et un plus grand volontarisme, que la France puisse obtenir un juste retour des financements et des efforts mobilisés auprès de l'Union européenne, dans un esprit d'équilibre du marché intérieur.

Recommandation n° 6 :

Amplifier et accélérer la mise en oeuvre de projets importants d'intérêt européen commun (PIIEC) permettant d'investir dans des maillons clés des chaînes de valeur européennes, notamment en :

- pérennisant les aménagements pertinents apportés au cadre juridique européen des PIIEC durant la crise liée à la pandémie de Covid-19, et en étudiant la possibilité d'assouplir davantage la réglementation relative aux aides d'État ;

- accompagnant l'émergence de nouveaux projets grâce à un dialogue renforcé entre industriels et États membres ;

- augmentant les moyens humains et financiers des directions générales de la Commission européenne chargées d'accompagner ces projets ;

- améliorant la défense des intérêts français au sein des instances européennes grâce à des simplifications administratives et une action plus volontariste de l'exécutif, afin d'exploiter pleinement les opportunités industrielles ouvertes par les PIIEC.

Enfin, les rapporteurs soulignent que le développement des filières du recyclage peut offrir une réponse ambitieuse, durable et créatrice de valeur et d'emploi aux problèmes d'approvisionnement de la France. Ce levier est encore insuffisamment mobilisé , comme le démontrent le manque d'anticipation relatif au recyclage des batteries électriques ou encore le fort taux d'exportation des ferrailles françaises, qui servent pourtant d'intrant aux aciéries électriques. Ces difficultés sont en partie liées aux difficultés juridiques autour du statut de déchet , qui peut compliquer leur transport et leur réutilisation.

Afin de réduire la dépendance de la France tout en réindustrialisant le pays, il convient d'amplifier les efforts en faveur de l'écoconception , de la réparabilité et de la recyclabilité des produits industriels . La loi « Économie circulaire » ayant récemment introduit des obligations d'intégration de matières premières recyclées , il faudra tirer pleinement profit en France de ces marchés naissants, plutôt que de faire recycler à l'étranger nos produits de consommation, avant de les réimporter une fois recyclés. Ces modèles d'économie circulaire permettront en outre de réduire l'empreinte carbone globale de notre pays .

Recommandation n° 7 :

- Accentuer le soutien, par le biais des aides à la réindustrialisation et à l'innovation, le développement ou l'émergence de filières françaises de recyclage, en particulier concernant les intrants stratégiques ou vulnérables ;

- Évaluer l'impact des obligations introduites par la loi « Économie circulaire » en matière d'écoconception, de réparabilité et de recyclage des produits ainsi que d'utilisation de matériaux recyclés, et le cas échéant les renforcer de manière ciblée ;

- Faciliter le recyclage des produits usagés, en apportant le cas échéant des modifications au statut juridique des déchets.

B. SÉCURISER L'APPROVISIONNEMENT EN MÉTAUX CRITIQUES ET DÉVELOPPER LA FILIÈRE MINIÈRE : UN IMPENSÉ DE LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE

1. La filière minière française : une industrie en déclin, malgré le potentiel du sous-sol français et les besoins de la transition énergétique

La France dispose d'une tradition minière ancienne, qui a accompagné l'essor de la Révolution industrielle dès le XVIII e siècle . Depuis lors, 4 384 titres miniers ont été délivrés par l'État 12 ( * ) . Ces titres ont permis l'exploitation du charbon, du fer et de différents métaux, en particulier l'antimoine (au XIX e siècle), l'or (au premier XX e siècle) et le tungstène (au second XX e siècle).

Après avoir décliné au sortir de la Seconde Guerre mondiale, l'activité minière s'est presque éteinte en France, des années 1980 aux années 2000 . Cette attrition est due à la moindre rentabilité des mines françaises par rapport à leurs concurrentes étrangères, ces dernières ayant su tirer profit de gisements plus larges, de coûts d'extraction et de production plus faibles, ou encore d'un cadre environnemental souvent plus permissif.

Actuellement, l'exploitation minière en France hexagonale est donc très limitée . D'une part, l'exploitation des ressources énergétiques est en voie d'extinction, en application de la loi « Hydrocarbures » de 2017 13 ( * ) , qui a prohibé l'octroi de nouveaux permis ou le renouvellement des concessions après 2040. D'autre part, l'exploitation des ressources non énergétiques concerne surtout sur le sel (4,5 Mt/an), la bauxite (115 kt/an), les calcaires bitumineux (1,8 kt/an) ainsi que l'étain, le tantale et le niobium (55 t/an) 14 ( * ) .

Cependant, il existe une forte activité minière dans les outre-mer : une production de nickel en Nouvelle-Calédonie (220 kt/an), où la compétence minière est exercée par cette collectivité conformément aux dispositions organiques de 1999 15 ( * ) , ainsi qu'une production d'or en Guyane, où l'orpaillage illégal (10 kt/an) est dix fois supérieur à l'extraction légale (1,5 kt/an) 16 ( * ) .

Contrairement à d'autres pays européens (Suède, Finlande, Espagne, Portugal, Pologne) ou étrangers (États-Unis, Canada, Australie), la France n'a donc pas su maintenir une filière minière importante . Malgré 36 Mds € de chiffre d'affaires et 11 000 emplois directs et indirects 17 ( * ) , seuls 3 grands groupes existent : Orano, Eramet et Imerys.

Or, la transition énergétique , dans laquelle se sont résolument engagées les économies française et européenne pour atteindre la « neutralité carbone » à l'horizon 2050, repose sur un impensé : sa dépendance aux métaux critiques . La production de nos pales d'éoliennes, de nos batteries électriques, de nos électrolyseurs d'hydrogène ou de nos équipements numériques consomme un grand nombre de métaux (cuivre, aluminium, lithium, cobalt, nickel, terres rares notamment). Pour preuve, on dénombre 15 g de terres rares dans un smartphone , 5 kg dans une batterie électrique ou 600 kg dans une éolienne en mer 18 ( * ) . Au total, plus de 60 éléments de la table de Mendeleïev sont indispensables à notre transition énergétique 19 ( * ) (cf. infra) .

Source : Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM).

À mesure qu'elle progresse, la transition énergétique induit donc des besoins croissants en métaux critiques . À l'échelle mondiale, l'Agence internationale de l'énergie (AIE) anticipe une multiplication par 6 des ressources 20 ( * ) nécessaires. Pour la France, Réseau de transport d'électricité (RTE) prévoit, dans les scenarii les plus renouvelables, de fortes consommations de cuivre (55 à 70 kt/an), aluminium (100 à 150 kt/an), acier (1 400 à 1 700 kt/an), béton (3 600 à 4 600 kt/an) ou terres rares (2 à 17 kt/an) 21 ( * ) . Cette analyse est convergente avec celle de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) 22 ( * ) , qui distingue les « grands matériaux et métaux », à la consommation dépassant 50 kt/an (béton, acier, verre, aluminium, cuivre), des « petits matériaux et métaux », à la consommation inférieure à ce seuil (lithium, cobalt, nickel, graphite).

Cette dépendance minière de la transition énergétique soulève plusieurs risques . Le premier est la hausse des prix , le cours du cuivre ayant crû de 10 % et celui de l'aluminium de 30 % au premier trimestre 2022 23 ( * ) . Le deuxième est la difficulté d'accès , les besoins en cuivre devant être multipliés par 2, ceux en nickel par 3 et ceux en lithium et en terres rares par 4 24 ( * ) . Le troisième est la dépendance aux pays producteurs , dans la mesure où la Chine a produit 57 % de l'aluminium en 2017, le Chili 33 % du lithium et 27,5 % du cuivre en 2016, la République démocratique du Congo 71,9 % du cobalt en 2019 et l'Indonésie 32 % du nickel en 2013 25 ( * ) . Cette dépendance est d'ores et déjà une réalité pour l'Union européenne, qui est tributaire, à hauteur de 100 %, de la Chine, pour les terres rares, de 80 %, de l'Amérique du Sud, pour le lithium et de 70 % de l'Afrique, pour le cobalt 26 ( * ) (cf. infra) .

Origine des importations de métaux critiques par l'Union européenne

Source : Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM).

La guerre en Ukraine a indubitablement accru les difficultés d'approvisionnement en métaux critiques . En effet, la Russie représente 30 % des importations européennes d'aluminium, de nickel et de cuivre et 40 % de celles de palladium et de ferrotitane 27 ( * ) . Aussi le conflit engendre-t-il une hausse des cours et une déstabilisation des approvisionnements. L'impact le plus sensible concerne l'industrie aéronautique, car 20 % des éponges de titane sont produites par une société russe à partir d'imports ukrainiens 28 ( * ) .

Dans ce contexte, de plus en plus critique, la connaissance voire l'exploration et l'exploitation du potentiel minier de la France sont cruciales . Plusieurs gisements sont d'ores et déjà connus, à l'instar du tungstène, de l'antimoine et de l'or. D'autres doivent encore être faire l'objet de travaux de prospection approfondis, comme le gisement de plomb-zinc et ses sous-produits (cuivre, étain-tantale-niobium, germanium, gallium, lithium, molybdène). Ce sont surtout dans les massifs armoricain, central, pyrénéen et vosgien que ces gisements sont les plus présents 29 ( * ) (cf. infra).

Potentiel minier de la France

Source : Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM).

Au-delà de l'extraction des métaux critiques, leur recyclage est tout aussi fondamental . Actuellement, cette proportion est très faible, ne dépassant pas 0,4 % pour le lithium, 28 % pour le cuivre, 32 % pour le cobalt, 43 % pour le nickel et 51 % pour l'aluminium (cf. infra) 30 ( * ) . Compte tenu du coût économique, mais aussi environnemental, de la production de métaux critiques, cette entorse à l'économie circulaire appelle à être corrigée.

Taux de recyclage des métaux critiques

Source : Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM).

2. Pour une relance de la filière minière française : mobiliser les connaissances, relocaliser les chaînes de valeur et garantir la durabilité

Pour relancer la filière minière française , et répondre ainsi aux besoins économiques et difficultés géopolitiques actuels, une politique minière ambitieuse doit être résolument mise en oeuvre .

En premier lieu, il est crucial d'actualiser le dernier inventaire minier , en mettant l'accent sur les gisements de métaux critiques nécessaires à la transition énergétique. En effet, le dernier inventaire réalisé est, tout à la fois, obsolète car datant des années 1970 et limité car n'allant pas au-dessous de 300 mètres . Si un programme de prospection aéroportée a été initié par le Gouvernement, pour un montant de 5 M€ sur 3 ans, il ne concerne que l'Ouest du Massif central. Aussi faudrait-il étendre cette actualisation à l'ensemble de la France hexagonale, mais aussi aux outre-mer et aux fonds marins . Le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) a évalué entre 50 et 70 M€ le coût d'un inventaire complet du sous-sol français : ces montants doivent être débloqués dès la prochaine loi de finances.

En deuxième lieu, l'effort public consenti en direction de l'investissement, de la recherche et de l'innovation dans le secteur minier doit être consolidé , dans son champ, ses modalités et sa gouvernance. Le 10 janvier dernier, le Gouvernement a annoncé la mise en oeuvre, dans ce secteur, d'un délégué interministériel, d'un observatoire, d'un fonds d'investissement et d'un appel à projets. En outre, 110 M€ ont été prévus par le plan « France relance » et 500 M€ par le plan « France 2030 ». Ces annonces positives, quoique tardives, doivent être appliquées, mais aussi complétées.

Lors de son audition, le BRGM a précisé que six champs scientifiques nécessitent selon lui d'être investis : le cycle de vie des matières minérales, l'exploration et l'exploitation du sous-sol, les méthodes extractives durables et compétitives, l'économie circulaire et le recyclage, la comparaison des filières d'approvisionnement et l'accompagnement de la gouvernance mondiale. Ces champs doivent tous faire l'objet d'un soutien .

De plus, un modèle de financement robuste nécessite d'être institué. Les soutiens doivent être majoritairement financés par l'État et intervenir en investissement comme en fonctionnement. La durée des projets étant particulièrement longue, ces soutiens doivent être garantis, dans la prochaine loi de programmation des finances publiques. L'accès aux aides européennes doit aussi être facilité, dans les secteurs minier (Alliance pour les matières premières) ou connexes (Alliance européenne pour les batteries, Alliance pour l'hydrogène propre, Projets importants d'intérêt européen commun, Programme Horizon Europe). Une attention particulière mérite d'être accordée aux entreprises - les PME et ETI - et aux étapes - les phases pilotes - présentant le plus de vulnérabilités. Un effort spécifique est aussi attendu pour renforcer la lisibilité et la transparence des aides publiques, de même que leur articulation.

S'agissant de la gouvernance de la filière minière , l'institution d'un inter-groupe dédié aux métaux critiques, au sein du Conseil national de l'industrie (CNI), peut permettre de lier les comités stratégiques de filière (CSF) actuellement distincts, afférents aux mines et à la métallurgie, aux nouveaux systèmes énergétiques et à la plateforme automobile. De plus, si le BRGM a un rôle de premier plan à jouer au sein de l'observatoire, l'ensemble des acteurs publics intéressés 31 ( * ) doivent pouvoir y contribuer, dans un souci de complétude et de diversité. Les liens entre les scientifiques et les industriels peuvent ainsi être renforcés. Enfin, une territorialisation est attendue, avec l'institution de relais locaux sous l'autorité du délégué interministériel et l'association des élus locaux à l'observatoire, en sus de l'État et des industriels.

Recommandation n° 8 :

Consolider l'effort public consenti en direction de l'exploration, de la recherche, de l'innovation et de l'investissement miniers, en :

- débloquant au moins 100 M€ pour l'actualisation de l'inventaire du sous-sol français, en veillant à inclure la France hexagonale mais aussi les Outre-mer et les fonds marins ;

- investissant dans l'ensemble des champs scientifiques requis (cycle de vie des matières minérales, exploration et exploitation du sous-sol, méthodes d'extraction, recyclage, approvisionnement, gouvernance) ;

- consacrant des aides publiques pérennes, en investissement comme en fonctionnement, en accordant une attention spécifique aux entreprises (PME et ETI) et aux étapes (phases pilotes) présentant le plus de vulnérabilités ;

- instituant un inter-groupe dédié aux métaux critiques au sein du Conseil national de l'industrie (CNI), assurant le lien entre les différents comités stratégiques de filières (CSF) existants (mines et métallurgie, nouveaux systèmes énergétiques, plateforme automobile).

En troisième lieu, la sécurité d'approvisionnement en métaux critiques doit être assurée . Tout d'abord, il faut tirer toutes les conséquences de la guerre en Ukraine. Si la Commission européenne s'est résolument engagée en faveur d'une sortie de la dépendance aux gaz, pétrole et charbon russes d'ici 2030, il faut aujourd'hui aller plus loin et élargir la réflexion aux métaux critiques (aluminium, nickel, cuivre, palladium, ferrotitane). L'approvisionnement en métaux critiques russes étant fortement déstabilisé, son impact sur nos entreprises doit être évalué et compensé : aussi faut-il compléter en ce sens les stratégies française (Plan de résilience) comme européenne (Plan RePowerEU ).

Au-delà du cas de la Russie, tout doit être mis en oeuvre pour garantir la sécurité d'approvisionnement, via des contrats de long terme, des groupements d'achat, des prises de participation ou des stocks stratégiques . Le Gouvernement doit agir d'urgence en ce sens (se référer au 4 du A du présent I).

Étant donné que les énergies, nucléaire comme renouvelables, sont consommatrices de métaux critiques ( voir A et B du II) , il faut à plus long terme favoriser l'extraction ou la transformation de ces métaux sur le territoire national ou européen. La réforme du code minier peut y contribuer. À titre d'illustration, les gisements de lithium dont dispose la France pourraient faire l'objet d'activités d'exploration voire d'exploitation minières, afin d'être in fine valorisés dans le cadre de la production de batteries électriques.

Recommandation n° 9 :

Garantir la sécurité d'approvisionnement en métaux critiques, en :

- évaluant et compensant l'impact de la guerre en Ukraine sur les entreprises, dans les stratégies française (Plan de résilience) et européenne (Plan RePowerUE ) de sortie de la dépendance aux importations d'hydrocarbures russes ;

- étudiant, dans ce cadre, la mise en oeuvre de contrats de long-terme, de groupements d'achat, de prises de participation ou de stocks stratégiques ;

- favorisant, en complément de ce cadre, l'extraction ou la transformation sur le territoire national ou européen des métaux critiques nécessaires aux filières énergétiques, nucléaire comme renouvelable, à l'instar du lithium, composant de certaines batteries électriques.

Pour réussir la relocalisation de l'activité minière, la constitution de chaînes de valeur en métaux critiques doit être promue . À l'heure actuelle, le Gouvernement n'a annoncé que l'institution d'une feuille de route technologique sur les batteries électriques ainsi que la création de gigafactories sur les batteries électriques (à Dunkerque) et les aimants permanents (à Lacq). C'est un bon début qu'il faut encourager. Pour autant, d'autres métaux critiques exploitables (tungstène, antimoine, or, plomb-zinc) peuvent faire l'objet d'un même effort. De plus, il faut agir sur l'ensemble des étapes de production (extraction, raffinage, transformation, recyclage). Une action en direction des métiers et des compétences est aussi cruciale pour enrayer le déclin de la filière minière. Pour parvenir à la constitution de chaînes de valeur en métaux critiques, les besoins miniers du système énergétique doivent être pleinement intégrés à la planification nationale (Programmation pluriannuelle de l'énergie, Stratégie nationale bas-carbone) et européenne (Paquet Ajustement à l'objectif 55, Plan d'action stratégique européen sur les batteries, Stratégie pour l'intégration du système énergétique, Stratégie pour l'hydrogène, Nouvelle stratégie industrielle pour l'Europe, Plan stratégique 2020-2024). L'examen de la loi quinquennale sur l'énergie de 2023 doit être l'occasion d'un débat formel sur ces besoins.

Plus encore, la délivrance de permis d'exploration et d'exploitation minières doit être accélérée . En état actuel du droit, la durée des projets miniers, de la découverte à la production, s'étale sur 17 ans en moyenne 32 ( * ) . Si la loi dite « Climat-Résilience » de 2021 33 ( * ) a permis d'engager la réforme du code minier , attendue depuis plus de 10 ans, son application législative ou réglementaire doit être conforme à l'intention du législateur. Il est crucial de veiller, dans cette application, à la proportionnalité des procédures, à la sécurité juridique des contentieux, à l'équilibre du régime de responsabilité et à l'association des collectivités territoriales.

Bien entendu, une approche durable de l'activité minière doit être recherchée . Cette dernière doit s'inscrire dans un impératif de développement durable, en appliquant un haut niveau de standards environnementaux, sociaux ou sanitaires . Elle doit aussi être inscrite dans une logique d'économie circulaire , en limitant la consommation en métaux, en énergie et en eau. Elle doit enfin être inscrite dans des écosystèmes territoriaux, en veillant à la consultation des collectivités territoriales et du public en amont. Au total, la transition écologique, mais aussi la transition numérique doivent guider l'activité minière. Pour y contribuer, le concept de « mine durable » doit être intégré dans la législation française (Réforme du code minier) et européenne (Taxonomie verte européenne) . Il peut, à terme, servir de point de référence pour l'accès des projets miniers aux soutiens budgétaires ou fiscaux.

Enfin, au-delà de la production minière, le recyclage des métaux critiques doit être encouragé . S'il existe 3 sites de retraitement et de recyclage des panneaux solaires 34 ( * ) , il en va différemment des pales d'éoliennes et des batteries électriques : une infrastructure de collecte et de transformation doit donc être mise en place. De plus, des procédés ou substituts moins consommateurs en ressources minières nécessitent d'être développés, la filière de l'éolien en mer visant une réduction de 50 % des terres rares 35 ( * ) . Un effort similaire doit être réalisé au sein des autres filières renouvelables. Pour y parvenir, le critère du « bilan carbone », qui conditionne l'accès des projets d'énergies renouvelables aux dispositifs de soutien publics, doit prendre en compte ces enjeux miniers.

Recommandation n° 10 :

Accélérer la relocalisation de l'activité minière, dans le respect d'un haut niveau d'exigences environnementales, en :

- promouvant la constitution de chaînes de valeur en métaux critiques, à l'instar du lithium, en inscrivant les besoins miniers du système énergétique dans les stratégies française (Loi quinquennale sur l'énergie de 2023, Programmation pluriannuelle de l'énergie, Stratégie nationale bas-carbone) et européenne (Paquet Ajustement à l'objectif 55) ;

- accélérant la délivrance de permis d'exploration et d'exploitation minières, en veillant à la proportionnalité des procédures, à la sécurité juridique des contentieux, à l'équilibre du régime de responsabilité et à l'association des collectivités territoriales, dans le cadre de l'application législative et règlementaire de la réforme du code minier ;

- intégrant le concept de « mine durable » dans la législation française (Réforme du code minier) et européenne (Taxonomie verte européenne), afin de favoriser une approche durable de l'activité minière ;

- soutenant la mise en oeuvre par les professionnels d`infrastructures de collecte et de transformation et intégrer les enjeux miniers au critère du « bilan carbone » conditionnant l'accès des projets d'énergies renouvelables aux dispositifs de soutien publics, afin de promouvoir le recyclage des métaux critiques.

C. RECONQUÉRIR L'ASSIETTE DES FRANÇAIS ET ASSURER LA FOURNITURE EN INTRANTS ESSENTIELS POUR LA PRODUCTION AGRICOLE

1. La souveraineté alimentaire française : une force géoéconomique conjuguée au passé antérieur ?
a) En 2022, la France demeure une puissance agricole de premier plan, ce qui lui permet d'être globalement autosuffisante

Il peut sembler curieux de s'interroger sur la souveraineté alimentaire au pays de Maximilien de Béthune, duc de Sully, ministre du roi Henri IV, pour qui « labourage et pâturage sont les deux mamelles dont la France est alimentée et les vrais mines et trésors du Pérou ». Encore aujourd'hui, la France demeure une puissance agricole de premier rang, avec une production estimée à 81 milliards d'euros en 2021 36 ( * ) .

Représentant plus de 17 % de la production totale européenne, la France est en effet loin devant l'Allemagne ou l'Italie , respectivement deuxième et troisième producteurs, qui ont une production qui oscillent plutôt autour de 58 milliards d'euros (14 % de la production européenne).

À cet égard, il semble difficile, en première analyse, de souscrire au décadentisme franco-français qui se désespère de la disparition de la France agricole sur la scène internationale, tant les chiffres parlent d'eux-mêmes. Principal producteur européen, à hauteur de 18 % de la production européenne agricole 37 ( * ) , la France est, en valeur, le premier producteur européen de céréales, de viande bovine, de lin, de graines oléagineuses, de légumes en conserve, d'oeufs, de semences agricoles ; le second producteur européen de sucre de betterave, de lait ; et le troisième producteur européen de volailles et de porc. Il est le premier exportateur mondial de vins et spiritueux, de semences agricoles, de pommes de terre et occupe les places du haut du classement pour les céréales, l'orge de brasserie, les eaux minérales naturelles, le lait...

Vient compléter cette puissance agricole une forte industrie agroalimentaire, première industrie en France en nombre d'emplois et en chiffres d'affaires , pour un chiffre d'affaires représentant près de 212 milliards d'euros 38 ( * ) .

Dès lors, force est de constater que le secteur agroalimentaire constitue de longue date un atout géopolitique majeur de la France, et ce, à deux titres. D'une part, d'un point de vue « offensif », elle est une puissance exportatrice importante avec un solde commercial agroalimentaire de 8,2 milliards d'euros , l'agriculture constituant le troisième secteur le plus exportateur derrière l'aéronautique et la parfumerie-luxe 39 ( * ) . D'autre part, avec un angle plus « défensif », elle jouit d'un taux d'auto-approvisionnement en denrées alimentaires très élevé 40 ( * ) , légèrement minoré par des besoins de produits importés pour les cultures qu'elle ne peut assumer sur son sol. Ainsi, la France produit :

• entre 1,5 et 2 fois ses besoins en céréales (blé tendre, blé dur, maïs) et en sucre ;

• la quasi-intégralité de sa consommation de viande et d'oeufs , sauf pour la viande ovine où le taux d'auto-approvisionnement est de 49 % ;

• entre 113 % et 236 % de sa consommation de produits lactés (yaourts, laits, fromages, lactosérum et poudres de lait écrémé), bien qu'elle accuse un taux d'auto-approvisionnement légèrement plus faible de 79 % pour le beurre.

Elle accuse toutefois des taux d'auto-approvisionnement plus faibles pour certains produits comme les fruits tropicaux, le riz ou les produits tropicaux comme le café, le thé ou le chocolat ou les produits de la pêche et de l'aquaculture.

Taux d'auto-approvisionnement agricole de la France

Produit agricole ou denrée alimentaire

Taux d'auto-approvisionnement (production/consommation) en moyenne entre 2015 et 2019

Viande bovine

94 %

Viande porcine

100 %

Viande de volaille

95 %

Viande ovine

49 %

OEufs

98 %

Légumes frais

90 %

Fruits frais tempérés

84 %

Fruits tropicaux et agrumes frais

17 %

Pommes de terre

108 %

Lait liquide

123 %

Yaourts et laits fermentés

113 %

Fromages

130 %

Beurre

79 %

Blé tendre

196 %

Blé dur

151 %

Maïs

152 %

Riz

10 %

Soja

40 %

Colza

105 %

Sucre

173 %

Produits de la pêche et de l'aquaculture

32 %

Source : FranceAgrimer, DGPE.

C'est, au reste, grâce à cette assise agricole, fruit de l'histoire entretenu par l'engagement sans faille d'acteurs agricoles et agroalimentaires passionné par leur métier et ayant la vocation de nourrir les Français, que durant la crise de la Covid-19 comme durant la crise ukrainienne, la France n'a connu de ruptures majeures et généralisées de la chaîne d'approvisionnement alimentaire . Si des perturbations ont pu être constatées, en raison de l'augmentation du prix des intrants, au retrait d'un fournisseur important du marché mondial sur quelques commodités ou en raison de perturbations logistiques, les Français ont pu s'alimenter dans des conditions normales.

Ainsi, de prime abord, il est incontestable que l'agriculture française permet globalement d'assurer l'autosuffisance alimentaire en produits de base, à l'exception du secteur des fruits, du riz, de la viande ovine ou des produits tropicaux (café, thé, chocolat...).

Concernant les produits transformés et certains autres produits agricoles (fruits et légumes, viandes), c'est davantage l'insuffisance ou la fermeture d'outils de transformation qui amenuise l'autonomie française . Néanmoins, sur ces produits, les approvisionnements étant avant tout européens, la situation apparaît faiblement critique sur ces segments.

b) Toutefois, cette suprématie agricole a tendance à disparaître, ce qui menace dès aujourd'hui la souveraineté alimentaire française

À y regarder de plus près, ce tableau idyllique est trompeur, tant de nombreuses inquiétudes macroéconomiques viennent fragiliser les atouts agricoles nationaux.

De manière unanime, tous les auditionnés se sont fait l'écho d'une vive inquiétude relative aux conditions de production actuelles et à venir, constatant d'une part une érosion claire des avantages comparatifs de la France en matière de souveraineté alimentaire et s'inquiétant, d'autre part, de l'impossibilité de maintenir a minima le positionnement actuel du pays sur la scène internationale dans un avenir proche, à politique agricole inchangée.

(1) La pente décroissante de la production dans de nombreuses filières est source de vive inquiétude pour les professionnels...

En raison de faiblesses structurelles, la production agricole française a une tendance à stagner voire à se réduire dans de nombreuses filières , répondant en cela aux apôtres contemporains de la décroissance. Ce déclin est à relier, avant tout, à une érosion du potentiel productif dû à un recul tendanciel de la surface agricole utile ainsi qu'à une réduction du nombre d'agriculteurs en France , mouvement connu dans d'autres pays européens, sans doute à un rythme moins élevé.

Le recensement agricole pour 2020 dénombre 389 000 exploitations agricoles, soit près de 100 000 de moins qu'en 10 ans. Au sein de ces dernières sont déployés 659 000 équivalents temps plein, soit près de 11 % de moins qu'en 2010. Cette tendance déclinante est d'autant plus inquiétante qu'elle devrait s'accélérer les prochaines années en raison d'un renouvellement des générations très important puisque plus d'un quart des exploitants agricoles en 2020 ont plus de 60 ans (+ 5 points par rapport à 2010) et dans la mesure où 58 % des exploitants agricoles actifs ont plus de 50 ans.

En parallèle, la surface agricole utile, de 26,7 millions d'hectares en 2020, a reculé de près de 7 % depuis 1988 et de 4 % depuis 2000.

La décroissance des facteurs de production n'est pas compensée par une croissance suffisante de la productivité agricole, en raison de rendements globalement plafonnés ces dernières années, notamment en raison des impacts du changement climatique .

Il en résulte une production française en volume en stagnation depuis 1997, après une phase historique de forte croissance.

Source : Vincent Chatellier, cité par le rapport d'information n° 528 (2018-2019)
de M. Laurent Duplomb, fait au nom de la commission des affaires économiques
intitulé
La France, un champion agricole mondial : pour combien de temps encore ?

Dans le détail, plusieurs filières sont confrontées à une baisse de leur production ces vingt dernières années :

• la production de viande bovine est tendanciellement baissière depuis 20 ans, étant passée de 1 912 milliers de tonnes équivalent carcasse en 1990 à 1 677 en 2020. Le nombre d'exploitations de la filière a chuté de 100 000 en 10 ans ;

• de même, le cheptel ovin a reculé de 22 % depuis 2000 alors que le nombre de lapins produits a été divisé par deux dans la même période ;

• même sur les secteurs connaissant une forte croissance de la consommation comme la viande volaille, la production indigène contrôlée est passée de 2 000  à 1 750 milliers de tonnes équivalent-carcasse entre 2000 et 2020 ;

• par rapport à 2000, la production a baissé de 2,5 % pour les légumes frais et de 36 % pour les fruits de table ;

• même dans le vin, les volumes produits baissent structurellement depuis le début des années 2000, comme en témoigne la moyenne quinquennale qui est passée de 54 millions d'hectolitres entre 2000 et 2006 à 42,3 millions entre 2017 et 2021.

Certains secteurs ont réussi à stabiliser leur production, comme les céréales (avec une moyenne autour de 65 millions de tonnes) ou la betterave à sucre 41 ( * ) (34 millions de tonnes).

Les producteurs de lait de vache ont, quant à eux, maintenu un niveau de production similaire à celui de 1980, à environ 24 millions de litres. Si la baisse tendancielle de la production a été stoppée avec la fin des quotas, cet événement n'a pas conduit à un développement de la production en France, contrairement à d'autres pays concurrents comme l'Irlande, la Pologne ou l'Italie. Sur la période récente, on constate une tendance au repli de la production (- 1 % en 2021) qui pourrait être une conséquence des difficultés de renouvellement des générations.

De même, la production porcine est stable depuis 2000, grâce à un double mouvement d'augmentation du poids des carcasses venant compenser une baisse du nombre de têtes.

Finalement, parmi les grandes filières, seule la filière « oeufs » tire son épingle du jeu en affichant un taux de progression de la production de + 20 % de production depuis 2005.

Ces tendances préoccupantes se poursuivent. Entre 2018 et 2021 par exemple, si la production agricole a augmenté en valeur de 5 %, elle n'a été tirée que par un effet prix, la production en volume ayant baissé de 4,7 %, tant dans la filière végétale (- 6,5 %) que dans la filière animale (- 2,4 %) 42 ( * ) .

(2) ... et intervient dans un contexte de réarmement agricole de nombreux pays

Cette quasi-stabilité de la production agricole française, champion agricole, dans l'univers agricole mondial n'inquiéterait pas si la consommation internationale était également stable ou en décroissance.

Or le besoin agricole mondial explose en raison d'une démographie galopante : la population mondiale devrait atteindre 9,7 milliards en 2050 contre 7,7 milliards en 2019, sans compter l'impact de l'effet « transition nutritionnelle » dans les pays en développement. (augmentation des calories dans le repas et surtout des calories d'origine animale). Il convient en outre de lutter urgemment contre le défi de la sous-alimentation, au moment où 9 % de la population mondiale est concernée.

Au total, la FAO estime que la consommation alimentaire mondiale de calories augmentera de 50 % entre 2006 et 2050, au moment même où le potentiel productif mondial est impacté à la baisse par les impacts du changement climatique .

Évolution de la consommation mondiale de calories animales et végétales

Source : Haut-commissariat au Plan, « L'agriculture : enjeu de reconquête », juillet 2021.

Dans ce contexte, de grands pays agricoles ont replacé l'agriculture au coeur de leurs priorités géostratégiques , ce qui se traduit dans l'évolution des indices de production agricoles chez les principaux pays producteurs hors Union européenne : dans toutes les puissances agricoles tierces, cet indice évolue très rapidement depuis les années 1970, contrairement à celui de la France, qui stagne voire décroît depuis le milieu des années 1990.

Source : FAOstats.

LA STRATÉGIE AGRICOLE RUSSE : UN AUTO-APPROVISIONNEMENT À MARCHE FORCÉE

La Russie a cherché, après une phase d'effondrement de la production agricole jusqu'à la fin des années 90 et de relative stabilisation entre 2000 et 2005, à réduire sa dépendance agricole. Elle a ainsi adopté une « doctrine sur la sécurité alimentaire du pays » en 2010, fixant l'objectif d'atteindre en 2020 la quasi-autosuffisance alimentaire avec des objectifs très ambitieux (95 % pour les céréales et les pommes de terre, 90 % pour le lait, 85 % pour la viande, 80 % pour le sucre, pour les produits laitiers et pour l'huile végétale), conduisant à une dépendance générale à une indépendance stratégique. L'embargo politique du 7 août 2014 visant certains produits agroalimentaires de l'Union européenne a accéléré le déploiement de cette stratégie.

Depuis 2014, la production agricole russe a progressé de plus de 3 % par an, permettant au pays de devenir autosuffisant en viandes de volaille et de porc, le 4 e producteur mondial de blé et le 1 er d'orge, le 2 e de tournesol, le 3 e de lait et de pommes de terre. La Russie est devenue en 2017 le 1 er exportateur mondial de blé. En outre, la stratégie décline également un volet de réduction de la dépendance russe en matière technologique en faisant venir de l'étranger, dans un premier temps, les technologies de pointe ainsi que les compétences, de façon à pouvoir s'approprier ces techniques et les développer en interne.

Ce volontarisme agricole international se traduit dans les évolutions budgétaires récentes, ambitieuses dans de nombreuses zones de production, à l'exception de l'Union européenne.

Indicateur comparatif international des Soutiens Globaux
à la Production Agricole et à l'Alimentation

En milliards
de dollars (2015)

En dollars/habitant (2015)

Évolution 2008/2015
du montant
par habitant

Chine

224

162 USD

+ 145 %

États-Unis

156

486 USD

+ 39 %

Union européenne

100

198 USD

- 20 %

Brésil

56

272 USD

44 %

Source : Estimation Livre Blanc Momagri - 2016 43 ( * ) .

L'Union européenne, de manière sans doute inédite, a choisi, de son côté, de reléguer structurellement l'agriculture au rang d'arme subalterne dans sa souveraineté économique, en limitant considérablement le budget de la politique agricole commune , en démantelant cette politique historique au travers d'une renationalisation rampante et, surtout, de stratégies optant pour un déclin de la production agricole européenne .

La stratégie en faveur de la biodiversité à l'horizon 2030 vise, par exemple, à ce que 10 % de la surface agricole consiste en des particularités topographiques à haute diversité biologique, ce qui peut impliquer un taux minimal de mise en jachère. De surcroît, la stratégie « De la ferme à la fourchette » consiste à décliner, d'ici 2030, le « Pacte vert » à l'agriculture européenne, sur la base d'un objectif de diminution de 50 % de l'utilisation des pesticides et de ventes d'antibiotiques pour les animaux d'élevage, de baisse de 20 % de celle d'engrais et d'un quadruplement (à hauteur de 25 %) des terres converties à l'agriculture biologique en un temps réduit.

Les études publiées par certaines sources, notamment celle du ministère de l'agriculture des États-Unis, celle de l'Université de Kiel et celle de l'Université de Wageningen, mettent en évidence un risque avéré de diminution de la production agricole européenne dans des proportions de 10 % à 20 %, voire davantage suivant les filières et les scénarios étudiés, en raison de la chute attendue des rendements et de la baisse des surfaces cultivées et du volume des récoltes, conjuguées à la diminution des revenus des producteurs, à l'augmentation des importations et à la baisse des exportations conduisant in fine à la dégradation de la balance commerciale européenne.

(3) Le recul de parts de marché à l'export : un signe avant-coureur du déclin agricole français ?

Une seconde source d'inquiétude, se trouve dans la chute de l'excédent commercial agricole français .

Si, en 2021, la France a exporté pour 70 Mds€ de produits agricoles et alimentaires et en a importé 62 Mds€, dégageant ainsi un solde positif de 8,2 Mds€, cet excédent s'est considérablement réduit depuis 2011 où il était de 11,9 Mds€ 44 ( * ) .

Source : Agreste.

Cette baisse s'explique principalement par une dégradation brutale du solde commercial avec les autres pays de l'Union européenne , avec qui, pour la première fois en 2015 et de manière croissante depuis, la France est devenue déficitaire avec l'Union européenne en matière agricole et agroalimentaire. En 2021, elle accusait un déficit avec ses voisins européens de 2 milliards d'euros.

La prépondérance du secteur des boissons, avec un excédent de près de 14,6 Mds€, dans la constitution de cet excédent commercial masque l'ampleur des déficits accumulés sur les autres postes alimentaires, ce qui soulève des questions très préoccupantes pour la souveraineté agricole. Si l'on raisonne hors boissons et tabac, la France présente un solde agricole et agroalimentaire très largement déficitaire (- 5,3 Mds€ en 2020), principalement en raison d'un déficit commercial en matière de produits alimentaires transformés (- 6 Mds€ en 2021), qui s'est d'ailleurs creusé progressivement depuis 2007 : il était d'environ - 1 milliard d'euros en 2007 et de - 1,8 Md€ en 2011 45 ( * ) .

Enfin, l'embellie que la France semble connaître depuis 2018, avec un excédent reparti à la hausse, notamment grâce aux exportations vers les pays tiers, est principalement dû à un effet prix, tandis que les volumes exportés poursuivent le recul . En d'autres termes, en cas de retournement de la conjoncture mondiale sur les cours, l'excédent commercial français reprendra sa chute dans les années à venir, les volumes exportés continuant à s'éroder.

Décomposition de l'évolution du solde commercial agroalimentaire
de la France selon l'effet prix et l'effet volume

Source : Agreste , Synthèses conjoncturelles n° 386,
Commerce extérieur agroalimentaire, mars 2022.

2. Une pénétration croissante des produits importés dans l'assiette des Français, de plus en plus visible par les citoyens au gré des crises
a) Les Français se nourrissent sans le savoir de denrées importées sans doute plus d'un jour et demi par semaine

Depuis des années, le Sénat déplore la part de plus en plus importante prise par les importations alimentaires dans la consommation des Français.

Dès 2019, le rapport remis par Laurent Duplomb 46 ( * ) au nom de la commission des affaires économiques du Sénat a lancé l'alerte, permettant une prise de conscience sur le sujet. Toutefois, hormis quelques modifications du discours gouvernemental, aucune politique d'ampleur n'a été décidée pour redonner une place aux produits français dans la consommation alimentaire nationale .

Au contraire, les tendances ont plutôt été aggravées par des décisions pénalisant la production française et aggravant les problèmes de souveraineté de la France. Le Gouvernement a ainsi souhaité, entre 2017 et 2022, alourdir la fiscalité agricole en actant une hausse de la redevance pour pollutions diffuses et en mettant en oeuvre une taxe sur les engrais dans la loi dite « Climat et résilience ». Il a également promu une hausse des charges par des mesures prises dans la loi Egalim 1, comme l'interdiction des remises, rabais et ristournes sur les produits phytopharmaceutiques et la séparation de la vente et du conseil pour ces produits. Le Sénat s'est opposé à toutes ces mesures.

De cette tendance préoccupante, aggravée par des décisions politiques prises sous la dernière majorité, il résulte une nouvelle dépendance française aux produits importés qui se retrouve dans la consommation des Français sans aucune certitude qu'ils répondent aux normes minimales requises en France, alors qu'elles sont imposées aux producteurs nationaux. Depuis 2000, les importations vers la France ont ainsi plus que doublé (28 Mds€ en 2000, 62 Mds€ en 2021).

Source : Direction générale de la performance économique et environnementale des entreprises.

La France est aujourd'hui très dépendante des importations en oléo-protéagineux (importations d'alimentation animale riche en protéines comme les tourteaux de soja), viande ovine, riz et de manière croissante également en fruits et légumes , y compris non tropicaux.

Sur les 143 produits agricoles et denrées alimentaires où la France accuse un déficit important de plus de 50 millions d'euros 47 ( * ) en 2019, elle accuse, par exemple, en matière d'aliments de base de l'alimentation des Français, des déficits massifs pour :

- les fruits et légumes frais ou de produits à base de fruits et légumes (déficit de 7 milliards d'euros) ;

- le beurre (déficit de 506 millions d'euros) ;

- les pâtes alimentaires ;

- la viande ovine.

À ces dépendances agricoles s'ajoutent des secteurs fortement importateurs en matière agroalimentaire : outre le café et le chocolat, qui sont des cas particuliers, les importations de produits de la boulangerie, pâtisserie, ou de biscuiterie, de fromages, de préparations pour les animaux, de préparations alimentaires et de viande de volailles ont augmenté d'environ un milliard d'euros pour chacun de ces postes depuis 2000.

Ainsi, la France devient, pour de nombreuses productions, un pays dépendant d'importations d'autres pays . Certes, cette tendance doit être mise au regard de l'évolution plus générale de l'internationalisation des filières. Toutefois, il s'explique surtout par des pertes de compétitivité ainsi que par une érosion du potentiel productif de certaines filières .

Cette tendance vient frapper d'anciens points forts de l'agriculture française. Ainsi, le taux d'approvisionnement français en viandes est passé de 146 % en 2000 à 95 % en 2017 . En dépit d'une production relativement stable, ce taux s'est dégradé sous le poids d'une augmentation massive des importations, en provenance notamment des pays de l'UE.

C'est pourquoi, bien que les taux d'auto-approvisionnements puissent paraître peu alarmants dans la mesure où une partie de la production est exportée, une part significative de la consommation française est aujourd'hui couverte par des importations . Ce fait désormais très documenté témoigne de la difficulté pour l'agriculture française d'exister sur certains segments de marché importants en volume , auprès du grand public et dans la restauration hors domicile ou l'industrie agro-alimentaire, en raison d'une impossibilité de répondre à une contrainte prix plus forte .

UN POIDS DES IMPORTATIONS ALIMENTAIRES
QU'IL NE FAUT PLUS IGNORER

Rien qu'en retenant les chiffres de l'élevage, la situation est préoccupante :

- 56 % de la viande ovine consommée en France est d'origine importée, en provenance des pays anglo-saxons ;

- 22 % de la consommation française en viande bovine est couverte par les importations, notamment pour les approvisionnements des préparations de viandes et des conserves ;

- 45 % de notre consommation de poulet en 2019 est importée, contre 25 % en 2000, en raison de la hausse des importations de volailles d'Europe de l'Est, en lien avec la croissance de la consommation hors domicile dont l'approvisionnement repose sur l'importation de découpes de volaille ;

- 26 % de notre consommation de porc, notamment de jambons, provient majoritairement d'Espagne ou d'Allemagne, principalement comme matière première destinée à l'industrie de transformation ;

- 30 % de notre consommation de produits laitiers provient de l'Union européenne, à la fois en achats de fromages, mais surtout en matières grasses laitières (beurres et autres matières grasses solides), à destination de l'industrie agroalimentaire et de la restauration hors domicile ;

- entre 70 et 80 % de nos besoins de miel sont importés selon les données de FranceAgrimer, les trois principaux fournisseurs de la France étant l'Ukraine, l'Espagne et la Chine.

Le phénomène concerne également les cultures végétales :

- 28 % de notre consommation de légumes et 71 % de notre consommation de fruits est importée ;

- près de 63 % des protéines que nous consommons sont issues d'oléagineux importés à destination des élevages.

Source : Rapport d'information n° 620 (2020-2021) de MM. Laurent Duplomb, Hervé Gillé, Daniel Gremillet, Mme Anne-Catherine Loisier, M. Frédéric Marchand et Mme Kristina Pluchet, fait au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable et de la commission
des affaires économiques, déposé le 19 mai 2021 - groupe de travail « Alimentation durable et locale »

b) Ce recours aux denrées importées questionne notre souveraineté alimentaire, mais devient aussi une préoccupation environnementale

Ces situations de fragilité créent des failles de souveraineté, visibles notamment en cas d'événement politique ou géopolitique majeur, comme cela a été le cas lors de la crise de la Covid-19 ou de la guerre en Ukraine .

Les consommateurs, les restaurateurs ou les industriels ont alors constaté des pénuries réelles d'oeufs, de farine, de féculents, d'huile de tournesol en raison, sans doute, d'une évolution de la consommation peu rationnelle entraînant un sur-stockage, mais aussi et surtout en raison de difficultés logistiques à l'importation et d'une dépendance française à quelques marchés à l'importation, qui expose plus facilement le citoyen français à des risques de crises de disponibilités .

En outre, la concomitance de ces deux événements majeurs a ravivé les tensions sur les cours mondiaux des matières agricoles qui aura des conséquences géopolitiques et sociales majeures. À l'heure où l'inflation sur les denrées alimentaires atteint des niveaux que l'on n'avait pas connus depuis des années, de nombreux consommateurs français réorientent leur consommation vers des produits moins onéreux, majoritairement importés .

En matière de sécurité sanitaire, aucun système de contrôle des denrées importées ne permet, aujourd'hui, de garantir le respect des normes de production minimales requises en France par les denrées importées. Il en résulte des risques sanitaires accrus , comme l'exemple des graines de sésame l'a encore récemment démontré 48 ( * ) .

En s'intéressant cette fois à la politique environnementale, de même, les importations alimentaires pèsent lourd dans le bilan carbone de notre alimentation , celles-ci ayant un bilan bien plus négatif sur l'environnement que nos productions locales. L'étude de Barbier et al. (2020) sur l'empreinte énergétique et carbone de l'alimentation en France 49 ( * ) estime, par exemple, que l'empreinte carbone des importations alimentaires en France serait donc de 27 millions de tonnes équivalent CO 2 (Mt CO 2 eq) (sur un total de 163 Mt CO 2 eq), avec une empreinte carbone plus forte que les produits français notamment en raison d'un effet transport important : il serait responsable d'environ 17 Mt CO 2 eq de GES liées aux importations, pour environ 201 milliards de tonnes par kilomètre. 77 % du trafic généré par l'alimentation des ménages français serait induit par les importations.

En outre, les services du ministère ont indiqué à vos rapporteurs que ce chiffre était sous-évalué dans la mesure où l'étude s'appuie sur des bilans export-import, ce qui minore le chiffre des importations : ainsi, des filières fortement importatrices, mais avec un solde positif, ne sont pas comptabilisées. Surtout, d'autres facteurs ne sont pas pris en compte : c'est le cas de la déforestation importée ou de la divergence des pratiques agricoles . Si les denrées importées ont été produites dans des conditions moins-disantes à l'étranger avant d'être transportées et consommées en France, le bilan environnemental en ressort dégradé.

La question de la souveraineté alimentaire par la réduction de notre dépendance aux importations est ainsi l'un des enjeux prioritaires des prochaines années tant elle embrasse les défis géopolitiques, économiques, sociaux, sanitaires et environnementaux que la France doit relever pour le siècle à venir .

3. La France, un colosse agricole aux pieds d'argile en l'absence de maîtrise de certains intrants stratégiques
a) La production agricole et agroalimentaire française dépend entre 40 et 50 % d'intrants importés directement ou indirectement

Une autre manière d'aborder le sujet de la souveraineté alimentaire est de décomposer l'ensemble de la chaîne de production et d'estimer son « contenu en importations ». Le bilan de nos dépendances est alors plus accablant.

En effet, l'Insee estime que le contenu en importations de la consommation agricole française est de 52,3 % et qu'il est de 40,2 % pour les denrées alimentaires . Ce taux impressionnant s'explique par une forte dépendance de la production agricole et agroalimentaire en consommations intermédiaires dépendant, pour tout ou partie, d'importations. Ainsi, les atteintes à la souveraineté alimentaire vont bien au-delà de la consommation croissante de produits alimentaires importés et pourraient mettre à mal notre potentiel de production agricole, source évidente de résilience.

Pour le secteur agricole, les consommations intermédiaires représentent en moyenne 60 % de la valeur de la production agricole et intègrent le coût de l'énergie, les engrais, les produits phytopharmaceutiques ou l'alimentation animale non produite sur l'exploitation par exemple. Or la part des importations directes et indirectes dans les consommations intermédiaires est de 42 % 50 ( * ) . S'agissant des industries agro-alimentaires, les consommations intermédiaires représentent 70 % de la valeur de la production des industries agroalimentaires (IAA), avec une part des importations de 35 % , majoritairement depuis des pays tiers.

Pour les industries agroalimentaires, plusieurs vulnérabilités sont identifiées concernant des ressources critiques pour le processus de production : la dépendance à de nombreux additifs produits à bas coût, principalement pour l'alimentation humaine et animale ; celle sur les vitamines, enzymes et en ferments essentiels pour la filière laitière et la filière viti-vinicole et plus généralement en substances issues de la synthèse chimique. S'y ajoutent, aux yeux des rapporteurs, la digitalisation des process et des échanges amont-aval, la dépendance en équipements (machines et pièces détachées), en gaz ou en emballages. La succession des crises pourrait, en outre, avoir fragilisé certains fabricants d'intrants stratégiques à base de produits agricoles et pourrait donc, à terme, accroître encore nos dépendances. Il importe, dès aujourd'hui, de mieux diagnostiquer ces faiblesses .

LES EFFETS À REBOURS DES CRISES : L'EXEMPLE DE L'INDUSTRIE
DE LA FÉCULE DE POMME DE TERRE

Le secteur de la pomme de terre féculière française, destinée à produire une fécule d'une grande pureté, est composé de deux unités de production industrielle dans la Somme (groupe Roquette à Vecquemont) et dans la Marne (Tereos à Haussimont). La France est exportatrice nette pour près de 60 millions d'euros, mais la fécule de pomme de terre reste un secteur extrêmement fragile.

Ce secteur stratégique pour la souveraineté alimentaire et industrielle - la fécule rentrant dans de nombreux processus de production - transforme actuellement 1 million de tonnes de pommes de terre fécule cultivées sur environ 20 000 hectares. Néanmoins, les graves conséquences de la crise de la Covid-19, qui ont pesé sur les cours des pommes de terre, rendent la production de pommes de terre fécule moins attractive et pourrait donc entraîner, faute d'approvisionnements suffisants, la fermeture de l'une ou l'autre des deux usines et fragiliser la souveraineté française dans ce secteur.

Pour l'amont agricole, la France enregistre des importations importantes :

• d'engrais (2,4 Mds€) pour une production domestique de 1,8 Md€, elle-même fortement dépendante de l'énergie importée ;

• de pesticides (1,7 Md€) pour une production domestique de 1,9 Md€ ;

• de tourteaux (1,5 Md€) ;

• d'acides aminés (0,1 Md€) ;

• de tracteurs (3,5 Mds€) ;

• d'équipements de récolte (1,9 Md€) 51 ( * ) .

Ces dépendances invisibles sont de nature à menacer la production agricole française en cas de rupture .

b) Des dépendances agricoles problématiques
(1) La viande française dépend, en grande partie, d'importations de tourteaux du continent américain ou de l'Est de l'Europe

Les animaux d'élevage consomment des protéines végétales, majoritairement produites sur l'exploitation de l'éleveur, le reste étant acheté chez un fabricant ou un fournisseur.

Cette stratégie de l'autonomie fourragère , qui pèse sur la compétitivité, mais permet de sécuriser les approvisionnements, permet à la France d'être autonome en matière d'alimentation animale à hauteur de 77 %.

LE MODÈLE DE LA VIANDE BOVINE FRANÇAISE, UN ATOUT
EN MATIÈRE DE SOUVERAINETÉ ALIMENTAIRE
QU'IL NE FAUT PAS REMETTRE EN CAUSE AU TRAVERS DE LA DIRECTIVE IED

La résilience du modèle d'élevage bovin français repose, majoritairement, sur l'autonomie des exploitations en ce qui concerne l'alimentation du troupeau. En moyenne et tous systèmes confondus, les bovins allaitants français sont nourris à 80 % d'herbe et 90 % de leur ration sont produits par l'éleveur sur son exploitation. Le soja représente moins de 0,8 % de la ration des bovins viande.

Les prairies et les surfaces fourragères ont, en outre, des avantages environnementaux majeurs grâce à leur rendement à l'hectare nettement plus élevé en protéines que les surfaces en grandes cultures avec des besoins en intrants très inférieurs. À titre d'exemple, un hectare de légumineuses fourragères produit environ 2 tonnes de protéines contre 1 tonne pour le maïs fourrage et 0,5 tonne pour les oléagineux ou les céréales. En outre, les prairies et les haies permettent de compenser 30 % des émissions totales de gaz à effet de serre de l'élevage bovin : une prairie permanente permet par exemple le stockage de 570 kilogrammes de carbone par hectare par an.

Cette forte portion d'herbe dans la ration et la très faible dépendance aux achats d'intrants pour l'alimentation des animaux qu'elle induit font partie des principaux atouts du modèle français de polyculture-élevage. Ce modèle, fondé sur l'autonomie alimentaire du troupeau, oppose radicalement nos exploitations françaises aux systèmes industriels en « feedlots » , majoritaires dans d'autres régions du monde.

Or, cette caractéristique fondamentale est régulièrement insuffisamment prise en compte dans les textes européens , comme en témoigne la récente proposition de directive « IED » de la Commission européenne. Elle a publié, le 5 avril 2022, une proposition de révision de la directive « IED » de 2010 (directive relative aux émissions industrielles), élaborée par la Direction générale de l'environnement dans le cadre du Pacte Vert. Cette révision pourrait toutefois avoir des impacts importants pour les secteurs de l'élevage.

Actuellement, la directive « IED » couvre, en France, environ 7 000 installations industrielles (raffineries, incinérateurs, centrales électriques, aciéries,...), dont plus de 3 500 exploitations d'élevage de taille importante dans les filières porcines et volailles (les bovins en sont exclus). La Commission européenne propose d'étendre le régime d'autorisation à plus d'exploitations d'élevage en soumettant à un tel régime toute exploitation disposant de plus de 150 UGB (unités gros bétail) pour les volailles, les porcs et les bovins .

Cela pourrait revenir, selon les premières estimations, à y faire entrer 50 à 70 % des élevages bovins français, alors qu'aujourd'hui, ils étaient exclus de la directive et ne relevaient que d'un régime de déclaration ou d'enregistrement au titre des ICPE dans l'immense majorité des cas. Outre les difficultés juridiques posées par de telles procédures, qui pèseront sur l'incitation à renouveler des générations d'éleveurs, la proposition de directive engendrerait une surcharge sur les éleveurs à hauteur de 2 400 euros par ferme ( source FNB ), sans doute sous-estimée car il faut y ajouter des coûts de surveillance tout au long des processus et des coûts de mise en conformité.

Surtout, le raisonnement de la Commission européenne traduit un positionnement politique surprenant visant à considérer comme intensif, donc néfastes pour l'environnement, des élevages à la taille finalement assez modeste (peu importe qu'ils soient extensifs ou non) alors que, dans le même temps, la Commission promeut, en effet, l'ouverture de nos marchés aux viandes canadiennes, américaines et sud-américaines issues d'exploitation de taille beaucoup plus importante.

Dès lors, en l'état, le projet de directive ne saurait être satisfaisant et doit impérativement être revu .

Toutefois, le degré de dépendance en matière d'alimentation animale varie selon les filières.

Les volailles, les bovins laitiers et les porcins consomment davantage d'aliments fabriqués riches en protéines, notamment à base de colza, de soja ou de protéagineux. Si l'on ne compte que les matières riches en protéines, éminemment stratégiques dans de nombreuses filières où justement la France décroche le plus sur les marchés mondiaux, la France produit à peine la moitié de ses besoins .

La production française de protéines végétales, constituée de tourteaux de colza et tournesol, pois protéagineux et fourrages déshydratés, s'élève à 1,3 millions de tonnes (Mt) en 2019/2020 et ne couvre que 42 % de la demande nationale. La production totale demeure déficitaire de 1,9 Mt par rapport aux utilisations intérieures.

En dépit d'objectifs et de stratégies diverses ces dernières années pour reconquérir une autonomie protéique, la production française ne parvient pas à couvrir les besoins . Le soja et les graines protéagineuses (pois, fèves, lupins, etc.) se développent lentement, tandis que le colza, véritable moteur français de la filière oléo-protéagineuse, est dans une situation critique.

Si la production française de tourteaux a fortement augmenté entre 2007 et 2012 grâce au développement de la filière colza, elle stagne ces dernières années en raison d'un recul préoccupant des surfaces cultivées : elles ont décru de près de 40 % entre 2018 et 2021, en raison de conditions climatiques difficiles, liées à la sécheresse, et d'impasses techniques sur les ravageurs, accentuées par de nouvelles interdictions récentes de substances actives sans que des solutions alternatives aient émergé. De même, en 2021, les surfaces de protéagineux, de soja, de colza et de tournesol sont en recul , les productions globales n'augmentant que par le seul effet de la hausse du rendement.

LA STRATÉGIE NATIONALE POUR LES PROTÉINES VÉGÉTALES

La stratégie nationale pour les protéines végétales, lancée en décembre 2020 , repose sur trois grandes priorités stratégiques pour atteindre l'objectif ambitieux de 2 millions d'hectares cultivés en 2030 (soit un doublement en 10 ans) :

(i) la réduction de la dépendance aux importations de matières riches en protéines (notamment le soja) et la limitation de la déforestation importée ;

(ii) l'amélioration de l'autonomie alimentaire des élevages français, à l'échelle des exploitations, des territoires et des filières ;

(iii) l'augmentation de la production et de la consommation de protéines végétales en alimentation humaine.

Le plan de relance constitue le levier financier de cette stratégie .

Initialement doté de 100 millions d'euros, le volet « protéines végétales » de ce plan est composé de plusieurs mesures visant à couvrir les besoins de l'ensemble de la chaîne de valeur des filières oléo-protéagineuses : les investissements en exploitations et les achats de semences pour enrichir les prairies en légumineuses ; un soutien à la mise en oeuvre de projets structurants à l'échelle de la filière et des investissements matériels en aval de la filière ; une mesure de soutien en faveur de l'obtention variétale pour les espèces légumineuses fourragères et à graine ; un accompagnement de projets de recherche et développement ; et une campagne de promotion en faveur de la consommation de légumineuses. D'autres soutiens viennent compléter ces dispositifs (Politique agricole commune, Programmes d'investissements d'avenir (PIA), etc.).

In fine , plus de 150 millions d'euros ont été consacrés au développement de cultures riches en protéines végétales dans le cadre du plan de relance :

- à date, le plan « protéines végétales » a d'ores et déjà permis d'accompagner plus de 6 500 exploitations dans le cadre de la mesure relative aux agroéquipements, pour une enveloppe totale de 75 M€ (répartie en 3 vagues de 20 M€, 22 M€ et 33 M€ respectivement) ;

-  76 projets ont par ailleurs été financés dans le cadre de la mesure de soutien à la structuration des filières, pour une enveloppe d'un peu plus de 50 M€ ;

- dans le cadre du volet Recherche, développement et innovation (RDI) du plan de relance, doté de 20 M€, 5 projets sont mis en oeuvre par les instituts techniques Arvalis et Terres Inovia dans le cadre de l'initiative Cap Protéines. Ils mobilisent plus de 200 partenaires techniques, 100 000 producteurs d'oléo-protéagineux et plus de 100 000 éleveurs de ruminants en 2021 et 2022 ;

- une campagne de communication financée à hauteur de 1,15 M€ sur le plan de relance (sur 1,44 M€) et visant à promouvoir la consommation de légumineuses auprès des jeunes a été lancée le 10 février par Terres Univia et ses partenaires (FIAC, FNLS, Interfel). Un communiqué de presse a été publié le 22 février et la campagne est en cours de déploiement ;

- d'autres moyens, notamment issus du programme d'investissement d'avenir 3 (PIA3), ont été alloués aux protéines végétales et trouveront un prolongement dans le cadre de France 2030 (PIA4), à destination des entreprises et acteurs de la recherche.

Le plan stratégique de la PAC prévoit aussi de soutenir la production de légumineuses en France au travers de l'aide couplée, qui est revalorisée, passant de 135 à 235 M€ par an, et des incitations à l'introduction de légumineuses dans les assolements au travers de l'écorégime.

Source : Ministère chargé de l'agriculture et de l'alimentation, réponses au questionnaire.

Le recul des surfaces d'oléo-protéagineux, s'il venait à durer, accroîtrait mécaniquement la dépendance aux importations de tourteaux et réduirait, ainsi, la souveraineté alimentaire française. Cette stagnation de la production de tourteaux ces dernières années, malgré l'impulsion politique, s'explique avant tout par des rendements encore trop variables et une valorisation insuffisante de la production , justement en raison de la concurrence des importations de tourteaux, plus compétitifs, et d'autres cultures mieux valorisées.

Par conséquent, la France est en situation critique et dépend d'importations de tourteaux pour combler le déficit de production de protéines végétales . C'est pourquoi les importations représentent 57 % des ressources en tourteaux françaises. La principale ressource est le soja , particulièrement riche en protéines, dont la France importe plus de 3 millions de tonnes chaque année en provenance principalement du Brésil (53 %), d'Argentine (13 %) et d'autres pays de l'UE (21 %). La France importe également massivement des tourteaux de tournesol , à hauteur d'environ 1 million de tonnes, dont la moitié vient d'Ukraine. Dès lors, en matière d'alimentation animale, notre pays accuse un déficit de 1,5 milliard d'euros, en augmentation continue depuis des années, notamment en raison d'un effet prix (+ 16 % entre 2020 et 2021uniquement).

Source : Terres Univia.

UNE AUTRE DÉPENDANCE DANS L'ALIMENTATION ANIMALE : LES VITAMINES ET ACIDES AMINÉS

Si les acides aminés comme les vitamines représentent une part mineure de l'alimentation destinée au bétail, ils sont toutefois indispensables pour maximiser l'assimilation par l'organisme des aliments, visant à une augmentation du taux protéique du lait pour les vaches, et à leur maintien en bonne santé en renforçant leurs défenses immunitaires.

Il convient de noter la forte prééminence de l'Asie, et tout particulièrement de la Chine , dans la production d'un certain nombre d'additifs nutritionnels pour l'alimentation animale (vitamines, acides aminés). Le pays fait l'objet de plaintes concernant les acides aminés pour concurrence déloyale du fait d'un prix de vente à l'exportation plus faible que sur son marché intérieur.

S'agissant de la production de vitamines, du fait de l'importance des économies d'échelle, il existe une spécialisation à l'échelle mondiale des sites industriels en fonction de la vitamine produite. La France est dépourvue de site de production de vitamines . L'obstacle majeur est le fort déficit de compétitivité-coût, pour des produits matures, couplé à l'absence d'expertise nationale historique.

S'agissant de la production d'acides aminés, en filigrane de la nécessité de disposer d'acides aminés pour l'alimentation animale, figure la dépendance de l'agriculture européenne aux tourteaux de soja. En effet, en permettant de maximiser l'absorption des nutriments issus de l'alimentation animale (principalement composée de tourteaux de soja pour ce qui concerne les porcins), les acides aminés permettent d'optimiser les portions de soja.

La présence de l'usine d'Amiens du groupe METEX sur notre territoire, seule usine de production d'acides aminés d'Europe, constitue un atout pour la France et l'Union européenne, qu'il apparaît nécessaire de préserver et de consolider . Parallèlement, le développement de filières française et européenne de production de soja et autres oléo-protéagineux constitue une réponse complémentaire pour consolider notre souveraineté. La présence en Europe de sites de production pour certaines vitamines constitue également un atout et, sur ces sujets, un raisonnement à l'échelle de l'Union européenne est indispensable. La rentabilité des outils productifs ne semble envisageable qu'en couvrant des besoins au niveau international.

Source : Direction générale de la performance économique et environnementale des entreprises,
réponses au questionnaire.

(2) Pas de blé sans engrais : le fleuron céréalier français au péril de la dépendance russe

Parmi les conséquences directes de la crise ukrainienne figure l'impressionnante hausse des cours des engrais , créant une situation critique sur les marchés agricoles mondiaux.

Le gisement national de matières fertilisantes d'origine résiduaire est estimé à 274 Mt brutes pour les effluents d'élevage - dont la moitié est émise directement à la pâture et non récupérable sur les cultures - et à environ 0,7 Mt sèches de boues d'épuration urbaines, 2,2 Mt brutes de composts et digestats issus de déchets urbains et 1,8 Mt sèches d'effluents industriels. Au total, 25 % des surfaces de grandes cultures reçoivent un épandage de ces matières (dans plus de neuf cas sur dix, il s'agit des effluents d'élevage).

Cette source d'azote d'origine résiduaire n'est pas illimitée et ne peut pas à court terme remplacer des engrais minéraux. Or, les besoins nationaux en engrais azotés d'origine minérale sont seulement couverts à hauteur de 33 % par la production française.

Concernant les engrais azotés utilisés en France, majoritairement des ammonitrates (36 % du tonnage d'azote), des solutions azotées (35 %) et de l'urée (19 %) 52 ( * ) , il existe, en réalité, un différentiel important entre le prix des engrais azotés produits dans les pays disposant du gaz naturel et celui des engrais minéraux azotés produits en France et en Europe. Ce différentiel de prix, couplé à une forte pression règlementaire et des contraintes administratives qui vont bien souvent au-delà des exigences européennes, induit mécaniquement un approvisionnement en engrais minéraux azotés en provenance de pays tiers.

Les importations d'engrais azotés proviennent pour moitié d'Union européenne et, pour l'autre moitié, de grands pays gaziers (Russie, États-Unis, Algérie, Trinidad et Tobago) .

S'agissant des phosphates , la France dépend en quasi-intégralité d'importations de pays tiers, originaires à 86 % d'Afrique (Maroc, Tunisie, Égypte) et du Proche-Orient. Il en va de même pour la potasse , qui provient à 60 % environ d'Europe (Allemagne et Espagne), et à 40 % du Canada, d'Israël et de Russie.

Cette dépendance est d'autant plus problématique qu'elle s'est considérablement accrue ces dernières années. Depuis 15 ans, la dépendance aux importations d'engrais azotés de pays tiers a plus que doublé avec la disparition de plusieurs usines en France et en Europe. Ainsi, les importations d'engrais françaises ont doublé en valeur en vingt ans, passant de 1 milliard d'euros à plus de 2,4 milliards d'euros . Cela se traduit par une balance commerciale structurellement déficitaire.

Cette fragilité place la production agricole dans une situation de dépendance bien comprise par les acteurs offensifs du marché. À cet égard, les rapporteurs rappellent qu'Eurochem, géant russe des engrais, était entré, avant le conflit en Ukraine, en négociation exclusive le 3 février 2022 avec le groupe Boréalis, qui dispose de sites de production en France. Si le conflit en cours a mis fin à cet accord potentiel, l'opération traduit clairement une volonté stratégique de maîtriser le marché des engrais. En outre, l'une des premières décisions du pouvoir russe, au début du conflit, a été de demander aux cinq principaux opérateurs en matière d'engrais du pays de stopper leurs exportations vers les pays « inamicaux ».

Sans nullement remettre en cause les conclusions scientifiques relatives à la nocivité du cadmium, présent notamment dans les engrais, force est de constater que la proposition de la Commission européenne, en 2018, de révision du règlement n° 2019/1009 établissant les règles relatives à la mise à disposition sur le marché des fertilisants UE, aboutissait, en baissant la teneur maximale en cadmium jusqu'à 20 milligrammes par kilogramme d'engrais, à l'interdiction d'importation d'engrais potassiques autres que les engrais russes et biélorusses sur le continent européen excluant ainsi les engrais marocains du marché européen. Une solution de compromis a finalement évité cette situation, tout en abaissant le seuil prudentiel de teneur en cadmium.

(3) Une dépendance à nos voisins européens : les machines agricoles

En tant que puissance agricole de premier plan, la France pourrait avoir une spécialisation productive industrielle dans les outils à destination de son marché agricole. Ce n'est pas le cas.

Certes, la France demeure compétitive sur des productions à forte valeur ajoutée et pour lesquelles elle dispose d'une expertise particulière. Toutefois, elle accuse un déficit commercial en matière de machinerie et d'équipement agricoles de près d'1,5 milliard d'euros en 2020 53 ( * ) .

Bien qu'elle soit le premier producteur de blé européen et le second producteur de lait, la France accuse des dépendances critiques dans les principales machines nécessaires à ces productions : elle connaît un déficit de près de 60 millions d'euros sur les robots de traite , notamment vis-à-vis des Pays-Bas et de la Suède, et un déficit de 200 millions d'euros en 2019 sur les moissonneuses-batteuses, 90 % de celles-ci étant importées d'Allemagne et de Belgique.

Concernant le matériel de récolte, la France est par exemple le champion européen de la production de machines à vendanger, avec 1 182 machines produites en 2019, équivalent à une production de 157 millions d'euros. Elle fabrique aussi des matériels pour les cultures spécialisées comme le lin. En revanche, elle ne fabrique pas de moissonneuses-batteuses ou d'ensileuses automotrices malgré la prééminence de sa filière céréalière.

Au total, 75 % de la production de matériel de récolte en Europe est concentrée en Allemagne et en Belgique , la France n'étant que le 4 e acteur du secteur, avec une spécialisation sur les tracteurs, qui représente plus d'un tiers de la production totale d'agroéquipements en France. Toutefois, même dans ce secteur, la France est dans une situation dégradée, pour les tracteurs d'une puissance motrice inférieure à 75 kW, les engins venant essentiellement d'Asie (Chine et Japon).

(4) Un enjeu numérique à maîtriser à l'avenir : la sécurité des données agricoles

Enfin, une nouvelle dépendance se crée à l'ère du numérique : elle porte sur les données stratégiques des agriculteurs. Les pratiques agricoles donnent lieu, depuis longtemps, à de multiples enregistrements par les équipements, les logiciels de gestion technique, les démarches contractuelles de filières. Or ces données ne sont pas, dans la majorité des cas, propriété de l'agriculteur .

Ces données pourtant stratégiques et sensibles sont stockées sur des bases pour être traitées, bien souvent, par des géants étrangers. Ils peuvent ainsi obtenir, en croisant les données de rendement de plusieurs pays, une prévision d'importance majeure concernant les stocks de céréales ou les prévisions de récoltes au niveau mondial.

Un autre sujet se pose au regard de l'accessibilité de ces données par les agriculteurs, qui doivent parfois payer un droit d'usage dans leurs contrats avec un industriel de l'équipement. La question de leur portabilité se pose aussi : les formats de données étant très différents d'un équipementier à un autre : les agriculteurs perdent en général leurs données une fois qu'ils changent de matériel.

Pour que les données soient mieux exploitées par les agriculteurs et non captées par d'autres acteurs, il est essentiel qu'elles puissent mieux être extraites des supports sur lesquels elles sont stockées, être interopérables et standardisées.

Dans ce domaine, la profession agricole s'est, de manière remarquable, emparée du sujet de l'échange de données en mettant en place un acteur d' échanges de données , Agdatahub, soutenu par l'État au titre du PIA3 et par la Caisse des dépôts et consignations. Le rôle d'Agdatahub est de favoriser des échanges de données utiles. L'équivalent existe pour les produits alimentaires : la SCIC Numalim, également soutenue au titre du PIA3.

Un cadre juridique est en cours de mise en place au niveau européen ( Data Governance Act ) : il pourrait redonner aux agriculteurs une meilleure maîtrise de leurs données, notamment en rendant obligatoire le consentement à la réutilisation de ces données et en garantissant la possibilité, pour ceux qui les ont produites, de pouvoir y avoir accès facilement et de pouvoir les transférer sur d'autres systèmes. Cela doit constituer une avancée majeure.

Néanmoins, des évolutions législatives doivent déjà être envisagées en France pour adapter le cadre actuel aux enjeux de demain.

4. Il ne suffit pas de changer le nom d'un ministère pour refaire de la souveraineté alimentaire une priorité stratégique

La reconnaissance de l'impératif de souveraineté alimentaire dans l'intitulé du ministère chargé de l'agriculture est un premier pas vers une prise de conscience. Mais il doit maintenant s'accompagner d'une réelle politique de souveraineté alimentaire .

Plus largement, la souveraineté s'appréciant au sens large, il est nécessaire d'augmenter la résilience des exploitations face au changement climatique. À cet égard, la sélection génétique est un des leviers à mobiliser pour améliorer la performance de notre système de production agricole dans le temps.

a) Envisager le suivi et le pilotage de stocks stratégiques de certains produits agricoles

Les récentes crises qui ont frappé la chaîne agroalimentaire française ont révélé sa résilience grâce à la réactivité et au professionnalisme d'acteurs engagés. Toutefois, même si l'action de l'État dans la gestion de la crise a été relativement efficace, plusieurs semaines ou mois ont été perdus pour corriger une décision ou prendre certaines mesures rendues nécessaires par l'urgence, faute d'une préparation efficace des services de l'État .

Comme le rappelle la Cour des comptes, « il est urgent néanmoins que l'État se dote d'une véritable stratégie de préparation et de conduite de crise . Son élaboration ne peut faire l'économie d'un travail prospectif sur le modèle national agricole, ce qui suppose de trouver un équilibre entre la sécurité de l'approvisionnement de la population et les flux d'échanges vers les pays clients. L'organisation de l'aide alimentaire, déléguée au secteur caritatif et aux collectivités territoriales, doit également être confortée en prévision d'une crise nouvelle. 54 ( * ) »

Sur le modèle de ce qui existe pour d'autres secteurs comme les hydrocarbures, il serait utile d'avoir une meilleure connaissance des stocks disponibles en France pour les principales denrées de base (céréales, sucre...), par le biais d'une meilleure connexion aux données des organismes collecteurs, tout en s'assurant que la gestion de ces stocks réponde à un objectif de réduction des vulnérabilités éventuelles de la chaîne des approvisionnements et de lissage des cours en cas de volatilité trop forte des marchés.

DES EXEMPLES ÉTRANGERS DE STRATÉGIES D'APPROVISIONNEMENT ALIMENTAIRE
EN PÉRIODE DE CRISE

Largement répandus après la Seconde Guerre mondiale en Europe, les dispositifs spécifiques à l'approvisionnement (stocks stratégiques, régimes de réquisition, etc.) ont progressivement été démantelés. Quelques pays maintiennent néanmoins une politique de sécurisation de leurs approvisionnements.

En Suisse , en raison d'une dépendance importante aux importations en matière alimentaire (taux d'autosuffisance calorique de 59 % en 2015), la politique d'approvisionnement, prévue dans la Constitution, intègre depuis 1955 une composante alimentaire qui repose notamment sur l'obligation de constituer des stocks privés, la réduction des quantités vendues, voire le rationnement et l'optimisation de la production (consignes de priorisation, de prescription des biens à produire et de leur usage final).

L' Allemagne a adopté en 2017 une « loi sur la fourniture de denrées alimentaires de base en cas de crise d'approvisionnement » et des « mesures de préparation à une crise de l'approvisionnement », qui donne autorité au gouvernement fédéral pour déclarer une crise de l'approvisionnement et prendre des mesures, y compris en amont, à titre de prévention ( constitution de stocks de denrées essentielles et obligation d'information sur les stocks).

En Finlande , deux décrets de 2013 et 2018 définissent la stratégie nationale en matière d'anticipation, de gestion et de sortie de crise. En complément du dispositif de stocks, une attention croissante est aujourd'hui portée à la continuité des infrastructures essentielles et au maintien des échanges commerciaux .

Ces stratégies peuvent être portées soit par un organisme public chargé d'assurer la préparation, le suivi des stocks ou les exercices d'anticipation (Suisse et Finlande), soit par un ministère (Allemagne).

Le financement des stocks est assuré par le contribuable (Allemagne, pour un coût estimé à 16 M€ par an) ou par le consommateur (Suisse, avec un coût annuel de 12 francs suisses par consommateur).

Source : Cour des comptes, rapport public annuel 2022, « La sécurité des approvisionnements alimentaires ».

Recommandation n° 11 :

- Élaborer un « plan de résilience » de la chaîne alimentaire pour mieux prévenir les crises, incluant un meilleur suivi de stocks dits stratégiques pour les denrées agricoles ;

- Renforcer la planification territoriale de l'alimentation, par le biais notamment des projets alimentaires territoriaux.

Enfin, le plan de souveraineté pourrait contenir un volet « territorial » , facteur de résilience, en vue d'une meilleure adéquation entre besoins alimentaires locaux et offre agricole territoriale. À ce titre, les projets alimentaires territoriaux, aux mains des collectivités locales, sont des outils pertinents à promouvoir sur tout le territoire pour renforcer notre souveraineté.

b) Reconquérir l'assiette des Français

La reconquête de parts de marché face aux denrées importées passe par un arrêt de l'érosion du potentiel productif agricole et la mise en oeuvre d'un effort particulier en matière de compétitivité agricole. Cela nécessite une révision profonde de la stratégie européenne « De la ferme à la fourchette » qui porte en elle les germes d'une décroissance agricole de nature à accroître nos dépendances sur les produits importés.

Recommandation n° 12 :

Amender la stratégie européenne « de la Ferme à la fourchette » afin de trouver un meilleur équilibre entre les objectifs quantitatifs en matière de production pour renforcer la souveraineté alimentaire du continent et les objectifs environnementaux.

Cela requiert, également, une plus grande transparence sur l'origine des produits agricoles et alimentaires , afin de ne pas tromper le consommateur sur des denrées, principalement transformées ou distribuées dans la restauration hors foyer, sur la provenance de ce qu'il mange. En parallèle, il est essentiel d'obtenir de nos partenaires commerciaux une pleine réciprocité tant sur le respect des normes minimales requises au sein de l'Union européenne que sur la protection des appellations d'origine et des règles relatives à la transparence sur l'origine des ingrédients composant les denrées alimentaires.

Recommandation n° 13 :

Renforcer la transparence sur l'origine des produits agricoles et des denrées alimentaires pour garantir un affichage systématique des principaux ingrédients primaires des produits transformés en modifiant le règlement européen INCO.

Enfin, cela demande une politique de reconquête des parts de marché dans les filières les plus concurrencées par des produits importés, dès lors que leur production est possible au niveau français et européen 55 ( * ) .

Recommandation n° 14 :

Maximiser les aides agricoles et investir dans l'innovation des productions les plus menacées par une substitution par les importations.

c) Limiter la dépendance aux intrants stratégiques venus de l'extérieur en agriculture

Au regard des nouvelles missions du ministre chargé de l'agriculture en matière de souveraineté alimentaire, toute une politique reste à inventer.

Elle doit être transcrite dans un vaste plan fruit d'une conciliation avec toutes les filières pour réduire la dépendance aux intrants sans minimiser les rendements, promouvoir la diversification des approvisionnements pour renforcer leur sécurisation et ne pas dépendre d'une poignée de fournisseurs et, enfin, quand cela est possible, favoriser à tout prix la relocalisation de ressources critiques dans le processus de production.

Concernant la dépendance aux protéines végétales, notamment pour l'alimentation animale, la France a une carte à jouer pour gagner en souveraineté tout en réduisant l'empreinte environnementale de son alimentation en renforçant le plan protéines végétales .

Les principaux obstacles pour les agriculteurs sont économiques : dans bien des cas, l'achat de matériels spécifiques à la production, la récolte et la valorisation à la ferme sont une barrière forte à l'entrée pour les potentiels producteurs de légumineuses. Dans bien des cas, des manques de silos pour stocker les récoltes sont à signaler, tout comme une insuffisance des capacités logistiques ou de transformation des graines. Le transport spécifique à la filière semble également insuffisamment optimisé. Enfin, concernant l'usage des infrastructures, les acteurs soulignent un manque de disponibilité en opérateurs formés à la manutention des légumineuses, très spécifique par rapport à d'autres cultures.

Tous ces surcoûts s'expliquent par un manque d'investissement historique résultant d'une absence de débouchés rémunérateurs. La consommation quasi immédiate des enveloppes prévues au titre du volet « investissement matériels » à l'aval de la filière dans le plan Protéines végétales démontre le besoin colossal en la matière.

Enfin, trop souvent, la filière est placée face à des impasses techniques sur les cultures en raison d'interdictions de substances actives sans alternatives crédibles . C'est le cas dans la filière du pois. Plus récemment, l'interdiction de l'insecticide Phosmet place les producteurs dans une situation difficile, malgré le plan d'accompagnement mis en place par le Gouvernement. Les alternatives, même dérogatoires, peinent à émerger et laissent les producteurs sans solution. Si à court terme des alternatives doivent être proposées pour garantir la sortie du Phosmet, à plus long terme, les investissements sont stratégiques dans la recherche sur les légumineuses afin de faire émerger tant des alternatives dans le domaine des intrants que des semences compétitives par rapport aux concurrents dans un contexte de changement climatique. À cet égard, il importe de veiller à ne pas se fermer des portes, notamment sur le sujet essentiel de la mutagénèse . Or, sur ce sujet de la recherche, le financement de l'institut technique Terres Inovia uniquement par le biais d'une contribution volontaire des producteurs ne peut suffire : d'autres soutiens publics stratégiques doivent être pensés pour abonder la recherche de la filière.

Recommandation n° 15 :

Renforcer le plan Protéines végétales pour réduire notre dépendance en protéines végétales, notamment dans l'alimentation animale, en l'axant principalement sur des aides à l'investissement pour l'acquisition du matériel nécessaire à la production et à la transformation, qui demeure aujourd'hui un des principaux freins à l'essor de la filière oléo-protéagineuse.

Pour mieux garantir la souveraineté de notre agriculture, il importe, dans le contexte actuel de risques de pénuries compte tenu des cours mondiaux sur ces produits, de ne pas perdre de vue que les engrais minéraux sont essentiels à la production agricole. Par conséquent, il faut écarter l'illusion qui prédominait jusqu'à l'année dernière dans la majorité gouvernementale d'une évolution forcée vers la sortie des engrais minéraux par le biais d'une taxe en renchérissant le prix.

L'article 268 de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ces effets prévoit, en effet :

• la définition, par décret, d'une trajectoire annuelle de réduction des émissions de protoxyde d'azote et d'ammoniac du secteur agricole pour atteindre - 13 % en 2030 pour les émissions d'ammoniac et - 15 % pour les émissions de protoxyde d'azote par rapport, respectivement, aux niveaux de 2005 et de 2015 ;

• l'éventualité de la mise en place d'une taxe sur les engrais minéraux si les objectifs annuels ne sont pas atteints deux années de suite.

Le Gouvernement doit, à cette fin, remettre un rapport au Parlement avant août 2022 pour présenter les modalités de mise en oeuvre de cette taxe. Il prévoit ainsi de brandir l'arme fiscale pour inciter les agriculteurs à atteindre des objectifs très ambitieux qui ne peuvent être remplis, dans le contexte actuel, que par une réduction de l'utilisation des engrais minéraux donc, mécaniquement, par une baisse des rendements.

Cette idée du « tout sauf les engrais minéraux » présente dans l'esprit du Gouvernement . En mars 2022, il a promu la mise en oeuvre d'un plan souveraineté azote qui vise à « privilégier la production d'engrais verts et le développement de filières de valorisation d'engrais organiques » , plutôt que de sécuriser les approvisionnements et d'envisager des pistes pour limiter l'effet de la hausse des cours des engrais sur les cultures dont les cours évoluent moins vite que ceux des intrants, ce qui aurait pour effet bénéfique de se prémunir d'une chute dangereuse des rendements en 2023.

Le Sénat a, de son côté, promu une autre méthode , que le Gouvernement refuse de suivre. En accord avec les députés, les sénateurs ont promu la mise en oeuvre, à moyen terme, d'un plan Eco'Azot d'accompagnement des agriculteurs pour réduire les émissions liées à l'usage des engrais qui « présente et valorise l'ensemble des démarches et pratiques contribuant à une meilleure identification des impacts associés et des moyens de réduire les émissions d'ammoniac et de protoxyde d'azote liées aux quantités utilisées d'engrais azotés minéraux, à la promotion de leur utilisation raisonnée et à l'accompagnement de l'évolution des pratiques culturales et agronomiques, en prenant en compte les enjeux sanitaires, environnementaux et économiques. Il établit un inventaire des technologies disponibles ainsi que la liste des financements publics et des mesures destinés à la recherche, à la formation et au soutien des exploitants agricoles en vue de développer des solutions et pratiques plus raisonnées ou alternatives et de promouvoir le recours aux engrais azotés organiques et à des équipements permettant une meilleure performance sur le plan environnemental » (article L. 255-1-1 du code rural et de la pêche maritime). Ce plan, de nature à promouvoir une meilleure souveraineté en matière d'engrais sans nier leur utilité stratégique, n'a toujours pas été publié, un an après l'adoption de la loi . Il aurait pourtant été d'une utilité majeure dans le contexte actuel.

Cet accompagnement nécessite du temps, notamment pour développer des solutions françaises de valorisation du gaz dans la production d'engrais, (par exemple par la mobilisation du méthane issu de biogaz à la place du gaz fossile importé, ce qui nécessite une massification de cette production aujourd'hui très atomisée). Une autre piste prometteuse serait de promouvoir la production d'hydrogène « vert » pour la fabrication d'engrais, ce que plusieurs fabricants étrangers d'engrais implantés en France (Yara, Boréalis) tentent de promouvoir, comme l'espagnol Fertiberia, qui utilise depuis cette année 10 % d'hydrogène vert dans son usine de Puertollano d'une capacité de 200 000 tonnes d'engrais azotés par an.

Il en résulte qu'il est impératif de réduire notre dépendance à quelques fournisseurs d'engrais minéraux, sans remettre en cause nos rendements, par une ambitieuse politique publique dédiée aux engrais.

À court terme, cela passe par trois impératifs :

• sécuriser les approvisionnements en engrais minéraux auprès des agriculteurs afin d'éviter une chute des rendements sur les prochaines cultures ;

• diversifier les fournisseurs afin de pallier le risque de ruptures ;

• abandonner le mécanisme fiscal éventuel prévu dans la loi « Climat et résilience » sur les engrais minéraux, considérant qu'une telle punition fiscale est une erreur stratégique en matière de production agricole, donc de souveraineté alimentaire.

À moyen terme, il est nécessaire de mettre en place le plan Eco'Azot , prévu à l'article L. 255-1-1 du code rural et de la pêche maritime, en le tournant dans une optique de souveraineté alimentaire et en lui donnant les moyens de sa réussite, pour :

• valoriser au mieux les tonnes de fertilisants et les ressources disponibles par le biais de l' économie circulaire , via un renforcement des liens entre les cultures animales et végétales, notamment par le biais de mécanismes fiscaux incitatifs, de nature à reconnecter les lieux de ressources avec les lieux de besoins ;

• inciter financièrement et accompagner la transition vers des économies de ressources utilisées d'engrais minéraux sans mettre en péril les rendements, en développant des solutions combinatoires et en valorisant des pratiques culturales moins intensives en engrais minéraux (agriculture de précision, diversification des rotations et développement de cultures à « bas niveau d'intrants » azotés, mobilisation de l'azote de l'air en augmentant les surfaces de cultures fixatrices d'azote, enfouissement des engrais les plus émissifs, couverture des sols...) ;

• promouvoir une production d'engrais azotés indépendante des ressources fossiles par un développement de la méthanisation et la substitution du gaz naturel par l'hydrogène.

Recommandation n° 16 :

- S'abstenir de mettre en place dans le contexte actuel le mécanisme fiscal portant sur les engrais prévu dans la loi Climat et résilience ;

- Publier enfin le plan « Eco'Azot », en le tournant résolument vers la reconquête d'une souveraineté en matière d'engrais.

Enfin, il faut envisager, au plus vite, les évolutions législatives rendues nécessaires par le foisonnement de données agricoles d'importance stratégique, afin de retrouver une pleine souveraineté en la matière.

Recommandation n° 17 :

Adapter notre droit en vigueur au niveau européen et français pour sécuriser la propriété des données agricoles qui sont d'importance stratégique (propriété et portabilité des données des agriculteurs, sécurisation des données clés par l'État).

II. LA SOUVERAINETÉ PAR L'INDÉPENDANCE DES INFRASTRUCTURES ÉNERGÉTIQUES ET NUMÉRIQUES

A. POUR ATTEINDRE LA NEUTRALITÉ CARBONE D'ICI À 2050, INVERSER LE DÉCLIN DE LA FILIÈRE NUCLÉAIRE, LEVIER DE DÉCARBONATION DE L'ÉCONOMIE

1. La filière française du nucléaire : une industrie en difficulté, malgré une tradition d'excellence et des perspectives de relance

Si la filière française du nucléaire a été historiquement très dynamique , avec la mise en service de 58 réacteurs entre les années 1970 et 1980 , seul 1 réacteur 56 ( * ) a été construit dans les années 2000 . Pire, 2 réacteurs 57 ( * ) ont été arrêtés consécutivement à la loi « Transition énergétique » de 2015 58 ( * ) .

Or, la France recourt encore très largement aux énergies fossiles . En effet, ces dernières ont représenté 62,3 % de notre consommation d'énergie finale en 2020, dont 41,6 % pour le pétrole, 0,7 % pour le charbon et 20 % pour le gaz 59 ( * ) .

Ces énergies fossiles sont massivement importées . En 2020, la France s'est procuré la quasi-totalité de son charbon (59,18 TWh 60 ( * ) ), de son gaz naturel (480,21 TWh) et de son pétrole brut (394,74 TWh) depuis l'étranger 61 ( * ) .

Parmi ces énergies fossiles, la part des importations russes est assez conséquente . Pour preuve, la Russie a fourni 26 % des imports de charbon, 17 % du gaz naturel 62 ( * ) et 8,7 % du pétrole 63 ( * ) en 2020. Cependant, la dépendance de notre pays reste en deçà des moyennes européennes (environ 45 % pour le charbon, 45 % pour le gaz et 25 % pour le pétrole).

La guerre en Ukraine a révélé la dépendance de la France et, plus largement, de nos voisins européens, aux importations russes . D'abord porté par la reprise mondiale, au sortir de la crise liée à la pandémie de Covid-19, le prix du gaz a crû à l'automne - avec la découverte de stockages peu remplis par Gazprom en Allemagne, en Autriche et aux Pays-Bas - puis au printemps - avec l'invasion par la Russie de l'Ukraine, où circulent les gazoducs Soyouz et Brotherhood . Ainsi, le 8 mars dernier, les prix ont atteint 250 €/MWh 64 ( * ) , pour le gaz, 130 € le baril, pour le pétrole et 650 €/MWh, pour l'électricité 65 ( * ) .

L'Union européenne s'est engagée en faveur d'une sortie des hydrocarbures russes . Le 8 mars dernier, la Commission européenne a proposé une action conjointe en faveur d'une énergie plus abordable, plus sûre et plus durable (Plan RePowerUE ), prévoyant une sortie des hydrocarbures russes bien avant 2030. Cette initiative a été appuyée par le Conseil européen de Versailles, les 10 et 11 mars, et de Bruxelles, les 24 et 25 mars. Rendu public le 18 mai, le plan RePowerUE 66 ( * ) propose une série d'actions pour économiser l'énergie, diversifier les approvisionnements, remplacer les combustibles fossiles et articuler les investissements et les réformes. D'ici 2030, l'objectif est de réaliser des économies sur les importations de gaz (80 Mds €), de pétrole (12 Mds €) et de charbon (1,7 Mds €). Pour y parvenir, des investissements sont nécessaires sur les réseaux électriques (29 Mds €), de gaz (10 Mds €) et de pétrole (entre 1,5 et 2 Mds €). Concrètement, à l'issue du Conseil européen de Bruxelles des 24 et 25 mai, les États membres ont décidé d'une sortie des imports de charbon russes, d'ici le mois d'août. À l'issue de celui du 30 mai, ils ont acté le principe d'une sortie de 90 % des imports de pétrole russes, à l'exception de ceux acheminés par oléoduc, d'ici la fin de l'année. Les négociations sont toujours en cours s'agissant du gaz.

Dans ce contexte, particulièrement grave, la production d'énergie nucléaire est plus que jamais nécessaire .

L'énergie nucléaire est un levier de souveraineté énergétique . Nos 56 réacteurs ont atteint une capacité installée de 61,4 GW 67 ( * ) et une production de 360,7 TWh en 2021. Cela représente 44 % de la capacité et 69 % de la production de notre parc électrique . Si cette capacité est stable, depuis l'arrêt de la centrale de Fessenheim, la production en 2021 a été supérieure à celle de 2020 (+ 8 %) mais inférieure à celle de 2019 (- 5 %). Elle est restée très en deçà des 400 TWh, dépassés sur les périodes 2002-2008 et 2010-2015 68 ( * ) (cf. infra ).

Source : Réseau de transport d'électricité (RTE), Bilan électrique 2021, 2022.

L'énergie nucléaire aussi est un levier de transition énergétique . En France, elle n'émet que 6 grammes de CO 2 /kWh 69 ( * ) en moyenne contre plus de 400 pour une centrale à gaz et plus de 1 000 pour une centrale à charbon. Conjuguée aux énergies renouvelables, l'énergie nucléaire a offert à notre production électrique un niveau de décarbonation de 92,2 % en 2021. Ce niveau est en hausse par rapport à 2020 (+ 0,1 point) et 2019 (+ 0,4 point). Il est d'une rare stabilité, les 90 % ayant été dépassés sur les périodes 1993-1997, 1999-2001, 2012-2016 et 2018-2021 70 ( * ) ( cf. infra) .

Source : Réseau de transport d'électricité (RTE), Bilan électrique 2021 , 2022.

L'énergie nucléaire est en outre un levier de compétitivité économique . Sa place est centrale pour notre économie, car elle fournit 40 % de notre consommation d'énergie primaire en 2020, loin devant les énergies renouvelables (12,9 %) 71 ( * ) (cf. infra ). De plus, les ménages et les entreprises bénéficient d'un coût de l'électricité inférieur respectivement de 13 et 17 % à celui pratiqué par nos voisins européens en 2020 72 ( * ) .

Source : Ministère de la transition énergétique (MTE), Chiffres clés de l'énergie , édition 2021, 2022.

L'énergie nucléaire est enfin un levier de rayonnement européen . En 2021, la France est demeurée le 1 er exportateur d'électricité européen, avec des exports de 87,1 TWh, des imports de 44,0 TWh et un solde positif de 43,1 TWh 73 ( * ) . Cependant, le solde de 2021 a été inférieur à ceux de 2020 (- 0,2 %) et de 2019 (- 22,6 %) (cf. infra ).

Solde des échanges d'électricité de la France en 2021

Source : Réseau de transport d'électricité (RTE), Bilan électrique 2021 , 2022.

En dépit de son ancienneté et de sa centralité, la production d'énergie nucléaire en France est actuellement confrontée à des difficultés.

La conjoncture économique est défavorable à l'énergie nucléaire , les indisponibilités 74 ( * ) , les importations et les prix étant très élevés. D'une part, les indisponibilités du parc nucléaire se sont élevées à 18,4 GW en 2021, ce niveau étant inférieur à celui de 2020 (- 14 %) mais supérieur à celui de 2019 (+ 3,4 %) 75 ( * ) . D'autre part, on dénombre 78 journées d'importation d'électricité en 2021, contre 43 en 2020 et 25 en 2019 76 ( * ) . Enfin, les prix de l'électricité ont atteint 190,2 €/MWh en 2021, ce niveau étant supérieur à celui de 2020 (+ 239,1 %) et à celui de 2019 (+ 176,5 %) 77 ( * ) .

Au cours de l'hiver 2021-2022, le système électrique français a atteint un seuil critique : les indisponibilités du parc nucléaire ont été supérieures de 5,5 GW à celles prévues (cf. infra ) ; les importations ont concerné toutes les frontières françaises au coeur de l'hiver (les 21, 22 et 23 décembre) (cf. infra ) et les prix se sont élevés entre 382 € et 453 €/MWh à cette période (cf. infra ). Depuis lors, la situation reste critique, avec des prix ayant atteint 3 000 €/MWh le 4 avril.

Indisponibilités nucléaires de la France en 2021

Source : Réseau de transport d'électricité (RTE), Bilan électrique 2021 , 2022.

Les difficultés de la production d'énergie nucléaire résultent de l'insuffisance de la politique gouvernementale . Tout d'abord, les deux réacteurs de la centrale de Fessenheim, pourtant fonctionnels sur les plans de la sûreté et de la sécurité nucléaires, ont été arrêtés en février et en juin 2020. De plus, la crise liée à la pandémie de Covid-19 a entraîné une désoptimisation du programme d'« arrêts de tranches », c'est-à-dire un décalage des arrêts pour maintenance ou rechargement des réacteurs. Enfin, un phénomène de « corrosion sous contrainte », c'est-à-dire des fissures sur l'acier de certaines tuyauteries, a été découvert à l'occasion de la visite décennale du réacteur de Civaux 1, puis sur d'autres réacteurs, ainsi que l'a indiqué le groupe EDF les 15 décembre 2021 et 19 mai 2022 ( voir encadré ). Au total, Réseau de transport d'électricité (RTE) a évalué, en février dernier, la perte de capacités installées à 10 GW pour la crise liée à la pandémie de Covid-19, 7 GW pour le phénomène de « corrosion sous contrainte » et 2 GW pour la fermeture de la centrale de Fessenheim, en mars dernier 78 ( * ) .

Ces difficultés interviennent dans un contexte déjà très dégradé . Depuis 10 ans, la production d'énergie nucléaire connaît une « érosion tendancielle », selon l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) 79 ( * ) . En parallèle, les capacités de production d'électricité pilotable ont diminué avec la fermeture des quatre dernières centrales à charbon d'ici 2022 (3 GW 80 ( * ) ) et les retards dans le développement des projets d'électricité renouvelable (24,8 % de la consommation d'électricité en 2020 contre un objectif de 40 % d'ici 2030 81 ( * ) ). Au total, pour l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), le système électrique est désormais « sans marge » 82 ( * ) .

LE PHÉNOMÈNE DE « CORROSION SOUS CONTRAINTE » : QUELLES IMPLICATIONS ?

Le parc nucléaire français est actuellement confronté à une très faible disponibilité . Le 19 mai dernier 83 ( * ) , le groupe EDF a anticipé une production de 280 à 300 TWh pour l'année 2022, et de 300 à 330 TWh pour l'année 2023. Pour cause, 12 réacteurs sur 56 sont à l'arrêt pour réaliser des contrôles du phénomène de « corrosion sous contrainte », c'est-à-dire de défauts détectés à proximité de soudures des tuyauteries des circuits d'injection de sécurité (RIS) ou des circuits de refroidissement du réacteur à l'arrêt (RRA). 3 réacteurs 84 ( * ) présentent de tels défauts sur les circuits RIS et RRA, 1 réacteur sur les circuits RRA 85 ( * ) , tandis que 8 autres font l'objet de contrôles 86 ( * ) . À terme, le groupe EDF envisage un « programme de contrôle pour l'ensemble du parc nucléaire ».

Lors de son audition par l'Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques (OPECST), le 17 mai dernier, le président de l'ASN a précisé que le phénomène de « corrosion sous contrainte » est « sérieux à deux titres » : d'une part, « il concerne des parties de tuyauteries directement connectées au circuit primaire principal non isolables » ; d'autre part « [il] peut potentiellement concerner l'ensemble du parc nucléaire d'EDF » . Le président a précisé que les réacteurs concernés sont les 4 réacteurs du palier N4, 5 des 20 réacteurs du palier 1300 MW et 3 des 30 réacteurs du palier 900 MW. Il a ajouté qu'à ce stade, « les réacteurs du palier N4 sont plus affectés que ceux du palier 1 300 » et que « les réacteurs de 900 MW [sont] peu voire pas affectés par le phénomène ». Il a indiqué dénombrer 30 arrêts, 12 étant liés au phénomène de « corrosion sous contrainte » , et les autres à diverses raisons (maintenance, rechargement, visite décennale).

Dans le cadre de ses travaux sur l'équilibre offre-demande, RTE a placé la France en situation de « vigilance particulière » pour l'hiver 2021-2022 et au-delà 87 ( * ) , précisant que « la stratégie de contrôle de ce type de défaut sur le reste du parc, qui sera mise en oeuvre par EDF sous le contrôle de l'ASN, aura des conséquences en matière de sécurité d'approvisionnement électrique au-delà de cet hiver » . Preuve des difficultés actuelles, la France a importé de l'électricité de manière « quasi systématique » durant l'hiver 2021-2022 avec « des niveaux très importants d'imports, proches des capacités maximales, les 21, 22 et 23 décembre 2021 » 88 ( * ) . Dans ce contexte, RTE a relevé de très faibles capacités de production : 48 GW fin janvier, 38 à 46 GW fin février, 35 à 43 GW fin mars 2022. Au total, si RTE n'anticipe pas de black-out , c'est-à-dire une « perte généralisée de l'alimentation électrique sur le territoire », il a identifié comme probable à certain « le recours à des moyens post-marché » dont, en dernier ressort, « des coupures ciblées de consommateurs » 89 ( * ) .

Au-delà de ces difficultés de court terme, des interrogations se font aussi jour à plus long terme . Selon RTE 90 ( * ) , notre système électrique est confronté à deux défis d'ici 2050 : le premier est la hausse de la consommation d'électricité, de 400 TWh à 555 TWh dans le scénario de sobriété (+ 40 %), 645 TWh dans celui de référence (+ 60 %) voire 752 TWh dans celui de réindustrialisation (+ 90 %) ; le second est l'arrivée en fin de vie des réacteurs installés dans les années 1970 et 1980, avec un « effet falaise » de 400 TWh, c'est-à-dire une conjonction d'arrêts de réacteurs, dès la décennie 2040.

À long terme, une réflexion sur l'évolution du parc nucléaire s'impose . Dans son étude Futurs énergétiques 91 ( * ) , RTE a proposé 6 scénarios, allant de 100 % d'énergies renouvelables (scénario « M0 » ) à 24 GW de nucléaire existant et 27 GW de nucléaire nouveau (scénario « N03 » ). Pour RTE, les dépenses d'investissement du scénario le plus nucléarisé est de 800 Mds€, ce qui est inférieur de 200 Mds€ à celui le plus renouvelable 92 ( * ) . Comme l'a indiqué RTE aux rapporteurs, « construire de nouveaux réacteurs nucléaires est pertinent du point de vue économique a fortiori quand cela permet de conserver un parc d'une quarantaine de gigawatts en 2050 » . Dans son étude Transition(s) 2050 , l'Ademe a proposé 5 scénarios, allant de 2 GW de nucléaire existant 93 ( * ) (scénario « S1 » ) à 16 GW de nucléaire existant et une même proportion de nouveau nucléaire (scénario « S4 » ) 94 ( * ) . Pour l'Ademe, le coût total du scénario le plus nucléarisé est de 1 518 Mds€, ce qui est supérieur de 473 Mds€ à celui le plus renouvelable. Bien que les proportions et les coûts ne soient pas les mêmes, le besoin de développer l'énergie nucléaire transparaît dans la plupart des scénarios.

Si des choix cruciaux vont devoir être réalisés sur l'avenir de la filière nucléaire, la situation financière du groupe EDF est très dégradée . Mis bout à bout, l'impact financier des récentes évolutions est selon le groupe de 10,4 Mds€ pour le « bouclier tarifaire » , dont le relèvement de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh) et de 18,5 Mds€ pour le phénomène de « corrosion sous contrainte ». À cela s'ajoute le coût du nouveau nucléaire, estimé par le groupe à 12,7 Mds€ pour l'EPR 95 ( * ) de Flamanville, 31,1 Mds€ pour les 2 EPR d'Hinkley Point C et 46 Mds€ pour les 6 nouveaux EPR 96 ( * ) . Le groupe est par ailleurs grevé d'une dette de 43 Mds€ 97 ( * ) . Cette situation financière dégradée érode les capacités d'investissement de la filière.

Malgré ces lourdes difficultés, la filière française du nucléaire bénéficie d'atouts importants à consolider .

Le premier est un tissu étoffé . Il s'agit de la troisième filière industrielle française, derrière l'automobile et l'aéronautique Elle représente 3 200 entreprises, 220 000 emplois directs et 47,5 Mds€ de chiffre d'affaires. Parmi ces entreprises, on dénombre 5 exploitants 98 ( * ) et 85 % de PME et de TPE 99 ( * ) . Au total, la France compte des entreprises agissant sur l'ensemble du cycle du combustible (de l'extraction de l'uranium au recyclage des déchets). Leur savoir-faire couvre toutes les activités nécessaires (R&D, ingénierie, construction, exploitation, démantèlement, gestion et stockage). Ainsi, les composants des réacteurs et turbo-alternateurs sont fabriqués en France, tandis que les matériels mécaniques et électriques le sont en Europe.

Le deuxième est une tradition reconnue . Pour renouer avec cette tradition, un important effort en faveur des métiers et des compétences a été engagé. À titre d'illustration, le groupe EDF a mis en place le Plan Excell , pour tenir compte du retour d'expérience de la construction de l'EPR de Flamanville notamment, et le Groupement des industriels français de l'énergie nucléaire (Gifen) le Projet Match , pour évaluer la capacité de la filière à assumer le plan de charge des exploitants.

Le dernier atout est un approvisionnement maîtrisé .

S'agissant de l'approvisionnement en uranium , l'industrie nucléaire enregistre une consommation d'uranium de 5 kt/an, pour des réserves mondiales de 6 800 kt 100 ( * ) . La France dispose de stocks stratégiques d'uranium sur son sol : 2 ans pour l'uranium naturel et 8 ans pour l'uranium appauvri 101 ( * ) . Elle recourt en outre à une diversité de pays importateurs (Niger, Canada, Kazakhstan, Australie...) 102 ( * ) . Enfin, le coût de l'uranium ne représente que 5 % du coût final de l'électricité 103 ( * ) . Au total, selon l'Ademe, à long terme, « les consommations d'uranium diminuent significativement par rapport aux consommations actuelles et ne devraient pas poser de problèmes d'approvisionnement, en fonction de l'évolution du contexte international » 104 ( * ) .

Concernant l'approvisionnement en autres matières critiques , l'industrie nucléaire recourt également à l'hafnium et à l'indium (pour les barres) au zirconium et au niobium (pour les superalliages). Or, la France produit pour l'Europe 84 % de l'hafnium et 28 % de l'indium consommés en Europe, qui sont des sous-produits du zirconium (dont 40 % provient d'Australie en 2016) et du zinc (dont 40 % provient de Chine en 2016). Par ailleurs c'est au Brésil qu'est extrait 85 % du niobium utilisé en l'Europe 105 ( * ) .

2. Pour une relance de la filière française du nucléaire : orienter les acteurs, garantir les financements et renforcer les compétences

Pour relancer la filière française du nucléaire , et concrétiser ainsi les annonces faites en ce sens, une politique nucléaire assumée doit être assurément mise en oeuvre .

En premier lieu, il est fondamental de garantir la sécurité d'approvisionnement l'hiver prochain et les suivants , en soutenant le parc nucléaire et, plus largement, le système énergétique.

Pour ce faire, il est nécessaire que les pouvoirs publics appuient le groupe EDF, l'ASN, la CRE et RTE pour tirer toutes les conséquences des difficultés actuelles, dont le phénomène de « corrosion sous contrainte » .

Il convient aussi de soutenir le système électrique dans son ensemble, en favorisant les économies d'énergie (appel aux « éco-gestes » citoyens, consolidation des compteurs communicants, promotion des rénovations thermiques et optimisation des procédés industriels) ainsi que les flexibilités (accélération des projets renouvelables, promotion des effacements, consolidation de l'interruptibilité et diffusion des batteries électriques).

Au-delà de la production d'électricité, il faut également répondre à la crise gazière.

Une révision du principe du coût marginal, qui lie dans les faits les prix de l'électricité à ceux de la dernière centrale appelée, fonctionnant bien souvenant au gaz, est posée. La France l'a soutenue, tandis que le Portugal et l'Espagne l'ont obtenue. Le 8 juin 2022, la Présidente de la commission européenne ne l'a pas exclue, dans le cadre d'une réforme à venir du marché européen de l'électricité. Pour autant, la CRE estime qu'une telle révision doit être envisagée avec prudence en l'absence de système alternatif. À défaut, des améliorations concrètes sont nécessaires (contrats de long terme, capacités d'interconnexion, rôle d'autorisation et de sanction du régulateur).

Plusieurs mécanismes, en cours de négociations européennes à la date de publication du présent rapport, sont attendus sur le marché du gaz : un plafonnement du prix, une obligation de stockage, des mécanismes d'urgence ou de solidarité, un groupement d'achat pour le GNL ou des facilités pour la production de biométhane. La CRE estime qu'une intervention des pouvoirs publics est nécessaire à l'échelle européenne, dans la mesure où la Russie détient un fort pouvoir de marché concernant gaz. La France a un rôle essentiel à jouer, car elle dispose d'une obligation de stockage de 80 %, de 4 terminaux méthaniers et de 1 298 projets d'injection en attente 106 ( * ) .

À terme, le potentiel du biogaz pourrait s'élever à 90 TWh/an, pour l'Association française du gaz (AFG) 107 ( * ) . Dans le même esprit, l'Ademe a évalué le potentiel du biométhane à 56 TWh en 2030 et 131 TWh en 2050 108 ( * ) . Ces proportions vont jusqu'à 130 TWh dans le scénario 2022 de Négawatt 109 ( * ) et 125 TWh dans le scénario Afterres2050 de Solagro 110 ( * ) . De toute évidence, l'objectif d'injection de biogaz fixé par la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), de 14 à 22 TWh à l'horizon 2028, peut être dépassé.

Enfin, des économies de gaz et de pétrole doivent être réalisées. À titre d'illustration, l'Agence internationale de l'énergie (AIE) 111 ( * ) a ainsi estimé qu'une diminution de 1 degré du chauffage permettait d'économiser 10 Mds de m 3 de gaz naturel par an et qu'une diminution de 10 km/h de la vitesse de circulation épargne 300 000 barils par jour. En préparation des prochains hivers, un appel au civisme énergétique doit être envisagé.

Recommandation n° 18 :

Garantir la sécurité d'approvisionnement en électricité l'hiver prochain et les suivants, en :

- appuyant l'effort des professionnels pour répondre aux difficultés du parc nucléaire, en particulier le phénomène de « corrosion sous contrainte » ;

- soutenant le système électrique dans son ensemble (économies d'énergie et mécanismes de flexibilité) ;

- répondant à la crise gazière (régulation des prix, obligation de stockage, groupements d'achat, production de biométhane).

En deuxième lieu, il est crucial de donner un cap clair en direction de l'énergie nucléaire . Dans son discours de Belfort, du 10 février dernier, le Président de la République a annoncé une relance de la filière nucléaire. Les acteurs de cette filière ont besoin d'une vision claire, précise et pérenne. Des actes concrets doivent être engagés, avec l'actualisation des stratégies, la désignation des acteurs et l'organisation des débats.

L'article L. 100-4 du code de l'énergie prévoit en l'état de réduire la proportion d'énergie nucléaire à 50 % d'ici 2035 , cet objectif étant décliné dans la PPE mais aussi dans la stratégie nationale bas-carbone (SNBC) : la fermeture de 14 réacteurs nucléaires 112 ( * ) d'ici 2035, soit une baisse de 13 GW 113 ( * ) , est toujours prévue. Il faut corriger le tir, dès aujourd'hui , pour les dispositions règlementaires et, d'ici la loi quinquennale sur l'énergie de 2023, pour celles législatives.

Plus grave, les annonces de Belfort ne correspondent pas aux besoins identifiés dans certains scenarios de l'étude précitée de RTE . En effet, le Président de la République y a annoncé 25 GW de nouveau nucléaire (6 EPR à construire et 8 à étudier), 500 M € pour un projet de Small Modular Reactor (SMR, ou Petit réacteur modulaire) et la prolongation des réacteurs existants au-delà de 50 ans, alors que le scénario le plus nucléarisé de RTE (scenario « N03 » ) envisage 27 GW de nouveau nucléaire (14 EPR et 4 GW de SMR) et la prolongation des réacteurs au-delà de 60 ans. En cas de réindustrialisation, 9 autres EPR sont requis, selon RTE.

De plus, il faut tenir compte du contexte, profondément changé depuis les annonces de Belfort, en particulier l'impact du phénomène de « corrosion sous contrainte » sur la disponibilité du parc nucléaire ainsi que celui de la guerre en Ukraine sur la filière nucléaire française et européenne (fonctionnement des marchés à l'export, approvisionnement en matières premières, conduite des projets nucléaires). Dans ce contexte troublé, l'ASN estime nécessaire de prévoir une « marge de sécurité » 114 ( * ) .

Recommandation n° 19 :

Afin de donner un cap clair à la filière nucléaire et de répondre aux besoins croissants d'électricité, sans remettre en cause l'essor des énergies renouvelables, s'affranchir de la limitation a priori de la production d'énergie nucléaire à 50 % d'ici à 2035 dans la planification énergétique (Loi quinquennale sur l'énergie de 2023, Programmation pluriannuelle de l'énergie, Stratégie nationale bas-carbone).

En troisième lieu, le financement et la réalisation des projets nucléaires doivent être garantis . Selon la Société française de l'énergie nucléaire (SFEN) 115 ( * ) , les projets nucléaires impliquent au moins 4 ans de procédure préalable et n'offrent un retour d'investissement qu'à compter de 10 à 15 ans. Ce sont des projets capitalistiques, dont les coûts fixes (construction et fonctionnement) sont élevés, mais les coûts variables (production et entretien) faibles.

Historiquement, le parc nucléaire français a été financé selon plusieurs modes par le groupe EDF : la fixation des tarifs (dans les années 1970), l'autorisation d'emprunt (dans les années 1980) et le recours aux fonds propres (pour l'EPR de Flamanville).

Plusieurs autres modèles de financement existent à l'échelle européenne :

- en Finlande , un consortium d'industriels électro-intensifs finance la construction d'un réacteur en contrepartie de l'alimentation directe en électricité (Olkiluoto 3) ;

- en Hongrie , l'État a contracté un prêt interétatique pour la construction d'un réacteur. La revente de l'électricité et l'utilisation des bénéfices de ce réacteur sont encadrés (Paks II) ;

- en République Tchèque , l'opérateur a contracté un prêt auprès de l'État pour la construction d'un réacteur et bénéficie d'un prix garanti à long terme (Dukovany 5) ;

- au Royaume-Uni , l'opérateur a recours à ses fonds propres pour la construction de réacteurs et dispose d'un prix garanti à long terme (Hinkley Point C) ou révisé périodiquement par un régulateur indépendant (Sizewell C).

Quelle que soit l'option retenue, il est indispensable que le financement pérenne de la relance du nucléaire fasse l'objet d'un débat parlementaire , à l'occasion de l'examen de la loi quinquennale sur l'énergie de 2023. L'enjeu est d'abaisser le coût du capital, de réduire le prix de l'électricité et d'allouer efficacement les risques, sans mettre en danger l'opérateur et en respectant le cadre européen.

La mise en oeuvre concrète de cette relance du nucléaire nécessite également d'être intégrée au débat parlementaire : toutes les étapes pouvant être anticipées et toutes les procédures pouvant être simplifiées doivent l'être. Naturellement, aucune évolution législative ne saurait mettre en péril le droit de l'environnement ou la participation du public, composants essentiels de l'acceptabilité sociale des projets nucléaires.

De plus, l e soutien public aux projets nucléaires doit être consolidé . Or, le Plan de relance ne prévoit que 470 M€ pour l'énergie nucléaire, soit 0,4 % des crédits totaux, pour soutenir les compétences et la R&D, en particulier concernant les combustibles et les déchets. Le Plan d'investissement ne prévoit par ailleurs que 1 Md€ pour l'énergie nucléaire, soit 3,3 % des crédits totaux, pour développer les réacteurs innovants - dont le projet de SMR du groupe EDF - et réduire les déchets. Ces montants ne sont pas à la hauteur de la relance annoncée de l'énergie nucléaire . Ils doivent être rehaussés dès la prochaine loi de finances.

Face à la hausse des prix de l'électricité et, au-delà, de l'énergie, le coût doit demeurer supportable pour les consommateurs . Les particuliers, collectivités et entreprises, dont celles électro-intensives, doivent bénéficier d'un soutien idoine. Or, les tarifs réglementés de vente d'électricité (TRVE), sur lesquels se fonde la baisse de taxe intérieure sur la consommation finale d'électricité (TICFE), ne concernent que 28 % des consommateurs 116 ( * ) . De surcroît, cette baisse arrive à expiration dès le début de l'année 2023. S'agissant du relèvement de l'Arenh, l'impact est direct pour les consommateurs électro-intensifs 117 ( * ) mais indirect pour les autres 118 ( * ) . Son coût est de 10,4 Mds€ pour le groupe EDF. Au total, les consommateurs doivent être mieux protégés, tout en évaluant et limitant l'impact pour les fournisseurs, à commencer par le groupe EDF. Ce groupe étant confronté à un « mur d'investissements » , c'est-à-dire à des projets élevés en regard d'une dette importante, il faut garantir sa durabilité, dans son financement comme dans son organisation, afin qu'il demeure l'un des acteurs majeurs de la filière nucléaire.

Autre point d'attention, l'énergie nucléaire doit être pleinement intégrée à la taxonomie verte . Le projet d'acte délégué présenté par la Commission européenne, dont l'examen au Parlement européen s'achève à la date de publication du présent rapport 119 ( * ) , n'intègre cette source d'énergie que sous certaines conditions : si les émissions sont inférieures à 100 g de CO 2 /kWh ; si l'extension des installations est accordée jusqu'en 2040 ; si la construction de nouvelles installations est accordée jusqu'en 2045 ; si un recours aux « accident tolerant fuels » , c'est-à-dire à un ensemble de technologies devant renforcer la performance des réacteurs, est prévu à compter de 2025 ; si un dispositif de stockage des déchets nucléaires est institué d'ici 2050 120 ( * ) . Au total, l'intégration proposée est donc incomplète, car elle est restrictive dans ses délais (pour l'extension, la construction ou le stockage), son champ (omettant les activités du cycle du combustible ou les opérations de maintenance) et ses conditions (prévoyant le recours aux ATF). Ces conditions restrictives doivent être assouplies .

Recommandation n° 20 :

Garantir un mode de financement robuste à la filière nucléaire, en :

- intégrant le financement et la réalisation des projets de nouveaux réacteurs nucléaires à la loi quinquennale sur l'énergie de 2023 ;

- consolidant le soutien public aux projets de recherche et de développement nucléaires, dans le cadre du Plan de relance et du Plan d'investissement ;

- limitant le coût de l'électricité pour les consommateurs, en les protégeant de la hausse des prix, tout en évaluant et prévenant l'impact sur les fournisseurs, à commencer par le groupe EDF, dont il faut garantir la durabilité, dans son financement comme dans son organisation, afin qu'il demeure l'un des acteurs majeurs de la filière nucléaire ;

- intégrant pleinement l'énergie nucléaire à la taxonomie verte européenne, en levant les verrous posés (champ, délais, conditions).

Au-delà du financement, l'enseignement initial et la formation continue doivent être revalorisés . Dans son rapport sur le chantier de l'EPR de Flamanville 121 ( * ) , Jean-Martin Folz a imputé les difficultés rencontrées à une « perte de compétence généralisée » . Cela s'explique par le fait que le début de la construction des derniers réacteurs remonte en France à 1984 (pour Chooz B1) et 1991 (pour Civaux 2). Avec les départs en retraite non compensés, il en a résulté une rupture dans la transmission du savoir et du savoir-faire (maîtrise d'oeuvre, bureau d'études, fabrication de composants, réalisation de soudures). Pour sortir de cette situation, il est crucial de développer aujourd'hui un plan ambitieux d'attractivité sur les métiers et les compétences de la filière nucléaire, en veillant à la qualité, à la sûreté, à l'innovation et à la digitalisation. C'est la responsabilité de l'État , dont les politiques d'éducation nationale et d'enseignement supérieur doivent s'articuler sur ce point avec les politiques d'économie et d'énergie. C'est aussi la responsabilité de la filière , le Plan Excell du groupe EDF et le Projet Match du Gifen devant être dimensionnés en fonction de la relance.

En outre, le cycle du combustible associé à l'énergie nucléaire doit être pris en compte . Dans son scénario le plus nucléarisé (scénario « N03 » ), RTE a appelé à accorder une attention particulière à l'effort de R&D en direction de la « fermeture du cycle du combustible » 122 ( * ) . Or, les annonces de Belfort sont insuffisantes sur ce point. Pire, le Gouvernement a stoppé le projet de réacteur à neutrons rapides (RNR) Astrid en 2019. Aussi faut-il favoriser l'effort de R&D sur le multi-recyclage des déchets nucléaires (MOX), les petits réacteurs modulaires (SMR), les réacteurs de 4 e génération et la fusion nucléaire. Les financements publics et privés idoines doivent être mobilisés. Il s'agit d'une exigence scientifique, économique mais aussi environnementale : le MOX, qui procure déjà 10 % de notre électricité 123 ( * ) , permet en effet de remployer les combustibles et de limiter les déchets.

Recommandation n° 21 :

Accorder une attention spécifique à la fermeture du cycle du combustible, en mobilisant les financements publics et privés en direction du MOX, des SMR, des réacteurs de 4ème génération et du projet ITER.

Enfin, l'approvisionnement en métaux critiques doit être garanti . D'une part, la sécurisation de l'approvisionnement en uranium, par sa diversification ou son stockage, doit répondre aux besoins induits par la relance du nucléaire. D'autre part, l'extraction ou la transformation des autres métaux critiques (indium, hafnium, niobium) doivent intervenir sur le territoire national ou européen : la réforme du code minier peut y contribuer (voir B du I du présent rapport) .

B. POUR ACCOMPAGNER L'ESSOR DES ÉNERGIES RENOUVELABLES, RÉSORBER LE RETARD EN MATIÈRE DE STOCKAGE DE L'ÉNERGIE : L'HYDROGÈNE ET LES BATTERIES

1. La filiale française du stockage de l'énergie : un retard stratégique dans un secteur indispensable à l'essor des énergies renouvelables

La filière française du stockage de l'énergie est encore peu développée : si le stockage hydraulique s'est constitué dès les années 1970 et 1980, celui hors hydraulique n'a fait l'objet d'un soutien public qu'à la fin des années 2010. Or, le stockage de l'énergie est nécessaire pour répondre aux besoins de flexibilité du système énergétique , c'est-à-dire aux variations de la production ou de la consommation, au cours de la journée, de la semaine ou de l'année. Il est fondamental pour accompagner l'essor des énergies renouvelables , qui pêchent toujours par leur intermittence.

En l'état des capacités technologiques, plusieurs modes de stockage existent : d'une part, le stockage hydraulique, via les centrales hydroélectriques dites « de lac » et les stations de transfert d'énergie par pompage (STEP) ; d'autre part, le stockage hors hydraulique, avec le stockage électrochimique (les batteries électriques), le stockage chimique (l'hydrogène renouvelable ou bas-carbone) ou d'autres formes de stockage mécanique (par air comprimé ou par inertie).

Parmi les batteries, il faut distinguer celles stationnaires, donc fixes, de celles embarquées, donc mobiles . Le principe du « vehicle-to-grid » (V2G) doit permettre d'utiliser les batteries des véhicules électriques comme une solution de stockage mobile, le réseau électrique les alimentant ou inversement. C'est une voie prometteuse, car ces véhicules sont inutilisés 95 % de leur temps 124 ( * ) .

Il faut aussi distinguer les batteries primaires, utilisables une fois, des batteries secondaires, réutilisables plusieurs fois . Avant d'être recyclées, les batteries des véhicules électriques peuvent être connectées au réseau électrique pour être utilisées comme une solution de stockage stationnaire. C'est également une voie prometteuse, car ces véhicules ne sont plus aptes à la mobilité une fois atteints 70 à 80 % de la capacité originelle de leur batterie 125 ( * ) .

De plus, les boucles « power-to-hydrogen-to-power » et « power-to-methane-to-power » doivent permettre le recours à l'hydrogène produit par électrolyse ou au méthane de synthèse comme solution de stockage : si le rendement est en l'état de 40 % pour la première technologie et de 30 % pour la seconde, elles permettent néanmoins toutes deux un stockage sur longue période 126 ( * ) .

Le degré de maturité de la filière française du stockage n'est pas le même selon la technologie considérée .

S'agissant du stockage hydraulique, il s'agit d'une technologie ancienne et éprouvée : tout d'abord, les centrales hydroélectriques « de lac », construites au sortir des deux guerres mondiales, représentent un stock maximal de 3 591 GWh 127 ( * ) ; en outre, on dénombre 6 STEP, mises en services dans les années 1970-1980, dont la capacité installée a été évaluée par la Commission de régulation de l'énergie (CRE) à 4 300 MW 128 ( * ) . Selon Réseau de transport d'électricité (RTE) 129 ( * ) , les stocks hydrauliques en 2021 ont été inférieurs de 24 % à ceux de 2020, la production d'électricité issue des centrales « de lac » ayant baissé de 12 % et celle des STEP de 8 % (cf. infra ). En 2022, ces stocks hydrauliques doivent être équivalents à ceux des années précédentes ; beaucoup utilisés en janvier, ils contribuent « fortement à sécuriser l'exploitation du système » 130 ( * ) .

Source : Réseau de transport d'électricité (RTE), Bilan électrique 2021 , 2022.

En revanche, le stockage hors hydraulique est plus récent mais très dynamique : les installations de stockage de ce type, notamment par batteries électriques, n'ont émergé que depuis 2018. Selon la CRE, la France compte actuellement 123 installations de stockage par batterie pour une capacité de 236 MW. Parmi ces installations, 4 sont raccordées au réseau de transport et les autres au réseau de distribution. En outre, 80 % de ces installations ont une capacité installée inférieure à 2 MW. Pour RTE, le stockage hors hydraulique dispose d'une capacité installée de 292 MW, soit une hausse de 305,5 % par rapport à 2020 et de 841,9 % par rapport à 2019 (cf. infra ). Si la France peut paraître en retrait par rapport à d'autres pays, à l'instar du Royaume-Uni et de ses 900 MW de stockage par batterie en 2020 131 ( * ) , un appel d'offres long terme (AOLT) est en cours : il a permis de sélectionner 160 MW de stockage supplémentaires, qui seront déployés sur la période 2022-2028, selon la CRE.

Source : Réseau de transport d'électricité (RTE), Bilan électrique 2021 , 2022.

Malgré son hétérogénéité, le stockage de l'énergie est crucial pour permettre et sécuriser l'essor des énergies renouvelables . Il est d'autant plus nécessaire que la France est en retard sur ses objectifs en matière d'énergies renouvelables. En effet, la part de ces énergies atteint 19,1 % en 2020, contre un objectif de 30 % d'ici 2030, dont 24,8 % pour l'électricité (contre un objectif de 40 %), 23,8 % pour la chaleur (contre un objectif de 38 %), et 0,44 % pour le gaz (contre un objectif de 10 %) 132 ( * ) . C'est regrettable, car la France dispose d'un important gisement de projets. Selon le Syndicat des énergies renouvelables (SER), on dénombre ainsi 800 projets en attente (soit 19 TWh) pour le biogaz et 70 (soit 2 TWh) pour la chaleur renouvelable ; s'agissant des énergies renouvelables électriques, des projets sont également pendants pour le solaire (11 GW), l'éolien (10 GW), l'éolien en mer (7,9 GW) et l'hydroélectricité (568 MW). Le stockage de l'énergie doit permettre de donner aux énergies renouvelables la flexibilité dont elles ont besoin pour leur plein développement. Dans son étude Futurs énergétiques à l'horizon 2050 133 ( * ) , RTE indique ainsi indiqué que « l'intégration de volumes importants d'éoliennes ou de panneaux solaires engendre de très importants besoins en flexibilités (stockage, pilotage de la demande et nouvelles centrales d'appoint) pour pallier leur variabilité, ainsi que des renforcements des réseaux (raccordement, transport et distribution) ». Dans son étude Transition(s) 2050 , l'Ademe 134 ( * ) insiste quant à elle sur la nécessité de « dimensionner les moyens de flexibilité pour assurer la sécurité d'approvisionnement ».

Compte tenu de son importance, le stockage de l'énergie fait aujourd'hui l'objet de travaux de prospective . Dans son étude précitée, RTE a ainsi estimé les besoins en stockage à 8 GW pour le STEP, 1,7 GW pour le « vehicle-to-grid » et entre 1 et 26 GW pour les batteries électriques (du scénario « N03 » le plus nucléarisé au scénario « M0 » le plus renouvelable). De plus, RTE a estimé la consommation d'hydrogène en 2050 entre 45 TWh (ce qui avec une consommation de 50 TWh d'électricité) dans le scénario de référence et 130 TWh (avec une consommation de 171 TWh électricité) dans une variation « Hydrogène + ». Au total, RTE a indiqué aux rapporteurs que « tous les scénarios nécessitent plus de flexibilité (entre + 30 et + 70 GW) ». De son côté, l'Ademe, dans l'étude susmentionnée, a évalué ces besoins en stockage entre 5 et 7 GW pour les STEP et entre 1 et 28 GW pour les batteries électriques environ (des scenarios « S1 » et « S2 » les plus nucléarisés au scénario « S4 » le plus renouvelable). En outre, l'Ademe a anticipé une hausse de la consommation d'électricité pour la production d'hydrogène d'ici 2050 de 62 TWh dans le scénario « S1 » , 135 TWh dans le scénario « S2 » , 65 TWh pour le scénario « S3 » et 33 TWh dans le scénario « S4 » .

Au-delà de ces travaux de prospective, le stockage de l'énergie est promu aux échelons français comme européen .

Le développement du stockage de l'énergie est encouragé à l'échelle européenne .

Le Plan d'action stratégique européen sur les batteries, publié le 17 mai 2018, vise ainsi à constituer une chaîne de valeur des batteries en Europe . De plus, la Stratégie pour l'hydrogène de la Commission européenne, rappelée dans une résolution du Parlement européen du 19 mai 2021, prévoit de déployer 40 GW d'électrolyseurs issus d'énergies renouvelables et de produire 10 Mt d'hydrogène renouvelable d'ici 2030.

En application de ces plan et stratégie, l'Alliance européenne pour les batteries, lancée le 10 octobre 2017, soutient 750 projets et l'Alliance européenne pour l'hydrogène, lancée le 10 mars 2020, en soutient 500. Une entreprise commune Hydrogène propre a été instituée le 19 novembre 2021. De plus, des aides d'État ont été autorisées par la Commission européenne pour favoriser des projets importants d'intérêt européen commun (« PIIEC ») sur ces mêmes thématiques. Tout d'abord, deux PIEEC ont été soutenus dans le domaine des batteries électriques, représentant 3,2 Mds€ et associant 7 États membres 135 ( * ),136 ( * ) en 2019 d'une part, et 2,9 Mds€ pour 12 États membres 137 ( * ),138 ( * ) en 2021 de l'autre (cf. infra ).

Aides européennes autorisées dans la chaîne de valeur des batteries

Source : Commission européenne, 2019 et 2021.

En outre, un PIEEC commun associant 23 États membres 139 ( * ) a été institué dans le domaine de l'hydrogène. Une centaine de projets, dont quinze pour la France, ont fait l'objet d'une demande, dans ce cadre, auprès de la Commission européenne (cf. infra ) 140 ( * ) .

Source : Ministère de l'économie, des finances et de la relance, 2022

Dans le Paquet Ajustement à l'objectif 55 , la Commission européenne a prévu un allègement fiscal sur l'hydrogène (directive sur la fiscalité énergétique), un objectif de 50 % d'hydrogène dans l'industrie et de 2,6 % dans les transports (directive sur les énergies renouvelables), une régulation du marché de l'hydrogène (Paquet gazier), ainsi que des objectifs d'infrastructures pour l'hydrogène ou l'électricité ( Initative ReFuelAviation, Initative FuelUEMaritime, règlement sur les infrastructures de recharge en carburants alternatifs).

En parallèle, un règlement sur les batteries électriques est en cours de négociation, pour favoriser leur utilisation mais aussi leur recyclage, avec un objectif initial de 70 % de recyclage d'ici 2030 pour les déchets de batteries portables.

Dans le plan RePowerUE , la Commission européenne a identifié l'hydrogène, aux côtés du biogaz, comme un substitut au gaz naturel russe, fixant un objectif de 10 Mt de production et de 10 Mt d'importation d'hydrogène renouvelable d'ici 2030. Elle a prévu d'augmenter les objectifs du Paquet Ajustement à l'objectif 55 (à 75 % pour l'industrie et 5 % pour les transports), d'instituer une plateforme pour l'achat d'hydrogène, d'établir les infrastructures nécessaires à la production d'hydrogène (mobilisant entre 28 et 38 Mds€ pour les gazoducs et entre 6 et 11 Mds€ pour le stockage) et à son importation (corridor via la Méditerranée, l'Europe du Nord et l'Ukraine), de mener à bien les PIIEC en matière d'hydrogène, d'engager 200 M€ dans les investissements d'Horizon Europe, de soutenir les compétences via le programme ERASMUS + ou encore de favoriser les véhicules électriques ou à hydrogène. Au total, la Commission européenne considère que ces 20 Mt d'hydrogène renouvelable, produits ou importés, peuvent permettre une économie de 35 Mds de m 3 de gaz .

Le stockage de l'énergie est aussi promu à l'échelle nationale . Dans le cadre du Plan de relance, 409,7 M€ sont prévus pour l'hydrogène et 487 M€ pour l'automobile. Le Plan d'investissement prévoit 1,9 Mds€ pour l'hydrogène et 4 Mds pour les transports du futur 141 ( * ) , dont 2,7 Mds pour la mobilité électrique 142 ( * ) . Par ailleurs, la France s'est dotée d'une Stratégie pour le développement de l'hydrogène, de 7 Mds€, dont les objectifs sont de déployer 6,5 GW de capacités d'électrolyseurs et de favoriser les mobilités professionnelles, la R&D et l'innovation. Selon France Hydrogène, ces 6,5 GW de capacités d'électrolyseurs pourraient produire 680 000 tonnes d'hydrogène par an, dont 6,5 % pour l'équilibrage du réseau électrique, 23,5 % pour la mobilité lourde et 70 % pour l'industrie (raffineries, chimie, engrais et carburants).

Encore en gestation, la filière française du stockage de l'énergie dispose d'atouts importants . Dans le rapport Faire de la France une économie de rupture 143 ( * ) , le collège des experts chargé de sa rédaction 144 ( * ) a jugé que la France est en situation de rattrapage non rédhibitoire pour l'hydrogène, avec un bon positionnement dans plusieurs secteurs ( supply chain , liquéfaction, distribution, stations de recharge et véhicules utilitaires). Il a de plus considéré que la France est en situation de très forte concurrence pour les batteries électriques avec une forte innovation dans plusieurs marchés (recherche publique, grandes entreprises, start-up ). Pour France Hydrogène, 50 000 à 150 000 emplois pourraient être générés dans le domaine de l'hydrogène d'ici 2030. Selon l'Avere, la capacité de production européenne des batteries pourrait passer à 730 GWh en 2030. Cela nécessiterait la construction de 22 gigafactories . L'Allemagne est le pays le plus avancé en la matière, avec la construction de la moitié des batteries électriques européennes. Par ailleurs, avec 16 millions de véhicules en circulation, le potentiel de batteries secondaires serait de 2 millions en 2040 (pour 60 GWh).

Pour autant, la filière française du stockage est fortement consommatrice de métaux critiques . Pour France Hydrogène, le déploiement d'une filière française de l'hydrogène, d'ici 2030, nécessite 4,1 à 6,2 t de platine, 0,48 à 0,74 t d'iridium et 0,91 à 1,37 t de ruthénium. Selon RTE 145 ( * ) , les batteries des moteurs électriques supposent, entre 2020 et 2050, de mobiliser environ 3 000 kt de cuivre, 1 000 kt de lithium, 2 250 kt de nickel, 300 kt de cobalt, 600 kt de manganèse et 1 600 kt de graphite. De son côté, l'Ademe 146 ( * ) considère que « les véhicules utilisent plus de métaux stratégiques que les EnR dans tous les scénarios ».

2. Pour un amorçage de la filière française du stockage de l'énergie : compléter le cadre juridique et consolider les dispositifs de soutien

Pour permettre l'amorçage de la filière française du stockage de l'énergie , indispensable à l'essor des énergies renouvelables, le retard stratégique doit être comblé s'agissant de l'hydrogène renouvelable et bas-carbone ainsi que des batteries électriques .

En premier lieu, il importe d'intégrer pleinement le stockage de l'énergie à la planification énergétique . En effet, seuls l'hydrogène et les STEP ont été inclus dans le champ de la loi quinquennale sur l'énergie de 2023, à l'initiative de la commission des affaires économiques, dans le cadre de l'examen de la loi « Climat-Résilience » de 2021 147 ( * ) . Les autres modes de stockage de l'énergie peuvent aussi y trouver leur place. Outre la loi quinquennale sur l'énergie de 2023, la PPE et la SNBC doivent être complétées en ce sens. S'agissant de l'hydrogène, la stratégie française, mettant l'accès sur la production domestique plutôt que sur des importations massives, nécessite d'être consacrée. De plus, le couplage possible entre la production d'énergie nucléaire et celle de l'hydrogène bas-carbone en étant issu mérite d'être valorisé. Concernant les batteries, la construction de gigafactories nécessite aussi d'être prise en compte, de même qu'il est indispensable de valoriser le recyclage des batteries. Qu'il s'agisse de l'hydrogène ou des batteries, les projets soutenus par les PIIEC doivent enfin être consacrés dans la planification énergétique.

En deuxième lieu, le stockage de l'énergie doit être pleinement appréhendé par un cadre juridique complet . À l'échelle nationale, une meilleure définition du stockage peut être recherchée. Selon la CRE 148 ( * ) , « dans la règlementation actuelle, il n'existe pas de prescriptions spécifiques au stockage stationnaire ni de prescriptions spécifiques au stockage mobile » , lacune qui doit être corrigée. Les procédures de raccordement ou les exigences de sécurité peuvent aussi être clarifiées. À l'échelle européenne, une neutralité technologique doit être garantie entre l'hydrogène bas-carbone et l'hydrogène renouvelable. S'agissant de la taxonomie verte européenne, si le seuil de 3,0 kgCO 2 /kgH 2 permet de qualifier l'hydrogène bas-carbone 149 ( * ) , la définition de la méthodologie de calcul des émissions et de leur réduction est encore attendue : une vigilance s'impose donc. Concernant le Paquet Ajustement à l'objectif 55, l'atteinte des objectifs de 50 et 2,6 % d'hydrogène dans l'industrie et les transports - qui pourraient être relevés à 75 et 5 % selon le souhait de la Commission européenne - n'est pas envisageable sans laisser aux États membres la possibilité de recourir à l'hydrogène bas-carbone issu de l'énergie nucléaire. Pour ce qui du règlement sur les batteries électriques, le réemploi des batteries des véhicules électriques comme une solution de stockage stationnaire pourrait y être favorisé, afin d'offrir une seconde vie aux 2 millions de batteries secondaires (soit 60 GWh) qui pourraient être disponibles en 2040 150 ( * ) .

Recommandation n° 22 :

Renforcer la planification et le cadre juridique du stockage de l'énergie, en :

- intégrant pleinement le stockage à la planification énergétique (Loi quinquennale sur l'énergie de 2023, Programmation pluriannuelle de l'énergie, Stratégie nationale bas-carbone), en veillant à couvrir l'ensemble des modes de stockage et à consacrer les projets importants d'intérêt européen commun (PIIEC) ;

- apportant un cadre juridique complet au stockage de l'énergie, en garantissant une neutralité technologique pour l'hydrogène (Taxonomie verte européenne et Paquet ajustement à l'objectif 55) et en favorisant le réemploi des batteries (Règlement sur les batteries électriques).

De plus, le stockage de l'énergie doit être activement soutenu par des dispositifs adaptés . Tous les modes de stockage méritent d'être promus, dans un souci de complémentarité. Le soutien public doit poursuivre un objectif d'industrialisation pour les batteries, pour passer d'une production de niche à une production de masse, couvrant toute la chaîne de valeur (de l'approvisionnement au recyclage). Il doit poursuivre un objectif de production, plutôt que d'importation, pour l'hydrogène, en veillant à mobiliser les différentes sources et les différentes briques et à déployer en parallèle les infrastructures (distribution, transport, stockage) et les flottes (utilitaire, lourde) nécessaires. Dans cette perspective, une consolidation des dispositifs de soutien est attendue. Tout d'abord, les récents dispositifs de soutien à l'hydrogène et au stockage (STEP, hydrogène, batteries), prévus par les lois « Énergie-Climat » de 2019 151 ( * ) et « Climat-Résilience » de 2021 152 ( * ) , appellent une application rapide. En outre, les compléments de rémunération soutenant les projets d'énergies renouvelables doivent tous intégrer le stockage, à l'instar de ceux existants pour l'énergie photovoltaïque. Dans un même esprit d'harmonisation, les réductions de taxe intérieure sur la consommation finale d'électricité (TICFE) et de taux d'utilisation des réseaux publics de distribution ou de transport d'électricité (Turpe) peuvent mieux prendre en compte les différentes technologies de stockage. Les appels d'offres nationaux afférents aux batteries et à l'hydrogène nécessitent d'être pérennisés et consolidés, tandis que les porteurs de projets doivent pouvoir bénéficier d'un appui en ingénierie pour bénéficier des appels à projets européens. Enfin, dans la mesure où l'hydroélectricité demeure de très loin le premier mode de stockage, un appel d'offres sur les STEP doit impérativement être lancé.

Recommandation n° 23 :

Consolider les dispositifs de soutien au stockage, en veillant à leur application (garanties d'origine sur l'hydrogène issues de la loi Énergie-Climat et appel d'offres sur le stockage issu de la loi Climat-Résilience), à leur harmonisation (compléments de rémunération sur les énergies renouvelables et réductions de TICFE et de TURPE), à leur pérennité (appels d'offres existants sur l'hydrogène et les batteries) ainsi qu'à leur complétude (appel d'offres attendu sur les STEP).

L'approvisionnement en métaux critiques doit par ailleurs être garanti . Tout d'abord, une évaluation fine des métaux critiques nécessaires à la filière du stockage de l'énergie peut être conduite, seules les batteries électriques ayant fait l'objet de travaux de recherche publics approfondis. D'autre part, des stratégies de sécurisation (diversification des approvisionnements, constitution de stocks, développement de substituts et promotion du recyclage) méritent d'être encouragées au sein de la filière. Enfin, les métaux critiques (lithium, nickel) pouvant être extraits ou transformés sur le territoire national ou européen doivent l'être : c'est tout l'enjeu de la réforme du code minier (voir B du I du présent rapport) .

Avec un stockage idoine, le déploiement des énergies renouvelables doit enfin être accéléré . Dans son discours de Belfort, du 10 février dernier, le Président de la République a annoncé, s'agissant des objectifs, le relèvement à 100 GW de l'éolien solaire, à 40 GW de l'éolien en mer et à 37 GW de l'éolien terrestre d'ici 2050. Il est regrettable qu'il n'ait pas évoqué les besoins en stockage liés. Par ailleurs, ces objectifs, très ambitieux, ne peuvent être atteints sans un chantier de simplification des normes et des procédures en étroite association avec les élus locaux (institution de guichets et d'autorisations uniques, utilisation du foncier, procédures d'appels d'offres, conditions de raccordement, modalités de participation, délais de recours et planification territoriale). Les services de l'État, centraux et déconcentrés, doivent être mobilisés et confortés pour traiter rapidement les projets en attente. Une attention particulière doit être accordée aux zones non interconnectées (ZNI) au réseau métropolitain territorial 153 ( * ) , où de nombreux projets sont en suspens. Le cadre de soutien nécessite d'être consolidé : d'une part, les dispositifs encore attendus doivent être appliqués (tarifs d'achat des installations de biogaz de 300 Nm3/h et projets hydrauliques entre 1 et 4,5 MW, certificats de production et garanties d'origine sur le biogaz) ; d'autre part, les fonds existants doivent être relevés (Fonds chaleur renouvelable, Fonds décarbonation industrie) ; enfin, les exonérations fiscales facultatives peuvent être étendues (Imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux - IFER, contribution économique territoriale - CET, taxe foncière sur les propriétés bâties - TFPB, taxe foncière sur les propriétés non bâties - TFPNB). Pour ne pas déstabiliser le cadre juridique existant, l'application du Paquet Ajustement à l'objectif 55 doit être exempte d'effets rétroactifs. À plus long terme, les objectifs afférents aux énergies renouvelables nécessitent d'être relevés, notamment pour l'hydroélectricité, le biogaz et les biocarburants, dans le cadre de la loi quinquennale sur l'énergie de 2023.

Recommandation n° 24 :

Accélérer le déploiement des énergies renouvelables, en :

- engageant un chantier de simplification des normes, en étroite association avec les élus locaux (institution de guichets et d'autorisations uniques, utilisation du foncier, procédures d'appels d'offres, conditions de raccordement, modalités de raccordement, délais de recours, planification territoriale) ;

- consolidant les dispositifs de soutien (budgétaires, extrabudgétaires et fiscaux) ;

- relevant les objectifs (dont hydroélectricité, biogaz ou biocarburants).

C. POUR RÉDUIRE NOS DÉPENDANCES DANS LE SECTEUR DE LA DONNÉE, INVESTIR DANS LES INFRASTRUCTURES NUMÉRIQUES ET DE TÉLÉCOMMUNICATIONS

1. Instaurer une juste contribution des plateformes au déploiement des réseaux de télécommunications afin de mieux maîtriser l'avenir de nos infrastructures

Les infrastructures terrestres de télécommunications , que sont notamment les câbles, les lignes d'alimentation, les pylônes, les commutateurs et les antennes, sont indispensables pour communiquer, échanger des informations, se connecter à Internet et aux réseaux de téléphonie, et à l'ensemble de activités économiques et sociales du quotidien : elles représentent la dimension physique et matérielle de notre vie numérique . Selon le journaliste Guillaume Pitron, dont le dernier ouvrage L'Enfer numérique : la face cachée de nos e-mails (2021) s'intéresse aux infrastructures « invisibles » de nos vies connectées, « le numérique est en passe de devenir la plus grande infrastructure construite et déployée par l'Homme ».

Source : Arcep.

Afin de garantir une connectivité de qualité sur l'ensemble du territoire, s'adapter aux avancées technologiques et répondre aux nouvelles exigences des usagers en matière de qualité de débit, de rapidité de connexion et de résolution, les opérateurs d'infrastructures de télécommunications investissent de plus en plus pour augmenter la capacité de leurs réseaux et leurs performances. Selon la dernière étude de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep), les opérateurs d'infrastructures ont investi 12,6 milliards d'euros en 2020 , hors achats de nouvelles fréquences mobiles 154 ( * ) , essentiellement pour assurer le déploiement des réseaux très haut débit, de la fibre optique et des premières installations 5G .

La hausse récente des investissements des opérateurs de télécommunications s'explique aussi par la nécessité de s'adapter aux nouveaux usages numériques des consommateurs, qui engendrent une hausse du trafic que les infrastructures et les réseaux de télécommunications doivent être en mesure d'absorber. Il s'agit en particulier de la forte hausse de la consommation de vidéos à la demande provoquée par le développement des grands fournisseurs américains de services et contenus.

La Fédération française des télécommunications (FFT), l'Association européenne des exploitants de réseaux de télécommunications (ETNO) et l'Arcep parviennent à des conclusions similaires : en France, plus de 50 % du trafic Internet provient de cinq entreprises dont les quatre principaux fournisseurs de contenus (Netflix, Google, Facebook, Amazon) et un diffuseur de contenus (Akamai 155 ( * ) ) avec des pics d'activité enregistrés aux alentours de 18 heures.

Dans les années à venir, les opérateurs de télécoms anticipent, à l'échelle de l'Union européenne (UE), une multiplication de leurs investissements par 2,5 d'ici 2027, soit une hausse de 300 milliards d'euros 156 ( * ) . En France, la FFT estime à 10 milliards d'euros le montant annuel d'investissements supplémentaires que devront réaliser les opérateurs d'ici 2030 pour s'adapter à la hausse du trafic 157 ( * ) , ce qui s'expliquerait par une hausse :

• de la consommation individuelle de données qui devrait être multipliée par cinq d'ici 2030 , passant de 11,5 giga-octets (Go) par consommateur et par an à 55 Go par consommateur et par an ;

• des référentiels de qualité et de résolution d'images avec un passage attendu de trente à soixante images par seconde ;

• des services de contenus à la demande dont certains, tels que les technologies métaverses (mondes virtuels) développées par le groupe Méta (Facebook), requièrent une très forte capacité des réseaux de télécommunications.

Ce besoin croissant d'investissements soulève des enjeux de souveraineté , dans la mesure où, tandis que les opérateurs européens et français de télécommunications investissent lourdement, les grandes entreprises américaines du numérique sont les principaux bénéficiaires de ces investissements dans l'infrastructure, auxquels ils ne contribuent pas financièrement. De surcroît, cet investissement privé est largement soutenu par des investissements publics nationaux et européens. Ainsi, « il y a atteinte à la souveraineté au sens où de grands acteurs internationaux, sans qu'ils n'aient à participer aux coûts de déploiement qu'ils engendrent, ont l'entière liberté d'imposer aux opérateurs nationaux de leur fournir des débits sans cesse croissants pour écouler leur trafic » 158 ( * ) .

Source : Arcep.

Dans ce contexte, les 87 opérateurs européens de télécommunications appellent depuis plusieurs mois de manière unanime à la mise en place d'un « droit de péage », c'est-à-dire d'une contribution financière de Google, Apple, Facebook, Amazon, et Microsoft (des Gafam) à l'utilisation des réseaux de télécommunication . Cette proposition est ancienne, mais a récemment reçu le soutien politique de Margrethe Vestager, commissaire européenne à la concurrence et vice-présidente exécutive de la Commission européenne et de Thierry Breton, commissaire européen au marché intérieur. Ce dernier a déclaré en mai dernier : « le principe est acquis . Les règles en place depuis vingt ans arrivent à bout de souffle et les opérateurs n'ont aujourd'hui plus le juste retour sur leurs investissements. Il faut réorganiser la juste rémunération des réseaux » 159 ( * ) .

Au-delà de la juste rémunération des réseaux, instaurer un mécanisme de contribution financière des Gafam doit aussi permettre d'assurer un retour sur investissement des moyens publics alloués chaque année au développement des réseaux de télécommunications. L'annonce par Thierry Breton du dépôt d'un projet législatif européen sur ce sujet d'ici la fin de l'année 160 ( * ) est donc la bienvenue.

Ce projet législatif devrait fixer le cadre réglementaire nécessaire à l'instauration d'une telle contribution financière afin d'encadrer et d'harmoniser les négociations des opérateurs de télécommunications avec les fournisseurs de contenus et de diffusion de contenus (l'accès de ces fournisseurs aux réseaux de télécommunications se négociant aujourd'hui essentiellement par des contrats relevant du droit privé des affaires). Dans cette perspective, les rapporteurs recommandent de :

• demander à l'Organe des régulateurs européens des communications électroniques (Orece) de réaliser une étude d'impact indépendante sur ce sujet, car, aujourd'hui, seules des études réalisées par les opérateurs de télécommunications et leurs représentants d'intérêt sont disponibles. Cette étude d'impact devrait notamment évaluer les effets de l'instauration d'une telle contribution financière pour les consommateurs finaux dont le prix des abonnements à des plateformes de diffusion de contenus audiovisuels pourrait augmenter ;

• étendre le pouvoir de collecte de données de l'Orece afin qu'il puisse obtenir les informations relatives aux volumes de données générés par chaque fournisseur sur le réseau de chaque opérateur européen de télécommunications dans le but de déterminer les modalités de calcul de la contribution financière envisagée ;

• confier à l'Orece une mission de fixation des montants et des modalités de calcul des contributions financières qui pourront être perçues auprès des fournisseurs de contenus et de diffusion de contenus afin d'appliquer des tarifs harmonisés au sein de l'Union européenne ;

• confier à l'Orece une mission de révision régulière de la méthodologie de calcul de la contribution financière et des tarifs fixés , en prenant notamment en compte d'éventuelles hausses de prix pour les consommateurs finaux ;

• mettre à jour les lignes directrices sur la neutralité de l'Internet édictées par l'Orece pour les autorités de régulation nationale (ARN), car il existe un risque de traitement inéquitable des fournisseurs selon leur contribution financière (dégradation de la diffusion des contenus et services en cas d'absence d'acquittement de la contribution financière, négociation d'avantages concurrentiels...) ;

• déterminer une procédure unifiée de règlement des litiges dans l'éventualité où un fournisseur de contenus ou de diffusion de contenus ne s'acquitterait pas de la contribution financière due aux opérateurs de télécommunications ou en cas de contestation relative au montant de la contribution perçue.

Recommandation n° 25 :

Élaborer une proposition de règlement européen sur la contribution des plateformes au financement des réseaux de télécommunications permettant à l'Organe des régulateurs européens des communications électroniques de :

- collecter les informations nécessaires à la détermination de la méthodologie de calcul de la contribution financière envisagée ;

- fixer des tarifs harmonisés pour tous les opérateurs européens de télécommunications ;

- réviser régulièrement la méthodologie de calcul et les tarifs fixés ;

- établir une procédure unifiée de règlement des litiges.

2. Élaborer un réseau résilient et souverain de câbles sous-marins reliant la France et les autres pays de l'Union européenne

Les câbles sous-marins de télécommunications sont des infrastructures maritimes hautement stratégiques et pourtant méconnues du grand public, car peu visibles. Or, 99 % du trafic Internet mondial transite par les câbles sous-marins de télécommunications, contre seulement 1 % par les satellites. Sans de telles infrastructures, il ne serait aujourd'hui pas possible d'émettre des appels téléphoniques vers l'international ou de consulter la grande majorité des sites Internet dont les données sont stockées à l'étranger, car les informations ne parviendraient pas jusqu'à nous.

Cartographie des câbles sous-marins reliant la France métropolitaine

Source : Submarine Cable Map, Données 2022.

Aujourd'hui, environ 420 câbles sous-marins de fibre optique sont répertoriés comme actifs dans le monde, dont environ 200 sont reliés au territoire européen. 28 câbles sont reliés à la France métropolitaine et 18 aux départements, régions et collectivités d'outre-mer (DROM-COM).

L'importance stratégique et la vulnérabilité des câbles sous-marins de télécommunications ont été mises en lumière en 2013 par les révélations du lanceur d'alerte Edward Snowden sur les systèmes d'écoute et d'espionnage développés par l'Agence nationale de renseignement des États-Unis (NSA) au moyen de l'interception des flux de données transitant par ces câbles. Plus récemment, dans le contexte de la guerre en Ukraine, des craintes ont été exprimées quant à la possibilité pour la Russie d'altérer la connexion Internet de l'Union européenne (UE) en sectionnant des câbles sous-marins les reliant aux États-Unis.

Au regard de ces évolutions récentes, les rapporteurs ont souhaité identifier les principales vulnérabilités de ce réseau et leurs conséquences sur la résilience et la souveraineté économique de la France et de l'UE .

Premièrement, le câble sous-marin de fibre optique est une infrastructure fragile du point de vue matériel . S'ils sont protégés et ensevelis jusqu'à deux mètres de profondeur à proximité des côtes terrestres et le long des plateaux continentaux, ils peuvent être simplement « posés » dans les grands fonds marins, sans protection supplémentaire, car moins accessibles.

Ainsi, les accidents, notamment liés aux activités de pêche et aux mouvements telluriques sous-marins, sont courants, d'autant qu'une surveillance constante du réseau s'avère matériellement impossible, comme le rappelle Jean-Luc Vuillemin, directeur réseaux et services internationaux d'Orange : « Il est impossible de protéger physiquement un câble sous-marin. On recense environ 1,2 à 1,3 million de kilomètres de câbles (6 000 kilomètres pour un câble transatlantique, 9 000 pour un câble transpacifique) » 161 ( * ) , ce qui représente plus de trois fois la distance de la Terre à la Lune.

Deuxièmement, la structure du réseau et le nombre de câbles sont des facteurs de vulnérabilité . Par exemple, en janvier 2022, l'éruption volcanique aux îles Tonga a endommagé le seul câble sous-marin les reliant au réseau mondial des télécommunications, privant ainsi la population de connexion Internet pendant plusieurs semaines. Plusieurs intervenants auditionnés par le Sénat ont donc insisté sur la nécessité de multiplier, de façon coordonnée, les liaisons par câbles sous-marins de télécommunications afin de permettre aux flux de données de pouvoir être acheminés dans tous les cas par des « routes alternatives ».

Ainsi, selon la chercheuse Camille Morel, « plusieurs facteurs de résilience entrent en jeu. D'abord, la multiplicité des différentes liaisons sous-marines permet de regrouper une certaine partie du flux d'un câble endommagé sur un autre » 162 ( * ) . De ce point de vue, les territoires ultramarins de la France sont particulièrement fragiles dans la mesure où seul un câble sous-marin de fibre optique relie les territoires de Wallis-et-Futuna, Saint-Pierre-et-Miquelon, la Polynésie française et de la Nouvelle-Calédonie tandis que la Guyane, la Guadeloupe, La Réunion, Mayotte et la Martinique disposent de plusieurs câbles les reliant au réseau mondial des télécommunications.

Troisièmement, la maîtrise de la chaîne technologique est également un facteur de vulnérabilité, dans la mesure où le secteur des câbles est une industrie très spécialisée et très concentrée au niveau mondial . Selon Alain Biston, président-directeur général d' Alcatel Submarine Networks (ASN) 163 ( * ) , il existe seulement trois entreprises dans le monde capables de maîtriser l'ensemble de la chaîne de valeur (activités de recherche et de développement, de fabrication, de pose et de maintenance des câbles), dont une entreprise américaine, une entreprise japonaise et une entreprise européenne d'origine française. ASN est une société de droit français, dont l'usine de fabrication est à Calais, mais qui est détenue à 100 % par le groupe finlandais Nokia. Elle est donc soumise au contrôle des investissements étrangers en France (IEF) et doit faire l'objet d'une attention particulière des pouvoirs publics, car il est impératif de préserver son implantation industrielle et son savoir-faire sur le territoire national.

Quatrièmement, la propriété des câbles sous-marins est aussi un facteur de vulnérabilité. Ils appartiennent en effet désormais principalement aux grandes entreprises américaines du numérique comme Facebook (Groupe Meta) ou Google (Groupe Alphabet). Ces sociétés investissent depuis plusieurs années dans ces infrastructures stratégiques indispensables à la commercialisation de leurs activités et services ainsi qu'à l'acheminement des flux de données qu'elles génèrent.

À la différence des investissements dans les infrastructures terrestres, les investissements dans les câbles sous-marins de télécommunications sont désormais portés par les Gafam (Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft) et la demande des NATU (Netflix, Airbnb, Tesla, Uber) qui disposent de la capacité financière nécessaire au financement de ces infrastructures et constituent désormais les premiers et principaux clients de l'industrie câblière. En effet, à l'exception sans doute du domaine militaire et du renseignement, il n'existe pas de commandes institutionnelles des ?États européens pour des câbles sous-marins de télécommunications .

Or, au regard de la remise en cause de la règlementation sur la neutralité de l'Internet aux États-Unis et des discussions parfois tendues entre l'Union européenne et les grandes entreprises du numérique, il n'est pas impossible que la régulation du trafic Internet transitant par les câbles sous-marins de propriété privée devienne, outre un avantage concurrentiel certain pour favoriser la diffusion de ses propres contenus, un nouveau levier de négociation dans les relations entre l'UE et les Gafam . Il est donc indispensable d'être prudents face aux éventuels « retours de bâton ».

Enfin, le manque de coordination politique et juridique des États européens est également un facteur de vulnérabilité , alors que les risques pour la souveraineté des États sont partagés au sein de l'UE. Chaque État membre a développé sa propre législation en matière de câbles sous-marins de télécommunications. De surcroît, en fonction de leur localisation, ces câbles ne sont plus soumis à la législation nationale mais aux conventions internationales.

Au regard de ces différents points d'attention, il apparaît indispensable de renforcer la coopération européenne sur ce sujet et d'inciter les États européens à élaborer un réseau indépendant de câbles sous-marins de télécommunications les reliant entre eux, sans connexion intermédiaire avec un État tiers .

Un tel réseau n'existe pas aujourd'hui, la grande majorité des câbles étant reliés aux États-Unis et aux autres régions du monde. Cela accroit la vulnérabilité de ces infrastructures aux évolutions du contexte géostratégique international .

Recommandation n° 26 :

Évaluer la faisabilité de constituer un réseau indépendant de câbles sous-marins de télécommunications reliant la France et les pays de l'Union européenne entre eux afin d'améliorer la résilience des infrastructures, la redondance des flux de données et la continuité du trafic Internet en cas d'incidents ou de menaces extérieures.

Ce réseau indépendant doit permettre d'améliorer la redondance des flux de données et la résilience de la France et des pays de l'Union européenne en cas d'incident ou de menace extérieure sur le réseau de télécommunications .

La mise en place d'un tel réseau suppose également de poursuivre les efforts de coordination entre les États membres , en particulier concernant la pose des câbles et la construction des stations d'atterrage qui permettent de relier ces câbles aux réseaux terrestres de télécommunications. En France, il existe quatre stations d'atterrage, une seule station pouvant assurer l'interconnexion de plusieurs câbles sous-marins. La plus importante des stations françaises est située à Marseille, septième hub Internet mondial.

À cet égard, plusieurs des personnes auditionnées par les rapporteurs ont mis en évidence les complexités administratives liées à la pose et à l'atterrage des câbles sous-marins. Cela porte préjudice à l'attractivité de la France dans ce domaine face aux politiques d'attractivité concurrentes mises en place par d'autres États européens , notamment le Portugal et le Royaume-Uni, ce dernier disposant de deux fois plus de câbles sous-marins de télécommunications que la France.

Selon Stéphane Lelux, président du groupe Tactis-Innopolis, « il ne faut donc pas négliger l'impact des procédures et des délais qui handicapent nos territoires. Nous l'avons expérimenté avec le câble reliant Saint-Pierre-et-Miquelon et le Canada, pour lequel deux ans d'études ont été nécessaires, pour seulement 80 kilomètres de tracé » 164 ( * ) . Selon la chercheuse Camille Morel 165 ( * ) , il faut effectivement entre deux ans et deux ans et demi en France pour obtenir une autorisation de pose de câble sous-marins sur le sol national , à l'issue d'une procédure particulièrement longue et complexe qui comprend une procédure d'autorisation d'occupation du domaine public maritime, une procédure environnementale, une procédure d'autorisation de prospection des fonds marins et une procédure de notification préalable au préfet maritime 166 ( * ) .

Malgré les récents efforts de rationalisation des pratiques administratives sur ce sujet, la simplification des procédures applicables à la pose des câbles sous-marins en France reste une priorité, en particulier pour les territoires ultra-marins ne disposant que d'un seul câble sous-marin de télécommunication et pour lesquels aucune autre infrastructure de redondance n'est prévue en cas d'incident .

Recommandation n° 27 :

Confier au Comité interministériel de la mer une mission de simplification de la procédure de demande de pose de câbles sous-marins sur le sol national, en particulier pour les territoires ultramarins.

3. Garantir la continuité numérique territoriale pour se doter enfin d'une politique de souveraineté numérique d'autosuffisance

La constitution d'un réseau européen indépendant de câbles sous-marins de communications électroniques n'est pas une fin en soi, mais une étape nécessaire et indispensable vers une véritable politique de souveraineté numérique d'autosuffisance .

Comme l'explique Jean-Luc Vuillemin, directeur réseaux et services internationaux d'Orange, « il faut penser la souveraineté numérique davantage sur les données que sur les infrastructures : les infrastructures suivent les services numériques » 167 ( * ) .

En effet, si les infrastructures constituent la « partie visible » des débats sur la souveraineté numérique, un point d'entrée nécessaire dans cette réflexion, il faut aussi s'intéresser au contenu de ces infrastructures et à leur rôle : à l'échange d'informations et le transport des flux de données reliant un utilisateur de services numériques, particuliers ou entreprises, à un contenu déterminé.

Or, les utilisateurs de services numériques et les contenus utilisés ne sont pas toujours localisés sur le même territoire . La très grande majorité de nos données est logée aux États-Unis : 80 % des flux générés, directement ou indirectement, par les internautes français sont stockés aux États-Unis , ce qui explique la dépendance de la France aux câbles sous-marins de télécommunications.

Nos habitudes et nos usages numériques déterminent les flux de données qui façonnent ainsi le réseau mondial des infrastructures de télécommunications. De très nombreux centres de données sont donc implantés à l'étranger, notamment aux États-Unis, bien que ces centres stockent les données des citoyens et des entreprises européens .

Source : Cloudscene, octobre 2021.

Or, plus la distance à parcourir entre les données et leurs utilisateurs est grande, plus il y a d'interconnexions entre les différentes infrastructures de télécommunications et plus le réseau est vulnérable. Il existe donc une véritable interdépendance entre les infrastructures terrestres et maritimes de télécommunications, qui doivent être pensées comme un ensemble stratégique cohérent : les câbles sous-marins européens devraient en priorité relier les centres de données implantés sur le territoire de l'Union européenne.

La constitution d'une « boucle régionale » indépendante requiert toutefois un changement significatif dans l'orientation des flux de données . Dans cette perspective, deux principaux leviers ont été identifiés par les rapporteurs :

• les changements d'habitude de consommation des services et contenus numériques par les particuliers et les entreprises afin de privilégier, par exemple, l'utilisation de sites Internet ou de plateformes de diffusion de contenus audiovisuels dont les données sont stockées sur le territoire de l'UE ;

• la localisation obligatoire des données des entreprises et des particuliers sur le territoire de l'UE.

Si le rôle des pouvoirs publics sur le premier levier semble limité à des mesures de sensibilisation des utilisateurs sur les risques liés à la consommation de services et de contenus numériques hébergés en dehors de l'UE, le second levier d'action identifié relève au contraire du domaine législatif.

De telles dispositions obligatoires ont d'ores et déjà été adoptées par d'autres pays. En Russie, depuis l'entrée en vigueur de la loi fédérale n° 242 - FZ de 2014, les opérateurs de données personnelles (moteurs de recherche, réseaux sociaux, services de messagerie, etc.) doivent s'assurer que, lors de la collecte de ces données, l'enregistrement, la systématisation, l'utilisation, le stockage, la modification et l'extraction des données personnelles des citoyens russes sont effectués à partir de bases de données situées en Russie.

Si aucun État membre de l'UE n'a pour l'instant établi une obligation générale de localisation des données sur son territoire, le Sénat se prononce depuis plusieurs années en faveur d'une telle réglementation . En 2016, lors de l'examen en première lecture du projet de loi pour une République numérique, le Sénat avait adopté un amendement imposant le stockage des données personnelles des citoyens français sur le territoire européen, dans un contexte d'annulation par la Cour de justice de l'Union européenne de la décision d'adéquation de la Commission européenne encadrant les transferts de données personnelles vers les États-Unis. Cette disposition, qui n'a pas été retenue dans le texte final de la loi, avait reçu un avis défavorable du Gouvernement, qui estimait alors qu'une législation européenne serait plus appropriée. En 2020, plusieurs sénateurs ont, dans le même objectif, déposé une proposition de résolution européenne pour une localisation européenne des données personnelles 168 ( * ) qui invite notamment l'Union à imposer le traitement des données personnelles et des données industrielles par des entreprises européennes et à imposer la localisation européenne de ces données.

La proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant des règles harmonisées en matière d'accès loyal aux données et d'utilisation équitable des données ( Data Act ) pourrait aujourd'hui constituer un vecteur législatif approprié pour défendre l'adoption d'une telle réglementation.

Recommandation n° 28 :

Amender la proposition de règlement européen établissant des règles harmonisées en matière d'accès loyal aux données et d'utilisation équitables des données ( Data Act ) pour rendre obligatoire la localisation des données à caractère personnel des citoyens européens et des données des entreprises européennes sur le territoire de l'Union européenne.

III. LA SOUVERAINETÉ PAR L'INVESTISSEMENT DANS LES COMPÉTENCES ET LES MÉTIERS DE DEMAIN

A. POUR RÉINDUSTRIALISER LA FRANCE ET ASSURER LES GRANDES TRANSITIONS INDUSTRIELLES, MISER SUR LE RENOUVEAU DE L'EMPLOI ET DES COMPÉTENCES

1. Le déclin de l'industrie depuis quarante ans a pesé lourdement sur l'image de l'industrie et ses emplois
a) Après des décennies de déclin de l'industrie et de ses métiers...

Au cours des quarante dernières années, l'économie française a connu une désindustrialisation rapide et profonde, plus marquée que celle de ses voisins européens. La part de l'industrie manufacturière (hors industrie extractive) représentait 10,2 % du produit intérieur brut en 2016, contre 20,6 % en Allemagne, 14,6 % en Italie et 12,8 % en Espagne.

Traduisant cette chute du poids de l'industrie dans le PIB et dans la valeur ajoutée au profit de celle du secteur tertiaire, l'emploi industriel s'est en parallèle fortement contracté. Entre 1974 et 2020, environ 2,5 millions d'emplois industriels ont été détruits en France , le nombre de personnes employées dans l'industrie passant de 5,4 millions d'actifs à 2,9 millions d'actifs environ.

Source : Commission des affaires économiques du Sénat, données France Stratégie
Les politiques industrielles en France , novembre 2020.

Peu de secteurs échappent à ce constat global de déclin de l'emploi industriel. En volume, comme en proportion, le secteur de la fabrication de textile, d'habillement, de cuir et de chaussures a été le plus touché (- 705 000 emplois, soit - 88 % de l'emploi de 1974), de même que la métallurgie (- 439 000 emplois, soit - 54 %). Bien que représentant un nombre d'emplois plus modeste, le secteur extractif s'est également contracté de 83 % (soit 73 000 personnes), et les secteurs de la fabrication de matériels de transport et celui de la fabrication de machines et d'équipements ont respectivement détruit 269 000 et 165 000 emplois (soit 59 % et 54 % de l'emploi de 1974).

Source : Commission des affaires économiques du Sénat, données France Stratégie
Les politiques industrielles en France , novembre 2020.

Le secteur de la production et distribution d'eau, de l'assainissement, du traitement des déchets et de la dépollution est une exception notable : il a créé près de 88 000 emplois sur la période, soit une hausse des effectifs d'environ 118 %, qui traduit l'essor d'une filière qui s'est construite au fur et à mesure de l'évolution des normes en matière de recyclage, de dépollution et de santé publique. L'industrie agroalimentaire a également créé des emplois à hauteur de 62 000 postes (+ 11 %), de même que l'industrie pharmaceutique (+ 5 %).

Plusieurs facteurs ont contribué à cette contraction générale de l'emploi industriel. Tout d'abord, le progrès technique et l'accroissement de la productivité ont réduit les besoins pour certains emplois ouvriers ou intensifs en main-d'oeuvre, dont les tâches peuvent être effectuées plus efficacement. D'autre part, le phénomène de glissement vers le secteur tertiaire a réduit la part de l'activité rattachée à l'industrie en France. L'externalisation des fonctions supports et administratives, voire de certains services de maintenance, a été particulièrement marquée dans le secteur industriel : environ 17 % de la réduction de l'emploi industriel entre 1974 et 2017 s'expliquerait par ces transferts au secteur tertiaire. Le déclin de l'emploi industriel français reflète surtout, bien entendu, les nombreuses fermetures de sites qu'a connues le pays, au rythme de l'évolution de la compétitivité, des délocalisations et de la hausse des importations .

b) ... le lien entre les Français et l'industrie s'est distendu et la menace d'une perte de compétences est réelle
(1) Une crise d'attractivité qui peine à se résorber

Après des décennies de contraction du secteur, seul un Français sur dix travaille aujourd'hui dans l'industrie, contre un quart environ il y a quarante ans. Sans surprise, cet éloignement résulte aujourd'hui en une certaine désaffection envers les emplois manufacturiers.

En dépit des efforts de sensibilisation et de communication menés par l'État, les industriels et les collectivités territoriales au cours des dernières années, l'industrie souffre toujours d'une image vieillissante, fondée sur des images qui ne correspondent plus à la réalité . Certains des métiers considérés comme particulièrement en tension aujourd'hui sont d'ailleurs ceux dont les noms évoquent des métiers anciens, comme les chaudronniers ou les soudeurs.

Plus généralement, les fermetures de sites des décennies précédentes, et le peu d'attention portée par les politiques publiques au secteur industriel ont pu laisser l'impression d'un secteur « sinistré », frappé par les délocalisations, l'instabilité et la précarité . Selon une étude récente, une grande majorité de Français associe aujourd'hui encore l'industrie au déclin (83 %), à la hausse du chômage et à la perte d'emplois (91 %). 169 ( * )

Il existe pourtant là un paradoxe français : en dépit de cette image négative persistante, 95 % des Français considèrent que la réindustrialisation doit être une thématique prioritaire de politique publique, 90 % que l'industrie est une fierté pour les régions, et 92 % que les produits industriels français sont de bonne qualité, selon des sondages récents.

Source : Enquête IFOP-UIMM,
Les Français, l'industrie et le déclin des territoires , février 2022.

Ces chiffres traduisent, peut-être, enfin un changement de regard sur le secteur industriel. En effet, l'image que la majorité des Français se fait de l'industrie ne correspond depuis plusieurs années déjà plus à la réalité .

L'industrie française offre en effet aujourd'hui des emplois en moyenne bien plus qualifiés qu'hier , ou que ceux de l'économie dans son ensemble d'ailleurs. Ce sont en très grande majorité des emplois stables , 92 % des recrutements effectués par les entreprises industrielles prenant la forme d'un CDI (même dans le contexte difficile d'après-crise du Covid-19) et, en 2022, 73,7 % des recrutements envisagés dans l'industrie sont des CDI 170 ( * ) . 28 % des postes ouverts en 2022 visent à développer une nouvelle activité , par opposition à une réponse temporaire à des besoins ponctuels ou cycliques : il s'agit du taux le plus fort de tous les secteurs économiques, selon l'étude « Besoin de main d'oeuvre 2022 » de Pôle emploi. Enfin, les rémunérations offertes sont , pour la branche métallurgique et selon l'UIMM, supérieures de 13 à 15 % à la rémunération moyenne des salariés de l'ensemble des secteurs français , certaines branches ayant par ailleurs pris des engagements spécifiques de revalorisation salariale. L'image vieillissante d'une industrie peu robotisée et peu décarbonée est elle aussi heureusement en train de changer, à la faveur des efforts consentis en matière d'innovation, de numérisation et de transition énergétique .

La parole aux entreprises - L'image vieillissante de l'industrie

La mission d'information a entendu plusieurs entreprises des secteurs de la mécanique, de la chimie et de l'automobile, confrontées aux difficultés de recrutement.

Une entreprise du secteur de la mécanique, employant environ 800 personnes et en croissance, a exposé ses difficultés à recruter de nouveaux employés, estimant que l'industrie a « perdu la bataille de l'attractivité ». Elle cite de forts besoins de recrutements, en particulier pour la maintenance industrielle, la mécanique, le soudage et la robotique. Pour l'expliquer, l'entreprise cite comme facteur l'image vieillissante de l'industrie , due en partie à des années de sous-investissement dans l'outil de production en raison du poids de la fiscalité et des faibles marges, et ce, bien que ce constat ne soit désormais plus fidèle grâce à la modernisation et l'investissement des dernières années. Elle estime également que les efforts de sensibilisation à l'industrie au cours de l'éducation pourraient être accrus , en misant sur l'attractivité de la numérisation et de la décarbonation de l'industrie.

(2) La pyramide des âges de l'industrie fait craindre une perte durable de compétences et de savoir-faire

En sus d'un déficit d'image et d'attractivité, la désindustrialisation a laissé des traces concrètes au sein des entreprises industrielles, confrontées à un enjeu de renouvellement générationnel particulièrement marqué .

Dès aujourd'hui, les établissements sont confrontés au départ des employés les plus âgés, qui représentent une part plus importante des personnels dans l'industrie que dans tout autre secteur économique - à l'exclusion de l'agriculture.

En 2014, une étude - presque prémonitoire aujourd'hui - conduite par l'observatoire de la métallurgie alertait déjà sur cet enjeu, notant qu'environ un employé de l'industrie sur trois avait plus de 50 ans en 2012 . Dix ans plus tard, ces personnes approchent l'âge de la retraite ou ont déjà quitté la vie active, tendance que l'on peut directement relier aux difficultés de recrutement actuelles. Dans la branche métallurgique , la part des personnels de plus de cinquante ans est particulièrement élevée, tandis que la part des moins de trente ans y est plus faible qu'ailleurs. Dans la filière de la chimie, 20 % des salariés ont plus de 55 ans en 2021 171 ( * ) .

D'après une étude plus récente de France Stratégie et de la DARES, d'ici 2030, le taux de départ moyen dans l'industrie sera supérieur à 35 %, contre 28 % dans le reste de l'économie : c'est-à-dire que plus d'un employé actuel sur trois aura quitté définitivement son emploi d'ici 2030 . Le taux de départ est particulièrement fort chez les ouvriers industriels des secteurs de l'industrie graphique, de la métallurgie, des équipements électriques et électroniques et de la mécanique 172 ( * ) .

Source : Commission des affaires économiques, données issues de l'étude prospective des besoins de recrutement dans la métallurgie à l'horizon 2025, Observatoire de la métallurgie, septembre 2014.

Ce constat soulève trois questions majeures :

• D'abord, les entreprises seront-elles en mesure, à volume d'activité constante, de remplacer dans des délais serrés une part importante de leur personnel au moment de leur départ, alors même que les métiers industriels restent peu attractifs ? À défaut, elles courent le risque de ne pas pouvoir transmettre, par la formation sur site et le renouvellement des personnels encadrants , les compétences et savoir-faire uniques qui ont fait leur force.

Si ce renouvellement ne peut s'effectuer dans de bonnes conditions, le ralentissement de certaines branches industrielles pourrait s'accélérer : ainsi, la seule branche de la métallurgie devrait recruter, entre 2021 et 2025, de 102 000 à 115 000 personnes par an - ouvriers qualifiés, techniciens, ingénieurs et cadres techniques - pour maintenir son activité, selon une étude de l'observatoire de la métallurgie. Dans la branche de la chimie, France Chimie anticipe un besoin de recrutement de 120 000 personnes sous cinq ans, au vu notamment de l'émergence de filières françaises de fabrication de batteries électriques ou dans le secteur de l'hydrogène. Le secteur ferroviaire estime que 17 600 recrutements seront nécessaires entre 2020 et 2030, dans des domaines tels que la maintenance, la qualité-sûreté ou l'intégration. À l'heure où la France fait de la souveraineté industrielle et de l'autonomie stratégique des priorités, il serait dramatique de voir, par exemple, la production française de métaux disparaître faute de recrutements.

UNE PERTE DE COMPÉTENCE QUI MET EN DANGER LA RELANCE DE LA FILIÈRE NUCLÉAIRE

Dans son rapport sur le chantier de l'EPR de Flamanville 173 ( * ) , Jean-Martin Folz a imputé les difficultés rencontrées à une « perte de compétence généralisée » .

Cela s'explique par le fait que la construction des derniers réacteurs remonte en France à 1984 (pour Chooz B1) et 1991 (pour Civaux 2). Avec les départs en retraite non compensés, il en a résulté une rupture dans la transmission du savoir et du savoir-faire (maîtrise d'oeuvre, bureau d'études, fabrication de composants, réalisation de soudures).

Pour sortir de cette situation, il est crucial de développer aujourd'hui un plan ambitieux d'attractivité sur les métiers et les compétences de la filière nucléaire, en veillant à la qualité, à la sûreté, à l'innovation et à la digitalisation.

C'est la responsabilité de l'État , dont les politiques d'éducation nationale et d'enseignement supérieur doivent s'articuler sur ce point avec les politiques d'économie et d'énergie. C'est aussi la responsabilité de la filière , le Plan Excel du groupe EDF et le Projet Match du Gifen devant être dimensionnés en fonction de la relance.

• Ensuite, face à cette situation, l'industrie court le risque de voir son lien avec les jeunes Français se distendre encore davantage d'année en année . La difficulté à attirer de jeunes employés peut enclencher un « cercle vicieux » du point de vue de l'attractivité des entreprises, qui ne bénéficieront ni du rajeunissement progressif de leurs équipes ni de l'effet d'entraînement par la voie du « bouche à oreille » ou de l'exemple.

• Enfin, le vieillissement de la pyramide des âges fait peser un risque sur la transmission des entreprises elles-mêmes , de nombreux dirigeants - surtout dans le cas des petites et moyennes entreprises - approchant la fin de leur vie active. C'est là un enjeu de pérennité et d'ancrage du tissu industriel français : faute de repreneurs et de renouvellement générationnel, les entreprises pourraient voir leur performance se réduire, voire faire l'objet d'acquisitions par des entités étrangères , les rendant plus vulnérables à la délocalisation ou à la fermeture. Une telle dynamique pourrait mettre en péril la structure d'écosystèmes industriels entiers, si des maillons essentiels des chaînes de valeur venaient à être fragilisés .

UNE PROBLÉMATIQUE DE TRANSMISSION QUI CONCERNE ÉGALEMENT LE SECTEUR COMMERCIAL

Bien que les risques de délocalisation ne soient pas de même nature dans le secteur commercial que dans celui de l'industrie, les difficultés de transmission des petits commerces font courir également le risque d'une perte importante de compétences dans ce segment majeur de l'économie française, alors que 59 % des communes du pays ne disposent plus d'aucun commerce de proximité en 2017 174 ( * ) . Compte tenu de la perte d'attractivité de certaines zones rurales ou hyper-rurales, ce phénomène risque de s'accroître dans les années à venir.

La commission des affaires économiques du Sénat, conjointement avec celle de l'aménagement du territoire et du développement durable, a mis en avant en mars 2022 un ensemble de 43 mesures 175 ( * ) , déclinées en 10 axes, afin de soutenir le commerce en milieu rural. Parmi celles-ci figurent plusieurs pistes pour favoriser la reprise de commerces et d'artisanats dans les zones rurales caractérisées par des enjeux importants d'accessibilité aux commerces et services, reprises infra .

Les travaux des deux commissions ont en effet permis de révéler un accompagnement (notamment financier) et une formation insuffisants des repreneurs potentiels d'un commerce, décourageant ce type d'initiatives et contraignant souvent le chef d'entreprise à fermer son entreprise lors du départ à la retraite plutôt qu'à transmettre le bail, les compétences et le savoir-faire à un repreneur.

Enfin, les rapporteurs souhaitent souligner que l'enjeu d'attractivité et de renouvellement porte tout autant sur l'inclusion des jeunes que sur la féminisation de l'industrie . En 2022, les femmes restent nettement minoritaires parmi les employés du secteur industriel . Selon l'UIMM, le taux de féminisation stagne autour de 29 % depuis près de dix ans, en dépit d'initiatives telles que le collectif « IndustriElles » ou le plan d'action en faveur de la mixité et de l'égalité professionnelle dans l'Industrie, lancé en 2019. Cet état de fait va à l'encontre du principe d'universalité et d'accessibilité de l'emploi, contribue à perpétuer des images erronées de métiers « physiques » ou « manuels » adaptés aux seuls hommes, et prive les entreprises industrielles d'un vivier important de jeunes talents.

La parole aux entreprises - Le renouvellement générationnel

La mission d'information a entendu plusieurs entreprises des secteurs de la mécanique, de la chimie et de l'automobile, confrontées aux difficultés de recrutement.

Une entreprise de la mécanique a indiqué aux rapporteurs que « les métiers sur lesquels se portent les difficultés sont ceux fondés sur l'expérience et que l'on retrouve dans l'ensemble de l'industrie mécanicienne : techniciens d'usinage (tourneurs, fraiseurs, ajusteurs...), techniciens de maintenance spécialisés ou en automatisme, soudeurs... » . Elle a indiqué qu'elle devait parfois recruter des candidats hors de France faute de compétences disponibles dans son territoire. Selon elle, l'efficacité des aides à la modernisation et à la numérisation du plan de relance et des plans d'investissements peut être remise en cause, car « l'investissement est rendu possible, mais la compétence nécessaire derrière les machines ne peut s'acheter » . Bien que l'entreprise fasse du renouvellement générationnel un enjeu majeur, elle a indiqué que « les métiers techniques nécessiteront une passation de savoir et d'expérience, mais il n'est pas économiquement envisageable de doubler l'ensemble des postes avant des départs en retraite, par ailleurs incertains ».

(3) Les systèmes d'éducation et de formation ne sont plus orientés vers l'industrie, malgré un effort timide sur l'apprentissage

De manière plus préoccupante, les auditions menées par les rapporteurs ont révélé que les systèmes d'éducation et de formation sont aujourd'hui, du point de vue des industriels, insuffisamment orientés vers l'industrie , et ne permettent plus à celle-ci de pourvoir à ses besoins.

Dès l'élémentaire et le primaire, les élèves français ont aujourd'hui un niveau en mathématiques inférieur à celui de leurs homologues de l'OCDE : 2 % des élèves français ont un niveau jugé « élevé », contre 11 % en moyenne au sein de l'OCDE, ce qui place la France au dernier ou avant-dernier rang de ces 37 pays pour les niveaux du CM1 et de la 4 e . En parallèle, les moyens dédiés par l'État à l'éducation élémentaire et primaire sont plus faibles que dans le reste de l'OCDE (- 2 % et - 8 % respectivement).

Le récent rapport de la commission des finances du Sénat , Réagir face à la chute du niveau en mathématiques : pour une revalorisation du métier d'enseignant , présenté par Gérard Longuet en juin dernier, alertait déjà sur cette situation préoccupante. Ces carences, dès l'éducation élémentaire et primaire, peuvent très tôt contribuer à décourager les élèves de poursuivre des carrières techniques et scientifiques , qui pourraient les orienter vers les métiers industriels.

Source : UIMM, 2021.

L'enseignement technique et professionnel est encore trop souvent perçu comme une voie « secondaire » ou « par dépit », que cela soit par méconnaissance ou en raison des imperfections du système d'orientation français . Les élèves s'y trouvent, encore aujourd'hui, plus souvent en situation d'échec scolaire que dans les filières d'enseignement général. Ces problématiques ont contribué à la baisse des effectifs des lycées techniques et professionnels , ceux-ci ayant décru de 8 % entre 2000 et 2018. 176 ( * )

Les rapporteurs s'inquiètent surtout de la quasi-disparition de certaines filières de formation initiale . Interrogée à ce sujet, l'UIMM a estimé que certains territoires se trouvaient dans une situation « à la limite de la désertification de l'offre de formation » , citant pour exemple le fait qu'il n'existe aujourd'hui en Bretagne que deux établissements proposant un Bac pro et un BTS « Outillage ». Cela engendre un « cercle vicieux », le peu de formations réduisant le nombre de candidats, et le manque d'intérêt perçu des étudiants justifiant en retour la fermeture de certaines formations. Autres exemples parlants : la disparition de la formation initiale de soudeur, pourtant nettement identifié comme métier en forte tension ; ou des formations aux métiers de traitement de surface.

La parole aux entreprises - L'insuffisance du système de formation

La mission d'information a entendu plusieurs entreprises des secteurs de la mécanique, de la chimie et de l'automobile, confrontées aux difficultés de recrutement.

Une entreprise du secteur du caoutchouc a indiqué être particulièrement inquiète de l'état de la formation en France , véritable enjeu de souveraineté. Elle a par exemple dû recruter des data scientists en Inde, faute de candidats sur ces postes en France. Elle note que bien que des efforts sont faits par les régions et l'Éducation nationale, beaucoup d'entreprises en sont réduites à mettre en place des dispositifs individuels ad hoc de formation pour répondre aux carences identifiées, courant le risque de multiplier les dispositifs avec une coordination insuffisante.

Une entreprise du secteur de l'automobile a elle aussi témoigné de difficultés persistantes de recrutement depuis sept ou huit ans, en particulier sur les métiers de la maintenance et de l'impression sérigraphique, notant sur ce point que « les sérigraphes en France sont désormais quasi introuvables », tendance qui ne se retrouve pas à l'échelle européenne. L'entreprise a ainsi mis en place ses propres programmes de formation diplômante, peinant toutefois à pourvoir l'ensemble des places disponibles . Elle a également souligné le peu de soutien de l'Association nationale de la recherche et de la technologie dans la mise en oeuvre des conventions industrielles de formation par la recherche (Cifre) des doctorants.

En complément de ces témoignages, l'ARIA Hauts-de-France a souligné que le contexte économique difficile - 45 % des entreprises de la filière automobile étant déficitaires en 2020 et 2021 - ne favorise pas l'investissement dans les compétences et dans la formation. L'investissement public sur cette thématique est donc particulièrement nécessaire.

2. Alors que les grandes transitions offrent une opportunité de réindustrialisation sans précédent, l'industrie recrute, mais rencontre des difficultés historiques pour répondre à ses besoins
a) Les recrutements nécessaires se heurtent à une pénurie de candidats et de talents

De fait, dès aujourd'hui, l'industrie française recrute, dans l'ensemble des secteurs .

En 2022, les intentions d'embauche sont en hausse de 24 % environ - la dynamique étant particulièrement marquée dans le secteur de la métallurgie et celui des équipements électroniques et informatiques, avec 42 % et 38 % respectivement 177 ( * ) . Ces chiffres particulièrement élevés ne s'expliquent pas uniquement par le « rebond » consécutif à la crise économique liée à la pandémie de Covid-19, mais traduisent aussi des tendances de fond.

D'abord, comme évoqué plus haut, l'industrie doit faire face au renouvellement générationnel de ses employés et remplacer les nombreux départs définitifs.

Ensuite, les filières industrielles s'engagent dans les transitions énergétiques, environnementales et écologiques, en adaptant leurs produits et leurs métiers aux nouvelles exigences des consommateurs et de la réglementation. Ces mutations font appel à de nouveaux talents et génèrent des besoins de recrutement spécifiques : écoconception, impression 3D, 5G et usine connectée, cybersécurité, énergies renouvelables...

Enfin, le déploiement d'une politique de long terme de « relocalisation », ou en tout cas de réindustrialisation , impliquera aussi de mobiliser les compétences nécessaires à certains types de production : si la France souhaite compter dans la future chaîne de valeur européenne des composants électroniques et des batteries électriques de véhicules, son industrie devra recruter pour faire émerger de véritables écosystèmes locaux.

En dépit de ces enjeux nettement identifiés, l'industrie peine durablement à pourvoir à ses besoins de recrutement .

Avant même que la pandémie de Covid ne frappe les entreprises françaises, en 2019, 50 000 emplois industriels n'étaient pas pourvus . Ce chiffre s'établissait en 2021 à 70 000 postes, dont près de la moitié dans le secteur de la métallurgie , selon les chiffres fournis aux rapporteurs par l'UIMM. En 2022, plus d'une entreprise industrielle sur trois (37 %) cherche à pourvoir des postes , contre 28 % en 2021.

Source : Chiffres transmis par l'UIMM.

Plus d'un projet de recrutement sur deux (62 %) se heurte dans les faits à de fortes difficultés de recrutement , en raison principalement d'un nombre de candidats insuffisant ou d'un manque de compétences adaptées , selon l'enquête Besoins en main d'oeuvre réalisée en 2022 par Pôle emploi. Parmi les très nombreux métiers industriels touchés, quatre métiers font face à une pénurie structurelle : les chaudronniers, tôliers, traceurs, serruriers, métalliers et forgerons (85 % de recrutements difficiles) ; les soudeurs (80 %) ; les ouvriers qualifiés travaillant par enlèvement de métal (79 %) ; et les techniciens et agents de maîtrise de la maintenance et de l'environnement (77 %) ; représentant ensemble près de 21 000 projets de recrutement difficiles en 2022.

Ces difficultés de recrutement sont plus marquées dans l'industrie que dans l'économie française dans son ensemble : selon l'UIMM, « les métiers en tension identifiés concernent pour près de 50 % les entreprises industrielles, qui ne représentent pourtant que 13 % de l'emploi total en France » . Si, dans certains bassins d'emploi, le faible taux de chômage peut expliquer une partie des difficultés de recrutement, le phénomène semble pourtant bien revêtir une portée plus structurelle, comme évoqué plus haut.

b) Les grandes transitions offrent pourtant une opportunité de réindustrialiser et de faire rebondir l'emploi industriel

Malgré un déclin de plusieurs décennies, l'emploi industriel en France s'est stabilisé au cours des dernières années , le pays ayant enregistré un solde positif de 80 000 postes entre 2017 et 2019 traduisant les résultats d'une politique de restauration de la compétitivité engagée depuis le milieu des années 2000. Bien que la crise liée à la pandémie de Covid-19 ait brouillé cette dynamique, il est probable que la prise de conscience de la nécessité de réindustrialiser le pays, ainsi que les exigences de transition de l'économie conduisent à un renouveau industriel et à un rebond de l'emploi du secteur .

Plusieurs projections récentes estiment ainsi que la part de l'industrie dans la valeur ajoutée de l'économie française ou dans le produit intérieur brut devrait se stabiliser à moyen terme, au vu des choix de politiques publiques qui s'opèrent aujourd'hui. Selon une étude conjointe menée par France Stratégie et de la DARES en mars 2022, intitulée « Quels métiers en 2030 ? », la part de l'industrie dans la valeur ajoutée totale se maintiendrait autour de 14 % d'ici 2030, en rupture avec la trajectoire de désindustrialisation des décennies précédentes . Dans une autre étude conduite par RTE, il est estimé qu'un scénario de « réindustrialisation profonde » pourrait faire remonter la part de l'industrie dans le PIB de 9,9 % en 2019 à 13 % en 2050 .

Dans ces différents scénarios, l'emploi industriel augmenterait significativement au cours de la décennie à venir . Selon France stratégie, il croîtrait de 45 000 à 65 000 postes d'ici 2030, les auteurs notant que « cette croissance de l'emploi des métiers industriels inverserait la tendance baissière de la décennie précédente (170 000 postes de métiers industriels détruits entre 2009 et 2019) » . Les secteurs des matériels de transport, de l'industrie pharmaceutique , des traitements de l'eau et de l'agroalimentaire seraient les principaux moteurs de l'emploi industriel en France pour les années à venir , en lien avec les enjeux environnementaux, alimentaires, de mobilité et de santé. Le secteur de la construction de machines et d'équipements pourrait aussi tirer parti de l'investissement accru des entreprises. Dans le scénario de « réindustrialisation profonde », l'investissement accru et les mutations en profondeur de l'économie bénéficieraient particulièrement aux secteurs des équipements informatiques, électroniques, électriques et à celui des machines. Enfin, le secteur du bois et de l'ameublement tirerait profit des évolutions de la réglementation environnementale des bâtiments tels que la « RE2020 ».

Il est particulièrement positif de noter que les projections obtenues dans le cadre d'un scénario de transition « bas-carbone » de l'industrie - 65 000 postes créés, soit 2 % de croissance de l'emploi industriel - sont supérieures à celles du scénario de référence, ce qui tend à démontrer que les coûts engendrés par la décarbonation et la numérisation de l'industrie pourraient être compensés par l'essor de nouvelles filières industrielles et de nouveaux produits, inversant la dynamique de désindustrialisation .

c) Une « guerre des compétences » a déjà cours dans les secteurs stratégiques

Face à ces transitions incontournables et à la concurrence internationale accrue, certains des industriels entendus par les rapporteurs estiment qu' une « guerre des compétences » a aujourd'hui déjà cours dans les secteurs industriels les plus stratégiques.

Cette compétition entre entreprises et entre pays est accentuée par la mobilité accrue des travailleurs et par l'internationalisation des parcours. Les zones transfrontalières y sont particulièrement vulnérables , notamment dans les régions françaises situées à proximité de l'Allemagne, de la Suisse ou du Luxembourg. Les témoignages des entreprises recueillis par le Sénat démontrent que les difficultés de recrutement y sont particulièrement fortes.

La parole aux entreprises - La guerre mondiale des compétences

La mission d'information a entendu plusieurs entreprises des secteurs de la mécanique, de la chimie et de l'automobile, confrontées aux difficultés de recrutement.

Une entreprise du secteur de l'automobile, active dans la mise en oeuvre des « gigafactories » de batteries électriques, a indiqué qu'une « guerre des talents » a déjà cours au niveau mondial pour les experts de la batterie, d'autres pays européens misant fortement sur cette thématique, avec un fort soutien financier. L'entreprise fait un effort spécifique sur la formation de jeunes afin de développer ces compétences auprès des experts existants, recrutant ces derniers à l'étranger (par exemple au Vietnam). Dans le cadre de l'implantation de nouveaux sites, elle a aussi indiqué fortement ressentir le manque d'opérateurs de maintenance notamment.

Une autre entreprise de la filière automobile a elle aussi mis en garde face à la compétition accrue entre entreprises internationales, mais aussi entre entreprises françaises, afin d'attirer les talents. Elle a indiqué que la mise en place de formations nouvelles, en grande partie par les entreprises, ne sera pas suffisante pour répondre à court terme aux très forts besoins, et que l'industrie française court le risque d'un « pillage » mutuel des compétences, ce qui serait « perdant-perdant » pour les filières .

La filière ferroviaire a également souligné ce risque de compétition accrue entre entreprises françaises et entre branches industrielles, qui risque d'aggraver le manque d'attractivité de certaines filières en particulier.

Face à cette situation, les filières industrielles s'efforcent d'identifier les activités les plus critiques pour les secteurs industriels , voire pour le reste de l'économie. L'Observatoire de la métallurgie identifie ainsi sept champs de compétences critiques , « indispensables à préserver ou à développer pour répondre aux besoins finaux du pays et maintenir un bon niveau d'activité et d'emploi aujourd'hui et demain », en lien avec des enjeux de souveraineté et la capacité à capter les marchés.

Source : Étude Observatoire de la métallurgie-OPCO 2i, Activités critiques , mai 2021.

Les compétences liées au numérique apparaissent en outre, de manière transversale, comme un enjeu de préoccupation majeure des entreprises industrielles , au regard tant des risques en matière de propriété intellectuelle ou de sécurisation des réseaux que de l'usage des nouvelles technologies de production, comme la 5G ou la fabrication additive. Pour que la France réussisse sa montée en puissance - ayant pris un retard relatif en matière de modernisation et de numérisation - il sera nécessaire que les systèmes d'éducation et de formation assurent un vivier de compétences suffisant et adapté.

Une enquête relative aux besoins en compétences des entreprises des secteurs aéronautique et spatial, menée fin 2020 en Occitanie 178 ( * ) , révèle ainsi l'étendue des besoins exprimés dès aujourd'hui. Plus de 40 % des entreprises déclarent des besoins en compétences numériques , au premier rang desquelles celles relatives à la continuité numérique des produits (suivi du cycle de vie), à la cybersécurité, aux big data , au cloud ou à l'intelligence artificielle, aux machines intelligentes ou encore à la maintenance prédictive. Seule une partie de ces besoins pourront être couverts par de la formation interne : des recrutements externes seront nécessaires en matière de cybersécurité ou de data science notamment.

La même étude cite également d'importants besoins en compétences techniques (plus de 50 % des entreprises) , notamment en ce qui concerne la fabrication et le traitement des matériaux . Près d'un tiers des entreprises ont des besoins en matière de formage et d'usinage innovants ou de fabrication additive. Figurent également parmi les besoins fréquemment cités les nouveaux matériaux, tels que les superalliages ou composites ou les systèmes électroniques embarqués. Au regard des évolutions de la réglementation environnementale, des compétences en matière d'écoconception , d'écologie industrielle des sites (valorisation des déchets, performance énergétique...), ou encore de nouvelles propulsions (hydrogène, hybride...) sont aussi recherchées.

3. Former les talents qui feront l'industrie de demain : un impératif de souveraineté

Pour que le pays puisse réellement saisir ces opportunités de réindustrialisation durable, décarbonée et modernisée , encore faudra-t-il résoudre le déficit d'attractivité des emplois industriels, combler les insuffisances du système d'éducation et de formation , et sortir les entreprises souhaitant recruter de l'impasse dans laquelle elles se trouvent aujourd'hui.

À défaut, la pénurie de talents qui s'annonce pourrait remettre en cause la souveraineté industrielle de la France et conduire à une désindustrialisation plus profonde encore .

a) Inverser la tendance en développant l'enseignement des sciences et la connaissance de l'industrie dès l'école

Les rapporteurs recommandent tout d'abord, dans la droite ligne du rapport de la commission des finances , présenté par Gérard Longuet en juin 2021 et intitulé « Réagir face à la chute du niveau en mathématiques : pour une revalorisation du métier d'enseignant », d'accentuer l'effort de l'Éducation nationale en faveur de l'acquisition des savoirs scientifiques , et notamment mathématiques.

Des moyens supplémentaires doivent être dédiés à cet objectif fondamental , afin de permettre que les enfants disposent, dès l'école, de classes de taille adaptée et d'enseignements de qualité. Les enseignants doivent eux aussi bénéficier d'un effort particulier de l'État, à la fois dans la classe grâce à des budgets adéquats, mais aussi en dehors, grâce à un mode de recrutement adapté et la poursuite des efforts de revalorisation salariale, surtout au sein du premier degré. La pénurie d'enseignants qui a déjà cours, particulièrement pour certaines matières, est très préoccupante et traduit une désaffection qui pourrait mettre en péril à long terme l'éducation des élèves et la réindustrialisation du pays. Enfin, il convient d'accentuer les efforts en faveur des élèves les plus fragiles, afin d'enrayer l'échec scolaire et de prévenir au plus tôt dans les parcours les risques de décrochage .

Ensuite, le lien entre les Français, surtout les nouvelles générations, et l'industrie, doit être réparé . Là où les élèves français sont aujourd'hui éloignés du monde de l'entreprise, il convient de multiplier les actions visant à susciter l'intérêt pour les métiers manuels , scientifiques ou de production ; et à améliorer la connaissance du secteur de l'industrie .

En dépit de certaines initiatives récentes, telles que la « Semaine de l'Industrie » créée en 2011, ou le « French Fab Tour », lancé en 2019, les personnes entendues par les rapporteurs ont déploré qu'il soit souvent difficile d'organiser des visites de classes au sein d'entreprises industrielles , en raison de la réticence des établissements scolaires et de l'image négative des lieux. Trop peu de présentations des métiers au sein des écoles sont aujourd'hui possibles, faisant persister certaines idées fausses sur l'industrie et continuant à distendre le lien entre industrie et jeunes générations.

Recommandation n° 29 :

Faire entrer l'industrie dans les écoles, et les écoles dans l'industrie. Encourager l'organisation de visites scolaires ou de stages en entreprise industrielle et de présentation des métiers industriels au sein des établissements, dans le cadre de l'enseignement primaire et secondaire. Refaire de l'orientation un temps fort de la scolarité.

b) Améliorer l'orientation des élèves et repenser les filières et diplômes de demain

Les auditions des rapporteurs ont révélé que l'orientation professionnelle, dans sa forme actuelle, est encore trop souvent vécue comme arbitraire, insuffisante et trop superficielle . Elle est en partie rendue responsable de la chute des effectifs en lycée professionnel ou technique et de l'image négative des métiers industriels, souvent décriés ou trop peu promus lors de l'orientation. De l'aveu de la Direction générale des entreprises (DGE), interrogée par les rapporteurs, « il apparaît d'ores et déjà une inquiétude des filières relative aux formations techniques/scientifiques de spécialité, la propension des étudiants à choisir des formations généralistes étant inquiétante au regard des besoins de l'industrie, toutes filières confondues, à l'instar d'une filière traditionnelle comme le Bois ou d'une filière technologique comme Nouveaux systèmes énergétiques. »

Dans la lignée des efforts menés depuis plusieurs années, les rapporteurs souhaitent que l'orientation des élèves devienne un moment fort et valorisé du parcours d'éducation. Lors de la formation des personnels d'orientation, le monde industriel devrait faire l'objet d'une attention particulière , pour mieux faire correspondre les perceptions des élèves et des conseillers avec la réalité des métiers industriels actuels. La multiplicité des acteurs intervenant aujourd'hui au sein du Service public régional de l'orientation nuit parfois à la lisibilité et à la coordination des efforts menés : il conviendrait d'y donner un rôle accru aux régions , qui connaissent bien les besoins de leurs territoires et la réalité du tissu économique, et sont des acteurs importants de la politique d'éducation et de formation. Dans cet effort, les acteurs publics pourraient s'appuyer sur les filières industrielles, qui mènent en parallèle nombre d'initiatives visant à restaurer l'attractivité de leurs métiers.

L'inadéquation des systèmes de formation aux métiers de demain et aux filières d'avenir a été soulignée par la majorité des personnes entendues par les rapporteurs. En conséquence, ceux-ci recommandent de mener à bien une grande étude nationale sur les filières et diplômes d'aujourd'hui et de demain , visant à combler les carences de certaines filières et à réorienter certains moyens vers les métiers et compétences stratégiques.

Des initiatives ont été récemment lancées, comme l'a signalé la Direction générale des entreprises : plusieurs filières industrielles se sont ainsi engagées, dans le cadre de leur comité stratégique de filière, à réaliser des « EDEC » (Élaboration d'engagements développement et compétence). Ces études visent à identifier les besoins en emploi, en compétences et en formation de chaque secteur, dans une logique prospective. La DGE anime également un groupe de travail inter-filières , logé auprès du Conseil national de l'industrie, étudiant les pistes de développement de l'attractivité des métiers industriels et préparant l'évolution des emplois et compétences. Enfin, une cartographie des besoins associés aux objectifs du plan « France 2030 » est en cours de réalisation par la DGE, devant identifier les besoins et adapter en conséquence l'offre de certifications et de formations aux « métiers du futur ». En effet - c'est un signal positif - le plan France 2030 prévoit la mise en place d'un appel à manifestation d'intérêt intitulé « Compétences et métiers d'avenir », qui consacrerait, si confirmé, près de 2 milliards d'euros à la création d'offres de formation initiale et continue .

Toutefois, plusieurs branches industrielles ne sont à ce stade pas concernées par ces différentes démarches. Il convient donc de poursuivre et d'approfondir cet état des lieux absolument nécessaire à la définition d'une politique de « souveraineté des compétences » .

Interrogé par les rapporteurs, l'UIMM estime qu'il existe aujourd'hui trois priorités. D'abord, le développement de filières de formation dans le secteur de l'électronique , nécessaires notamment à la production de cartes électroniques, avec un effort portant sur tous les niveaux de l'activité, depuis l'industrialisation au contrôle qualité, en passant par la production et les achats. L'UIMM estime que la sensibilisation doit intervenir dès avant le baccalauréat, afin d'orienter au mieux les élèves intéressés vers les formations de type BTS. La filière des savoir-faire traditionnels de la métallurgie et celle des outils du numérique sont également citées comme priorités.

Dans l'effort ultérieur de conception de nouvelles voies de formation, il sera essentiel de mieux associer les branches industrielles et leur connaissance première des besoins. Dans la recherche d'efficacité et de synergies, il sera également pertinent de travailler en « inter-filières », afin d'identifier les besoins communs, de rassembler certaines offres de formation, ou de travailler à des nomenclatures communes. Le ministre chargé de l'Industrie , aujourd'hui trop peu représenté dans le pilotage des lycées professionnels et techniques et de la formation initiale, pourrait aussi être mieux associé à ces réflexions.

Les représentants de l'industrie ont particulièrement alerté les rapporteurs sur ce point, rappelant que l'inertie naturelle du système d'éducation et la durée de mise en application concrète des réformes appellent une action rapide des pouvoirs publics pour anticiper et répondre aux enjeux de la décennie à venir .

Recommandation n° 30 :

- Mener à bien les études sur les filières et diplômes d'aujourd'hui et de demain, et en tirer les conséquences concrètes sur l'enseignement secondaire et supérieur, pour combler les carences sur certaines filières d'éducation et de formation initiale ;

- Repenser en particulier l'offre de formation dans les secteurs de l'électronique, de la métallurgie, du nucléaire et des outils numériques ;

- Confier au ministère chargé de l'industrie la compétence de la conception des filières de formation industrielle et le pilotage de l'enseignement professionnel et technique.

c) Poursuivre l'effort en faveur de l'apprentissage, y compris dans les lycées professionnels, et proposer un modèle de financement viable

Les rapporteurs se félicitent de la dynamique positive qui s'est enclenchée depuis plusieurs années en faveur de l'apprentissage , initiée en 2019 avec une hausse de 16 % du nombre d'apprentis (soit 370 000). Cet essor est un signal positif pour la transmission des compétences et le dynamisme des métiers de l'industrie.

Le succès du dispositif et le nombre croissant d'apprentis soulèvent néanmoins une forte interrogation sur le financement de l'apprentissage en France, sujet que la réforme opérée en 2018 a largement laissé de côté . Alors que le nombre d'apprentis a atteint 730 000 contrats, en 2021, France Compétences a été en 2021, comme en 2020, déficitaire , à hauteur de 3,5 milliards d'euros (contre 4,6 milliards d'euros en 2020). Le financement complémentaire octroyé par l'État à hauteur de 2,7 milliards d'euros n'est pas à la hauteur des enjeux, et ne permet pas d'offrir la visibilité nécessaire sur un modèle de financement pérenne du dispositif. Dans un rapport d'avril 2020, intitulé « Conséquences financières de la réforme de l'apprentissage et de la formation professionnelle », l'Inspection générale des finances et l'Inspection générale des affaires sociales estimaient ainsi que « sur la période 2020-2023, la réforme devrait produire [...] un besoin de financement de l'ordre de 4,9 milliards d'euros ».

Si la tendance de hausse du nombre d'apprentis, comme l'anticipe le rapport précité, se poursuivait dans les mêmes proportions, la question du financement deviendra incontournable : il convient que le Gouvernement se positionne clairement sur ce sujet, sous peine de faire peser une menace constante sur les ressources des centres de formation d'apprentis (CFA) et sur les finances publiques .

Une autre difficulté persistante a été soulignée au cours des auditions menées par les rapporteurs : la faible progression de l'apprentissage avant le bac, notamment au sein des lycées professionnels , pesant sur le taux d'insertion dans l'emploi.

Pourtant, comme l'ont souligné les représentants de l'industrie, « les difficultés de recrutement et de formation concernent au premier chef des postes d'ouvriers qualifiés - chaudronnier, soudeur, tôlier par exemple dans la métallurgie - qui correspondent à un niveau Bac Pro, voire CAP ». Dans une certaine mesure, la dynamique en faveur de l'apprentissage semble donc avoir raté une partie de sa cible et subir une forme de « déformation » en faveur des diplômes supérieurs.

Recommandation n° 31 :

- Accroître le financement de l'apprentissage en France, au regard du nombre croissant d'apprentis et dans l'objectif d'une réindustrialisation durable du pays ;

- Accentuer les efforts d'orientation vers l'apprentissage au sein des lycées professionnels et envers les métiers de niveau Bac pro ou BTS.

d) Développer la formation en situation de travail et mieux cibler les actions de formation sur les métiers en tension

Les insuffisances de la formation initiale et le risque pesant sur la transmission des compétences appellent à développer les dispositifs de formation en situation de travail , récemment reconnus par la loi et bien davantage utilisés dans d'autres pays.

Partant du constat que la formation, telle que conçue dans le système français, est encore trop souvent dispensée sous forme de stages déconnectés du site de production, de format plus « scolaire », et parfois inadaptés aux besoins de formation des entreprises, une expérimentation conduite entre 2015 et 2018 avait testé la mise en oeuvre de formations « in situ », au sein des entreprises. Face aux résultats encourageants de l'expérimentation 179 ( * ) , l a loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel a récemment donné une base légale à ces « AFEST », ou actions de formation en situation de travail .

Selon l'UIMM, de tels dispositifs sont déjà fréquemment utilisés en Allemagne, en Italie ou dans les pays scandinaves, à la différence de la France, qui ne les a pas encore réellement développés. Il s'agit pourtant d'une bonne opportunité de dispenser une formation théorique, complétée d'un apprentissage direct et concret des gestes de production, des machines utilisées, des processus spécifiques de production, sous la supervision d'un formateur en entreprise, particulièrement utile lorsqu'une offre générique de formation n'existe pas où que le besoin de l'entreprise est particulièrement spécifique.

L'État pourrait soutenir et encourager la mise en place d'AFEST , en simplifiant les conditions dans lesquelles elles peuvent être mises en oeuvre, en les articulant avec d'autres dispositifs de formation (tels que l'apprentissage), ou encore en « formant les formateurs ». Les filières industrielles pourraient également se saisir du dispositif, en créant des référents ou accompagnants dédiés au sein des branches, afin d'aider les petites et moyennes entreprises à mettre en oeuvre ces actions de formation.

D'autre part, l'État et les filières industrielles pourraient s'engager en faveur d'un meilleur ciblage de la formation continue sur les métiers en tension . L'UIMM, entendue par les rapporteurs, souligne en effet que le compte personnel de formation est, dans les faits, rarement utilisé pour des actions visant à l'obtention d'une certification professionnelle (deux dossiers sur dix environ).

Il ne s'agit ici bien entendu aucunement de remettre en cause le libre choix des formations retenues, mais pourraient être mises en place des incitations à choisir des formations débouchant sur des emplois recherchés et valorisés . Par exemple, l'opportunité de prévoir des dispositifs d'abondement par les entreprises des CPF, lorsqu'ils sont utilisés au profit de formations répondant à un besoin fort de compétences ou orientant vers des métiers en tension, pourrait être examinée. Toute évolution de ce type devra naturellement faire l'objet d'une concertation poussée avec l'ensemble des partenaires sociaux, afin de trouver un équilibre adéquat.

Cet enjeu de formation continue apparaît d'autant plus fort que les mutations économiques récentes ou à venir engendreront une demande accrue de reconversions professionnelles : tant d'un point de vue social que d'un point de vue économique, il sera pertinent d'orienter les personnes concernées vers des formations offrant de fortes chances de retrouver un emploi.

Recommandation n° 32 :

Améliorer encore la formation aux métiers, en début et au cours de la carrière, en :

- simplifiant le recours aux actions de formation en situation de travail (AFEST), consacrées par la loi en 2018, au potentiel encore sous-exploité ;

- faisant évoluer les dispositifs de formation continue afin d'accroître leur ciblage sur les métiers en tension et ceux offrant de fortes chances d'accès à l'emploi, par exemple en encourageant à développer des modes de co-financement des formations par l'entreprise lorsqu'elles visent à répondre à un besoin fort de compétences.

B. FORMER AUX MÉTIERS DU CLOUD : DES COMPÉTENCES À DÉVELOPPER ET UNE INDÉPENDANCE À PRÉSERVER

1. Pour soutenir leur croissance, les Gafam façonnent désormais le marché du travail à leur avantage

Les grandes entreprises américaines du numérique investissent depuis plusieurs années dans la formation aux métiers de l'informatique , en particulier aux métiers de l'informatique en nuage (« cloud computing » ) dont les activités constituent désormais l'une de leurs principales sources de revenus et de captation des données.

En effet, les marchés des solutions et services d'informatique en nuage 180 ( * ) sont en forte croissance : l'investissement dans la formation des ingénieurs et informaticiens est ainsi devenu stratégique. Selon différentes études récemment publiées :

• le marché mondial des solutions et services d'informatique en nuage est estimé à plus de 710 milliards de dollars pour l'année 2021 et pourrait atteindre 1 300 milliards de dollars d'ici 2025 181 ( * ) ;

• le marché européen des solutions et services d'informatique en nuage était estimé à 53 milliards d'euros en 2020, après une croissance de 27 % entre 2017 et 2019, et devrait atteindre au moins 300 milliards d'euros d'ici la période 2027-2030 182 ( * ) . Il existe, sur le marché européen, d'importantes différences nationales, l'industrie française de l'informatique en nuage étant plus développée que dans d'autres pays. ;

• le marché français des solutions et services d'informatique en nuage est estimé à 16 milliards d'euros en 2021 et devrait représenter 27 milliards d'euros d'ici 2025 183 ( * ) .

Les grandes entreprises américaines du numérique sont indéniablement les principaux bénéficiaires de cette forte croissance .

Parmi les différents segments du marché des solutions et services d'informatique en nuage, la prégnance des grandes entreprises américaines du numérique est particulièrement marquée pour les services de logiciels à la demande et les services d'infrastructures , dont les taux de croissance sont les plus élevés du marché. Ainsi, selon différentes études récemment publiées :

• en 2020, sur le marché européen des services d'infrastructures, 70 % des parts de marché sont captées par trois acteurs américains : Amazon Web Services (53 %), Microsoft Azure (9 %) et Google Cloud (8 %) 184 ( * ) ;

• en 2021, sur le marché français, Amazon Web Services, Microsoft Azure et Google Cloud ont capté 80 % des dépenses supplémentaires en infrastructures et en applications de développement , soit près de 400 millions d'euros, ces trois acteurs représentant également environ 70 % des parts de marché en France 185 ( * ) .

Au regard des perspectives de croissance, de revenus et développement sur le marché des solutions et services d'informatique en nuage, les grandes entreprises américaines du numérique accroissent leurs investissements dans le recrutement et la formation des ingénieurs informatiques et développeurs. En effet, sans ressources humaines qualifiées ni main-d'oeuvre spécialisée dans la programmation informatique, l'analyse de données et l'ingénierie informatique, le développement de ces entreprises ne serait pas aussi spectaculaire .

Afin de soutenir leur croissance et de s'appuyer sur les compétences nécessaires, les grandes entreprises américaines du numérique disposent de deux principaux leviers :

• agir sur l'offre de compétences disponibles sur le marché du travail par la mise en place de leurs propres certifications professionnelles , devenues des atouts indéniables pour le recrutement et la progression professionnelle des métiers de l'informatique en nuage ;

• agir sur la demande de compétences sur le marché du travail par l'octroi de « crédits cloud » aux jeunes entreprises leur permettant de bénéficier, dès leur création et à coût réduit, des infrastructures, services et logiciels d'informatique en nuage, proposés par ces sociétés.

2. Certifications professionnelles des Gafam : aide à la formation professionnelle ou prédation des jeunes talents ?

Les investissements des Gafam prennent notamment la forme, au titre de la formation continue, de certifications professionnelles destinées à acquérir des compétences logicielles spécifiques et propres à chaque entreprise , dont en France :

• les neuf formations actives d' Amazon Web Services , qui sont répertoriées au registre national des compétences professionnelles par France compétences. Par exemple, la certification professionnelle « Administrer les services cloud AWS », obtenue 572 fois entre 2018 et 2020, a pour objectif « d'attester les compétences d'administration systèmes du candidat et plus précisément les compétences d'opération systèmes dans le cloud AWS : déploiement, gestion et exploitation des applications sur AWS, mise en oeuvre de contrôles de sécurité et d'exigences de conformité » 186 ( * ) ;

• les sept formations actives de Microsoft Azure qui sont également répertoriées de la même manière, la certification « Administrer les services cloud Microsoft Azure », obtenue 665 fois entre 2019 et 2020, a pour objectif « d'attester les compétences d'administration des services Cloud Microsoft Azure » 187 ( * ) .

Au fil des années, les certifications professionnelles délivrées par les grandes entreprises américaines du numérique tendent à devenir des prérequis indispensables pour être embauché ou progresser dans sa carrière dans le secteur du numérique . Selon le rapport annuel sur les salaires et compétences des métiers de l'informatique pour l'année 2021, 92 % des 9 300 professionnels de l'informatique interrogés détiennent une certification professionnelle, très majoritairement proposées par les GAFAM dans les domaines de la cybersécurité et de l'informatique en nuage 188 ( * ) .

À titre individuel, les bénéfices d'obtention d'une certification professionnelle sont nombreux : consolidation de ses connaissances, amélioration de sa productivité et de sa rapidité d'exécution, baisse du taux d'erreurs, meilleure gestion de sa charge de travail et obtention d'une promotion ou d'une prime. Ainsi, les effets sur les salaires sont sans doute parmi les plus significatifs, 10 % des personnes interrogées ayant indiqué avoir reçu une prime après l'obtention de leur certification, les trois formations les plus rémunératrices étant celles de Google et d'Amazon ( Google Certified Professional Cloud Architect , Google Certified Professional Data Engineer , AWS Certified Solutions Architect -- Associate ) 189 ( * ) .

À l'échelle de l'entreprise, la création des certifications professionnelles s'inscrit dans une démarche d'attraction et de rétention des talents dans un contexte où les difficultés de recrutement de profils spécialisés demeurent importantes au regard de la charge de travail croissante dans le secteur de l'informatique en nuage. Ainsi, 39 % des décideurs informatiques interrogés continuent de considérer que le recrutement et la rétention des talents demeure l'un des principaux défis à relever dans les années à venir alors que 46 % d'entre eux estiment que la gestion de la charge de travail est leur première priorité 190 ( * ) .

À l'échelle du pays, l'importance prise par les certifications professionnelles des grandes entreprises américaines du numérique est toutefois discutable . En effet, ces formations spécifiques ne permettent pas d'acquérir des compétences informatiques et logicielles génériques, mais de maîtriser des logiciels d'entreprises.

Ainsi, lors de son audition 191 ( * ) , Yann Lechelle, président-directeur général de Scaleway, a alerté sur l'influence des Gafam dans la formation des développeurs et ingénieurs informaticiens en France car les certifications obtenues ne leur permettent pas de développer des compétences généralistes ni de travailler facilement sur des logiciels et systèmes informatiques d'entreprises françaises : la portabilité des compétences est donc limitée.

Si l'offre nationale de formation à destination des jeunes diplômés et des jeunes professionnels ne peut être utilisée au profit d'entreprises innovantes françaises à forte croissance, c'est là un enjeu de souveraineté économique et numérique du long terme.

Afin de limiter l'influence des Gafam sur l'offre de compétences des jeunes diplômés et professionnels, il est indispensable de compléter les offres nationales de formation initiale et continue permettant d'acquérir les connaissances théoriques, techniques et méthodologiques suffisantes pour travailler sur une large gamme de réseaux et de systèmes d'information , pour le compte d'entreprises comme pour celui des pouvoirs publics.

Recommandation n° 33 :

Renforcer l'offre nationale de formation aux métiers du cloud pour sortir de la dépendance aux Gafam en la matière, en :

- augmentant, jusqu'à bac + 3, le nombre de licences professionnelles et de diplômes universitaires technologiques spécialisés dans l'informatique ;

- augmentant, à compter de bac + 4, le nombre de mastères spécialisés dans les métiers du cloud ;

- facilitant les passerelles et les formations complémentaires entre les écoles d'ingénieurs et celles d'informatique ;

- poursuivant, pour la formation initiale et continue tout au long de la vie, le développement des établissements supérieurs d'autoformation en programmation informatique.

3. « Crédits cloud » : aide au développement des jeunes entreprises ou conditionnement de la demande de services informatiques ?

Les grandes entreprises américaines du numérique ont également mis en place des « crédits cloud » à destination des jeunes pousses ( start-up ) , entrepreneurs et jeunes entreprises afin de leur permettre d'utiliser gratuitement et temporairement leurs logiciels et services d'hébergement de données. I l s'agit en quelque sorte d'une « monnaie virtuelle » ou d'un « chèque déguisé », dont les montants peuvent atteindre jusqu'à 100 000 dollars sur un an pour Amazon et Microsoft et jusqu'à 200 000 dollars sur deux ans pour Google.

La stratégie des « crédits cloud » est présentée comme un moyen de soutenir la croissance et le développement des jeunes entreprises , en particulier celles qui sont actives dans les domaines du numérique et des technologies de l'information et de la communication, dont les modèles économiques nécessitent la captation, le stockage et l'analyse de volumes importants de données. Par leur facilité d'obtention et l'importance des montants financiers octroyés, les « crédits cloud » sont plébiscités par les jeunes entrepreneurs. Par exemple, selon M. Julien Salinas, fondateur de NLP Cloud , « les crédits représentent une façon détournée de bénéficier d'une levée d'amorçage sans en avoir les inconvénients et contraintes liés à une prise de contrôle du capital par un ou plusieurs tiers » 192 ( * ) .

Si les entreprises françaises de l'informatique en nuage adoptent désormais des stratégies similaires pour faire face à la concurrence des Gafam, elles ne peuvent souvent pas rivaliser, qu'il s'agisse de la durée d'octroi ou des montants financiers distribués (Scaleway proposant par exemple des crédits jusqu'à 36 000 euros tandis qu'OVH Cloud s'est aligné sur le chiffre de 100 000 euros).

En réalité, la stratégie des « crédits cloud » permet principalement à une entreprise de capter des parts de marché dès la création de l'entreprise cliente et de se constituer un avantage par rapport à ses concurrents . En raison de la durée d'octroi de ces crédits, des montants distribués et des conditions restrictives imposées par les grandes entreprises américaines du numérique pour transférer les données qu'elles hébergent vers d'autres infrastructures et logiciels, ces pratiques sont jugées anticoncurrentielles par de nombreux acteurs et spécialistes des marchés numériques : il existe en effet un risque de dépendance technologique des jeunes pousses . Une question écrite a été récemment transmise à la Commission européenne 193 ( * ) afin de lui demander de caractériser les atteintes potentielles à la libre concurrence, à la liberté de choix des utilisateurs et à la libre circulation des données au sein du marché intérieur engendrées par les « crédits cloud » et de prendre, le cas échéant, des sanctions adéquates.

En France, en janvier 2022, l'Autorité de la concurrence s'est saisie d'office pour avis afin d'évaluer la situation concurrentielle dans le secteur du cloud , concernant en particulier la pratique des « crédits cloud » et les conditions imposées par les grandes entreprises américaines du numérique aux jeunes pousses françaises pour changer de fournisseur d'hébergement de données : limitation du volume de données transférables gratuitement, coûts de transfert élevés, procédures de transfert chronophages ou encore manque d'interopérabilité et de compatibilité technique entre les différentes offres disponibles sur le marché.

La stratégie des « crédits cloud » n'a pas seulement des effets sur la libre concurrence, mais également sur le marché du travail : si les jeunes entreprises se sont habituées à l'utilisation de certains services et logiciels, elles sont plus susceptibles de continuer à utiliser ces mêmes services et logiciels, d'autant que le « coût de sortie » en est élevé. Elles recruteront donc de préférence des personnes aptes à maîtriser les produits développés par Amazon , Microsoft et Google , incitant ainsi les jeunes diplômés et professionnels à obtenir l'une de leurs certifications professionnelles dédiées.

La stratégie des « crédits cloud » conditionne ainsi la demande de logiciels et de services informatiques des entreprises qui recherchent, en conséquence, des compétences spécifiques que seules les certifications professionnelles des Gafam permettent véritablement d'obtenir .

Afin de limiter l'influence des Gafam sur la demande de compétences des entreprises sur le marché du travail, il est indispensable de garantir des conditions de concurrence plus équitables par un encadrement de la pratique des « crédits cloud ». Ces évolutions pourraient intervenir dans le cadre des discussions relatives à l'examen du règlement du Parlement européen et du Conseil établissant des règles harmonisées en matière d'accès loyal aux données et d'utilisation équitables des données ( Data Act ).

L'objectif est d'agir à court terme sur les conditions de concurrence du marché européen du cloud afin de permettre, à plus long terme, de « desserrer » les conditions de recrutement des professionnels de l'informatique sur le marché du travail .

Recommandation n° 34 :

Amender la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant des règles harmonisées en matière d'accès loyal aux données et d'utilisation équitables des données ( Data Act ) pour :

- limiter la durée et les montants des « crédits cloud » accordés aux jeunes pousses ;

- encadrer les conditions de changement de plateformes d'hébergement des données et de logiciels cloud vers d'autres entreprises ;

- garantir l'interopérabilité des services d'informatique en nuage et la portabilité des données transférées.

C. UN SECTEUR AGROALIMENTAIRE DE PLUS EN PLUS CONFRONTÉ À DES PÉNURIES DE MAIN-D'oeUVRE

1. Sans main-d'oeuvre saisonnière, de nombreuses récoltes agricoles ne peuvent avoir lieu

Chaque année, près de 650 000 travailleurs saisonniers 194 ( * ) apportent leur concours à la production agricole française au sein des exploitations agricoles, des sociétés de service à la production (ETA, CUMA...) et des coopératives agricoles. Si l'on rapporte ce chiffre à l'ensemble des salariés du secteur, il représente plus du tiers des heures travaillées sur les exploitations . L'Insee estime que 110 000 contrats saisonniers sont actifs chaque jour dans le secteur agricole, ce nombre variant de 40 000 à 280 000 au cours de l'année 195 ( * ) . Cette main-d'oeuvre essentielle à la production agricole est particulièrement concentrée sur des filières en forte demande de main-d'oeuvre comme les cultures spécialisées et la viticulture.

Les emplois saisonniers sont, selon les données de la MSA, occupés à 75 % par des nationaux et à 25 % par des travailleurs étrangers , venus à 30 % d'Europe et à 70 % de pays tiers, majoritairement du Maroc ou de Tunisie. Toutefois, cette main-d'oeuvre est de plus en plus difficile à recruter. De l'aveu de nombreux professionnels du secteur, le vivier traditionnel de travailleurs saisonniers étrangers, issus majoritairement de pays limitrophes ou proches, semble se réduire, principalement du fait du développement agricole des pays d'origine.

Dès lors, en matière d'emplois saisonniers, le risque d'une pénurie de recrutements n'est pas à exclure ces prochaines années , à politique inchangée.

Pour limiter ce risque, les alternatives favorisant l'emploi local pourraient être encouragées, par une plus grande transparence sur la découverte des métiers proposés auprès des demandeurs d'emploi, une meilleure structuration de l'offre d'emploi par les employeurs agricoles et par l'essor d'une véritable ingénierie RH de proximité pour mieux connecter l'offre aux besoins des bassins de production, en incluant notamment des volets mobilités, logements et formations des saisonniers pour garantir le respect de conditions de travail de qualité.

Toutefois, plusieurs exemples passés ont démontré que la substitution de travailleurs saisonniers étrangers par de la main-d'oeuvre nationale était difficile sinon impossible à envisager . En 1964, aux États-Unis, afin de développer et de structurer la main-d'oeuvre locale, il est mis fin au programme « Bracero », mis en oeuvre depuis la Seconde Guerre mondiale pour favoriser le travail temporaire de citoyens mexicains dans les fermes américaines. Il en résulta un déficit de près d'un demi-million de salariés qui ne fut pas compensé, contrairement aux objectifs annoncés, par une substitution par un salariat américain, mais par une baisse de la production ou une plus grande mécanisation 196 ( * ) . Diverses expériences similaires dans le monde entier démontrent que « l'élasticité de l'offre de travail des autochtones aux salaires proposés est quasiment nulle » en matière agricole 197 ( * ) . Au travers d'une étude détaillée sur une expérience au nord de la Californie où des mesures ont été prises pour substituer des travailleurs saisonniers étrangers par des autochtones américains, l'économiste Michael A. Clemens conclut que presque tous les travailleurs américains préfèrent n'importe quel itinéraire d'emploi à celui d'un travail manuel pour la récolte ou les semis 198 ( * ) . Ces conclusions se retrouvent validées par d'autres expériences plus récentes en Europe.

Les confinements liés à l'épidémie de Covid-19 en France ont considérablement contraint l'arrivée, au début de la crise, des saisonniers agricoles , incitant le Gouvernement et la profession agricole à lancer un appel massif à de la main-d'oeuvre locale, pour rejoindre « la grande armée de l'agriculture française », pour reprendre les termes du ministre Didier Guillaume. Toutefois, bien que la plateforme « Des bras pour ton assiette » ait enregistré près de 300 000 inscriptions entre la mi-mars et début mai 2020, seuls 15 000 contrats ont été signés, nombre d'entre eux n'ayant pas été honorés jusqu'au bout . Comme le relève un bulletin des chambres d'agriculture durant la crise 199 ( * ) , « dans la région Grand-Est, d'après des remontées des FDSEA 67 et 68, il est estimé qu'une très forte proportion de cette main-d'oeuvre abandonne le poste proposé du fait d'une trop forte pénibilité (seulement 1 personne sur 4 reste en poste) et la productivité de cette main-d'oeuvre serait inférieure de moitié par rapport à une main-d'oeuvre étrangère. »

De même, une des conséquences principales du Brexit a été de restreindre considérablement la circulation de travailleurs saisonniers agricoles au Royaume-Uni, alors que ces salariés représentent une part majeure de la main-d'oeuvre agricole dans ce pays. Malgré des salaires plus élevés offerts à de la main-d'oeuvre britannique, la substitution n'a pas été jugée satisfaisante, incitant les producteurs à recourir à d'autres stratégies que celle consistant à en appeler à la mobilisation des salariés locaux 200 ( * ) .

Face à cette pénurie, ne demeurent, en réalité, que deux solutions .

La première revient à privilégier un changement de cultures pour privilégier les denrées agricoles les moins intensives en main-d'oeuvre. Cette tendance économique naturelle vers des spécialisations productives aboutirait à une réduction majeure des productions de fruits et légumes en France, posant de graves difficultés en matière de souveraineté alimentaire , d'autant que ce phénomène semble déjà à l'oeuvre comme les chiffres mentionnés précédemment le démontrent.

La seconde consiste à promouvoir une plus grande substitution du facteur travail par le facteur capital, soit un recours accru à la robotique et à des processus de mécanisation des récoltes . C'est la stratégie qui a été choisie par la Grande-Bretagne à la suite du Brexit qui a mis en place un plan de 130 millions de livres dans la robotique et l'intelligence artificielle à des fins agricoles.

Pour les rapporteurs, il est essentiel d'activer tous les leviers à disposition pour éviter que les pénuries de main-d'oeuvre saisonnières n'aboutissent à une réduction du potentiel agricole et à un accroissement du taux de dépendance aux importations alimentaires , notamment dans les cultures les plus intensives en main-d'oeuvre.

À cet égard, ils dénoncent, depuis 2018, la volonté gouvernementale de supprimer le dispositif dit « TO-DE » , instrument essentiel pour la compétitivité des filières agricoles dans la mesure où il instaure une exonération de cotisations sociales patronales pour les travailleurs occasionnels et les demandeurs d'emploi. Si le Sénat a obtenu, chaque année, un report de sa date de fin, ces exonérations particulières prendront fin au 31 décembre 2022. Il est essentiel de pérenniser une fois pour toutes ce dispositif .

Plus structurellement, il est indéniable, comme le prouvent les exemples susmentionnés, que la seule alternative crédible au recours massif à de la main d'oeuvre saisonnière notamment étrangère en matière de compétitivité est de faciliter et d'accroître la mécanisation lorsque cela est possible.

Recommandation n° 35 :

Préserver et consolider les politiques publiques favorisant le travail saisonnier en France à court terme, tout en réduisant notre dépendance à la main d'oeuvre saisonnière étrangère :

- Soutenir l'emploi de saisonniers par une pérennisation définitive du dispositif dit « TO-DE » ;

- Accompagner les filières dans le recensement et la structuration de l'offre de saisonniers, en anticipant en amont les besoins administratifs ou de logement ;

- Réduire la dépendance tout en gagnant en compétitivité, en favorisant à long terme le recours à la mécanisation.

2. Dans l'industrie agroalimentaire, la pénurie de recrutements est la cause principale des difficultés

L'autre versant essentiel en matière de souveraineté alimentaire, l'industrie agroalimentaire, rencontre, elle aussi, de graves problèmes de recrutement.

La note de conjoncture de janvier 2021 de l'Association nationale des industries agroalimentaires (ANIA) faisait état de 30 000 emplois non pourvus dans l'industrie agroalimentaire en 2020 , contre 10 000 en 2013. Plus d'une entreprise sur deux rencontre, encore aujourd'hui, des difficultés de recrutement, notamment dans les zones les plus rurales.

Cette pénurie de talents, s'échelonnant des profils opérationnels aux fonctions les plus qualifiées, risque de s'aggraver dès lors que le secteur fait face à une pénurie d'attractivité chez les étudiants. Comme le rappelle le rapport sénatorial de la mission d'information sur l'enseignement agricole, « une étude ManageriA/RegionsJob estime que 6 jeunes sur 10 disent avoir une bonne image du secteur mais seulement 30 % d'entre eux déclarent qu'ils aimeraient y travailler, la majorité s'estimant plutôt mal informés sur les métiers du secteur (59 %), et plus encore sur les formations qui y mènent (65 %). 201 ( * ) »

Un autre chiffre démontre cette anomalie : malgré un lien direct entre les formations agricoles proposées au sein de l'enseignement professionnel agricole et l'industrie agroalimentaire, seuls 4 % des élèves de l'enseignement agricole sont inscrits dans des filières de formation destinée à la transformation agroalimentaire .

Selon les professionnels du secteur, le problème est multifactoriel : éloignement des sites de production des centres urbains, difficultés à recruter des profils formés répondant à des besoins très spécifiques, spécificités des modes de production, manque d'attractivité du secteur aux yeux des jeunes générations, difficultés financières en raison de la guerre des prix qui obère les capacités d'investissement dans la ressource humaine des industriels...

Faute de ressources humaines pérennes, le recours à l'intérim progresse , empêchant les entrepreneurs de s'associer à long terme avec des salariés bénéficiant d'une courbe d'apprentissage.

Si ce problème venait à perdurer, c'est tout un pan industriel qui serait menacé. Déjà en proie à des difficultés de compétitivité , le secteur doit sa survie à ses rendements, reposant sur des investissements suffisants et une main-d'oeuvre qualifiée productive. Si ces avantages comparatifs venaient à disparaître, l'économie reprendrait ses droits, et l'industrie agroalimentaire française péricliterait, entamant encore un peu notre souveraineté alimentaire. C'est pourquoi il est essentiel de se prémunir de ce risque, en veillant à mieux prendre en compte les besoins des transformateurs agroalimentaires, souvent des petites et moyennes entreprises et premiers employeurs industriels ruraux, dans les programmes de l'enseignement agricole et les formations supérieures ou professionnelles correspondantes.

IV. LA SOUVERAINETÉ PAR UNE POLITIQUE COMMERCIALE ET DE CONCURRENCE RÉÉQUILIBRÉE

A. AMÉLIORER LE CONTRÔLE AUX IMPORTATIONS DES PRODUITS AGRICOLES ET ALIMENTAIRES IMPORTÉS

Le défi environnemental engendre une nécessaire évolution des pratiques des exploitations agricoles européennes, transformation qui a débuté il y a bien longtemps dans les campagnes françaises.

Toutefois, si de nouvelles réglementations sont prises pour promouvoir de nouvelles pratiques culturales, les exploitants agricoles européens attendent en échange que des contrôles accrus soient réalisés sur les denrées importées , afin de s'assurer que ces mêmes réglementations soient respectées. Si des interdictions sont prises en Europe pour protéger le consommateur européen de certaines substances nocives sur les produits alimentaires, il est incompréhensible que ces mêmes substances soient tolérées dans les denrées alimentaires importées.

Le renforcement de la pression normative sur les exploitations européennes ne peut se faire sans la pression complémentaire, exercée cette fois sur les denrées alimentaires importées, d'une politique de contrôles ambitieuse . À défaut, c'est toute la compétitivité de l'agriculture européenne et la stratégie environnementale de l'Union qui est mise à mal , en donnant un avantage comparatif majeur à des modèles de production étrangers qui ne respectent pas les normes minimales requises par l'exigent modèle agricole européen.

Dans les années à venir, le risque d'accentuation de la tendance est très grand compte tenu de l'engagement européen à atteindre des objectifs environnementaux ambitieux, bien souvent au-delà de ce que font ses principaux partenaires commerciaux. Cela sera surtout le cas avec la stratégie « De la ferme à la fourchette », qui accentuera mécaniquement le poids des contraintes sur les agriculteurs pour atteindre les objectifs fixés de baisse de 50 % de l'utilisation de pesticides d'ici 2030 et le passage à 25 % de surfaces consacrées à l'agriculture biologique .

Le sujet est donc absolument crucial pour l'avenir de notre agriculture et doit être pris en compte dans les négociations commerciales à venir .

À cet égard, le blocage de l'OMC depuis le cycle de Marrakech ouvre la voie à une période de bilatéralisme commercial ayant pour conséquence, pour le monde agricole, une attention plus forte à l'égard des barrières non tarifaires. Dans cette nouvelle dialectique commerciale, l'Union européenne, à l'initiative de la France, entend promouvoir un recours accru aux clauses miroirs dans le domaine agricole afin d'assurer une plus grande réciprocité dans les accords commerciaux conclus avec les pays tiers . Ces clauses permettraient d'imposer aux pays qui souhaitent exporter leurs produits agricoles vers l'Union européenne de se conformer au préalable à ses normes sanitaires et environnementales.

C'est un changement de paradigme important dans le logiciel de la Commission européenne. En effet, dans le cadre juridique actuel, l'Union européenne estime que tout produit importé en provenance de pays tiers doit être sûr, ne représenter aucun danger pour la santé des consommateurs et être conforme à la législation sanitaire et phytosanitaire (SPS) de l'UE en matière d'importation et de commercialisation. Outre certains contrôles à l'arrivée, notamment au regard de limites maximales de résidus (LMR) pour les végétaux, la Commission européenne assure régulièrement des audits des pays tiers fournisseurs, afin de s'assurer que les normes européennes sanitaires et phytosanitaires sont bien respectées. En revanche, l'UE n'exige pas que les importations en provenance de pays tiers respectent l'ensemble de ses normes liées aux modes de production , dès lors qu'elle considère que certaines de ces normes n'impliquent pas mécaniquement de risques pour la santé du consommateur. Dès lors, l'adoption de clauses miroir vient rompre avec cette logique historique .

Prenant acte que les préoccupations exprimées à la fois par les producteurs et les consommateurs ne portent pas seulement sur la qualité sanitaire des importations, mais concernent également l'équivalence des modes de production, le Sénat a été précurseur en matière de clauses miroirs : à son initiative, et à l'unanimité des groupes politiques, par le biais de l'article 44 de la loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (Egalim) votée en 2018, le code rural et de la pêche maritime intègre, à son article L. 236-1 A, un principe clair : « il est interdit de proposer à la vente ou de distribuer à titre gratuit en vue de la consommation humaine ou animale des denrées alimentaires ou produits agricoles pour lesquels il a été fait usage de produits phytopharmaceutiques ou vétérinaires ou d'aliments pour animaux non autorisés par la réglementation européenne ou ne respectant pas les exigences d'identification et de traçabilité imposées par cette même réglementation. L'autorité administrative prend toutes mesures de nature à faire respecter » cette interdiction.

Depuis, des évolutions positives en faveur du déploiement de ces clauses miroirs dans les futurs accords de libre-échange ont permis d'aboutir à des avancées concrètes :

• l'article 118 du règlement (UE) n° 2019/6 interdit l'utilisation de certains antimicrobiens ou certains usages d'antibiotiques, par exemple en tant qu'activateurs de croissance, pour les animaux élevés dans les pays tiers dont les produits seraient importés dans l'Union européenne - c'est sans doute l'une des premières clauses de ce type intégrées au droit européen ;

• la position de la Commission européenne évolue. Elle a par exemple reconnu, dans sa communication sur le réexamen de la politique commerciale du 18 février 2021, que « dans certaines circonstances définies par les règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), il est pertinent que l'UE exige que les produits importés respectent certaines exigences de production » . À l'occasion de la réforme de la PAC, le Conseil européen, le Parlement européen et la Commission européen ont adopté des déclarations soulignant l'importance de mieux appliquer les normes de production de l'UE aux produits importés et ont demandé à la Commission de produire un rapport sur le sujet, qui n'a pas été rendu à la date de rédaction du présent rapport mais dont les premières conclusions semblent démontrer qu'il n'existe pas d'obstacles juridiques majeurs s'opposant à la mise en oeuvre de ces clauses miroirs.

Lors de l'examen de nouvelles législations européennes, il est nécessaire de déployer ces clauses miroirs. À cet égard, la révision de la législation européenne relative au bien-être animal prévue en 2023 ainsi que celle du destinés à l'alimentation des animaux - afin d'interdire, par exemple, l'usage d'antimicrobiens en tant qu'additifs - constituent des premières pistes intéressantes aux yeux des rapporteurs.

Recommandation n° 36 :

S'engager à mieux faire respecter les normes minimales de production requises au sein de l'Union européenne en :

- poursuivant le déploiement de clauses miroirs dans les législations européennes en matière agricole, notamment dès 2023 sur les textes relatifs au bien-être animal ou aux additifs destinés à l'alimentation des animaux, ainsi que dans les accords de libre-échange ;

- s'engageant plus activement dans les instances internationales de normalisation (notamment Codex Alimentarius) afin de faire évoluer l'ensemble des pratiques agricoles.

Toutefois, l'existence de telles clauses laisse persister deux problèmes majeurs en matière commerciale. D'une part, elle ne résout en rien le manque d'harmonisation des conditions de production au sein même de l'Union européenne dès lors qu'un État membre peut aller, s'il le souhaite, au-delà de la législation européenne en matière de normes de production, ce que la France ne manque pas de faire. D'autre part, l'existence de normes n'emporte d'effets juridiques que si elles sont contrôlées et, le cas échéant, en cas de défaillance, que si elles sont sanctionnées. Or, bien souvent, le débat sur les clauses miroirs fait fi de ce dernier aspect.

Là encore, le Sénat alerte depuis des années sur l'urgence d'une profonde réforme des politiques de contrôles sur les denrées alimentaires importées .

Il convient de rappeler, en outre, que, pour être en conformité avec les règles de l'OMC, selon les services du ministère, « les clauses miroirs sont établies non pas sur une base juridique de politique commerciale (article 207 TFUE) mais sur celle des politiques de l'UE concernées (agriculture, environnement, etc.). Dès lors, les politiques sectorielles qui instaurent les mesures miroirs doivent prévoir les moyens de contrôler leur respect notamment via des procédures d'autorisation, voire d'agrément, et des audits en pays tiers avant d'autoriser les importations sur le territoire de l'UE ».

S'agissant des défaillances générales des contrôles sur les denrées alimentaires importées, la commission des affaires économiques du Sénat, lors d'une mission « flash » 202 ( * ) sur les anomalies constatées sur les produits à base de sésame, a mis en exergue plusieurs dysfonctionnements majeurs :

• les contrôles officiels reposent trop peu sur des contrôles aléatoires : les contrôles sur les denrées végétales importées sont centrés aujourd'hui sur une matrice d'analyse de risques, identifiant les denrées exposées à un risque en fonction de leur origine. Cette liste publique engendre des risques de contournements ;

• certaines substances interdites ne sont plus contrôlées , et peuvent donc être utilisées impunément par les exportateurs de pays tiers. L'Union européenne recense ainsi 1 498 substances actives et interdit 907 d'entre elles. Si le plan de contrôle européen, décliné par les États membres, ne prévoit que 176 substances à analyser, la France va plus loin en analysant, dans ses contrôles de résidus de pesticides, 568 substances. Au regard des 1 498 substances à contrôler, cela signifie tout de même que plus de 900 substances actives ne sont aujourd'hui presque jamais contrôlées par les autorités sanitaires ;

• le nombre de contrôles aléatoires est insuffisant faute d'un budget adapté aux enjeux de sécurité sanitaire : les moyens mis en oeuvre en France pour ces contrôles font état d'un ratio de seulement 50 centimes d'euro de contrôles pour 1 000 euros de denrées importées.

Dès lors, comme le rappelle le rapporteur de cette mission, Laurent Duplomb, « l'Union européenne n'étant déjà pas capable de garantir que les végétaux entrant sur son territoire ne contiennent pas des résidus de pesticides interdits, elle est loin de pouvoir s'assurer que les denrées alimentaires, d'origine animale ou végétale, aient été produites avec les mêmes normes de production requises au niveau européen. Sans contrôles, les garanties obtenues lors de la signature d'accords de libre-échange sont dès lors ineffectives . » La commission des affaires économiques a dans ce cadre émis 18 recommandations pour, notamment, renforcer la politique de contrôle sur les denrées alimentaires importées 203 ( * ) .

S'agissant des sanctions en cas de défaillance, le Sénat a doté, dans la loi, le ministre chargé de l'agriculture d'un pouvoir de « prendre des mesures conservatoires afin de suspendre ou de fixer des conditions particulières à l'introduction, l'importation et la mise sur le marché en France de denrées alimentaires ou produits agricoles » ne respectant pas les normes minimales requises au niveau européen 204 ( * ) .

Cette faculté, appliquée en 2016 par le ministre Stéphane Le Foll à la cerise turque traitée au diméthoate 205 ( * ) , a été déclenchée une seconde fois en 2022 pour suspendre l'introduction, l'importation et la mise sur le marché en France de viandes et produits à base de viande issus d'animaux provenant de pays tiers à l'Union européenne ayant reçu des médicaments antimicrobiens pour favoriser la croissance ou augmenter le rendement, dans l'attente de la publication de l'ensemble de la réglementation secondaire liée au règlement sur les médicaments vétérinaires, intégrant une clause miroir 206 ( * ) .

Au-delà de ces cas médiatiques, l'ensemble de la politique de contrôle est à repenser, tant les contrôles réalisés à la date de rédaction du rapport sont au mieux insuffisants, sans doute plus vraisemblablement défaillants.

Outre la question des moyens et des effectifs, cruciale en la matière, se pose également celle de l'organisation des services de l'État compétents. Aujourd'hui, l'articulation des tâches est pour le moins labyrinthique pour les acteurs concernés. La Direction générale de l'alimentation (DGAL), relevant du ministère de l'agriculture, est chargée du contrôle sanitaire des animaux vivants, des produits d'origine animale, et de l'alimentation animale d'origine non animale. Elle s'assure de l'absence de risque pour la santé humaine du consommateur et pour la santé animale - risque qui pourrait être véhiculé par ces animaux ou ces marchandises. La DGAL assure également le contrôle phytosanitaire des végétaux et produits végétaux, visant à s'assurer de l'absence de risque phytosanitaire lié à l'introduction d'organismes nuisibles, l'objectif étant de protéger la santé des végétaux (cultures et environnement). De son côté, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) assure le contrôle sanitaire des denrées d'origine non animale, visant à s'assurer de l'absence de risque pour la santé humaine du consommateur. Enfin, à l'issue de ces contrôles, un document sanitaire commun d'entrée (DSCE) est remis à l'opérateur, qui le présente à la douane Direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI) afin de finaliser les formalités douanières.

Cet enchevêtrement de compétences accentue le risque d'angles morts , au détriment de l'efficacité des contrôles. Le Gouvernement semble prêt à s'engager dans une réforme profonde de ces contrôles, en transférant la politique de contrôles sanitaires sur les denrées alimentaires à la DGAL. Cette réforme doit servir de marchepied à la conception, tant attendue, d'une véritable politique de contrôle des denrées alimentaires importées en France.

Recommandation n° 37 :

Durcir les contrôles sur les denrées alimentaires importées pour garantir le respect des normes minimales requises au sein de l'Union européenne en agissant :

- à court terme, au niveau national pour relever le niveau d'exigences, notamment i) en augmentant les effectifs des contrôles nationaux, profitant du transfert de la compétence sanitaire de la DGCCRF à la DGAL pour constituer une vraie « police sanitaire nationale » ; ii) en renforçant le nombre de contrôles aléatoires intégrés au plan de contrôle et en durcissant le contenu des analyses, notamment en renforçant le nombre de substances actives effectivement contrôlées par les laboratoires nationaux ;

- à moyen terme, au niveau européen en promouvant la constitution d'une task force européenne sur la sécurité alimentaire pour des interventions harmonisées au niveau européen, afin d'éviter les comportements de détournement des contrôles franco-français par une entrée dans d'autres pays.

B. AVEC LE MÉCANISME D'AJUSTEMENT CARBONE AUX FRONTIÈRES (MACF), LUTTER CONTRE LES ÉMISSIONS IMPORTÉES ET DÉFENDRE LA PRODUCTION EUROPÉENNE DÉCARBONÉE

1. La lutte contre les émissions importées, une composante à part entière, et de plus en plus structurante, de la souveraineté économique
a) En incitant fortement ses entreprises à décarboner leur production, l'Union européenne s'expose à des fuites de carbone, qui risquent de lui faire perdre la maîtrise de son modèle de transition écologique

Les États membres et l'Union européenne affichent depuis le début des années 2000 des objectifs climatiques ambitieux. Régulièrement rehaussés , et pour la dernière fois en décembre 2019 dans le prolongement de l'accord de Paris, ils fixent une cible de - 55 % d'émissions nettes de gaz à effet de serre en 2030 pour atteindre la neutralité carbone en 2050.

Ces objectifs se sont traduits par le déploiement d'une réglementation et d'une fiscalité « climat » tendant à orienter les ménages et les entreprises vers des modes de production et de consommation moins émissifs. L'Union européenne a opté en 2005 pour la mise en place d'un « marché carbone », le système d'échange de quotas d'émission de l'UE (SEQE-EU) 207 ( * ) , sur lequel les entreprises des secteurs les plus émetteurs 208 ( * ) doivent acheter des « quotas », sortes de droits à polluer, couvrant leurs émissions, sous peine de pénalités. Environ 45 % des émissions au sein de l'UE sont désormais concernées, soit 5 % des émissions mondiales.

Le but de ce système est d' inciter les entreprises à décarboner leur production, via un signal prix des émissions de gaz à effet de serre reflétant son coût réel pour la société, pour les réduire de 61 % à horizon 2030 par rapport à 2005 (la cible avait précédemment été rehaussée à 43 % en 2018 et devrait encore être augmentée, jusqu'à 61 %, dans le cadre de la révision en cours de la directive ETS).

Le risque est toutefois d'assister à des « fuites de carbone » , les économistes identifiant deux principaux canaux :

• le premier canal, « direct » , consiste en une délocalisation d'activités fortement émettrices de gaz à effet de serre vers ce que les économistes qualifient de « havres de pollution 209 ( * ) » ou en une substitution de produits peu carbonés européens par des produits carbonés étrangers. Le calcul de l'empreinte carbone et en particulier des émissions importées est extrêmement complexe, et fait actuellement l'objet de discussions méthodologiques pour l'affiner. Néanmoins, les fuites directes de carbone sont déjà une réalité : l'Union européenne est le premier importateur mondial d'émissions de gaz à effet de serre et un rapport du Haut Conseil pour le climat estime que 42 % de l'empreinte carbone de la France provient des émissions importées 210 ( * ) , une proportion qui augmente d'année en année ;

• le second canal, « indirect » , généralement identifié par les économistes comme le plus important, bien que moins cité dans le débat public, transite via la baisse de la demande en énergie fossile sur le territoire duquel une réglementation ou une fiscalité « carbone » est appliquée, ayant pour effet paradoxal de faire baisser le coût de l'énergie à l'échelle mondiale, augmentant in fine la demande en énergie des pays tiers . Résultant, comme l'« effet rebond 211 ( * ) », du libre jeu du marché, ce mécanisme est difficile à contrer, sauf à imposer un alignement de la réglementation et de la fiscalité « carbone » des États tiers sur la nôtre.

Ces fuites limitent fortement l'efficacité de la politique environnementale européenne , nuisant en outre à l'acceptabilité de cette dernière par les ménages et entreprises domestiques. En définitive, la moindre capacité de l'économie européenne à susciter de la croissance verte par l'innovation et les filières vertes d'avenir 212 ( * ) , ainsi que la moindre diffusion de ses standards et normes à l'échelle mondiale, affaiblissent sa souveraineté économique .

b) L'allocation de quotas gratuits, pour lutter contre le dumping réglementaire et fiscal de certains pays tiers, a limité les fuites de carbone mais aussi l'efficacité du marché carbone

Pour bâtir la souveraineté économique, il faut veiller au maintien de la compétitivité de nos entreprises, dont la fiscalité et la réglementation vertes, et en particulier leur composante carbone, sont devenues des déterminants structurants , amenés à prendre un poids croissant dans les années à venir. La « fiscalité environnementale » représentait au sens large près de 70 Mds€ en France en 2017 213 ( * ) , soit un ordre de grandeur proche des impôts de production (85 Mds€) : son impact sur les coûts de production est donc significatif.

Dès lors qu'une trajectoire de décarbonation a été établie dans le marché intérieur par les pouvoirs publics, encore faut-il que les entreprises opérant sur ce marché soient en mesure d'y maintenir leur production, afin d'être parties prenantes de cette transition écologique .

C'est pourquoi, dès la mise en place du marché carbone, l'Union a prévu une allocation de quotas gratuits aux secteurs émetteurs les plus exposés à la concurrence internationale , afin de maintenir leur compétitivité et de limiter le risque de fuites de carbone.

En particulier grâce à ce dispositif, le marché carbone a bien contribué à la baisse des émissions de gaz à effet de serre des entreprises couvertes, tout en ayant un impact limité voire nul sur leur niveau de production et d'emploi , d'après une revue de la littérature économique effectuée par l'OCDE 214 ( * ) . L'efficacité du marché carbone réside dans la forte substituabilité de produits peu carbonés à des produits très carbonés.

Seulement, une allocation trop massive de quotas gratuits a été corrélée avec un dysfonctionnement du SEQE dans ses phases 1 et 2, la tarification carbone restant bien en deçà des seuils incitant à la transformation des modes de production.

Évolution du prix des quotas sur le marché carbone de l'UE

Source : tradingeconomics.com (consulté le 8 juin 2022).

Dans les phases 3 et 4 du marché carbone, à partir de 2019, la mise en réserve et le gel de l'allocation de quotas gratuits ont porté le prix de la tonne équivalent CO 2 (CO 2 e), en 2022, au niveau inédit de 80 euros , via l'effet de la baisse de l'offre de quotas disponibles sur le marché carbone.

Une étude du gouvernement finlandais 215 ( * ) citée par la Direction générale du Trésor évalue les fuites de carbone à environ 20 % des émissions (10 tonnes d'émissions évitées dans le pays A provoqueraient une hausse de 2 tonnes d'émissions dans le pays B) à la suite de la baisse de l'allocation de quotas gratuits , soit la fourchette plutôt haute des modélisations ex ante de la DG Trésor, qui les situaient entre 5 et 30 %.

2. Les effets ambivalents du MACF sur la souveraineté économique de l'Union imposent la plus grande vigilance dans son tempo et son champ d'application
a) Un outil défendu de longue date par la France pour réconcilier décarbonation et compétitivité dans le respect des règles de l'OMC

La France plaidait depuis près de vingt ans pour la mise en place d'une « taxe carbone aux frontières » de l'Union. Aussi, la proposition de règlement sur un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières 216 ( * ) (MACF), incluse dans le paquet législatif Fit for 55 publié par la Commission le 14 juillet 2021, est une avancée considérable dans l'agenda climatique et économique de la France et de l'Union. Elle permet d'envisager enfin une réduction de l'empreinte carbone globale de l'UE, par l'alignement du prix du contenu carbone des produits importés sur celui des produits domestiques .

Concrètement, les entreprises extra-européennes souhaitant exporter vers l'UE des biens des secteurs des engrais, de l'aluminium, du fer et de l'acier, du ciment et de l'électricité devraient acquérir sur un marché ad hoc des certificats à un prix dépendant du contenu de ces biens en carbone, corrigé en fonction du prix du carbone déjà acquitté dans le pays d'origine.

UN AGENDA LÉGISLATIF EN QUATRE TEMPS

Afin de tenir compte des engagements internationaux de l'UE en matière de commerce et en raison de ses implications transversales, budgétaires, climatiques et économiques, l'inscription dans le droit et la mise en oeuvre du MACF nécessiteront un paramétrage fin, qui passera par l'adoption ou la révision de plusieurs textes différents, devant se faire dans le bon tempo pour éviter des problèmes d'articulation :

- révision en cours de la directive ETS pour programmer les modalités d'extinction de l'allocation des quotas gratuits ;

- adoption du règlement MACF à proprement parler, qui a déjà fait l'objet d'un accord des États membres le 15 mars ;

- ultérieurement, inscription dans le cadre financier pluriannuel de l'affectation des recettes du MACF au budget de l'UE, en tant que nouvelles ressources propres ;

- enfin, le règlement instituant le Fonds social pour le climat, qui va de pair avec la réforme de la directive ETS.

Selon une étude des économistes Cecilia Bellora et Lionel Fontagné 217 ( * ) , le MACF permettrait de réduire les fuites de carbone deux fois plus efficacement que l'allocation de quotas gratuits , tout en garantissant que le prix du carbone se maintienne à un niveau suffisamment incitatif pour que les producteurs européens se tournent vers une production décarbonée.

Si la Commission européenne a eu l'occasion de rappeler à plusieurs reprises que le MACF est « un instrument climatique, pas un instrument de politique commerciale 218 ( * ) », force est de reconnaître que son efficacité passe nécessairement par une recomposition des flux commerciaux mondiaux, en fonction du contenu carbone relatif des produits . Le MACF aurait ainsi des effets agrégés significatifs sur les soldes commerciaux bilatéraux de l'UE avec ses principaux partenaires commerciaux à horizon 2040, en réduisant notamment les importations de biens au fort contenu carbone en provenance d'Inde et de Chine , auxquelles se substitueraient pour partie des importations de biens moins carbonés, par exemple du Royaume-Uni et de l'AELE.

Source : C. Bellora et L. Fontagné, Cepii, 2022 219 ( * ) .

Au total, le MACF aurait un effet légèrement bénéfique sur le solde commercial de l'UE avec le reste du monde (+ 0,9 %), mais négatif sur le solde avec le Canada, le Japon et l'AELE, ce qui atteste de sa relative neutralité entre biens domestiques et biens importés, infirmant l'idée qu'il s'agirait de protectionnisme déguisé .

b) Accompagner les entreprises françaises et européennes dans la mise en place du MACF, phase de transition à haut risque

La proposition initiale de la Commission prévoyait une montée en charge progressive du MACF, opérationnel à partir de 2026 et se déployant progressivement, l'allocation de quotas gratuits baissant dans le même temps de 10 % par an pendant 10 ans.

Mise en oeuvre dans le temps du MACF

Source : La Fabrique de l'industrie 220 ( * ) .

Cette transition est source d'insécurité pour les filières industrielles bénéficiant aujourd'hui de l'allocation de quotas gratuits, dans la mesure où la baisse des quotas gratuits est certaine, tandis que le succès du MACF est incertain , entre autres à cause des risques de non-conformité aux règles de l'OMC et de contournements.

Dans ce contexte, le cumul , au moins provisoire, du MACF et des quotas gratuits devrait être préféré au remplacement prévu de ces derniers par le nouveau mécanisme au fur et à mesure de son déploiement, motivé par la crainte, exagérée, d'une incompatibilité avec les principes de non-discrimination de l'OMC.

Dans la version en discussion devant le Parlement européen, seules les exportations des 10 % des installations couvertes par le marché carbone les plus décarbonées pourraient garder le bénéfice des quotas gratuits - afin de compenser le renchérissement des coûts de production en Europe, qui n'aurait pas lieu à l'étranger - , ce qui relève d'une interprétation très conservatrice des conditions de concurrence équitables sur lesquelles veille l'OMC. Cela pénalise inutilement les producteurs européens, puisqu'aux termes de l'article 31 du règlement établissant un MACF 221 ( * ) , ce dernier ne doit de toute façon pas s'appliquer aux produits importés dans les cas où les mêmes produits d'origine européenne ont bénéficié de quotas gratuits .

Il faut reconnaître, en revanche, que l'affectation au budget général de l'UE des recettes du MACF 222 ( * ) - ce qui pourrait représenter la moitié des recettes tarifaires de l'UE en 2040 -, est source d'ambiguïté , alimentant la crainte d'une instrumentalisation du MACF à des fins protectionnistes ou budgétaires 223 ( * ) .

S'agissant du calendrier, alors que le texte initialement proposé prévoyait une extinction des quotas gratuits en 2036, cette date a été avancée à 2030 par la c ommission de l'environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire (ENVI) au Parlement européen. Un amendement portant la fin des quotas gratuits à 2034 a été adopté en séance plénière le 8 juin 2022 mais a suscité ce même jour le rejet du texte, provoquant son renvoi à la commission ENVI. Le 22 juin, un compromis a été trouvé entre les principaux groupes politiques pour la date de 2032 et une trajectoire un peu moins rapide de baisse des quotas gratuits, en réalité identique à la proposition initiale de la Commission européenne (- 50 % en 2030).

L'organisation professionnelle France Industrie, entendue par les rapporteurs, craint que la trajectoire d'arrêt progressif de l'allocation de quotas gratuits ( phasing out ) soit trop hâtive. Selon ses termes, le risque serait de « lâcher la proie pour l'ombre », les quotas gratuits ayant prouvé leur efficacité pour limiter les fuites de carbone et donc la compétitivité des entreprises, tandis que la complexité et le caractère inédit du MACF rendent toujours possibles des effets de bord non identifiés au préalable .

Les rapporteurs jugent qu'il serait plus prudent de s'en tenir à la date de 2033, soit dix ans après l'entrée en vigueur prévue du MACF, quitte à accélérer ultérieurement la transition, si les premières évaluations du MACF, opérationnel seulement à partir de 2026, étaient positives. Ils considèrent aussi que les quotas gratuits devraient être maintenus à leur niveau actuel pendant toute la montée en charge du MACF , dans la mesure où l'article 31 du règlement prévoit des « dispositions d'effets équivalents aux quotas gratuits » pour les produits importés (article 31), garantissant l'équité.

Font également défaut des modalités spécifiques d'accompagnement des exportateurs européens qui ont recours à des biens intermédiaires importés en vue de la production de biens finaux, malgré certains amendements allant dans le sens d'une dérogation pour les exportateurs les plus vertueux 224 ( * ) . La compétitivité des exportateurs sur les marchés étrangers serait mécaniquement affectée par le MACF, l'étude d'impact de la Commission européenne admettant une baisse de près de 7 % des exportations en valeur, en particulier dans les secteurs couverts par le MACF.

c) La nécessaire extension du périmètre du MACF pour éviter de renchérir le coût des intrants, notamment pour nos exportateurs

Seuls les quelques secteurs les plus émetteurs parmi ceux bénéficiant aujourd'hui de quotas gratuits seraient couverts par le MACF, dans la première phase de la version proposée par la Commission, validée par la France. Il s'agit essentiellement des intrants et des matières premières.

Seulement, ce périmètre minimaliste, retenu pour limiter les risques de contentieux devant l'OMC, revient à taxer le contenu carbone des consommations intermédiaires, tout en exemptant le contenu carbone des produits finaux . S'il a le mérite de cibler les produits dont le contenu carbone est le plus aisément mesurable, sa justification économique ou même écologique est faible .

Le risque existe en effet d'un simple report des fuites de carbone vers l'aval des chaînes de valeur, la tarification carbone des biens intermédiaires renchérissant, en cascade, les coûts de production des biens finaux. Les exportateurs européens de biens transformés verraient ainsi leur compétitivité fortement affectée en comparaison de celle des producteurs de pays tiers.

Ce risque concerne en particulier l'industrie, une étude 225 ( * ) identifiant à 15 % la part des ventes de produits manufacturés menacés par des fuites de carbone, en maintenant le périmètre retenu, si le coût de la tonne de CO 2 e restait au même niveau qu'aujourd'hui.

La parole aux entreprises - L'impact du MACF sur la compétitivité

La mission d'information a entendu plusieurs entreprises des secteurs de la mécanique et de la chimie, qui ont confié leurs craintes face à la mise en oeuvre prochaine du MACF.

L'une d'entre elles, utilisatrice d'importants volumes d'acier, signale que son approvisionnement en sera fortement renchéri , alors même que les prix de l'acier ont déjà été multipliés par deux en un an. Elle devra donc opérer un choix entre une répercussion du coût accru des intrants sur ses prix de vente, sacrifiant ainsi sa compétitivité et perdant des parts de marché au profit de producteurs issus de l'extérieur de l'UE ; ou une contraction significative de sa rentabilité, mettant en péril sa capacité d'investissement et de développement.

L'entreprise met également en garde devant une « aggravation du déséquilibre des filières, entre l'amont protégé par le MACF et l'aval confronté à la concurrence internationale non soumise à la taxe carbone ». L'amont risque également selon elle de « surtransposer » dans ses prix de vente à l'aval le coût induit par le MACF.

Enfin, l'entreprise estime qu'il existe « un fort risque de casse sociale et d'accélération de la « fuite de carbone » par l'augmentation des importations de produits finis, non soumis au MACF. » Elle rappelle que la baisse des émissions de l'industrie française depuis les années 1990 s'est accompagnée de délocalisation et de désindustrialisation. Tandis que le marché carbone dans sa forme actuelle contient un dispositif général de protection contre les fuites de carbone (les quotas gratuits), une telle protection n'est pas prévue pour le MACF.

Une entreprise du secteur de la chimie s'est déclarée préoccupée de la mise en oeuvre concrète du mécanisme, s'inquiétant de la capacité réelle de l'Union européenne à déterminer l'empreinte carbone réelle des processus de production à l'étranger , en particulier face au phénomène de « resource reshuffling » (voir plus bas) et au manque de coopération de certains partenaires. Les différents paramètres du dispositif - durée de la transition, prix du carbone, produits concernés, quotas gratuits - lui semblent demander un équilibrage fin qu'il sera compliquer de trouver. En conclusion, elle craint que le MACF, bien qu'ambitieux, courre le risque d'être un « succès politique et diplomatique, mais un échec pratique ».

L'agriculture européenne, qui fait déjà face aujourd'hui à la hausse du coût des matières premières alimentée par la guerre en Ukraine, serait elle aussi menacée par un tel « effet ciseau » .

LE MACF : MENACE OU ATOUT POUR LA SOUVERAINETÉ ALIMENTAIRE DE L'UE ?

En ne couvrant que les importations d'engrais (ammoniac, acide nitrique et engrais azotés), et non les importations de produits agricoles et alimentaires, le MACF s'arrête au milieu du gué et lèse les exploitants agricoles, en particulier ceux des filières céréalières et oléagineuses, intensives en engrais. Avec ce dispositif partiel, ces filières verraient leurs coûts de production augmenter, mais ne seraient toujours pas protégées de la concurrence déloyale issue de « havres de pollutions », sur des marchés fortement mondialisés.

Au secrétaire d'État aux affaires européennes Clément Beaune, qui déclarait à propos des produits agricoles qu' « il n'y aura pas d'application imprudente, excessivement rapide, d'un mécanisme à des produits dont on ne saurait mesurer l'effet 226 ( * ) » , les rapporteurs répondent que l'effet de l'exclusion des produits agricoles du MACF n'a, lui non plus, pas encore été mesuré .

Le monde agricole, par la voix des chambres d'agriculture ou des principales organisations professionnelles européennes, comme le Copa (agriculteurs) et la Cogeca (coopératives de producteurs) dans une tribune de leur présidente Christiane Lambert, n'exprime pas de préférence claire entre d'une part, l'exclusion des engrais et produits agricoles du MACF, ou, d'autre part, l'inclusion des deux au dispositif. Il lui importe avant tout de rétablir un périmètre cohérent , qui ne soit pas source de concurrence déloyale avec le reste du monde et de baisse de la production agricole et alimentaire européenne.

Les rapporteurs partagent pleinement cette préoccupation. Néanmoins, ils ne considèrent pas que le « ni-ni » ou le « oui-oui » soient équivalents au regard de la souveraineté économique . En effet, exclure les engrais du MACF affaiblirait la portée et l'efficacité de notre modèle de transition écologique, en occasionnant des fuites de carbone dans ce secteur très émissif. En outre, les risques économiques et financiers liés au changement climatique à l'échelle globale seraient accrus et la capacité de l'Europe à être prescriptrice sur la scène internationale en matière de normes, de standards et d'innovations vertes en serait affaiblie, ce qui nuirait une deuxième fois à sa souveraineté économique. C'est pourquoi les rapporteurs plaident pour le maintien des engrais et l'inclusion des productions agricoles et alimentaires dans le cadre du MACF .

À moyen terme, le champ du MACF devrait être le « miroir » de celui du marché carbone, et ainsi inclure produits chimiques organiques, plastiques, hydrogène, etc. Au-delà, l'élargissement du champ des secteurs concernés par le marché carbone , envisagé dans la révision de la directive ETS, sera la condition sine qua non , au regard des règles de l'OMC, d'une extension en parallèle du champ du MACF aux mêmes secteurs.

Cela implique de bien anticiper la charge administrative liée à la collecte d'informations et de développer une méthodologie de calcul en cycle de vie du contenu carbone pour les produits finis . Mais plus le MACF sera exhaustif, plus il sera efficace, car moins il sera sujet aux contournements tels que le « resource reshuffling » (fléchage opportuniste des productions utilisant les énergies renouvelables vers les exportations à destination de l'UE).

Recommandation n° 38 :

Renforcer la base juridique et le caractère opérationnel du MACF et améliorer la prise en compte des enjeux de compétitivité des filières européennes, en :

- prévoyant une affectation intégrale des recettes du MACF aux politiques environnementales, en cohérence avec son ambition en faveur de la décarbonation et gage de bonne foi de la démarche européenne vis-à-vis de l'OMC et de nos partenaires commerciaux ;

- reportant à 2033 l'extinction des quotas gratuits tant qu'une évaluation ex post des effets du MACF n'aura pas été rendue, et permettre jusqu'à cette date le maintien de quotas gratuits à leur niveau actuel pendant la montée en charge du MACF ; ou en maintenant à défaut une allocation de quotas gratuits pour les exportations des 30 % des installations productrices les moins émissives couvertes par le marché carbone ;

- élargissant le champ des secteurs couverts par le MACF, afin de mieux en répartir l'impact au long des chaînes de valeur européennes. Faire porter cet élargissement sur l'ensemble des biens couverts par le marché carbone européen et à de nouveaux secteurs (produits agricoles, hydrogène...) et sur les produits finis, qui devront préalablement être intégrés dans le marché carbone européen.

Sur ce point précis, les rapporteurs se font l'écho de certaines des propositions formulées par les rapporteurs de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable dans leur récent rapport intitulé : « Réformer le marché carbone pour bâtir une économie européenne souveraine, durable et juste » (cf. infra) , et de certaines des positions portées par la résolution européenne du Sénat n° 124 du 5 avril 2022 sur le paquet « Ajustement à l'objectif 55 ».

EXTRAIT DE LA RÉSOLUTION EUROPÉENNE DU SÉNAT N°124 DU 5 AVRIL 2022
SUR LE PAQUET « AJUSTEMENT À L'OBJECTIF 55 »

« Considérant que le pacte vert pour l'Europe et sa traduction opérationnelle au travers de la loi européenne sur le climat et du paquet « Ajustement à l'objectif 55 », présenté par la Commission européenne, le 14 juillet 2021, permettent d'ajuster la trajectoire climatique européenne aux objectifs de l'Accord de Paris ;

« Considérant la nécessité de préserver et de renforcer encore la compétitivité des entreprises de l'Union, tout en leur offrant les perspectives nécessaires pour leur permettre de s'adapter aux enjeux de la décarbonation , en prenant en compte les effets potentiels de recomposition des filières économiques, notamment sur l'emploi ;

« Considérant les opportunités économiques offertes par la transition climatique et le besoin d'accélérer le développement d'industries bas-carbone européennes pour faire de l'Europe un fer-de-lance industriel en la matière ;

- Concernant les objectifs généraux et la méthode de négociation du paquet « Ajustement à l'objectif 55 » :

« Renouvelle son soutien aux objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre d'au moins 55 % en 2030, par rapport à 1990, et d'atteinte de la neutralité carbone à l'horizon 2050 ;

« [...] Demande dès lors instamment à la Commission européenne de présenter, en cours de négociation, des études d'impact actualisées, intégrant des approches sectorielles et territorialisées ainsi que des estimations financières complémentaires, pour à la fois s'assurer de la capacité des mesures proposées à atteindre les objectifs définis et évaluer leur impact sur les ménages, les entreprises et les territoires de l'Union ;

« Considère que la transition vers une économie décarbonée présente de réelles opportunités de développement économique mais que le niveau d'ambition affiché par l'Union européenne lui impose de jouer le rôle de meneur sur les plans économique et du développement durable ainsi que de prescripteur de normes en matière de durabilité ; juge essentiel que cette transition contribue à accroître la résilience de l'économie européenne et à renforcer l'indépendance et la souveraineté énergétiques de l'Union européenne, dans une perspective d'affirmation de son autonomie stratégique ; forme le voeu qu'elle permette également une « réindustrialisation » verte à l'échelle de l'Union ; souligne néanmoins la nécessité d'accompagner l'évolution des acteurs économiques, des ménages et des territoires les plus vulnérables pour permettre une transition juste et de préserver la capacité d'innovation des acteurs économiques européens [...] ;

- Concernant le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières :

« Se félicite de la proposition de la Commission européenne visant à instaurer un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, porté par la France, et particulièrement par le Sénat, depuis de nombreuses années, afin de prévenir le risque de fuites de carbone, d'assurer une équité dans les relations commerciales internationales et de concilier lutte contre les dérèglements climatiques, développement durable, développement économique et inclusion sociale ;

« Forme le voeu, en particulier, que ce mécanisme contribue, dans les secteurs couverts, à protéger de manière efficace les industries européennes dans leurs efforts de décarbonation et permette l'extinction progressive des quotas gratuits au titre du SEQE-1, sans induire de risques de fuites de carbone qui conduiraient à une délocalisation de ces activités en dehors de l'Union européenne ; juge le mécanisme proposé inabouti à cet égard ;

« Considère donc que les produits de base émissifs exposés à un risque de fuites de carbone devraient être couverts par le mécanisme d'ajustement , dès lors que l'intensité carbone des produits importés peut être évaluée ; estime également qu'à l'aune de ce critère, et sous réserve d'une étude d'impact approfondie, des produits de base supplémentaires pourraient être intégrés au mécanisme à l'occasion de la clause de revoyure prévue par la Commission européenne en 2026 ;

« Constate que les entreprises exportatrices européennes souffriraient, en l'état du dispositif, d'une perte de compétitivité, en raison d'une augmentation du prix des produits de base couverts par le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières et concernés par l'extinction progressive des quotas gratuits au titre du SEQE-1 ; souligne que cette situation n'est pas acceptable ; estime donc indispensable de trouver une solution conforme aux règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) afin de ne pas pénaliser les entreprises exportatrices européennes et, d'ici la clause de revoyure en 2026 et sous la même contrainte de compatibilité avec les règles de l'OMC, d'étudier l'opportunité d'une extension du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières à certains produits finis exposés à un risque de fuites de carbone ;

EXTRAIT DU RAPPORT D'INFORMATION N° 576 DE GUILLAUME CHEVROLLIER ET DENISE SAINT-PÉ, DÉPOSÉ LE 15 MARS 2022, « RÉFORMER LE MARCHÉ CARBONE POUR BÂTIR UNE ÉCONOMIE EUROPÉENNE SOUVERAINE, DURABLE ET JUSTE »

Recommandation n°9 : sous réserve d'une étude d'impact approfondie et du respect des critères énoncés par la Commission européenne, envisager l'intégration de produits de base supplémentaires au MACF d'ici 2026, le cas échéant, dès l'examen du projet de règlement au Conseil et au Parlement européen.

Recommandation n°10 : afin de résorber le déficit de compétitivité dont pourraient souffrir les entreprises exportatrices européennes, étudier l'opportunité d'une extension du MACF, d'ici 2026, à certains produits finis particulièrement exposés à un risque de fuites de carbone, et tenir compte des émissions indirectes des produits couverts.

C. ASSURER LA RÉCIPROCITÉ ET L'ÉQUILIBRE DES RELATIONS COMMERCIALES

1. Une nouvelle stratégie commerciale, plus assertive mais toujours ouverte

La Commission européenne a adopté en février 2021 une nouvelle stratégie commerciale, définie comme « ouverte, durable et ferme » , marquant un changement de ton dans sa façon d'aborder la politique commerciale, compétence exclusive de l'Union européenne.

Dans cette communication, la Commission maintient le cap historiquement fixé de l'ouverture commerciale et du développement des échanges - permettant la diversification de nos débouchés et de nos fournisseurs, près de 4 millions de nos emplois dépendant des exportations. Cependant, de façon nouvelle, elle cherche à mieux articuler cette ouverture avec la protection de ses intérêts face aux pratiques commerciales déloyales d'États tiers , au moyen d'un ensemble de normes : instrument contre les subventions étrangères sources de distorsion, instrument relatif à la réciprocité dans l'accès aux marchés publics, instrument anti-coercition. La conciliation de cette politique commerciale ouverte avec une fermeté de l'UE sur ses valeurs est aussi recherchée , par la garantie de compatibilité avec les objectifs de développement durable, par le MACF et la lutte contre la déforestation importée.

L'adoption de cette stratégie s'inscrit dans l'ambition d'une Commission « géopolitique » et doit participer à « l'autonomie stratégique ouverte » de l'Union , dans un contexte marqué par la montée en puissance de la Chine, par le regain de tensions géopolitiques en Chine et États-Unis et par la pandémie de Covid-19. Le Brexit a facilité l'adoption de cet agenda auquel le Royaume-Uni s'était longtemps opposé, ce qui limitait la possibilité pour l'UE de se doter de nouveaux outils de défense commerciale.

Ainsi, dans cette nouvelle phase, la conformité des accords de libre-échange aux valeurs et intérêts stratégiques européens devrait être évaluée de façon plus rigoureuse, notamment par la représentation nationale dans le cadre du Comité de suivi de la politique commerciale. À cet égard, il faut rappeler que l'accord de libre-échange entre le Canada et l'UE (accord économique et commercial global, « AECG » ou « CETA » en anglais) n'a à ce jour toujours pas été ratifié par le Parlement français, ce qui n'est pas sans poser de graves difficultés de légitimité démocratique . L'accord avec le Mercosur, de son côté, ne devrait pas être ratifié avant d'avoir été dûment examiné. Avant la conclusion de tout nouvel accord de commerce, il serait opportun d'évaluer plus finement les réallocations sectorielles et géographiques, de façon transparente et réaliste, en calculant ses bénéfices d'après l'application prévisible de l'accord, et non d'après une application idéale.

Recommandation n° 39 :

- Prévoir la ratification systématique des accords commerciaux mixtes par les parlements nationaux, à commencer par le CETA, pour assurer la transparence et le contrôle démocratique sur ces accords ;

- Évaluer de façon transversale et exhaustive, filière par filière, les effets potentiels des accords commerciaux, à commencer par l'accord avec le Mercosur, à l'aune des résultats constatés des précédents accords. Évaluer l'articulation des traités à venir avec les traités passés et leur impact cumulé.

À juste titre, ce changement d'approche de la Commission ne remet pas fondamentalement en cause l'agenda d'ouverture des marchés porté par l'Union européenne . Les bienfaits du libre-échange dans la grande majorité des situations font l'objet d'un consensus sans équivoque. Les ménages et entreprises de l'Union ont fortement bénéficié de l'ouverture commerciale, notamment dans le cadre de ses accords de libre-échange, sources de gains de productivité, de diversification de l'approvisionnement, de prix concurrentiels, et de réallocations sectorielles.

Ainsi, l'UE et les États membres défendent une relance ambitieuse de l'OMC (accord sur la pêche, sur le commerce électronique, travaux sur la durabilité et réforme de l'organe de règlement des différends), lors de la douzième Conférence ministérielle de l'OMC (CM12), qui aura lieu du 12 au 15 juin 2022 au siège de l'Organisation à Genève. La France et la Commission affirment que « les efforts pour la mise en oeuvre des accords de commerce existants ne sont pas incompatibles avec l'approfondissement du réseau d'accords de commerce de l'UE ».

Toutefois, face à la paralysie depuis de nombreuses années de négociations commerciales multilatérales, l'UE s'est engagée pleinement dans une forme de dialogue plus souple avec les États-Unis, au sein du Conseil du commerce et des technologies 227 ( * ) , un « processus plutôt qu'un accord 228 ( * ) », susceptible d'apporter des avancées de moindre ampleur mais concrètes.

2. Tirer pleinement parti des accords de commerce existants

Avec cette nouvelle stratégie commerciale de l'Union, l'accent est mis sur « la mise en oeuvre des accords de commerce ». La direction générale du Trésor reconnaît volontiers dans ses échanges avec la mission que « la France a incité la Commission européenne à déployer davantage de ressources dans la bonne mise en oeuvre des accords de commerce déjà conclus par l'UE ». Cette attention spécifique à l'aval des accords de libre-échange, c'est-à-dire à leur bonne application, prend acte d'un retour à la normale du commerce international 229 ( * ) par rapport aux tendances exceptionnelles de 1995 à 2007 : l'intégration de la Chine dans les chaînes de valeur mondiales, le progrès des technologies de communication et la conclusion d'accords de libre-échange avaient contribué à une hausse atypique du taux d'ouverture des économies sur cette période.

La nouvelle orientation de la Commission s'est traduite sur le plan institutionnel par la création d'un « procureur commercial européen », directeur général adjoint de la DG « Commerce », Denis Redonnet, entendu par les rapporteurs. Ce nouvel acteur de la politique commerciale européenne est chargé de suivre le respect des engagements de nos partenaires commerciaux et de permettre à toutes nos entreprises de tirer pleinement parti des opportunités offertes par les accords . Son but est de lever les barrières aux échanges qui subsisteraient en contradiction avec les engagements pris dans ces accords de libre-échange, et de veiller, en lien avec les réseaux des services économiques régionaux, du réseau diplomatique, à ce que de nouvelles mesures restrictives ne soient pas adoptées.

Dans son rapport annuel d'octobre 2021 sur la mise en oeuvre des accords commerciaux de l'Union européenne 230 ( * ) , la Commission établit une cartographie de ces barrières aux échanges, aujourd'hui principalement non tarifaires , et des moyens de les lever. Un rapport de la Commission en date de 2019 estime que les obstacles techniques au commerce et autres mesures sanitaires et phytosanitaires augmentent de 8 % le coût des produits (hors accord et avec accord de libre-échange).

En 2020, le manque à gagner lié à la mauvaise application des accords de commerce par nos partenaires commerciaux s'élevait à 4,3 Mds€ pour les entreprises de l'UE, dont 607 M€ pour les entreprises françaises , des montants significatifs à mettre en regard des économies, certes importantes, réalisées par ces entreprises grâce à ces accords, respectivement de 15 Mds€ et 1,5 Md€. On peut en déduire que plus de 22 % du gain anticipé des accords de commerce n'a pas été récupéré pour l'Union européenne, et près de 29 % pour la France. L'ampleur de ce manque à gagner est probablement encore sous-estimée , ces chiffres ne concernant que nos échanges avec un échantillon de 33 partenaires commerciaux, vraisemblablement les plus coopératifs puisqu'ils ont accepté de partager leurs informations avec la Commission.

Les services de la Commission rendent publiques des estimations par secteur de ces pertes d'opportunité commerciales .

Pertes d'opportunité à l'export causées par l'application défaillante
des accords de libre-échange

Union européenne

France

Secteur

Montant

Secteur

Montant

Machines

850 M€

Produits agricoles

126 M€

Produits
de transport

Produits agricoles

600 M€

600 M€

Produits chimiques

100 M€

Produits chimiques

550 M€

Machines
et appareils

98 M€

Source : Commission des affaires économiques,
à partir des données fournies par la Commission européenne.

Sans surprise, ce classement reflète assez fidèlement les secteurs de spécialisation de la France à l'export. Le taux d'utilisation des préférences 231 ( * ) ( preference utilization rate ) par destination est dans la moyenne européenne (66 % au Canada, 80 % au Chili, 80 % en Égypte, 60 % au Japon, 78 % au Mexique, 74 % au Maroc).

Il faut toutefois pouvoir distinguer ce qui résulte d'une part de la mauvaise foi ou du caractère non coopératif d'un partenaire , et d'autre part de la faible connaissance des accords ou faible familiarisation avec les procédures douanières, ce que ne permettent pas les informations publiées une fois par an par la Commission sur l'« utilisation des préférences tarifaires dans le cadre des accords commerciaux préférentiels de l'UE ».

C'est pourquoi les rapporteurs proposent de changer de vocabulaire et de ne plus parler de « taux d'utilisation des préférences commerciales », terme qui laisse entendre que les entreprises sont seules responsables de leur sous-utilisation. Il serait plus pertinent de parler de « non-application des accords commerciaux » , dans la mesure où une source importante de non-utilisation des préférences commerciales est liée à des barrières tarifaires, non tarifaires (notamment phytosanitaires) et plus largement à une attitude non coopérative d'États tiers.

Enfin, il n'existe pas de ventilation, par classe de taille d'entreprises 232 ( * ) , des gains estimés liés à l'application des accords de libre-échange ni, par conséquent, du manque à gagner lié à l'application partielle ou défaillante de ces accords. Ni les pays partenaires ni les États membres ne recueillent ces données. Il serait pourtant particulièrement intéressant de les connaître, afin de fournir un accompagnement en fonction du profil des entreprises, à celles qui parviennent le moins à tirer profit des accords de commerce.

À cet égard, les autorités européennes pourraient profiter de l'entrée en vigueur en 2024 du règlement relatif aux statistiques européennes d'entreprises 233 ( * ) , pour exploiter les données commerciales par classes de taille d'entreprise, et ainsi identifier pour chaque catégorie le manque à gagner résultant de la mauvaise application des accords pour chaque catégorie pour trouver l'accompagnement idoine.

3. Restreindre l'accès à nos marchés publics n'est pas une fin en soi, mais peut être un levier pour accéder à ceux des autres États
a) L'efficacité limitée de la préférence nationale ou européenne dans les marchés publics justifie le maintien de l'ouverture et de l'égalité de traitement

L'instauration d'une préférence nationale ou européenne dans les marchés publics est fréquemment présentée positivement dans le débat public comme un moyen de contribuer à la structuration d'un écosystème d'entreprises locales ou nationales.

L'augmentation des importations dans la commande publique, plus marquée en France (de 6,5 à 8,2 %) qu'en Allemagne (de 7,8 à 8 %) entre 2005 et 2014, doit être un point de vigilance pour les pouvoirs publics. Elle accroît la tentation d'utiliser la commande publique comme levier de protectionnisme, dans le contexte plus général d'un rééquilibrage au sein de l'UE entre politique de concurrence et politique industrielle au profit de cette dernière.

Pour séduisante qu'elle soit, cette tentation présente toutefois des inconvénients masqués. Elle exempte d'une saine concurrence les entreprises sans leur laisser l'opportunité de démontrer leur plus-value en matière de coûts ou de service rendu. Cette politique fait reposer un soutien aux entreprises nationales ou européennes les moins efficaces sur les finances publiques - et en particulier sur les finances locales, les collectivités territoriales réalisant environ 60 % des achats publics. Ses retombées pour l'économie nationale sont incertaines, engendrant une « perte sèche » liée à son inefficience, dont même les entreprises bénéficiaires pâtiraient elles-mêmes en dernier ressort. Surtout, en limitant la diversification de nos sources d'approvisionnement , cette politique expose les collectivités et l'État, et plus largement l'économie à des prix plus élevés, voire des risques de pénurie, ce qui serait contre-productif au regard de la souveraineté économique.

En mars 2022, les États-Unis ont pourtant actualisé les règles de commande publique au niveau fédéral dans un tel sens protectionniste en prévoyant l'augmentation progressive, dans le Buy American Act 234 ( * ) , des exigences de « contenu national », de 55 % aujourd'hui à 75 % en 2029, avec une première hausse à 60 % dès octobre 2022 et une cible intermédiaire de 65 % en 2024 . Selon la présentation faite par le président des États-Unis, cela signifie que les termes « substantially all should be made in the U.S. » [« la quasi-totalité devrait être fabriquée aux États-Unis »] seront entendus de façon plus restrictive : il faudra 75 % en 2029 de composants américains, contre 55 % aujourd'hui, pour qu'un produit soit considéré comme « fabriqué aux États-Unis » et donc bénéficie d'une priorité dans le cadre de la commande publique. Par ailleurs, une offre américaine pourrait être préférée jusqu'à un surcoût de 20 % par rapport à une offre concurrente étrangère, alors que la préférence ne pouvait s'appliquer auparavant que jusqu'à un surcoût de 6 %.

Aucun des interlocuteurs entendus par les rapporteurs - Direction générale du Trésor, DG Commerce de l'Union européenne et l'économiste du Centre d'études prospectives et d'informations internationales ( Cepii) Vincent Vicard - ne considère qu'il peut s'agir d'un modèle à suivre pour favoriser la structuration d'un écosystème local d'entreprises ou l'émergence de filières d'avenir .

En outre, une comparaison de la composition de la commande publique et de son poids dans l'économie tempère les inquiétudes exprimées et fait ressortir une situation française plutôt favorable 235 ( * ) . Ainsi, la commande publique représente de façon stable 14 % du PIB depuis le milieu des années 2000, chiffre qui se situe dans la moyenne des pays européens . Son contenu en importations, autour de 8 %, reste en deçà de la moyenne de la zone euro . Le moindre contenu en importations dans la commande publique aux États-Unis et en Chine s'explique par la plus grande taille de leur économie ; cependant, le contenu en importations extra-européennes de la commande publique française est de moins de 4 %, soit une proportion comparable à ces États . Cette situation suggère que « la capacité à stimuler la relocalisation d'activités économiques via la commande publique est réduite 236 ( * ) ».

Source : Conseil d'analyse économique.

Outre sa faible justification économique, la préférence nationale ou européenne dans les marchés publics peut s'avérer illégale , dans les cas, fréquents, où elle entre en contradiction avec l'Accord sur les marchés publics 237 ( * ) ou avec les multiples dispositions en ce domaine des accords de libre-échange conclus par l'UE. Le champ licite d'une préférence nationale ou européenne serait quoi qu'il en soit très réduit.

Du reste, les maigres bénéfices escomptés par la préférence nationale font abstraction du risque de rétorsion commerciale de pays tiers , qui ne serait pas négligeable, en particulier de la part d'États avec lesquels la France et l'UE ont conclu des accords sur l'accès aux marchés publics.

La Commission européenne privilégie au contraire une approche coopérative en matière d'accès aux marchés publics de nos partenaires commerciaux, en cherchant par exemple à acter des aménagements à la réforme du Buy American Act dans le cadre du Conseil du commerce et des technologies qui associe l'Union européenne et les États-Unis .

Hormis pour certains marchés critiques, comme la défense et la sécurité, déjà exclus du champ des engagements internationaux souscrits par l'UE, les rapporteurs privilégient l'ouverture de nos marchés publics, afin d'améliorer la résilience de nos chaînes d'approvisionnement par la concurrence et la diversification .

b) Obtenir la réciprocité dans l'accès aux marchés publics en musclant le nouvel instrument relatif aux marchés publics internationaux (IPI)

Comme l'expriment les auteurs du focus précité 238 ( * ) , « les mécanismes qui pourraient stimuler la relocalisation de l'activité économique à travers la commande publique sont doubles et ne vont pas forcément dans le même sens au sujet de l'ouverture de cette commande publique : d'une part, en favorisant des achats "locaux", la commande publique pourrait substituer aux importations des produits et services nationaux ou européens jusqu'alors produits hors Union européenne et, d'autre part, en gagnant des parts de marché sur les marchés publics étrangers, les entreprises françaises résidentes pourraient augmenter leurs exportations et accroître leur production . »

C'est dans cette seconde logique que s'inscrit l' IPI 239 ( * ) (Instrument relatif aux marchés publics internationaux) , issu d'une proposition de règlement de la Commission européenne datant de 2012. Longtemps bloqué par les États les plus libéraux par crainte de rétorsions d'États tiers et du signal de fermeture qu'il aurait pu renvoyer, l'IPI a finalement fait l'objet d'un accord en trilogue en mars 2022, sous présidence française de l'UE. Adopté en juin 2022 à une très large majorité par le Parlement européen, il ne nécessitait plus pour entrer en vigueur, lors de la rédaction du présent rapport, que l'adoption par le Conseil de l'UE. Visant la suppression de barrières à l'accès de marchés étrangers et la diversification des clients, ce règlement est cohérent avec l'approche plus assertive et cependant toujours aussi ouverte de la politique commerciale.

Cet instrument prévoit que la Commission puisse, après une phase de dialogue, appliquer une pénalité ou « mesure d'ajustement du prix » renchérissant les réponses aux appels d'offre issues de pays tiers dont les marchés publics ne sont pas ouverts. En dernier ressort, des restrictions d'accès voire l'exclusion des marchés publics européens pourraient être décidées - ainsi que des restrictions dans l'approvisionnement issu de ces pays pour les candidatures domestiques . Cet outil contribuera, ne serait-ce que par la dissuasion, à renforcer la concurrence et la transparence, et à lutter contre les pratiques protectionnistes ou discriminatoires de pays tiers en matière de commande publique , une sphère historiquement très protégée de la concurrence étrangère alors qu'elle compte en moyenne pour plus de 15 % du PIB national, privant nos entreprises d'importants gisements de croissance. À ce jour, la valeur des marchés publics ouverts est de 352 Mds€ dans l'UE, contre 178 Mds€ aux États-Unis et 28 Mds€ au Japon.

Bien que renforcé lors de son examen, le texte adopté au Parlement européen présente toujours certaines faiblesses, limitant son effet de levier :

• d'abord, l'IPI ne concerne que les entreprises issues de pays non-parties à l'Accord sur les marchés publics 240 ( * ) (AMP) de l'OMC ou n'ayant pas souscrit d'engagement dans le cadre d'un accord de commerce avec l'UE, tout en excluant les pays les moins avancés : c'est ce qui garantit la conformité des mesures de rétorsion de l'UE à ses engagements internationaux. Cela limite néanmoins de facto son champ d'application, en omettant certains acteurs parmi les moins coopératifs. Les services de la Commission font remarquer que les pratiques discriminatoires et protectionnistes sont souvent le fait de pays tiers n'ayant pas souscrit à des engagements d'ouverture de leurs marchés publics, mais le récent exemple des États-Unis, parties à l'AMP, prouve le contraire ;

• ensuite, l'IPI ne couvre que les gros marchés publics : seuls les marchés supérieurs à 15 M€ pour les travaux et concessions ou à 5 M€ pour les biens et services entrent dans le champ de l'IPI, privant de protection près de 85 % des marchés publics en nombre et 30 % en valeur ;

• enfin, la Commission est seule juge de la violation des conditions de concurrence équitable par l'État tiers, le texte ne prévoyant plus la procédure décentralisée qui donnait aux États membres plus de marge de manoeuvre dans la version présentée en 2012 de l'instrument IPI .

Recommandation n° 40 :

Pousser les États tiers à donner accès à leur commande publique aux entreprises européennes en :

- abaissant le seuil des marchés entrant dans le champ d'application de l'instrument pour la réciprocité dans les marchés publics (IPI) ;

- permettant aux États, comme à la Commission qui le pourra déjà, de prendre des mesures de rétorsion sous réserve de notification à la Commission ;

- étudiant l'opportunité de prendre des mesures de rétorsion contre des États non coopératifs, même lorsque l'UE est juridiquement engagée avec eux dans le cadre d'un accord sur l'accès aux marchés publics.

Des études suggèrent toutefois que les efforts pour consacrer dans le droit l'accès aux marchés publics étrangers, dans le cadre d'accords de libre-échange, sont « extrêmement coûteux pour des résultats peu satisfaisants 241 ( * ) », en particulier pour les biens 242 ( * ) .

Aussi, afin d'activer pleinement nos accords de commerce et l'Accord sur les marchés publics, les rapporteurs jugent indispensable de compléter cette démarche juridique par un accompagnement concret de nos entreprises, à même d'accroître leurs chances de gagner des appels d'offres, comme par exemple via une meilleure identification par nos services économiques régionaux des bonnes pratiques (y compris culturelles) facilitant l'accès aux marchés publics locaux.

V. LA SOUVERAINETÉ PAR DAVANTAGE DE PROTECTION DE NOS ENTREPRISES FACE AUX INFLUENCES ÉTRANGÈRES

A. RÉDUIRE LA VULNÉRABILITÉ DE NOS ENTREPRISES FACE À L'EXTRATERRITORIALITÉ

1. Extraterritorialité des données : une souveraineté logicielle à construire pour protéger nos entreprises
a) 80 % des données générées par les internautes français sont stockées aux États-Unis et exploitées sur des logiciels américains

Aujourd'hui, il est estimé que 80 % des données générées par les internautes français lorsqu'ils naviguent sur Internet sont hébergées dans des serveurs et dans des centres de données localisés aux États-Unis.

Cette concentration territoriale des infrastructures de stockage des données aux États-Unis est à relier à la domination des grandes entreprises américaines du numérique dans le domaine de l'informatique en nuage. En effet, les principaux logiciels de traitement des données sont américains et ont été développés par des sociétés établies et immatriculées aux États-Unis. Il est ainsi estimé que les services d'Amazon, de Microsoft et de Google représentent 70 % des parts mondiales du marché de l'informatique en nuage , un marché fortement oligopolistique et qui demeure peu concurrentiel.

Jusqu'à l'adoption du Clarifying Lawful Overseas Use of Data Act 243 ( * ) dit Cloud Act par le Congrès américain en 2018, le lieu de stockage des données était déterminant dans la détermination de la législation applicable . Ainsi, en 2013, la société Microsoft avait refusé de transmettre à l'administration fédérale américaine, dans le cadre d'une enquête pénale, le contenu d'une boîte aux lettres électronique au motif que les données correspondantes étaient stockées en Irlande et non aux États-Unis. La cour d'appel de New-York avait alors estimé qu'un mandat de réquisition pris en application du Stored Communications Act 244 ( * ) de 1986 ne pouvait pas avoir pour effet d'obliger un fournisseur de services électroniques de communication, de traitement ou de stockage des données à transmettre de telles données lorsqu'elles sont stockées à l'étranger 245 ( * ) .

Les États-Unis ont toutefois clarifié et renforcé la portée extraterritoriale de leur législation avec l'adoption du Cloud Act . Désormais, tout prestataire de services électroniques immatriculé aux États-Unis doit communiquer à l'administration américaine les données de communication qui lui sont demandées dans le cadre d'un mandat de perquisition, et ce quel que soit le lieu de stockage de ces données dès lors que le prestataire en est propriétaire, les détient ou les contrôle. Par conséquent, la très grande majorité des principaux établissements de traitement de données (en premier lieu, les GAFAM) est désormais soumise aux législations américaines, car le lieu d'immatriculation des sociétés est devenu primordial dans la détermination de la législation applicable .

Ce changement de législation, conjuguée à une situation concurrentielle largement favorable aux grandes entreprises américaines du numérique, est devenu l'une des principales vulnérabilités de l'Union européenne en matière de souveraineté numérique , car la plupart des données des ressortissants de l'UE sont désormais accessibles par les États-Unis, comme l'explique Emmanuelle Mignon, conseillère d'État : « Concrètement, les GAFAM, qui sont des sociétés immatriculées aux États-Unis, doivent communiquer toute donnée de communication stockées aux États-Unis ou à l'étranger qui leur est demandée par les autorités américaines, quand bien même la donnée appartient à une entreprise ou à un ressortissant étranger et a été confié à une filiale de ce GAFAM immatriculé à l'étranger. Comme les GAFAM contrôlent l'essentiel du cloud mondial, les détracteurs du Cloud Act considèrent que les États-Unis se sont en réalité ménagé un accès à l'ensemble des données mondiales 246 ( * ) ».

b) La vulnérabilité de nos entreprises face aux lois extraterritoriales relatives aux données est significativement accentuée par notre manque d'autonomie logicielle

La vulnérabilité des entreprises françaises et européennes face aux lois extraterritoriales américaines relatives aux données a été considérablement accentuée par l'adoption du Cloud Act . Même si les pouvoirs donnés à l'administration fédérale américaine demeurent subordonnés à l'existence d'une enquête pénale, l'administration peut s'intéresser à tout type d'infractions, et non seulement les plus graves, pour accéder aux données correspondantes.

L'adoption du Cloud Act met en réalité en évidence une faiblesse significative de l'Union européenne : sa dépendance logicielle .

Les auditions menées dans le cadre de la mission d'information ont mis en évidence la nécessité pour l'Union européenne de s'assurer une autonomie technique en matière de logiciels d'hébergement et de traitement des données , ce qu'a souligné Pierre Gronlier, directeur des technologies chez Gaïa-X : « Il est ainsi primordial de pouvoir identifier tout le long de la chaine de traitement des données, quels sont les composants logiciels et quels sont les niveaux de dépendances opérationnels du responsable de traitement. Sans cette transparence sur la provenance du logiciel et sur l'identification des organisations européennes ou non européennes en capacité de maintenir en condition opérationnelle les logiciels utilisés, il n'a pas d'autonomie technique ni de souveraineté numérique possible » 247 ( * ) .

Lorsqu'un logiciel informatique américain est utilisé par une entreprise française ou européenne, y compris sous forme de licence, une fois installé, ce produit devient un service. Il faut alors en assurer la maintenance logicielle ou « le service-client ». Or, si le savoir-faire et les compétences nécessaires à cette maintenance logicielle ne sont pas détenus ni maîtrisés à l'échelle de l'Union européenne, il existe alors une dépendance technique à l'égard des États-Unis qui pourrait être préjudiciable pour les entreprises françaises et européennes.

Par conséquent, il est indispensable de renforcer de façon significative les investissements dans les compétences et la formation aux différents métiers du cloud , afin de disposer d'un « vivier national » de talents polyvalents capables de développer des logiciels informatiques et d'en assurer la maintenance logicielle ( voir le B du III du présent rapport ). Il apparaît surtout urgent de constituer une filière européenne de l'informatique en nuage, en soutenant les sociétés européennes immatriculées sur le territoire de l'Union européenne qui développent leurs propres logiciels de cloud .

c) Les premières initiatives françaises et européennes demeurent insuffisantes pour bâtir une véritable filière industrielle du logiciel

Des initiatives ont été prises, à l'échelle nationale, pour développer une filière industrielle du cloud , mais elles n'ont pas prospéré .

Un premier projet de cloud national français avait été initié dès 2010 lors de la mise en oeuvre du premier programme d'investissement d'avenir (PIA). Ce projet, dénommé « Andromède » , se traduisait par un partenariat public-privé entre le Gouvernement, qui apportait des financements publics, et les entreprises Orange, Thalès et Dassault Systèmes. À la suite de désaccords importants, ce projet fut scindé en deux initiatives distinctes, la première menée par Orange et Thalès dite « Cloudwatt » et la seconde menée par Dassault Systèmes et SFR dite « Numergy » . Toutefois, ces deux projets furent progressivement abandonnés en raison des divergences entre les acteurs économiques concernés et du manque de portage politique sur de tels sujets.

En 2013, dans le cadre des plans de la « Nouvelle France Industrielle », un deuxième projet de cloud national français fut initié. Cette démarche était différente en ce qu'elle visait à soutenir directement les efforts de recherche et de développement des entreprises Atos et OVH afin qu'elles consolident leurs compétences dans ce domaine. OVHCloud est désormais le premier acteur français dans ce secteur et l'une des premières licornes françaises cotées chez Euronext avec une première levée de fonds de 350 millions d'euros lors de son introduction en Bourse l'année dernière, mais son développement ne permet pas encore de concurrencer l'hégémonie des GAFAM sur les marchés français, européen et mondial du cloud .

À l'échelle européenne, la principale initiative est aujourd'hui le projet « Gaïa-X », initié par l'Allemagne et la France en 2019 , dont le principal objectif est de déterminer de façon harmonisée des standards techniques et des spécifications communes à destination des acteurs du cloud . Si une telle initiative est nécessaire et souhaitable pour développer la filière cloud , les auditions menées par la mission d'information 248 ( * ) ont révélé un bilan contrasté quant à la capacité de ce projet à répondre aux enjeux de souveraineté numérique auxquels l'Union européenne doit faire face . Association internationale à but non lucratif réunissant plus de 320 membres actifs, dont environ 90 % sont des acteurs européens et 10 % des acteurs non-européens, le projet Gaïa-X a notamment été fortement critiqué par deux entreprises françaises du cloud qui y dénoncent l'influence des grandes entreprises américaines du numérique.

Par conséquent, d'autres initiatives se structurent progressivement afin de mieux répondre à l'impératif de souveraineté numérique, à l'image d' « Euclidia-X », coalition de fournisseurs européens de technologies cloud. Ce projet vise à promouvoir le soutien aux acteurs français et européens, dans un contexte où la stratégie du « Cloud de confiance » poursuivie par le Gouvernement est très critiquée car favorisant l'utilisation de logiciels américains sous forme de licences. Si une telle stratégie permet de mieux assurer l'autonomie légale de l'Union européenne face à l'extra-territorialité du droit américain, elle ne répond pas aux enjeux de dépendance logicielle auxquels les entreprises européennes sont également confrontées.

Au regard de l'échec relatif des tentatives et stratégies mises en oeuvre par le passé pour développer un cloud national, il est primordial de soutenir rapidement le développement de filières industrielles française et européenne de l'informatique en nuage, dont les sociétés doivent être immatriculées sur le territoire de l'Union européenne , dans le double objectif de renforcer notre autonomie légale face aux lois extraterritoriales américaines, et notre autonomie technique face à notre dépendance logicielle vis-à-vis des entreprises américaines .

Recommandation n° 41 :

Accélérer la création d'un projet important d'intérêt européen commun (PIIEC) pour soutenir le développement des filières industrielles française et européenne de l'informatique en nuage.

2. Face aux mesures extraterritoriales, la France et l'Europe doivent s'affirmer davantage pour sécuriser leurs entreprises

Les mesures extraterritoriales comprennent à la fois les poursuites judiciaires lancées dans le cadre de législations anticorruption et celles lancées à l'encontre d'acteurs contrevenant à la mise en oeuvre d'un régime de sanctions économiques. Aux États-Unis, État qui recourt particulièrement aux mesures extraterritoriales, elles relèvent respectivement du Department of Justice et de l'Office of Foreign Assets Control (OFAC), une agence du département du Trésor américain.

Les sanctions économiques peuvent consister en des embargos, restrictions aux exportations ou aux importations, arrêt d'aides ou d'investissements directs et gel d'avoirs financiers, destinés à affaiblir un État tiers, voire à y provoquer un changement de régime.

L'expression « sanctions extraterritoriales » désigne deux réalités distinctes :

- au sens large (sanctions primaires) , il s'agit d' une sanction prise par un État contre ses propres ressortissants ou entreprises, incluant des personnes juridiquement « rattachées » à son territoire , quel que soit le lieu de leur activité. C'est ce type de sanctions, légales , qui a l'impact économique le plus massif, l'ensemble des entreprises effectuant des transactions en dollars ou utilisant pour ses communications un serveur situé aux États-Unis pouvant par exemple être considérées comme « US persons » (« personnes américaines ») ;

- au sens propre (sanctions secondaires) , il s'agit de toute sanction prise par un État, visant un individu ou une entreprise, sans qu'aucun lien de rattachement entre cet État et cet individu ou entreprise n'existe. C'est dans cette catégorie qu'entrent les sanctions, illégales , des États-Unis ayant conduit les entreprises européennes à se désengager du marché iranien en 2018, par crainte de perdre de l'accès au marché américain 249 ( * ) .

Les rapporteurs rappellent, dans le contexte de l'adoption par l'Union européenne d'un sixième train de sanctions visant certains ressortissants et secteurs économiques russes 250 ( * ) , que ces dernières ne sont pas extraterritoriales (elles s'imposent aux seuls États membres et à leurs ressortissants) et sont conformes au droit international public : elles sont en cela doublement différentes des diverses sanctions dont ont pâti les entreprises européennes depuis les années 2000 .

a) L'absence préjudiciable d'analyse consolidée sur les effets économiques à long terme de l'extraterritorialité

Entendus par la mission, les ministères de l'Europe et des affaires étrangères et de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique 251 ( * ) , ont confirmé l'absence d'estimation exhaustive et chiffrée du coût des mesures extraterritoriales pour l'économie européenne .

Au-delà du coût financier immédiat de ces mesures, et notamment des sanctions primaires et secondaires, il existe des coûts économiques au long cours qui, bien que jamais mesurés de façon agrégée et difficilement mesurables, entraînent une indéniable perte de souveraineté (coûts d'opportunité des provisions et des efforts de contournement des sanctions, perte de l'accès à des marchés porteurs, prédation économique par des entreprises concurrentes et sur-conformité 252 ( * ) ) .

Au regard de la place prise par la question des mesures extraterritoriales dans les analyses et dans le débat public, un chiffrage fin de leurs effets macroéconomiques et microéconomiques fait défaut .

(1) Le montant des transactions ou la partie émergée de l'iceberg des coûts pour nos entreprises

Bien que très élevé car ayant pour but la correction de comportements futurs (dans une logique d'efficacité de la sanction) et non la réprobation de comportements passés (dans une logique de punition morale) 253 ( * ) , le montant des pénalités pécuniaires négociées dans le cadre des transactions 254 ( * ) conclues par nos entreprises avec les autorités judiciaires de pays tiers pour mettre fin aux poursuites, ne reflète pas la totalité des coûts financiers pour les entreprises concernées.

Au total, ce sont pourtant près de 8 Md$ qui ont été déboursés par les entreprises européennes au seul titre du FCPA ( Foreign Corrupt Practices Act 255 ( * ) - loi anti-corruption des États-Unis à portée extraterritoriale). En dehors du cadre du FCPA, les montants sont même plus élevés. Le rapport Berger-Lellouche évoquait en 2016 un montant payé par les entreprises européennes supérieur à 20 Mds€, qui a continué d'augmenter depuis, allant de pair avec un durcissement des sanctions.

Source : Rapport de la mission d'information Berger-Lellouche
sur l'extraterritorialité de la législation américaine 256 ( * ) .

Les transactions conclues avec les autorités judiciaires prévoient en effet la mise en place de programmes de conformité compliance » ), dans lesquels les entreprises sanctionnées sont contraintes de s'engager pour prouver leur bonne foi et leur disposition à coopérer. Ces programmes s'échelonnent sur plusieurs années (à titre d'exemple, pendant trois ans pour Airbus dans une récente affaire) et impliquent des frais d'audit monitoring » ) importants , à la charge des entreprises concernées.

Ils peuvent conduire les entreprises, au regard de leur profil de risque, à passer davantage de provisions pour risque , alors que ces ressources financières bloquées auraient pu être investies dans des actions plus utiles au développement de l'entreprise.

Des réorganisations et un changement de culture de l'entreprise sont souvent rendus nécessaires, à travers notamment la création de services dédiés à la conformité, qui mobilisent des ressources humaines et de l'énergie 257 ( * ) , à des fins de réduction du risque.

Enfin, la possibilité pour le juge de requérir certains documents confidentiels , consultables par d'autres entreprises parties à un procès, dans le cadre des procédures « discovery » 258 ( * ) , peut entraîner le transfert d'informations stratégiques et faire perdre un avantage comparatif .

(2) Une instrumentalisation du droit au service d'intérêts commerciaux rivaux ?

Si les accusations d'instrumentalisation de la justice américaine à des fins de prédation sur fond de guerre économique peuvent difficilement être formellement démontrées, plusieurs rapports successifs sur la question ont évoqué des « interrogations sur une éventuelle instrumentalisation des procédures pour corruption » (rapport Berger-Lellouche de 2016), ou, de façon plus affirmative, une « collusion organique, quasi institutionnelle, [qui] renforce les doutes voire les craintes d'une instrumentalisation des procédures judiciaires américaines à des fins économiques ou commerciales » (rapport Gauvain de 2019). Les rapporteurs partagent ces craintes.

L'AFFAIRE ALSTOM OU QUAND UNE ENTREPRISE RIVALE TIRE PARTI DE L'EXTRATERRITORIALITÉ

Les soupçons d'instrumentalisation de la justice ont été particulièrement vifs s'agissant d'Alstom, dont la branche Énergie a été rachetée par l'américain General Electric en 2014 . Ils avaient déjà été émis précédemment, par exemple, lors du rachat d'Alcatel par l'américain Lucent en 2006. Dans le cas d'Alstom, les poursuites judiciaires pour des faits de corruption qui auraient été commis en Indonésie et le rachat de la branche Énergie par General Electric, ont été concomitants : Frédéric Pierucci, ancien cadre de la filiale Alstom Power, basée aux États-Unis, et donc sous la juridiction de ce pays, y a été incarcéré pendant deux ans, et sa première libération est intervenue la même semaine que l'accord entre le gouvernement français et General Electric pour la cession d'Alstom Énergie.

L'État conteste l'existence d'une prédation économique, rappelant au contraire que la branche énergie d'Alstom, plutôt bien vendue, avait été un poids pour General Electric pendant des années , en raison d'un marché saturé et de clauses strictes sur le maintien de l'outil productif et de l'emploi posées par la France dans le cadre du décret dit « Montebourg » de mai 2014. Dans le même temps, Alstom, recentré sur le ferroviaire, s'est consolidé grâce à l'acquisition de Bombardier Transports, s'élevant au 2 e rang mondial dans ce domaine et remportant récemment plusieurs contrats importants à l'étranger.

Les rapporteurs notent toutefois que l'intérêt commercial limité de l'opération pour General Electric accrédite d'autant plus l'idée qu'un intérêt stratégique a motivé l'acquisition d'Alstom Énergie par General Electric.

La maintenance et la mise à niveau d'infrastructures essentielles, telles que les turbines Arabelle , équipant un tiers des centrales nucléaires dans le monde, les sous-marins à propulsion nucléaire français et le porte-avions Charles de Gaulle, ont été confiées pendant plusieurs années à General Electric , ce que n'effacera pas le rachat, à horizon 2023, d'une partie de l'ancienne branche énergie nucléaire d'Alstom par EDF - à un prix deux fois plus élevé que son prix d'achat de 2014.

Indéniablement, les poursuites judiciaires contre Alstom ont affaibli l'entreprise et facilité son acquisition par General Electric, exposant la France à un risque d'espionnage industriel et de perte de compétences entre 2014 et 2022 et dégradant, de ce fait, sa souveraineté économique.

La mobilisation par les États-Unis d'États membres traditionnellement hostiles à la Russie au sein de l'UE et les sanctions contre les entreprises participant à la construction du gazoduc Nord Stream 2, en 2017 ( Countering America's Adversaries through Sanctions Act ) et en 2019 ( Protecting Europe's Energy Security Act ), étaient fondées sur une analyse du risque de dépendance européenne aux importations d'hydrocarbures russes qui s'est avérée particulièrement lucide, à la lumière de la guerre à l'Ukraine initiée en 2022. Il n'en reste pas moins vrai que les exportations américaines de gaz naturel liquéfié (GNL) vers l'Europe entraient en concurrence directe avec ce projet russo-allemand 259 ( * ) .

Les ministères entendus par les rapporteurs soulignent qu'il n'y a globalement pas eu de situation avérée d'entreprises américaines remportant des marchés perdus par une entreprise européenne sous le coup de sanctions, les États-Unis appliquant les mêmes règles à leurs propres entreprises . Cela a par exemple été le cas des sanctions contre l'Iran. Toutefois, les entreprises européennes et notamment françaises étant historiquement plus présentes sur le marché iranien que les entreprises américaines. Par exemple, dans le domaine de l'automobile, le rétablissement de sanctions secondaires contre l'Iran et ses partenaires en 2018 a davantage pénalisé les entreprises européennes que les entreprises américaines .

(3) Des opportunités de croissance définitivement perdues

Les sanctions extraterritoriales, par leur effet dissuasif, ont la capacité de remodeler les flux commerciaux internationaux, en interdisant de facto à toute entreprise les transactions avec certains marchés . Lorsque des sanctions secondaires s'imposent à des États tiers, c'est une atteinte au principe de la liberté du commerce, d'autant plus dommageable à la souveraineté économique de la France que les sanctions s'appliquent souvent à des marchés en croissance où les besoins de la population et notamment des classes moyennes sont importants ou prometteurs dans les domaines de spécialité de la France - services aux collectivités, infrastructures, énergie, automobile...

Les investissements nécessitant de la prévisibilité, la prise de risques des entreprises est pénalisée. À titre d'exemple, en Iran, en raison d'un embargo américain sur les exportations d'hydrocarbures (deuxième train de sanctions, en novembre 2018), TotalEnergies a dû abandonner sa participation à la phase 11 du gisement gazier South Pars, le plus grand au monde, initiée à partir de juillet 2017, renonçant à près de 5 Md$ d'investissements. De façon générale, la paralysie d'infrastructures financières et technologiques par la dissuasion est un vecteur important de propagation des sanctions au reste du tissu économique . Ainsi, les sanctions américaines ciblant les entreprises de construction du gazoduc Nord Stream 2 à partir de 2017 ont créé de l'incertitude et ralenti les investissements considérables d'entreprises européennes, dont Engie.

Le rétablissement de sanctions américaines contre l'Iran, annoncé entre 3 et 6 mois seulement avant sa mise en oeuvre effective, a précipité l'éviction d'entreprises françaises implantées parfois depuis les années 1960 , comme Peugeot et Citroën. Les discussions qui devaient conduire le groupe PSA à des partenariats avec les entreprises Khodro et Saipa ont été du jour au lendemain stoppées, et l' image de marque de l'entreprise en a été atteinte , alors qu'elle était associée à des modèles symboliques et avait vendu près de 450 000 véhicules en 2017 (30 % du marché iranien).

L'intérêt commercial pour l'utilisation du mécanisme Instex, contournant les sanctions (cf. infra ), donne en négatif un aperçu des pertes de marché subies par les entreprises françaises. Sur le marché automobile, la France a perdu un avantage comparatif , alors qu'elle faisait face à une faible concurrence du Japon, de l'Allemagne et des États-Unis, par ailleurs leaders dans ce secteur. Au-delà des seuls exportateurs, les conséquences induites pour les sous-traitants sont nombreuses.

En perdant pied sur de tels marchés, la France s'affaiblit dans la compétition internationale par la substitution partielle d'États tiers moins exposés aux sanctions ou moins averses au risque . Ainsi le départ de TotalEnergies du projet South Pars a dans un premier temps été purement et simplement compensé par le chinois CNPCI, finalement contraint de se retirer en 2019 . En matière d'importations d'hydrocarbures, il a été démontré que la Chine a discrètement contourné l'embargo américain pendant plusieurs mois 260 ( * ) .

(4) Des coûts de mise en conformité compensés par un gain de souveraineté relatif pour la France et des bénéfices réputationnels pour ses entreprises

Ce n'est que tardivement que les grandes entreprises européennes, et particulièrement françaises, se sont pleinement approprié les standards internationaux en matière de respect des règles de passation des contrats publics et de lutte anti-corruption . Dans le cadre fortement concurrentiel des candidatures pour de « gros contrats », certaines grandes entreprises ont pendant longtemps pu recourir à la pratique contestable des « frais commerciaux exceptionnels », déclarés de façon transparente aux services fiscaux, ce qui témoigne de la complaisance de l'État.

Ce retard a fragilisé en particulier les grandes entreprises, davantage présentes sur les marchés étrangers et candidates à ces gros contrats, en les exposant à la répression américaine, en application de la loi contre les pratiques de corruption à l'étranger ( Foreign Corrupt Practices Act ) de 1977, complétée en 1998. À titre d'exemple, avant les poursuites américaines, Alstom avait déjà été condamné pour corruption au Mexique (2004), en Italie (2008) et en Suisse (2011) et des enquêtes étaient en cours au Royaume-Uni et en Norvège.

Force est d'admettre que nos partenaires commerciaux ont largement profité de ce vide juridique. Les administrations entendues par les rapporteurs ont en effet rappelé que la législation française est longtemps restée en deçà des exigences des conventions du Conseil de l'Europe 261 ( * ) et de l'OCDE 262 ( * ) , et même de la convention de l'ONU de 2003, pourtant moins exigeante, en matière de corruption .

Une remise à niveau crédible de la législation n'est intervenue qu'avec la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (loi « Sapin 2 ») , qui prévoit la mise en place de programmes de conformité aux normes anticorruption pour les entités de plus de 500 salariés et dont le chiffre d'affaires est de plus de 100 M€.

Cette mise en conformité nécessaire a emporté des coûts juridiques directs renchérissant les coûts de production (services juridiques dédiés, procédures de contrôle interne, adoptions de nouvelles pratiques et d'une nouvelle culture du risque) et des coûts économiques indirects (certains États non coopératifs, tels que l'Inde, la Turquie et la Russie, n'étant pas parties aux conventions anticorruption, ils disposent d'un avantage comparatif qui a pu se traduire par des pertes de marché de nos entreprises). Selon Transparency International, 83 % des exportations mondiales restent en effet touchées par la corruption, certains pays comme l'Allemagne et l'Italie 263 ( * ) étant désormais en retard sur la France.

Ces coûts sont toutefois compensés par des gains financiers de long terme pour les entreprises, même si la mise en conformité limite fortement la probabilité et l'ampleur de nouvelles condamnations. En évitant des procès médiatiques, elle se traduit par d'importants bénéfices réputationnels , en particulier sur les marchés émergents où se situent les contrats d'infrastructures les plus significatifs et où la classe moyenne urbaine attache une importance croissante à la lutte contre la corruption. L'OCDE souligne régulièrement les effets positifs de la probité économique, dans la durée, sur la performance et la sécurité des entreprises .

LA CONVENTION JUDICIAIRE D'INTÉRÊT PUBLIC (CJIP) : UN LEVIER DE SOUVERAINETÉ

La loi « Sapin 2 » a créé l'Agence française anticorruption (AFA) et la convention judiciaire d'intérêt public (CJIP). Sur le modèle des transactions conclues avec le Department of Justice américain, la CJIP est une convention par laquelle la justice française et une entité poursuivie pour corruption ou trafic d'influence, ou depuis 2018 pour fraude fiscale, peuvent convenir de l'extinction des poursuites, longues et à l'issue incertaine, en contrepartie du versement immédiat d'une « amende d'intérêt public ». La célérité et l'efficacité de cette procédure par rapport à une procédure judiciaire classique permettent, par la répression plus crédible des infractions économiques et financières 264 ( * ) , de se substituer pour partie aux poursuites d'États tiers .

Cela a d'abord permis un gain financier non négligeable pour la France, les enquêtes miroir ouvertes par le Parquet national financier à l'encontre de la Société générale (juin 2018) et Airbus (février 2020) ayant par exemple permis au Trésor public de percevoir des amendes respectivement de 250 M€ (soit autant qu'aux États-Unis) et de 2,1 Mds€ (le Royaume-Uni et les États-Unis se partageant 1,5 Md€).

Cela a aussi permis un gain de souveraineté relatif, les programmes de conformité mis en oeuvre par les entreprises sous le contrôle de l'Agence française anticorruption limitant le champ des informations transmises au Department of Justice américain, et préservant l'intérêt économique de ces entreprises .

Lors de la rédaction du présent rapport, vingt conventions judiciaires d'intérêt public avaient déjà été conclues. Le bilan positif de cette procédure, établi dans le rapport Gauvain-Marleix évaluant l'impact de la loi Sapin 2 265 ( * ) a nourri le dépôt d'une proposition de loi « visant à renforcer la lutte contre la corruption 266 ( * ) », qui tend notamment à créer une forme de « droit à la CJIP » pour les entreprises incriminées, souhaitable dans la lutte contre les effets de l'extraterritorialité, à condition qu'il ne soit pas automatique, au risque sinon d'affaiblir la répression des infractions économiques 267 ( * ) . Le rapport Gauvain recommandait, à raison, de simplifier et de rendre plus lisible la CJIP 268 ( * ) , afin d'en faciliter le recours par les entreprises. Par ailleurs, à des fins de transparence, la publication des CJIP, aujourd'hui dispersée entre les sites internet du ministère de la Justice 269 ( * ) , du ministère chargé du Budget 270 ( * ) et de l'Agence française anticorruption 271 ( * ) , gagnerait utilement à être centralisée sur une page ad hoc .

Une forme de « droit à la transaction » pourrait être établi au profit des entreprises françaises exposées à des mesures extraterritoriales d'États tiers, afin d'éteindre plus rapidement les poursuites - en contrepartie d'un renforcement du contrôle du juge sur ces transactions, au travers de son homologation.

(5) Les politiques de sur-conformité et de réduction des risques des sociétés, notamment bancaires, amplifient les sanctions étatiques

Au-delà de ces coûts directs et indirects des mesures extraterritoriales elles-mêmes, une perte supplémentaire pour les entreprises européennes résulte de la politique de sur-conformité overcompliance » ) et de réduction des risques (« de-risking » ) de certaines d'entre elles. La communauté bancaire internationale est particulièrement sujette à cette attitude averse au risque , en raison des coûts extrêmement importants qu'entraînerait pour elle la perte de l'accès au marché américain. Or, le secteur bancaire joue un rôle pivot dans le financement des sociétés non financières, et notamment des TPE, PME et ETI, sa paralysie privant par ricochet ces dernières de l'accompagnement financier nécessaire à la reprise des échanges commerciaux exposés au risque de sanctions.

Gérard Araud, ambassadeur de France, résume ainsi cet effet de levier des sanctions, qui joue sur l'autocensure et surtout l'incertitude liée aux revirements politiques fréquents 272 ( * ) , et oblige à se conformer au-delà de ce que ces sanctions prescrivent textuellement : « Même si l'accord de Vienne était restauré , aucune entreprise occidentale n'oserait investir un centime en Iran, aucune banque occidentale ne financerait aucun échange en Iran avec la menace du retour des sanctions américaines en 2025. Les Iraniens le savent 273 ( * ) . » De fait, à la différence des entreprises françaises des secteurs automobile, les principales banques européennes n'ont pas pris le risque de s'impliquer dans des transactions avec l'Iran entre 2015 et 2018, quand bien même la plupart des sanctions avaient été levées par l'accord de Vienne.

Même les entreprises opérant de nouveau sur le marché iranien ont fait preuve d'une grande prudence : TotalEnergies, disposant d'actifs importants aux États-Unis et de liens forts avec le système bancaire américain, a indiqué n'avoir investi que 40 millions d'euros sur le milliard prévu la première année du projet South Pars, par crainte d'un rétablissement de sanctions en 2018.

Une autre source d'incertitude majeure tient à l'adoption régulière de nouvelles législations par les autorités américaines , comme le Clarifying Lawful Overseas Use of Data Act (CLOUD Act) en 2018. Or, le Department of Justice (DoJ) procède, comme le rappelle le rapport Gauvain, à « une interprétation, au cas par cas, mouvante, instable et surtout imprévisible, de textes flous aux dispositions variables ».

Les nombreux textes (RICO, FCPA, wire fraud ...) auxquels le DoJ donne une portée extraterritoriale n'ont dans bien des cas pas exactement le même périmètre d'application , en sus de leur interprétation évolutive par l'administration américaine. À titre d'exemple, l'OFAC ( Office of Foreign Assets Control ) a sanctionné une entreprise suisse des technologies de l'information et de la communication, secteur traditionnellement préservé, au titre du Global Terrorism Sanctions Regulations , après avoir annoncé son souhait d'étendre son action à de nouveaux secteurs 274 ( * ) .

Dans le cadre du conseil qu'elle peut apporter aux entreprises et aux personnes de droit public, l'Agence française anticorruption (AFA) est déjà amenée à réaliser des cartographies des risques de corruption au sein de ces entreprises, dans une « démarche d'identification, d'évaluation, de hiérarchisation et de gestion des risques inhérents aux activités de l'organisation 275 ( * ) » . Tenu au seul prisme de la lutte anticorruption, ce rôle de conseil de l'AFA ne permet pas de compenser le retard de la France en matière de souveraineté économique et de protection de ses entreprises, dans un contexte réglementaire mouvant à l'international.

Recommandation n° 42 :

- Établir un bilan économique complet des mesures extraterritoriales subies par les acteurs économiques européens, afin de mieux chiffrer l'ampleur des coûts induits par le défaut de protection de nos entreprises et ainsi accélérer les actions de l'UE en la matière.

- Confier au Service de l'information stratégique et de la sécurité économiques (SISSE), en lien avec l'Agence française anticorruption, TRACFIN et le réseau des services économiques régionaux, le soin d'établir une revue périodique nationale de l'exposition aux risques de l'extraterritorialité, croisant en particulier les aires géographiques, secteurs d'activité et législations en cause, rendue publique et diffusée auprès des entreprises françaises, pour les aider à s'orienter et limiter les pratiques de sur-conformité dommageables à notre économie.

b) Inciter les États à dialoguer et à clarifier leurs politiques

Les ministères de l'économie et des finances et des affaires étrangères concordent sur la méthode à privilégier pour protéger les entreprises françaises et européennes des sanctions extraterritoriales : le problème doit être réglé de front, par un dialogue politique, en toute transparence avec les États tiers, et non par le contournement, ou la dissimulation d'informations .

L'utilisation accrue de l'euro dans les transactions, le développement du mécanisme Instex, l'activation du règlement de blocage ou l'instauration d'un instrument anti-coercition font toutefois partie de la palette des outils à mobiliser pour amener les États tiers à la discussion .

(1) Mécanisme dont le potentiel économique a été inhibé par le contexte politique, Instex mériterait d'être développé

Instex ( Instrument in Support of Trade Exchange ) 276 ( * ) a été créé en janvier 2019 à l'initiative de l'Allemagne, de la France et du Royaume-Uni (les pays de l'« UE-3 » 277 ( * ) ), en réaction au retrait des États-Unis de l'accord de Vienne sur le nucléaire iranien en mai 2018 et au rétablissement de sanctions en août 2018. Basé à Paris, cette société a pour actionnaires les trois États fondateurs, rejoints par les quatre États scandinaves, ainsi que la Belgique, les Pays-Bas et l'Espagne.

Il s'agit d'une chambre de compensation permettant de protéger le commerce avec l'Iran des sanctions primaires américaines, illégales 278 ( * ) , en créditant les exportateurs européens des créances des importateurs, pour éviter toute transaction financière avec l'Iran. Il s'agit, en clair, de troc financier, le Special Trade and Finance Instrument (STFI) iranien devant procéder en miroir en Iran. La dimension éminemment politique de cet outil et la présence exclusive de trois États alliés des États-Unis à son capital sont censées augmenter politiquement le seuil à partir duquel des sanctions peuvent être prononcées par les États-Unis 279 ( * ) et contourner les effets de la sur-conformité du secteur bancaire.

Entendue par la mission, la direction d'Instex a admis que cet instrument n'avait pas apporté tous les bénéfices escomptés, en particulier sur le plan économique, la seule transaction ayant transité via Instex à ce jour correspondant à l'exportation pour 500 000 € de tests sanguins allemands qui, en tant que biens de première nécessité, ne tombaient pas sous le coup des sanctions américaines . Plusieurs entreprises ont néanmoins témoigné de leur intérêt pour le mécanisme, sans pourtant aucune démarche de prospection client de la part d'Instex, qui estime ainsi à 1 Md€ le commerce potentiel non réalisé chaque année . Plusieurs facteurs expliquent la sous-exploitation du mécanisme :

• l'absence de toute autonomie vis-à-vis d'États peu au clair sur leurs objectifs : les décisions stratégiques ou la modification des statuts d'Instex doivent être avalisées par son conseil de surveillance , où siègent les directeurs politiques des ministères des affaires étrangères de l'« UE-3 », disposant chacun d'un droit de veto . Bien qu'il s'agisse juridiquement d'une société privée, Instex est resté un outil essentiellement politique : très vite, la nécessité de faciliter les négociations avec l'Iran en vue d'un retour dans l'accord de Vienne est apparue prioritaire sur le maintien de flux commerciaux a minima avec cet État sous sanction. Instex n'a pas été soutenu avec l'engagement et la continuité politiques nécessaires.

• des moyens d'action insuffisants : avec un effectif de sept personnes , Instex n'est pas dimensionné humainement pour prendre en charge des transactions significatives. Instex a surtout manqué de la liquidité nécessaire pour préfinancer des transactions - des démarches pour débloquer des fonds du FMI ont pourtant été étudiées -, et d'une licence bancaire pour fournir, dans le respect du droit de l'UE, des crédits de court terme aux entreprises - un dossier de demande a bien été constitué auprès de l'ACPR, mais la procédure a été interrompue, en octobre 2021, à la demande de l'un des membres du conseil de surveillance.

• un périmètre restreint aux biens hors sanctions : les statuts d'Instex comportent une liste limitative, qui était amenée à être élargie, de biens, notamment humanitaires, médicaux ou alimentaires, pouvant transiter via le mécanisme, excluant les biens sous sanctions (pétrole, métaux et engrais), ce afin de prévenir tout risque diplomatique avec les États-Unis et tout risque juridique pour les entreprises. Seulement l'élargissement n'a pas eu lieu, alors que l'inclusion de fertilisants et métaux, qui ont moins d'importance symbolique que le pétrole, aurait pu être envisagée . En raison de cette prudence de l'« UE-3 », il est, selon les réponses d'Instex au questionnaire des rapporteurs, « impossible de dire quelles actions auraient attiré des sanctions américaines contre l'entreprise, et quelles auraient été les marges de manoeuvre juridiques et politiques pour échapper à ces sanctions ».

• devant ces limites, l'Iran s'est détourné du dispositif : la dizaine de transactions proposées par Instex dans les domaines, autorisés par ses statuts, de l'humanitaire ou de l'alimentaire (pistaches, safran) ont été refusées par l'Iran, hormis la transaction témoin d'avril 2020. Partenaire difficile, l'Iran n'a en effet pas souhaité accorder de succès d'estime aux Européens pour un dispositif à ses yeux inutile - pour ces produits, l'Iran peut déjà échanger sur les marchés internationaux - et dont il a vite été clair qu'il était incapable d'esquisser sa réintégration dans le système commercial mondial, a fortiori le retour de ses exportations d'hydrocarbures.

En dépit de cet échec commercial, Instex a servi de test pour la politique étrangère de l'Europe. Il a pu contribuer sur le plan politique à maintenir partiellement l'Iran dans le cadre de l'accord de Vienne . Les États-Unis ont depuis lors repris des négociations, bien avancées en février 2022 280 ( * ) , mais qui semblent finalement en passe d'échouer, lors de la rédaction du rapport.

Le maintien et le développement du mécanisme Instex apparaissent toutefois souhaitables quelle que soit l'issue des négociations : si un accord est conclu avec l'Iran, les entreprises européennes auront toujours besoin de la signature des États pour limiter le risque de sanctions et contourner la sur-conformité du secteur bancaire.

Instex est un outil sans équivalent en Europe 281 ( * ) et a le mérite d'exister. Aussi, si des sanctions non reconnues par l'UE venaient à être prises contre un autre État que l'Iran, il pourrait être envisagé, si le cas se présente, d'étendre le champ des États avec lesquels Instex a mandat pour échanger à d'autres partenaires commerciaux sous sanctions , toujours afin d'assurer la souveraineté de l'Union en matière de politique commerciale.

Dans l'intervalle, il serait intéressant de maintenir et de développer Instex, en lui donnant de véritables moyens d'action, notamment une licence bancaire, et en étudiant au cas par cas l'opportunité d'un élargissement du champ des biens échangeables avec l'Iran, si cet État se montre coopératif.

(2) La nécessité d'une mise à jour du règlement de blocage

À la différence de la loi de blocage française de 1968, texte technique visant à bloquer les transferts d'information à la justice d'États tiers à l'occasion d'un procès, le règlement européen du 22 novembre 1996, dit « de blocage 282 ( * ) », est un texte éminemment politique, destiné à bloquer la survenue même d'un procès.

LA LOI DE BLOCAGE FRANÇAISE, UN OUTIL DE RÉTENTION DE L'INFORMATION
AU STADE DE L'ENQUÊTE

À ne pas confondre avec le règlement européen de blocage, qui vise à éviter un procès, la loi dite « de blocage 283 ( * ) » de 1968 enjoint aux entreprises françaises de ne pas communiquer aux autorités judiciaires d'États tiers les informations et données sensibles pour les intérêts économiques de la nation, au cours d'un procès . Dans le droit américain, les procédures « discovery » peuvent sinon permettre à des entreprises américains parties au procès de consulter certaines informations stratégiques d'un concurrent français.

Cet outil est complémentaire des différents secrets professionnels prévus par la loi et de la non-transmission d'informations dans le cadre d'une demande d'entraide en cas d' « atteinte à l'ordre public ou aux intérêts essentiels de la Nation » (article 694-4 du code de procédure pénale).

La jurisprudence Aérospatiale de la Cour suprême américaine (1987) rend néanmoins la loi de blocage, à l'instar du règlement européen de blocage, totalement inopérante : (« Il est clair que les tribunaux américains ne sont pas tenus d'adhérer aveuglément aux directives de la loi de blocage]. En effet, le libellé de la loi, s'il est pris au pied de la lettre, semblerait constituer un exercice extraordinaire de la compétence législative de la République française sur un tribunal américain 284 ( * ) . »)

Sans qu'il faille donc trop attendre de cette loi, un décret 285 ( * ) de février 2022 et un arrêté 286 ( * ) de mars 2022, accompagnés par un guide du MEDEF et de l'AFEP 287 ( * ) , devraient en renforcer l'effectivité , en faisant du Service de l'information stratégique et de la sécurité économiques (SISSE) un guichet unique pour identifier avec les entreprises les informations pouvant être « bloquées », en obligeant les autorités étrangères à emprunter les canaux établis d'entraide judiciaire ou administrative internationale et en durcissant les sanctions en cas de non-respect de la loi de blocage .

Le règlement de blocage a été adopté dans un but géopolitique, le contexte de l'adoption par le Congrès américain des lois Helms-Burton en mars 1996 et d'Amato-Kennedy en août 1996, la première renforçant l'embargo contre Cuba et la seconde celui contre l'Iran et la Libye. Votées par le Congrès contre l'avis de l'administration Clinton, ces deux lois instituaient des sanctions extraterritoriales primaires illégales, en prévoyant la compétence universelle des États-Unis pour « toute personne », sans même chercher à démontrer de lien avec le territoire américain. Outil de pression politique de l'UE, le règlement de blocage a bien fonctionné pendant vingt ans, en convainquant le Congrès américain de renouveler des mesures de suspension de l'application de ces lois .

Le règlement a retrouvé une actualité en 2018, puisqu'il a été modifié dès le lendemain du rétablissement de sanctions secondaires contre l'Iran, pour intégrer ces dernières dans la liste des mesures que l'Union européenne juge illégales au sens du règlement de blocage.

En pratique, ce règlement organise une « guerre des sanctions » ou un conflit de normes , visant notamment à empêcher les entreprises européennes tentées de le faire de se conformer à des sanctions secondaires, pour minimiser leur exposition . Il octroie en outre un droit à réparation des entreprises pour les coûts résultant de l'application de sanctions extraterritoriales.

Seulement, comme l'a bien démontré le rapport Bonnecarrère 288 ( * ) , « l'efficacité du règlement de blocage apparaît limitée », les juges américains refusant de le prendre en considération, compte tenu du trop faible montant des sanctions prévues sur son fondement dans chaque État, qui ne mettent pas les entreprises dans la situation d'un vrai conflit de normes no true conflict in the law »). Les entreprises européennes sont demandeuses d'arguments plus convaincants face à la justice américaine pour justifier leur refus de se plier à leurs injonctions. C'est pourquoi une rénovation du règlement de blocage devrait être proposée à l'été 2022 , qui devra s'articuler avec le nouvel instrument anti-coercition (voir (3) ci-dessous). À cette fin, l'AFEP 289 ( * ) recommande de positionner le règlement de blocage comme un bouclier prenant, dans la chronologie des réponses aux sanctions, le relais du règlement anticoercition, par des mesures cette fois potentiellement non économiques, comme des refus de visas ou des gels d'avoirs.

Recommandation n° 43 :

Renforcer le caractère dissuasif du règlement de blocage à l'occasion de sa révision pour mieux protéger les entreprises françaises, en :

- étendant son application aux filiales des sociétés européennes ;

- établissant des seuils minimaux de sanctions pour les entreprises se conformant à des mesures extraterritoriales d'États tiers ;

- envisageant de permettre à une entreprise de se retourner contre un partenaire commercial qui n'aurait pas respecté le règlement de blocage en transigeant avec les autorités d'un État tiers.

(3) Inclure les sanctions extraterritoriales dans le champ du nouvel instrument anti-coercition (ACI)

Pour étendre son répertoire d'actions face à des pratiques discriminatoires contre les États membres ou les entreprises européennes, comme les mesures prises par la Chine contre la Lituanie en réaction au rapprochement de ce pays avec Taïwan, la Commission a présenté en décembre 2021 une proposition de règlement 290 ( * ) sur la protection contre la coercition économique des États tiers (instrument anti-coercition) .

UNE FORME NOUVELLE D'« EXTRATERRITORIALITÉ » À LA CHINOISE ?

« À compter du mois d'août 2021, la Chine a mis en place plusieurs pratiques discriminatoires à l'encontre des entreprises lituaniennes. Selon la Commission européenne, ces mesures prennent diverses formes.

- en particulier, les autorités douanières de la Chine ont bloqué plusieurs cargaisons de marchandises en Chine, en refusant de procéder à leur dédouanement ;

- il apparaît également que certaines entreprises d'État chinoises ont adopté un comportement discriminatoire dans leurs achats et ventes de marchandises et services ;

- les autorités chinoises ont aussi appliqué de façon arbitraire ou injustifiée des mesures sanitaires ou phytosanitaires sur les biens agricoles et les produits alimentaires ;

- enfin, la Chine a mis en place des restrictions au commerce de services, par exemple en n'accordant pas de traitement équitable aux entreprises visées.

Sur le fond, ces pratiques concernent l'ensemble du marché unique, car elles affectent à la fois : (i) des entreprises établies en Lituanie, qui exportent vers la Chine ou importent depuis la Chine ; (ii) des entreprises établies au sein d'autres États membres, qui exportent vers la Chine des produits contenant des intrants fabriqués en Lituanie. Sur le plan juridique, ces pratiques chinoises ne peuvent pas être qualifiées d'« extraterritoriales », notamment car elles s'appliquent à des activités se déroulant sur le territoire chinois , telles que l'exportation ou la commercialisation de biens et services en Chine. »

Source : Réponses au questionnaire par la Direction général du Trésor.

Après une première phase visant à la résolution du différend à l'amiable, la Commission serait fondée, en dernier ressort, à prendre des contre-mesures ciblées - instauration de droits de douane, restrictions aux importations, aux marchés publics - dans les cas où le commerce serait utilisé comme une arme par un État tiers pour susciter un changement d'orientation dans l'UE. L'intérêt de cette procédure est de produire un effet dissuasif rapide , sans passer devant un panel de l'OMC.

Dans sa contribution à la consultation publique lancée par la Commission européenne, l'AFEP 291 ( * ) recommande d' élargir le champ des mesures pouvant être considérées comme coercitives au sens du règlement - au-delà des seules actions « visant à modifier les politiques de l'Union » - et d'étendre dans le même temps l'éventail des contre-mesures pouvant être activées. L'AFEP préconise enfin de financer de préférence la compensation aux entreprises victimes de mesures coercitives, aujourd'hui prévue par le règlement de blocage, par le biais du règlement anticoercition, ce pour deux raisons : la première est que ce règlement peut consister en l'établissement de droits de douanes, ce qui aura l'avantage de fournir directement des recettes ; la seconde est qu'un éventail plus large d'entreprises pourrait bénéficier d'une compensation si elle était prévue par ce règlement, les sanctions extraterritoriales n'étant qu'une partie du spectre, plus large, des mesures coercitives.

Les rapporteurs sont très favorables à la mise en oeuvre du règlement anticoercition et souscrivent à une volonté d'élargissement de son champ, tant il apparaît urgent de mieux protéger nos entreprises de pratiques illégales sur les marchés internationales. Ils appellent toutefois à définir finement ses modalités d'application, dans l'optique de minimiser le risque de rétorsions par des États tiers, qui nuiraient tout autant à nos entreprises.

Recommandation n° 44 :

Inclure l'ensemble des sanctions extraterritoriales dans le champ du nouvel instrument anti-coercition, et étendre son application aux mesures coercitives illégales visant à modifier le comportement des entreprises européennes.

(4) Négocier une convention avec les États tiers pour définir précisément le lien de rattachement à leur territoire au fondement des sanctions secondaires

Comme le soulignent les rapports Berger-Lellouche et Gauvain, presque aucune entreprise européenne poursuivie par le Department of Justice américain n'a jamais accepté le risque d'aller au bout d'une procédure judiciaire , par crainte d'un procès long, coûteux et à l'issue incertaine, dans l'espoir d'obtenir la clémence du DoJ . D'après l'OCDE, 96 % des poursuites pour corruption sur les marchés internationaux se terminent aux États-Unis par une transaction 292 ( * ) .

La transaction intervient avant que le juge n'ait l'occasion de se prononcer, d'abord sur le fond des accusations mais, plus fondamentalement, sur sa compétence même à poursuivre et réprimer les faits reprochés. Or, plusieurs analyses, dont celle d'Emmanuel Breen, avocat et maître de conférences spécialisé dans le droit de la conformité 293 ( * ) , nuancent fortement la validité juridique de « la compétence américaine fondée sur le dollar », de même que la « compétence-serveur » fondée sur l'envoi par une entreprise de courriels dont les serveurs se trouveraient aux États-Unis .

Le principe de « présomption contre l'extraterritorialité » a, selon Emmanuel Breen, été rappelé clairement par le juge américain dans l'affaire Hoskins (2018) : « Notre système juridique pose en principe fondamental que, de manière générale, le droit des États-Unis s'applique nationalement mais ne régit pas le monde entier. Les tribunaux ne doivent donc appliquer le droit des États-Unis de manière extraterritoriale que si c'est là l'intention expresse et non ambigüe du Congrès [unless the affirmative intention of the Congress [is] clearly expressed]. Ce principe tient au risque de conflits non souhaités entre notre droit et celui d'autres nations, qui pourraient causer une discorde internationale ».

En transigeant, les entreprises incriminées admettraient trop facilement ce lien de rattachement (« nexus ») avec le territoire américain, qui est au fondement des sanctions extraterritoriales primaires, mais n'a pourtant jamais été contesté devant le juge .

L'Union européenne devrait donc « se remettre à faire du droit » selon le diplomate entendu par les rapporteurs et obtenir une forme de « rescrit » de la part des États-Unis, qui a minima permettrait d'obtenir une clarification sur le périmètre de validité des sanctions, au regard du droit américain lui-même, et, dans le meilleur des cas, reconnaîtrait l'incompétence du juge américain pour sanctionner un grand nombre d'infractions d'entreprises françaises et européennes . Dans les deux cas, ce serait une source de sécurité juridique accrue pour nos entreprises.

Les rapporteurs appellent donc le Gouvernement à négocier avec les États-Unis une convention sur les sanctions secondaires , tirant parti de l'amélioration des relations bilatérales. L'administration du Président Biden semble en effet plus ouverte à la négociation avec l'UE que la précédente, en particulier dans le contexte de la belligérance de la Russie et de la montée en puissance de la Chine. Le Conseil du commerce et des technologies (CCT) institué en 2021 pourrait être l'enceinte d'une telle négociation. Cela offrirait ensuite un référentiel transatlantique commun pour mieux appréhender les outils de coercition chinois, dont le déploiement semble être le principal risque des années à venir.

Dans le cadre de cette convention, pourraient être clarifiés la nature et l'étendue du lien de rattachement de nos entreprises avec les États-Unis, en garantissant plus de transparence et un droit au recours (« judicial review » ) dans le cadre des transactions conclues par les entreprises avec la justice américaine.

Recommandation n° 45 :

Négocier une convention sur les sanctions secondaires, en tirant parti de l'amélioration de nos relations avec les États-Unis.

Clarifier dans ce cadre la nature et l'étendue du lien de rattachement de nos entreprises avec les États-Unis, en garantissant plus de transparence et un droit au recours ( judicial review ) dans le cadre des transactions conclues par nos entreprises avec la justice américaine.

À défaut de progrès rapides dans cette voie diplomatique, il faudrait toutefois envisager d'accompagner les entreprises européennes poursuivies jusqu'à l'épuisement des voies de recours , par une police d'assurance visant à protéger leurs cadres et dirigeants inquiétés face au risque pénal, et à prévoir une indemnisation, afin de tester la réalité de la compétence des États-Unis devant le juge américain.

B. UN CONTRÔLE DES INVESTISSEMENTS ÉTRANGERS EN FRANCE (IEF) DONT LE RENFORCEMENT RÉCENT DEVRAIT ÊTRE PÉRENNISÉ

Le contrôle des investissements étrangers en France (IEF), s'il ne saurait s'appliquer à tous les flux financiers dans l'ensemble des secteurs économiques, représente un axe important de la souveraineté économique du pays en soumettant à autorisation préalable ceux dirigés vers des cibles concourant à la sécurité publique, à l'ordre public et aux intérêts de la défense nationale. S'il a récemment été renforcé à la faveur de la crise économique, certaines de ces évolutions sont pérennes tandis que d'autres sont pour l'instant temporaires.

1. La loi Pacte a récemment élargi le champ du contrôle des IEF et renforcé les pouvoirs d'injonction et de sanction
a) Le contrôle des IEF soumet à autorisation préalable ceux d'entre eux qui pourraient porter atteinte à la sécurité, à l'ordre public et à la défense nationale

Afin de se prémunir d' opérations financières qui pourraient in fine porter atteinte aux intérêts nationaux , la loi 294 ( * ) prévoit que certains investissements sont soumis à autorisation préalable du ministre chargé de l'économie, qui, après examen, peut soit les autoriser , soit les refuser , soit les autoriser en assortissant sa décision de conditions (en exigeant, notamment, la cession de tout ou partie d'une branche d'activité, ou la cession d'une partie des parts ou actions acquises au capital de l'entité objet de l'investissement). L'instruction des dossiers relève de la Direction générale du Trésor, en lien avec le comité interministériel des investissements étrangers en France.

La liste précise des activités concernées par ce contrôle, régulièrement complétée, est établie par le pouvoir réglementaire 295 ( * ) . Elle inclut, par exemple, les activités relatives aux armes et munitions , exercées dans le secteur de la sécurité des systèmes d'information , portant sur des infrastructures, biens ou services essentiels pour garantir l'approvisionnement en énergie et en eau , ou encore garantissant la protection de la santé publique, l'édition ou la distribution de la presse . De façon générale, les investissements soumis au contrôle sont classés en deux catégories : « défense », et « hors défense », avec une proportion croissante d'opérations mixtes.

Par ailleurs, le contrôle des IEF permet également l' intervention ex post du ministre , s'il est constaté qu'une opération a eu lieu sans demande d'autorisation préalable alors qu'elle aurait dû faire l'objet d`une telle démarche.

Au total en 2021, 328 dossiers ont été déposés 296 ( * ) (+ 31 % par rapport à 2020), et 124 investissements contrôlés ont été déclarés sensibles (c'est-à-dire éligibles au contrôle préalable). Dans 54 % de ces cas, l'autorisation du ministre a été assortie de conditions ; dans 46 % des cas, l'opération a donc été autorisée sans condition. 13,7 % des investissements contrôlés en 2021 relevaient de la catégorie « Défense », 56,9 % d'entre eux relevaient du secteur « Hors défense », et 29,4 % étaient considérés comme « Mixte ».

Les investisseurs ultimes dont les opérations ont été autorisées étaient dans 59 % des cas originaires de l'extérieur de l'UE (Royaume-Uni, États-Unis, Canada). Ceux originaires de l'UE provenaient principalement d'Allemagne, du Luxembourg et d'Irlande .

Décomposition des dossiers déposés en 2021

Source : Commission des affaires économiques, à partir des données DG Trésor.

b) Le champ d'application du contrôle des IEF a été particulièrement élargi depuis 2018, notamment à la faveur de la récente crise économique

Plusieurs décrets ont successivement élargi la liste des activités concernées par le contrôle des investissements , permettant aux pouvoirs publics de disposer d'une vision plus large des opérations pouvant concerner les intérêts nationaux.

En 2018 297 ( * ) , ont ainsi été incluses dans le champ du contrôle les activités de recherche et développement portant sur des technologies critiques 298 ( * ) ainsi que celles portant sur des biens et technologies à double usage (cyber sécurité, robotique, intelligence artificielle, technologies quantiques, etc.), dès lors que ces activités participent des intérêts nationaux du pays et qu'elles sont mises en oeuvre dans l'une des activités soumises parallèlement à contrôle. En 2019 299 ( * ) , ont été également intégrés à la liste le secteur de la presse ainsi que celui de la sécurité alimentaire .

En raison des impacts potentiels de la crise sanitaire et économique, deux secteurs additionnels ont postérieurement été ajoutés à la liste de l'article R. 151-3 du code monétaire et financier :

• les biotechnologies ont été intégrées en 2020 300 ( * ) à la liste des « technologies critiques », sur fond d'intérêt accru de la part des investisseurs pour les entreprises actives dans le domaine de la santé. D'après le rapport d'activité de la DG Trésor, les demandes d'autorisation préalable dans le secteur de la santé ont en effet doublé entre 2020 et 2021 . Interrogés par les rapporteurs, les services du ministère ont ensuite précisé que 24 % des dossiers déposés concernaient la santé, et que 26 % de ces dossiers étaient ciblés plus spécifiquement sur des biotechnologies ;

• Les technologies intervenant dans la production d'énergie renouvelable ont, de même, été ajoutées à la liste des « technologies critiques » à compter du 1 er janvier 2022 301 ( * ) .

Outre l'évolution de son champ sectoriel, le contrôle des IEF a été renforcé par l'abaissement du seuil déclenchant le contrôle des investissements étrangers dans les sociétés françaises, de 25 % à 10 % des droits de vote 302 ( * ) . Cette mesure, mise en oeuvre de façon temporaire pour lutter contre les acquisitions inamicales facilitées par la fragilité liée à la crise du Covid-19, ne s'applique toutefois qu'aux investisseurs hors UE/EEE. Surtout, et de façon paradoxale, cet abaissement ne concerne que les prises de participation au sein des sociétés cotées, ce qui exclut du bénéfice de cette mesure les PME sous-traitantes, dont l'activité peut tout autant être stratégique pour l'économie française ... Cette mesure a été prolongée une première fois jusque fin 2021, puis une seconde fois jusqu'au 31 décembre 2022 303 ( * ) .

Ces élargissements du champ du contrôle des IEF expliquent en grande partie la hausse soudaine du nombre de dossiers déposés auprès de la DG Trésor.

c) Les pouvoirs du ministre ont été renforcés en matière de contrôle des IEF

La loi relative au plan d'action pour la croissance et la transformation des entreprises (dite loi Pacte) de 2019 304 ( * ) a également permis d' élargir la palette des mesures administratives à la disposition du Gouvernement , à la fois pour contrôler les investissements soumis à autorisation, et pour agir en réaction aux opérations réalisées sans autorisation préalable ou aux opérations réalisées en méconnaissance des conditions assortissant la décision initiale du ministre.

Désormais, si un investissement étranger a été réalisé sans autorisation préalable, le ministre peut enjoindre l'investisseur de déposer une demande d'autorisation 305 ( * ) , de rétablir à ses frais la situation antérieure ou de modifier l'investissement . Si les conditions fixées par le ministre à la réalisation d'une opération ne sont pas respectées, il peut retirer l'autorisation, enjoindre l'investisseur de respecter les conditions ou lui enjoindre d'exécuter des prescriptions en substitution de l'obligation non exécutée.

Du reste, le ministre peut prononcer une astreinte afin d'inciter au respect de ces injonctions, ainsi que des mesures conservatoires si l'opération en question présente un risque d'atteinte aux intérêts nationaux.

Par ailleurs, le ministre peut désormais pénaliser pécuniairement un investisseur étranger qui réalise une opération sans autorisation préalable , qui obtient par la fraude une telle autorisation, qui méconnaît les conditions assortissant l'autorisation, ou encore n'exécute pas les injonctions mentionnées supra . Avant la loi Pacte, il ne pouvait prononcer de telles sanctions financières qu'en cas de non-respect des injonctions.

2. Les évolutions intervenues durant la crise sanitaire en matière de contrôle des IEF devraient être pérennisées et complétées afin de garantir la souveraineté économique du pays

Les rapporteurs se félicitent des avancées stratégiques permises par la loi Pacte en matière de contrôle des IEF, et saluent la communauté de vues entre le Parlement et le Gouvernement dont témoigne l'élargissement par voie réglementaire du champ d'application du contrôle . La libre circulation des capitaux, la liberté des investissements et, plus largement l'ouverture du marché français aux investissements étrangers, ne peuvent primer sur la défense des intérêts nationaux.

Par conséquent, la défense de la souveraineté économique du pays est indissociable d'une connaissance et d'une forme de maîtrise des flux qui peuvent potentiellement entraîner un changement de pavillon de certains actifs stratégiques français .

Si les services du ministère considèrent désormais que le dispositif de contrôle est suffisamment étoffé, les échanges des rapporteurs avec les professionnels du monde économique ont permis toutefois de noter plusieurs axes de progression afin de parachever son développement .

a) Rendre permanent l'abaissement de 25 % à 10 % du seuil des droits de vote déclenchant le contrôle des capitaux

La DG Trésor justifie l'abaissement du seuil de détention des droits de vote déclenchant le contrôle, dans le rapport d'activité consacré au contrôle IEF, par la « nécessité de protéger les sociétés françaises cotées de prises de participations opportunistes non européennes pouvant présenter des menaces pour la sécurité nationale. [...] L'objectif de cette mesure est de protéger ces sociétés dont l'actionnariat est par nature dispersé, et dans lesquelles une prise de participation minoritaire peut accorder à l'actionnaire une influence déterminante sur l'entreprise et ses activités sensibles ».

Or rien n'indique, d'une part, que les difficultés rencontrées par les entreprises concernées auront disparu fin 2022 306 ( * ) , et d'autre part que seules les périodes de crise majeure comme celle déclenchée en 2020 sont susceptibles d'affaiblir les sociétés cotées françaises . Des chocs asymétriques, exogènes comme endogènes, peuvent en effet entraîner une fragilisation des entreprises (comme une chute de leur cours de bourse), les transformant en cibles pour des opérations inamicales.

Par ailleurs, les rapporteurs s'étonnent que le choix ait été fait de circonscrire cet abaissement du seuil aux seules sociétés françaises cotées (cf. supra ), excluant de fait les PME . En effet, tous les secteurs d'activité stratégiques comportent un grand nombre d'entreprises sensibles, notamment les sous-traitants des grands groupes , qui ne sont pourtant pas cotées. La DG Trésor a indiqué aux rapporteurs que cette restriction résultait de la plus grande dispersion du capital des sociétés cotées par rapport à celui des PME non cotées, exposant davantage les premières que les secondes à un risque d'opération inamicale (avec 10 % des voix, un actionnaire pourrait exercer une influence significative). Pour autant, compte tenu de l'impact de la crise sur la situation financière de toutes les entreprises, et des enjeux de souveraineté qui s'attacheraient à une prise de contrôle étrangère potentiellement inamicale au sein d'un sous-traitant stratégique, les rapporteurs considèrent essentiel de protéger les sociétés non cotées de la même façon que les sociétés cotées .

b) Intégrer les médias et les infrastructures électorales au champ des activités sensibles

Le règlement européen de 2019 307 ( * ) relatif au filtrage des investissements étrangers , qui ambitionne d'harmoniser les pratiques et les échanges d'informations entre États membres, liste un ensemble d'activités et de secteurs sensibles pour la sécurité et l'ordre public, pouvant être soumis au contrôle des IEF.

Si le dispositif français a fait figure de précurseur à ce règlement et a fait la preuve de sa qualité, notamment en raison de son adaptabilité, certaines activités identifiées par le règlement européen 308 ( * ) ne sont toujours pas soumises à contrôle dans le droit français . Il en va ainsi de « la liberté et [du] pluralisme des médias », et « des infrastructures électorales ».

Certes, l'article R. 151-3 du code monétaire et financier mentionne bien « l'édition, l'impression ou la distribution des publications de presse d'information politique et générale » ainsi que « les services de presse en ligne » 309 ( * ) , mais ces activités ne sont qu'une composante du pluralisme des médias. Un investissement étranger peut donc avoir un impact sur la télévision ou la radio, sans entrer dans le champ d'application du contrôle des IEF . Une réglementation sectorielle propre aux médias existe bien en France 310 ( * ) , mais elle vise essentiellement à s'assurer qu'un investisseur étranger ne détienne pas plus de 20 % du capital social ou des droits de vote d'une société de service de radio ou de télévision par voie hertzienne terrestre assuré en langue française. Cette réglementation est donc moins ambitieuse et moins systématique que le contrôle des IEF mis en oeuvre par la DG Trésor et le Comité interministériel des investissements étrangers en France (CIIEF), qui ne dépend pas du franchissement d'un seuil de droits de détention de capital.

Compte tenu de l'importance stratégique de ces deux secteurs, au regard notamment de leur rôle fondamental dans notre démocratie, les rapporteurs considèrent donc utile de prévoir un contrôle a priori des investissements étrangers intervenant dans le domaine des médias et des infrastructures électorales . Cette extension du champ implique une notification des investissements envisagés, mais pas, bien entendu, un refus systématique de l'investissement par le ministère.

Recommandation n° 46 :

Poursuivre le renforcement du contrôle des investissements étrangers, en :

- abaissant de façon pérenne, de 25 % à 10 %, le franchissement du seuil de détention des droits de vote par un investisseur hors-UE déclenchant un contrôle de l'investissement, et appliquer ce nouveau seuil à toutes les sociétés stratégiques françaises, qu'elles soient cotées ou non. Une modification réglementaire du 3° de l'article R. 151-2 du code monétaire et financier est nécessaire pour cela ;

- actualisant la liste des activités sensibles et stratégiques figurant à l'article R. 151-3 du code monétaire et financier pour y intégrer le secteur des médias au sens large ainsi que les infrastructures électorales.

C. MUSCLER ENCORE DAVANTAGE LE DROIT EUROPÉEN DE LA CONCURRENCE POUR LUTTER CONTRE LES ACQUISITIONS PRÉDATRICES ET LES SUBVENTIONS ÉTRANGÈRES

Le renforcement de la souveraineté économique et numérique implique que l'Union européenne et le droit français se dotent d'outils efficaces pour encadrer, contrôler et éventuellement sanctionner les comportements d'acteurs privés pouvant y porter atteinte. Des avancées notables sont prévues au niveau européen afin de réglementer les géants du numérique et de lutter contre les subventions étrangères : elles correspondent pour partie aux demandes répétées du Sénat 311 ( * ) , mais pourraient être encore approfondies.

1. Pour mieux lutter contre les acquisitions prédatrices, prolonger le DMA par une meilleure articulation entre autorités de la concurrence et un contrôle à maille plus fine
a) Les « acquisitions prédatrices » de certaines multinationales du numérique portent atteinte à la souveraineté économique des États

Les dernières années ont mis en évidence le recours accru à certaines pratiques anticoncurrentielles, souvent du fait de grandes multinationales actives dans le secteur du numérique, qui fragilisent l'intensité de la concurrence sur les marchés mondial et européen et accroissent la dépendance des consommateurs (individus comme entreprises) à leurs produits et services. Or cette dépendance accrue et les difficultés qu'elle engendre notamment pour les entreprises innovantes européennes est un risque important au regard de l'objectif de souveraineté numérique et économique.

En particulier, les autorités de la concurrence ont vu se développer la pratique des « acquisitions prédatrices » (« killer acquisitions » ) 312 ( * ) , c'est-à-dire des achats d'entreprises dont l'objectif est essentiellement d' éliminer la cible de cette acquisition. Concernant au premier chef les start-up du secteur du numérique proposant des solutions innovantes, ces acquisitions se réalisent à un prix très élevé - difficile à refuser pour les fondateurs de l'entreprise - mais aboutissent ensuite à l'abandon ou à l'intégration de l'activité de la cible. Pour l'acquéreur, l'objectif est de supprimer la contrainte concurrentielle accrue que représente ce compétiteur ou son produit innovant. Du point de vue du marché, il en résulte à la fois une perte de potentiel concurrentiel de la cible, et un manque à gagner pour le bien-être du consommateur (ainsi privé d'une pression à la baisse sur les prix du produit ou d'une innovation utile).

Un exemple type de ce type d'acquisition a été le rachat de WhatsApp et d'Instagram par Facebook, à des prix extrêmement élevés reflétant la menace concurrentielle perçue par la multinationale. Plus récemment, le rachat de Grail, une start-up française basée en Californie et spécialisée dans le dépistage du cancer, par Illumina , leader mondial du séquençage ADN, a fait naître des préoccupations du même ordre.

Ces acquisitions prédatrices passent généralement « sous les radars » des autorités de concurrence nationales comme européenne, car le chiffre d'affaires de la cible reste en-deçà des seuils de notification déclenchant un contrôle de la concentration 313 ( * ) . Le cadre réglementaire ne permet aujourd'hui pas d'appréhender et d'encadrer de manière satisfaisante ces pratiques anticoncurrentielles.

b) L'adoption du Digital Markets Act permettra d'encadrer ces pratiques, mais des axes d'amélioration existent

Le Digital Markets Act (DMA), qui a fait l'objet d'un accord entre le Conseil de l'UE et le Parlement européen le 24 mars 2022 et devrait vraisemblablement être adopté d'ici à la fin de la présidence française de l'Union européenne, ambitionne d'empêcher les grandes plateformes en ligne qui sont « contrôleuses d'accès 314 ( * ) » gatekeepers » ) d'abuser de leur position dominante vis-à-vis des consommateurs et concurrents.

Ce faisant, ce texte devrait renforcer la souveraineté économique et numérique des États membres : l'insuffisance du cadre réglementaire européen octroyait en effet à ces multinationales un pouvoir de façonner le marché selon leurs propres objectifs, souvent peu compatible avec la poursuite de l'intérêt général européen. Désormais, ces grandes entreprises du numérique devront se soumettre à un ensemble nouveau d'obligations ex ante - vis-à-vis notamment des pouvoirs publics et des consommateurs. Concrètement, une société sera qualifiée de « contrôleur d'accès » par la Commission européenne si, cumulativement :

• elle compte au moins 45 millions d'utilisateurs finaux mensuels dans l'UE ;

• elle compte au moins 10 000 utilisateurs professionnels établis dans l'UE ;

• elle réalise un chiffre d'affaires annuel d'au moins 7,5 milliards d'euros au sein de l'UE lors des trois dernières années, ou si elle a une capitalisation boursière d'au moins 75 milliards d'euros.

Dès qu'elle répond à ces trois critères, l'entreprise sera soumise à un ensemble d'interdictions et d'obligations (certaines applicables à tous les contrôleurs, d'autres « sur mesure »), dont les principales sont résumées dans le tableau ci-dessous.

Interdictions et obligations des « contrôleurs d'accès »
telles que prévues par le DMA

Interdictions

Obligations

• Pratiquer « l'auto-préférence » , c'est-à-dire mieux classer ses propres produits ou services par rapport à ceux des autres acteurs ;

• Proposer des conditions déloyales d'utilisation de la plateforme aux utilisateurs professionnels (comme le fait d'interdire que l'entreprise utilisatrice de la plateforme propose des prix moins élevés sur une plateforme tierce) ;

• Préinstaller certaines applications ;

• Obliger les développeurs d'application à utiliser certains services de l'entreprise pour être référencés dans le magasin d'application (le système de paiement, ou le navigateur web par exemple) ;

• Utiliser les données personnelles collectées à l'occasion d'une prestation, pour les besoins d'une autre prestation.

• Permettre aux utilisateurs de se désabonner des services de la plateforme, dans des conditions similaires à l'abonnement ;

• Ne pas imposer par défaut les logiciels (comme les navigateurs internet) lors de l'installation du système d'exploitation ;

• Permettre l'interopérabilité entre les services de messagerie instantanée ;

• Accorder aux vendeurs l'accès à leurs propres données de performance (données marketing, publicitaires...).

Surtout, afin de lutter contre les « acquisitions prédatrices », les « contrôleurs d'accès » devront désormais informer la Commission européenne des acquisitions et fusions qu'elles entendent réaliser dans le domaine du numérique, même lorsque ces dernières se situent en-deçà « sous les seuils » traditionnels de notification 315 ( * ) . Elles devront le faire également lorsqu'elles acquièrent des entreprises en dehors du secteur numérique (par exemple actives dans le secteur bancaire ou celui de la santé), dès lors que le projet permet la collecte de données. En outre, si un « contrôleur d'accès » commet au moins trois infractions au DMA sur huit ans, la Commission pourra lui interdire certaines acquisitions.

La Commission européenne sera tenue d'informer les autorités nationales de concurrence de ces notifications et de publier annuellement la liste des acquisitions dont elle a été informée.

c) L'efficacité de la lutte contre les acquisitions prédatrices dépendra du rôle et de la place que la Commission européenne accordera aux autorités nationales de concurrence

D'après le projet d'accord sur le DMA, une fois informées par la Commission européenne qu'une opération de fusion ou d'acquisition « sous les seuils » a été notifiée par une entreprise, les autorités nationales compétentes - en France, l'Autorité de la concurrence - pourront demander à la Commission européenne de l'examiner .

Si la compétence de la Commission en matière de contrôle des concentrations ne s'applique normalement qu'aux seules opérations situées au-dessus des seuils européens, l'article 22 du Règlement de 2004 prévoit en effet qu'un ou plusieurs États membres peuvent lui demander d'examiner une concentration qui se situerait en-deçà de ces seuils, dès lors qu'elle affecterait le commerce entre États membres et la concurrence sur le territoire des États demandeurs. Par exemple, si une plateforme « contrôleuse d'accès » s'apprêtait à racheter un réseau social concurrent à un prix très important, mais sans que les seuils européens de chiffre d'affaires ne soient dépassés, l'Autorité de la concurrence française pourrait demander à la Commission d'examiner l'affaire en raison des risques que cette opération fait peser sur la concurrence.

Depuis 2020, du reste, la Commission européenne a fait évoluer sa lecture de l'article 22, en acceptant désormais de contrôler une opération qui lui aurait été renvoyée par une autorité nationale même si l'opération en question se situe « sous les seuils » nationaux 316 ( * ) .

Pour autant, le rôle des autorités nationales de concurrence dans le cadre de la mise en oeuvre du DMA reste encore peu clair .

D'une part, rien ne contraint la Commission européenne à examiner effectivement l'opération qui lui aura été transmise par l'autorité nationale. Surtout, rien n'est dit quant aux marges de manoeuvre de l'autorité nationale dans le cas où la Commission européenne déciderait de ne pas donner suite à sa demande . Dans l'hypothèse où la Commission européenne aurait décliné la demande d'examen transmise par l'autorité nationale de concurrence, concernant une demande située en-deçà des seuils nationaux, il serait utile que l'autorité nationale de concurrence puisse alors s'en ressaisir et l'examiner au niveau national.

Par ailleurs, si le DMA constitue indéniablement une avancée importante en matière d'affirmation de la souveraineté économique européenne, les critères retenus pour qualifier un « contrôleur d'accès » restent restrictifs , ce qui signifie que seules les entreprises les plus importantes seront soumises aux obligations qui en découlent - au premier rang desquelles la notification des acquisitions. En se fondant sur le modèle allemande, le droit français pourrait prévoir qu'au-delà d'un certain montant de transaction (par exemple 500 millions d'euros), toute fusion ou acquisition doit être notifiée à l'Autorité de la concurrence , qui déciderait ensuite de faire usage ou non de l'article 22 du règlement pour demander l'examen de l'opération à la Commission européenne. Les pouvoirs publics disposeraient alors d'une vision quasi exhaustive des principales acquisitions qui pourraient, au regard du montant élevé de transaction et du montant faible de chiffre d'affaires de la cible, revêtir une nature prédatrice.

Les rapporteurs n'ignorent pas les difficultés techniques que la mise en place d'un tel seuil pourrait soulever , concernant la détermination du montant exact de la transaction. Ce montant, au moment de la notification, peut en effet différer de celui effectivement versé lors de la finalisation de l'opération ; de même, certaines transactions incluent une clause d'ajustement ex post du prix de vente (par exemple en fonction des résultats financiers postérieurs). Compte tenu de ces éléments, la mise en place de ce seuil pourrait initialement faire l'objet d'une expérimentation, avant sa généralisation en fonction de ses résultats . L'expérimentation permettrait, du reste, à l'Autorité de la concurrence de tirer un premier bilan de cette évolution du droit.

Recommandation n° 47 :

Appuyer la mise en oeuvre du DMA et renforcer la lutte contre les acquisitions prédatrices en France, en :

- évaluant l'opportunité d'autoriser l'Autorité de la concurrence, lorsqu'elle renvoie à la Commission européenne l'examen d'une opération située sous les seuils nationaux et que la Commission européenne n'y donne pas suite, d'instruire elle-même l'opération en question ;

- envisageant une notification à l'Autorité de la concurrence des opérations de concentration sous les seuils nationaux mais dont la valeur de transaction dépasse un certain montant, dans l'optique d'un renvoi possible de l'opération concernée, par l'Autorité de la concurrence, à la Commission européenne.

2. Renouveler des outils de la Commission européenne en matière de contrôle des concentrations

Le refus de la Commission européenne d'autoriser la fusion entre Alstom et Siemens en 2019, déploré tant en France qu'en Allemagne, s'est fait l'écho d'un débat plus profond : celui de la nécessaire modernisation des outils et concepts du droit européen de la concurrence, tels que le marché pertinent, l'horizon temporel ou le bien-être du consommateur.

Forgés il y a plusieurs décennies (la communication de la Commission sur le marché pertinent date par exemple de 1997), bien qu'ils aient fait la preuve de leur efficacité, ces outils semblent aujourd'hui pour partie inadaptés aux logiques économiques et au fonctionnement des marchés, notamment dans le secteur du numérique. Dès lors, le risque est non négligeable que les analyses concurrentielles de la Commission ne puissent appréhender correctement certains aspects d'une opération de concentration, c'est-à-dire que celle-ci l'interdise alors qu'elle aurait pu participer au renforcement de la souveraineté économique de l'UE, ou au contraire qu'elle autorise des opérations présentant certains dangers pour la concurrence au sein du marché intérieur .

Le cas Alstom-Siemens est édifiant : compte tenu du fort pouvoir de marché que l'entité fusionnée aurait acquis en Europe en matière de signalisation ferroviaire et de train à grande vitesse, et considérant que cette entité ne serait pas concurrencée par des acteurs d'États tiers avant plusieurs années, la Commission européenne a décidé en février 2019 de rejeter le projet, craignant une hausse des prix et une chute de l'innovation dans ces secteurs. La fusion était cependant défendue par de nombreux acteurs, y compris par des autorités politiques, dans l'objectif de constituer un « champion européen » capable de rivaliser, à court et moyen terme, avec les acteurs de pays émergents (notamment l'entreprise chinoise CRRC, deux fois plus importante qu'Alstom et Siemens réunis) et de résister à leurs ambitions croissantes 317 ( * ) . La Commission européenne, se fondant sur un horizon temporel de deux ans, avait ainsi déclaré qu'« il n'y a aucune perspective d'entrée des Chinois en Europe dans un avenir prévisible 318 ( * ) ». Six mois plus tard, CRRC annonçait pourtant son intention de racheter l'activité de production de locomotives diesel du groupe allemand Vossloh, qui a effectivement eu lieu en mai 2021, soit deux ans après le rejet de la fusion. S'il ne s'agit pas stricto sensu des mêmes activités que celles présentes dans le cas Alstom-Siemens, ce rachat témoigne cependant de la volonté de CRRC d'accroître sa présence européenne et son poids sur les marchés globaux dans un futur proche . Le choix de la Commission européenne de retenir un horizon d'analyse de deux ans apparaît donc restrictif et semble indiquer un manque d'anticipation dommageable des évolutions économiques mondiales .

La nécessité de moderniser les outils du droit européen de la concurrence, à des fins d'efficacité et plus largement de souveraineté économique, est également illustrée par l' évolution de la notion de marché pertinent . Pour mesurer les effets d'une concentration sur la concurrence, la Commission commence d'ordinaire par délimiter un marché pertinent de produits substituables (plus un marché est composé d'acteurs présentant des produits substituables, plus l'atteinte à la concurrence est faible, puisque le consommateur pourra se tourner vers d'autres produits en cas de hausse des prix). De même, elle délimite un marché géographique pertinent.

Or le développement fulgurant de certains acteurs du numérique bouleverse ce concept , ce qui empêche la Commission d'appréhender au mieux les effets d'une concentration de ces acteurs sur le marché intérieur. Les marchés « bifaces 319 ( * ) » complexifient par exemple la notion de marché pertinent, compte tenu du fait que certaines prestations sont gratuites (généralement celles à destination de l'utilisateur individuel), ce qui implique de revoir la grille d'analyse de la Commission fondée sur l'étude des réactions des consommateurs en cas de hausse des prix. De même, la définition d'un marché pertinent dans le cas d'entreprises dont la valeur ajoutée résulte principalement de la collecte et de l'utilisation de données, semble peu aisée avec les méthodes actuelles de la Commission européenne.

La nécessité de faire évoluer la notion de marché pertinent est bien identifiée par la Commission européenne, ainsi qu'en atteste un document de travail de ses services rendu public en 2021 320 ( * ) à l'issue d'une phase de consultation avec les acteurs professionnels et académiques. Les rapporteurs considèrent qu'il est désormais important que la Commission européenne en tire les conséquences appropriées et qu'elle actualise sa communication de 1997 sur ce sujet .

Dans un rapport conjoint daté de juillet 2020 321 ( * ) signé des sénateurs Alain Chatillon et Olivier Henno, la commission des affaires économiques et celle des affaires européennes du Sénat esquissaient déjà plusieurs pistes d'évolution des outils du droit de la concurrence européen , afin de le rendre plus efficace et adapté aux enjeux contemporains, dont la nécessaire articulation avec une politique industrielle ambitieuse. Les rapporteurs de la présente mission d'information renouvellent ici les propositions du rapport de 2020 , qui appelaient déjà à modifier la notion de marché pertinent, de bien-être du consommateur ainsi que l'horizon temporel des analyses de la Commission européenne.

Recommandation n° 48 :

Adapter et moderniser les outils du droit européen de la concurrence afin de l'articuler au mieux avec les exigences d'une politique industrielle ambitieuse, en :

- faisant rapidement aboutir l'actualisation des lignes directrices de la Commission européenne en matière de marché pertinent, afin de saisir au mieux les évolutions rapides de ce concept induites par le développement fulgurant du numérique ;

- clarifiant les composantes du critère de « bien-être du consommateur » au regard duquel la Commission analyse les opérations de concentration, et y intégrer de nouvelles composantes comme la compétitivité, le maintien de l'emploi ou la souveraineté numérique ;

- allongeant l'horizon temporel des analyses de la Commission, en le portant de deux à cinq ans sauf exception, et clarifier la doctrine de la Commission en matière de concurrence potentielle future, dans le but que des opérations ne soient pas rejetées alors que des menaces potentielles à moyen terme semblent élevées.

3. Renforcer la lutte contre les distorsions de concurrence issues de subventions étrangères
a) Un projet de règlement européen prévoit la notification des subventions étrangères dans le cadre d'une concentration ou de marchés publics

Tandis que les subventions publiques accordées par les États membres de l'UE à leurs entreprises font l'objet d'un encadrement strict au titre de la réglementation des aides d'État, il n'en va pas de même des subventions provenant d'États tiers . Ces derniers peuvent en effet soutenir financièrement, souvent de façon indirecte, des entreprises en activité sur le territoire de l'UE, et notamment à l'occasion d'une opération de concentration ou de la participation à un marché public.

Ces subventions étrangères peuvent avoir des effets distorsifs sur le marché intérieur et fausser la concurrence. Une entreprise peut ainsi remporter un appel d'offres, ou racheter un concurrent, grâce à l'aide financière apportée par un État tiers, et non pas sur la base de ses seuls mérites compétitifs.

Ces subventions sont parfois difficiles à détecter , tant elles sont protéiformes : aide financière directe, mais aussi prêt à taux d'intérêt nul, garantie d'État illimitée, exonération fiscale... L'atteinte à la souveraineté économique - et industrielle - des États de l'UE est pourtant manifeste , puisque les concurrents n'agissent pas « à armes égales » et que la régulation des marchés et de la concurrence peut en être méprise (par exemple en confier un marché public ou en autorisant une opération de concentration sur la base d'éléments tronqués). Le tissu productif national et européen pâtit de cette concurrence déloyale, de même que les consommateurs.

Dans le cadre de la nouvelle stratégie industrielle pour l'Europe, la Commission européenne a donc publié le 17 juin 2020 un livre blanc 322 ( * ) sur les subventions étrangères afin d'ouvrir le débat public sur les moyens de lutter contre ces distorsions de concurrence. Le 5 mai 2021, après analyse des réponses à la consultation ouverte, la Commission européenne a publié une proposition de règlement européen dont les axes principaux sont :

• La notification à la Commission européenne des subventions étrangères perçues par les entreprises qui répondront à un appel d'offres pour un marché public ou s'engageront dans une opération de concentration . Cette notification sera obligatoire dans le cas d'une concentration lorsqu'au moins l'une des deux entreprises parties réalise un chiffre d'affaires supérieur à 500 millions d'euros dans l'Union et si le montant de la subvention étrangère est supérieur à 50 millions d'euros au cours des trois dernières années. Dans le cas des marchés publics, elle sera obligatoire si la valeur dudit marché est supérieure à 250 millions d'euros ;

• L'interdiction possible d'une opération de concentration ou de l'attribution d'un marché public, ainsi que l'imposition de mesures réparatrices, en fonction des effets positifs et négatifs de la subvention, et selon la distorsion engendrée sur le marché intérieur. Elle pourra aussi accepter des engagements de la part de l'entreprise ;

• La possibilité d'imposer avant leur réalisation la notification d'opérations de concentration ou de marchés publics, même situés en-deçà des seuils, si elle estime que l'opération mérite un examen ex ante compte tenu de ses incidences.

La position du Conseil de l'Union, adoptée le 4 mai 2022, prévoit par ailleurs qu'un mécanisme d'alerte permettra aux États membres de signaler les subventions qu'ils soupçonnent de générer des distorsions , et procède à un relèvement des seuils de notification, qui seront désormais de :

• 600 millions d'euros pour une opération de concentration ;

• 300 millions d'euros pour un marché public. Du reste, le Conseil propose que dans ce cas, les subventions inférieures à 5 millions d'euros ne soient pas prises en compte.

b) Une initiative bienvenue, dont l'efficacité ne doit toutefois pas être amoindrie par l'édiction de seuils de notification trop élevés

Les rapporteurs saluent cette avancée importante pour la défense de la souveraineté économique des États membres . Ce faisant, l'Union renforce son arsenal législatif et comble un vide juridique particulièrement préjudiciable aux entreprises européennes.

Pour autant, les rapporteurs mettent en garde contre le risque que des seuils de notification trop élevés viennent amoindrir la portée de cette avancée . La combinaison des seuils proposés par le Conseil, s'ils devaient être maintenus, est susceptible d'amoindrir le champ de vision de la Commission européenne en la matière. Ce serait d'autant plus dommageable que c'est précisément lorsque le montant du marché public est moins élevé que l'impact d'une subvention étrangère est le plus fort : son impact distorsif sur les prix est plus conséquent, et il concernera en général des marchés concurrentiels sur lesquels sont actifs des entreprises de taille plus réduite et plus vulnérables. À ce titre, le choix de ne pas faire entrer dans le champ de ce nouvel instrument les subventions inférieures à 5 millions d'euros interroge.

Certes, dans le cas français, le contrôle des investissements étrangers (cf. supra ) permet normalement d'analyser l'existence ou non de telles subventions étrangères lorsqu'elles se situeront sous les seuils européens de cette nouvelle règlementation ( via notamment la notion « d'appui financier significatif »). Mais ce contrôle national s'applique également aux opérations qui, demain, seront notifiables à la Commission européenne. Dans ce cas, les rapporteurs recommandent de prévoir une articulation efficace de ces deux procédures. Ils rejoignent sur ce point l'avis du Comité économique et social européen sur la proposition de règlement, qui note que « certains États pourraient considérer que ces décisions relèvent de leur compétence dans le cadre de leurs régimes nationaux de filtrage des investissements étrangers. À cet égard, le CESE juge opportun que la Commission clarifie précisément le champ d'application du règlement, y compris, le cas échéant, au moyen de lignes directrices, afin de garantir son application uniforme au niveau de l'Union et de réduire au minimum les risques d'interprétations divergentes de la part des États membres 323 ( * ) ».

Recommandation n° 49 :

S'assurer d'un contrôle effectif, harmonisé et efficace des subventions étrangères en cas de concentration ou de procédure de passation d'un marché public, en :

- promouvant, dans les discussions entre co-législateurs européens, la fixation de seuils de notification qui soient moins élevés que ceux aujourd'hui envisagés, afin d'étendre le champ d'application du règlement en cours de négociation ;

- en clarifiant, au niveau européen et français, l'articulation entre le nouveau contrôle des subventions et celui des investissements étrangers aujourd'hui à l'oeuvre en France, dans l'objectif de minimiser les divergences de pratique et d'interprétation potentiellement sources de contentieux et de longueurs dans l'analyse de l'impact des subventions étrangères.

D. RÉANCRER NOS MULTINATIONALES À NOS TERRITOIRES AFIN DE GARDER LA MAÎTRISE DE L'APPAREIL PRODUCTIF

1. Le désancrage des multinationales françaises : cause ou conséquence d'une économie française en perte de vitesse ?

Comme le fait remarquer Vincent Vicard, économiste au Cepii 324 ( * ) entendu par la mission, l'économie française se caractérise, en comparaison européenne, par le poids relativement important de ses grandes entreprises multinationales, ainsi que par leur maintien dans les meilleurs rangs mondiaux ces dernières années . Ainsi, en 2019 325 ( * ) , 31 entreprises sont d'origine française dans le classement Fortune des 500 plus grandes entreprises mondiales, contre 29 en Allemagne - où le PIB est pourtant plus élevé de près de 50 % - et seulement 17 au Royaume-Uni ou encore 6 en Italie. C'est seulement 3 de moins qu'en 1995 , contre 13 en moins pour l'Allemagne, 18 de moins pour le Royaume-Uni et 5 de moins pour l'Italie. En agrégé, parmi les entreprises qui demeurent dans le classement, la France a aussi perdu moins de rangs que ses voisins sur ces vingt-cinq dernières années.

Source : V. Vicard, Cepii.

Cette surreprésentation des multinationales dans l'économie française contribue à expliquer l'importance des revenus rapatriés en France tirés d'activités à l'étranger . À hauteur de 54 Mds€ nets en 2019, ces revenus compensent en partie le déficit commercial de la France, contribuant à ramener le déficit du solde courant à seulement 0,6 % du PIB, ce qui permet de nuancer les analyses partielles s'appuyant sur la seule analyse des flux commerciaux .

Balance des revenus primaires de la France

Source : Banque de France 326 ( * ) .

De façon apparente, la forte implantation de nos grands groupes à l'étranger n'améliore pas le solde commercial de la France, puisqu'elle implique de produire directement dans un pays tiers, au moyen notamment d'investissements directs à l'étranger. Elle est cependant un important levier de souveraineté économique, d'abord grâce aux revenus importants qu'elle engendre, et en facilitant l'insertion sur des marchés émergents en croissance. C'est la raison pour laquelle les multinationales françaises sont, historiquement, les entreprises avec la contribution la plus excédentaire au solde commercial de la France .

Une étude du Cepii 327 ( * ) montre que ces retombées importantes des multinationales pour l'économie française se sont estompées sur la période récente. En effet, le solde commercial des multinationales françaises, certes toujours excédentaire, s'est davantage dégradé que celui des autres entreprises, passant de 4,4 % à 2,5 % du PIB entre 2000 et 2018 (soit une diminution de près de 2 points de PIB, contre une baisse de seulement 0,4 point de PIB pour les entreprises implantées en France) .

Cette dégradation du commerce extérieur des multinationales est-elle le reflet de délocalisations ? Le phénomène est, selon Vincent Vicard, « difficile à quantifier et à délimiter ». L'économiste rappelle cependant que, d'après la dernière enquête déclarative « Chaînes d'activité mondiales » (CAM) de l'Insee, portant sur l'ensemble des entreprises (2009 à 2011 328 ( * ) ), « 4,2 % des entreprises de plus de 50 salariés ont délocalisé une partie de leur activité entre 2009 et 2011 (8,8 % dans l'industrie manufacturière), les trois quarts au sein d'un groupe multinational et majoritairement en Europe. Cela correspond à 20 000 emplois directs supprimés sur trois ans (11 500 dans l'industrie manufacturière, soit 0,6 % de l'emploi de ce secteur) ».

Depuis le milieu des années 2010, les multinationales françaises comptent environ 6 millions d'employés à l'étranger, soit trois fois plus que les italiennes et six fois plus que les espagnoles. L'emploi à l'étranger des multinationales françaises, en nette hausse sur la période 2007-2014, surpasse désormais celui des multinationales allemandes , en raison d'une activité à l'étranger visiblement plus intense en emplois (cf. graphique ci-dessous).

Source : Cepii 329 ( * ) .

Cela suggère une poursuite du désancrage des multinationales françaises de leur territoire d'origine , qui a sans doute résulté d'un environnement fiscal et réglementaire insuffisamment attractif sur les vingt dernières années, et qui a pu en retour affaiblir le tissu économique français, en le privant des externalités positives liées à la production, en particulier industrielle (dépenses de R&D plus élevées, emplois intermédiaires et bien répartis sur le territoire, recettes fiscales...). Or, au regard des dépenses publiques d'éducation et de recherche, des aides à l'innovation et de l'accompagnement des entreprises françaises sur les marchés étrangers par le réseau diplomatique - protection de nos entreprises que les rapporteurs proposent de renforcer encore face aux sanctions extraterritoriales (se référer au A de la partie V du présent rapport) - les contribuables seraient en droit d'attendre davantage de retombées économiques, ce qui passe en particulier par le maintien d'un ancrage productif.

Si la croyance d'un Ricardo 330 ( * ) , théoricien des avantages comparatifs et promoteur du libre-échange, en un maintien « naturel » des capitaux sur le territoire national, peut sembler à bien des égards anachronique dans notre économie mondialisée, il n'en reste pas moins que « les grands décideurs économiques doivent se rappeler qu'ils ont une nationalité », comme a pu l'indiquer récemment le Haut-commissaire au plan par voie de presse.

Selon Vincent Vicard, « les multinationales françaises constituent un atout pour toute politique de réindustrialisation française, à condition de réussir à les réancrer aux territoires. La performance des multinationales françaises au niveau mondial doit cependant se conjuguer avec leur ancrage domestique pour leurs activités d'innovation et de siège mais également de production . »

2. Accroître notre maîtrise de l'outil de production par une réforme de la gouvernance des entreprises

Les rapporteurs sont persuadés que l'effort de compétitivité, initié avec la baisse des impôts de production, doit se poursuivre (se référer à la partie VI du présent rapport) . La suppression de la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S), « impôt sur les exportations » que les économistes jugent unanimement distorsif, ne devrait plus faire l'objet de débats, d'autant que, contrairement à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) ou à la cotisation foncière des entreprises (CFE), elle n'est pas affectée aux collectivités territoriales et ne constitue donc pas une incitation pour ces dernières à attirer des entreprises.

La politique de compétitivité a permis de mettre un terme à la dynamique négative de destructions d'emplois, notamment industriels, sur notre territoire, grâce à des coûts salariaux unitaires ramenés au niveau de ceux de l'Allemagne et un niveau d'impôt sur les sociétés comparable à celui de nos voisins européens. Afin d'inverser définitivement la tendance et d'initier cette fois une dynamique de recréations d'emplois, les rapporteurs estiment qu'une attention accrue à d'autres facteurs de localisation des entreprises, tels que la gouvernance des entreprises, pourraient venir utilement compléter la politique de compétitivité , ainsi que l'a souligné l'économiste Vincent Vicard en audition. Une réforme de la gouvernance des entreprises pourrait créer les conditions d'une contribution accrue des grandes entreprises à l'objectif de souveraineté économique, en renforçant leur propension à localiser leurs activités productives sur le territoire national.

a) L'économie géographique met en évidence des facteurs sous-estimés de localisation de la production

Les comparaisons mettent en évidence une importante centralisation économique française, miroir de sa centralisation politique et administrative : les centres de décision des grands groupes sont en effet très fortement concentrés autour de la capitale (28 sur 31 sont situés en Île-de-France en 2019 ), ce qui contraste avec une répartition territoriale beaucoup plus dispersée des entreprises chez nos voisins, en particulier en Allemagne (dans huit régions). Par conséquent, la distance moyenne de grands centres de décisions et de sites de productions manufacturiers serait de 400 kilomètres en moyenne en France 331 ( * ) .

Répartition des sièges sociaux des principales multinationales
en Europe et en France

Source : Fortune 332 ( * ) .

Si la différence de centralisation entre la France et l'Allemagne peut s'expliquer par des permanences historiques voire des traits culturels, force est de reconnaître que les institutions actuelles ne corrigent pas ce déséquilibre, et qu'elles ont même tendance à le renforcer.

Or, selon l'économie géographique 333 ( * ) , plus la distance géographique entre centres de décision et sites de production est élevée, plus les décisions de localisation de la production sont défavorables au maintien de l'emploi dans les territoires , en raison de deux facteurs :

- une moindre circulation de l'information en faveur des salariés ;

- des interactions sociales moins fréquentes entre managers et employés défavorisant la prise en compte des intérêts de ces derniers, et une moindre prise en compte des effets de leurs décisions par les décideurs au regard du tissu local et de leur statut social.

Des politiques territoriales bien ciblées pourraient aider à tirer pleinement parti de cette gouvernance territorialisée des entreprises que les rapporteurs appellent de leurs voeux. Lorsqu'un écosystème local ne s'est pas spontanément structuré, un soutien public à l'ancrage dans les territoires peut présenter des synergies avec la réforme prônée de la gouvernance des entreprises, en la complétant voire en accélérant son déploiement.

C'est l'objet, par exemple, de l'initiative « Territoires d'industrie » , lancée en novembre 2018, qui vise à favoriser la coopération entre collectivités territoriales et entreprises, et apporte ingénierie et financements à 146 territoires ciblés, dont le périmètre est proche de l'intercommunalité. S'il semble important de maintenir une sélectivité dans le zonage pour éviter le saupoudrage budgétaire, les rapporteurs préconisent d'éviter de créer des distorsions artificielles entre territoires par le choix de périmètres soit trop réduits soit trop figés.

C'est ce même reproche de dispersion des moyens qui a conduit ces dernières années certains experts à remettre en cause le bien-fondé économique des 71 « pôles de compétitivité », politique mise en oeuvre depuis le milieu des années 2000 dont l'objet est de développer des « communs » à l'échelle d'un territoire, pour favoriser les synergies entre le monde économique, le milieu académique et l'écosystème politique.

Des débats existent entre économistes à propos de l'efficacité de cette politique, à laquelle les rapporteurs restent particulièrement attachés en raison de son rôle combiné dans l'amélioration de la productivité de la France et dans l'aménagement du territoire :

• Farid Toubal a par exemple indiqué lors de son audition que les faibles gains de productivité associés aux pôles de compétitivité, de l'ordre de 1 à 3 % par an, ne résistent pas à l'analyse coût-bénéfice, ces pôles ayant par ailleurs pu engendrer des effets d'aubaine pour certaines entreprises ayant adapté leur localisation de façon opportuniste pour maximiser leurs aides ;

• arguant que les gains par nature diffus et à long terme des pôles de compétitivité sont indéniables, mais qu'ils sont difficilement mesurables et n'ont pas encore pu tous se manifester, Vincent Vicard a répondu que les bénéfices de cette politique peuvent être importants pour un coût très réduit, comparé à d'autres aides non ciblées aux entreprises.

Ces différents points de vue suggèrent que l'adaptabilité doit rester le maître-mot dans la mise en oeuvre de cette politique, mais plaident pour son maintien, le cas échéant en poursuivant le recentrage raisonnable entrepris depuis quelques années.

b) Accroître la participation des salariés aux instances de décision

À l'instar de la proximité géographique entre centre de décision et site de production, la présence de salariés dans les conseils d'administration des entreprises contribue à mieux ancrer les entreprises à leur territoire grâce à une meilleure appréhension par les décideurs, des activités productives et de leurs retombées positives à l'échelle locale . À titre d'exemple, l'entreprise Volkswagen, dont le conseil de surveillance est composé pour moitié de représentants salariés, affiche explicitement sur objectif de maintien de l'emploi industriel.

Si le développement en France de dispositifs d'intéressement et d'actionnariat salarial se situe plutôt dans la moyenne haute en comparaison européenne 334 ( * ) , la participation des salariés aux instances de décision reste en revanche largement en retrait par rapport aux pratiques de nos voisins européens . Ainsi, en Allemagne, de 30 à 50 % des membres des conseils de surveillance sont des représentants des salariés, 335 ( * ) contre 10 à 15 % en France. Cette codétermination à l'allemande est l'une des forces, rarement mise en avant, du tissu économique de nos voisins d'outre-Rhin 336 ( * ) .

En France, en 2020, la loi « Pacte » a abaissé les seuils à partir desquels la présence de deux représentants des salariés est obligatoire dans les conseils d'administration des grandes entreprises 337 ( * ) (il fallait 12 membres non-salariés pour déclencher cette obligation, il en suffit désormais de 8). Cela implique aujourd'hui une obligation de 20 % d'administrateurs salariés, pour les entreprises de plus de 1 000 salariés, assez éloignée des taux allemands.

Accroître la présence des salariés dans la gouvernance des entreprises serait un moyen peu coûteux d'améliorer le dialogue social au sein des entreprises, notamment en période de transitions industrielles, et de réancrer l'emploi localement . De surcroît, la codétermination présenterait aussi un impact positif sur la productivité et l'innovation (en nombre de brevets déposés), comme l'atteste une étude sur la loi allemande de 1976 338 ( * ) . Pour déployer tous ses bénéfices pour l'entreprise, l'augmentation de la participation doit néanmoins se faire dans de bonnes conditions. Le doublement horaire de la formation prévu par la loi Pacte 339 ( * ) , dont une partie doit se faire au sein de l'entreprise, est un prérequis important du succès de la participation accrue des salariés. Il serait important d'accompagner davantage les entreprises dans la mise en oeuvre de cette réforme de leur gouvernance, au moyen par exemple de guides de bonnes pratiques. 340 ( * )

Recommandation n° 50 :

Augmenter significativement la représentation, d'ici 2030, des salariés dans les conseils d'administration ou de surveillance des grandes entreprises et améliorer encore la formation de ces représentants des salariés.

c) Tirer pleinement parti des politiques d'achat des grandes entreprises pour mieux structurer le tissu économique local

Les rapporteurs estiment, comme l'ont évoqué Farid Toubal et Vincent Vicard lors de leur audition, que la relation entre donneurs d'ordre et sous-traitants est en France trop « verticale » . Les deux économistes ont insisté sur les inconvénients de cette organisation, qui fait peser le risque de défaillance sur le dernier maillon de la chaîne de valeur, souvent le plus petit, en cas de crise.

Si des mesures ont déjà été prises pour améliorer le respect des échéances de paiements 341 ( * ) , plusieurs outils pourraient aider à poursuivre le rééquilibrage de ces relations, et ainsi consolider l'écosystème de TPE, PME et ETI fournissant les grands groupes.

Il apparaît tout d'abord que, bien souvent, des contrats mal conçus, parfois trop rigides au regard des aléas productifs et économiques, peuvent être source de défaillance pour les plus petites entreprises. L 'accompagnement de ces petites entreprises par le ministère en charge de l'économie pourrait être amélioré, soit via la mise à disposition de contrats types dans lesquels figurent des clauses protectrices pour les fournisseurs, soit via des incitations et sanctions pour corriger l'asymétrie de moyens humains et financiers entre petits et grands groupes.

Un second écueil pour les PME et ETI, grandes consommatrices de liquidités, tient à leurs difficultés d'accès au financement bancaire pour se développer 342 ( * ) , qui pourrait selon la Fédération bancaire française avoir été accentué par les exigences en liquidité (ratio LCR) de la réglementation Bâle III, qui a notamment réduit l'offre de crédits fournisseurs pour les exportateurs 343 ( * ) . Dans ce contexte, il pourrait être envisagé d'accroître et de diversifier l'offre de crédit aux entreprises, en s'inspirant par exemple des dispositifs d'accompagnement des entreprises allemandes à l'export, comme le crédit fournisseur, porté en France par Bpifrance, ainsi que l'a recommandé Farid Toubal lors de son audition.

Vincent Vicard insiste plus largement sur l'effet de levier dont disposent les directeurs d'achats des grands groupes, par le volume et la régularité de leurs commandes, dans la structuration d'un écosystème. À la différence de leurs homologues allemands, dont le premier réflexe serait de s'engager avec des entreprises à proximité, ces directeurs d'achats ne seraient pas suffisamment formés à la « culture » de l'approvisionnement local . L'organisation professionnelle France Industrie mène, à ce titre, comme elle l'a signalé aux rapporteurs, un travail d'identification des incitations qui pourraient être données aux directeurs d'achats des grands groupes en ce sens.

CONCLUSION
-
LA SOUVERAINETÉ PAR LA POURSUITE DE L'EFFORT DE COMPÉTITIVITÉ ET D'ATTRACTIVITÉ

Pour tirer pleinement parti des échanges internationaux et dépasser l'opposition entre mondialisation et souveraineté, la France doit accentuer ses efforts pour renouer avec la compétitivité .

Les politiques publiques et efforts budgétaires visant à réindustrialiser le pays, à réduire les dépendances technologiques et à assurer la sécurité alimentaire ne seront efficaces sur le long terme que si la compétitivité de la France permet d'évoluer vers des modèles économiques viables de production et d'innovation , comme l'une des personnes entendues par les rapporteurs l'a ainsi exprimé : « Une souveraineté bâtie sur des protections artificielles ne tiendra pas dans la durée. La seule souveraineté qui tienne est celle qui est construite sur la performance, et cette dernière est basée sur la compétitivité, technologique, financière et industrielle. »

En conclusion de leurs travaux, les rapporteurs souhaitent donc souligner l'importance de poursuivre les efforts amorcés en matière d'environnement fiscal et réglementaire, d'investissement, d'innovation et d'attractivité . Les auditions menées ont confirmé qu'il existe en France encore d'importants gisements de compétitivité qui peuvent être mobilisés pour renforcer, à terme, notre souveraineté économique.

E. RÉCONCILIER FISCALITÉ ET PRODUCTION, PRÉSERVER LA CAPACITÉ D'INVESTISSEMENT

Faire à nouveau de la France une terre de production implique de repenser globalement le fonctionnement des chaînes de valeur, qu'elles soient industrielles ou alimentaires.

Le poids de la fiscalité de production , tout comme son rôle dans la désindustrialisation historique de la France sont désormais bien établis, ayant notamment été relevés par le groupe de travail « Dubief-Le Pape » en avril 2018. 344 ( * ) Dans la période récente, le montant total d'impôts sur la production acquitté par les entreprises françaises a cru davantage que le produit intérieur brut , passant de 60,1 milliards d'euros en 2007 à 72,1 milliards d'euros en 2016, c'est-à-dire une hausse de près de 20 %, contre 14 % environ pour le PIB. Ce modèle d'imposition conséquente des activités productives , fondé sur la masse salariale, la valeur ajoutée, le chiffre d'affaires et le foncier est une spécificité française : en 2016, la France prélevait l'équivalent de 3 % du PIB au titre des impôts de production, contre 1,6 % en moyenne dans la zone euro, et 0,4 % en Allemagne.

L'allégement décidé en 2020, à hauteur de 10 milliards d'euros de contribution économique territoriale, n'a qu'en partie allégé la contrainte fiscale et réduit l'écart de taux de prélèvement obligatoire qui distingue la France de ses voisins européens. Comme la commission des affaires économiques l'avait déjà défendu dans son rapport intitulé Remettre notre économie sur les rails : une relance verte, décentralisée et européenne, publié en juin 2020, toute relance productive structurante de l'économie française passera nécessairement par une poursuite de l'effort de refonte des impôts de production.

Alors que la quasi-totalité de l'allégement décidé en 2020 a porté sur les impôts perçus par les collectivités territoriales , sans aborder les impôts de l'État, les rapporteurs réaffirment qu'il convient désormais de cibler la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S) . Assise sur le chiffre d'affaires, cet impôt, qui ne compte aucun équivalent en Europe, représente près de 3,8 milliards d'euros de prélèvements obligatoires pesant de manière disproportionnée sur les entreprises de l'industrie manufacturière. Dans une note de juin 2019, le Conseil d'analyse économique la décrivait comme un impôt « dont la nocivité n'a pas d'égal dans notre système fiscal », réduisant les exportations de l'ordre de 1 % et aggravant la fragilité financière des entreprises françaises 345 ( * ) . En dépit d'engagements des gouvernements successifs, la suppression de la C3S ne s'est encore jamais matérialisée .

En dehors des seuls impôts de production, l'accroissement de la charge fiscale des entreprises françaises interroge leur capacité à faire face efficacement aux grandes transitions à venir .

À titre d'exemple, la fiscalité énergétique constitue une pression supplémentaire sur les activités productives : entre 2018 et 2022, ce sont 4,6 milliards d'euros supplémentaires qui auraient été prélevés sur les entreprises françaises à ce titre, alors même que le besoin d'investissement dans la décarbonation de l'outil productif, dans l'innovation et dans les compétences est au plus fort. 346 ( * )

Les rapporteurs estiment donc que la préservation de la capacité d'investissement des entreprises, et la pérennisation de dispositifs d'aide publique à l'investissement doivent à ce titre faire figure de priorités de l'action publique. En témoigne le succès des aides à la décarbonation et à la modernisation des entreprises industrielles mises en oeuvre dans le cadre du plan de relance : comme l'a souligné l'avis budgétaire de la commission des affaires économiques sur le projet de loi de finances pour 2022 portant sur les crédits dédiés à l'industrie de la mission « Économie », certains de ces financements ont été épuisés en à peine quelques mois, comme ceux relatifs à la chaleur bas carbone, à l'Industrie du futur ou à la numérisation. Les rapporteurs réaffirment donc le caractère prioritaire de ce soutien à l'investissement, a fortiori dans un contexte économique marqué par l'incertitude, la hausse des coûts et la contraction des marges . La crise économique consécutive à la pandémie de Covid-19 avait fragilisé les entreprises françaises, déjà caractérisées par des fonds propres limités et un endettement élevé : les tensions actuelles sur la production pourraient entraîner une contraction notable des dépenses d'investissement.

Plus généralement, les auditions menées par les rapporteurs suggèrent qu'en dépit d'efforts récents, les dispositifs publics de soutien à l'investissement - qu'il s'agisse des offres de Bpifrance, de l'évanescent « Fonds pour l'innovation et l'Industrie », ou encore du capital-risque - restent insuffisants. C'est pourtant là un enjeu de compétitivité, concourant au développement des start-up, des petites et moyennes entreprises, parant aux failles de marché, et assurant la modernisation de l'outil productif, mais également un enjeu de souveraineté : faute de moyens et de financements en France, les entreprises en croissance et les plus innovantes ne manqueront pas de se tourner vers des investisseurs étrangers, quitte à réorienter leur activité vers d'autres marchés ou à y transférer des savoir-faire.

F. MAINTENIR UN ENVIRONNEMENT FAVORABLE À L'INNOVATION

1. Le soutien à la R&D, un atout pour la compétitivité de la France

Enjeu majeur de souveraineté technologique, l'innovation doit aussi bénéficier d'un environnement compétitif favorable.

Le crédit impôt recherche (CIR) représente, à cet égard, un atout majeur de la France , qui s'est imposée comme pays leader pour l'implantation de centres de recherche et de développement irriguant son activité économique. Il est impératif de maintenir et de pérenniser ce dispositif, qui a déjà subi plusieurs rabots au cours des années précédentes.

Au-delà de ses impacts directs sur l'investissement dans la R&D, le CIR contribue à maintenir l'emploi d'ingénieurs, de chercheurs et de professeurs, garants de notre capacité collective à innover et à inventer de nouvelles solutions face aux défis environnementaux, énergétiques, alimentaires, ou encore dans les domaines du numérique et de la santé.

À l'heure où les politiques publiques reflètent une plus grande ambition en matière de réduction des émissions, de recyclage, de lutte contre les pollutions, d'économie de ressources ou encore d'efficacité énergétique, et imposent en conséquence des contraintes réglementaires accrues, les rapporteurs estiment que la préservation de cette capacité propre d'innovation est un facteur direct de compétitivité pour l'ensemble de notre économie : la capacité à décarboner vite, à produire mieux, sera clef au cours des années à venir.

Enfin, alors que la plupart des économistes s'accordent à dire que les principaux gisements de compétitivité pour la France sont aujourd'hui les différents paramètres de la « compétitivité hors coût » , qui incluent notamment la qualité des produits, l'innovation peut jouer un rôle dans la montée en gamme et dans l'image de marque des productions françaises.

Concrètement, les différents organismes entendus par les rapporteurs lors de leurs travaux ont souligné, outre le seul enjeu du CIR, l'importance d'accentuer l'effort en matière de recherche fondamentale, et d'améliorer les partenariats entre recherche publique et privée , afin de générer davantage d'externalités positives et de mieux mobiliser l'ensemble des moyens envers les axes prioritaires d'innovation.

En dépit d'évolutions législatives récentes, les rapporteurs regrettent la difficulté des pouvoirs publics à mobiliser le levier de la commande publique pour encourager l'investissement et l'innovation dans des produits à la maîtrise technologique française ou européenne . Pour nombre de nos concurrents internationaux, il s'agit pourtant d'une arme majeure de compétitivité et de soutien - par le biais de la massification de la demande et de l'orientation de la R&D. Un engagement plus net de l'État et des collectivités territoriales en faveur de technologies porteuses de forts enjeux de souveraineté, tels que certains procédés de production dans les secteurs de la santé, de l'alimentation, ou en faveur de certaines technologies du secteur numérique - comme le cloud - serait une avancée majeure, mais se heurte bien souvent à un cadre juridique qui reste fortement contraignant. Les règles du droit européen en matière de concurrence intra-européenne prennent encore souvent le pas sur les exigences de souveraineté induites par la forte compétition industrielle et technologique à l'échelle internationale.

2. Améliorer le pilotage de l'investissement public dans l'innovation

Les rapporteurs font le voeu d'un meilleur pilotage du soutien public à l'innovation en France, en particulier dans la mise en oeuvre des grands plans d'investissement tels que les Programmes d'investissement d'avenir (PIA) ou le plan « France 2030 ».

La gouvernance en est aujourd'hui complexe et opaque , comme l'ont constaté les rapporteurs lors de leurs auditions. Bien que le Secrétariat général pour l'investissement ait vu son organisation réformée à l'occasion de l'annonce de France 2030, et que les opérateurs et experts se soient vu confier une plus grande autonomie dans l'instruction des dossiers de « petit » montant 347 ( * ) , l'existence de nombreux étages d'orientation, de décision et d'instruction - opérateurs, administrations centrales, comité interministériel, comités de suivi ou de surveillance, Conseil de l'innovation et Conseil scientifique auprès du Président de la République - reste source de complexité.

Cette situation tranche avec la capacité d'impulsion et d'animation forte de la politique d'innovation qui existe dans d'autres pays , à l'instar de la « Darpa » aux États-Unis. Interrogés par les rapporteurs, les services de l'administration centrale 348 ( * ) ont en effet estimé que le système français pâtit aujourd'hui à la fois d'un défaut d'approche plus concrète et plus « problem-oriented » telle que celle de la Darpa, et d'un volume de financement disponible bien moindre . Les échanges entre les rapporteurs et le Secrétariat général pour l'investissement (SGPI) ont toutefois révélé que, sans aller jusqu'à la constitution d'une agence autonome sur le modèle de la Darpa, des améliorations ont été apportées au fonctionnement des grands plans d'investissement, par exemple pour apporter une souplesse accrue dans le financement de projets exceptionnels, via un fonds de rupture de 5 milliards d'euros ; ou encore afin d'établir des feuilles de route des besoins précis d'innovation en faveur des grands défis de demain. Le SGPI a toutefois, tout comme les rapporteurs, appelé à une simplification accrue de la gouvernance du système français de financement de l'innovation.

Plus généralement enfin, les rapporteurs estiment qu'une clarification de la doctrine d'investissement public dans l'innovation, ainsi qu'un effort de transparence supplémentaire dans la constitution des appels à manifestation d'intérêt et leur évaluation s'imposent, afin de donner aux projets la visibilité et l'efficacité qu'ils méritent. En dépit des alertes du rapport du comité de surveillance des investissements d'avenir publié en novembre 2019, la Cour des comptes a estimé dans un référé de 2021 que « plus de dix ans après le lancement du programme [d'investissement d'avenir], l'évaluation reste partielle et inégale selon les actions et les opérateurs » et que « la notion d'investissement stratégique, considéré comme vertueux par principe, risque de se diluer si la poursuite du PIA et la juxtaposition continue de nouveaux plans ne sont pas précédées de la définition d'une doctrine globale d'investissement » 349 ( * ) . Les commissions des affaires économiques et des finances du Sénat se sont fait l'écho de ce constat dans leurs récents avis budgétaires. 350 ( * )

G. POURSUIVRE L'EFFORT DE SIMPLIFICATION

Les porteurs de projets nationaux comme internationaux citent la complexité et la multiplicité des procédures administratives ainsi que du cadre réglementaire comme l'un des principaux obstacles au développement de leurs projets en France.

En particulier, selon une enquête « Attractivité de la France en 2022 » conduite par EY, 42 % des dirigeants interrogés estiment que la principale faiblesse du pays en termes d'attractivité est le coût et la disponibilité des terrains industriels ; tandis que 27 % citent le manque de flexibilité des réglementations environnementales et urbanistiques. Il s'agit de facteurs d'inquiétude récurrents, en particulier dans un contexte de renforcement de la politique de lutte contre l'artificialisation et la consommation d'espace.

En dépit des assouplissements adoptés dans la continuité du rapport présenté en 2019 par Guillaume Kasbarian, visant notamment la réglementation ICPE, et des efforts pour mobiliser et aménager des « sites clefs en main », il apparaît que l'offre de foncier immédiatement disponible et le gisement de sites aménageables restent aujourd'hui insuffisants .

Si les collectivités font de l'aménagement économique des territoires une priorité - s'appuyant sur leur compétence en matière de transports, de logistique, de zones d'activité économique ou encore de développement économique - l'accompagnement de l'État s'avère encore souvent déficient . À titre d'exemple, le « Fonds friches » annoncé dans le cadre du plan de relance, sur la base des recommandations du rapport de la commission d'enquête sénatoriale sur les problèmes sanitaires et écologiques liés aux pollutions des sols qui ont accueilli des activités industrielles ou minières, et sur les politiques publiques et industrielles de réhabilitation de ces sols, prévoyait des montants nettement insuffisants. Il a depuis été réabondé, mais mériterait un engagement financier supplémentaire afin de réhabiliter les sites industriels et commerciaux désaffectés et les zones d'activité dégradées. Les rapporteurs soulignent que le renforcement de l'action de l'État en matière d'aménagement sera indispensable à toute velléité de réindustrialisation profonde .

Il importe également que les services déconcentrés de l'État agissent davantage en facilitateurs qu'en censeurs des projets . Comme la commission des affaires économiques l'avait déjà proposé dans de précédents travaux, il conviendrait de mettre en place, dans chaque région ou département, une « task force » dédiée à faire aboutir des projets structurants pour l'économie locale, fonctionnant en « mode projet » et associant l'ensemble des interlocuteurs et autorités décisionnaires autour de la table. Plus généralement, ces task forces pourraient se voir confier le pilotage préalable de l'ensemble des études, consultations et demandes d'autorisations visant ces projets , la coordination des différents délais et la mobilisation des différents services, usant le cas échéant du pouvoir de dérogation des préfets pour lever certains obstacles réglementaires identifiés. Un pouvoir de dérogation similaire pourrait d'ailleurs être accordé aux régions, dans le contexte peut-être d'une décentralisation accrue de certains pans de la réglementation environnementale ou urbanistique . Dans le contexte d'une forte réduction du foncier disponible en anticipation des objectifs fixés par la loi « Climat-Résilience » en matière de lutte contre l'artificialisation, des possibilités plus larges pourraient être ouvertes de manière dérogatoire à ces projets structurants, en s'appuyant peut-être sur les possibilités ouvertes par la qualification nouvellement créée de « plateforme industrielle » .

Les obstacles administratifs à l'implantation de sites industriels ne sont qu'un exemple parmi d'autres. Comme les rapporteurs l'ont mis en évidence dans le présent rapport, des simplifications apparaissent nécessaires dans nombre de pans de la réglementation , lorsqu'il est apparent que le degré d'exigence est disproportionné et que des enjeux de souveraineté existent : c'est le cas par exemple de la simplification de l'implantation des câbles sous-marins de télécommunications, pour laquelle la compétition mondiale est déjà enclenchée.

Plus généralement, l'impact combiné des différentes évolutions réglementaires et législatives devrait être plus systématiquement et qualitativement étudié . Les études d'impact obligatoires des projets de loi apparaissent rarement à la hauteur des enjeux, qu'il s'agisse des justifications des choix opérés, du chiffrage des coûts de ces mesures ou de l'impact sur les collectivités territoriales, les entreprises et les ménages. La prévalence et la multiplication des réglementations sectorielles ou transversales issues du droit européen accentuent l'impression de « millefeuille réglementaire » manquant parfois de cohérence globale. Surtout, l'absence de surtransposition du droit européen devrait être la norme , sauf exception justifiée par des objectifs précis de santé ou de sécurité publique. À défaut, l'économie française continuera à pâtir d'un défaut de compétitivité que ne s'impose nul autre de nos concurrents à l'échelle mondiale.

Enfin, les rapporteurs notent que les évolutions technologiques, en particulier les progrès numériques, ouvrent sans cesse des nouvelles voies de simplification , en matière de traitement des demandes d'autorisation notamment. Il faut donc amplifier l'effort de dématérialisation et de coordination virtuelle de l'action publique, tout en veillant à l'inclusivité des dispositifs et plateformes mis en place et au bon accès de l'ensemble des acteurs.

TABLEAU DE MISE EN oeUVRE ET DE SUIVI

N° de la proposition

Proposition

Acteurs concernés

Calendrier prévisionnel

Support

Plan de souveraineté de l'approvisionnement

1

Établir une cartographie complète des dépendances critiques en intrants industriels de la France et de l'Union européenne, en :

• menant, sous l'égide du Conseil national de l'industrie (CNI) et en lien avec les Comités stratégiques de filière (CSF), un travail transversal et exhaustif de cartographie des dépendances et des vulnérabilités de l'approvisionnement de la France en intrants et biens intermédiaires industriels ;

• poursuivant au niveau européen l'effort amorcé par la Commission européenne de réalisation d'une cartographie des dépendances stratégiques, chaîne de valeur par chaîne de valeur ;

• introduisant au niveau européen des obligations de traçabilité pour une liste de produits stratégiques ou vulnérables, afin d'améliorer la connaissance des chaînes de valeur et des flux d'échange, et en facilitant l'accès aux données d'échanges intra-européennes existantes ;

• inclure dans l'ensemble de ces travaux une analyse de la criticité des produits pour l'économie européenne et une analyse des risques, y compris géopolitiques, pesant sur l'approvisionnement actuel, à l'échelle tant nationale qu'agrégée (en prenant en compte les dépendances indirectes).

• État (Direction générale des entreprises,
Conseil national
de l'industrie) ; filières industrielles (Comités stratégiques de filière) ; acteurs privés

• Institutions européennes

2022-2023

• Étude de l'État et des filières, avec dotation budgétaire dédiée (PLF 2022)

• Étude de la Commission européenne

• Règlement européen et transposition en France par véhicule législatif

2

Confier aux filières stratégiques un rôle accru dans la sécurisation de l'approvisionnement industriel, à l'initiative et avec l'appui de l'État :

• identifier les besoins communs en intrants industriels au sein des entreprises d'une même filière ou de filières différentes ;

• lorsque cela paraît pertinent, et dans le cadre défini par le droit de la concurrence, mettre en place des structures d'achats mutualisés afin de rééquilibre les relations commerciales des entreprises industrielles françaises, en particulier les petites et moyennes entreprises (PME) vis à vis de leurs fournisseurs et de mettre en oeuvre des stratégies de diversification ;

• sensibiliser les chefs d'entreprises à l'enjeu de la diversification des sources d'approvisionnement et identifier le potentiel de diversification existant pour les entreprises de la filière ;

• dans le respect du droit de la concurrence, favoriser le recours à des contrats de fourniture de long terme, offrant une meilleure visibilité sur l'approvisionnement en intrants industriels.

• État (Direction générale des entreprises, Conseil national de l'industrie)

• Filières industrielles (Comités stratégiques de filière)

• Acteurs privés

2022

Action de l'État
et des filières (Contrats stratégiques
de filière notamment)

3

Modifier le traitement fiscal de l'actif des entreprises industrielles, afin de rendre plus incitative la constitution de stocks d'intrants et de produits intermédiaires stratégiques, dont la liste sera établie sur la base d'une cartographie des intrants stratégiques.

• État (Direction générale des finances publiques)

• Parlement

2022

Véhicule législatif (PLF 2022)

4

Développer le soutien public, par le biais de fonds ou de garanties, aux projets d'investissement des entreprises françaises dans des producteurs d'intrants à l'étranger, afin de contribuer à la sécurisation des chaînes de valeur.

• État (Direction générale des entreprises)

• Parlement

• Acteurs privés

2022

Véhicule législatif (PLF 2022)

5

• Améliorer l'évaluation continue et ex post des aides à la « relocalisation », afin de garantir l'efficacité de la dépense publique et le bon ciblage des aides ;

• Mieux cibler sur les intrants critiques ces aides publiques à la « relocalisation » d'activités productives, ainsi que les aides à l'innovation, en s'appuyant sur les résultats des cartographies réalisées par les filières ;

• En fonction des résultats de ces évaluations, donner à la France un cap clair en faveur de la réindustrialisation à un horizon de dix ans, en fixant des cibles chiffrées de réduction de la dépendance à certains intrants stratégiques importés, couplées à des cibles de production nationale.

État (Direction générale des entreprises, Secrétariat général pour l'investissement/France 2030)

Dès 2022 et en continu

Action de l'État

6

Amplifier et accélérer la mise en oeuvre de projets importants d'intérêt européen commun (PIIEC) permettant d'investir dans des maillons clés des chaînes de valeur européennes, notamment en :

• pérennisant les aménagements pertinents apportés au cadre juridique européen des PIIEC durant la crise liée à la pandémie de Covid-19, et en étudiant la possibilité d'assouplir davantage la réglementation relative aux aides d'État ;

• accompagnant l'émergence de nouveaux projets grâce à un dialogue renforcé entre industriels et États membres ;

• augmentant les moyens humains et financiers des directions générales de la Commission européenne chargées d'accompagner ces projets ;

• améliorant la défense des intérêts français au sein des instances européennes grâce à des simplifications administratives et une action plus volontariste de l'exécutif, afin d'exploiter pleinement les opportunités industrielles ouvertes par les PIIEC.

• Commission européenne
(en particulier la Direction générale de la compétence
et la Direction générale du marché intérieur, de l'industrie, de l'entreprenariat et des PME) et institutions européennes

• État (Direction générale des entreprises, Représentation permanente de la France auprès de l'Union européenne)

2023

• Règlement européen et lignes directrices
de la Commission européenne en matière d'aides d'État et de PIIEC

• Action de l'État

7

• Accentuer le soutien, par le biais des aides à la réindustrialisation et à l'innovation, le développement ou l'émergence de filières françaises de recyclage, en particulier concernant les intrants stratégiques ou vulnérables ;

• Évaluer l'impact des obligations introduites par la loi « Économie circulaire » en matière d'écoconception, de réparabilité et de recyclage des produits ainsi que d'utilisation de matériaux recyclés, et le cas échéant les renforcer de manière ciblée ;

• Faciliter le recyclage des produits usagés, en apportant le cas échéant des modifications au statut juridique des déchets.

• État (Direction générale de entreprises, Direction générale de la prévention des risques, Secrétariat général pour l'investissement/France 2030)

• Parlement

2022-2023

Véhicules législatifs (PLF 2022, loi ordinaire)

8

Consolider l'effort public consenti en direction de l'exploration, de la recherche, de l'innovation et de l'investissement miniers, en :

• débloquant au moins 100 M€ pour l'actualisation de l'inventaire du sous-sol français, en veillant à inclure la France hexagonale mais aussi les Outre-mer et les fonds marins ;

• investissant dans l'ensemble des champs scientifiques requis (cycle de vie des matières minérales, exploration et exploitation du sous-sol, méthodes d'extraction, recyclage, approvisionnement, gouvernance) ;

• consacrant des aides publiques pérennes, en investissement comme en fonctionnement, en accordant une attention spécifique aux entreprises (PME et ETI) et aux étapes (phases pilotes) présentant le plus de vulnérabilités ;

• instituant un inter-groupe dédié aux métaux critiques au sein du Conseil national de l'industrie (CNI), assurant le lien entre les différents comités stratégiques de filières (CSF) existants (mines et métallurgie, nouveaux systèmes énergétiques, plateforme automobile).

• État (Direction générale des entreprises, Direction générale de l'énergie et du climat, Secrétariat général pour l'investissement/
France 2030, BRGM)

• Filières industrielles (Conseil national de l'industrie, Comités stratégiques de filière)

• Parlement

2022-2023

• Véhicule législatif (PLFR 2022 et PLF 2023)

• Action de l'État (dont mise en oeuvre des aides publiques)

9

Garantir la sécurité d'approvisionnement en métaux critiques, en :

• évaluant et compensant l'impact de la guerre en Ukraine sur les entreprises, dans les stratégies française (Plan de résilience) et européenne (Plan RePowerUE ) de sortie de la dépendance aux importations d'hydrocarbures russes ;

• étudiant, dans ce cadre, la mise en oeuvre de contrats de long-terme, de groupements d'achat, de prises de participation ou de stocks stratégiques ;

• favorisant, en complément de ce cadre, l'extraction ou la transformation sur le territoire national ou européen des métaux critiques nécessaires aux filières énergétiques, nucléaire comme renouvelable, à l'instar du lithium, composant de certaines batteries électriques.

• État (Direction générale des entreprises, Direction générale de l'énergie et du climat)

• Institutions européennes

2022-2023

• Action de l'État (dont Plan de résilience)

• Action de l'Union européenne (dont Plan RePower UE )

10

Accélérer la relocalisation de l'activité minière, dans le respect d'un haut niveau d'exigences environnementales, en :

• promouvant la constitution de chaînes de valeur en métaux critiques, à l'instar du lithium, en inscrivant les besoins miniers du système énergétique dans les stratégies française (Loi quinquennale sur l'énergie de 2023, Programmation pluriannuelle de l'énergie, Stratégie nationale bas-carbone) et européenne (Paquet Ajustement à l'objectif 55) ;

• accélérant la délivrance de permis d'exploration et d'exploitation minières, en veillant à la proportionnalité des procédures, à la sécurité juridique des contentieux, à l'équilibre du régime de responsabilité et à l'association des collectivités territoriales, dans le cadre de l'application législative et règlementaire de la réforme du code minier ;

• intégrant le concept de « mine durable » dans la législation française (Réforme du code minier) et européenne (Taxonomie verte européenne), afin de favoriser une approche durable de l'activité minière ;

• soutenant la mise en oeuvre par les professionnels d`infrastructures de collecte et de transformation et intégrer les enjeux miniers au critère du « bilan carbone » conditionnant l'accès des projets d'énergies renouvelables aux dispositifs de soutien publics, afin de promouvoir le recyclage des métaux critiques.

• État (Direction générale des entreprises, Direction générale de l'énergie et du climat, Représentation permanente de la France auprès de l'UE)

• Parlement

• Institutions européennes

2022-2023

• Véhicules législatifs (loi quinquennale sur l'énergie de 2023, ordonnances relatives à la réforme du code minier)

• Action de l'État (dont Programmation pluriannuelle de l'énergie, Stratégie nationale bas-carbone et mise en oeuvre appels d'offres)

• Action de l'Union européenne (dont Paquet Ajustement à l'objectif 55)

11

• Élaborer un « plan de résilience » de la chaîne alimentaire pour mieux prévenir les crises, incluant un meilleur suivi de stocks dits stratégiques pour les denrées agricoles ;

• Renforcer la planification territoriale de l'alimentation, par le biais notamment des projets alimentaires territoriaux.

• État (Direction générale de l'alimentation, services déconcentrés)

• Collectivités territoriales
et acteurs privés et publics des territoires

2022

• Action de l'État (« plan de résilience »)

• Projets alimentaires territoriaux (PAT)

12

Amender la stratégie européenne « de la Ferme à la fourchette » afin de trouver un meilleur équilibre entre les objectifs quantitatifs en matière de production pour renforcer la souveraineté alimentaire du continent et les objectifs environnementaux.

Institutions européennes

2023

Stratégie de la commission européenne « De la ferme à la fourchette »

13

Renforcer la transparence sur l'origine des produits agricoles et des denrées alimentaires pour garantir un affichage systématique des principaux ingrédients primaires des produits transformés en modifiant le règlement européen INCO.

Institutions européennes

2023

Règlement européen

14

Maximiser les aides agricoles et investir dans l'innovation des productions les plus menacées par une substitution par les importations.

• État (Direction générale de la performance économique et environnementale des entreprises, Secrétariat général pour l'investissement/
France 2030)

• Parlement

2022

• Véhicule législatif (PLF 2022)

• Appels d'offre de soutien public en matière agricole

15

Renforcer le plan Protéines végétales pour réduire notre dépendance en protéines végétales, notamment dans l'alimentation animale, en l'axant principalement sur des aides à l'investissement pour l'acquisition du matériel nécessaire à la production et à la transformation, qui demeure aujourd'hui un des principaux freins à l'essor de la filière oléo-protéagineuse.

État (Direction générale de la performance économique et environnementale des entreprises)

2022

• Véhicule législatif (PLF 2022)

• Action de l'État (dont Plan Protéines végétales)

16

• S'abstenir de mettre en place dans le contexte actuel le mécanisme fiscal portant sur les engrais prévu dans la loi Climat et résilience ;

• Publier enfin le plan « Eco'Azot », en le tournant résolument vers la reconquête d'une souveraineté en matière d'engrais.

• État (Secrétariat général du ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire)

• Parlement

2022-2023

• Véhicule législatif (loi ordinaire)

• Action de l'État (dont Plan « Eco'Azot »)

17

Adapter notre droit en vigueur au niveau européen et français pour sécuriser la propriété des données agricoles qui sont d'importance stratégique (propriété et portabilité des données des agriculteurs, sécurisation des données clés par l'État).

• État (Direction générale de la performance économique et environnementale des entreprises)

• Parlement

• Institutions européennes

2023

Règlement européen et transposition en France par véhicule législatif

Plan de souveraineté des infrastructures énergétiques et numériques

18

Garantir la sécurité d'approvisionnement en électricité l'hiver prochain et les suivants, en :

• appuyant l'effort des professionnels pour répondre aux difficultés du parc nucléaire, en particulier le phénomène de « corrosion sous contrainte » ;

• soutenant le système électrique dans son ensemble (économies d'énergie et mécanismes de flexibilité) ;

• répondant à la crise gazière (régulation des prix, obligation de stockage, groupements d'achat, production de biométhane).

État (Direction générale de l'énergie et du climat)

2022-2023

Action de l'État (dont mise en oeuvre de l'appui aux systèmes électrique et gazier)

19

Afin de donner un cap clair à la filière nucléaire et de répondre aux besoins croissants d'électricité, sans remettre en cause l'essor des énergies renouvelables, s'affranchir de la limitation a priori de la production d'énergie nucléaire à 50 % d'ici à 2035 dans la planification énergétique (loi quinquennale sur l'énergie de 2023, Programmation pluriannuelle de l'énergie, Stratégie nationale bas-carbone).

• État (Direction générale de l'énergie et du climat)

• Parlement

2022-2023

• Véhicule législatif (loi quinquennale sur l'énergie de 2023)

• Action de l'État (dont Programmation pluriannuelle de l'énergie et Stratégie nationale bas-carbone)

20

Garantir un mode de financement robuste à la filière nucléaire, en :

• intégrant le financement et la réalisation des projets de nouveaux réacteurs nucléaires à la loi quinquennale sur l'énergie de 2023 ;

• consolidant le soutien public aux projets de recherche et de développement nucléaires, dans le cadre du Plan de relance et du Plan d'investissement ;

• limitant le coût de l'électricité pour les consommateurs, en les protégeant de la hausse des prix, tout en évaluant et prévenant l'impact sur les fournisseurs, à commencer par le groupe EDF, dont il faut garantir la durabilité, dans son financement comme dans son organisation, afin qu'il demeure l'un des acteurs majeurs de la filière nucléaire ;

• intégrant pleinement l'énergie nucléaire à la taxonomie verte européenne, en levant les verrous posés (champ, délais, conditions).

• État (Direction générale de l'énergie et du climat, Secrétariat général pour l'investissement/
France 2030, Représentation permanente de la France auprès de l'UE)

• Parlement

• Institutions européennes

2022-2023

• Véhicules législatifs (loi quinquennale sur l'énergie de 2023, PLFR 2022 et PLF 2023)

• Action de l'État (dont Plan de relance et Plan d'investissement)

• Action de l'Union européenne (dont Taxonomie verte européenne)

21

Accorder une attention spécifique à la fermeture du cycle du combustible, en mobilisant les financements publics et privés en direction du MOX, des SMR, des réacteurs de 4ème génération et du projet ITER.

• État (Direction générale de l'énergie et du climat, Direction générale de la recherche et de l'innovation, CEA, ITER)

• Parlement

2022-2023

• Véhicule législatif (loi quinquennale sur l'énergie de 2023)

• Action de l'État (dont Programmation pluriannuelle de l'énergie)

22

Renforcer la planification et le cadre juridique du stockage de l'énergie, en :

• intégrant pleinement le stockage à la planification énergétique (loi quinquennale sur l'énergie de 2023, Programmation pluriannuelle de l'énergie, Stratégie nationale bas-carbone), en veillant à couvrir l'ensemble des modes de stockage et à consacrer les projets importants d'intérêt européen commun (PIIEC) ;

• apportant un cadre juridique complet au stockage de l'énergie, en garantissant une neutralité technologique pour l'hydrogène (« Taxonomie verte » européenne et Paquet Ajustement à l'objectif 55) et en favorisant le réemploi des batteries (règlement sur les batteries électriques).

• État (Direction générale de l'énergie et du climat, Direction générale des entreprises)

• Parlement

• Institutions européennes

2022-2023

• Véhicules législatifs (loi quinquennale sur l'énergie de 2023)

• Action de l'État (dont Programmation pluriannuelle de l'énergie, Stratégie nationale bas-carbone et Projets importants d'intérêt commun européens)

• Action de l'Union européenne (dont Paquet Ajustement à l'objectif 55 et Règlement Batteries)

23

Consolider les dispositifs de soutien au stockage, en veillant à leur application (garanties d'origine sur l'hydrogène issues de la loi Énergie-Climat et appel d'offres sur le stockage issu de la loi Climat-Résilience), à leur harmonisation (compléments de rémunération sur les énergies renouvelables et réductions de TICFE et de TURPE), à leur pérennité (appels d'offres existants sur l'hydrogène et les batteries) ainsi qu'à leur complétude (appel d'offres attendu sur les STEP).

• État (Direction générale de l'énergie et du climat, Direction générale des finances publiques)

2022-2023

• Véhicules législatifs (dont PLFR 2022 et PLF 2023)

• Action de l'État (dont mise en oeuvre des appels d'offres et des garanties d'origine)

24

Accélérer le déploiement des énergies renouvelables, en :

• engageant un chantier de simplification des normes, en étroite association avec les élus locaux (institution de guichets et d'autorisations uniques, utilisation du foncier, procédures d'appels d'offres, conditions de raccordement, modalités de raccordement, délais de recours, planification territoriale) ;

• consolidant les dispositifs de soutien (budgétaires, extrabudgétaires et fiscaux) ;

• relevant les objectifs (dont hydroélectricité, biogaz ou biocarburants).

• État (Direction générale de l'énergie et du climat)

• Parlement

• Collectivités territoriales

2022-2023

• Véhicules législatifs (dont PLFR 2022, PLF 2023, loi quinquennale sur l'énergie de 2023)

• Actions de l'État (dont Programmation pluriannuelle de l'énergie et mise en oeuvre des appels d'offres)

25

Élaborer une proposition de règlement européen sur la contribution des plateformes au financement des réseaux de télécommunications permettant à l'Organe des régulateurs européens des communications électroniques de :

• collecter les informations nécessaires à la détermination de la méthodologie de calcul de la contribution financière envisagée ;

• fixer des tarifs harmonisés pour tous les opérateurs européens de télécommunications ;

• réviser régulièrement la méthodologie de calcul et les tarifs fixés ;

• établir une procédure unifiée de règlement des litiges.

• Institutions européennes

• Organe des régulateurs européens des communications électroniques

• Acteurs privés

2023

Règlement européen

26

Évaluer la faisabilité de constituer un réseau indépendant de câbles sous-marins de télécommunications reliant la France et les pays de l'Union européenne entre eux afin d'améliorer la résilience des infrastructures, la redondance des flux de données et la continuité du trafic Internet en cas d'incidents ou de menaces extérieures.

• Secrétariat général de la mer (SGMer) et Secrétariat général de la sécurité et de la défense nationale (SGDSN)

• États membres de l'UE

• Institutions européennes

• Acteurs privés

2023

• Action de l'État

• Action de l'Union européenne
et de ses membres

27

Confier au Comité interministériel de la mer une mission de simplification de la procédure de demande de pose de câbles sous-marins sur le sol national, en particulier pour les territoires ultramarins.

• État (Comité interministériel de la mer)

2022

• Véhicule législatif

• Véhicule réglementaire

• Action de l'État

28

Amender la proposition de règlement européen établissant des règles harmonisées en matière d'accès loyal aux données et d'utilisation équitables des données ( Data Act ) pour rendre obligatoire la localisation des données à caractère personnel des citoyens européens et des données des entreprises européennes sur le territoire de l'Union européenne.

Institutions européennes

2022

Règlement européen
( Data Act )

Plan de souveraineté des compétences et des métiers de demain

29

Faire entrer l'industrie dans les écoles, et les écoles dans l'industrie. Encourager l'organisation de visites scolaires ou de stages en entreprise industrielle et de présentation des métiers industriels au sein des établissements, dans le cadre de l'enseignement primaire et secondaire. Refaire de l'orientation un temps fort de la scolarité.

• État (ministère de l'éducation nationale, ministère de l'industrie)

• Établissements scolaires et universitaires

• Acteurs privés

• Collectivités territoriales (services de l'orientation)

2023

Action de l'État et des collectivités territoriales auprès des établissements scolaires et des entreprises industrielles

30

• Mener à bien les études sur les filières et diplômes d'aujourd'hui et de demain et en tirer les conséquences concrètes sur l'enseignement secondaire et supérieur, pour combler les carences sur certaines filières d'éducation et de formation initiale ;

• Repenser en particulier l'offre de formation dans les secteurs de l'électronique, de la métallurgie, du nucléaire et des outils numériques ;

• Confier au ministère chargé de l'industrie la compétence de la conception des filières de formation industrielle et le pilotage de l'enseignement professionnel et technique.

• État (ministère de l'éducation nationale, ministère de l'enseignement supérieur, ministère de l'industrie)

• Filières industrielles (Comités stratégiques de filière)

• Établissements d'enseignement

2022-2023

• Étude de l'État en lien avec les filières

• Action de l'État, des collectivités territoriales
et des établissements d'enseignement

31

• Accroître le financement de l'apprentissage en France, au regard du nombre croissant d'apprentis et dans l'objectif d'une réindustrialisation durable du pays ;

• Accentuer les efforts d'orientation vers l'apprentissage au sein des lycées professionnels et envers les métiers de niveau Bac pro ou BTS.

• État (ministère du travail, France compétences)

• Acteurs privés

• Collectivités territoriales (services de l'orientation)

2022 et en continu

• Véhicule législatif (PLF 2022)

• Action de l'État, des collectivités et des établissements d'enseignement

32

Améliorer encore la formation aux métiers, en début et au cours de la carrière, en :

• simplifier le recours aux actions de formation en situation de travail (AFEST), consacrées par la loi en 2018, au potentiel encore sous-exploité ;

• faisant évoluer les dispositifs de formation continue afin d'accroître leur ciblage sur les métiers en tension et ceux offrant de fortes chances d'accès à l'emploi, par exemple en encourageant à développer des modes de co-financement des formations par l'entreprise lorsqu'elles visent à répondre à un besoin fort de compétences.

• État (ministère du travail)

• Partenaires sociaux

• Acteurs privés

2022-2023

• Véhicules législatifs et réglementaires

• Action de l'État

33

Renforcer l'offre nationale de formation aux métiers du cloud pour sortir de la dépendance aux Gafam en la matière, en :

• augmentant, jusqu'à bac + 3, le nombre de licences professionnelles et de diplômes universitaires technologiques spécialisés dans l'informatique ;

• augmentant, à compter de bac + 4, le nombre de mastères spécialisés dans les métiers du cloud ;

• facilitant les passerelles et les formations complémentaires entre les écoles d'ingénieurs et celles d'informatique ;

• poursuivant, pour la formation initiale et continue tout au long de la vie, le développement des établissements supérieurs d'autoformation en programmation informatique.

• État (ministère de l'éducation nationale, ministère de l'enseignement supérieur, ministère de l'industrie)

• Établissements d'enseignement

2022-2023

Action de l'État, des collectivités territoriales et des établissements d'enseignement

34

Amender la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant des règles harmonisées en matière d'accès loyal aux données et d'utilisation équitables des données ( Data Act ) pour :

• limiter la durée et les montants des « crédits cloud » accordés aux jeunes pousses ;

• encadrer les conditions de changement de plateformes d'hébergement des données et de logiciels cloud vers d'autres entreprises ;

• garantir l'interopérabilité des services d'informatique en nuage et la portabilité des données transférées.

Institutions européennes

2022

Règlement européen
(Data Act)

35

• Préserver et consolider les politiques publiques favorisant le travail saisonnier en France à court terme, tout en réduisant notre dépendance à la main d'oeuvre saisonnière étrangère :

• Soutenir l'emploi de saisonniers par une pérennisation définitive du dispositif dit « TO-DE » ;

• Accompagner les filières dans le recensement et la structuration de l'offre de saisonniers, en anticipant en amont les besoins administratifs ou de logement ;

• Réduire la dépendance tout en gagnant en compétitivité, en favorisant à long terme le recours à la mécanisation.

• État (Direction générale des finances publiques, ministère du Travail, Secrétariat général pour l'investissement/
France 2030)

• Collectivités territoriales

• Acteurs privés

2022-2023

• Véhicule législatif (PLF 2022)

• Action de l'État et des collectivités territoriales

Plan de souveraineté de la politique commerciale

36

S'engager à mieux faire respecter les normes minimales de production requises au sein de l'Union européenne en :

• poursuivant le déploiement de clauses miroirs dans les législations européennes en matière agricole, notamment dès 2023 sur les textes relatifs au bien-être animal ou aux additifs destinés à l'alimentation des animaux, ainsi que dans les accords de libre-échange ;

• s'engageant plus activement dans les instances internationales de normalisation (notamment Codex Alimentarius ) afin de faire évoluer l'ensemble des pratiques agricoles.

• Institutions européennes (notamment Direction générale du Commerce)

• État (SGAE, Direction générale de l'alimentation)

Dès 2022 et en continu

• Traités internationaux de libre-échange

• Instances internationales de normalisation

37

Durcir les contrôles sur les denrées alimentaires importées pour garantir le respect des normes minimales requises au sein de l'Union européenne en agissant :

• à court terme, au niveau national pour relever le niveau d'exigences, notamment i) en augmentant les effectifs des contrôles nationaux, profitant du transfert de la compétence sanitaire de la DGCCRF à la DGAL pour constituer une vraie « police sanitaire nationale » ; ii) en renforçant le nombre de contrôles aléatoires intégrés au plan de contrôle et en durcissant le contenu des analyses, notamment en renforçant le nombre de substances actives effectivement contrôlées par les laboratoires nationaux ;

• à moyen terme au niveau européen en promouvant la constitution d'une task force européenne sur la sécurité alimentaire pour des interventions harmonisées au niveau européen, afin d'éviter les comportements de détournement des contrôles franco français par une entrée dans d'autres pays.

• État (Direction générale de la consommation, de la concurrence, et de la répression des fraudes, Direction générale des douanes et des droits indirects, Direction générale de l'alimentation)

• Institutions européennes (Direction générale Santé et sécurité alimentaire)

2022-2023

• Véhicules législatifs (PLF 2022)

• Textes européens

• Action de l'État (dont plan de contrôle)

• Nouvelle
« task force » européenne sur la sécurité alimentaire

38

Renforcer la base juridique et le caractère opérationnel du MACF et améliorer la prise en compte des enjeux de compétitivité des filières européennes, en :

• prévoyant une affectation intégrale des recettes du MACF aux politiques environnementales, en cohérence avec son ambition en faveur de la décarbonation et gage de bonne foi de la démarche européenne vis-à-vis de l'OMC et de nos partenaires commerciaux ;

• reportant à 2033 l'extinction des quotas gratuits tant qu'une évaluation ex post des effets du MACF n'aura pas été rendue, et permettre jusqu'à cette date le maintien de quotas gratuits à leur niveau actuel pendant la montée en charge du MACF ; ou en maintenant à défaut une allocation de quotas gratuits pour les exportations des 30 % des installations productrices les moins émissives couvertes par le marché carbone ;

• élargissant le champ des secteurs couverts par le MACF, afin de mieux en répartir l'impact au long des chaînes de valeur européennes. Faire porter cet élargissement sur l'ensemble des biens couverts par le marché carbone européen et à de nouveaux secteurs (produits agricoles, hydrogène...) et sur les produits finis, qui devront préalablement être intégrés dans le marché carbone européen.

Institutions européennes

2022-2023

Textes européens (cadre financier pluriannuel et paquet Ajustement
à l'objectif 55)

39

• Prévoir la ratification systématique des accords commerciaux mixtes par les parlements nationaux, à commencer par le CETA, pour assurer la transparence et le contrôle démocratique sur ces accords ;

• Évaluer de façon transversale et exhaustive, filière par filière, les effets potentiels des accords commerciaux, à commencer par l'accord avec le Mercosur, à l'aune des résultats constatés des précédents accords. Évaluer l'articulation des traités à venir avec les traités passés et leur impact cumulé.

• Institutions européennes

• État (Premier ministre, ministre chargé du Commerce extérieur)

• Parlement

Dès 2022 et en continu

• Ordre du jour du Parlement

• Études pilotées ou commandées par les services des ministères compétents

40

Pousser les États tiers à donner accès à leur commande publique aux entreprises européennes en :

• abaissant le seuil des marchés entrant dans le champ d'application de l'instrument pour la réciprocité dans les marchés publics (IPI) ;

• permettant aux États, comme à la Commission qui le pourra déjà, de prendre des mesures de rétorsion sous réserve de notification à la Commission ;

• étudiant l'opportunité de prendre des mesures de rétorsion contre des États non coopératifs, même lorsque l'UE est juridiquement engagée avec eux dans le cadre d'un accord sur l'accès aux marchés publics.

Institutions européennes

À partir de 2022

Règlement européen (révision du règlement relatif aux marchés publics internationaux)

Plan de souveraineté des entreprises

41

Accélérer la création d'un projet important d'intérêt européen commun (PIIEC) pour soutenir le développement des filières industrielles française et européenne de l'informatique en nuage.

• Institutions européennes

• États membres de l'UE

• Acteurs privés

2022

Projet important d'intérêt européen commun

42

• Établir un bilan économique complet des mesures extraterritoriales subies par les acteurs économiques européens, afin de mieux chiffrer l'ampleur des coûts induits par le défaut de protection de nos entreprises et ainsi accélérer les actions de l'UE en la matière.

• Confier au Service de l'information stratégique et de la sécurité économiques (SISSE), en lien avec l'Agence française anticorruption, TRACFIN et le réseau des services économiques régionaux, le soin d'établir une revue périodique nationale de l'exposition aux risques de l'extraterritorialité, croisant en particulier les aires géographiques, secteurs d'activité et législations en cause, rendue publique et diffusée auprès des entreprises françaises, pour les aider à s'orienter et limiter les pratiques de sur conformité dommageables à notre économie.

État (Service de l'information stratégique et de la sécurité économiques, Agence française anticorruption, TRACFIN, services économiques régionaux)

2023

• Étude pilotée ou commandée par le Service de l'information stratégique et de la sécurité économiques (SISSE)

• Publication périodique à destination des entreprises françaises actives sur les marchés étrangers

43

Renforcer le caractère dissuasif du règlement de blocage à l'occasion de sa révision pour mieux protéger les entreprises françaises, en :

• étendant son application aux filiales des sociétés européennes ;

• établissant des seuils minimaux de sanctions pour les entreprises se conformant à des mesures extraterritoriales d'États tiers ;

• envisageant de permettre à une entreprise de se retourner contre un partenaire commercial qui n'aurait pas respecté le règlement de blocage en transigeant avec les autorités d'un État tiers.

Institutions européennes

2022

Règlement européen (révision du règlement dit
« de blocage »)

44

Inclure l'ensemble des sanctions extraterritoriales dans le champ du nouvel instrument anti-coercition, et étendre son application aux mesures coercitives illégales visant à modifier le comportement des entreprises européennes.

Institutions européennes

2022

Règlement européen (règlement anti-coercition économique)

45

• Négocier une convention sur les sanctions secondaires, en tirant parti de l'amélioration de nos relations avec les États-Unis.

• Clarifier dans ce cadre la nature et l'étendue du lien de rattachement de nos entreprises avec les États-Unis, en garantissant plus de transparence et un droit au recours ( judicial review ) dans le cadre des transactions conclues par nos entreprises avec la justice américaine.

État (ministère chargé des affaires étrangères, ministère de la justice, ministère de l'économie)

À partir de 2023

Convention bilatérale

46

Poursuivre le renforcement du contrôle des investissements étrangers, en :

• abaissant de façon pérenne, de 25 % à 10 %, le franchissement du seuil de détention des droits de vote par un investisseur hors UE déclenchant un contrôle de l'investissement, et appliquer ce nouveau seuil à toutes les sociétés stratégiques françaises, qu'elles soient cotées ou non. Une modification réglementaire du 3° de l'article R. 151 2 du code monétaire et financier est nécessaire pour cela ;

• actualisant la liste des activités sensibles et stratégiques figurant à l'article R. 151 3 du code monétaire et financier pour y intégrer le secteur des médias au sens large ainsi que les infrastructures électorales.

État (Direction générale du Trésor)

2022

Véhicule réglementaire

47

Appuyer la mise en oeuvre du DMA et renforcer la lutte contre les acquisitions prédatrices en France, en :

• évaluant l'opportunité d'autoriser l'Autorité de la concurrence, lorsqu'elle renvoie à la Commission européenne l'examen d'une opération située sous les seuils nationaux et que la Commission européenne n'y donne pas suite, d'instruire elle-même l'opération en question ;

• envisageant une notification à l'Autorité de la concurrence des opérations de concentration sous les seuils nationaux mais dont la valeur de transaction dépasse un certain montant, dans l'optique d'un renvoi possible de l'opération concernée, par l'Autorité de la concurrence, à la Commission européenne.

• Institutions européennes (notamment Commission européenne)

• Autorité de la Concurrence

• Parlement

• Acteurs privés

2023

• Véhicule législatif

• Organisation et moyens de l'Autorité
de la Concurrence

48

Adapter et moderniser les outils du droit européen de la concurrence afin de l'articuler au mieux avec les exigences d'une politique industrielle ambitieuse :

• en faisant rapidement aboutir l'actualisation des lignes directrices de la Commission européenne en matière de marché pertinent, afin de saisir au mieux les évolutions rapides de ce concept induites par le développement fulgurant du numérique ;

• en clarifiant les composantes du critère de « bien être du consommateur » au regard duquel la Commission analyse les opérations de concentration, et y intégrer de nouvelles composantes comme la compétitivité, le maintien de l'emploi ou la souveraineté numérique ;

• en allongeant l'horizon temporel des analyses de la Commission, en le portant de deux à cinq ans sauf exception, et clarifier la doctrine de la Commission en matière de concurrence potentielle future, dans le but que des opérations ne soient pas rejetées alors que des menaces potentielles à moyen terme semblent élevées.

Institutions européennes (notamment Commission européenne)

2023

Lignes directrices de la Commission européenne

49

S'assurer d'un contrôle effectif, harmonisé et efficace des subventions étrangères en cas de concentration ou de procédure de passation d'un marché public, en :

• promouvant, dans les discussions entre co législateurs européens, la fixation de seuils de notification qui soient moins élevés que ceux aujourd'hui envisagés, afin d'étendre le champ d'application du règlement en cours de négociation ;

• en clarifiant, au niveau européen et français, l'articulation entre le nouveau contrôle des subventions et celui des investissements étrangers aujourd'hui à l'oeuvre en France, dans l'objectif de minimiser les divergences de pratique et d'interprétation potentiellement sources de contentieux et de longueurs dans l'analyse de l'impact des subventions étrangères.

• Institutions européennes

• État (représentation permanente auprès de l'UE, ministère de l'économie et des finances)

• Parlement

2023

• Règlement européen (relatif au contrôle des subventions étrangères)

• Véhicule législatif ou réglementaire

50

Augmenter significativement la représentation, d'ici 2030, des salariés dans les conseils d'administration ou de surveillance des grandes entreprises et améliorer encore la formation de ces représentants des salariés.

Acteurs privés

2030

Action de l'État

Action des acteurs privés

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 6 juillet 2022, la commission a examiné le rapport de Mmes Sophie Primas, Amel Gacquerre et M. Franck Montaugé « Cinq plans pour reconstruire la souveraineté économique de la France ».

Mme Sophie Primas , présidente, rapporteur . - Nous avons le plaisir de vous présenter aujourd'hui, avec Amel Gacquerre et Franck Montaugé, les conclusions de nos travaux sur la souveraineté économique. Nous espérons que ces conclusions ne seront pas une fin, mais un début, et que nos cinquante propositions seront traduites en actions concrètes.

Cette mission d'information s'inscrit dans la suite directe de nombre de nos travaux de ces derniers mois. Au plus fort de la crise liée à la Covid-19, notre commission s'était fortement mobilisée pour faire remonter les difficultés de nos territoires, qu'il s'agisse de se procurer des masques pour que les entreprises continuent leur activité ou de garantir la continuité de l'approvisionnement en matériels de santé. En 2019, je vous avais présenté un rapport sur les Chantiers de l'Atlantique, qui soulevait déjà des enjeux d'indépendance technologique et de souveraineté économique. Notre collègue Laurent Duplomb avait également rendu en 2019 un rapport remarqué sur la pénétration croissante des produits agricoles importés en France, qui mettait en péril notre souveraineté alimentaire.

Avec ce nouveau rapport, nous avons souhaité aller plus loin. Lors de la crise liée à la Covid-19, tout le monde se félicitait d'une « prise de conscience » de nos dépendances et le Gouvernement avait juré d'y remédier à grands coups de milliards d'euros. Nous avons pourtant découvert d'autres dépendances à l'occasion du conflit entre l'Ukraine et la Russie. Un grand nombre de nos vulnérabilités demeurent méconnues, voire ignorées. Ce manque de prospective nous a conduits à nous intéresser à l'ensemble de l'économie, au-delà donc des masques et des semi-conducteurs. De même, nous n'avons pas évoqué uniquement la relocalisation industrielle ou l'approvisionnement en gaz ou en pétrole, mais bien l'ensemble des secteurs de production nécessaires à notre souveraineté et à notre indépendance nationale.

Notre constat est alarmant. Nous terminons ces travaux avec des exemples concrets et multiples d'une perte de souveraineté généralisée. Elle frappe nos productions traditionnelles, mais menace aussi notre capacité à nous placer à la pointe de l'innovation. Elle touche les usines, mais aussi les hommes et femmes qui les font tourner, leurs technologies et même les compétences disponibles. Elle frappe nos réseaux de télécommunication, notre approvisionnement en énergie, nos intrants et notre production agricole. Elle se traduit notamment par l'affaiblissement de notre politique commerciale et par une plus grande vulnérabilité de nos entreprises à l'international.

J'en profite pour souligner que notre posture n'est ni celle d'un repli national ni celle d'une remise en cause du bien-fondé d'échanges mondialisés. Souveraineté n'est pas autarcie, loin s'en faut. Une France souveraine, c'est une France qui peut conduire une politique économique qui ne soit captive ni d'une autre puissance ni d'un déclin inexorable qui nous contraint. Mais pour cela, nous avons besoin de nos partenaires commerciaux : la France ne produira jamais tout et ne saura jamais tout inventer seule. Nous avons besoin de l'Union européenne et de nos voisins pour être en mesure de rivaliser avec d'autres blocs économiques et pour construire un marché intérieur qui pèse et qui puisse exporter ses normes et ses valeurs, notamment sociales.

Depuis le début de l'année, nous avons conduit une quarantaine d'auditions d'économistes et de chercheurs d'institutions françaises et européennes. Nous étions aussi particulièrement attachés à aller chercher l'information à la source et à nous appuyer sur des exemples concrets : nous avons ainsi organisé plusieurs tables rondes de fédérations industrielles et d'acteurs agricoles ou énergétiques, pour recueillir des témoignages de première main de nos acteurs productifs.

Nous avons souhaité, à l'issue de nos travaux, présenter une feuille de route concrète pour reconstruire la souveraineté économique de notre pays. Nous n'avons pas voulu nous contenter d'un constat, mais au contraire concentrer nos efforts sur des solutions opérationnelles. De l'ensemble des pistes que nous avons étudiées sont ressorties cinq thématiques principales : assurer l'approvisionnement de notre économie, développer nos infrastructures énergétiques et numériques, investir dans les métiers et les compétences de demain, rééquilibrer notre politique commerciale et protéger nos entreprises tout en les ancrant au territoire.

Nous allons donc vous présenter aujourd'hui cinq plans de souveraineté thématiques, qui doivent être déployés rapidement et avec volontarisme pour enrayer au plus vite notre dépendance croissante. Nous savons que nous ne passerons pas en un instant du jour à la nuit : il faudra agir vite pour que les effets prennent corps petit à petit. Il ne suffit pas, en effet, de mettre la souveraineté à toutes les sauces dans les intitulés des ministères pour inverser la tendance...

M. Franck Montaugé , rapporteur . - La crise liée à la Covid-19 et l'interruption momentanée de nos échanges mondiaux qu'elle a entraînée ont démontré qu'une France désindustrialisée ne pouvait réagir dans une situation dégradée. Les conséquences de l'agression russe de l'Ukraine confirment cet état de fait.

La science économique, appuyée sur le big data , doit armer notre pays avec des processus de stress tests pour les filières stratégiques ou vulnérables en termes d'approvisionnement en intrants. Nous devons nous appuyer sur cette technique scientifique pour évaluer régulièrement notre résilience économique. La part de l'industrie dans le PIB a été divisée par deux depuis 1974 : il est aujourd'hui plus évident que jamais que notre pays ne sait pas produire un grand nombre de biens nécessaires. Nous avons laissé tomber notre industrie : notre responsabilité collective est de la rebâtir en l'adaptant aux enjeux de la transition et sur la base de la durabilité. C'est là que se joue la compétitivité française dans le monde de demain. Nos travaux ont en outre révélé que même ce qui était encore produit en France dépendait en grande partie d'approvisionnements étrangers : 40 % de nos intrants industriels sont importés, contre 29 % il y a 20 ans. Notre balance commerciale en souffre : 900 produits importés génèrent 80 % du déficit commercial croissant de la France. Ce cercle vicieux est incompatible avec notre indépendance nationale.

Notre compétitivité est également mise à mal par le prix des composants de certains produits, faussés par un défaut de réciprocité des normes et par l'impact du changement climatique, au désavantage de nos producteurs. Je ne partage pas du tout l'enthousiasme gouvernemental s'agissant du bilan de la présidence française du Conseil de l'Union européenne (PFUE) : le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières ne règle presque rien pour les producteurs français, sauf pour les grandes filières du ciment, de l'acier, de l'aluminium, de l'électricité et des engrais. L'ajustement doit se faire sur les produits intermédiaires ou finis, faute de quoi notre déficit continuera de se creuser : on anticipe 7 % de dégradation supplémentaire pour les exportations de l'Union européenne si le mécanisme actuel est maintenu. Durant sa montée en charge, nous préconisons donc le maintien des quotas gratuits.

Nous demandons aussi, pour les grands accords de commerce, une évaluation publique et une ratification du Parlement, ainsi que la traduction concrète de l'ambition gouvernementale de « clauses miroirs » dans les traités et un meilleur contrôle des importations.

L'Union européenne (UE), et en particulier la direction générale de la concurrence (DG COMP), doit urgemment tirer les conséquences du fait que l'UE est isolée dans sa fixation d'une politique de concurrence aussi stricte, dont seuls les États-Unis et la Chine bénéficient. Réveillons-nous en musclant l'instrument européen relatif aux marchés publics internationaux (IPI) pour plus de réciprocité.

Nous sommes aussi exposés à des ruptures d'approvisionnement mettant à l'arrêt des productions nationales. C'est paradoxal : certaines dépendances flagrantes sont connues depuis longtemps, comme pour le paracétamol, dont la France importe 80 % des principes actifs. C'est aussi le cas des métaux, en raison de la fin de l'exploitation minière et du déclin de la sidérurgie française. Aucune politique de réindustrialisation ciblée n'a pourtant été jusqu'ici mise en oeuvre. Malgré ces dépendances, le Gouvernement avoue aujourd'hui n'avoir aucune idée de l'étendue du phénomène. Ce n'est qu'en 2020 qu'une étude, à ce jour inaboutie, a été conduite sur la vulnérabilité de nos approvisionnements industriels.

Si la crise de la Covid-19 n'avait pas eu lieu, nous aurions continué comme avant sur la pente du déclin. Cela interroge notre Nation sur sa capacité à se regarder en face et à tirer les leçons de ses errements : il est plus que temps de réagir. Nous attendons du Gouvernement des politiques claires : notre rapport recommande une cartographie des dépendances de notre industrie, en lien avec les filières et qui prend en compte le caractère critique de nos intrants. Il faudra aussi mieux recueillir et exploiter les données relatives aux échanges des entreprises françaises et européennes.

Ensuite, il faut repenser les stratégies d'achat à l'échelle des filières et améliorer la diversification des sources. À produits identiques, la France est plus dépendante que les autres pays de l'UE : il y a là un potentiel de diversification à exploiter. Il faut aussi favoriser les démarches d'achats en commun, pour donner plus de poids aux entreprises françaises dans les négociations avec leurs fournisseurs, et encourager les contrats de long terme. Par ailleurs, il faut inciter à la constitution de stocks en modifiant la fiscalité. L'État pourrait également soutenir ou abonder l'investissement des acteurs français dans des fournisseurs stratégiques à l'étranger.

À défaut, il faut favoriser la réindustrialisation en France par des aides et par des accompagnements adaptés. En effet, c'est bien de réindustrialisation ciblée qu'il s'agit, s'appuyant sur la cartographie de nos dépendances. Or, nos auditions montrent que le ciblage et le pilotage des aides sont déficients. Si les projets importants d'intérêt européen commun (PIIEC) sont une piste prometteuse, ils sont trop rigides, avec des moyens insuffisants. Il faut en faire des outils de reconquête industrielle, au sein desquels le Gouvernement doit défendre les intérêts de l'industrie française : certains choix récents d'implantation d'usines ne sont ainsi pas à notre avantage.

Enfin, nous recommandons d'accentuer l'effort de recyclage des filières. Sobriété et réutilisation sont des leviers de diminution de la dépendance, de captation de valeur et de réduction de l'empreinte environnementale. La durabilité doit être au coeur des transformations et du développement de l'appareil productif national et européen. Elle conditionne la souveraineté de demain.

Nous avons également souhaité faire deux « focus » : l'un sur l'approvisionnement en métaux, l'autre sur notre secteur agricole.

Les métaux seront une ressource absolument essentielle pour les décennies à venir, en particulier pour la transition énergétique. Comme nous l'avait dit Philippe Varin, ancien président du conseil d'administration de Suez et chargé d'une mission sur la sécurisation de l'approvisionnement de l'industrie en matières premières minérales, notre consommation en cuivre, en aluminium, en acier ou en terres rares sera démultipliée d'ici quelques années à peine.

Pourtant, du point de vue de nos politiques, cela n'a pas été pensé : notre pays, en dehors de la Nouvelle-Calédonie et de la Guyane, n'extrait quasiment plus de minerai, à l'inverse de certains de nos partenaires européens. Notre économie, dépendante des importations, subit déjà de plein fouet la hausse des cours, par exemple 60 % en un an pour l'aluminium, et les pénuries. Notre dépendance aux pays producteurs va de 70 % à 100 % pour le cobalt, les terres rares et le lithium.

Nous formulons donc des propositions spécifiques à l'approvisionnement en métaux critiques. Tout d'abord, il nous faut mieux connaître nos propres ressources en réalisant enfin l'inventaire actualisé de notre sous-sol, comme l'a promis le Gouvernement.

Les dispositifs de soutien à l'investissement et à la R&D dans le secteur doivent être musclés et un financement durable des projets miniers proposé. Dans le prolongement de la réforme du code minier, que nous avons votée après dix ans d'attente dans la loi Climat-Résilience, il nous faut accélérer la délivrance de permis miniers, tout en promouvant une approche durable de la mine dans la taxonomie européenne afin d'établir des standards sociétaux, sanitaires et environnementaux ambitieux.

Concernant l'approvisionnement agricole, la situation est en apparence, mais en apparence seulement, moins inquiétante : la France reste un exportateur net de produits agricoles, et notre taux d'auto-approvisionnement alimentaire est élevé. Cependant, cet avantage historique s'érode d'année en année et pourrait bientôt remettre en cause notre capacité à nourrir les Français. Tout d'abord, la pénétration des importations est, là aussi, croissante : nous mangeons chaque semaine l'équivalent d'un jour et demi de repas importés. La surface agricole s'est réduite de 7 % depuis 1988 et la taille du cheptel a baissé de 22 % depuis 2000. Le renouvellement des générations n'est pas garanti, alors qu'un quart des exploitants agricoles avait plus de 60 ans en 2020. En conséquence, notre production agricole stagne désormais, voire baisse, et notre solde commercial avec les pays de l'UE se dégrade.

Or, cela est contradictoire avec un contexte mondial de « réarmement agricole » et de hausse des besoins alimentaires. L'Europe est l'un des seuls continents à avoir affaibli son agriculture en limitant les budgets de la politique agricole commune (PAC). De plus, notre agriculture dépend pour 60 % de sa valeur ajoutée d'importations de produits intermédiaires. C'est le cas des engrais, des produits phytosanitaires et de l'alimentation animale, mais aussi des équipements de récolte et de plusieurs vitamines ou ferments pour l'industrie agroalimentaire.

Nous formulons donc certaines recommandations, à commencer par l'établissement d'une stratégie de résilience de la chaîne alimentaire en cas de crise, qui peut aller jusqu'à la constitution de stocks stratégiques. Nous appelons aussi à rééquilibrer la stratégie agricole européenne, afin de mieux prendre en compte les exigences qualitatives des Européens et les enjeux quantitatifs de souveraineté alimentaire.

Il est également crucial de renforcer la transparence sur l'origine des produits agricoles et d'assurer la réciprocité des normes avec nos partenaires commerciaux. La PFUE n'a fait ici que discourir. Le ciblage des aides agricoles, à l'investissement notamment, doit en outre être orienté en priorité vers les productions les plus menacées par les importations et dont le potentiel productif national est encore insuffisamment exploité.

Enfin, nous recommandons de renforcer le plan protéines végétales, intrant critique s'il en est, et de publier enfin le plan Eco'Azot pour accompagner les agriculteurs.

La mission d'information a aussi mesuré la complexité de la gouvernance des projets industriels d'avenir : les industriels eux-mêmes sont confrontés à de multiples interlocuteurs et guichets. Nous préconisons une simplification. Il faut revoir l'accompagnement des projets et leur évaluation in itinere et ex post , peut-être en adaptant les méthodes ayant fait leurs preuves dans d'autres pays.

N'oublions pas non plus le levier que constituent les territoires pour le développement industriel de la France. Les régions et les écosystèmes territoriaux doivent être confortés dans notre réindustrialisation.

Je formule le voeu que notre commission contrôle et évalue régulièrement les politiques économiques au regard des propositions de notre rapport, dont je remercie notre présidente pour l'initiative.

Mme Sophie Primas , présidente, rapporteur . - Notre deuxième plan porte sur les infrastructures énergétiques et numériques, qui sont essentielles à notre activité économique et à la vie de la Nation.

Le constat qui se dégage de nos travaux est que nos infrastructures sont fragilisées : tantôt vieillissantes, tantôt trop modestes et inadaptées aux enjeux futurs, il arrive aussi qu'elles nous placent directement en situation de dépendance.

Concernant les infrastructures énergétiques, nous avons souhaité approfondir deux thématiques : la filière nucléaire et le stockage de l'énergie.

La situation du mix énergétique français est désormais bien connue : notre recours encore élevé aux énergies fossiles, qui représentent 62 % de notre consommation, perpétue notre dépendance aux importations. Alors que l'Union européenne s'engage désormais en faveur d'une réduction de notre recours aux hydrocarbures russes, la production énergétique autonome que nous assure notre parc nucléaire, qui fournit 69 % de notre production électrique, est plus que jamais nécessaire. La filière nucléaire française est un levier de sécurisation de notre approvisionnement énergétique et de compétitivité pour nos entreprises, mais aussi, aux côtés des énergies renouvelables, un levier de transition vers une énergie décarbonée.

Cependant, notre rapport démontre que le parc nucléaire est confronté à d'importantes difficultés - ce constat fait désormais consensus. Les indisponibilités sont élevées, la France importe de plus en plus d'électricité depuis quelques années et les prix sont en augmentation. Ces difficultés s'expliquent par différentes décisions récentes, mais aussi par la découverte du phénomène de « corrosion sous contrainte ».

En conséquence, notre système électrique a atteint, l'hiver dernier, un seuil critique, et les difficultés persistent. Selon l'Autorité de sûreté nucléaire, notre système est désormais « sans marge », et ce alors que la consommation d'électricité est appelée à croître de 40 % à 90 % d'ici à 2050
- ce chiffre, il faut le marteler auprès de nos concitoyens ! - et que les réacteurs les plus anciens arriveront en fin de vie au cours de la décennie 2040.

En matière de politique énergétique, nous nous trouvons donc à un carrefour important : des décisions claires doivent être prises, et après discussion, validées par le Parlement. Je remercie à cet égard nos collègues Daniel Gremillet, Jean-Pierre Moga et Jean-Jacques Michau, qui conduisent actuellement les travaux de la mission d'information sur l'énergie et l'hydrogène nucléaires. Mes chers collègues, vous avez appelé à une telle clarté dès votre rapport d'étape de mars et proposerez dans quelques jours un plan d'action complet.

Pour notre part, nous formulons plusieurs recommandations.

Premièrement, si nous voulons passer les pics des quatre ou cinq hivers à venir, il faut impérativement garantir notre approvisionnement en électricité, ce qui nécessite de promouvoir les économies d'énergie et de recourir à l'ensemble des flexibilités possibles. Il faudra aussi répondre rapidement aux difficultés actuelles du parc nucléaire. Des mécanismes de régulation européens devront être mis en place pour enrayer la crise gazière.

Deuxièmement, il faut fixer un cap clair en faveur de l'énergie nucléaire. Nous pensons qu'il est nécessaire, à cette fin, de s'affranchir de la limitation à 50 % en 2035 de la part du nucléaire dans la production d'électricité, qui, inscrite dans la loi, est devenue un totem, alors que s'amorce une électrification massive de notre économie et de nos usages.

Troisièmement, nous souhaitons que le financement et la réalisation des réacteurs nucléaires soient garantis ; offrir une telle visibilité est indispensable si l'on veut que le cap soit tenu. Il nous faudra, dans le cadre d'un débat parlementaire ouvert, choisir un modèle de financement adapté, limitant l'impact sur les prix pratiqués auprès des entreprises et des ménages sans mettre en danger le groupe EDF. La taxonomie verte doit en outre reconnaître pleinement l'énergie nucléaire comme énergie décarbonée, ce qui suppose de lever les verrous persistants - nous devrons probablement, sur ce point, ferrailler avec nos amis allemands.

Il faut par ailleurs accorder une attention particulière à l'effort de « fermeture du cycle » en favorisant la recherche sur le recyclage et les évolutions technologiques.

Si la filière nucléaire est un enjeu majeur de notre souveraineté énergétique, désormais bien identifié, nous nous sommes également penchés sur un autre aspect moins souvent évoqué : le stockage de l'énergie.

Le déploiement des énergies renouvelables, que nous appelons à accélérer, nécessitera de disposer de capacités de stockage adaptées, car c'est là le garant de la flexibilité du système.

Notre infrastructure de stockage repose actuellement en très grande majorité sur le stockage hydraulique, grâce à nos nombreuses installations hydroélectriques. Plus récentes, les installations de stockage « hors hydraulique » sont beaucoup plus modestes. Il faut donc, pour soutenir le développement du renouvelable et assurer la flexibilité du système, que la France augmente sa capacité de stockage, par batteries électriques et par batteries à hydrogène notamment. Des efforts sont engagés au niveau européen sur ces deux thématiques, via des textes législatifs et des initiatives concrètes comme les projets importants d'intérêt européen commun (PIIEC). Mais nous estimons qu'il faut aller plus loin et plus vite, en utilisant une palette d'outils.

Nous recommandons de modifier notre planification énergétique pour y intégrer pleinement l'enjeu du stockage, encore trop peu présent dans notre législation. Un cadre juridique du stockage doit aussi être mis en place, tant à l'échelon français qu'à l'échelon européen, afin notamment d'encourager le réemploi des batteries et de garantir la neutralité technologique de l'hydrogène. Je vous proposerai d'ailleurs bientôt, mes chers collègues, de visiter l'usine Refactory de Flins, où les activités d'assemblage vont laisser la place au stockage d'énergie et au recyclage.

Il faut, parallèlement, continuer à accélérer le déploiement des énergies renouvelables, en simplifiant les normes, en associant les élus locaux, en maintenant, voire en étendant, les différentes aides existantes. Quant aux objectifs relatifs à l'hydroélectricité, au biogaz et aux biocarburants, ils doivent être relevés dans le cadre de la prochaine loi quinquennale.

Nous avons également étudié nos infrastructures numériques et de télécommunications. Deux enjeux sont apparus extrêmement saillants : celui du financement de nos besoins croissants en matière de consommation de données, donc de capacité des réseaux, et celui de l'indépendance et de la résilience desdits réseaux.

Nous sommes partis d'un premier constat : l'investissement dans les réseaux de télécommunications terrestres est majoritairement assumé par les opérateurs. Ceux-ci ont déjà multiplié par deux leurs investissements au cours de la dernière décennie. Pour répondre à l'évolution de la consommation de données, qui sera multipliée par cinq d'ici à 2030, il est estimé que 10 milliards d'euros supplémentaires devront être mobilisés chaque année.

À y regarder de plus près, toutefois, plus de 50 % du trafic internet en France provient de cinq entreprises uniquement, au premier rang desquelles Netflix, Google, Facebook et Amazon. Principales bénéficiaires de l'augmentation du trafic, celles-ci ne participent pourtant aucunement au financement de l'investissement dans les réseaux - c'est bien souvent la puissance publique qui, in fine , assume cette charge.

Nous recommandons donc que soit mise en place au niveau européen une contribution des grandes plateformes du numérique au financement des réseaux, c'est-à-dire une forme de « droit de péage », et que le rôle de contrôle de ce dispositif soit confié à l'Organe des régulateurs européens des communications électroniques (Orece).

Notre deuxième constat est que le trafic internet mondial repose à 99 % sur les câbles sous-marins de télécommunications. Ces infrastructures sont aujourd'hui absolument incontournables. Pourtant, elles appartiennent désormais principalement aux grandes entreprises américaines du numérique, Facebook et Google notamment, et non aux États. Cette situation est source de nombreuses vulnérabilités : protection des données de nos entreprises et de nos concitoyens, risque géopolitique, risque pour la neutralité d'internet, risque d'isolement pour nos territoires ultra-marins.

Nous préconisons donc que des travaux soient engagés visant à constituer, à terme, un réseau indépendant de câbles sous-marins reliant les pays de l'Union européenne, dont la France, entre eux, afin d'améliorer la résilience de nos télécommunications. Nous attirons également l'attention du Gouvernement sur la nécessité de simplifier la procédure de pose de câbles et de création de stations d'atterrage destinées à les relier aux réseaux terrestres.

Notre troisième constat est celui d'une perte de souveraineté concernant nos données, celles-ci étant très majoritairement localisées sur le sol des États-Unis - 80 % des flux générés par les internautes français y sont stockés. Pour endiguer à la source notre dépendance aux États-Unis, il ne suffit donc pas de contrôler les câbles terrestres et sous-marins : il faut aussi maîtriser le stockage des données. Nous proposons donc de rendre obligatoire la localisation des données à caractère personnel des citoyens et des entreprises européens sur le territoire de l'Union européenne, proposition déjà défendue à plusieurs reprises par le Sénat, mais à propos de laquelle le Gouvernement fait pour le moment la sourde oreille.

Mme Amel Gacquerre , rapporteure . - Merci, madame la présidente, d'avoir pris l'initiative de constituer cette mission d'information, à laquelle les événements des derniers mois ont donné une tournure nouvelle.

Notre troisième plan, que je suis heureuse de vous présenter, porte sur les compétences et les métiers de demain. Si nous voulons rester une terre d'innovation et de leadership technologiques, si nous voulons réindustrialiser et assurer notre autonomie, il est impératif que nous conservions un vivier de compétences et de savoir-faire sur le sol français.

Pour ce qui est des métiers industriels, le constat est très inquiétant. Aucune visite d'entreprise ne se passe désormais sans que soit évoquée la pénurie de main-d'oeuvre et d'expertise dans de nombreux domaines. Nos auditions auprès des industriels ont révélé un niveau rarement atteint de difficultés de recrutement, ainsi qu'une disparition de certains savoir-faire. Nous savons par exemple que la filière nucléaire a souffert d'une perte de compétences considérable qui complique l'entretien des installations et la construction de nouveaux réacteurs. Mais ce phénomène touche en réalité l'ensemble des métiers industriels.

Cette situation compromet, dès maintenant, notre capacité à produire en France, et pourrait pousser à la délocalisation. Elle met aussi en péril notre croissance de demain, notre capacité d'innovation et notre faculté à répondre aux défis des grandes transitions écologique, énergétique et numérique qui s'imposent à nous.

Comment en sommes-nous arrivés là ?

La désindustrialisation de notre pays a laissé de profondes traces : en 1975, 5,4 millions de personnes étaient actives dans l'industrie, soit un actif sur quatre, contre 2,9 millions actuellement, soit un actif sur dix. Le lien entre la population et les métiers industriels s'est distendu ; l'image de ces métiers a souffert. De surcroît, la pyramide des âges est vieillissante. Dans ces conditions - de nombreux départs et une faible attractivité -, notre tissu industriel a été fragilisé.

Plus inquiétant, nos auditions ont démontré que nos systèmes d'éducation et de formation ne sont plus adaptés. Nos performances dans les enseignements scientifiques sont insuffisantes et les effectifs des lycées techniques ont baissé de près de 10 % en seulement vingt ans. Surtout, nous nous alarmons de la quasi-disparition de certaines filières de formation initiale, jusqu'à la désertification, ou presque, de l'offre. Bien que nous manquions cruellement de soudeurs, par exemple - c'est bien connu -, la formation initiale a quasiment disparu. La formation aux compétences numériques - cybersécurité, big data , cloud , intelligence artificielle, etc. - est elle aussi insuffisante, quand les besoins sont immenses et croissants.

Il nous faut donc réagir vite, car l'enjeu est de taille. En 2021, 50 % des métiers en tension sont des métiers industriels, et 70 000 postes ne sont pas pourvus dans l'industrie française. Jusqu'à 65 000 emplois supplémentaires seraient en outre créés dans le secteur d'ici à 2030, car on anticipe une hausse de la part de l'industrie dans le PIB français à l'aune de la « réindustrialisation » et des transitions environnementale et numérique, lesquelles, toutefois, ne se feront pas sans les compétences afférentes. La compétition internationale s'intensifie pour ces savoir-faire recherchés : les entreprises que nous avons entendues nous expliquent qu'elles perdent certains employés au profit d'entreprises américaines ou asiatiques, voire de concurrents européens qui n'hésitent pas à les débaucher. Notre pays, connu pour la qualité de sa recherche et de son éducation universitaire, est une cible de choix.

Pour enrayer cette dynamique de perte de compétences et recréer une base solide sur laquelle appuyer les efforts de reconstruction de notre souveraineté économique, nous formulons plusieurs recommandations.

Il faut tout d'abord, dès l'école, consacrer davantage de moyens à l'apprentissage scientifique, à la prévention du décrochage scolaire et, surtout, à l'information autour des métiers de l'industrie. Pour mieux « faire entrer l'industrie dans l'école et l'école dans l'industrie », nous recommandons stages en entreprise industrielle, projets collaboratifs ou présentations de métiers en classe.

Nous souhaitons, ensuite, que soit menée à bien une « grande revue » de notre offre de filières et de diplômes afin d'identifier et de combler les carences et de réorienter les moyens vers les compétences et métiers stratégiques. Les filières industrielles ont un rôle important à jouer en matière de structuration de l'offre. Un effort particulier doit être engagé concernant les secteurs de l'électronique, de la métallurgie, du nucléaire, de l'agroalimentaire et du numérique. Il nous semble aussi que le ministère chargé de l'industrie devrait se voir confier le pilotage de l'enseignement technique et professionnel, comme c'est le cas pour le ministère de l'agriculture en matière d'enseignement agricole.

Enfin, l'apprentissage, très apprécié des entreprises industrielles - il facilite la transmission des compétences et améliore l'attractivité de ces métiers auprès des jeunes -, doit être conforté. À cette fin, il faut non seulement accroître, mais aussi sécuriser le financement de ce dispositif, qui est structurellement déficitaire. Les efforts de développement de l'apprentissage dans les lycées professionnels, où son potentiel reste encore sous-exploité, doivent être approfondis.

Concernant la formation continue, nous formulons deux recommandations.

D'une part, il nous semble pertinent de développer le recours à l'« action de formation en situation de travail » (Afest), qui permet de dispenser des formations sur le lieu même de l'entreprise, sur les machines mêmes qui seront utilisées, non cantonnées, donc, à la théorie. Ce dispositif de transmission des savoir-faire nous paraît excellent, surtout pour ce qui est des PME.

D'autre part, nous recommandons de faire évoluer la formation continue, ainsi que son financement, afin d'accroître son ciblage sur les métiers en tension ou sur ceux qui offrent de fortes chances d'accès à l'emploi. Trop souvent, la formation continue est utilisée pour des actions de formation peu concrètes ou peu en lien avec les besoins réels.

Nous avons également travaillé, plus spécifiquement, sur deux enjeux précis liés aux compétences et aux besoins de main d'oeuvre.

Le premier sujet est celui des compétences relatives aux métiers du cloud ; en la matière, nous dépendons très fortement, trop fortement, des grandes entreprises américaines du numérique. Ces dernières créent leurs propres certifications privées et octroient des crédits cloud aux entreprises. Nous préconisons, dans notre rapport, que l'offre nationale de formation aux métiers du cloud soit renforcée via la création de diplômes et la structuration en France de filières d'enseignement spécifiques. Nous recommandons que le Data Act européen encadre l'octroi de crédits cloud et assure la portabilité des données et l'interopérabilité des solutions au profit des clients.

Enfin, nous avons souhaité alerter sur les risques pesant sur le travail saisonnier agricole, qui est absolument nécessaire à notre souveraineté alimentaire et à nombre de nos cultures. Alors que nos producteurs, on le sait, ont de plus en plus de difficultés à attirer des saisonniers, il faut maintenir les dispositifs de soutien existants, comme la mesure « travailleurs occasionnels-demandeurs d'emploi » (TO-DE), et réduire notre dépendance - il y va aussi de notre compétitivité.

Voilà donc les principaux éléments de notre plan de souveraineté en matière de compétences et de métiers de demain.

M. Franck Montaugé , rapporteur . - J'ai déjà présenté tout à l'heure le quatrième plan, relatif au rééquilibrage de notre politique commerciale.

Je compléterai mon propos précédent en évoquant à titre personnel deux sujets, que nous n'avons pas traité dans le rapport. Ils conditionnent tant notre compétitivité que notre capacité à adapter nos filières aux enjeux de transition.

Le prix du carbone, premièrement, me semble fixé à un niveau insuffisamment élevé eu égard auxdits enjeux.

Deuxième sujet : les taux d'actualisation, dont le calcul permet aux entreprises de procéder à des décisions d'investissement en arbitrant entre le présent et l'avenir. Je vous signale, pour ce qui est de cette question essentielle, les travaux du professeur Christian Gollier, économiste à l'École d'économie de Toulouse, vous renvoyant en particulier à sa leçon inaugurale dans le cadre de la chaire annuelle du Collège de France « Avenir commun durable ».

Ces deux sujets sont déterminants pour notre capacité future de transformation des filières. Il est d'autant plus intéressant de s'y pencher que le point de vue des entrepreneurs y est central.

Mme Amel Gacquerre , rapporteure . - Notre cinquième plan vise à mieux protéger nos entreprises. Elles aussi, en effet, font notre souveraineté, en tant qu'elles sont dépositaires de savoir-faire uniques et qu'elles contribuent à la performance globale de notre économie. Dans une économie mondialisée, il est important de distinguer les échanges bénéfiques des comportements prédateurs ou anticoncurrentiels.

Nous avons souhaité explorer quatre thématiques distinctes.

D'une part, nous avons étudié l'impact des législations et sanctions extraterritoriales, c'est-à-dire des mesures prises unilatéralement par des États tiers, qui invoquent leur compétence juridictionnelle pour sanctionner des entreprises françaises ou européennes. Je pense bien sûr aux circonstances du rachat d'Alstom par General Electri c, mais les exemples sont nombreux - Airbus, Technip, Total - d'entreprises contraintes de se soumettre à de longs procès, de communiquer de nombreux documents et de payer de lourdes amendes - environ 8 milliards d'euros au total pour les entreprises européennes, selon nos estimations.

L'extraterritorialité pose également problème en matière de données : 80 % d'entre elles environ sont stockées sur le sol américain ; or les États-Unis ont voté une loi, le Clarifying Lawful Overseas Use of Data ( Cloud ) Act , qui leur assure un droit de communication de toutes les données hébergées sur leur territoire, voire des données hébergées à l'étranger par des entreprises domiciliées aux États-Unis. Comment, dès lors, garantir notre souveraineté sur les données de nos entreprises, ou encore la confidentialité desdites données ?

Nous formulons à ce sujet trois recommandations.

Il serait opportun, premièrement, de réaliser un chiffrage complet du coût des mesures extraterritoriales pour les entreprises européennes. Un tel travail n'a jamais, jusqu'à présent, été réalisé de manière exhaustive ; il permettrait, selon nous, de créer le « choc de conscience » nécessaire au développement d'une véritable politique de protection en la matière.

Les services de l'État chargés de l'intelligence économique pourraient, deuxièmement, se voir confier la mission d'établir une revue périodique des risques liés à l'extraterritorialité, pour mieux en informer nos entreprises.

Il faudrait par ailleurs renforcer le caractère dissuasif du règlement de blocage, texte européen qui fait effet de « bouclier » pour les entités européennes confrontées à des sanctions extraterritoriales, ainsi que l'instrument anti-coercition en cours de création au niveau de l'Union européenne. En parallèle, nous pourrions continuer à explorer de nouvelles façons de contourner les sanctions illégales, comme cela a été tenté avec le dispositif Instex ( Instrument in Support of Trade Exchanges ), qui n'a certes pas porté ses fruits, mais reposait sur une bonne idée.

En matière de données, il nous semble que la seule véritable solution pour assurer notre souveraineté sur nos données est d'encourager l'émergence de filières européennes et françaises du cloud . Nos travaux ont révélé que le dernier projet européen en date, Gaia-X, est inabouti, puisqu'il repose sur des technologies, des logiciels et des acteurs américains. Le lancement d'un PIIEC du cloud véritablement autonome serait un signal fort : la souveraineté numérique est aussi une souveraineté industrielle et logicielle.

Le deuxième thème que nous avons étudié est celui du contrôle de l'investissement étranger dans les secteurs stratégiques. Son renforcement, en 2019, dans le cadre de la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises (Pacte), est allé dans le bon sens : il vise désormais de nouveaux secteurs et les pouvoirs d'action du ministre en matière de sanction des manquements ont été accrus. Nous avons pu constater néanmoins, à l'occasion de la crise liée à la Covid-19, que le dispositif était encore trop limité : les investissements étrangers dans les secteurs stratégiques ont augmenté de près de 30 % et des entreprises d'États tiers ont cherché à investir dans certains sous-traitants stratégiques, y compris de petites PME.

Nous formulons, à cet égard, deux recommandations. Il serait souhaitable, tout d'abord, de pérenniser l'abaissement temporaire du seuil de détention déclenchant le contrôle de 25 % à 10 % des droits de vote, afin de disposer d'une maille plus fine pour contrôler les investissements suspects. Ce seuil abaissé doit également concerner les sociétés non cotées, ce qui n'est pas le cas actuellement. Ensuite, nous préconisons l'ajout de deux nouveaux secteurs à la liste des secteurs stratégiques : les médias dans leur ensemble - pas uniquement la presse écrite - et les infrastructures électorales.

Le troisième thème sur lequel nous nous sommes penchés est le droit de la concurrence, plus précisément le contrôle des concentrations et le contrôle des subventions étrangères. Je serai brève sur ce point car notre commission a déjà rendu plusieurs travaux sur ce sujet - je pense au rapport de notre collègue Alain Chatillon, dont nous nous sommes fait l'écho.

Afin d'améliorer l'articulation entre Autorité française de la concurrence et Commission européenne, nous proposons une forme de « droit de saisine subsidiaire » pour l'autorité nationale en cas de refus de la Commission d'examiner un dossier. Une telle disposition permettrait de combler les « trous dans la raquette ».

Par ailleurs, nous suggérons, pour mieux lutter contre les acquisitions prédatrices, dans le domaine du numérique notamment, d'instaurer une obligation de notification à l'Autorité de la concurrence de certaines opérations à fort montant, y compris quand elles sont situées en deçà des seuils en vigueur. Cela permettrait par exemple de traiter les rachats stratégiques de « jeunes pousses » innovantes, même lorsque celles-ci n'ont pas encore de chiffre d`affaires réel.

Nous appelons une nouvelle fois à approfondir la réforme du droit européen du contrôle des concentrations, pour mieux combiner protection des consommateurs et souveraineté industrielle. Il nous paraît notamment nécessaire de renforcer la vision prospective de la Commission et d'élargir la notion de marché pertinent.

Nous souhaitons en outre garantir un contrôle plus efficace des subventions étrangères d'entreprises européennes, afin de protéger la concurrence sur le marché intérieur où les aides d'État sont interdites. L'Union européenne s'est saisie de la question et examine en ce moment même des textes destinés à mieux identifier et à interdire ces aides étrangères. Nous plaidons pour que les seuils de notification en cours de discussion soient abaissés et pour que ce nouvel outil soit conçu en étroite articulation avec le contrôle des investissements étrangers, et ce au nom de la nécessité de dépasser les analyses en silo et de se donner une image plus fidèle de la réalité.

Le quatrième thème que nous avons étudié dans le cadre de ce plan - cela ne vous surprendra guère de la part du Sénat ! - est celui de l'ancrage territorial de nos entreprises. La France se caractérise par la bonne performance de ses grandes entreprises, souvent très présentes à l'international ; c'est une force. Mais nous savons aussi que le sentiment d'appartenance à un territoire, la proximité avec les salariés et l'ancrage des centres de décision sont des facteurs de durabilité de l'activité d'une entreprise sur le territoire.

Nous évoquons ainsi plusieurs pistes de consolidation des logiques de filière et de territoire - je citerai l'amélioration des relations entre grands donneurs d'ordre et sous-traitants ou le développement du recours au crédit fournisseur. Nous pensons aussi qu'il est souhaitable de tendre vers une représentation plus importante des salariés au sein des instances de gouvernance des entreprises françaises. À cet égard, nous sommes encore loin derrière l'Allemagne ou certains pays scandinaves : les salariés, en France, représentent 10 % à 15 % des membres des conseils d'administration, contre 30 % à 50 % en Allemagne.

Mme Sophie Primas , présidente, rapporteur . - Pour terminer, nous souhaitions souligner que l'ensemble des actions que nous pourrons mettre en oeuvre collectivement - réindustrialisation, souveraineté alimentaire, filières françaises du cloud ou de télécommunications, renforcement de notre politique commerciale - ne fonctionneront que si nous poursuivons, en parallèle, notre effort de compétitivité. Sinon, ce sont des aides publiques qui seront versées dans le vide, pour financer des activités qui ne seront pas viables sur le long terme.

Nous avons donc retracé, dans le rapport, les principaux gisements de compétitivité qui nous semblent toujours exister.

Tout d'abord, il nous faut réconcilier fiscalité et production et préserver la capacité d'investissement. Notre modèle fiscal pèse toujours plus lourdement sur l'industrie qu'ailleurs, malgré l'allégement décidé en 2020. Plus généralement, la dette publique est un sujet de souveraineté, notamment si les taux d'intérêt remontent. Il faut impérativement poursuivre l'effort de rationalisation de l'État et des prélèvements obligatoires, à commencer par la suppression de la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S), unanimement demandée par économistes et parlementaires depuis des années. C'est essentiel pour préserver la capacité d'innovation de nos entreprises.

Par ailleurs, il importe de maintenir un environnement favorable à l'innovation. Il nous faut capitaliser sur nos atouts et préserver les dispositifs comme le crédit d'impôt recherche (CIR) qui ont fait de la France une terre de recherche et développement (R&D), ainsi que de leadership technologique. Ces aides sont aussi essentielles pour que nous progressions sur notre compétitivité « hors coût », qui est aujourd'hui notre principal chantier. Il y va du redressement de notre commerce extérieur. Toutefois, nous souhaitons souligner que ces aides doivent être repensées dans une logique d'ensemble, faire l'objet d'une véritable évaluation et être dotées d'une gouvernance plus efficace et plus transparente : l'accumulation des plans France Relance, France 2030, Plan de résilience, Programme d'investissements d'avenir (PIA), Plan d'investissement compétences (PIC), etc... nuit à la lisibilité, pour les citoyens comme pour les entreprises qu'elles doivent aider.

Enfin, il nous faut poursuivre notre oeuvre de simplification. La complexité et la multiplicité des procédures administratives restent l'un des boulets au pied de notre économie. L'aménagement économique des territoires, en associant collectivités et État, peut lui aussi être encore amélioré, surtout à l'heure où le foncier va se raréfier avec le plan zéro artificialisation nette (ZAN)... Nous plaidons pour de vraies « task forces » locales et une décentralisation accrue de certaines procédures.

Nous vous avons donc présenté, et vous nous pardonnerez la longueur de nos interventions, les principales conclusions de notre rapport. Au total, ce sont cinquante propositions que nous vous avons présentées, réparties en cinq grands plans de souveraineté. Il me semble que nous pouvons tous nous retrouver sur ces recommandations, qui dépassent les clivages partisans, car il y va de l'intérêt général et de notre souveraineté nationale.

Notre intention est que ces plans, que nous avons voulus opérationnels et concrets, puissent être mis en oeuvre rapidement, pour répondre enfin en actes aux défis que nous avons identifiés et enrayer cette perte de souveraineté.

Nous nous attacherons donc, dès demain midi, à relayer ces propositions à la presse et au Gouvernement : je vous remercierai de ne pas communiquer à ce sujet avant demain midi, afin que les travaux de notre commission puissent trouver l'écho qu'ils me semblent mériter.

Je souhaite dire enfin tout le plaisir que j'ai eu à travailler avec Amel Gacquerre et Franck Montaugé depuis le mois de février, et pour nos échanges toujours fournis et riches.

Mme Marie-Noëlle Lienemann . - Notre commission a réalisé un énorme travail. J'espère que le Gouvernement saura écouter bon nombre de nos recommandations, car la situation est gravissime.

Notre balance commerciale manufacturière, notamment au sein de l'Union européenne, connaît une dégradation massive et inédite. La question de la réindustrialisation mérite donc toute notre mobilisation.

Je me permets d'insister sur l'intelligence économique. L'extraterritorialité est l'un des outils qui permettent la prédation. Mais l'intelligence économique, c'est aussi tout un travail de jeu d'influences et de négociations. J'ai déposé une proposition de loi, car la France ne dispose que d'un seul service coordonnateur, situé à Bercy. Il n'est opérationnel que pour un certain nombre de « niches » et concerne essentiellement les grandes entreprises. Or nous constatons de plus en plus de prédations en direction des PME. Le pays n'est pas correctement outillé en intelligence économique. Cette compétence ne relève certes pas que de l'État, mais celui-ci doit intervenir en coordination avec les collectivités locales.

Sophie Primas a évoqué le CIR. Notre groupe politique ne propose ni sa suppression ni son maintien en l'état. Mais force est de constater qu'il bénéficie surtout à de très grandes entreprises qui délocalisent la R&D, alors que les PME, elles, ne sont pas suffisamment soutenues.

Par ailleurs, lorsqu'une grande entreprise veut délocaliser une activité, elle sait qu'elle va devoir faire face à des manifestations. La parade est alors de gonfler les prix de transfert, car Bercy ne peut pas tout contrôler. Il convient de renforcer la présence des salariés dans les instances de gouvernance, mais également de donner des compétences aux comités d'entreprise (CE) pour pouvoir alerter les autorités en cas de prix de transfert excessifs. Beaucoup d'entreprises déclarées en faillite sont en réalité rentables : elles sont uniquement en déficit à cause du prix de transfert.

Enfin, la dégradation de notre situation est intra-européenne. Le Xerfi - ce ne sont pas des gauchistes ! - vient de publier un rapport montrant que la réalité de la politique dite « de l'offre » n'a rien amélioré. In fine , la compétition nous tire vers le bas. C'est donc sur la compétitivité « hors coût » que nous devons mettre le paquet, et pas seulement dans les secteurs de pointe ou la R&D. La théorie française selon laquelle il faudrait être bon dans quelques secteurs et laisser mourir le reste est une grave erreur, dans une situation où la souveraineté se joue sur des créneaux inattendus.

M. Joël Labbé . - Ce rapport d'information est éclairant. Il nous permet de nous faire une idée de notre situation.

Le rapport nous apprend notamment qu'un jour et demi de repas par semaine sont importés : c'est édifiant pour un pays de tradition agricole et alimentaire !

Mme Sophie Primas , présidente, rapporteur . - Et ce n'est pas fini avec la crise que nous traversons !

M. Joël Labbé . - En termes de souveraineté, nous dépendons du soja sud-américain, c'est-à-dire de terres qui devraient servir à nourrir les populations locales. Par ailleurs, 60 % des engrais sont importés. Il est important de travailler sur des alternatives, d'autant que les engrais azotés de synthèse seront interdits à court terme. Le dernier accord de libre-échange concerne l'Union européenne et la Nouvelle-Zélande : a-t-on besoin d'importer du lait ainsi que de la viande bovine et ovine de l'autre bout du monde ? Nous avons besoin non pas de mesurettes, mais de mesures politiques fortes afin de parvenir à infléchir l'Europe sur la question des accords de libre-échange.

Mme Sophie Primas , présidente, rapporteur . - Je demanderai au Gouvernement de présenter devant le Parlement l'accord avec la Nouvelle-Zélande.

M. Bernard Buis . - Je salue le travail de nos trois rapporteurs. Vous avez souligné qu'il fallait développer l'enseignement technologique et professionnel. Avez-vous creusé l'idée de transférer cette compétence aux Régions afin de mieux coller aux besoins des territoires ? S'agit-il d'un sujet tabou ? Avez-vous mené des auditions en ce sens ?

M. Daniel Salmon . - Ce travail nous permet de mettre des chiffres sur nos présomptions. Grâce à vous, nous avons à présent des certitudes !

Il est beaucoup question de souveraineté, terme qu'il faut associer à l'autosuffisance. Nous avons besoin de produire localement, car le marché mondialisé a créé de multiples dépendances. L'Afrique, elle aussi, est complètement dépendante de l'Europe. Ce sont toutes ces dépendances créées par le commerce mondial qu'il faut à présent questionner, sachant que le transport maritime est responsable de 7 % des émissions de gaz à effet de serre.

On parle beaucoup de réchauffement climatique et de biodiversité, mais aussi d'épuisement des ressources naturelles. Or nous sommes face à un véritable défi en ce qui concerne la prospection minière, car nous nous heurtons à des injonctions contradictoires dans la mesure où nous devons aussi protéger la biodiversité. Comment construire cette acceptabilité pour les populations ? À mes yeux, le maître-mot reste la sobriété. Il faut limiter le turn-over de tous nos objets du quotidien, qui ont une durée de vie de plus en plus courte : c'est un vrai gâchis en termes d'énergie et de matériaux.

La question de l'énergie est également primordiale. Nous avons devant nous des choix de société. Allons-nous continuer à suivre la voie que nous avons empruntée pendant des décennies ou allons-nous enfin faire le choix d'un développement économique durable ? On sait, par exemple, que le nouveau nucléaire ne sera pas au rendez-vous avant quinze ou vingt ans. Pourquoi ne pas y aller plein pot avec les énergies renouvelables que nous avons la possibilité de développer ? Le nucléaire est une énergie très engageante pour notre société, dans un monde absolument incertain. Ne laissons pas croire aux Français que nous allons demain raser gratis, avec une énergie à profusion.

M. Christian Redon-Sarrazy . - Tout cela rejoint le rapport que j'ai présenté la semaine dernière avec Vanina Paoli-Gagin au nom de la mission d'information sur le thème de l'excellence de la recherche et de l'innovation, intitulé « Transformer l'essai de l'innovation : un impératif pour réindustrialiser la France ».

Toutes nos auditions le montrent, la formation scientifique est l'un des piliers en matière d'acquisition de compétences pour les métiers de demain. Or l'alerte est unanime : la place des mathématiques dans les formations est insuffisante, ce qui pose un vrai problème pour l'avenir.

Par ailleurs, de nombreux rapports pointent un certain nombre de difficultés en matière d'apprentissage et mettent l'accent sur le dévoiement du système. Le boom vers le supérieur, dont se satisfait à grand renfort de communication le Gouvernement, ne répond en rien aux besoins de compétences, notamment dans les postes intermédiaires et dans l'industrie. Soyons attentifs à ce que les flux budgétaires soient bien affectés aux besoins.

Dernier point qui m'interpelle, celui de la formation continue. Je suis inquiet face à la recrudescence des relances téléphoniques orchestrées par les cabinets de marketing au sujet du compte personnel de formation (CPF). La formation continue a souvent évolué en eaux troubles, mais nous sommes aujourd'hui passés à la vitesse supérieure. Je crains que toutes les officines qui se jettent sur les comptes personnels de formation n'aient pas grand-chose à offrir en matière de compétences pour le secteur industriel !

Mme Sophie Primas , présidente, rapporteur . - Nous sommes nombreux à partager votre analyse !

M. Alain Chatillon . - Franck Montaugé a évoqué l'idée de réimplanter la production d'un certain nombre de produits sur notre territoire. Peut-être devrait-il échanger avec Bruno Bonnell, nouveau secrétaire général pour l'investissement, chargé de France 2030, afin d'intégrer également ce point au dossier ?

Pour avoir été pendant quelques années rapporteur spécial de l'Agence des participations de l'État (APE), j'ai toujours été étonné par l'orientation choisie pour les nouveaux investissements. Il y a deux ans, nous nous sommes opposés à la vente d'Aéroports de Paris (ADP), principal aéroport de France. Je vous laisse imaginer, avec la guerre en Ukraine, dans quelle situation nous serions si cet aéroport avait été vendu... Quoi qu'il en soit, on nous parle toujours de réinvestir dans les entreprises contrôlées par l'APE. Nous devrions sans doute ouvrir le débat à de nouvelles pistes afin de réimplanter sur notre territoire un certain nombre de productions. France 2030 et l'APE sont, à mes yeux, deux solutions intéressantes pour investir dans les entreprises étrangères dont nous importons les produits ou pour relocaliser ces activités en France.

Mme Sophie Primas , présidente, rapporteur . - Nous avons entendu Bruno Bonnell lors de nos auditions, et évoquons également l'enjeu de l'investissement public.

M. Franck Menonville . - Je salue également le travail accompli. Ce rapport est particulièrement inquiétant. Les recommandations qui y sont formulées pourraient servir de fil conducteur pour nos politiques publiques et constituer une sorte de feuille de route.

La situation dans laquelle nous nous trouvons, sur le plan énergétique ou industriel, est le fruit d'injonctions contradictoires que nous subissons depuis de nombreuses années. Nous payons aujourd'hui les stop and go en matière de nucléaire.

Nous sommes aussi sous la menace d'une autre dépendance, celle de la dette publique. Alors que notre endettement explose depuis quelques années, la progression actuelle des taux d'intérêt est un motif d'inquiétude majeur. Être indépendant, c'est aussi avoir les moyens de ses propres ambitions !

Enfin, il importe de promouvoir une politique économique plus décentralisée, avec un renforcement des régions en la matière. Au-delà de l'Agence des participations de l'état, ne pourrions-nous pas entrevoir la création d'un fonds souverain, avec le concours des Régions, pour défendre l'innovation et les investissements d'avenir ?

M. Serge Babary . - Effectivement, le constat est très alarmant. Les propos de nos trois rapporteurs confirment nos inquiétudes.

Je souhaite mettre l'accent sur trois éléments qui pourraient contribuer à une souveraineté financière renforcée.

Premièrement, il faut renforcer la commande publique et soutenir les entreprises innovantes ainsi que les start-up.

Deuxièmement, il importe d'être vigilant sur la question des fonds de pension. Pendant la crise, un tiers des entreprises de taille intermédiaire (ETI) ont été approchées par des fonds de pension anglo-saxons, qui supposaient qu'elles avaient des difficultés financières. Contre ce type de prédation et pour protéger certains de nos fleurons, nous devons instituer un fonds souverain.

Troisièmement, il faut faciliter l'accès de nos PME aux appels d'offres afin que les attributions n'aillent pas toujours aux grands groupes, parfois étrangers.

M. Daniel Gremillet . - Le travail de nos trois rapporteurs, que je salue, constitue un arrêt sur images grâce auquel nous mesurons le chemin parcouru. Pour autant, ce n'est pas parce que des textes ont été votés, y compris sur l'initiative de notre commission, qu'ils sont mis en oeuvre. Il convient d'examiner avec lucidité la situation. La présentation de votre rapport nous a permis d'apprécier l'imbrication entre les différents secteurs.

Par exemple, nous avons fait le choix du tout électrique et du renouvelable. Or, pour produire de l'électricité, nous avons besoin de terres rares. Il importe de mesurer jusqu'au bout les conséquences de nos choix, car il y a du renouvelable qui s'épuise, mais il y a aussi du renouvelable qui ne s'épuise pas - je pense au secteur agricole, forestier ou marin.

Par ailleurs, il faudra bien définir nos priorités. Pour qu'un pays soit indépendant, il faut un plan. Il manque une colonne vertébrale pour les choix stratégiques de notre pays, qui engloberait tous les éléments de notre mille-feuille : État, collectivités, administrations, etc.

Je souhaite par ailleurs mettre l'accent sur notre problème de déficit d'emploi. Il faut mettre un coup de pied dans la fourmilière, alors qu'on nous affirme que le plein-emploi est atteint. Si nous ne prenons pas ce sujet de l'emploi en compte dans tous les secteurs, nous serons toujours en retard.

Au final, ce rapport montre certes qu'il y a beaucoup à faire, mais quand on a ainsi le courage de poser le problème, celui-ci est déjà à moitié réglé. La sagesse de votre travail est de montrer une toile d'araignée faite d'imbrications, face à laquelle nous devons avoir le courage de prendre des décisions. C'est cela qui m'enthousiasme en tant que législateur.

M. Jean-Marc Boyer . - Entre 2000 et 2018, les effectifs des lycées techniques ont baissé de 8 %, alors qu'un quart des heures travaillées dans l'agriculture le sont par des saisonniers : c'est paradoxal. Ces sujets ont été abordés dans la mission sur l'enseignement agricole, qui a fait ressortir des difficultés de communication et d'orientation dans les collèges et les lycées, la nécessité de renforcer l'attractivité et l'efficacité de l'enseignement agricole, et le besoin de réformer l'apprentissage et la formation professionnelle.

La souveraineté alimentaire passera aussi par la réorientation des formations agricoles, avec le triple objectif de produire, transformer et vendre, pour continuer à nourrir nos concitoyens.

Mme Martine Berthet . - Je salue votre formidable travail.

Je souhaite évoquer les fermetures sèches de sites industriels. Alors que les élus locaux trouvent des repreneurs qui n'entrent pas en concurrence avec l'entreprise qui ferme, on n'arrive pas à faire reprendre les sites, qui deviennent des friches, et des salariés à forte technicité restent en plan.

Je reviens également sur les participations de l'État, auxquelles je m'intéresse dans le cadre de mon avis budgétaire sur le compte d'affectation spéciale concerné : le dynamisme actuel est visible, et il faut favoriser une implication plus forte de l'État dans les entreprises stratégiques.

Mme Anne-Catherine Loisier . - Je vous félicite à mon tour pour ce foisonnement de propositions.

Sur la souveraineté numérique, plus de 80 % des données des Français sont hébergées aux États-Unis, car les solutions numériques sont la plupart du temps américaines. Nous n'avons pas assez de solutions françaises : qui utilise Qwant comme moteur de recherche ici ? Je rappelle aussi l'entrée en bourse de Deezer ces derniers jours : je pense que beaucoup de jeunes Français sont plutôt sur Spotify...

Il y a toute une culture à mettre en place. Les exemples récents du Health Data Hub et des prêts garantis par l'État, portés par Amazon Web Services , ou encore de l'utilisation de Palantir par l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (Anssi), l'illustrent. La localisation est un sujet, mais elle ne résout pas tout. Des data center situés en France n'ont guère d'intérêt s'ils appartiennent à Google ou Amazon : il faut des solutions françaises.

Quant au spatial, sujet où l'Europe s'investit, c'est un autre enjeu stratégique, dans la mesure où la plupart des données y transiteront. Nous en reparlerons dans quelques semaines avec le projet de constellation de satellites.

M. Serge Mérillou . - Je salue à mon tour l'excellent travail des rapporteurs.

Je reprends les termes de Franck Montaugé sur la prise de conscience qui a suivi la crise liée à la Covid-19 : elle aura au moins servi à cela. Nous nous sommes ainsi réveillés d'un affaissement en douceur sur de nombreux domaines stratégiques dont la production de médicaments. Dans ce dernier cas, la perte de vitesse est très forte, alors que nous avions beaucoup d'entreprises performantes.

Sur l'agriculture, je m'interroge sur notre naïveté dans l'application des règles européennes. Avec Laurent Duplomb et Pierre Louault, dans le cadre de la mission d'information sur la compétitivité de la « ferme France », nous avons l'impression que notre agriculture avance avec des boulets aux pieds, respectant des règles parfois plus strictes que ce qu'impose l'UE, alors que beaucoup d'autres pays s'en affranchissent, qu'il s'agisse de règles sociales, environnementales ou administratives.

Alors que la consommation mondiale augmente, la production française stagne et l'écart est comblé par nos concurrents. J'entends la notion de sobriété, mais dans le domaine alimentaire, sobriété veut dire être confronté à la faim pour les plus modestes.

Mme Micheline Jacques . - Le mois dernier, lors d'un déplacement du groupe interparlementaire d'amitié France-Caraïbes à Cuba, j'ai constaté que de nombreuses entreprises françaises se retirent de ce marché sous le coup des sanctions financières américaines : la BNP a ainsi dû verser une amende de 11 milliards d'euros, alors que la Société Générale a dû promettre de ne pas investir à Cuba. Des entreprises publiques, comme ADP et la SNCF, se sont retirées. L'Agence française de développement a des difficultés à trouver des entreprises françaises pour répondre à ses appels d'offres. La France livre à Cuba l'équivalent de 10 millions d'euros de blé par an, mais elle a des difficultés à assurer ces cargaisons.

M. Pierre Cuypers . - Merci aux rapporteurs. Nous avons du pain sur la planche !

La Commission européenne a décidé de supprimer les moteurs thermiques d'ici à 2035. Alors que les énergéticiens nous demandaient il y a quelques semaines dans les médias d'éteindre la lumière pour économiser l'énergie, 29 centrales nucléaires sur 56 sont à l'arrêt. La France s'est pourtant engagée sur la voie du tout électrique pour 2030. Nous allons dans le mur : si on veut passer au tout électrique, on ne peut se passer d'une analyse complète du cycle de vie de ces énergies par rapport aux énergies fossiles.

Je souhaite que nous travaillions à un rapport spécifique sur ce sujet du tout électrique.

M. Laurent Duplomb . - Au vu des propos de Serge Mérillou, j'ai repris le discours de constitution de la première Commission européenne du 9 mai 1950. Selon Robert Schumann, « la solidarité de production qui sera ainsi nouée manifestera que toute guerre entre la France et l'Allemagne devient non seulement impensable, mais matériellement impossible. » En d'autres termes, il s'agissait de promouvoir la paix par une harmonie de production sur la totalité des États membres. Or, petit à petit, les écarts entre pays se creusent et n'épargnent pas deux conditions de la paix que sont l'énergie et l'alimentation.

Si, demain, par naïveté coupable, nous ne pouvons proposer que la résilience et les privations aux Français, et que nous sommes les seuls à le faire, car les autres auront fait des choix différents, le résultat sera encore plus grave que ce que nous dessinons. Sortons des fables et revenons à la lucidité, comme nous y appelle Daniel Gremillet. Cessons de légiférer sur du détail sans prendre en compte la logique globale. Sur l'alimentation et l'énergie, la somme de ces détails nous empêche aujourd'hui de nous réformer et de trouver des solutions d'avenir. Cela nous mène dans le mur.

On ne veut pas regarder les choses en face : nous ne produirons plus de pommes, car seules 450 molécules sont autorisées au niveau européen. La France en a supprimé 150 de plus, nous en sommes à 300. En supprimer une de plus nous fera tomber dans l'incapacité de produire. C'est ce que nous vivons dans l'énergie et l'alimentation : nous nous mettons dans un coin. La politique est le courage de dire ces choses et d'aller jusqu'au bout de ces réalités.

Mme Sophie Primas , présidente, rapporteur . - Vous mentionnez les pommes, mais on peut aussi penser à la moutarde.

M. Henri Cabanel . - Je vous remercie aussi pour votre travail, et pour avoir relevé que sans la pandémie, nous aurions continué sur le même chemin emprunté depuis des décennies. Cela nous montre à quel point notre pays est dépendant.

Vous avez également dénoncé, Franck Montaugé, l'absence totale de prospective de moyen et de long terme : il faut y remédier.

Vous avez mentionné l'âge moyen des agriculteurs. Pascal Cormery, président de la mutualité sociale agricole (MSA), indiquait lors d'une assemblée générale dans mon département que, d'ici à 2025, c'est-à-dire demain, la moitié des agriculteurs pourrait prétendre à la retraite. Comment arrivera-t-on à de nouvelles installations ? La question des revenus est centrale, car, au-delà de la formation, on ne pourra pas attirer de jeunes agriculteurs sans de meilleurs revenus, d'autant que la profession est malmenée par les accords de libre-échange : en ce moment, on parle de l'accord avec la Nouvelle-Zélande, dont nous aimerions bien débattre. N'oublions pas non plus l'Accord économique et commercial global (CETA), dont le parcours n'est pas terminé.

Sur l'énergie, nous n'avons pas non plus su gérer les crises : 26 réacteurs sont aujourd'hui à l'arrêt pour maintenance ! La Covd-19 a certes empêché la tenue de certains travaux, mais à ce niveau, il y a un vrai manque d'anticipation, alors que nous avons toujours besoin d'une politique ambitieuse d'économies d'énergie.

Vous avez mentionné la nécessité d'augmenter la capacité de stockage. Il faudra aussi garder les start-up en France et l'État devra prendre ses responsabilités : faute de moyens, beaucoup quittent en effet le pays.

Ensuite, depuis des décennies, on désindustrialise la France après avoir mis tous nos oeufs dans le panier d'une économie de services. Amel Gacquerre, vous avez parlé des soudeurs : en 2016, nous avions visité les locaux d'Areva de Chalon-sur-Saône avec Jean-Claude Lenoir : le site manquait déjà de soudeurs, alors payés 2 400 euros nets. Pourquoi attendre aussi longtemps pour réagir ?

Je suis aussi optimiste par rapport à votre excellent travail. Le Gouvernement devra prêter une oreille attentive à nos propositions, mais nous devrons aussi partager ce travail avec nos collègues de l'Assemblée nationale.

M. Olivier Rietmann . - Merci pour ce rapport complet et intéressant.

Vous avez parlé de la moutarde : récemment, une moyenne surface de ma commune, dont les rayons d'huile étaient vides, a été réapprovisionnée en produits d'origine ukrainienne uniquement...

En matière de souveraineté, il faudra faire des choix. Nous ne pourrons pas être le numéro un mondial dans tous les domaines. On parle de rattrapage dans le numérique : ne nous leurrons pas, les entreprises américaines ont une avance considérable, par exemple 25 ans sur le métavers, ce que montre le changement de nom de Facebook en Meta.

En revanche, nous sommes meilleurs dans d'autres domaines, pourtant abandonnés par choix : le bâtiment, l'industrie ou encore la métallurgie. Or, nous n'avons pas fait le bon choix sur le plan écologique : on se veut le pays produisant le moins de carbone au monde, mais la pollution induite par nos importations nous place parmi les plus pollueurs. Relocalisons donc la production, en produisant certes plus de carbone dans notre pays, mais moins par nos importations.

Dans le cadre de la formation du cycle des hautes études pour le développement économique (CHEDE), une fonctionnaire de Bercy nous indiquait que la norme de construction RT 2020 serait d'office un échec, car nous n'avions ni la main-d'oeuvre qualifiée ni les matières premières naturelles pour construire les bâtiments de demain. Cependant, nous pouvons décider de former cette main-d'oeuvre, quitte à inciter certains à rejoindre la filière, et nous devons accepter d'aller chercher notre matière première dans nos sols et utiliser par exemple nos propres bois plutôt que de les exporter vers l'Asie.

Enfin, il faut faire des choix fiscaux : tant que notre production coûtera plus cher qu'ailleurs, il sera difficile de la ramener chez nous. Franck Montaugé parlait des matières premières et des stocks : en Allemagne, on ne fiscalise pas ces derniers. Pour végétaliser ma commune avec de grands arbres, j'ai dû aller les acheter outre-Rhin, car ils n'y sont pas fiscalisés. En France, on ne conserve que des stocks de petits arbres, car les plus grands sont trop chers à garder.

Il nous faut, comme le disait Daniel Gremillet, une colonne vertébrale pour faire ces choix.

M. Franck Montaugé , rapporteur . - Marie-Noëlle Lienemann a évoqué la question des prix de transfert et de l'intelligence économique. Nous n'avons pu l'aborder dans le rapport, mais le sujet nous préoccupe. Personnellement, je suis favorable à la transparence des flux financiers, notamment en matière économique. Ce sujet demeure essentiel en matière d'équité entre pays producteurs.

Alain Chatillon a évoqué le travail de Bruno Bonnell, secrétaire général à l'investissement, qui nous a affirmé en audition avoir pris conscience du côté « usine à gaz » de notre système. La gouvernance du Secrétariat général pour l'investissement (SGPI) est en refonte et devra nous être présentée. Nous aurions d'ailleurs intérêt à le recevoir dans notre commission.

Je le redis : nous devons nous impliquer bien davantage dans l'évaluation et le contrôle des politiques publiques à vocation économique et de développement. Ainsi, le comité de surveillance des investissements d'avenir comprend huit parlementaires et nous devons recevoir un rapport annuel. En tout état de cause, un compte rendu régulier de ce qui s'y fait serait intéressant.

Sur ce qu'ont dit Daniel Gremillet, Pierre Cuypers et Henri Cabanel, je partage la nécessité de raisonner en se projetant dans le temps et en remettant les problématiques actuelles en perspective.

Daniel Salmon a évoqué le recyclage : je souhaite aussi parler de la durabilité, dimension centrale de la soutenabilité. À cet égard, le prix du carbone et les taux d'actualisation des investissements dans nos entreprises sont des questions fondamentales et le seront toujours plus dans le cadre de la transition. Pierre Cuypers a mentionné le cycle de vie : ce mode de raisonnement demeure trop peu mobilisé. C'est pourtant le bon pour envisager la transformation de nos économies.

Mme Amel Gacquerre , rapporteure . - Vos interventions viennent appuyer nos recommandations, qui semblent faire l'unanimité.

Marie-Noëlle Lienemann a mentionné la diplomatie économique : nous en avons effectivement parlé dans le rapport, où nous insistons sur la longueur d'avance prise par d'autres puissances sur la protection de leurs entreprises. Vous avez aussi évoqué les prix de transfert : cet excellent exemple appuie notre recommandation de renforcer le rôle des salariés dans les conseils d'administration et de surveillance.

Sur l'enseignement technique et professionnel et le transfert à la Région évoqués par Bernard Buis, cela n'était pas directement l'objet de notre travail, mais nous avons précisé la nécessité d'y associer le monde de l'industrie, avec un pilotage par le ministère de l'industrie. En outre, une réflexion pourrait être menée sous l'angle de la formation continue, pour laquelle la Région est compétente.

Christian Redon-Sarrazy a mentionné l'apprentissage. Il n'y a pas de réponse unique : les entreprises nous ont dit et répété que c'était une vraie réponse à leurs besoins, bien qu'insuffisante. Peut-être faut-il mieux cibler les besoins en matière de compétences.

Enfin, Daniel Gremillet a évoqué la notion d'emploi et de mise en adéquation des besoins et de la demande, avec le compte personnel de formation (CPF). En effet, ne répondons pas à des besoins qui n'existent pas. La formation est aujourd'hui très saupoudrée, alors qu'il faudrait concentrer l'effort financier.

Mme Sophie Primas , présidente, rapporteur . - Pour répondre à Marie-Noëlle Lienemann sur le crédit d'impôt recherche, on pourrait apporter des ajustements quant à la pérennité des entreprises et le type d'investissements concernés. On pourrait aussi développer une forme de rescrit pour encourager les PME à y recourir.

Nous avons parlé de start-up nation : nous l'avons vu à VivaTech, celle-ci existe et elle s'est élargie à l'industrie, mais au-delà du démarrage, la transformation en ETI et en industrie réelle manque de fonds. Dans le domaine de l'informatique quantique, les entreprises issues du CNRS sont courtisées par les Américains, alors que nous sommes incapables d'investir les centaines de millions d'euros nécessaires.

Nous attendons la restructuration de l'Agence des participations de l'État (APE), mais n'oublions pas les fonds souverains comme celui géré par la banque publique d'investissement (BPI).

Je remercie Jean-Marc Boyer d'avoir mentionné l'enseignement agricole : de façon générale, notre industrie, souvent vue comme composée de métiers difficiles, physiquement éprouvants, doit bénéficier d'une meilleure image, et cela passe par un travail avec les formations agricoles et techniques.

Anne-Catherine Loisier, au-delà de la localisation des données, on parle aussi de localisation des infrastructures, du développement des logiciels, etc. Nous avons certes un retard, Olivier Rietmann, mais nous pouvons le rattraper avec la formation, même si celle-ci reste aujourd'hui bouclée par les Américains. Je vous rejoins cependant sur le besoin d'agir sur la fiscalité des stocks, particulièrement dans les domaines stratégiques.

M. Franck Montaugé , rapporteur . - Sur les start-up, l'accompagnement de celles-ci par l'État est un vrai sujet.

Mme Sophie Primas , présidente, rapporteur . - Merci pour vos réactions. Comme le disait Daniel Gremillet, tout cela est un début !

La commission adopte à l'unanimité les recommandations proposées par les rapporteurs et autorise la publication du rapport d'information.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Mercredi 9 mars 2022

- Table ronde relative à l'approvisionnement industriel :

• Ministère de l'économie, des finances et de la relance - Direction générale du Trésor : Mme Agnès BÉNASSY-QUÉRÉ , cheffe-économiste à la Direction Générale du Trésor ;

• Haut-Commissariat au Plan : M. Philippe LOGAK , rapporteur général, M. Baptiste PETITJEAN , conseiller, Mme Karen SARANGA , conseillère ;

• Conseil d'analyse économique (CAE) : Mme Isabelle MÉJEAN , économiste.

- Fédération française des télécoms (FFT) : Mme Liza BELLULO , vice-présidente, M. Olivier RIFFARD , directeur des affaires publiques, Mme Aude BOISSERANC , responsable des relations institutionnelles, M. Hervé DE TOURNADRE , directeur des affaires réglementaires de Bouygues Telecom, Mme Marie-Georges BOULAY , secrétaire générale adjointe d'Altice SFR, M. Laurentino LAVEZZI , directeur des affaires publiques d'Orange.

- Audition conjointe relative au cloud et au projet Gaïa-X :

§ Scaleway : M. Yann LECHELLE , directeur général ;

§ Hosteur : M. Florent GENTRIC , directeur technique.

Mercredi 16 mars 2022

- Audition conjointe relative aux enjeux énergétiques :

§ Réseau de transport d'électricité (RTE) : M. Xavier PIECHACZYK , président du directoire, Mme Pauline LE BERTRE , directrice adjointe de cabinet du président, M. Philippe PILLEVESSE , directeur des relations institutionnelles ;

§ Commission de régulation de l'énergie (CRE) : M. Jean-François CARENCO , président.

- Audition conjointe relative aux métaux critiques :

§ Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) : M. Christophe POINSSOT , directeur général délégué et directeur scientifique, M. Patrick D'HUGUES , directeur du programme scientifique « Ressources minérales et économie circulaire » ;

§ Alliance des minerais, minéraux et métaux ( A3M) : M. Bruno JACQUEMIN , délégué général.

- Audition conjointe relative à la filière nucléaire :

§ Groupement des industriels français de l'énergie nucléaire (GIFEN) : M. Xavier URSAT , président, Mme Anne-Sophie DEFAY , directrice des affaires publiques ;

§ Société française d'énergie nucléaire (SFEN) : Mme Valérie FAUDON , déléguée générale, M. Thomas JAQUEMET , responsable des affaires publiques.

- Table ronde relative au stockage de l'énergie :

§ Association pour le développement de la mobilité électrique (AVERE France) : M. Antoine HERTEMAN , président, Mme Cécile GOUBET , déléguée générale ;

§ France Hydrogène : M. Maxime SAGOT , chargé de relations institutionnelles ;

§ Syndicat des énergies renouvelables (SER) : M. Jean-Louis BAL , président, M. Jérémy SIMON , délégué général adjoint, M. Jérôme MORVILLE , responsable du cadre économique des énergies renouvelables.

Mercredi 23 mars 2022

- Table ronde relative au cloud et au projet Gaïa-X :

§ Gaia-X European Association for Data and Cloud AISBL : M. Pierre GRONLIER , directeur des technologies ;

§ Cloud Infrastructure Services Providers in Europe (Cispe) : M. Francisco MINGORANCE , secrétaire général ;

§ Club informatique des grandes entreprises françaises (Cigref) : M. Henri D'AGRAIN , délégué général ;

§ OVHcloud : Mme Caroline COMET FRAIGNEAU , vice-présidente en charge des zones France, Benelux, Afrique et Moyen-Orient, Mme Blandine EGGRICKX , responsable des affaires publiques.

- Ministère de l'économie, des finances et de la relance - Direction générale du Trésor : M. Romain CHAMBRE , sous-directeur de la politique commerciale, de l'investissement et de la lutte contre la criminalité financière, Mme Jennifer EL-BAZ , adjointe au bureau Contrôle des investissements étrangers en France.

- Audition conjointe relative à l'extraterritorialité :

§ Ministère de l'Europe et des affaires étrangères : M. Martin JUILLARD , directeur adjoint de la diplomatie économique ;

§ Ministère de l'économie, des finances et de la relance - Direction générale du trésor : M. Romain CHAMBRE , sous-directeur de la politique commerciale, de l'investissement et de la lutte contre la criminalité financière, Mme Clarisse SENAYA , adjointe du chef du bureau Lutte contre la criminalité financière et sanctions internationales.

- INSTEX : M. Michael BOCK , président, Mme Marie-Noëlle LOEWE , directrice des opérations.

- Commission européenne - Direction générale du Commerce : M. Denis REDONNET , directeur général adjoint.

Mardi 29 mars 2022

- Audition conjointe relative aux câbles sous-marins :

§ Orange Marine : M. Jean-Luc VUILLEMIN , directeur Réseaux et services internationaux, Mme Carole GAY , responsable des affaires institutionnelles ;

§ Mme Camille MOREL , chercheuse en relations internationales au Centre d'études stratégiques de la Marine et à l'Institut d'études de stratégie et de défense de l'université Jean Moulin Lyon III.

- Centre d'études prospectives et d'informations internationales (Cepii) : M. Vincent VICARD , adjoint au directeur, responsable du programme scientifique Analyse du commerce international , M. Farid TOUBAL , professeur de sciences économiques à l'Université de Paris-Dauphine, conseiller scientifique au Cepii.

- Table ronde des entreprises du secteur de la mécanique :

§ GYS : M. Bruno BOUYGUES , président ;

§ Huron Graffenstaden : M. Marc TROIA , directeur général ;

§ Tournus Équipement : M. Pierre MARCEL , président ;

§ Fédération des industries mécaniques (FIM) : M. Benjamin FRUGIER , directeur du développement des entreprises et des projets, Mme Caroline DEMOYER , responsable des affaires publiques.

Mardi 5 avril 2022

- Table ronde relative à la souveraineté alimentaire :

§ La Coopération agricole : M. Arnaud DEGOULET , vice-président, Mme Mélodie DENEUVE , directrice de la communication et des relations extérieures ;

§ Association nationale des industries alimentaires (ANIA) : M. Jean-Paul TORRIS , 1 er vice-président, M. Mickaël NOGAL , directeur général ;

§ Association des entreprises de produits alimentaires élaborés (ADEPALE) : M. Jérôme FOUCAULT , président, M. Christian DIVIN , directeur général.

- Ministère de l'économie, des finances et de la relance - Direction générale du Trésor : M. Stéphane SORBE , sous-directeur des politiques sectorielles, Mme Alice GRÉMILLET , adjointe à la cheffe du bureau Agriculture, climat et environnement.

- Table ronde relative au contrôle des importations des denrées agricoles et alimentaires :

§ Ministère de l'économie, des finances et de la relance - Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) : Mme Annick BIOLLEY-COORNAERT , sous-directrice Produits alimentaires et marchés agricoles et alimentaires, M. Benjamin MATT , rédacteur Intrants et résidus de pesticides, M. Florian SIMONNEAU , chef du bureau Qualité des denrées alimentaires ;

§ Ministère de l'agriculture et de l'alimentation - Direction générale de l'alimentation (DGAL) : M. Bruno FERREIRA , directeur général de l'alimentation, Mme Stéphanie FLAUTO , cheffe du service du pilotage de la performance sanitaire et de l'international ;

§ Ministère de l'économie, des finances et de la relance - Direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI) : M. Guillaume VANDERHEYDEN , sous-directeur au commerce international.

- Union des industries de la fertilisation (Unifa) : M. Renaud BERNARDI , président, M. Florent CAPPE , vice-président, Mme Florence NYS , déléguée générale.

- Cour des comptes : Mme Catherine PÉRIN , présidente de section à la deuxième chambre, Mme Armelle DAAM , secrétaire générale adjointe, M. Jean-Yves PERROT , conseiller maître, M. Valérie GIRARD , vérificatrice à la deuxième chambre.

Mardi 12 avril 2022

- Ministère de l'agriculture et de l'alimentation - Direction générale de la performance économique et environnementale des entreprises (DGPE) : Mme Valérie METRICH-HECQUET , directrice générale, M. Philippe DUCLAUD , directeur général adjoint - chef du service du développement des filières et de l'emploi.

- Table ronde des entreprises du secteur de la chimie :

§ Arkema : M. Nicolas DE WARREN , directeur des relations institutionnelles ;

§ Sequens : M. Gildas BARREYRE , directeur Énergie et affaires publiques ;

§ BCF Life Sciences : M. Jacques PIDOUX , président, M. Julien REBOURS , directeur financier ;

§ France Chimie : Mme Magali SMETS , directrice générale, Mme Madeleine LAFON , directrice des affaires publiques.

- Groupe Michelin : M. Éric LE CORRE , directeur des affaires publiques du groupe Michelin, M. Alexander LAW , directeur des affaires publiques de Michelin France.

Mardi 19 avril 2022

- Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM) : M. David DERRÉ , directeur Emploi-Formation, Mme Fanny FOREST-BACCIALONE , directrice des relations extérieures.

Jeudi 28 avril 2022

- M. Élie COHEN , économiste, directeur de recherche émérite au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), membre du CAE.

Mardi 10 mai 2022

- Ministère de l'économie, des finances et de la relance - Direction générale des entreprises (DGE) : M. Benjamin DELOZIER , chef du service de la compétitivité, de l'innovation et du développement des entreprises, M. Thomas GOUZÈNES , sous-directeur en charge de la politique industrielle.

- Secrétariat général pour l'investissement (SGPI) : M. Bruno BONNELL , secrétaire général, Mme Géraldine LEVEAU , secrétaire générale adjointe.

- Plateforme automobile (PFA) : M. Marc MORTUREUX , directeur général, Mme Louise D'HARCOURT , chargée des affaires parlementaires.

- Table ronde des entreprises du secteur automobile :

§ Delzen : M. Bertrand DELZENNE , président-directeur général ;

§ Association régionale de l'industrie automobile (ARIA) Hauts-de-France : M. Luc MESSIEN , délégué général ;

§ Dourdin : M. Érik DOURDIN , président-directeur général ;

§ Verkor : M. Olivier DUFOUR , co-fondateur.

Mercredi 11 mai 2022

- France Industrie : M. Alexandre SAUBOT , président, Mme Murielle JULLIEN , directrice des affaires publiques.

Jeudi 12 mai 2022

- Audition conjointe :

§ Région Grand Est : M. Jean ROTTNER , président du conseil régional ;

§ Région Occitanie : Mme Christine SAHUET , conseillère régionale.


* 1 Ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire ; Ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

* 2 Suzana Anghel, Beatrix Immenkampf, Elena Lazarou, Jérôme Leon Saulnier, Alex Benjamin Wilson, « Sur le chemin de l'autonomie stratégique. L'Union européenne dans un environnement géopolitique en mutation », septembre 2020, Service de recherche du Parlement européen. En ligne : https://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/STUD/2020/652096/EPRS_STU(2020)652096_FR.pdf

* 3 Suzana Anghel, Beatrix Immenkampf, Elena Lazarou, Jérôme Leon Saulnier, Alex Benjamin Wilson, « Sur le chemin de l'autonomie stratégique. L'Union européenne dans un environnement géopolitique en mutation », septembre 2020, Service de recherche du Parlement européen. En ligne : https://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/STUD/2020/652096/EPRS_STU(2020)652096_FR.pdf

* 4 Dans sa contribution à la consultation ouverte par la Commission européenne, la Confédération des entreprises suédoises indiquait par exemple « se sentir peu à l'aise avec le mot « autonomie », qui fait allusion à l'idée de se fermer de l'économie mondiale ».

* 5 Niklas Olsen, The Sovereign Consumer , 2019.

* 6 Derek Perrotte, « Vestager : "Avec l'énergie russe, l'Europe n'a pas été naïve, elle a été cupide" », 24 mai 2022, Les Échos . En ligne : https://www.lesechos.fr/monde/europe/avec-lenergie-russe-leurope-na-pas-ete-naive-elle-a-ete-cupide-1409154

* 7 Ce chiffre exclut les matières premières énergétiques.

* 8 Note du Haut-Commissariat au Plan, « Reconquête de l'appareil productif : la bataille du commerce extérieur », décembre 2021.

* 9 Chiffres issus des entreprises du secteur de la chimie auditionnées par la commission et de l'Académie nationale de pharmacie.

* 10 Rapport d'information n° 737 (2017-2018) de M. Jean-Pierre Decool, au nom de la mission d'information sur la pénurie de médicaments et de vaccins, publié le 27 septembre 2018.

* 11 Article « Europe : la France défend quatre nouveaux projets industriels prioritaires », publié en ligne le 13 janvier 2022 par Les Échos .

* 12 Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM).

* 13 Loi n° 2017-1839 du 30 décembre 2017 mettant fin à la recherche ainsi qu'à l'exploitation des hydrocarbures et portant diverses dispositions relatives à l'énergie et à l'environnement (article 2).

* 14 Ministère de la transition écologique (MTE) et Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM).

* 15 Loi n° 99-209 organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie (articles 39 à 42).

* 16 Ministère de la transition écologique (MTE).

* 17 Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM).

* 18 Données indiquées par Frédéric Gonand et Philippe Varin à l'occasion de leur audition devant la commission des affaires économiques, les 13 octobre 2021 et 16 février 2022.

* 19 Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM).

* 20 Agence internationale de l'énergie (AIE), The Role of Critical Minerals in Clean Energy Transitions, World Energy Outlook Speech , 2021.

* 21 Réseau de transport d'électricité (RTE), Futurs énergétiques 2050. L'analyse environnementale , 2022.

* 22 Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), Transition(s) 2050. Les matériaux pour la transition énergétique, un sujet critique , 2022.

* 23 Indices Cooper grade et Aluminium alloy .

* 24 Données indiquées par Frédéric Gonand et Philippe Varin à l'occasion de leur audition devant la commission des affaires économiques, les 13 octobre 2021 et 16 février 2022.

* 25 Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM).

* 26 Idem.

* 27 Idem .

* 28 Idem .

* 29 Idem .

* 30 Idem .

* 31 Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), Centre national de la recherche scientifique (CNRS), IFP Énergies nouvelles, Agence nationale de la recherche (ANR), Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), Commission de régulation de l'énergie (CRE) notamment.

* 32 Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM).

* 33 Loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets (article 81).

* 34 Syndicat des énergies renouvelables (SER).

* 35 Idem .

* 36 Agreste , « Le compte prévisionnel de l'agriculture en 2021 » .

* 37 Dont 18,5 % des productions végétales européennes et 15 % des productions animales européennes selon le Haut-commissariat au Plan - La France est-elle une grande puissance agricole et agroalimentaire ?

* 38 Insee, Caractéristiques de l'industrie agroalimentaire par activité (chiffres 2019), octobre 2021.

* 39 Agreste Conjoncture , Infos rapides n° 016, Commerce extérieur agroalimentaire, février 2022.

* 40 Le taux d'auto-approvisionnement est entendu comme le très théorique ratio Production/Consommation, faisant ainsi fi de la destination des exportations et des importations.

* 41 Bien que la production ait été bien plus élevée avant 2018. La filière a été frappée successivement par un marché peu porteur en raison de la fin des quotas puis par un épisode de jaunisse, ces deux événements ayant considérablement enrayé la progression de la production française.

* 42 Insee, Compte prévisionnel de l'agriculture 2021.

* 43 Cité dans le rapport d'information n° 317 (2018-2019) de M. Daniel Gremillet, Mme Pascale Gruny, MM. Claude Haut et Franck Montaugé, fait au nom de la commission des affaires européennes et de la commission des affaires économiques du Sénat, intitulé « PAC : arrêter l'engrenage conduisant à sa déconstruction d'ici 2027 ».

* 44 Source : Agreste , Analyse n° 172, - Dégradation de l'excédent commercial agricole et agroalimentaire français : principaux facteurs explicatifs, décembre 2021.

* 45 Insee Première n° 1886, L'internationalisation des industries alimentaires françaises : de plus en plus implantées hors de l'Europe , janvier 2022.

* 46 Rapport d'information n° 528 (2018-2019) de M. Laurent Duplomb, fait au nom de la commission des affaires économiques intitulé La France, un champion agricole mondial : pour combien de temps encore ?

* 47 Selon les calculs du Haut-commissariat au plan

* 48 Défaillance des contrôles aux importations : l'exemple du sésame - Rapport d'information n° 368 (2020-2021 de M. Laurent Duplomb, fait au nom de la commission des affaires économiques.

* 49 En ligne : https://www.iddri.org/sites/default/files/PDF/Publications/Hors%20catalogue%20Iddri/Empreinte-Carbone_Alimentation_France_VF_0.pdf

* 50 L'origine UE représente les deux tiers de ces importations.

* 51 Source : Direction générale de la performance économique et environnementale des entreprises. N.B. : ces données sont principalement des données de chiffre d'affaires et non de production, faute de disponibilité.

* 52 Sont à mentionner également l'usage d'autres engrais azotés simples ou composés à hauteur de 10 % de la consommation.

* 53 Source : DGPE.

* 54 Cour des comptes, rapport public annuel 2022, « La sécurité des approvisionnements alimentaires ».

* 55 La proposition n° 1 du rapport d'information du groupe de travail « Alimentation durable et locale » du Sénat, portée dans le rapport d'information n° 620 (2020-2021) du Sénat, demeure d'actualité : « Définir une stratégie nationale pour retrouver notre souveraineté alimentaire en :

- identifiant les filières prioritaires trop concurrencées par les denrées importées ;

- déclinant cette stratégie nationale dans les plans des filières concernées, remis au Ministre chargé de l'agriculture et de l'alimentation, l'État et les filières s'engageant mutuellement à mettre en place les outils pertinents pour assurer la réussite de cette stratégie ;

- activant le pouvoir d'utilisation de campagnes d'information sur les produits agricoles français gratuitement auprès des sociétés publiques de radio et de télévision au moment le plus approprié ;

- installant un Observatoire de la souveraineté alimentaire permettant de suivre l'efficacité du déploiement de la stratégie nationale pour retrouver notre souveraineté alimentaire ».

* 56 L'EPR de la centrale de Flamanville.

* 57 Les réacteurs de la centrale de Fessenheim.

* 58 Loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte (article 1 er ).

* 59 Ministère de la transition écologique (MTE), Chiffres clés de l'énergie . Édition 2021, p. 29.

* 60 Térawattheures.

* 61 Idem , p. 76.

* 62 Idem , pp. 48 et 57.

* 63 Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), Provenance du pétrole brut importé en France, Données annuelles de 2011 à 2021 , 10 mai 2022 :

https://www.insee.fr/fr/statistiques/2119 697 .

* 64 Mégawattheures.

* 65 Indices Spot européen pour le gaz, Brent international pour le pétrole et Spot français pour l'électricité.

* 66 Commission européenne, Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil européen, au Conseil, au Conseil économique et social européen et au Comité des régions, COM(2022) 230 final, 18 mai 2022 : https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/ ?uri=CELEX :52022DC0230&from=EN .

* 67 Gigawatts.

* 68 Réseau de transport d'électricité (RTE), Bilan électrique 2021 , 2022 : https://bilan-electrique-2021.rte-france.com/production_nucleaire/# .

* 69 Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), Base carbone, 2015 : https://bilans-ges.ademe.fr/documentation/UPLOAD_DOC_FR/index.htm ?conventionnel.htm .

* 70 Réseau de transport d'électricité (RTE), Bilan électrique 2021 , 2022 : https://bilan-electrique-2021.rte-france.com/co2-electrification-des-usages-emissions-de-co2/# .

* 71 Ministère de la transition énergétique (MTE), Chiffres clés de l'énergie . Édition 2021 , 2022, p. 26.

* 72 Idem , pp. 10 et 13.

* 73 Réseau de transport d'électricité (RTE), Bilan électrique 2021 , 2022 : https://bilan-electrique-2021.rte-france.com/prix-echanges-solde-france-echanges/# .

* 74 C'est-à-dire les diminutions de puissance voire les arrêts de réacteurs, qu'ils soient programmés ou fortuits.

* 75 Réseau de transport d'électricité (RTE), Bilan électrique 2021 , 2022 :

https://bilan-electrique-2021.rte-france.com/production_nucleaire/#

* 76 Réseau de transport d'électricité (RTE), Bilan électrique 2021 , 2022 :

https://bilan-electrique-2021.rte-france.com/prix-echanges-solde-france-echanges/#

* 77 Réseau de transport d'électricité (RTE), Bilan électrique 2021, 2022 :

https://bilan-electrique-2021.rte-france.com/prix-echanges-evolution-des-prix-de-marche/#

* 78 Rapport d'information n° 551 (2021-2022) fait au nom de la commission des affaires économiques du Sénat sur l'impact de la transition énergétique sur la sécurité d'approvisionnement : la France est-elle en risque de « black-out » ?, par MM. Daniel Gremillet, Jean-Pierre Moga et Jean-Jacques Michau, 25 février 2022, p. 44.

* 79 Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), Transition(s) 2050 : Feuilleton Mix électrique, Quelles alternatives et quels points communs ? , 2022.

* 80 France Stratégie, Quelle sécurité d'approvisionnement électrique en Europe à l'horizon 2030 ?, janvier 2021, p. 4.

* 81 Rapport d'information n° 551 (2021-2022) fait au nom de la commission des affaires économiques du Sénat sur l'impact de la transition énergétique sur la sécurité d'approvisionnement : la France est-elle en risque de « black-out » ?, par MM. Daniel Gremillet, Jean-Pierre Moga et Jean-Jacques Michau, 25 février 2022, p. 46.

* 82 Ibidem , p. 36.

* 83 Groupe EDF, Point d'actualité sur le phénomène de corrosion sous contrainte et ajustement de l'estimation de production nucléaire en France pour 2022 , 19 mai 2022.

* 84 Civaux 1, Chooz 1 et Penly 1.

* 85 Chinon B3.

* 86 Bugey 3, Bugey 4, Cattenom 3, Civaux 2, Chooz 2, Flamanville 1, Flamanville 2, Golfech 1.

* 87 Réseau de transport d'électricité (RTE), L'équilibre offre-demande d'électricité pour l'hiver 2021-2022 , publié en novembre 2021 et actualisé en février 2022.

* 88 Rapport d'information n° 551 (2021-2022) fait au nom de la commission des affaires économiques du Sénat sur l'impact de la transition énergétique sur la sécurité d'approvisionnement : la France est-elle en risque de « black-out » ?, par MM. Daniel Gremillet, Jean-Pierre Moga et Jean-Jacques Michau, 25 février 2022, p. 21.

* 89 Réseau de transport d'électricité (RTE), L'équilibre offre-demande d'électricité pour l'hiver 2021-2022 , publié en novembre 2021 et actualisé en février 2022.

* 90 Réseau de transport d'électricité (RTE), Futurs énergétiques à l'horizon 2050. Les scénarios de mix de production , 2022.

* 91 Réseau de transport d'électricité (RTE), Futurs énergétiques à l'horizon 2050. Résumé exécutif , 2022.

* 92 Réseau de transport d'électricité (RTE ), Futurs énergétiques à l'horizon 2050. L'analyse économique , 2022.

* 93 En l'espèce, issus de l'EPR de Flamanville.

* 94 Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), Transition(s) 2050. Feuilleton Mix électrique : quelles alternatives et quels points communs ? , 2022.

* 95 European Pressurized Reactor (EPR) ou Réacteur pressurisé européen.

* 96 Cour des comptes, La filière EPR, 2020, p. 98.

* 97 Groupe EDF, Point d'actualité sur l'EPR de Flamanville, 12 janvier 2022 ; Mesures exceptionnelles annoncées par le Gouvernement français, 13 janvier 2022 ; Présentation des résultats annuels, 18 février 2022 ; Publication du décret et des arrêtés relatifs à l'attribution de 20 TWh de volumes d'ARENH supplémentaires pour 2022 : mise à jour de l'impact sur les perspectives d'EBITDA 2022, 14 mars 2022 ; Point d'actualité sur le phénomène de corrosion sous contrainte et ajustement de l'estimation de production nucléaire en France pour 2022, 18 mai 2022 ; Point d'actualité sur Hinkley Point C, 19 mai 2022 .

* 98 Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra), Commissariat général à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), EDF, Framatome, Orano.

* 99 Groupement des industriels français de l'énergie nucléaire (Gifen).

* 100 Réseau de transport d'électricité (RTE), Futurs énergétiques 2050. L'analyse environnementale , 2022.

* 101 Société française de l'énergie nucléaire (SFEN).

* 102 Idem.

* 103 Idem.

* 104 Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), Transition(s) 2050. Feuilleton Les matériaux pour la transition énergétique, un sujet critique , février 2022, p. 32.

* 105 Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM).

* 106 Commission de régulation de l'énergie (CRE).

* 107 Rapport d'information de M. Daniel Salmon, fait au nom de la mission d'information La méthanisation dans le mix énergétique : enjeux et impacts , Méthanisation : au-delà des controverses, quelles perspectives ? , n° 872 (2020-2021), 29 septembre 2021, p. 55.

* 108 Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), Estimation des gisements potentiels de substrats utilisables en méthanisatio n, avril 2013, p. 6.

* 109 Négawatt, Scénario négaWatt 2022 , Le scenario en détail , octobre 2021, p. 75.

* 110 Solagro, Afterres2050. Le scénario version 2016 , décembre 2016, p. 56.

* 111 Agence internationale de l'énergie (AIE), Plan en 10 points pour réduire la dépendance de l'Union européenne à l'égard du gaz russe , mars 2022 et Plan en 10 points pour réduire la consommation de pétrole , mars 2022.

* 112 France Stratégie, Quelle sécurité d'approvisionnement électrique en Europe à l'horizon 2030 ? , janvier 2021, p. 4.

* 113 Dont les 2 réacteurs de la centrale de Fessenheim.

* 114 Rapport d'information n° 551 (2021-2022) fait au nom de la commission des affaires économiques du Sénat sur l'impact de la transition énergétique sur la sécurité d'approvisionnement : la France est-elle en risque de « black-out » ?, par MM. Daniel Gremillet, Jean-Pierre Moga et Jean-Jacques Michau, 25 février 2022, p. 10.

* 115 Société française de l'énergie nucléaire (SFEN), Comment financer le renouvellement du parc nucléaire ? , 11 février 2022.

* 116 Rapport d'information n° 551 (2021-2022) fait au nom de la commission des affaires économiques du Sénat sur l'impact de la transition énergétique sur la sécurité d'approvisionnement : la France est-elle en risque de « black-out » ?, par MM. Daniel Gremillet, Jean-Pierre Moga et Jean-Jacques Michau, 25 février 2022, p. 38.

* 117 Puisque ces consommateurs sont réunis au sein d'un consortium dont les acquisitions d'électricité sont décomptées du droit à l'Arenh.

* 118 Puisque les fournisseurs alternatifs doivent répercuter ce relèvement dans leurs offres de fourniture pour en faire bénéficier les consommateurs.

* 119 Les commissions des affaires économiques et du développement durable du Parlement européen ayant voté contre ce projet, le mardi 14 juin 2022, mais le Parlement européen l'ayant adopté en séance plénière, le 6 juillet 2022.

* 120 Rapport d'information n° 245 (2021-2022) fait au nom de la commission des affaires économiques par M. Daniel Gremillet sur l'inclusion du nucléaire au volet climat de la taxonomie européenne sur les investissements durables, 1 er décembre 2021, p. 24.

* 121 Jean-Martin Folz, La construction de l'EPR de Flamanville , octobre 2019.

* 122 C'est-à-dire in fine le retraitement et le recyclage des combustibles usés.

* 123 Société française de l'énergie nucléaire (SFEN).

* 124 Association nationale pour le développement de la mobilité électrique (Avere).

* 125 Idem .

* 126 Réseau de transport d'électricité (RTE), Bilan électrique 2021 , 2022 : https://bilan-electrique-2021.rte-france.com/production-stockage/# .

* 127 Gigawattheures.

* 128 Mégawatts.

* 129 Réseau de transport d'électricité (RTE), Bilan électrique 2021 , 2022 : https://bilan-electrique-2021.rte-france.com/production_hydraulique/# .

* 130 Réseau de transport d'électricité (RTE), L'équilibre offre-demande d'électricité pour l'hiver 2021-2022 , publié en novembre 2021 et actualisé en février 2022.

* 131 De son côté, la Chine s'est fixé un objectif de 30 GW de stockage d'ici 2025.

* 132 Rapport d'information n° 551 (2021-2022) fait au nom de la commission des affaires économiques du Sénat sur les crédits « Énergie » de la mission « Écologie, développement et mobilité durables », par MM. Daniel Gremillet, 21 novembre 2021, p. 59.

* 133 Réseau de transport d'électricité (RTE), Futurs énergétiques à l'horizon 2050. Résumé exécutif , 2022, p. 13.

* 134 Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), Transition(s) 2050. Feuilleton Mix électrique : quelles alternatives et quels points communs ? , 2022, p. 4.

* 135 Allemagne, Belgique, Finlande, France, Italie, Pologne et Suède.

* 136 Communiqué de presse de la Commission européenne, Aides d'État : la Commission autorise une aide publique de 3,2 milliards d'euros accordée par sept États membres pour un projet paneuropéen de recherche et d'innovation dans tous les segments de la chaîne de valeur des batteries , 9 décembre 2019 : https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/ip_19_6705

* 137 Allemagne, Autriche, Belgique, Croatie, Espagne, Finlande, France, Grèce, Italie, Pologne, Slovaquie et Suède.

* 138 Communiqué de presse de la Commission européenne, Aides d'État : la Commission autorise une aide publique de 2,9 milliards d'euros accordée par douze États membres pour un deuxième projet paneuropéen de recherche et d'innovation portant sur l'ensemble de la chaîne de valeur des batteries , 26 janvier 2021 : https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/ip_21_226

* 139 Ainsi que la Norvège.

* 140 Ministère de l'économie, des finances et de la relance, Bruno Le Maire annonce les 15 projets français sélectionnés pour le PIIEC hydrogène dans le cadre de son déplacement sur le site d'Air Liquide , 8 mars 2022 : https://www.gouvernement.fr/sites/default/files/contenu/piece-jointe/2022/03/3018_-_bruno_le_maire_annonce_les_15_projets_franc.pdf

* 141 Rapport d'information n° 551 (2021-2022) fait au nom de la commission des affaires économiques du Sénat sur les crédits « Énergie » de la mission « Écologie, développement et mobilité durables », par MM. Daniel Gremillet, 21 novembre 2021, pp. 58 et 59.

* 142 Association nationale pour le développement de la mobilité électrique (Avere).

* 143 Rapport au ministre de l'économie et des finances et au ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation, Faire de la France une économie de rupture technologique. Soutenir les marchés émergents à forts enjeux de compétitivité , 7 février 2020, pp. 41 et 80.

* 144 Autour de M. Benoît Potier, Président-directeur général de Air Liquide.

* 145 Réseau de transport (RTE), Futurs énergétiques 2050. L'analyse environnementale , 2022, p. 568.

* 146 Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), Transition(s) 2050. Feuilleton Les matériaux pour la transition énergétique, un sujet critique , février 2022, p. 21.

* 147 Loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la lutte face à ces effets (articles 87 et 89).

* 148 Commission de régulation de l'énergie (CRE), Document de réflexion et d'orientation de la CRE sur le stockage d'électricité, 5 septembre 2019, p. 9.

* 149 Ainsi que l'a rappelé France Hydrogène, le mix électrique français permet de produire de l'hydrogène par électrolyse inférieur à ce seuil dans 95 % des heures de l'année.

* 150 Association nationale pour le développement de la mobilité électrique (Avere).

* 151 Loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2019 relative à l'énergie et au climat (article 52).

* 152 Loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets (article 85).

* 153 Corse, Martinique, Guadeloupe, La Réunion, Guyane, Mayotte, Wallis-et-Futuna, Saint-Pierre et

Miquelon, Saint-Martin, Saint-Barthélémy, les îles de Molène, d'Ouessant, de Sein et de Chausey.

* 154 Observatoire des marchés des communications électroniques de l'Arcep, Les services de communications électroniques en France en 2020 , décembre 2021.

* 155 Akamai est un fournisseur de services de réseau de diffusion de contenus multimédias et logiciels (Disney +, France Télévisions, etc.)

* 156 ETNO, L'écosystème Internet européen : avantages socio-économiques d'un équilibre plus juste entre les géants de la technologie et les opérateurs de télécommunications , mai 2022.

* 157 Audition du 9 mars 2022.

* 158 Contribution écrite de la FFT à la suite de leur audition du 9 mars 2022.

* 159 Les Échos , « Bruxelles veut faire payer les réseaux télécoms aux Gafam », 3 mai 2022.

* 160 Ibid .

* 161 Table-ronde sur les câbles sous-marins du 27 janvier 2020 par la délégation aux outre-mer du Sénat.

* 162 Audition du 15 mars 2022 par la mission d'information du Sénat sur les fonds marins.

* 163 Audition d'Alcatel Submarine Networks du 16 mars 2022.

* 164 Table ronde sur les câbles sous-marins du 27 janvier 2020 par la délégation aux outre-mer du Sénat.

* 165 Audition du 29 mars 2022.

* 166 Instruction du Premier ministre du 13 novembre 2020 relative à l'attractivité du territoire français en matière de câbles sous-marins de communication.

* 167 Audition d'Orange du 28 mars 2022.

* 168 Proposition de résolution européenne n° 65 du Sénat pour une localisation européenne des données personnelles du 21 octobre 2020.

* 169 Enquête IFOP-UIMM, Les Français, l'industrie et le déclin des territoires , février 2022.

* 170 Chiffres transmis par l'UIMM.

* 171 Chiffres fournis par France Chimie.

* 172 Étude de France Stratégie et de la DARES, « Quels métiers en 2030 ? », mars 2022.

* 173 Jean-Martin Folz, La construction de l'EPR de Flamanville , octobre 2019.

* 174 Ce chiffre n'était « que » de 25 % environ en 1980.

* 175 Rapport d'information n° 577 (2021 - 2022) de MM. Bruno Belin et Serge Babary, fait au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable et de la commission des affaires économiques, déposé le 16 mars 2022.

* 176 Chiffres transmis par l'UIMM.

* 177 BMO 2022 Pôle emploi.

* 178 Observatoire de la métallurgie, OPCO 2i, Enquête sur l'évolution du besoin en compétences des entreprises industrielles dans la filière aéronautique et spatiale en Occitanie , décembre 2020.

* 179 Copanef, FPSPP, Cnefop, Ministère du travail, Rapport final de l'expérimentation « AFEST », juillet 2018.

* 180 Le marché des solutions et services d'informatique en nuage peut notamment inclure les services d'infrastructures (IaaS), de plateformes (PaaS), de logiciels (SaaS), de sécurité et de transformation pour le compte d'acteurs privés, publics et hybrides.

* 181 Cabinet IDC, Prévisions 2021-2025 pour le marché mondial du cloud : la voie à suivre pour le cloud dans un monde numérique , septembre 2021.

* 182 Cabinet KPMG, Livre blanc sur le cloud européen , mai 2021.

* 183 Cabinet Markees by Exaegis, Étude sur le marché français du cloud , avril 2022.

* 184 KPMG, Livre blanc sur le cloud européen , mai 2021.

* 185 Markees by Exaegis, Étude sur le marché français du cloud , avril 2022.

* 186 https://www.francecompetences.fr/recherche/rs/5610/

* 187 https://www.francecompetences.fr/recherche/rs/5375/

* 188 Skillsoft Global Knowledge, Rapport sur les salaires, compétences et certifications de l'IT , 2021 .

* 189 Ibidem.

* 190 Ibid.

* 191 Audition du 9 mars 2022.

* 192 Article du Journal du net, « Dans le cloud, le piège des crédits gratuits », février 2022.

* 193 Question avec demande de réponse écrite à la Commission européenne du 21 octobre 2021 : distorsion de concurrence dans les marchés numériques : le cas des « crédits cloud ».

* 194 Source : DGPE. Le chiffre global du nombre de travailleurs saisonniers en France dans les seules exploitations agricoles était de 532 800 saisonniers en 2016 (données MSA).

* 195 France Stratégie, L'emploi saisonnier : enjeux et perspectives, document de travail n° 2016-05, juillet 2016.

* 196 Clemens et al. (2018) - Immigration Restrictions as Active Labor Market Policy : Evidence from the Mexican Bracero Exclusion - American Economic Review , vol. 108, no. 6, June 2018.

* 197 Selon l'économiste Lionel Ragot - Lucie Gillot, « L'agriculture à bout de bras », Revue Sesame-INRAE, 7 juin 2021.

* 198 Clemens M.A. (2013), The Effect of Foreign Labor on Native Employment : A Job-Specific Approach and Application to North Carolina Farms , Center for Global Development, Working Paper n o . 326.

* 199 APCA, Situation économique des filières par régions (synthèse mise à jour au lundi 4 mai 2020).

* 200 CEPII, n° 33 - Cristina Mitaritonna & Lionel Ragot - After Covid-19, will seasonal migrant agricultural workers in Europe be replaced by robots ? - June 2020.

* 201 Rapport d'information déposé le 30 septembre 2021 de Mme Nathalie Delattre, fait au nom de la mission d'information sur l'enseignement agricole n° 874 (2020-2021).

* 202 Rapport d'information n° 368 (2020-2021) de M. Laurent Duplomb, fait au nom de la commission des affaires économiques, déposé le 17 février 2021, sur les retraits et les rappels de produits à base de graines de sésame importées d'Inde ne respectant pas les normes minimales requises dans l'Union européenne.

* 203 Rapport d'information n° 368 (2020-2021) de M. Laurent Duplomb, fait au nom de la commission des affaires économiques, déposé le 17 février 2021, sur les retraits et les rappels de produits à base de graines de sésame importées d'Inde ne respectant pas les normes minimales requises dans l'Union européenne.

* 204 Lors de l'examen de la loi du 14 décembre 2020 relative aux conditions de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques en cas de danger sanitaire pour les betteraves sucrières, en complétant l'article L. 236-1 A du code rural et de la pêche maritime.

* 205 Arrêté du 21 avril 2016 portant suspension d'importation et de mise sur le marché en France de cerises en provenance d'États membres ou de pays tiers où l'utilisation de produits phytopharmaceutiques contenant la substance active diméthoate est autorisée en traitement des cerisiers.

* 206 Arrêté du 21 février 2022 portant suspension d'introduction, d'importation et de mise sur le marché en France de viandes et produits à base de viande issus d'animaux provenant de pays tiers à l'Union européenne ayant reçu des médicaments antimicrobiens pour favoriser la croissance ou augmenter le rendement.

* 207 Directive 2003/87/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 octobre 2003 établissant un système d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre dans la Communauté et modifiant la directive 96/61/CE du Conseil.

* 208 Production d'électricité, réseaux de chaleur, acier, ciment, raffinage, verre, papier, etc.

* 209 Les « havres de pollution » sont des économies dans lesquelles il est moins coûteux de polluer, en raison d'une fiscalité et d'une réglementation environnementales encore peu développées.

* 210 Haut Conseil pour le climat, Maîtriser l'empreinte carbone de la France , 2020. En ligne : https://www.hautconseilclimat.fr/wp-content/uploads/2020/10/hcc_rapport_empreinte-carbone.pdf .

* 211 On désigne par « effet rebond » une déperdition de gains d'efficacité énergétiques à cause d'un accroissement de la consommation précisément rendu possible ou facilité par lesdits gains d'efficacité.

* 212 Michael E. Porter et Claas van der Linde, Toward a New Conception of the Environment-Competitiveness Relationship , 1995, The Journal of Economic Perspectives . En ligne : https://www.jstor.org/stable/2138 392 .

* 213 Rapport particulier du Conseil des prélèvements obligatoires, janvier 2019. En ligne : https://www.ccomptes.fr/system/files/2019-09/20 190 918-rapport-particulier1-CPO-fiscalite-environnementale.pdf .

* 214 OCDE, 2015. En ligne : https://www.oecd-ilibrary.org/docserver/5js37p21grzq-en.pdf ?expires=1654 270 820&id=id&accname=guest&checksum=159AD0634219E9A1DA9DFE8522A48 744 .

* 215 Kuusi T., Björklund M., Kaitila V., Kokko K., Lehmus M., Mehling M. et M. Wang (2020), Carbon Border Adjustment Mechanisms and Their Economic Impact on Finland and the EU , Publication of the Finnish Government's analysis, assessment and research activities.

* 216 Il s'agit d'un « mécanisme » et non d'une « taxe » car il correspond à l'extension du marché carbone existant aux importations.

* 217 C. Bellora et L. Fontagné, « L'UE en quête d'un mécanisme d'ajustement carbone compatible avec l'OMC », avril 2022, Cepii. En ligne : http://www.cepii.fr/blog/bi/post.asp ?IDcommunique=932 .

* 218 Déclaration du DG Taxud devant la commission Agriculture du Parlement européen en novembre 2021.

* 219 Op. cit. En ligne : http://www.cepii.fr/blog/bi/post.asp?IDcommunique=932

* 220 Caroline Mini, Eulalie Saïsset, « Ajustement carbone aux frontières. L'Europe à l'heure des choix », La Fabrique de l'industrie, novembre 2021. En ligne : https://www.la-fabrique.fr/fr/publication/ajustement-carbone-aux-frontieres-leurope-a-lheure-des-choix-2/

* 221 En ligne : https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/ ?uri=CELEX :52021PC0564&from=en .

* 222 Selon l'accord interinstitutionnel sur le budget et les ressources propres de décembre 2020.

* 223 Cf. ce focus du Conseil d'analyse économique : « Pour que l'objectif environnemental de cette mesure soit crédible, il conviendrait d'allouer le produit du MACF aux politiques communautaires ou internationales de lutte contre le réchauffement climatique . » https://www.cae-eco.fr/staticfiles/pdf/cae-focus059.pdf

* 224 En ligne : https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/A-9-2022-0160-AM-238-239_FR.pdf

* 225 https://www.diw.de/documents/publikationen/73/diw_01.c.812 870.de/dp1935.pdf .

* 226 Conférence/Débat sur la politique commerciale européenne, Chambres d'agriculture France, 2021. En ligne : https://www.youtube.com/watch ?v=-chzP2PXPks .

* 227 Cette nouvelle plateforme de discussions, structurée en groupes de travail thématiques (nouvelles technologies, contrôle des exportations, filtrage des investissements...) s'est réunie pour la première fois en septembre 2021 à Pittsburgh, puis une seconde fois à Saclay en mai 2022. En ligne : https://www.economie.gouv.fr/pfue-conseil-commerce-technologies-cct-union-europeenne-etats-unis#

* 228 En ligne : https://www.ft.com/content/4f0efe18-b6b6-4d93-af99-ad96d1254111

* 229 Guillaume Gaulier et Vincent Vicard, « Le Covid-19, un coup d'arrêt à la mondialisation ? », blog du Cepii, avril 2020. En ligne : http://www.cepii.fr/BLOG/bi/post.asp ?IDcommunique=806

* 230 https://trade.ec.europa.eu/doclib/docs/2021/september/tradoc_159 794.pdf

* 231 Mesure dans laquelle des préférences tarifaires accordées dans le cadre d'un accord commercial sont utilisées.

* 232 Par classe de taille d'entreprise, il faut entendre : microentreprises, petites entreprises, entreprises moyennes ou grandes entreprises.

* 233 Règlement (UE) 2019/2152 relatif aux statistiques européennes d'entreprises, abrogeant dix actes juridiques dans le domaine des statistiques d'entreprises (OJ L 327, 17.12.2019, p. 1-35)

* 234 - Early Posting of Federal Acquisition Regulation Final Rule on Amendments to the FAR Buy American Act Requirements (FAR Case 2021-008).

En ligne : https://www.acquisition.gov/early-posting-of-FAR-final-rule/2021-008-news .

* 235 Claudine Desrieux et Kevin Parra Ramirez, « La commande publique peut-elle constituer un levier de relocalisation de l'activité ? », focus du CAE, avril 2021.

En ligne : https://www.cae-eco.fr/staticfiles/pdf/cae-focus058.pdf

* 236 Claudine Desrieux et Kevin Parra Ramirez, art. cit.

* 237 Conclu en 1994 dans le cadre de l'OMC, et remplacé depuis 2021 par une nouvelle version signée en 2012, cet accord plurilatéral établit des conditions minimales de réciprocité dans l'accès aux marchés publics entre ses 48 membres (dont les 27 États membres de l'UE).

* 238 Claudine Desrieux et Kevin Parra Ramirez, « La commande publique peut-elle constituer un levier de relocalisation de l'activité ? », focus du CAE, avril 2021.

En ligne : https://www.cae-eco.fr/staticfiles/pdf/cae-focus058.pdf

* 239 International Procurement Instrument.

* 240 Liste des parties à l'Accord de 1994, mis à jour en 2012 : https://www.wto.org/french/tratop_f/gproc_f/memobs_f.htm

* 241 Hoekman B. (2018) : « Behind the Border' Regulatory Policies and Trade Agreements », East Asian Economic Review , vol. 22, n° 3, cité par le focus du CAE pré-cité.
En ligne :
https://www.cae-eco.fr/staticfiles/pdf/cae-focus058.pdf

* 242 Mulabdic et Rotunno (2021), cité par le focus du CAE.

* 243 Loi clarifiant les usages légaux des données à l'étranger.

* 244 Loi relative aux communications stockées.

* 245 Microsoft v. United States, 14 juillet 2016.

* 246 Emmanuelle Mignon, « Le Cloud Act ou l'impuissance européenne démasquée », La revue des juristes de Sciences Po, 2019.

* 247 Audition du

* 248 Auditions de Scaleway et d'Hosteur du 9 mars 2022 ainsi que de Gaïa-X, du CISPE et du Cigref du 23 mars 2022.

* 249 Donald Trump (@realDonaldTrump), Twitter, 7 août 2018 : « Anyone doing business with Iran will NOT be doing business with the United States. »

* 250 En particulier, plus de 1 200 mesures restrictives individuelles (gels des avoirs, restrictions à l'entrée sur le territoire de l'UE) contre des individus et entités liés à l'invasion russe en Ukraine, interdiction d'importer en Europe du pétrole brut ou des produits pétroliers originaires de Russie, exclusion de la messagerie financière SWIFT (société dont le siège est en Belgique) des principales banques russes. Conseil de l'Europe, « Sanctions de l'UE contre la Russie liées à la situation en Ukraine (depuis 2014) ». En ligne (consulté le 8 juin 2022) : https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/sanctions/restrictive-measures-against-russia-over-ukraine/ .

* 251 Respectivement en charge de la régulation et de la concurrence équitable, et de la lutte contre la criminalité financière et les sanctions internationales.

* 252 Attitude excessivement prudente d'acteurs économiques, allant au-delà des prescriptions contenues dans les sanctions en intériorisant ces contraintes, afin de se prémunir de tout risque juridique.

* 253 Antoine Garapon, Astrid Mignon Colombet, « D'un droit défensif à un droit coopératif : la nécessaire réforme de notre justice pénale des affaires », 2016, Revue internationale de droit économique.

En ligne : https://www.cairn.info/revue-internationale-de-droit-economique-2016-2-page-197.htm

* 254 Une transaction est une sorte d'accord à l'amiable, très répandue dans la justice américaine

* 255 Loi relative aux pratiques de corruption à l'étranger.

* 256 Rapport d'information déposé par la commission des affaires étrangères et la commission des finances en conclusion des travaux d'une mission d'information constituée le 3 février 2016 sur l'extraterritorialité de la législation américaine. En ligne : https://www.assemblee-nationale.fr/14/rap-info/i4082.asp

* 257 Emmanuel Breen, Antoinette Gutierrez-Crespin, « Programmes de compliance : dix bonnes pratiques observées en France », in A. Gaudemet (dir.), La Compliance : un monde nouveau ? , novembre 2016. En ligne : https://laurentcohentanugiavocats.com/wp-content/uploads/2019/04/article-10-pratiques.pdf .

* 258 Recueil de preuves.

* 259 Grégoire de Warren, « Le cas de guerre économique Nord Stream 2 », École de guerre économique, avril 2022. En ligne : https://www.ege.fr/infoguerre/le-cas-de-guerre-economique-nord-stream-2 .

* 260 Fabrice Nodé-Langlois, « Pétrole : la Chine contourne l'embargo sur l'Iran », Le Figaro , août 2019. En ligne : https://www.lefigaro.fr/international/petrole-pekin-contourne-l-embargo-sur-l-iran-20 190 807 .

* 261 Convention pénale sur la corruption de 1999.

* 262 Convention sur la lutte contre la corruption d'agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales de 1999. Dans son rapport de phase 3 sur la mise en oeuvre de cette convention par la France, paru en octobre 2012, l'OCDE déplorait « le caractère limitatif de la responsabilité des personnes morales en France dans la mesure où cette dernière ne semble pas permettre la mise en oeuvre de la responsabilité pénale des sociétés mères pour les actes de corruption de leurs filiales, malgré l'affirmation du principe des autorités françaises sur ce point. »

* 263 Delphine Iweins, « La lutte contre la corruption internationale en net recul », Les Echos, décembre 2020. En ligne : https://www.lesechos.fr/monde/enjeux-internationaux/la-lutte-contre-la-corruption-internationale-en-net-recul-1271 167

* 264 Dans son rapport de phase 4 sur la mise en oeuvre de la convention de l'OCDE, cette dernière constatait que « les faiblesses du cadre législatif sur la responsabilité des entreprises restent un obstacle majeur à la mise en oeuvre [de la convention] en dehors de la CJIP. » En ligne : https://www.oecd.org/daf/anti-bribery/France-Phase-4-Report-EN.pdf

* 265 En ligne : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cion_lois/l15b4325_rapport-information# L'OCDE s'est en revanche dit « sérieusement préoccupée » s'agissant de la proposition, dans cette proposition de loi, de confier certaines compétences de l'AFA à la Haute Autorité pour la transparence dans la vie publique.

En ligne : https://www.oecd.org/daf/anti-bribery/France-Phase-4-Report-EN.pdf .

* 266 En ligne : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b4586_proposition-loi# .

* 267 Communiqué de Transparency International, décembre 2021. En ligne : https://transparency-france.org/actu/note-de-position-proposition-de-loi-n4586-visant-a-renforcer-la-lutte-contre-la-corruption-par-le-depute-raphael-gauvain/ .

* 268 Rapport Gauvain, Rétablir la souveraineté de la France et de l'Europe et protéger nos entreprises des lois et mesures à portée extraterritoriale , juin 2019.

En ligne : https://www.vie-publique.fr/sites/default/files/rapport/pdf/194 000 532.pdf

* 269 En ligne : http://www.justice.gouv.fr/publications-10 047/cjip-13 002/ .

* 270 En ligne : https://www.economie.gouv.fr/cedef/convention-judiciaire-interet-public-cjip .

* 271 En ligne : https://www.agence-francaise-anticorruption.gouv.fr/fr/convention-judiciaire-dinteret-public .

* 272 Aux États-Unis, les Républicains souhaitent ainsi rétablir la politique de pression maximale en cas de victoire aux élections de mi-mandat ou aux prochaines élections présidentielles.

* 273 En ligne : https://twitter.com/gerardaraud/status/1466824623 539 068 934 .

* 274 Eric Sandberg-Zakian, “INSIGHT : OFAC $7.8M Settlement With Swiss Company Expands Tech Enforcement”, Bloomberg Law, avril 2020. En ligne : https://news.bloomberglaw.com/white-collar-and-criminal-law/insight-ofac-7-8m-settlement-with-swiss-company-expands-tech-enforcement .

* 275 https://www.agence-francaise-anticorruption.gouv.fr/files/2018-10/2018-09_-_Cartographie_-D2AE.pdf .

* 276 Instrument de soutien aux échanges commerciaux.

* 277 Regroupement informel de l'Allemagne, de la France et du Royaume-Uni, qui étaient les trois pays les plus riches et les plus influents de l'Union européenne. Le groupe est surtout connu pour son implication dans les négociations sur le programme nucléaire iranien.

* 278 Les échanges sous sanctions légales ne sont pas concernés

* 279 Tytti Erästö, “European non-proliferation diplomacy in the shadow of secondary sanctions”, SIPRI Policy Brief, août 2020. En ligne : https://www.sipri.org/sites/default/files/2020-08/pb_2008_instex.pdf .

* 280 “Exclusive : Iran nuclear deal draft puts prisoners, enrichment, cash first, oil comes later - diplomats”, février 2022, Reuters. En ligne : https://www.reuters.com/world/exclusive-iran-nuclear-deal-draft-puts-prisoners-enrichment-cash-first-oil-comes-2022-02-17/

* 281 Un mécanisme suisse, ne couvrant que les entreprises de ce pays et collaborant étroitement avec l'OFAC via notamment des échanges d'informations, n'a pas la même portée qu'Instex au regard de la souveraineté économique.

* 282 Règlement (CE) n° 2271/96 du Conseil du 22 novembre 1996 portant protection contre les effets de l'application extraterritoriale d'une législation adoptée par un pays tiers, ainsi que des actions fondées sur elle ou en découlant. En ligne : https://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do ?uri=CELEX :31996R2271 :FR :HTML .

* 283 À ne pas confondre avec le règlement européen de blocage, de 1996.

* 284 “It is clear that American courts are not required to adhere blindly to the directives of such a [foreign blocking] statute. Indeed, the language of the statute, if taken literally, would appear to represent an extraordinary exercise of legislative jurisdiction by the Republic of France over a United States district judge.”

* 285 Décret n° 2022-207 du 18 février 2022 relatif à la communication de documents et renseignements d'ordre économique, commercial, industriel, financier ou technique à des personnes physiques ou morales étrangères.

* 286 Arrêté du 7 mars 2022 relatif à la communication de documents et renseignements d'ordre économique, commercial, industriel, financier ou technique à des personnes physiques ou morales étrangères.

* 287 Guide à usage des entreprises d'identification des données sensibles. En ligne : https://sisse.entreprises.gouv.fr/files_sisse/files/outils/guide/guide-identification-donnees-sensibles.pdf ?v=1647 428 454

* 288 Rapport d'information n° 17 (2018-2019) de M. Philippe Bonnecarrère fait au nom de la commission des affaires européennes, sur l'extraterritorialité des sanctions américaines, déposé le 4 octobre 2018. En ligne : http://www.senat.fr/rap/r18-017/r18-0176.html

* 289 Voir en ligne (en anglais) : https://afep.com/wp-content/uploads/2021/11/Afep-Comments-Blocking-Statute-Review-November-2021.pdf

* 290 En ligne : https://trade.ec.europa.eu/doclib/docs/2021/december/tradoc_159 958.pdf .

* 291 Voir en ligne (en anglais) : https://afep.com/wp-content/uploads/2021/06/AFEP-contribution-to-the-public-consultation-on-an-EU-anti-coercion-instrument.pdf

* 292 OCDE, « La résolution des affaires de corruption transnationale au moyen d'accords hors procès », 2020. En ligne : https://www.oecd.org/fr/corruption/anti-corruption/La-resolution-des-affaires-de-corruption-transnationale-au-moyen-d-accords-hors-proces.pdf

* 293 Emmanuel Breen, « La compétence américaine fondée sur le dollar : réalité juridique ou construction politique ? », Le Grand Continent, septembre 2020. En ligne : https://legrandcontinent.eu/fr/2020/09/02/dollar-breen-red/

* 294 Art. L. 151-3 du code monétaire et financier.

* 295 Art. R. 151-3 du code monétaire et financier.

* 296 Ce nombre inclut également les demandes déposées alors que l'entité objet de l'investissement n'exerce pas une activité « sensible », ainsi que celles sollicitant l'examen préalable de la DG Trésor quant à la nature sensible ou non de l'activité ciblée, avant même tout dépôt officiel de demande d'autorisation. Sur ce dernier point, 41 demandes d'examen préalables ont été clôturées par la DG Trésor en 2021, concluant dans 76 % des cas à l'inéligibilité des activités concernées au contrôle IEF.

* 297 Décret n° 2018-1057 du 29 novembre 2018 relatif aux investissements étrangers soumis à autorisation préalable.

* 298 La liste des technologies considérées comme critiques est fixée à l'article 6 de l'arrêté du 31 décembre 2019 relatif aux investissements étrangers en France.

* 299 Décret n° 2019-1590 du 31 décembre 2019 relatif aux investissements étrangers en France et arrêté du 31 décembre 2019.

* 300 Arrêté du 27 avril 2020 relatif aux investissements étrangers en France.

* 301 Arrêté du 10 septembre 2021 relatif aux investissements étrangers en France.

* 302 Décret n° 2020-892 du 22 juillet 2020 relatif à l'abaissement temporaire du seuil de contrôle des investissements étrangers dans les sociétés françaises dont les actions sont admises aux négociations sur un marché réglementé.

* 303 Décret n° 2021-1758 du 22 décembre 2021 prorogeant l'abaissement temporaire du seuil de contrôle des investissements étrangers dans les sociétés françaises dont les actions sont admises aux négociations sur un marché réglementé.

* 304 Loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises.

* 305 Avant la loi Pacte, le ministre pouvait enjoindre à l'investisseur de ne pas donner suite à l'opération, mais pas de déposer une demande d'autorisation, ce qui pouvait conduire à pénaliser fortement des infractions même en cas de « bonne foi » de l'investisseur.

* 306 Les entreprises du secteur aéronautique restent soumises à de nombreuses incertitudes quant aux restrictions de déplacement dans le monde, par exemple.

* 307 Règlement (UE) 2019/452 du Parlement européen et du Conseil du 19 mars 2019 établissant un cadre pour le filtrage des investissements directs étrangers dans l'Union.

* 308 Article 4 du règlement européen.

* 309 Cette activité a été ajoutée à la liste française lors de l'entrée en vigueur du règlement européen.

* 310 Art. 40 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication.

* 311 En particulier les recommandations n° 9 et 10 du rapport d'information n° 603 (2019-2020) de MM. Alain Chatillon et Olivier Henno, fait au nom de la commission des affaires européennes et de la commission des affaires économiques, déposé le 8 juillet 2020.

* 312 Les acquisitions prédatrices ne sont pas propres au secteur du numérique et se retrouvent également, notamment, dans l'industrie pharmaceutique et plus largement dans les secteurs très concentrés.

* 313 Article 1 er du Règlement (CE) N° 139/2004 du Conseil du 20 janvier 2004 relatif au contrôle des concentrations entre entreprises, et article L. 430-2 du code de commerce.

* 314 Une entreprise qualifiée de « contrôleuse d'accès » est en mesure d'empêcher l'accès à un marché ou à un écosystème à d'autres entreprises.

* 315 Art. 12 du règlement « DMA ».

* 316 Autorité de la concurrence, communiqué de presse « L'Autorité se félicite de l'annonce de la Commission européenne, qui acceptera désormais que les autorités nationales de concurrence puissent lui renvoyer pour examen des opérations de concentration sensibles, y compris lorsqu'elles ne sont pas soumises au contrôle national », 15 septembre 2020.

* 317 En 2017, le directeur général des affaires internationales de CRRC avait indiqué que l'objectif était que les activités internationales du groupe représentent d'ici 2025 un tiers du chiffre d'affaires total.

* 318 https://www.lesechos.fr/industrie-services/tourisme-transport/la-commission-europeenne-rejette-la-fusion-alstom-siemens-962329.

* 319 Un marché biface est un marché dans lequel coexistent deux types de clientèles indépendantes entre elles (par exemple les utilisateurs d'un réseau social d'un côté, et les entreprises désireuses d'y faire leur publicité de l'autre côté, ou encore une plateforme de mise en relation de touristes d'un côté, et d'hôteliers de l'autre côté).

* 320 https://ec.europa.eu/competition-policy/system/files/2021-07/evaluation_market-definition-notice_en.pdf .

* 321 Rapport d'information n° 603 (2019-2020) de MM. Alain Chatillon et Olivier Henno, fait au nom de la commission des affaires européennes et de la commission des affaires économiques, déposé le 8 juillet 2020.

* 322 Livre blanc relatif à l'établissement de conditions de concurrence égales pour tous en ce qui concerne les subventions étrangères [COM(2020) 253 final].

* 323 Avis du Comité économique et social européen sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif aux subventions étrangères faussant le marché intérieur [COM(2021) 223 final -- 2021/0114 (COD)].

* 324 Vincent Vicard, « Réindustrialisation et gouvernance des entreprises multinationales », octobre 2020, Policy Brief du Cepii. En ligne : http://www.cepii.fr/PDF_PUB/pb/2020/pb2020-35_FR.pdf .

* 325 Derniers chiffres significatifs disponibles, avant l'année 2020, atypique car marquée par la pandémie de Covid-19, qui semble avoir davantage pénalisé les spécialisations françaises. Voir le dernier classement en ligne : https://fortune.com/global500/2021/search/ .

* 326 Voir en ligne la publication annuelle de référence de la Banque de France : https://publications.banque-france.fr/sites/default/files/medias/documents/bdp2019_rapport_annuel.pdf .

* 327 Pierre Cotterlaz, Sébastien Jean et Vincent Vicard, « Les multinationales françaises, fer de lance du commerce extérieur français, mais aussi de sa dégradation », mai 2022, lettre du Cepii. En ligne : http://www.cepii.fr/PDF_PUB/lettre/2022/let427.pdf .

* 328 La sortie d'une vague plus récente de cette enquête, sur les années 2018 à 2020, était imminente lors de la rédaction du rapport.

* 329 Charlotte Emlinger, Sébastien Jean et Vincent Vicard, « L'étonnante atonie des exportations françaises : retour sur la compétitivité et ses déterminants », février 2019, Policy Brief du Cepii. En ligne : http://www.cepii.fr/PDF_PUB/pb/2019/pb2019-24_FR.pdf .

* 330 Des principes de l'économie politique et de l'impôt, 1817 : « Nous savons cependant, par expérience, que bien des causes s'opposent à la sortie des capitaux. Telles sont : la crainte bien ou mal fondée de voir s'anéantir au dehors un capital dont le propriétaire n'est pas le maître absolu, et la répugnance naturelle qu'éprouve tout homme à quitter sa patrie et ses amis pour aller se confier à un gouvernement étranger, et assujettir des habitudes anciennes à des moeurs et à des lois nouvelles. Ces sentiments, que je serais fâché de voir affaiblis, décident la plupart des capitalistes à se contenter d'un taux de profits moins élevé dans leur propre pays, plutôt que d'aller chercher dans des pays étrangers un emploi plus lucratif pour leurs fonds. » En ligne (p. 87) : http://classiques.uqac.ca/classiques/ricardo_david/principes_eco_pol/ricardo_principes_1.pdf

* 331 Charnoz et al., 2018.

* 332 En ligne : https://fortune.com/franchise-list-page/visualize-the-global-500-2021/ .

* 333 Voir en particulier, Landier et al., 2009, “Trade-Offs in Staying Close: Corporate Decision Making and Geographic Dispersion”, Review of Financial Studies. En ligne : https://pages.stern.nyu.edu/~alandier/pdfs/Staying%20Close.pdf

* 334 Cyprien Batut, Chakir Rachiq, « Les dispositifs de partage de la valeur en France et en Europe », juin 2021, Trésor-Eco. En ligne : https://www.tresor.economie.gouv.fr/Articles/f3d14d32-357f-42a9-addc-d6a2f3f29318/files/3c6ddb3b-4dff-4b1c-9740-9a31ee480cd5

* 335 Une loi allemande de 1976 a institué une codétermination dite « quasi paritaire » (égalité numérique, mais voix prépondérante aux représentants des actionnaires) dans les conseils de surveillance des entreprises allemandes de plus de 2 000 salariés, encore en vigueur. Une parité réelle est même prévue dans le cas particulier des entreprises minières et sidérurgiques de plus de 1 000 salariés, secteur exposé à la concurrence internationale.

* 336 Voir en ligne : https://www.boeckler.de/pdf/mbf_co_determination_french.pdf

* 337 Art. L. 225-27-1 du code de commerce.

* 338 « Codetermination, Efficiency and Productivity », Felix Fitzroy et Kornelius Kraft, British Journal of Industrial Organization, 2005 ; « Codetermination and innovation », Kornelius Kraft, Jörg Stank et Ralf Dewenter, Cambridge Journal of Economics, 2011

* 339 Article L. 225-30-2 du code de commerce.

* 340 André Gauron et Vincent Chartlet, « Réussir la mise en place des administrateurs salariés », La Fabrique de l'industrie, 2013. En ligne : https://www.la-fabrique.fr/wp-content/uploads/2014/06/N6-R%C3%A9ussir-la-mise-en-place-des-administrateurs-salari%C3%A9s.pdf

* 341 L'article L. 470-2 du code de commerce prévoit, depuis la loi Sapin II, le « name and shame » systématique des entreprises sanctionnées au titre des délais de règlements non respectés, via une publication sur le site de la DGCCRF. Voir en ligne : https://www.economie.gouv.fr/dgccrf/sanctions-delais-paiement

* 342 Ainsi, selon Euler Hermes, « le déficit de financement bancaire des PME françaises s'est accentué ces dernières années, et devrait s'élever à 9 % du PIB en 2019. La France fait ainsi partie des 3 pays de la zone euro où le déficit de financement bancaire des PME est le plus important, avec les Pays-Bas et la Belgique. » En ligne : https://www.allianz-trade.fr/actualites/deficit-financement-bancaire-pme-europeennes.html

* 343 Inspection générale des Finances, Dispositif de financement public à l'exportation », décembre 2013. En ligne : https://www.igf.finances.gouv.fr/files/live/sites/igf/files/contributed/IGF%20internet/2.RapportsPublics/2013/2013-M-082.pdf

* 344 https://www.adcf.org/files/Finances-et-fiscalite/2018-M-025-02.pdf

* 345 https://www.cae-eco.fr/Les-impots-sur-ou-contre-la-production.

* 346 https://www.adcf.org/files/Finances-et-fiscalite/2018-M-025-02.pdf.

* 347 Budgets inférieurs à 10 millions d'euros et 5 millions d'euros respectivement.

* 348 La Direction générale des entreprises en l'occurrence.

* 349 https://www.ccomptes.fr/fr/documents/57280.

* 350 http://www.senat.fr/rap/r21-202/r21-2021.pdf.

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