C. UNE LOI INCOMPLÈTE, DONT CERTAINES LACUNES SE SONT RÉVÉLÉES À L'OCCASION DES NÉGOCIATIONS COMMERCIALES

1. Des clauses de révision des prix trop peu encadrées

Il ressort des travaux du groupe de suivi que les clauses de révision automatique des prix (entre industriels et distributeurs) ont été le parent pauvre des négociations commerciales du « round n° 1 ».

Alors que les tensions inflationnistes, débutées au second semestre 2021 et accentuées en 2022, et les divergences d'interprétation du nouveau cadre réglementaire issu d'Egalim 2 ont encore renforcé l'âpreté des négociations, et ont souvent retardé ces dernières, la définition de ces clauses semble avoir été « bâclée » : elles n'ont fait l'objet que d'une attention relative à la toute fin des négociations. C'est d'autant plus regrettable que leur bon fonctionnement aurait pu, dans une certaine mesure, éviter les multiples renégociations (débats tendus, parfois portés sur la place publique, nécessité d'y consacrer des effectifs alors que la clause de révision est, elle, automatique, etc.).

Mal conçues, elles ont en outre donné lieu à des pratiques pouvant s'apparenter à des abus . D'une part, les industriels ne semblent pas s'y être préparés suffisamment, les conduisant dans l'ensemble à formuler des propositions trop peu expertisées quant aux conditions de déclenchement de ces clauses.

D'autre part, selon certains pouvoirs publics entendus, les distributeurs auraient choisi de fixer des conditions de déclenchement à des niveaux inatteignables , dénaturant l'objectif de ces clauses. Par exemple :

• délais de mise en oeuvre de neuf mois (c'est-à-dire que la hausse résultant de la clause de révision automatique ne s'applique que près d'un an plus tard, donc lorsque les nouvelles négociations annuelles ont débuté) ;

• seuils de déclenchement à partir de 30 % ou 50 % de hausse , de telle sorte qu'une hausse de 25 % n'est pas considérée comme suffisante pour réviser le tarif, etc. ;

• clause de révision qui ne s'applique que pour une seule matière première agricole (souvent celle qui n'a, justement, pas beaucoup augmenté).

Il semble également que certains distributeurs aient profité de cette clause et de la nécessité de connaître un minimum de détails quant à la composition du produit pour la définir, pour demander un grand nombre d'informations très précises sur la composition du tarif . Dans certains cas, la signature de la clause était conditionnée à cette transparence accrue, voire « exagérée ».

En outre, un nombre important de contrats ne comporterait donc pas de telle clause à l'heure actuelle, en dépit de l'obligation légale. Selon la DGCCRF, ce serait le cas de 20 % des contrats.

Il convient de noter que, dans certains cas, tant les industriels que les distributeurs n'ont pas souhaité accorder trop d'importance à ces clauses de révision . Cela résulterait notamment du fait qu'en période d'inflation, les industriels y sont favorables et les distributeurs défavorables, mais en période de déflation, les premiers y deviennent défavorables tandis que les seconds y sont favorables. Au final, il semble qu'elles n'aient pas toujours retenu leur attention.

Les distributeurs font légitimement état, par ailleurs, du fait que ces clauses peuvent les conduire à être désavantagés par rapport à leurs concurrents . Rien n'interdit à un fournisseur, en effet, de proposer des clauses de révision qui soient différentes d'un distributeur à un autre (par exemple, une clause qui entraîne une révision moindre du prix pour tel distributeur, une clause qui se déclenche plus tardivement pour tel distributeur). Inversement, cette soustraction des clauses de révision automatique au principe de non-discrimination, confirmée par la FAQ du ministère de l'agriculture, encourage implicitement les distributeurs à négocier durement ces clauses , afin d'être sûrs de bénéficier d'une clause très avantageuse, ou à tout le moins identique à celle de leur concurrent.

Recommandation , applicable à compter de la fin de la période fortement inflationniste actuelle :

- encadrer dans la loi le délai d'application effective de la clause de révision automatique une fois qu'elle est enclenchée (par exemple : la hausse de tarif qui en résulte doit être mise en oeuvre au maximum un mois après le déclenchement de la clause) ;

- préciser que le seuil de déclenchement ne peut être supérieur à un taux fixé par voie réglementaire (par exemple : le seuil de déclenchement ne peut être fixé à un niveau supérieur à 15 % d'augmentation de la MPA) ;

- spécifier que la clause s'applique à chacune des MPA entrant dans la composition du produit.

Cette recommandation nécessite de modifier le III de l'article L. 443-8 du code de commerce.

2. L'intervention post-négociation du tiers indépendant dans le cas de l'option n° 3 semble trop tardive

L'article L. 441-1-1 du code de commerce prévoit que le fournisseur, lors de l'envoi de ses conditions générales de vente au distributeur, peut choisir entre trois options pour indiquer la part que les MPA représentent dans son tarif :

• option n° 1 : afficher le détail de chaque MPA (en volume du produit et en pourcentage du tarif). Par exemple : dans ce yaourt aux fraises, le lait entre pour 80 % du volume du produit et 55 % du tarif demandé, et les fraises pour 5 % du volume et 20 % du tarif ;

• option n° 2 : afficher la part agrégée des MPA (en volume du produit et en pourcentage du tarif). Par exemple : dans ce yaourt aux fraises, les MPA représentent 85 % du volume du produit et 75 % du tarif demandé ;

• option n° 3 : ne rien afficher dans les conditions générales de vente. Dans ce cas, le fournisseur fait intervenir à ses frais un tiers indépendant (généralement son commissaire aux comptes) pour qu'il certifie, à l'issue de la négociation, que « la négociation n'a pas porté sur la part de cette évolution [du tarif fournisseur] qui résulte de celle du prix des MPA ». Il s'agit donc, ici aussi, de sanctuariser les MPA de telle sorte qu'elles ne fassent pas l'objet d'une négociation.

Dans l'ensemble, entre 70 et 80 % des fournisseurs ont opté pour cette option n° 3 . Les entreprises qui ont choisi l'option n° 1 ou 2 sont généralement des PME. Le fait que tant d'entreprises se soient tournées vers l'option n° 3 s'explique à la fois par le souhait de ne pas dévoiler trop d'informations à leurs clients distributeurs, et par le fait que les options n° 1 et n° 2 exigeaient un travail plus conséquent de décomposition de chaque produit, difficilement réalisable dans les délais impartis.

Or tous les acteurs entendus par le groupe de suivi, fournisseurs, distributeurs et pouvoirs publics, ont indiqué que l'application de cette option n° 3 avait soulevé des difficultés pratiques de mise en oeuvre .

D'une part, les négociations ont été encore plus tendues que d'ordinaire, car cette option n° 3 n'apporte que tardivement au distributeur la certitude que la hausse de tarif qui lui est demandée est justifiée par une réelle hausse des MPA. Et ce, d'autant plus que les options n° 1 et n° 2 apportent comparativement davantage d'informations au distributeur. Les négociations commerciales étant une période dans laquelle le degré de défiance entre les parties est élevé, et dans laquelle chacune semble soupçonner l'autre de dissimuler des informations , le choix de l'option n° 3 a pu être vécu par les distributeurs comme une tentative de se soustraire à l'exigence de transparence promue par Egalim 2. En période de forte hausse des tarifs demandés, les distributeurs ont légitimement souhaité savoir dans quelle mesure elles sont le reflet fidèle de la hausse de telle ou telle MPA (qui dépend de la part que représente la MPA dans la composition du produit), sans attendre la certification du tiers indépendant.

D'autre part, selon les acteurs de la grande distribution entendus par le groupe de suivi, les certifications post-négociation des commissaires aux comptes auraient, pour une large part, tardé à être envoyées aux distributeurs (parfois plusieurs mois après la fin des négociations). Un distributeur a notamment indiqué qu'en juillet 2022, 32 % des certifications liées aux négociations du 1 er mars n'avaient toujours pas été envoyées. Un élément d'explication semble être le fait que la Compagnie nationale des commissaires aux comptes a dû, « à la hâte », préparer un avis technique sur le sujet (la loi a été publiée en octobre 2021), rendu public en février 2022, ainsi que deux communiqués explicatifs, dont le dernier a été publié le 23 mars.

L'ensemble des professionnels entendus a estimé qu' une intervention plus en amont du tiers de confiance , par exemple au moment de l'envoi des conditions générales de vente du fournisseur, serait de nature à fluidifier les négociations et apaiser les tensions.

Certaines entreprises évoquent par ailleurs déjà leur souhait de recourir à l'option n° 2 lors des prochaines négociations, qui dévoile à peu près les mêmes informations que celles de toute façon nécessaires à la signature de la clause de révision automatique, sans conditionner la conclusion du contrat à l'intervention du tiers indépendant.

Recommandation : prévoir, dans le cas de l'option n° 3, que l'envoi des conditions générales de vente par le fournisseur soit accompagné d'une certification par le tiers indépendant, lorsque ces CGV font état d'une hausse du tarif liée à l'évolution du prix des MPA entrant dans la composition du produit. La certification permettrait d'attester que tel pourcentage de la hausse de tarif demandée est bien le reflet fidèle de la hausse du cours des MPA.

À cette occasion, le tiers indépendant pourrait également certifier la fiabilité du mode de calcul de la clause de révision automatique des prix proposée par le fournisseur.

Par ailleurs, le groupe de suivi partage l'analyse du médiateur des relations commerciales agricoles selon laquelle l'intervention plus précoce du tiers indépendant permettra également de « faciliter la formulation des clauses de révision qui doivent utiliser la même méthodologie de calcul pour le coût de la MPA que celle employée pour la hausse du tarif annuel. Cette certification précoce des méthodes par le tiers de confiance serait un moyen de garantir que ces clauses pourront fonctionner en cours d'année à la hausse comme à la baisse dans des conditions identiques à celles validées pour le tarif annuel 41 ( * ) ».

3. Une option n° 2 qui semble finalement peu utile

Le principe de l'option n° 2 était de permettre au fournisseur de ne communiquer dans ses CGV que la part agrégée que représentent les MPA dans son tarif fournisseur, par opposition avec l'option n° 1 qui prévoit le détail MPA par MPA.

Or dans les faits, l'information de la part agrégée est de toute façon connue du distributeur , via la clause de révision automatique du prix (obligatoire dans le contrat). En effet, la formule de cette clause implique généralement un coefficient de pondération , pour tenir compte de la part de MPA dans le coût de revient global du produit (par exemple : « si tel indicateur de MPA augmente de 25 %, cela se traduit par une hausse du tarif de 12,5 %, car cette MPA représente 50 % du coût de revient du produit »). Par conséquent, grâce à ce coefficient, le distributeur sait de toute façon quelle est la part de la MPA dans tel ou tel produit.


* 41 Médiateur des relations commerciales agricoles, Observatoire des négociations commerciales annuelles, Communiqué de presse de présentation des résultats, 9 juin 2022.

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