C. CONTRATS DE VILLE ET GÉOGRAPHIE PRIORITAIRE : DES OUTILS À ADAPTER

La loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine du 21 février 2014, dite « loi Lamy », a créé une nouvelle géographie prioritaire et relancé les contrats de ville qui sont le cadre de la mise en oeuvre locale de la politique de la ville et du partenariat entre les différents acteurs. Huit ans plus tard, la loi apparaît mal appliquée et appelle des améliorations pour une meilleure efficacité.

1. Géographie prioritaire, une adaptation nécessaire

En 2014, la loi Lamy a apporté un progrès important en simplifiant la géographie prioritaire, c'est-à-dire les zones dans lesquelles allaient s'appliquer la politique de la ville, en s'appuyant sur un critère unique, celui de la concentration de pauvreté .

a) La définition de la géographie prioritaire par la loi Lamy

Ainsi, dans son article 5, elle dispose que « Les quartiers prioritaires de la politique de la ville sont situés en territoires urbains et sont caractérisés par un nombre minimal d'habitants et un écart de développement économique et social apprécié par un critère de revenu des habitants. Cet écart est défini par rapport, d'une part, au territoire national et, d'autre part, à l'unité urbaine dans laquelle se situe chacune de ces quartiers ». Une analyse multicritère est mise en place dans les départements d'outre-mer faute de disposer des éléments statistiques pour appliquer le critère unique.

Concrètement, 1 514 QPV dans 859 communes ont été identifiés à partir de la part de la population ayant un revenu inférieur à 11 250 euros par an et concentrée dans des quartiers de plus de 1 000 habitants dans des agglomérations de plus de 10 000 habitants . 1 296 quartiers sont ainsi ciblés en métropole, 218 dans les départements d'outre-mer et en Polynésie. L'identification des quartiers prioritaires a été réalisée à partir des données élaborées par l'Insee des revenus fiscaux localisés (RFL) selon des carreaux de 200 mètres de côté. Un seuil de bas revenu a été calculé, pour chaque unité urbaine, à partir du revenu médian métropolitain et du revenu médian de cette unité urbaine. Les carreaux de 200 m de côté, dont plus de la moitié de la population est en dessous de ce seuil, sont ensuite détectés puis agglomérés pour former des ensembles dépassant les 1 000 habitants. Une fois l'identification opérée et un premier tracé réalisé, des échanges ont eu lieu avec les élus locaux afin de s'assurer de la cohérence du périmètre réglementaire du quartier prioritaire et, le cas échéant, l'ajuster sans pouvoir modifier les critères de population et de bas revenus.

Les périmètres des QPV ont été fixés par le décret n° 2014-1750 du 30 décembre 2014 pour la métropole et par le décret n° 2014-1751 du 30 décembre 2014 pour les départements et collectivités d'Outre-mer, rectifiés par le décret n° 2015-1138 du 14 septembre 2015.

Aujourd'hui, cette géographie prioritaire fondée sur un critère unique apparaît autant comme un acquis à conserver qu'à adapter .

b) La définition de 2014, un acquis à conserver...

C'est un acquis à conserver car il a permis une grande simplification et une meilleure lisibilité.

Il a mis fin au mille-feuille qui prévalait antérieurement et a réduit le nombre des quartiers ciblés qui était de l'ordre de 2 500. Avant 2014, quatre zonages se superposaient. L'article 42 de la loi n° 95-115 du 4 février 1995 d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire définissait trois zonages :

- les zones urbaines sensibles (ZUS) « caractérisées par la présence de grands ensembles ou de quartiers d'habitat dégradé et par un déséquilibre accentué entre l'habitat et l'emploi » ;

- les zones de redynamisation urbaine définies comme un sous-ensemble des ZUS et caractérisées par « des difficultés particulières, appréciées en fonction de leur situation dans l'agglomération, de leurs caractéristiques économiques et commerciales et d'un indice synthétique » ;

- les zones franches urbaines situées « dans des quartiers de plus de 8 500 habitants particulièrement défavorisés au regard des critères pris en compte pour la détermination des zones de redynamisation urbaine ».

À ces zones, il convenait d'ajouter les zones définies par les contrats urbains de cohésion sociale (CUCS) qui bénéficiaient des crédits de l'ancienne Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances (Acsé).

Le critère unique de revenu apporte donc également de la lisibilité car il se révèle comme le plus synthétique de tous les autres qui pourraient être retenus tels que les taux de logements sociaux, de chômage, de jeunes « NEET » 13 ( * ) , de familles monoparentales, d'étrangers... À l'époque d'ailleurs, avant de choisir ce critère unique, 36 indicateurs avaient été examinés.

c) Mais un acquis à actualiser

Si cette géographie prioritaire s'est révélée globalement pertinente, elle souffre de son absence d'actualisation et de sa rigidité .

L'article 5 de la loi Lamy prévoyait l'actualisation de la liste des quartiers prioritaires dans l'année du renouvellement général des conseils municipaux en métropole et tous les trois ans en outre-mer. En métropole, cela aurait dû être fait en 2020.

Huit ans après la loi, aucune actualisation n'a été réalisée. Or, d'une part, les données qui ont servi à son élaboration ont désormais plus de 10 ans et, d'autre part, la géographie prioritaire est déconnectée de la vie publique locale.

Nous soutenons donc la proposition de la Commission nationale sur les futurs contrats de ville de procéder sans plus attendre à une actualisation de la géographie prioritaire avant le 1 er janvier 2024, puis une clause de revoyure en 2026 pour se recaler sur une révision tous les six ans selon le rythme des élections municipales . Le rythme pourrait également être harmonisé entre l'outre-mer et la métropole, la différence ne se justifiant pas.

d) Les quartiers de veille active dans l'angle mort des contrats de ville

Cette actualisation conduira à s'interroger sur la prise en compte des quartiers dits de « veille active » (QVA) qui sortaient de la géographie prioritaire en 2014 et qui ont été créés par l'article 13 de la loi Lamy. Concrètement, à la demande du président de l'établissement public de coopération intercommunale et des maires concernés, les quartiers placés en dispositif de veille active pouvaient être intégrés au contrat de ville qui devait définir les moyens mobilisés dans le cadre des politiques de droit commun de l'État et des collectivités territoriales afin de conforter leur situation.

Ceci étant, dès 2017, dans son précédent rapport sur la politique de la ville, la commission des affaires économiques avait relevé les difficultés de ce concept flou et du manque de moyens associés .

En effet, dès cette époque, il s'avérait que les quartiers de veille active n'étaient pas réellement distingués des autres quartiers sous « observation » et qui ne sortaient donc pas de la géographie prioritaire, dans plusieurs contrats de ville examinés (Valenciennes, Lille, Aix-Marseille...). Cette interprétation avait d'ailleurs été validée par le ministère. Il serait donc souhaitable de mettre la lettre de la loi en conformité avec la pratique, d'élargir la notion de quartier de veille active aux « territoires d'observation » identifiés et d'actualiser la rédaction de l'article 13 en vue de la nouvelle génération des contrats de ville .

De plus, également dès 2017, le rapport constatait la disparité des moyens et le manque de suivi et d'évaluation effective autour de ces quartiers de veille. Globalement le nombre de ces quartiers n'était pas connu. Certains ont disposé de moyens spécifiques, d'autres non. Le fait même que le contrat de ville suppose une priorisation du droit commun en faveur des quartiers prioritaires et non des quartiers de veille, si un tel pléonasme et oxymore en même temps est possible, était un sujet d'inquiétude.

Cinq ans plus tard, ces constats sont confirmés. La plupart des interlocuteurs considèrent que les quartiers de veille active, concept créé pour accompagner le resserrement de la géographie prioritaire plus politiquement qu'opérationnellement, se révèle un angle mort de la politique de la ville. Sauf motivation locale expresse, ils sont peu suivis et l'actualisation de la géographie prioritaire sera le révélateur de leur évolution, pour partie spontanée, au cours des dix dernières années . Certains retomberont dans la géographie prioritaire, d'autres non, sans que personne ne se risque à un pronostic.

À cet égard, le travail réalisé par le Cerema pour Valenciennes Métropole dans le cadre de l'évaluation du contrat de ville est particulièrement éclairant. En effet, à Valenciennes, où la pauvreté diffuse est importante, le suivi des quartiers non prioritaires est un enjeu réel. Le Cerema a opéré une analyse multicritères de l'évolution de plusieurs types de quartiers sur les trois ou cinq dernières années selon la disponibilité des données. L'étude a confirmé la pertinence de la géographie prioritaire , les quartiers ciblés étant les plus en décrochage par rapport au reste de l'agglomération, mais pointe ses lacunes. Plusieurs QVA , comme la Cité du Corbeau ou Les Fontinettes, ont aujourd'hui des caractéristiques similaires à celles des QPV et six autres quartiers témoins, moins denses ou plus petits, pourraient eux-aussi rejoindre la géographie prioritaire si la réglementation le permettait.

e) Un assouplissement attendu de la géographie prioritaire

Au-delà de l'actualisation, c'est donc bien la question de l'assouplissement des critères de la géographie prioritaire qui est posée . Elle paraît trop rigide, a des « trous dans la raquette » et laisse des poches de pauvreté non traitées.

Il s'agit des zones de « pauvreté horizontale », comme dans le bassin minier, de petits quartiers ou de zones diffuses de centre-ville. Sont également évoquées certaines zones d'habitat insalubre ou de copropriétés dégradées. Cette problématique était déjà soulevée dans le rapport de la commission des affaires économiques en 2017 en prenant les exemples de Lille, Aulnay-sous-Bois et Aix-Marseille. C'est toujours exact. Au sein de la métropole européenne de Lille, deux tiers des ménages pauvres vivent en dehors des QPV .

Cette problématique est encore plus prégnante aujourd'hui du fait de ses conséquences politiques, et il nous faut lutter contre un certain autisme lié à la défense du zonage pour le zonage qui estime inévitable, voire nécessaire, la création d'effets de frontière entre ceux qui sont dans la politique de la ville et ceux qui n'y sont pas.

Les problèmes de zonages sont répandus. Si le bassin minier apparaît comme la principale victime du carroyage et du ciblage d'une densité de pauvreté, beaucoup d'autres villes grandes ou petites semblent touchées par ce phénomène. Le maire de Saint-Dizier , Quentin Brière, utilisait l'expression de « couture urbaine » . Et c'est bien de cela dont il s'agit. Dans sa ville, comme dans beaucoup d'autres très marquées par la différence entre l'ancienne ville nouvelle devenue QPV et le centre ancien, il y a un important travail à mener pour recréer une unité grâce à la voierie et aux équipements. Dans cette perspective, l'effet de césure entre le QPV du Verbois et le reste de la ville ne peut que nourrir le ressentiment car, justement, des quartiers pauvres comme la Cité de la Noue, à 30 mètres à peine de la mairie, ne sont pas éligibles. Cette situation a un impact politique que personne ne peut plus ignorer puisqu'elle fait le lit d'un vote massif en faveur des extrémismes aux dernières élections présidentielles et législatives.

À Tours , le maire, Emmanuel Denis, déplore le même phénomène. Il regrette que, à côté des sept QPV de la ville, les autres quartiers pauvres ne puissent bénéficier des mêmes aides. C'est particulièrement flagrant dans les écoles où se mélangent des élèves issus ou non de ces quartiers en fonction de la sectorisation. Les équipes de la métropole européenne de Lille regrettent, elles aussi, une situation impossible où, dans une même classe, il faut faire le tri entre un élève issu d'un QPV qui peut bénéficier d'un dispositif d'accompagnement et un autre, confronté aux mêmes difficultés qui n'est pas éligible .

À Tarbes comme à Tours, des phénomènes de diffusion de la pauvreté s'observent en centre-ville en dehors des QPV où la situation s'améliore, créant des poches plus ou moins diffuses au sein desquelles la pauvreté s'installe sans que l'on dispose des outils pour la traiter.

Les acteurs du logement social et des élus nous ont alertées sur les conséquences non maîtrisées des relogements hors QPV, qui peut conduire à handicaper des quartiers de veille active ou des quartiers non éligibles comme évoqués ci-dessus en y reconcentrant des familles en difficulté en profitant d'une offre de logement accessible.

f) Vers un rapprochement des zonages des différents ministères ?

À ces difficultés propres au zonage de la politique de la ville s'ajoutent les différences persistantes avec les zonages des autres ministères , principalement l'Intérieur et l'Éducation nationale. Dans le cas de l'Éducation nationale, il est vrai que la question est d'autant plus sensible que si les financements associés au REP relèvent du droit commun renforcé et couvrent l'établissement et tous les élèves, d'autres relèvent de la politique de la ville et bénéficient aux élèves issus des QPV.

L'idée d'un zonage unique est donc souvent évoquée, mais c'est certainement un objectif difficilement atteignable voire contreproductif . Il s'avère d'abord que les discontinuités relèvent plus de l'exception que de la règle . La Commission nationale sur les futurs contrats de ville a relevé que, sur 80 zones de sécurité prioritaire, seules 3 ne sont pas en QPV. De même, 84,8 % des établissements classés REP+ et 54,7 % de ceux classés REP sont situés dans un QPV ou à moins de 200 mètres. Ensuite, le zonage unique ne pourrait que renforcer les effets de frontière déjà abordés.

Surtout, dans l'Éducation nationale, il serait particulièrement difficile à appliquer et pourrait aller contre la mixité recherchée . En effet, le conseil départemental de Haute-Garonne a décidé de fermer à Toulouse deux collèges en difficulté , devenus des ghettos, pour en rénover trois autres et mettre en place des navettes pour assurer le brassage. Dans un esprit similaire de dézonage, l'académie de Paris a mis en place des secteurs multi-collèges où est expérimentée la « montée alternée », chaque collège accueillant l'ensemble des élèves une année sur deux. Enfin, à Val-de-Reuil , le maire, Marc-Antoine Jamet, joue sur la sectorisation des écoles pour assurer le brassage de la population. Le centre-ville étant classé QPV, il a mis en place une sectorisation en étoile permettant de répartir les enfants pouvant se trouver en difficulté et assurer la mixité. Dans cette perspective, l'école des Cerfs-volants va être détruite et une nouvelle école Victor-Hugo va être créée, dans le cadre du NPNRU, à la frontière entre la zone pavillonnaire et le QPV de centre-ville pour assurer la jonction entre ces deux univers, ce que nous avons pu constater au cours de notre visite sur place. Il en est de même pour les collèges. Après la destruction du collège Pierre-Mendès-France, les écoliers sont répartis entre trois collèges dont deux en dehors de Val-de-Reuil à Louviers et Pont-de-l'Arche.

*

Au final, sans remettre en cause le critère unique du revenu par habitant nous pensons nécessaire d'assouplir la définition de la géographie prioritaire .

Cette définition n'est fixée ni dans la loi, qui ne retient que des critères généraux, ni par un décret. Il est donc possible de jouer sur les seuils de 1 000 et 10 000 habitants . Déjà en 2014, ce choix avait permis de ne pas retenir que les grandes cités des banlieues des métropoles mais d'inclure, dans la géographie prioritaire, les QPV de villes de province telles Tarbes, Auch ou Uzès, comme l'a souligné François Lamy lors de son audition. Abaisser ces seuils permettrait donc de prendre en compte une partie des poches de pauvreté .

Certaines personnes auditionnées ont également évoqué la possibilité, dans le dialogue entre les élus et l'État, de prendre en compte les zones d'intervention de l'Agence nationale de l'habitat (ANAH) pour lutter contre l'habitat insalubre ou traiter les copropriétés dégradées .

L'actualisation de la géographie prioritaire, que nous appelons de nos voeux dès 2024, pourrait donc être l'occasion d'une adaptation pour tenir compte de ce retour d'expérience.

Dans cet objectif, nous proposons de modifier la rédaction de l'article 5 de la loi Lamy pour préciser que la liste des quartiers prioritaires établie par décret fait l'objet d'une consultation des élus et tient compte des analyses des besoins sociaux (ABS) également réalisées localement au cours de la première année de mandat 14 ( * ) .

Par ailleurs, lors de son audition, Kosta Kastrinidis, Directeur des prêts de la Banque des Territoires de la Caisse des Dépôts et Consignations, a appelé de ses voeux une convergence entre le programme Action Coeur de Ville (ACV) et les contrats de ville, aussi bien en termes de périmètre que de gouvernance , celle d'ACV ayant fait ses preuves. En effet, sur les quelques 1 300 QPV de métropole, 650 appartiennent à une ville qui participe au programme ACV . Il serait donc possible de redonner de la cohérence et une vision intégratrice à ces deux actions autour des maires. Cela garantirait un développement équilibré de la ville dans son ensemble, et apporterait une solution politique au ressentiment qui peut naître d'actions en faveur du QPV.

Recommandation n° 8 : Actualiser et adapter la géographie prioritaire

- Actualiser la géographie prioritaire pour le 1 er janvier 2024 et la recaler sur les élections municipales ;

- Modifier l'article 5 de la loi Lamy pour préciser le processus de définition des quartiers prioritaires incluant la consultation des élus et son adaptation sur la base des analyses de besoins sociaux ;

- Élargir et actualiser la rédaction de l'article 13 de la loi Lamy relatif aux quartiers de veille active ;

- Étudier le rapprochement des contrats de ville et du programme Action coeur de ville.

2. Contrats de villes, des améliorations attendues
a) Le cadre fixé par la loi Lamy

Les contrats de ville ont été relancés par l'article 6 de la loi Lamy de 2014. Ils ont pour ambition de fournir un cadre renouvelé, global et partenarial à l'intervention des pouvoirs publics dans les 1 514 quartiers prioritaires de la politique de la ville.

Il est conclu à l'échelle intercommunale. C'est le signe que les problèmes à l'échelle des quartiers peuvent trouver des solutions à un horizon plus large, celui de la ville et de l'agglomération. Là où seulement 40 % des contrats étaient intercommunaux avant 2014, 70 % des 435 contrats signés le sont désormais . Les exceptions se situent essentiellement en outre-mer où la possibilité de conclure un contrat à l'échelle communale existe toujours.

Le contrat de ville est conclu entre, d'une part, l'État et ses établissements et groupements d'intérêt public et, d'autre part, les communes et les EPCI concernés, les départements et les régions. Ils peuvent également l'être par la Caisse des dépôts et consignations, les organismes de logement social, de protection sociale, les chambres consulaires, les autorités organisatrices de la mobilité, les établissements d'enseignement supérieur, les fédérations sportives et les comités olympiques et paralympiques qui participent, chacun à leur mesure, à la politique de la ville.

Ils sont conclus pour six ans dans l'année de renouvellement des conseils municipaux. Ils peuvent être actualisés au bout de trois ans si les évolutions le justifient. Une instance de pilotage est constituée pour son élaboration, sa mise en oeuvre et son évaluation.

L'objectif du contrat est que, sur la base d'un projet de territoire, les signataires s'engagent à mettre en oeuvre des actions de droit commun. Le contrat est censé fixer les objectifs chiffrés que les signataires s'engagent à poursuivre, la nature des actions, les moyens humains et financiers mobilisés au titre du droit commun et de la politique de la ville, les moyens d'évaluation et les indicateurs de résultat qui seront suivis et la structure locale qui en sera chargée sur la base des directives de l'ONPV.

En application d'une circulaire du 15 octobre 2014, les contrats de ville reposent sur trois piliers, sachant que la loi précise expressément qu'ils doivent inclure des « actions stratégiques » dans le domaine de la jeunesse, de l'égalité entre les femmes et les hommes et dans le domaine du sport :

1. la cohésion sociale : le contrat de ville prévoit des mesures de soutien aux associations et aux équipements sociaux, culturels ou sportifs pour favoriser le lien social sur le territoire ;

2. le renouvellement urbain et le cadre de vie : le contrat de ville programme la réhabilitation ou la reconstruction de logements sociaux, le soutien aux copropriétés et l'accession à la propriété, la réalisation d'équipements collectifs et le développement de l'attractivité des quartiers ;

3. le développement économique et l'emploi : le contrat de ville mobilise les dispositifs du service public de l'emploi pour faciliter l'insertion professionnelle des habitants des quartiers.

Mais ce bel édifice, complexe et prévoyant de nombreux détails, n'a pas été complètement appliqué et il est devenu impératif d'en tenir compte alors qu'il est envisagé de conclure une nouvelle génération de contrats .

b) Un cadre contractuel à actualiser

La première nécessité est de rétablir la cohérence entre les contrats de ville et le temps des responsabilités locales . Conclus initialement pour six ans, ces contrats ont été prolongés à plusieurs reprises et finalement jusqu'en 2023, de telle sorte qu'ils auront duré près d'une dizaine d'années. C'est à la fois trop long et déconnecté des évolutions politiques locales et des projets territoriaux que les nouveaux conseils municipaux peuvent porter. Il est donc nécessaire de revenir au calendrier prévu par la loi Lamy , soit la signature de nouveaux contrats de ville d'ici au 1 er janvier 2024, parallèlement à l'actualisation de la géographie prioritaire, puis après les élections municipales de 2026, soit pour le 1 er janvier 2027.

Il est également absolument nécessaire de permettre aux contrats de ville de retrouver une cohérence suite à la réforme territoriale . En effet, il n'y a pas eu d'adaptation générale des contrats conclus antérieurement à la création des métropoles à statut particulier (Paris, Lyon, Marseille - loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles dite MAPTAM) et aux nouvelles intercommunalités issues de la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe), qui a impacté 273 communes concernées par la politique de la ville.

C'est notamment problématique pour l'application de l'article 12 de la loi Lamy (deuxième alinéa du VI de l'article 1609 nonies C du code général des impôts) qui instaure des objectifs de péréquation et de renforcement des solidarités financière et fiscale entre les communes membres sur la durée du contrat de ville. L'EPCI est censé s'engager avec les communes membres dans un pacte financier et fiscal de solidarité visant à réduire les disparités de charges et de recettes entre ces dernières ou à créer une dotation de solidarité communautaire.

c) Rendre le contrat de ville plus opérationnel

Ensuite, comme en matière d'habitat, il paraîtrait légitime de renforcer l'échelon intercommunal qui est le bon niveau pour apporter des solutions à de nombreux problèmes des quartiers, notamment en matière de réseau de transport ou d'emploi. Le niveau intercommunal est également le bon niveau pour le pilotage du contrat de ville qui en manque aujourd'hui, faute de chef de file identifié entre l'État et l'EPCI, ce dernier n'ayant pas de visibilité sur l'ensemble des flux financiers. Des moyens supplémentaires peuvent lui être accordés, comme aux communes, via la procédure de surclassement démographique auprès du préfet, qui est ouverte par l'article L. 313-3 du code général de la fonction publique . La population des quartiers prioritaires compte alors double. Son utilisation habituelle pour les communes touristiques pourrait être généralisée et mieux connue pour les communes et EPCI ressortant de la politique de la ville .

Cela ne peut toutefois avoir du sens que si le sujet fait vraiment partie des priorités et est incarné politiquement et administrativement, comme nous l'avons déjà souligné. Ce renforcement destiné à mieux faire fonctionner le contrat de ville, voire à faciliter l'expérimentation d'une délégation de crédits, ne doit pas non plus réduire le rôle du maire. Nos visites à Val-de-Reuil et à Allonnes nous ont montré combien le maire jouait dans ces quartiers un rôle essentiel d'écoute, d'impulsion et d'autorité. Il convient plus de le conforter que de l'affaiblir, car c'est lui qui est au contact des habitants et construit le lien social.

Les réflexions se portent ensuite sur les signataires du contrat de ville . Qui doit ou peut le signer ? La loi de 2014 a déjà été modifiée sur ce point par la loi du 27 janvier 2017, la LEC, qui a ajouté les établissements d'enseignement supérieur, et par la loi du 2 mars 2022 visant à démocratiser le sport, qui a ajouté les comités olympique et paralympique et les fédérations sportives. Actuellement, il y a deux catégories de signataires : ceux dont la participation est obligatoire - État, villes, EPCI, départements et régions, et une liste de ceux pour qui elle est facultative. Ces contrats ont fréquemment entre vingt et soixante signataires différents.

L'expérience prouve que rendre obligatoire la signature du contrat de ville ne garantit pas l'implication dans le contrat et la politique de la ville en général. C'est notamment le cas des départements et des régions qui sont très inégalement investis .

À l'inverse, un organisme qui a simplement la possibilité de signer le contrat de ville va le faire volontairement parce qu'il souhaite s'y impliquer et être partie prenante.

Ainsi, il semble que la signature obligatoire des contrats de ville par les bailleurs sociaux, outre qu'elle pourrait être la cause de blocage compte tenu de leur nombre, ne garantit aucunement d'accroître leur mobilisation ni le suivi de l'emploi de l'abattement de TFPB. Il convient par ailleurs de ne pas accroître la complexité et le côté « grand-messe » du pilotage des contrats de ville.

D'ailleurs, les contrats de ville sont actuellement massivement signés par les bailleurs sociaux, même si les données disponibles (qui datent de leur signature et n'ont donc pas changé) ne permettent pas de savoir si tous les bailleurs sont signataires.

Taux de conclusion des contrats de ville par les acteurs de la politique de la ville

Bailleurs sociaux

98 %

Conseils départementaux

98 %

Caisses d'allocations familiales

97 %

Caisse des dépôts et consignations

96 %

Conseils régionaux

95 %

Agences régionales de santé

94 %

Pôle Emploi

93,5 %

Chambres de commerce et d'industrie

58 %

En revanche, la question du suivi de l'emploi de l'abattement de TFPB doit être ajoutée à celle de rendre effectifs des engagements financiers chiffrés au contrat de ville .

Déjà en 2017, le rapport de la commission avait pointé cette difficulté, notant qu'en dehors des conventions d'abattements de la TFPB des bailleurs sociaux, les moyens financiers et humains étaient très rarement mentionnés dans les contrats de ville, contrairement à la lettre de la loi.

Outre un manque d'engagement ou la brièveté des délais pour élaborer les contrats, plusieurs raisons de fond étaient évoquées et sont toujours valides : la difficulté d'effectuer le diagnostic des moyens de droit commun mobilisables et de les programmer pour cinq ans, ainsi que la contradiction avec le principe d'annualité budgétaire. À cela s'ajoutent les changements de majorités politiques et de priorités parmi les principaux signataires sur la durée des contrats. De ce fait, dans certains cas des conventions ad hoc ont pu être conclues avec l'État en dehors du contrat de ville.

Il s'agit également que les contrats de ville délaissent les déclarations d'intentions pour développer des projets de quartiers concrets, opérationnels, dotés de moyens et encadrés par des délais . Ces objectifs doivent être chiffrables et évaluables. C'est d'ores et déjà inscrit dans la loi mais ce n'est pas appliqué .

« Qui trop embrasse, mal étreint » serait une bonne formule pour décrire la volonté des contrats de ville de prendre en compte la totalité des thématiques à travers des piliers et des axes transversaux ainsi que certains sujets rendus obligatoires par la loi (la jeunesse, le sport et l'égalité homme-femme). Néanmoins, certains souhaiteraient couvrir de nouveaux items comme le numérique, le vieillissement ou la transition écologique.

À la suite de la Cour des comptes, nous pensons qu'il faut, au contraire, assouplir le contenu des contrats de ville et faire confiance aux territoires pour déterminer les thématiques prioritaires en fonction des enjeux locaux, ainsi que les moyens de les atteindre sur l'ensemble de l'intercommunalité et au niveau de chaque quartier. Plusieurs personnes auditionnées ont souligné la complexité du dispositif actuel alors que, par exemple, la gouvernance du programme ACV permet d'agir efficacement beaucoup plus rapidement.

Dans cette vision plus opérationnelle, le contrat de ville pourrait inclure un volet investissement . C'est une demande de financeurs comme la Caisse des dépôts et consignations qui constate un faible dialogue entre ses interventions dans les QPV et la mise en oeuvre des contrats de ville. Ce volet pourrait permettre d'inclure des projets structurants pour le développement économique des quartiers et leur attractivité en améliorant le cadre de vie et les services à la population. Ces projets d'investissement viendraient également en complément des projets ANRU pour les quartiers qui n'y sont pas éligibles. Les sujets ne manquent pas : adaptation au changement climatique, mobilité, sport, adaptation au vieillissement... La Commission nationale sur les futurs contrats de ville soulignait pour sa part que cela pourrait permettre de donner corps au programme « Coeur de Quartier » évoqué par le Président de la République dans son discours de Tourcoing puis oublié, comme l'avaient souligné les maires dans leur appel de novembre 2020.

Enfin, l'évaluation est une grave défaillance des contrats de ville . Elle devait se faire dès le départ avec une méthodologie nationale et des acteurs identifiés. Dix ans après, chaque ville va procéder séparément à son évaluation selon des méthodes qui lui seront propres et en fonction des capacités d'expertise qu'elle pourra mobiliser. La loi n'a pas été appliquée .

Malheureusement, la méthodologie nationale n'a été diffusée qu'en 2017 sans qu'elle puisse être prise en compte dans l'élaboration des contrats de ville et de leurs objectifs.

Dans ce cadre, l'abattement de 30 % sur la taxe foncière sur les propriétés bâties des bailleurs sociaux doit faire l'objet d'une attention particulière, car il arrivera à échéance fin 2023 . Alors que l'Union sociale pour l'habitat (USH) évalue le montant des actions menées par les bailleurs à 273 millions d'euros en 2019, peu d'élus peuvent dire comment il est employé sur leur commune et s'il est à la hauteur du manque à gagner, alors qu'il n'est compensé qu'à hauteur de 40 % par l'État (66 millions d'euros). Pour mémoire, cet abattement, figurant à l'article 1388 bis du code général des impôts, est la contrepartie de leur engagement à améliorer la qualité de vie des habitants des quartiers prioritaires. Il est soumis à plusieurs conditions qui ont été renforcées à l'occasion de la loi de finances rectificative pour 2016 : la signature du contrat de ville par le bailleur et la conclusion d'une convention, annexée au contrat de ville, conclue avec la commune, l'EPCI et le préfet, relative à l'entretien et à la gestion du parc et ayant pour but d'améliorer la qualité du service rendu aux locataires. Enfin, les bailleurs sociaux doivent transmettre annuellement aux signataires du contrat de ville et au conseil citoyen les documents justifiant du montant et du suivi des actions entreprises en contrepartie de l'abattement.

Pour autant, dans son rapport public, la Cour des comptes remarquait que le contenu des engagements ne résultait pas obligatoirement d'une concertation avec les élus et l'État, et que leur non-respect ne permettait pas la récupération de l'abattement au profit de la commune .

Recommandation n° 9 : Rendre les contrats de ville plus opérationnels

- Retrouver la cohérence entre les contrats de ville et la temporalité des responsabilités locales ;

- Assouplir le cadre des contrats de ville pour en décentraliser la conception et l'exécution autour de priorités opérationnelles choisies et suivies au niveau de l'EPCI et quartier par quartier ;

- Ajouter aux contrats de ville un volet investissement ;

- Prolonger l'abattement de 30 % de TFPB au profit des bailleurs sociaux en QPV au-delà de 2023, sous réserve de définir et contrôler de manière partenariale son utilisation et d'améliorer sa compensation auprès des communes.


* 13 Not in Education, Employment or Training.

* 14 L'analyse des besoins sociaux est imposée par le décret n° 2016-824 du 21 juin 2016 qui a modifié l'article R. 123-1 du code de l'action sociale et des familles. Il revient aux centres communaux et intercommunaux d'action sociale de produire une analyse des besoins sociaux de l'ensemble de la population du territoire de leur ressort. Il s'agit d'un diagnostic sociodémographique à partir des données d'observation sociale du territoire. Ce diagnostic est établi avec l'ensemble des partenaires, publics ou privés, qui participent à la mise en oeuvre des actions de prévention et de développement social L'analyse des besoins sociaux fait l'objet d'un rapport présenté au conseil d'administration au cours de l'année civile qui suit chaque renouvellement général des conseils municipaux. Les années suivantes, des analyses complémentaires, notamment thématiques, peuvent être présentées au conseil d'administration lors du débat d'orientation budgétaire ou, à défaut, lors du vote du budget.

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