B. ENTRE LOCAL ET NATIONAL, HABITANTS, ASSOCIATIONS ET ENTREPRISES : UNE COMPLÉMENTARITÉ À AMÉLIORER

La politique de la ville est une politique partenariale impliquant de nombreux acteurs : l'État, les collectivités locales, des associations, les habitants et les entreprises qui sont souvent oubliées. Chaque acteur a son utilité. Chacun doit apprendre à collaborer. L'État peut financer et impulser mais il ne peut pas tout. Les collectivités financent et agissent, sont force de proposition et sont un maillon incontournable. Les associations sont souvent de véritables délégataires de la politique de la ville. La crise de la covid-19 a montré leur fragilité. Elles doivent être mieux soutenues. Depuis 2014, le législateur a eu la volonté de donner plus de place aux habitants mais les résultats en sont contrastés. Enfin, les entreprises restent peu investies. Leur rôle sera important pour insuffler une dynamique qui ne repose pas que sur des activités non marchandes.

1. Des missions nationales et des crédits à conforter

La politique de la ville est par principe une politique nationale car elle vise à assurer une égalité territoriale et à compenser des difficultés locales. C'est une manifestation de la solidarité nationale . Mais déclinée localement et aujourd'hui très largement déconcentrée, elle fait l'objet de demandes de décentralisation au profit notamment des grandes intercommunalités, à l'exemple des aides à la pierre, ce qui pourrait contribuer à vider de son contenu tout ministère de la ville.

La politique de la ville est également par nature une politique complémentaire et interministérielle . Elle intervient dans de nombreux domaines, de la sécurité à l'éducation en passant par l'activité économique. Mais cette intervention a toujours disposé de moyens limités au regard de l'action générale de l'État et des collectivités territoriales à travers le « droit commun ». Elle apporte un financement complémentaire visant à mener des actions spécifiques, souvent innovantes. La tentation est donc permanente soit d'en réduire les moyens et de la rendre inopérante, soit d'estimer que les moyens de la politique de la ville remplacent le droit commun.

Face à cette tension et à ce double risque de dilution de la politique de la ville, nous formulons plusieurs propositions.

a) Un pilotage interministériel à réaffirmer

Il est souhaitable que le ministre de la Ville soit un ministre de plein exercice placé auprès du Premier ministre . Il doit disposer d'une place et d'une autorité suffisante au sein du Gouvernement pour pouvoir articuler la politique dont il est responsable avec celles menées par les autres ministères. Pour la même raison, il n'est pas logique qu'il soit subordonné à une politique sectorielle qui aura tendance à l'enfermer et à l'empêcher d'avoir un rôle de coordination. La politique de la ville ne se résume pas, par exemple, à des questions de logement. Elle est plus large. Cette vision « bâtiment » aurait même tendance à empêcher la prise de conscience de la nécessité d'une politique active en faveur des habitants. Les anciens ministres de la Ville que nous avons entendus, François Lamy, Patrick Kanner, Hélène Geoffroy ou Jean-Louis Borloo ont plaidé en ce sens pour que la politique de la ville soit incarnée et dispose du poids politique nécessaire. Plusieurs ont évoqué la figure fondatrice du sénateur Michel Delebarre, récemment décédé, qui fut en tant que Ministre d'État, le premier ministre de la Ville de 1990 à 1992.

L'expérience récente confirme ce besoin. Après l'appel des maires de novembre 2020 afin de garantir qu'au moins 1 % du plan de relance serait consacré aux quartiers populaires, le Premier ministre Jean Castex a relancé à partir du 21 janvier 2021 les Comités interministériels des villes (CIV). Surtout, il a tenu un CIV décentralisé tous les six mois et organisé un comité de suivi tous les deux mois pour assurer la bonne exécution et l'animation de la mise en oeuvre du plan de relance en faveur des quartiers prioritaires. Il a pris à sa charge cette responsabilité interministérielle que le ministère de la Ville ne pouvait assurer de sa propre autorité.

Compte tenu de la décision prise par le Président de la République de revenir à la formule d'un ministre délégué à la Ville et au Logement, il est impératif que la Première ministre s'engage comme son prédécesseur et réunisse de manière semestrielle le CIV. Nous demandons donc sa réunion au plus vite , le dernier ayant eu lieu à Grenoble fin janvier 2022.

La question s'est également posée de savoir s'il serait pertinent de doter à nouveau le ministre de la Ville de sa propre administration , telle la Délégation interministérielle à la Ville qui existait par le passé. Elle a été démembrée au profit de l'ANRU, de ce qui est devenu l'ANCT et de la Direction générale des collectivités locales (DGCL). Si l'on perçoit l'intérêt d'une réunification des moyens administratifs sous une autorité politique bien identifiée, nous n'avons finalement pas retenu cette solution qui semble présenter plus d'inconvénients que d'intérêts. L'ANRU et l'ANCT sont deux structures aux métiers différents et disposant chacune d'une taille critique suffisante en termes d'effectifs et de budget. L'organisation actuelle n'affaiblit pas les moyens humains de la politique de la ville qui restent conséquents au sein des différentes structures. Au niveau local, les deux agences sont représentées par une seule personne, le préfet . Enfin, toute évolution de ce type bute sur le fait que l'ANRU est essentiellement financée par des crédits non-budgétaires apportés par les bailleurs sociaux et, à plus de 70 %, par Action Logement. La question est plus de savoir comment assurer la bonne coopération de ces agences et de la DGCL sans angle mort ou logique de silo.

b) Mieux identifier les crédits de droit commun

Au-delà du CIV, il est nécessaire de mieux identifier les crédits de droit commun et de droit commun renforcé dans chaque ministère, afin que les moyens de la politique de la ville ne s'y substituent pas comme c'est trop souvent le cas, devenant un « droit commun d'exception », si l'on s'autorise l'oxymore.

Le rapport Borloo de 2018 avait proposé la création d'une Cour d'équité territoriale pour permettre l'émergence d'un droit opposable au droit commun au bénéfice des villes ayant des quartiers prioritaires. Cette solution n'a pas été retenue car les élus et les différents acteurs de la politique de la ville ne souhaitent pas judiciariser leurs rapports avec l'État et l'ampleur des besoins dépasse la seule constatation juridique.

Il convient plutôt d'être capable de mieux territorialiser les politiques publiques et de mieux identifier ce qui ressort du droit commun, c'est-à-dire des politiques s'appliquant à tout le territoire, et ce qui relève du droit commun renforcé, c'est-à-dire de mesures spécifiques propres à certaines zones géographiques et pérennisées. L'éducation prioritaire ou les Quartiers de reconquête républicaine (QRR) sont les exemples les plus souvent cités de ce droit commun renforcé.

Il en résulte que les documents budgétaires aujourd'hui à la disposition du Parlement sont insuffisants pour mesurer la mobilisation du droit commun au regard des moyens spécifiques de la politique de la ville regroupés au sein du programme 147.

Sources : Rapport de la Commission nationale sur les contrats de ville, avril 2022, d'après les Documents de politique transversale (DPT ou « Orange budgétaire ») remis lors du PLF.

Le document de politique transversale publié dans le cadre du projet de loi de finances ne parvient que de manière limitée à rendre compte de l'effort de l'État en faveur des quartiers prioritaires ; il est pourtant dix fois plus important que le budget du ministère lui-même. Par ailleurs, l'an passé, il ne rendait pas compte du déploiement du plan de relance dans les QPV alors que cela représente plus d'un milliard d'euros .

Une première voie pour y parvenir serait de relancer les conventions d'objectifs interministérielles relatives à la politique de la ville . Voulues par François Lamy et portées par Jean-Marc Ayrault en 2012, cet encadrement du partenariat entre le ministère de la Ville et les autres ministères est ensuite tombé en désuétude faute de portage politique. Ce point figurait déjà parmi les recommandations du rapport de la commission des affaires économiques en 2017 qui demandait la signature d'une nouvelle génération de conventions interministérielles pour la période 2016-2020 au niveau national... Cet exercice reste essentiel pour identifier les mesures de droit commun et les inscrire dans la durée. Il a d'ailleurs été retenu dans les propositions, c'est la n° 27 de la Commission nationale sur les futurs contrats de ville.

Les conventions interministérielles d'objectifs pour la politique de la ville

Par circulaire du 20 novembre 2012, Jean-Marc Ayrault soulignait que les moyens spécifiques déployés par le ministère chargé de la politique de la ville ne sauraient suffire et que seul l'engagement de l'ensemble du Gouvernement était de nature à inverser la spirale de dégradation dans laquelle les quartiers prioritaires avaient été entraînés. Il rappelait donc la nécessité d'une mobilisation forte de toutes les politiques de droit commun et demandait à chaque ministre de conclure avec le ministre de la Ville des conventions d'objectifs pour garantir une mobilisation effective des politiques de droit commun au bénéfice des quartiers prioritaires. Ces conventions devaient préciser les engagements pris dans chaque domaine de compétence, pour la période 2013-2015, en termes d'objectifs opérationnels, de moyens mobilisés, d'adaptation qualitative des actions et des méthodes. Afin de faciliter la mesure des résultats, les objectifs devaient être assortis « d'indicateurs lisibles, simples et en nombre resserré ».

Ce travail d'identification du droit commun devra relancer le questionnement sur la spécificité des politiques menées à travers les moyens propres de la politique de la ville et celles qui devraient basculer dans le droit commun . L'Institut Montaigne a ainsi proposé dans son dernier rapport sur les quartiers pauvres de transférer le programme de réussite éducative (PRE) à l'Éducation nationale. La même question se pose pour les « quartiers d'été » et les « vacances apprenantes » qui sont des actions prolongeant la politique éducative et vis-à-vis de la jeunesse. La Commission nationale sur les futurs contrats de ville a posé une question similaire en estimant que les cités éducatives devaient relever des contrats de ville et non plus d'appels à projet spécifiques, plaidant donc pour leur généralisation.

Une autre solution pourrait être, trente ans après la création du ministère de la Ville et compte tenu de la poursuite de certaines actions propres à la géographie prioritaire, de pérenniser progressivement des enveloppes de crédits interministériels qui resteraient au sein du programme 147 plutôt que d'être transférés au sein d'autres missions et programmes budgétaires . Cela pourrait concerner les actions déjà mentionnées mais aussi, par exemple, la contribution à l'Établissement pour l'insertion dans l'emploi (EPIDE) pour la prise en charge des jeunes des quartiers. Le programme 147 serait ainsi composé d'actions récurrentes, d'une part, et de nouveaux projets ou d'expérimentation comme c'est traditionnellement le cas, d'autre part.

Ces travaux d'animation, de suivi et d'identification du droit commun et des moyens propres à la politique de la ville doivent converger pour rendre les crédits plus stables et prévisibles .

Au cours du dernier quinquennat, l'État s'est affranchi de sa contribution à l'ANRU laissant Action Logement et les bailleurs sociaux financer la rénovation urbaine. Au total, sur cinq ans, moins de 80 millions d'euros ont été versés par rapport aux 200 millions annoncés !

Beaucoup d'acteurs rencontrés ont montré combien il était difficile de mener localement des projets sans visibilité ni stabilité. Les crédits des programmes « quartiers d'été » ou « vacances apprenantes » ont pu ainsi être confirmés très tardivement et d'une année sur l'autre avec des volumes de crédits différents. Les associations doivent courir les appels à projets annuels pour assurer leur fonctionnement et le maintien de leur action courante.

Ainsi, à partir d'un socle mieux défini et sur la base de projets partagés à moyen terme, nous demandons au Gouvernement de mettre en chantier une Loi de programmation pour la Ville à l'instar de ce qui est fait pour les armées ou a pu l'être pour la sécurité intérieure ou la justice. L'État doit pouvoir planifier, sur une durée cohérente avec les futurs contrats de ville, c'est-à-dire avec la temporalité des élections locales, les moyens budgétaires qu'il met à disposition. Soit une première loi pour les années 2024-2026 puis une seconde, pour six ans, à compter de 2027.

Recommandation n° 3 : Conforter les moyens nationaux de la politique de la ville

- Convoquer rapidement le CIV par la Première ministre puis tous les six mois ;

- Préparer une loi de programmation pour la Ville pour garantir dans la durée les moyens de l'État en cohérence avec les contrats de ville ;

- Relancer des conventions d'objectifs entre les différents ministères et le ministère de la ville pour assurer la mobilisation du droit commun.

2. Une complémentarité entre national et local à approfondir

Si l'échelon national de la politique de la ville doit être consolidé, cela ne doit bien entendu pas conduire à revenir à une vision centralisatrice qui viendrait nier la capacité des collectivités territoriales à prendre des initiatives et à co-construire la politique de la ville avec l'État. Au contraire, c'est le dialogue et la complémentarité qui doivent être cultivés autour des préfets et des projets de territoire.

a) Passer des appels à projets à la co-construction

À cet égard, si la conduite de la politique de la ville, principalement à travers des appels à projets, a pu être un moyen innovant, elle est devenue un obstacle à sa réussite .

Partout les collectivités dénoncent la formule en raison de sa lourdeur, de l'instabilité des financements et de son caractère descendant. Pour beaucoup, l'appel à projet cache une politique de guichet permettant d'accéder à des financements supplémentaires à condition de se conformer aux critères requis par l'État. Les collectivités se plaignent de devoir faire la chasse aux appels à projets et de répondre à tout pour gagner quelque chose . Dès lors, la politique menée risque moins de correspondre à un projet de territoire que résulter d'une course au financement.

Ces multiples appels à projets sont d'autant plus lourds à suivre et à instruire qu'ils ne se limitent pas à ceux de l'ANCT. D'autres financeurs, de la Caisse d'allocations familiales (CAF) à l'Europe, viennent ajouter leurs calendriers et leurs exigences... Au final, ils éloignent les équipes du terrain sans procurer de ressources stables et permettant de garantir des emplois de qualité dans la durée . Pourtant, seule une action suivie est susceptible de changer les choses dans les quartiers prioritaires, sans quoi la déception nourrit le sentiment d'abandon et le rejet des institutions.

Pour autant, l'appel à projet peut rester un outil utile pour expérimenter et lancer des nouveaux projets s'ils s'inscrivent dans la complémentarité et le dialogue entre les collectivités et l'État. Les Cités éducatives et les Bataillons de la prévention en sont deux exemples récents .

• Les Cités éducatives

Concernant les Cités éducatives , il convient de rappeler que ce programme est issu d'une initiative de terrain, notamment à Clichy-sous-Bois et dont la généralisation avait été proposée par le rapport Borloo . Il vise à renforcer la coopération des acteurs de l'éducation et à organiser un continuum de la petite enfance à l'entrée dans la vie active. Le programme est piloté par l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) et la direction générale de l'enseignement scolaire (DGESCO). Il procède à la labellisation de stratégies locales suite à deux appels à projets successifs. À la rentrée 2019, 80 Cités éducatives ont été labellisées . Puis, lors du Comité interministériel des villes du 29 janvier 2021, 46 nouvelles Cités éducatives ont été annoncées, avec une cible de 200 d'ici fin 2022. Un appel à manifestations d'intérêt a été publié le 28 juin 2021 pour sélectionner les 74 derniers projets qui permettront d'atteindre cet objectif.

En termes de moyens, 100 millions d'euros ont été programmés sur la période 2019-2022 provenant du programme 147 « politique de la ville », soit environ un million d'euros par cité pour les trois ans de l'expérimentation. Des moyens humains de l'Éducation nationale sont également mobilisés, à savoir un principal de collège chef de file et un chef de projet opérationnel dans chaque Cité éducative.

Les Cités éducatives ne doivent pas constituer un dispositif supplémentaire, mais ont vocation à proposer une démarche innovante et coordonnée, qui s'appuie sur les dispositifs existants, parmi lesquels les programmes de réussite éducative (PRE), les Cordées de la réussite et Parcours d'excellence, ainsi que les Classes préparatoires intégrées et les parrainages.

Il est également notable que les Cités éducatives ont été dotées dès leur création d'un organe spécifique d'évaluation, le Comité national d'orientation et d'évaluation (CNOE), présidé par un parlementaire.

Dans le cadre de nos visites de terrain, nous avons recueilli des échos très positifs sur la mise en place des Cités éducatives dont la réactivité a été louée dans le cadre de la crise sanitaire pour éviter le décrochage.

C'est toutefois l'adaptation aux réalités locales et la capacité à créer une dynamique qui va permettre l'appropriation du projet et sa réussite . Par exemple à Allonnes , ce n'est pas le principal d'un des cinq collèges qui est le chef de file mais le proviseur du lycée d'enseignement général. En effet, le maire, Gilles Leproust, qui avait remarqué la faiblesse du nombre de jeunes issus des QPV au sein du lycée, et plus particulièrement en terminale scientifique, a souhaité donner le signal politique qu'il est possible pour le plus grand nombre d'accéder aux meilleures filières et lutter contre le déterminisme social qui conduirait ces jeunes uniquement en lycée professionnel.

À Nice et Saint-Laurent-du-Var , où la Cité éducative est labellisée depuis fin 2019, sa mise en place a donné lieu à un important travail partenarial entre les acteurs étatiques et locaux. Plusieurs sessions de formation ont permis de faire émerger les enjeux d'innovation et une culture commune. Parallèlement, un diagnostic complet des actions éducatives sur le territoire a été réalisé pour que la Cité éducative atteigne son but et ne soit pas une « couche en plus » portant sur le droit commun : que financent les intercommunalités ? Les communes ? Quels sont les liens avec les projets éducatifs territoriaux (PEDT) des communes ? Le plan mercredi ? Les accueils de loisirs ? Les pauses méridiennes ? Que finance l'éducation nationale ? Que finance la DRAC sur les questions liées à la culture ? Les mêmes acteurs se sont interrogés sur ce qui était déjà financé sur les crédits spécifiques de la politique de la ville, comme par exemple le dispositif « ville-vie-vacances ».

Cet important travail de remise en question des financements et donc des actions existantes a conduit chacun à se repositionner et à s'inscrire dans une vraie démarche commune coordonnée d'innovation. Le forum de la Cité Éducative du 30 avril 2022, qui a précédé notre visite sur place, a cristallisé la démarche et va favoriser la co-construction de projets. Le travail d'articulation des dispositifs existants (droit commun notamment) et de recherche des cofinancements va se poursuivre afin d'optimiser le dispositif et le rendre plus efficient. La motivation des acteurs est marquée et la volonté de faire ensemble est affichée.

• Les Bataillons de la prévention

Les Bataillons de la prévention peuvent apparaître comme un second exemple de la co-construction souhaitable entre l'État et les collectivités , notamment en raison des écueils et limites rencontrées par cette initiative de l'État.

Le lancement des Bataillons de la prévention a été annoncé lors du CIV du 29 janvier 2021  et leur contenu précisé lors du comité de suivi du 27 mars sous la présidence du Premier ministre. Il s'agissait de recruter 300 éducateurs spécialisés et 300 médiateurs sociaux, et de les déployer d'ici à fin 2021 dans 45 quartiers identifiés selon plusieurs critères : démographie (900 000 habitants au total, dont 120 000 jeunes âgés entre 11 et 25 ans), décrochage des jeunes vis-à-vis de l'emploi et de la formation (3/10 e des jeunes ni en emploi ni en formation, 1/6 demandeur d'emploi a moins de 26 ans), difficultés familiales (1/2 famille en dessous du seuil de pauvreté, 1/5 famille monoparentale) et enfin de synergie avec la politique de la ville (42 quartiers concernés par le NPNRU et 36 labellisés Cités éducatives). Sur cette base, le Gouvernement a demandé aux préfets de réaliser une concertation puis une contractualisation avec les collectivités et les associations, afin d'attribuer les 26 millions d'euros du programme.

Si le déploiement de médiateurs et d'éducateurs spécialisés dans les QPV a été sur le principe bien reçu, l 'initiative a n'a pas été unanimement saluée car la concertation n'a pas précédé la décision . Celle-ci aurait certainement fait apparaître que la prévention spécialisée était de la compétence des départements et dans plusieurs cas, comme dans les Yvelines, ceux-ci avaient déjà pris des initiatives dans le même sens sans attendre l'État. Par ailleurs, plusieurs acteurs du secteur ont regretté la faible qualification des emplois financés par l'État et la durée limitée à trois ans du programme soulevant de nombreuses questions sur les possibilités réelles de recrutement, de pérennité du dispositif et donc d'effets pouvant être atteints...

De fait, c'est bien dans le dialogue et la complémentarité des acteurs que le dispositif peut apporter les effets escomptés comme le montre son déploiement à Nice. C'est ce que nous avons constaté lors de notre visite dans le quartier de l'Ariane et de notre échange avec l'équipe préfectorale, d'une part, et l'équipe de médiateurs sur place, d'autre part.

Dans le département des Alpes-Maritimes, la mise en place de ce dispositif au sein du QRR qui regroupe les quartiers de l'Ariane et des Moulins, a permis de créer 22 postes se déclinant en six postes d'éducateurs spécialisés au sein de deux associations et 16 postes au sein de l'association ADAM, dont 12 d'adultes-relais dédiés à la médiation de rue (équipe financée par les Bataillons de la prévention), un poste de médiateur dédié à la tranquillité résidentielle (financé par les bailleurs via l'abattement de taxe foncière sur les propriétés bâties - TFPB), auxquels viennent s'ajouter deux postes FONJEP (Fonds de coopération de la jeunesse et de l'éducation populaire) de coordination (un poste créé et un poste redirigé) et un poste de conseiller à l'insertion professionnelle (financement PRIC de la Direction départementale de l'emploi, du travail et des solidarités - DDETS 06).

Un tel résultat est le fruit d'un travail d'ingénierie territoriale qui a permis d'optimiser les différents dispositifs existants et de les articuler avec le nouveau en réunissant un tour de table de financeurs pour au final améliorer le dispositif des Bataillons de la prévention et en assurer la pérennité au-delà de l'expérimentation . Ainsi, le tour de table a été élargi aux bailleurs pour le volet tranquillité résidentielle, à l'insertion professionnelle, à l'accès au droit et au sport.

Les postes de médiateurs qui sont la pierre angulaire de ce dispositif demandent une réelle qualification alors que le montant de la prise en charge des postes d'adultes-relais par l'État se limite à 80 % du SMIC , soit 20 072 euros par an. Compte tenu des importantes difficultés de recrutement de personnel qualifié, une revalorisation des salaires a été décidée . Ce surcoût a pu être absorbé par les bailleurs, le volet emploi à disposition de la Direction régionale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (DREETS), la Ville de Nice et le Fonds d'interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (FIPDR).

La partie relative à l'insertion professionnelle et au retour à l'emploi des jeunes est financée dans le cadre de l'axe 3 du Programme Régional d'Investissement par les Compétences (PRIC). Les médiateurs vont vers les jeunes qui sont dans la rue, sans emploi ni qualification, afin de mettre en place un parcours. À ce jour, la première session a démarré et 14 jeunes ont commencé le programme proposé par l'association ADAM.

Les bailleurs sociaux participent au financement de ce projet à hauteur de 91 100 euros, majoritairement à travers l'utilisation de l'abattement TFPB, soit 50 euros par logement social dans le quartier de l'Ariane qui en compte 1 822.

Enfin, l'insertion par et vers le sport a été ajouté au projet. Il s'agit d'une part, de proposer aux jeunes identifiés de participer à des ateliers sportifs pour leur montrer les possibilités de transposition de leurs compétences et, d'autre part, de leur faire connaitre les métiers du sport et de l'animation comme le Brevet d'aptitude aux fonctions d'animateur (BAFA) ou via le dispositif Sesame 11 ( * ) ...

b) Portage politique et demande de décentralisation des crédits

La question de la mobilisation du droit commun et le développement d'une vision transversale de la politique de la ville, importants au niveau national, le sont également au niveau local. Cette politique doit bénéficier d'un portage politique et administratif fort et identifié au sein de chaque acteur. C'est le témoignage que nous avons recueilli dans chacune de nos visites et au cours des nombreuses auditions. L'État dans le département à travers le préfet, le sous-préfet chargé de la politique de la ville et ses délégués est le premier acteur. Au sein des collectivités et plus particulièrement des métropoles et intercommunalités, il est souhaitable que la politique de la ville soit portée par un vice-président ou un adjoint important . C'est évident dans des zones où ces problématiques sont dominantes, cela l'est moins lorsque les quartiers prioritaires ne concernent que quelques communes ou un pourcentage limité de la population. Selon l'ONPV, sur 859 communes concernées, 230 sont les seules de leur EPCI à avoir un QPV. Pourtant si les problèmes sont au niveau du quartier, les solutions sont à l'échelle de la ville ou de l'agglomération, et c'est tout le sens de cet élargissement. Mais cette implication politique doit aussi se décliner dans l'organisation administrative des collectivités. La politique de la ville doit être positionnée au niveau de la direction générale des services et ne pas être traitée comme une politique sectorielle indépendante des autres car elle ne se résume ni aux problématiques de logement ni à des problèmes sociaux localisés.

Enfin, dans cette articulation entre l'État et les collectivités, se pose la question de la décentralisation des crédits de la politique de la ville qui sont d'ores et déjà largement déconcentrés. Nous en avons reçu la demande de plusieurs grandes collectivités qui voudraient se voir déléguer ces crédits comme le sont actuellement les aides à la pierre. Elles estiment en effet avoir besoin de l'ensemble des leviers pour mettre en oeuvre leurs priorités déclinées dans le projet de territoire qu'elles ont élaboré et ne veulent légitimement pas dépendre pour leur financement d'appels à projets de l'État.

Cette demande ne fait pas l'unanimité. Il n'est pas forcément opportun d'affaiblir le ministère de la Ville qui ne dispose que d'une enveloppe budgétaire limitée de l'ordre de 500 millions d'euros . Par ailleurs, les exemples des Cités éducatives ou des Bataillons de la prévention montrent qu'il peut y avoir un dialogue et des allers-retours féconds entre l'État et les collectivités pour diffuser au niveau national une initiative locale réussie ou pour relancer une action spécifique.

Le regroupement des crédits au sein d'une collectivité présente certes des avantages, mais a également des inconvénients car le préfet restera le représentant de l'ANRU et de l'ANCT ainsi que le responsable de la sécurité et du quartier de reconquête républicaine (QRR) s'il y en a un, problématique essentielle dans les QPV. Il y a donc une réelle cohérence d'action. Enfin, beaucoup d'acteurs locaux nous ont fait part de leur crainte de voir les crédits de la politique de la ville se dissoudre et perdre leurs spécificités comme par exemple la dotation de solidarité urbaine (DSU). Or, la DSU représente plus de 2,5 milliards d'euros, soit cinq fois plus que les crédits du programme 147. L'essentiel des crédits est donc déjà décentralisé.

À ce stade et compte tenu de la diversité des territoires et du niveau d'investissement des intercommunalités dans la politique de la ville, nous ne sommes pas favorables à une décentralisation générale des crédits mais à une expérimentation là où la demande se manifeste . Il faudra ensuite pouvoir procéder à son évaluation avant d'aller plus loin.

Recommandations n° 4 : Favoriser la complémentarité entre l'État et les collectivités locales,

- Inciter à un portage politique et administratif clair et transverse de la politique de la ville ;

- Expérimenter la délégation des crédits de la politique de la ville aux collectivités qui le souhaitent et soumettre ce dispositif à évaluation.

3. Associations - maillons faibles ou maillons forts ?

La politique de la ville a la spécificité d'être très largement déléguée à des associations. Cela permet de gagner en souplesse et en proximité. Cela permet aussi de favoriser l'implication des citoyens dans les solutions en faveur de leur quartier.

L'un des constats forts à l'issue de nos auditions et déplacements, c'est la grande fragilité du tissu associatif et la nécessité de modifier en profondeur la relation entre les financeurs et les associations .

a) Un essoufflement renforcé par des appels à projets systématiques

Les témoignages convergent pour souligner l'essoufflement des réseaux associatifs traditionnels . Le constat avait déjà été fait pour l'encadrement social assuré par le Parti communiste ou l'Église catholique. Il en serait de même, dans bien des quartiers, de l'éducation populaire, de certains centres sociaux ou d'associations antiracistes qui auraient du mal à être présents dans les quartiers et plus particulièrement le soir, le week-end ou pendant les vacances. Mais les élus constatent plus largement une fragilisation et une difficulté de renouvellement du tissu associatif . Cela peut s'expliquer par des d'équipes locales qui s'usent sans avoir su susciter ou trouver la relève nécessaire au noyau initial, phénomène qui a été renforcé ou révélé par la crise sanitaire. Mais il y a également des causes plus structurelles comme une certaine désaffection pour l'engagement collectif, la difficulté de réaliser des projets et de trouver des financements et l'insuffisance des programmes visant à permettre à des associations locales de se développer au-delà de leur quartier pour atteindre une envergure plus large voire nationale.

Concernant les appels à projets, les associations, plus encore que les collectivités, sont les victimes de cette modalité de financement qui est devenue systématique. Le plan de relance a ainsi conduit à en lancer plus de 80 ! Les financeurs ayant en général supprimé ou réduit les subventions de fonctionnement, les subsides ne sont plus accordés que dans ce cadre. Les associations doivent donc y répondre et obtenir les fonds pour espérer financer leurs structures. Les financeurs ne l'ignorent pas, comme d'ailleurs la précarisation du tissu associatif qui en résulte. En effet, il devient impossible pour une association d'embaucher à durée indéterminée des profils qualifiés sans avoir un minimum de visibilité sur sa trésorerie, sans compter le risque que peut représenter un ou plusieurs licenciements. À cet égard, l'ancienne Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances (ACSé) avait démontré, en 2014, qu'alors que 85 % des associations en France n'ont pas d'employé, 90 % des associations liées à la politique de la ville en ont car les pouvoirs publics leur délèguent des missions et la gestion des ressources humaines qui va avec.

La logique d'appels à projets limite leur capacité d'initiative car c'est le cadre de la compétition qui définit l'action à mener. Les appels à projets conduisent, en outre, à mettre de manière inutile en concurrence des territoires et des associations entre eux alors qu'elles peuvent être reconnues et mener une action de long terme sur un territoire.

Le mécanisme des appels à projets adopté par tous les financeurs induit également une grande complexité, car chaque financeur édicte ses conditions, son calendrier et sa procédure. À cela s'ajoute des appels à projets en cascade, une structure en ayant gagné un en organise un autre à son tour. Par exemple, il nous a été rapporté que lors d'une demande de contrat local d'accompagnement à la scolarité (CLAS), deux demandes doivent être déposées auprès de deux financeurs avec des calendriers et des plateformes différentes. Lors de son audition, les représentants de l'Inter-réseau du développement social et urbain (IR-DSU) ont dénombré plus de 14 organismes susceptibles de lancer des appels à projets à destination des quartiers prioritaires ! Pour eux, cette course à l'appel à projet produit une perte de cohérence avec les besoins du territoire tels qu'ils ont pu être définit.

Cette situation chronophage pour tous les acteurs exclut enfin les plus petites associations qui ne disposent pas des effectifs et des savoir-faire suffisants pour monter les dossiers , au bénéfice de grandes associations tête de réseau qui sont, elles, éloignées du terrain et moins à même de répondre au besoin et de créer un tissu de solidarité et une dynamique locale.

b) Simplifier, sécuriser, accompagner pour soutenir les associations

Face à cette complexité qui épuise les acteurs, il doit être possible de simplifier les procédures . L'IR-DSU a donné l'exemple de la mairie de Vitry-Le-François qui organise avec l'État, l'Agence régionale de santé (ARS) et la CAF une « journée du territoire », qui permet de réunir le même jour en un même lieu différentes instances de gouvernance et de pilotage . Outre le temps gagné, c'est surtout le sens qui est retrouvé autour d'une logique de projet de territoire et de dynamique partenariale.

Les petites associations doivent également bénéficier d'un accompagnement spécifique . Dans les Alpes-Maritimes, fin 2019, est né un dispositif dédié aux associations de grande proximité face aux difficultés d'instruction de la Direction départementale de la cohésion sociale (DDCS) confrontée à l'incomplétude des dossiers, à de nombreuses relances et in fine aux difficultés d'engager les crédits au profit d'associations composées de bénévoles et sans fonds de roulement important. La décision a alors été prise de confier une mission de soutien à deux associations mieux structurées : le collectif Ensemble sublimons l'animation (ESA) et l'Association de promotion et de professionnalisation de l'animation sportive et culturelle dans les Alpes-Maritimes (APPASCAM). Ces associations assurent également des formations au montage financier et à l'utilisation de la plateforme Dauphin, propre à la politique de la ville, par laquelle passent les appels à projets. Elles assurent le lien avec les délégués du préfet et ont permis de réduire significativement les cas non conformes et donc les délais d'engagement des crédits. Une centaine de projets a ainsi été coachée sur deux ans. Depuis 2022, le Service départemental à la jeunesse, à l'engagement et aux sports (SDJES) des Alpes-Maritimes a étendu ce dispositif aux financements du Fonds d'aide à la vie associative (FDVA) qui utilise une plateforme différente.

Au-delà des simplifications et de l'accompagnement, il convient de changer de paradigme et de privilégier des conventions pluriannuelles d'objectifs et de moyens (CPOM) pour sécuriser les financements. Une durée de trois ans est souvent évoquée. Parallèlement, le suivi et l'évaluation doivent être assurés. Au niveau national, l'ANCT nous a indiqué qu'environ 20 % de l'enveloppe sont désormais attribués sous cette forme, mais ce n'est pas encore le cas localement et plus particulièrement pour les plus petites associations. La CPOM doit devenir la règle au niveau préfectoral . On ne peut pas prédéfinir de pourcentage car il convient ni de figer l'enveloppe sur une durée trop longue et de se priver de réorienter, ni d'un mode de sélection efficace.

Dans la lignée de cette évolution, nous souhaitons que les financeurs préservent également une part de leur enveloppe pour les associations de grande proximité afin qu'elles ne soient pas évincées des subventions.

Enfin, pour renouveler et développer le tissu associatif nos auditions font apparaître le besoin de faire grandir les associations les plus prometteuses . Cela nécessite une volonté locale puis nationale dont l'un des instruments peut être la conclusion d'une CPOM. Nous pouvons en donner plusieurs exemples à des échelles différentes.

À Nice, l'association ADAM spécialisée dans la médiation et originaire du quartier prioritaire des Moulins, au sud-ouest, a pu bénéficier du programme des Bataillons de la prévention, pour étendre son action dans le quartier de l'Ariane au nord-est de la ville.

Dans les Hautes-Pyrénées, l'association Dans6T qui compte aujourd'hui 600 adhérents et 50 salariés, est dédiée à la pratique de la danse. Elle a été créée en 2001. Originaire du quartier Laubadère à Tarbes, elle s'est progressivement étendue dans trois autres quartiers et ouvrira en septembre une deuxième antenne à Lourdes. En 2005, une compagnie professionnelle a vu le jour qui se produit en France et à l'étranger. Lors de son audition, sa directrice, Leila Benaouali, a souligné que ce développement avait été possible grâce à la CPOM de trois ans signée avec le groupement d'intérêt public (GIP) Tarbes-Lourdes qui porte la politique de la ville, ainsi qu'avec la direction régionale des affaires culturelles (DRAC). Le soutien de la scène nationale du Parvis est également important pour la compagnie professionnelle.

Dans le domaine de l'entrepreneuriat, Bpifrance cherche également à développer des associations locales pouvant prendre une envergure nationale. My Creo Academy est ainsi née à Aulnay-sous-Bois en 2006 par la volonté de deux chefs d'entreprise, Mohammed Haddou et Moktar Farhat, qui voulaient faire bénéficier les autres de leur expérience acquise à l'occasion de la création de leur propre entreprise trois ans plus tôt. Ils ont reçu le soutien à partir de 2009 de L'Oréal puis de TF1 et de Randstad. L'intérêt de leur action pour faire mûrir les entrepreneurs et accélérer les projets a conduit Bpifrance à appuyer cette structure à partir de 2019. Grâce à cette aide, elle a ouvert des antennes à Toulouse, Montpellier et Marseille et change ainsi de dimension. Bpifrance a agi de même avec plusieurs autres associations.

Recommandation n° 5 : Soutenir le tissu associatif des quartiers

- Simplifier la gestion des appels à projets et les réserver à l'innovation et l'expérimentation ;

- Privilégier les conventions pluriannuelles d'objectifs et de moyens ;

- Accompagner de manière spécifique les petites associations et leur réserver des enveloppes de crédits ;

- Développer les programmes destinés à faire grandir les associations innovantes.

4. Habitants : renforcer les conseils citoyens

La participation des populations vivant dans les quartiers pauvres est recherchée. L'idée était de faire des habitants des acteurs . Elle a émergé dans les années 1970, notamment sous l'impulsion de l'association catholique ATD Quart-Monde qui souhaitait redonner toute leur dignité à des personnes marginalisées. Dans des cités composées en majorité d'habitat social où la population est donc locataire, n'a pas choisi son lieu de vie, le logement étant attribué et, souvent, n'a pas le droit de vote en raison de ses origines, l'appel à participation des habitants vise à permettre une appropriation et une implication dans la vie du quartier. Elle doit favoriser l'émergence d'initiatives et la structuration d'expressions de solidarité plutôt qu'une attitude qui pourrait être passive. Ce besoin est apparu plus fortement à l'occasion du PNRU, car l'attachement des populations à leur quartier et à son histoire a été sous-estimé de même que la violence subie du fait des démolitions et des déménagements imposés, opérations où l'on a parfois cherché à faire le bien des habitants sans les consulter.

Au-delà des quartiers prioritaires, la question de la participation des habitants s'inscrit dans un mouvement plus large de développement de la démocratie participative en complément de la démocratie représentative, ce qui correspond à une attente de la société. De nombreuses instances ou outils existent en dehors des QPV, du conseil de quartier au budget participatif. Des bénéfices sont attendus comme la meilleure réception des projets et la réduction des recours, mais beaucoup vont plus loin et en espèrent une co-construction, une amélioration des projets grâce à « l'expertise d'usage » des habitants et des innovations sociales. L'Institut Montaigne a pu souligner que faire émerger une nouvelle gouvernance de la politique de la ville, c'était d'abord remettre sur un pied d'égalité les pouvoirs publics et ceux qui sont destinataires de leur action .

a) Les conseils citoyens, un échec ?

La création des conseils citoyens par l'article 7 de la loi de programmation pour la ville du 21 février 2014 résulte de cette dynamique. Sur cette base, un conseil citoyen doit être mis en place dans chaque quartier prioritaire. Il est composé de deux collèges. Le premier est formé de citoyens tirés au sort, le second de représentants d'associations et d'acteurs locaux. Ils doivent être associés à l'élaboration, la mise en oeuvre et l'évaluation de la politique de la ville. Des membres participent aux instances de pilotage du contrat de ville. Le préfet « reconnaît la composition du conseil citoyen » et accorde éventuellement la personnalité morale à la structure support. Le contrat de ville doit définir un lieu et des moyens de fonctionnement. Enfin, le maire peut décider que le conseil citoyen se substitue au conseil de quartier (article L. 2143-1 du code général des collectivités territoriales).

Dans les faits, cette disposition de la loi Lamy semble avoir été appliquée de manière très hétérogène, ce qu'entérinait déjà la circulaire ministérielle du 2 février 2017 devant encadrer leur mise en oeuvre, aucun arrêté, pourtant prévu par la loi, n'ayant été pris. Dès 2017, le rapport de la commission des affaires économiques avait pointé le risque d'essoufflement des conseils citoyens. Cinq ans plus tard la crainte s'est largement concrétisée.

Le principe d'un conseil citoyen par quartier n'a pas été appliqué strictement. Le plus souvent le conseil citoyen n'a pas remplacé le conseil de quartier. Le principe du tirage au sort n'a pas non plus toujours été respecté, d'autant plus que la détermination de la ou des listes à utiliser n'était pas précisée. La reconnaissance par les préfets de leur composition et de leur modalité de fonctionnement a elle aussi varié. Beaucoup ont pris des arrêtés, mais ce n'est pas systématique. Des associations ont été créées mais certains conseils citoyens ont rejeté cette solution car elle introduit une hiérarchie entre les membres en conduisant par exemple à l'élection d'un président. Dans les Alpes-Maritimes par exemple, un poste de coordination départementale n'a pas été renouvelé, de même que l'effort de formation des conseillers citoyens.

Huit ans après la loi, nous avons recueilli des témoignages majoritairement négatifs sur le fonctionnement des conseils citoyens estimant que c'était un échec. D'ailleurs, il n'est pas rare que sur un effectif initial de 25, 5 membres seulement restent actifs...

Faut-il dès lors mettre fin à l'expérience ? Ce serait l'issue la plus logique. Certains, sans le dire directement, prônent son dépassement soit à travers une logique de projet soit des instances plus souples. Les « Tables de quartiers » québécoises sont souvent évoquées.

b) Une réforme en profondeur est souhaitée

Pour autant, des expériences réussies existent et il serait souhaitable de s'en inspirer plutôt que de supprimer cette modalité de participation des habitants car ce serait un retour en arrière. D'ailleurs, des études de sociologie, notamment de Laetitia Overney sur le quartier de la Duchère à Lyon, montrent que les femmes sont plus impliquées que les hommes dans les pratiques collaboratives et dans les relations avec les administrations, ce qui peut être une source d'émancipation recherchée dans ces quartiers .

Pour réussir sans doute faut-il revoir largement le cadre de la loi Lamy sans en abandonner l'ambition .

En premier lieu, relevons que leur dénomination est un paradoxe puisque beaucoup des habitants des quartiers prioritaires ne sont pas des citoyens français.

Dans la loi même, le principe d'un conseil par quartier était soumis à un diagnostic des pratiques et initiatives participatives. Il serait donc sage de laisser les élus ajuster les périmètres, notamment au regard des conseils de quartier qui existent dans les villes de plus de 80 000 habitants ou qui ont été créés sur une base volontaire.

Le tirage au sort apparaît ensuite comme un échec . À Val-de-Reuil, les membres ont été choisis sur la base de leur implication dans la vie de la cité, ce qui a donné de bons résultats. Les personnes engagées le sont restées et ont contribué à la vie du conseil et à son rayonnement dans leur entourage. Dans les conseils de quartier, d'ailleurs, les maires sont libres du mode de nomination et de fonctionnement. Un assouplissement serait de nature à favoriser la fin du cumul entre conseil de quartier et conseil citoyen qui est aujourd'hui fréquent.

Il a été noté que les conseils n'avaient pas pu participer à l'élaboration des contrats de ville, comme prévu par la loi, car ils avaient été constitués après et que cela constituait une sorte de faute originelle. Lors des auditions, il a été plusieurs fois suggéré que c'était la mission même des conseils qu'ils convenaient de faire évoluer. La mobilisation des citoyens ne peut être maintenue que dans une temporalité d'action concrète ou avec des moyens propres . L'IR-DSU nous a signalé l'expérience d'un « voyage apprenant » réalisé à Strasbourg pour permettre à des habitants de co-construire avec les élus et les services la transformation du bâtiment d'honneur de l'ancien hôpital militaire Lyautey en tiers-lieu à l'entrée du QPV de Neuhof.

À l'inverse, les conseils ne semblent pas se sentir à leur place ni dans la simple consultation, avec le sentiment de participer pour rien, ni dans la prise de décision à la place des élus, notamment lorsqu'une décision implique des effets non consensuels, ni dans la technostructure de la politique de la ville, dont les enjeux ne sont pas les leurs.

Il pourrait être envisagé de donner aux conseils un pouvoir d'interpellation du conseil municipal ou de l'EPCI à la place de la saisine du préfet, comme cela avait été introduit à l'article 6 de la loi Lamy par l'article 155 de la loi relative à l'égalité et à la citoyenneté du 27 janvier 2017, en cas de difficultés particulières rencontrées par les habitants.

Il serait ensuite pertinent de renforcer les moyens financiers des conseils grâce au Fonds de participation des habitants (FPH), à l'usage d'un budget participatif ou au fléchage de moyens dégagés par l'abattement de TFPB, pour qu'ils puissent conduire des projets de leur propre initiative. Lors d'un colloque organisé le 2 juin 2022 et soutenu par l'USH et la Banque des Territoires sur les pratiques collaboratives dans l'habitat social, le jardin partagé de Bonneuil-sur-Marne (94), commune comptant 76 % de logements sociaux, a été mis en avant sur la base d'un travail de recherche de la sociologue Sylvaine Le Garrec. Ce jardin a été imaginé par le conseil citoyen dans le cadre du programme de renouvellement urbain. Il a été financé par le bailleur Valophis Habitat. Il est géré par deux locataires. Ce type de réussite pourrait se développer.

Recommandation n° 6 : Réformer les conseils citoyens

- Modifier l'article 7 de la loi Lamy pour permettre aux conseils citoyens de mieux correspondre aux réalités locales ;

- Remplacer le pouvoir de saisine du préfet (art. 155 de la LEC) par une interpellation du conseil municipal ou de l'EPCI compétent ;

- Renforcer les pouvoirs opérationnels des conseils citoyens pour leur permettre de conduire des projets concrets.

5. Les entreprises, une implication à amplifier

La politique de la ville est, nous l'avons montré, une politique partenariale entre l'État, les collectivités territoriales, les associations et les habitants. Mais cette liste ne doit pas exclure les entreprises qui, en France, ne se sentent peut-être pas assez impliquées ou légitimes pour intervenir. La Commission nationale pour les futurs contrats de ville relevait, en s'appuyant sur la fondation Break Poverty , que seule 1,6 % des entreprises s'engagent par le biais du mécénat sur des projets sociaux à travers la Dotation d'action territoriale (DAT) 12 ( * ) . Pourtant, alors que l'on parle d'attractivité des quartiers, de parcours d'émancipation, d'accès à l'emploi, de connexion avec l'économie nationale, la réglementation et les moyens publics trouvent leur limite. Ce sont bien aux entreprises de prendre toute leur part de ce chantier, à la fois par engagement social mais aussi par intérêt pour recruter des talents.

L'implication des entreprises est aujourd'hui relativement limitée. Elle peut se matérialiser à travers les clauses sociales ou d'insertion de la commande publique mais qui resteraient loin des objectifs, le taux étant de 3,2 % pour l'État et 10,2 % pour les collectivités par rapport à un objectif de 20 %. Plus directement, les entreprises peuvent s'investir dans le Pacte avec les quartiers pour toutes les entreprises (PAQTE) qui consiste à proposer des stages, des formations et des alternances à des jeunes des quartiers pour favoriser leur insertion professionnelle.

Cette implication pourrait se développer. Nous proposons plusieurs pistes et évolutions législatives .

a) Généraliser une « clause QPV » dans les conventions de revitalisation

Le dispositif des conventions de revitalisation prévu à l'article L. 1233-84 et L. 1233-85 du code du travail instaure une responsabilité sociale des grandes entreprises vis-à-vis des territoires où elles sont implantées. Ainsi, les entreprises de 1 000 salariés et plus ou appartenant à un groupe de 1 000 salariés et plus qui procèdent à des licenciements collectifs pour motif économique affectant, par leur ampleur, l'équilibre d'un bassin d'emploi, ont l'obligation de contribuer à la création d'activités et au développement de l'emploi, afin d'atténuer les effets territoriaux de leur projet de restructuration. Cette contribution peut prendre la forme d'une convention, signée entre le préfet du département et l'entreprise. En vue de la pleine réalisation de l'objectif social des conventions de revitalisation dans les Alpes-Maritimes, le préfet, en mars 2019, a souhaité y insérer une clause socio-urbaine visant à orienter la négociation vers l'accompagnement social et la création d'emplois au sein des quartiers prioritaires de la politique de la ville , au bénéfice de leurs habitants et plus généralement des publics prioritaires (jeunes sans qualification, seniors, travailleurs handicapés, demandeurs d'emploi de faible niveau de qualification). Ainsi, dans chaque convention de revitalisation signée, 25 % du montant sur lequel porte la convention doivent être consacrés aux actions en faveur de la création d'emploi pour les publics en difficulté d'insertion professionnelle et de l'animation sociale dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville .

Dans les Alpes-Maritimes, sept conventions de revitalisation ont ainsi été signées entre 2018 et 2022. Le montant réservé aux actions visant l'insertion de publics en difficulté est de 1 038 610 euros pour un objectif de 264 créations d'emplois. Parmi ces conventions, quatre comportent une clause spécifique pour cofinancer des actions ciblées en faveur des publics des quartiers politique de la ville du département. Ces financements fléchés vers les QPV représentent 241 000 euros pour un objectif de 86 créations d'emplois. C'est une spécificité locale, dont le principe est négocié avec l'entreprise concernée pour chaque nouvelle convention par les services de l'État (DDETS). Dans ce cadre, sur le territoire de la Communauté d'Agglomération Pays de Grasse, deux sessions de formation de 60 heures « Se mettre dans la peau d'un entrepreneur » ont été organisées avec le réseau Étincelles pour des jeunes de 16 à 25 ans, décrocheurs, sans diplôme ou peu qualifiés issus des quartiers prioritaires. Par groupes de 10 à 15 jeunes, les participants ont pu construire un projet professionnel à partir de leur propre dynamique grâce à des mises en situation, des travaux en équipe, un accompagnement individualisé. Grâce à un fort lien avec les équipes d'Auchan, de Kiabi et de Buffalo grill, les participants ont découvert concrètement les attentes d'un employeur et peuvent s'approprier les codes du monde professionnel.

Ce type de clause en faveur des quartiers prioritaires pourrait donc être généralisé via une modification de ces articles du code du travail.

b) Performance extra-financière et implication territoriale des entreprises

L'Institut Montaigne dans son dernier rapport L'avenir se joue dans les quartiers pauvres ?, piloté par Hakim El Karoui et Olivier Klein, propose deux pistes que nous faisons nôtres : inclure l'action dans les quartiers à la démarche ESG, et inscrire dans la loi l'implication territoriale des entreprises .

Les entreprises de plus de 100 millions d'euros de chiffre d'affaires et 500 salariés doivent présenter un rapport de performance extra-financière selon des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG), en application de l'article 116 de la loi du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques et l'article 225 de la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national sur l'environnement. Ces obligations sont traduites dans le code de commerce à l'article L. 225-100.

L'Institut Montaigne propose donc de les préciser pour que les actions en faveur des quartiers pauvres soient incluses dans le rapport de performance extra-financière des grandes entreprises.

Si, comme le souligne l'Institut Montaigne, l'exemplarité et l'effet d'entraînement peuvent jouer un grand rôle pour conduire ces groupes importants à s'investir, nous pensons qu'il pourrait être utile de l'inscrire dans la loi.

En second lieu, l'Institut Montaigne propose dans son rapport de modifier l'article 1833 du code civil, qui dispose que « la société est gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité », en y ajoutant la prise en compte du territoire où elle s'inscrit. Ce qui est cohérent avec le souhait de voir des sociétés s'impliquer au profit des habitants des quartiers.

c) Créer enfin une fondation pour les QPV ?

Enfin, les entreprises pourraient s'investir dans la fondation qu'envisageait de créer la loi Lamy et qui n'a jamais vu le jour . En effet, à son article 9, elle prévoyait que « le Gouvernement remettrait au Parlement, au plus tard six mois après la promulgation de la présente loi, un rapport sur la possibilité de création d'une fondation destinée à mobiliser, au bénéfice des quartiers prioritaires, des financements permettant l'accompagnement d'actions et de projets présentés par leurs habitants en faveur de la cohésion sociale et dans le respect des valeurs de liberté, d'égalité, de fraternité et de laïcité . ».

Cette idée était revenue dans le rapport Borloo pour sécuriser les moyens de la politique de la ville.

Aujourd'hui, cet outil pourrait être réévalué pour venir soutenir les actions de la politique de la ville et les dynamiques endogènes.

Recommandation n° 7 : Renforcer l'implication des entreprises dans les quartiers

- Généraliser les clauses en faveur des quartiers prioritaires dans les conventions de revitalisation en cas de licenciement collectif dans de grandes entreprises ;

- Inclure dans les critères ESG de performances extra-financières l'action des grandes entreprises au profit des habitants des quartiers prioritaires et dans le code civil les implications territoriales de la gestion des entreprises ;

- Relancer la création d'une fondation pour financer des actions de la politique de la ville et des projets des habitants.


* 11 Le dispositif Sesame, soit Sésame vers l'emploi dans le sport et l'animation pour les métiers de l'encadrement, a été initié dans le cadre des mesures issues du Comité interministériel à l'égalité et à la citoyenneté (CIEC) du 6 mars 2015. Ce dispositif a été intégré au plan « Citoyens du sport », plan relevant des mesures Héritage des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024 sur la période 2017-2024 avec un objectif de 5 000 nouveaux jeunes formés aux métiers du sport. En 2020, afin de faire face aux conséquences de la crise sanitaire, Sesame a été inscrit dans les mesures de relance gouvernementales au sein du plan  « 1jeune1solution », dans le cadre du soutien aux acteurs du sport. À ce titre, il bénéficie pour 2021 et 2022 d'un financement complémentaire de 12 millions d'euros pour accompagner 3 000 jeunes.

* 12 La dotation d'action territoriale prend la forme d'une allocation volontaire pouvant aller jusqu'à 2 % du résultat net de l'entreprise, affectée à des programmes de lutte contre la pauvreté et contre l'exclusion des jeunes sur le territoire même de l'entreprise. La particularité de cette dotation est que l'entreprise décide elle-même de son allocation sur des projets de son choix sur son territoire. Cette dotation bénéficie des avantages fiscaux prévus par la loi Aillagon, qui permet aux entreprises de profiter d'une réduction d'impôt de 60 % du montant de leur don. Le coût pour l'entreprise est donc seulement de 0,8 % de leur résultat net.

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