B. LES RÉUSSITES ENTREPRENEURIALES, UNE EXEMPLARITÉ ACCESSIBLE

1. Des projets divers, dotés d'un ancrage territorial fort
a) Une diversité de projets...

Nos auditions nous ont permis de constater la diversité des projets entrepreneuriaux en QPV .

En effet, loin de l'image idéalisée de start-ups spécialisées dans le digital et la technologie, les entreprises créées en QPV le sont, comme à l'échelle nationale, dans divers secteurs .

Le premier secteur d'activité concerné est le commerce (dont la restauration), qui représente plus d'un tiers (34 %) des établissements implantés dans ces territoires, soit davantage qu'à l'échelle nationale (28 %). Parmi les autres principaux secteurs d'activité figurent l'activité pour la santé humaine et les activités scientifiques et techniques (25 %), la construction (15 %) et d'autres activités de service (7 %) 15 ( * ) .

Parmi les plus ambitieuses, la start-up When your Eyes Speak (WYES), créée en 2020 par Sarah Mougharbel, commercialise une paire de lunettes connectée permettant aux personnes en situation de handicap de retrouver la capacité de communiquer grâce à leurs yeux.

Répartition sectorielle des établissements implantés en QPV
(en % du nombre d'unités, données au 1 er janvier 2016)

Source : BpiFrance, Terra Nova (2020) :
Entreprendre dans les quartiers : libérer tous les potentiels.

Dans le contexte de la crise sanitaire de la covid-19, les activités liées au bien-être sont, par ailleurs, en progression dans les QPV . Plusieurs auditionnés ont, en effet, souligné l'émergence d'activités auxquelles les entrepreneurs souhaitent donner du sens.

b) ... aux envergures différentes se développent

La diversité des secteurs d'activités s'explique par le développement de projets de différente envergure. Marie Adeline-Peix, directrice exécutive de Bpifrance, identifie, en effet, deux types d'entrepreneuriat 16 ( * ) :

- des projets avec une ambition de forte croissance , aspirant à une expansion nationale voire internationale ;

L'exemple de Fresh Africa, fondé par Noëlla Ligen et Karia Kusaka

Fresh Africa est une start-up française fondée en 2021 par Noëlla Ligen et Karia Kusaka, que nous avons rencontrées, et spécialisée dans la vente de produits frais en provenance de pays d'Afrique. Petites-filles d'agriculteurs, les deux entrepreneuses cherchent, à travers leur projet, à rediriger la chaîne de valeur du commerce international au profit de petits producteurs africains. À cette fin, elles établissent une chaîne logistique respectueuse des exploitants agricoles et de l'environnement.

Ayant grandi en QPV, Noëlla Ligen et Karia Kusaka ont intégré au lancement de leur activité le programme French Tech Tremplin, ainsi que le programme Fighters de Station F, avant de rejoindre le Programme Founders et le Female Founders Fellowship , qui promeut l'entrepreneuriat féminin, du même incubateur.

Faire partie de ces programmes représente pour ces deux entrepreneuses une aide importante dans le développement de leur activité. En effet, elles ont l'ambition d'étendre leur activité à la fois géographiquement, en livrant dans la France entière puis à l'étranger, et en termes d'activité, en dupliquant le système logistique mis en place à d'autres produits.

- des projets à taille humaine ou familiale et ancrés localement.

Ce deuxième type d'entrepreneuriat est prédominant dans les quartiers. En effet, les établissements en QPV se caractérisent par davantage d'activités traditionnelles et artisanales , tels que le commerce, la restauration, et les services à la personne, qui, selon chercheuse Lorena Clément, « demandent peu d'investissement financier préalable, requièrent surtout des compétences en termes de savoir-faire métier [...] et sont souvent ancrées dans un zone restreinte » 17 ( * ) .

Ainsi, parmi les entrepreneurs des QPV, 40 % sont des micro-entrepreneurs, dont le projet se situe à l'échelle du quartier 18 ( * ) .

En outre, les franchises apparaissent comme une solution accessible pour les entrepreneurs souhaitant avant tout créer leur propre emploi et en développer au sein du quartier. Le président du fonds d'investissement Impact Parters, Mathieu Cornieti, a indiqué, au cours de son audition, l'effet sécurisant du concept pour l'entrepreneur. En effet, ce dernier est accompagné par le franchiseur lors de son installation et du lancement du projet, tout en disposant d'une liberté de gestion du commerce.

Une partie des entrepreneurs des QPV, appelés « entrepreneurs de nécessité » 19 ( * ) , ne cherche en effet pas à croître, mais lance son projet à des fins de subsistance . Le taux de chômage étant plus élevé en QPV, plus d'un tiers (34 %) des entrepreneurs concernés (contre 13 % à l'échelle nationale) aspirent principalement à créer leur propre emploi, en vue de s'assurer un revenu 20 ( * ) . 64 % des micro-entrepreneurs des QPV étaient ainsi sans emploi avant le lancement de leur projet, contre 49 % à l'échelle nationale 21 ( * ) .

D'autres entrepreneurs que nous avons rencontrés expriment, quant à eux, la volonté de maintenir une dimension locale et un lien avec leur territoire d'origine .

Antoine Pineau, fondateur et CEO de Chez Vos producteurs

Fils d'agriculteur et originaire d'Angers, Antoine Pineau, également rencontré lors de notre visite à Station F, a créé son entreprise de promotion de circuits courts en agriculture. Voyant son père en difficulté financière, l'entrepreneur a d'abord créé en 2015 une plateforme en ligne, qui proposait la vente des produits de l'exploitation familiale. La demande accrue de la part de la clientèle lui a ensuite permis d'élargir son activité. En 2017, l'entrepreneur a ainsi créé la start-up Chez vos producteurs, une plateforme en ligne permettant aux producteurs agricoles français de vendre directement leurs produits. Afin de mener à bien son projet, Antoine Pineau a intégré le Programme Fighters, avant de rejoindre le Programme Founders de Station F, chaque programme durant respectivement une année. La start-up bénéficie désormais de la bourse French Tech Tremplin.

L'entrepreneur souligne que si ces dispositifs d'accompagnement lui permettent de bénéficier de l'expérience d'autres start-up et de gagner en compétences entrepreneuriales, le modèle de développement économique de son entreprise ne vise néanmoins pas une forte croissance, ni une diversification de l'activité. Les principaux fournisseurs demeurent ainsi les exploitants agricoles de sa région d'origine.

c) L'ancrage local comme ressource pour les entrepreneurs

Dotés d'un ancrage territorial fort, les entrepreneurs ont su faire du quartier une ressource pour développer leur activité . Les réseaux locaux proches (famille, amis, voisins) constituent, en effet, un atout au lancement du projet.

Dans le cadre de sa thèse sur l'ancrage territorial des entrepreneurs des QPV, la chercheuse Clara Hercule (2022) souligne que les commerçants s'appuient en particulier sur ces réseaux locaux, tant dans leurs pratiques d'approvisionnement que de recrutement ou de fidélisation des clients. En outre, dotés de moins de ressources financières que les hommes au lancement de leur activité, la chercheuse souligne que les femmes ont davantage recours à ces ressources spécifiques, en s'appuyant sur la sociabilité entretenue avec leur voisinage.

Pour autant, si le quartier est perçu comme une ressource dans la réussite du projet entrepreneurial , il n'est pas synonyme d'enfermement .

En effet, il ressort de nos auditions qu' un certain nombre d'entrepreneurs cherche à quitter le quartier, une fois que le projet se développe . En particulier, les porteurs de projets de plus grande envergure, aux ambitions de croissance forte, aspirent à sortir du quartier, sans pour autant rompre les liens avec ce dernier. Les conditions de vie peu satisfaisantes dans les quartiers, liées notamment à des problèmes de sécurité et au manque de services et d'infrastructures publics, justifient ce choix pour leur entreprise comme pour leur famille.

2. Des profils d'entrepreneurs qui se sont diversifiés

Une diversification des profils s'opère , en outre, marquée par une féminisation relative de l'entrepreneuriat dans les QPV .

Les personnes auditionnées ont souligné la présence relativement accrue du nombre de femmes au sein des structures d'accompagnement à l'entrepreneuriat . L'évolution des profils des participants au concours Talents des cités, organisé par Bpifrance, illustre ce phénomène. Le nombre de dossiers déposés a augmenté depuis la création du concours en 2002, avec un nombre croissant de candidatures de la part de femmes.

Cette évolution des profils a également été constatée par la littérature émergente relative à l'entrepreneuriat féminin en QPV. Amélie Notais et Julie Tixier (2018) montrent ainsi que les femmes intègrent davantage la dimension sociétale et personnelle dans leur démarche entrepreneuriale, en complément de la dimension économique.

Ces dernières créent davantage d'entreprises dans le domaine de la santé et de l'action sociale, ainsi que dans les services 22 ( * ) .

3. Une contribution au développement économique et des « role models »

Les entrepreneurs contribuent, tout d'abord, au développement économique des quartiers prioritaires . La majorité des entrepreneurs met son activité au service du quartier.

De nombreux entrepreneurs restent implantés au sein du quartier . Les entreprises sont alors créatrices d'emploi . Les entrepreneurs des QPV expriment, par ailleurs, davantage qu'au niveau national la volonté de développer de l'emploi à travers leur projet (26 % contre 21 %) 23 ( * ) .

L'impact économique positif des entrepreneurs sur leur quartier :
l'exemple des lauréats du concours Talents des cités

Créé en 2002, le concours Talents des cités récompense tous les ans de jeunes entrepreneurs et créateurs issus de QPV. Une étude sur les Lauréats du concours 24 ( * ) témoigne de l'impact économique positif des entrepreneurs récompensés sur leur quartier :

- en 2019, les entreprises des lauréats du concours représentaient plus de 100 millions de chiffres d'affaires cumulés ;

- 73 % des entreprises créées par les lauréats du concours sont toujours en activité ;

- 7 entreprises lauréates sur 10 sont restées en QPV ;

- 3 500 emplois ont été créés par les entreprises, soit 5,8 emplois en moyenne par entreprise lauréate. 65 % des lauréats déclarent avoir recruté des personnes issues de leur quartier ;

- 90 % des lauréats estiment avoir un impact positif sur leur quartier.

En restant implantés au sein du territoire, les entreprises créent, en outre, du lien social. Les commerces constituent en effet des lieux de solidarité 25 ( * ) . Le développement de l'économie sociale et solidaire, ainsi que des activités liées au bien-être, témoigne de la volonté des entrepreneurs d'avoir un impact positif sur leur quartier.

Enfin, les entrepreneurs représentent des « role models » au sein des quartiers . Déconstruisant l'idée d'une réussite rêvée mais inatteignable dans les quartiers, les entrepreneurs des QPV incarnent une « exemplarité accessible » 26 ( * ) . En créant leur propre emploi, ces derniers ont su prendre leur destin en main. Ils illustrent ainsi qu'être issu d'un QPV n'empêche pas la réussite professionnelle.

Il ressort de nos échanges avec les auditionnés que les réussites entrepreneuriales ont d'ores et déjà permis de lever certaines barrières mentales des habitants . Des initiatives tant nationales que locales, prenant notamment la forme de campagnes de communication, ont permis, au cours de la dernière décennie, une certaine prise de conscience des habitants des possibilités professionnelles qui s'offrent à eux.


* 15 https://lelab.bpifrance.fr/get_pdf/1786/bpifrance_le_lab_quartiers_110x177_022 020_cl10_web_09 072 020.pdf .

* 16 Usbek &Rica, Bpifrance (2021). Silicon quartier. Numéro spécial Concours Talents des Cités 20 ans de réussite.

* 17 Clément, Lorena (2020). « Chapitre 13. Entreprendre en quartier prioritaire : un acte de libération ? Le cas des entrepreneurs accompagnés en quartier prioritaire de la politique de la ville » Les faces cachées de l'entrepreneuriat . Caen : EMS Éditions. p. 216-230.

* 18 https://lelab.bpifrance.fr/Etudes/entreprendre-dans-les-quartiers-liberer-tous-les-potentiels .

* 19 Nakara, Walid A (2020). « Chapitre 10. La précarité chez les femmes entrepreneures de nécessité » Les faces cachées de l'entrepreneuriat . Caen : EMS Éditions. p. 160-177.

* 20 https://bpifrance-creation.fr/system/files/IEF2021_Rapport_France_20 211 209.pdf.

* 21 https://lelab.bpifrance.fr/Etudes/entreprendre-dans-les-quartiers-liberer-tous-les-potentiels .

* 22 Notais, Amélie et Tixier, Julie (2018) : « Entrepreneuriat et innovation au coeur d'un territoire : le cas des femmes entrepreneures sociales des quartiers », Innovations. vol.57 no 3. p. 11-37.

* 23 https://lelab.bpifrance.fr/get_pdf/1786/bpifrance_le_lab_quartiers_110x177_022 020_cl10_web_09 072 020.pdf .

* 24 Étude réalisée en 2021 par l'institut du sondage Viavoice sur un échantillon de 200 Lauréats du concours « Talents des cités ».

* 25 Contribution écrite de la chercheuse Clara Hercule.

* 26 Audition de Mohammed Haddou, cofondateur et codirigeant de l'association My Creo academy.

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