C. FINANCER LA RELANCE DU NUCLÉAIRE, EN MOBILISANT LES FINANCEMENTS PUBLICS COMME PRIVÉS

Les rapporteurs estiment crucial de mobiliser les financements, publics comme privés, nécessaires à la relance de l'énergie nucléaire.

En premier lieu, l'énergie nucléaire doit être pleinement intégrée à la « taxonomie verte européenne » . Adopté le 7 juillet dernier, le règlement délégué incluant l'énergie nucléaire à la taxonomie, présente plusieurs difficultés : tout d'abord, il assimile l'énergie nucléaire à une énergie de transition, et non à une énergie durable, ce qui est contraire aux recommandations du CCR ; plus encore, il ne s'applique qu'aux autorisations accordées jusqu'en 2040 - pour la modification d'installations - ou 2045 - pour la création d'installations - et suppose le recours aux AFT d'ici 2025 et au stockage d'ici 2050 ; enfin, les opérations de maintenance et les activités du cycle sont exclues. Ces conditions restrictives doivent être levées et les activités complémentaires incluses .

La SFEN a regretté que l'énergie nucléaire soit assimilée à une énergie de transition, dans la mesure où « ce classement comme énergie de transition a pour conséquence de soumettre l'énergie nucléaire à une instabilité réglementaire incompatible avec les rythmes industriels du secteur [car] les énergies de transition sont soumises à un réexamen de leurs conditions techniques ».

Déplorant aussi ce classement et ces conditions, le Gifen a appelé à les faire évoluer lors de la prochaine révision de la taxonomie : « Le Gifen regrette que le nucléaire soit reconnu comme une énergie de transition et que son inclusion repose sur une série de critères. [...] Les critères d'éligibilité des activités nucléaires tels que définis par l'acte délégué complémentaire seront soumis à des révisions périodiques tous les trois ans par la Plateforme européenne sur la Finance durable. De ce fait, le Gifen préconise une série de modifications. »

Une inclusion pleine et entière de l'énergie nucléaire à la taxonomie est donc cruciale pour les acteurs industriels, le CEA ayant aussi salué ses bénéfices pour les opérateurs de recherche, car « elle devrait permettre l'accès à des conditions de financement plus favorables qui peuvent, par effet de cascade, favoriser la recherche et l'innovation dans le domaine du nucléaire ».

En second lieu, l'énergie nucléaire doit disposer d'un soutien étatique suffisant . L'industrie nucléaire est fortement capitalistique, les coûts de construction des réacteurs étant élevés mais leurs coûts de fonctionnement étant faibles. La construction de 6 EPR est ainsi évaluée à 46 Mds€ par le groupe EDF et à 52 Mds€ par le Gouvernement. Ce sont aussi des projets dont la durée est longue : 25 ans pour la construction et 60 ans pour l'amortissement, selon le Gouvernement. Pour ce dernier, ces projets présentent « une durée de retour sur investissement parmi les plus longues dans le secteur des infrastructures énergétiques ». Ce sont aussi des projets dont les risques sont importants, qui concernent la construction, l'exploitation ou le marché. Selon le modèle de financement retenu, ces risques peuvent reposer in fine sur les investisseurs, les consommateurs ou les contribuables. Au total, pour le Gouvernement, « au regard des caractéristiques spécifiques des projets nucléaires, une intervention économique substantielle de l'État est prévue ».

Le modèle de financement de l'énergie nucléaire est très variable . En France, il a successivement reposé sur la fixation des tarifs (années 1980), l'autorisation d'emprunt (années 1980) ou les fonds propres (pour l'EPR de Flamanville). En Europe, il est alternativement assuré par un consortium d'industriels électro-intensifs (Finlande), un prêt étatique (République tchèque), un prêt interétatique (Hongrie) ou des revenus de long-terme, garantis ou régulés (Royaume-Uni). Quel que soit le modèle choisi, l'AEN a suggéré de « réformer la réglementation des marchés pour veiller à ce que la valeur systémique de l'exploitation à long terme soit rémunérée de manière appropriée » .

Compte tenu de la situation financière du groupe EDF , dont la dette s'élève à 43 Mds€ et la notation s'établit entre Baa1, BBB et BBB+, le groupe ne semble pas en capacité de financer seul cet investissement : au reste, la Cour des comptes a noté que « de nouveaux modes de financement des réacteurs électronucléaires devront, dans cette hypothèse, être mis en place. EDF ne peut financer seul la construction de nouveaux réacteurs, et ne pourra plus s'engager sans garanties sur le revenu que lui procurera l'exploitation de ces réacteurs. Aucun nouveau projet ne saurait être lancé sans une forme de garantie publique, quel que soit le dispositif retenu » 213 ( * ) .

La SFEN et le Gifen ont tous deux insisté sur le besoin d'un « soutien de l'État » ; de son côté, The Shift Project a évoqué « un fort engagement de l'État » précisant que « la garantie de l'État doit permettre d'emprunter à des taux plus faibles que ceux pratiqués récemment ».

À ce stade, le Gouvernement a indiqué ne pas avoir arrêté de modèle de financement, qui nécessitera de toute évidence l'accord préalable de la Commission européenne : « Plusieurs options sont actuellement à l'étude par les pouvoirs publics, notamment l'intervention de l'État en fonds propres, en tant qu'actionnaire du projet ou à travers une subvention, ainsi que la définition d'un cadre de régulation adapté qui aura vocation à protéger l'investissement tout en incitant à la maîtrise des coûts et des calendriers de mise en service. La conformité des modalités d'intervention économique de l'État au droit communautaire devra être établie auprès de la Commission européenne. »

Convaincus de la nécessite de prévoir un engagement robuste de l'État, les rapporteurs plaident pour intégrer ce modèle de financement à la loi quinquennale sur l'énergie de 2023 , afin de permettre au législateur de mettre des moyens budgétaires en regard des objectifs énergétiques.

En troisième lieu, les financements prévus pour la R&D en matière de nucléaire doivent être relevés et complétés .

Si l'énergie nucléaire bénéficie de 470 M€ dans le Plan de relance et de 1 Md€ dans le Plan d'investissement, ces montants sont limités, car ils représentent 0,4 % et 3,3 % des crédits totaux.

Le Gifen a insisté sur la nécessité de réitérer les appels à projets, de nombreux acteurs industriels n'ayant pu bénéficier du Plan de relance : « Le Gifen estime en particulier que l'effort doit être renforcé sur l'innovation autour des briques technologiques. [...] Le dynamisme des industriels dans le cadre du Plan de Relance a témoigné du fort potentiel d'innovation de la filière. [Or] de nombreux projets n'ont pas pu bénéficier de France Relance [alors que] la filière consacre 1 Md d'euros par an à l'innovation. [...] C'est pourquoi le Gifen appelle à de nouveaux appels à projets pour soutenir les travaux sur les briques technologiques. »

Quant aux opérateurs de recherche, le CEA a relevé le besoin d'une visibilité et d'une stabilité dans les financements, compte tenu du temps inhérent aux projets de R&D dans le domaine nucléaire : « La recherche dans le domaine du nucléaire est une recherche sur le temps long et qui nécessite des installations parfois très spécifiques et très coûteuses. De plus certaines compétences sont très particulières et nécessitent des temps de formation relativement longs. Ces éléments doivent être pris en compte dans l'attribution des budgets qui nécessitent plus particulièrement une continuité des financements et une visibilité sur le long terme. Il serait donc utile d'ancrer ce soutien pluriannuel. »

Plus précisément, les rapporteurs ont retenu certains besoins des opérateurs de recherche : le CEA plaide pour une stabilisation a minima , le CNRS pour un renforcement pour le nucléaire voire un doublement pour l'hydrogène et ITER pour une amplification pour la fission 214 ( * ) . En outre, l'IRSN a mis en avant la sûreté nucléaire et l'Andra les usines du cycle.

Au total, l'AEN a insisté sur le besoin d'un soutien public de la R&D dans le domaine du nucléaire, appelant à « faire coïncider les politiques et les budgets nationaux avec les engagements en faveur de l'innovation dans le secteur de l'énergie nucléaire, car les délais de retour sur investissement ne sont pas compatibles avec un environnement reposant uniquement sur des acteurs privés ».

Enfin, les dispositifs de soutien innovants peuvent davantage bénéficier à l'énergie nucléaire et à l'hydrogène bas-carbone.

Depuis la loi « Énergie-Climat », de 2019 215 ( * ) , deux dispositifs de soutien aux projets énergétiques innovants ont été institués :

- le « bac à sable règlementaire », qui permet à la CRE et au ministre chargé de l'énergie d'accorder des dérogations aux conditions d'accès et à l'utilisation des réseaux et installations pour déployer à titre expérimental des technologies ou services innovants en faveur de la transition énergétique et des réseaux intelligents (article 61 de la loi « Énergie-Climat ») ;

- le « contrat d'expérimentation » , qui permet au ministre chargé de l'énergie de faire bénéficier d'un contrat d'achat les installations électriques ou gazières renouvelables (articles L. 314-29 et L. 446-24 du code de l'énergie notamment).

Une réflexion devrait être engagée pour intégrer à ces dispositifs l'énergie nucléaire et l'hydrogène bas-carbone . Interrogée sur ce point, la CRE a indiqué que « comme conçu actuellement, la CRE peut accorder des dérogations au titre du bac à sable réglementaire lorsque les expérimentations concernent les réseaux. Les technologies nucléaires innovantes n'entrent pas dans le champ de compétences de la CRE. Néanmoins, il pourrait être intéressant de discuter de cette possibilité avec des institutions telles que l'ASN ».

Une autre réflexion pourrait concerner les certificats d'économies d'énergie (C2E) : introduits par la loi « Pope » 216 ( * ) , de 2005, les C2E sont délivrés à des personnes éligibles 217 ( * ) , en contrepartie de la réalisation d'opérations d'économies d'énergie auprès des particuliers ou d'entreprises (articles L. 221-1 et suivants du code de l'énergie).

Une plus grande neutralité entre l'énergie nucléaire et les énergies renouvelables pourrait être favorisée dans ce cadre , tandis que l'hydrogène bas-carbone , encore exclu, pourrait être intégré.

3. Financer la relance du nucléaire, en mobilisant les financements publics comme privés :

- Pour mobiliser les financements privés pour certains projets nucléaires, intégrer pleinement l'énergie nucléaire à la « taxonomie verte européenne », en levant les verrous actuels (assimilation à une énergie de transition, dates limites, obligation de stockage, recours aux ATF, exclusion des opérations de maintenance et des activités du cycle)

- Pour mobiliser les financements publics pour la relance du nucléaire, examiner le financement du nucléaire dans le cadre de la loi quinquennale sur l'énergie de 2023

- Rehausser les financements prévus dans le cadre des plans de relance (France Relance) et d'investissement (France 2030) ainsi que les APP nucléaire en résultant, dès la prochaine loi de finances

- Mieux intégrer l'énergie nucléaire et l'hydrogène bas-carbone dans le « bac à sable règlementaire » et le « contrat d'expérimentation » de la CRE

- Mieux intégrer l'énergie nucléaire et l'hydrogène bas-carbone dans le dispositif des C2E


* 213 Cour des Comptes, La filière EPR, 2020, p. 16.

* 214 En matière de recyclage, de réacteurs, de déchets, de démantèlement et de stockage.

* 215 Loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2019 relative à l'énergie et au climat (article 33).

* 216 Loi n° 2005-781 de programmation fixant les orientations de la politique énergétique (article 14).

* 217 Fournisseurs d'électricité, de gaz, de chaleur ou de froid, de carburants automobiles ou de fioul domestique ; collectivités territoriales, groupements et sociétés d'économie mixte ; Agence nationale de l'habitat (ANAH) ; organismes d'habitation à loyer modéré (HLM).

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