B. DES QUESTIONS LÉGITIMES FAISANT L'OBJET D'UN DÉBAT PUBLIC

Au-delà des annonces faites par le Président de la République, plusieurs questions se posent sur la relance de l'énergie nucléaire.

La première question renvoie au choix du nucléaire.

Il s'agit de savoir quelle part préférer dans le mix national. Certains organismes auditionnés proposent ne pas recourir à l'énergie nucléaire. Pour le Réseau Sortir du Nucléaire (RSN), l'énergie nucléaire ne doit pas être conservée dans le contexte de tension politique et de crise climatique : « Le nucléaire est certes une technologie peu émettrice de gaz à effets de serre, mais dangereuse et polluante même en fonctionnement régulier [...] Alors que le XXI e siècle, entre crise climatique et tensions géopolitiques, s'annonce de plus en plus incertain, la sagesse exigerait une évolution de notre système énergétique pour pouvoir se passer de cette technologie dangereuse et peu sûre ». Pour ce qui la concerne, l'association Négawatt 135 ( * ) , dans son Scenario negaWatt 2022 , prévoit un mix exempt d'énergie nucléaire, à l'horizon 2050, sans en faire une fin en soi : « Le scénario négaWatt assume donc de se projeter à un horizon 2050 où aucun nouveau cycle d'activité nucléaire n'est engagé, et où les seules installations nucléaires en exploitation sont des sites d'entreposage, de stockage et de recherche [...] Ce scénario ne constitue pas pour autant une trajectoire de sortie du nucléaire, au sens où cet objectif serait posé comme une fin en soi. ». Actuellement, le débat public s'articule autour des études susmentionnées de RTE et de l'Ademe. RTE 136 ( * ) a ainsi proposé une part de nucléaire nulle dans le scénario « M0 », de 13 % dans les scenarii « M1 » et « M23 » , 26 % dans le scénario « N1 » , 36 % dans le scénario « N2 » et 50 % dans le scénario « N03 » (voir schéma ci-après 137 ( * ) ). De son côté, l'Ademe 138 ( * ) a proposé une part de nucléaire de 28 % dans le scénario « S4 » , la portion des énergies renouvelables étant de 77, 87, 86 ou 97 % dans les scenarii « S3 Nucléaire » , « S3 EnR-Offshore » , « S2 » et « S1 » .

Il s'agit également de savoir quelle technologie souhaiter. Avec 51 GW de capacités de nucléaire en 2050, le scénario « N03 » de RTE repose sur 3 technologies : la construction de 14 EPR2, d'une puissance de 1,6 GW chacun (soit environ 23 GW) ; la construction de 4 GW de SMR, ce qui représente 12 SMR de type Nuward, d'une puissance de 340 MW ; la prolongation de l'essentiel du parc actuel jusqu'à 2060 (soit environ 19 à 21 GW) ; la prolongation de 3 à 5 réacteurs au-delà de 2060 (soit environ 3 à 5 GW) 139 ( * ) . Quant au scénario « S4 » de l'Ademe, il propose 32 GW de nucléaire, avec la construction de 10 EPR2 (16 GW) et une prolongation de 10 à 20 ans de certains réacteurs (16 GW).

Sollicité sur le projet d'EPR2, le groupe EDF a indiqué être impliqué dans son « optimisation » depuis 7 ans. Ce travail doit permettre l'intégration du retour d'expérience (technique, industriel, contractuel et socio-organisationnel), qui constitue, selon le groupe, « l'ADN du projet EPR2 ». De plus, les études de conception veillent, d'une part, aux délais et aux coûts de construction, et d'autre part, à l'intégration du numérique. L'ASN a été saisie du dossier d'options de surêté (DOS) : elle a publié un avis, le 16 juillet 2019 140 ( * ) , et deux positions, en juillet et septembre 2021. Elle considère que « les objectifs généraux de sûreté, le référentiel de sûreté et les principales options de conceptions sont globalement satisfaisants » , que « la démarche d'exclusion de rupture pour les tuyauteries principales du circuit primaire et secondaire du projet de réacteur EPR2 est acceptable » et qu' « en ce qui concerne la chute accidentelle d'un aéronef militaire [...] la démarche d'EDF est de nature à permettre l'atteinte d'objectifs de sûreté suffisants ». Au total, pour l'ASN, en intégrant, dès sa conception le retour d'expérience, le projet « vise à répondre aux objectifs généraux de sûreté des réacteurs de troisième génération » et bénéficie, en particulier, du « renforcement de la conception vis-à-vis des agressions naturelles » et « d'une consolidation de l'autonomie de l'installation et du site en situation accidentelle » . De son côté, l'Andra n'a pas identifié d'évolution notable sur les déchets, considérant que « la nature et les volumes de déchets produits par un réacteur EPR sont quasi-similaires aux déchets produits par les réacteurs du parc actuel ».

Les rapporteurs ont aussi interrogé le groupe EDF sur le projet de SMR Nuward, qui est développé avec Technicatome, le CEA et Naval Group. Les SMR, tels que Nuward, présentent plusieurs avantages : leur puissance, généralement inférieure à 300 MW, est proche de celle des centrales à charbon - ce qui ouvre des perspectives d'exportation importante - et complémentaire à celle des EPR - ce qui permet leur utilisation dans le mix national ; leur production s'étend de l'électricité à la chaleur, à l'hydrogène ou encore à la désalinisation ; sur le plan de la sûreté nucléaire, leurs mécanismes de défense passifs, permettent leur refroidissement sans intervention humaine ou alimentation électrique ; enfin, d'un point de vue industriel, leur conception simplifiée autorise une fabrication et un assemblage en usine. Ainsi que l'a rappelé le Gouvernement, le projet comporte plusieurs phases : un avant-projet sommaire (APS), jusqu'en 2022 ; un avant-projet détaillé (APD), de 2023 à 2026 ; la conception et la certification, de 2027 à 2030, pour aboutir à un premier démonstrateur, à l'horizon 2030. Témoin de cette mise en oeuvre, le CEA a précisé que les premières études ont été réalisées en 2020 et les premières expérimentations en 2021. De plus, l'ASN devrait être saisie du DOS d'ici la fin de l'année 2022. De manière générale, elle a indiqué que « les caractéristiques des SMR, en particulier leur faible puissance et leur compacité, constituent des facteurs favorables pour la sûreté. » . Quant à l'Andra, elle a indiqué que « ces petits réacteurs n'apportent pas de changement en termes de production de déchets, car il s'agit toujours de réacteurs à eau pressurisée ».

Concernant l'hydrogène, l'étude précitée de RTE comme celle de l'Ademe envisagent une production décarbonée par électrolyse . Dans l'étude de RTE, la part d'hydrogène dans la consommation d'électricité va de 7,7 (dans le « scénario de référence ») à 22,7 % (dans la « variante Hydrogène + » ) 141 ( * ) . Dans l'étude de l'Ademe, elle est de 15,1 % dans le scénario « S1 » , 25,2 % dans le scénario « S2 » , 9,8 % dans le scénario « S3 » et 3,9 % dans le scénario « S4 » 142 ( * ) . À court terme, la production d'hydrogène passe par l'alimentation des électrolyseurs basse température à partir du réseau électrique existant. RTE a ainsi indiqué que « produire ces quantités nécessite de développer des électrolyseurs, dans un premier temps sous la forme de grandes installations soutirant depuis le réseau électrique une électricité bas-carbone et situés à proximité des zones industrielles ou des zones d'avitaillement » 143 ( * ) . Le Gouvernement a abondé dans ce sens, précisant que « l'hydrogène décarboné [...] peut être produit à partir du mix électrique issu des réacteurs nucléaires existants. C'est tout l'intérêt de la stratégie retenue par la France, consistant à organiser, sur le territoire national, grâce au réseau électrique, une production d'hydrogène décarboné à travers des écosystèmes plus ou moins importants pour réduire les émissions de GES de l'industrie et de la mobilité lourde ». À plus long terme, un couplage entre productions d'énergie nucléaire et d'hydrogène peut être envisagé, en installant des électrolyseurs haute température dans les nouveaux réacteurs, tels que les SMR. Le Gouvernement a rappelé l'intérêt d'un tel couplage, étudié par le projet de SMR Nuward : « Certains projets, dont le projet Nuward, étudient l'association entre SMR et électrolyseur à haute température. En effet l'électrolyse à haute température opère entre 700 et 800°C, ce qui permet d'améliorer sensiblement les rendements de conversion, mais nécessite une implantation des installations d'électrolyse à proximité d'une source de chaleur fatale ». Pour France Hydrogène, la technologie des électrolyseurs haute température est bien établie : « les procédés d'électrolyse haute température (TRL-5-6) fonctionnent entre 700-800°C et permettent des gains de rendement dans la production de l'ordre de 10-15 points (80 à 85 % de rendement) par rapport à l'électrolyse basse température [...] d'où un intérêt à installer les électrolyseurs à haute température à proximité d'industries, de réseaux de chaleur ou de centrale nucléaires, y compris les petits réacteurs modulaires ». Pour autant, le groupe EDF a précisé qu'elle ne constituait pas un optimum économique : « Le couplage d'un électrolyseur avec un réacteur nucléaire n'apparaît pas à ce stade comme un optimum technico-économique. Le schéma optimal consiste aujourd'hui à profiter de l'électricité décarbonée du réseau pour positionner l'électrolyseur au plus proche des usages [afin] de le dimensionner de manière à maximiser le facteur de charge ».

La deuxième question renvoie au financement du nucléaire.

Il s'agit de savoir pour quel modèle de financement public opter . Historiquement, ce modèle de financement a beaucoup évolué. Selon la SFEN 144 ( * ) , le financement du parc existant a ainsi été assuré de plusieurs manières : dans les années 1970, le groupe EDF a perçu une faible dotation de l'État (550 M de francs sur un total de 5,1 Mds de francs), mais a pu fixer librement ses tarifs ; dans les années 1980, il a été autorisé par l'État à contracter un prêt important (40 Mds de francs) ; pour la construction de l'EPR de Flamanville (12,7 Mds en 2022 contre 3,3 Mds estimés initialement), il a eu recours exclusivement à ses fonds propres 145 ( * ) . À l'échelle européenne, ce modèle de financement est très divers. Selon la SFEN, les nouveaux réacteurs sont actuellement financés par : un consortium d'industriels électro-intensifs, recevant en contrepartie de l'alimentation en électricité (Olkiluoto 3 - Finlande) ; un prêt contracté par l'État auprès d'un pays étranger, avec un encadrement de la revente de l'électricité et de la revente des bénéfices (Pak II - Hongrie) ; un prêt contracté par l'opérateur auprès de l'État et un prix garanti à long terme (Dukovany 5 - République tchèque) ; les fonds propres de l'opérateur, en contrepartie d'un prix garanti à long terme (Hinkley Point C - Royaume-Uni) ou révisé périodiquement par un régulateur indépendant (Sizewell C - Royaume-Uni). Comme l'a indiqué la Cour des comptes 146 ( * ) , un financement seul, par le groupe EDF, des nouveaux réacteurs, n'est pas envisageable : « EDF ne peut financer seul la construction de nouveaux réacteurs, et ne pourra plus s'engager sans garanties sur le revenu que lui procurera l'exploitation de ces réacteurs. Aucun nouveau projet ne saurait être lancé sans une forme de garantie publique, quel que soit le dispositif retenu ». Interrogé sur la place de l'État, le Gouvernement a confirmé la nécessité d'une intervention substantielle, sous une forme encore à définir : « Au regard des caractéristiques spécifiques des projets nucléaires, une intervention économique substantielle de l'État est prévue. Plusieurs options sont actuellement à l'étude par les pouvoirs publics, notamment l'intervention de l'État en fonds propres, en tant qu'actionnaire du projet ou à travers une subvention, ansi que la définition d'un cadre de régulation adapté qui aura vocation à protéger l'investissement tout en incitation à la maîtrise des coûts et des calendriers de mise en oeuvre ». Si ce débat n'est pas tranché, les rapporteurs retiennent de l'AEN 147 ( * ) la nécessité d'un cadre stable et adapté, l'agence plaidant pour « concevoir des plans industriels prévisibles à long-terme » et « réformer la réglementation des marchés pour veiller à ce que la valeur systémique de l'exploitation à long terme soit rémunérée de manière appropriée » .

Outre le financement public, il s'agit aussi de savoir comment mobiliser les financements privés. C'est un enjeu tout autant national qu'européen. En effet, un règlement du 18 juin 2020 148 ( * ) applique une « taxonomie verte européenne », c'est-à-dire une classification des activités économiques au regard de leur impact environnemental, et notamment climatique, pour faciliter le financement des plus vertueuses d'entre elles. Pour être qualifiées de durables, ces activités doivent poursuivre l'un des six objectifs environnementaux 149 ( * ) de la directive et ne pas porter préjudice aux autres (principe « Do No Significant Harm » - DNSH) ; à défaut, elle peut être qualifiée de transitoire - si aucune solution de remplacement n'existe - ou d'habilitantes - si elles permettent à d'autres activités de poursuivre ces objectifs. Si l'énergie nucléaire était initialement omise de cette taxonomie dans le premier acte délégué, du 4 juin 20201 150 ( * ) , un premier rapport 151 ( * ) , publié en mars 2020 par le groupe d'experts techniques (GET), a préconisé qu'un « travail technique d'ampleur soit entreprise sur les aspects DHNS de l'énergie nucléaire dans le futur par un groupe ayant une expertise technique approfondie sur le cycle de vie des technologies nucléaires et les impacts environnementaux existants ou potentiels », tandis qu'un second rapport 152 ( * ) , publié en mars 2021 par le Centre commun de recherche (CCR), a indiqué « aucune preuve scientifique [ne vient affirmer] que l'énergie nucléaire est plus dommageable pour la santé humaine ou l'environnement que d'autres technologies de production d'électricité déjà incluses dans la taxonomie ». C'est pourquoi, le 9 mars 2022, la Commission européenne a présenté un acte délégué 153 ( * ) intégrant, sous certaines conditions, les activités nucléaires et gazières dont les émissions de GES sont inférieures à 100 grammes d'équivalent CO 2 / kWh. Comme l'ont relevé le Gifen et la SFEN, ce texte pose deux difficultés : d'une part, l'énergie nucléaire est assimilée à une activité transitoire et non durable ; d'autre part, les conditions d'intégration sont restrictives puisque l'intégration s'applique aux modifications d'installations accordées jusqu'en 2040, aux créations d'installations accordées jusqu'en 2045, si un recours aux « accident tolerant fuels » , c'est-à-dire à un ensemble de technologies devant renforcer la performance des réacteurs, est prévu à compter de 2025 et si un dispositif de stockage des déchets hautement radioactifs est institué d'ici 2050. De plus, les opérations de maintenance et les activités du cycle sont exclues.

La troisième question renvoie à la sûreté et la sécurité nucléaires.

Loi « TSN » du 13 juin 2006 154 ( * ) soumet les installations et activités nucléaires au contrôle d'une autorité administrative indépendante en charge de la sûreté nucléaire : l'ASN. À l'échelon européen, la directive 2009/71/Euratom du Conseil du 25 juin 2009 155 ( * ) prévoit d'ailleurs l'institution d'une autorité de régulation indépendante. Au total, les installations nucléaires sont soumises à une règlementation stricte sur le plan de la sûreté (sous l'égide de l'ASN, en lien avec l'IRSN et les commissions locales d'information - CLI) et de la sécurité (sous l'égide du ministère chargé de l'énergie, en lien avec le Haut fonctionnaire de défense et de sécurité - HFDS - et l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information - ANSSI 156 ( * ) ) De plus, la filière du nucléaire s'applique à elle-même un niveau exigeant de certification, le Gifen ayant indiqué que « les enjeux de sûreté sont pris en compte par la filière nucléaire via [...] la norme ISO19 443 ».

Le bilan de la sûreté nucléaire est plutôt positif . L'ASN a indiqué qu' « en termes de bilan, l'appréciation générale de l'ASN en 2021 est que la sûreté des installations nucléaires (toutes INB) s'est maintenue à un niveau satisfaisant, en grande continuité par rapport au niveau constaté en 2020 », ajoutant que « le niveau de sûreté des réacteurs en France s'est amélioré grâce aux réexamens de sûreté qui sont particulièrement exigeants en France ». De son côté, l'IRSN a précisé que « le système d'évaluation des risques nucléaires et radiologiques, mis en place il y a 20 ans par la représentation nationale, intégrant les différentes dimensions du risque (sûreté nucléaire, sécurité nucléaire, protection contre les rayons ionisants) a fait ses preuves », spécifiant « il convient de le maintenir ». Enfin, l'Anccli a indiqué qu' « avec des exploitants responsables, une autorité de sûreté indépendante (ASN), un expert public (IRSN) et une société civile impliquée (CLI/Anccli), la sûreté nucléaire est particulièrement bien suivie dans notre pays », précisant que « la France est le seul pays au monde à s'être doté d'une législation robuste permettant cette expression ctioyenne ». Pour l'ASN, en 2021, on dénombrait 1 172 évènements, dont 1 068 de niveau 0, 101 de niveau 1 et 1 de niveau 2 ; l'agence a indiqué que les ESS de niveau 0 ont augmenté de 2016 à 2019 puis se sont stabilisés, ajoutant que les ESS de niveau 1 et 2 ont légèrement diminués. L'agence a précisé que « les ESS de niveau 0 ne sont pas nécessairement un signe de dégradation de la sûreté. C'est mieux de les détecter et il faut l'encourager. Il ne faut pas en faire des indicateurs de performance inhibant la déclaration ». Pour autant, l'ASN a indiqué plusieurs « fragilités » aux rapporteurs : la première concerne les réacteurs, avec les difficultés précitées liées au phénomène de « corrosion sous contrainte » et aux soudures de l'EPR de Flamanville ; la deuxième porte sur l'industrie du cycle du combustible usé, avec la saturation prévisible à l'horizon 2030 des piscines d'entreposage de combustibles usés (à La Hague) ainsi que les difficultés de fonctionnement de l'usine de retraitement (de La Hague) et de l'usine de fabrication du MOX (à Caradarache). L'ASN a précisé que « chacun de ces évènements, s'ils aggravaient, pourrait [...] fragiliser le fonctionnement des centrales nucléaires dans la mesure où elles ne pourraient plus évacuer les combustibles usés de leurs installations ». De plus, l'ASN est revenu sur le projet ITER : le 25 janvier 2022, l'agence a indiqué que le point d'arrêt, c'est-à-dire à l'autorisation délivrée par l'agence sur la base d'un dossier de l'exploitant, lié à l'assemblage du tokamak ne serait pas levé le 1 er février 157 ( * ) , à raison de « questions non résolues concernant notamment la protection radiologique des travailleurs et l'architecture de soutien de l'édifice [...] ainsi que l'irréversibilité du soudage des deux premiers segments de la chambre à vide ». Interrogé sur ce point, ITER a précisé qu' « une task force est au travail sur ITER pour fournir ces compléments d'ici août 2022 » et que « les premières opérations de soudures sont prévues à partir de septembre 2022 ». Il a ajouté qu' « une part prépondérante des retards actuels de la construction/assemblage justifiant le rebaselining [est] due à la crise sanitaire ».

Au-delà de ce constat, s'ajoutent des risques nouveaux.

Le premier est lié à la guerre russe en Ukraine . Ce pays compte 15 réacteurs, répartis sur 4 sites 158 ( * ) . L'ASN a indiqué que « l'endommageant d'une installation par un tir direct n'est pas exclu », tout en précisant que « le risque principal est celui d'un accident d'origine indirecte », évoquant « le stress des équipes » et la « dégradation des infrastructures ». Dans ce contexte, lors du conseil d'administration de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) du 4 mars 2022 159 ( * ) , le directeur général a évoqué le besoin d'appliquer aux installations ukrainiennes 7 piliers 160 ( * ) indispensables à la sécurité et à la sûreté nucléaires, estimant que certains étaient mis en danger à la centrale de Zaporizhzhia. Il a réitéré ce constat le 4 août 2022 161 ( * ) .

Un autre enjeu renvoie au vieillissement des réacteurs nucléaires . L'ASN a fait part d'observations sur l'hypothèse d'une prolongation des réacteurs, au-delà de 50 voire 60 ans, telle qu'envisagée par RTE dans le scénario « N03 ». L'autorité a indiqué que ce scénario « s'appuie sur des hypothèses structurantes de durée de fonctionnement non justifiées à ce stade en matière de sûreté », ajoutant que « les éléments à disposition de l'ASN lors de l'instruction générique du 4 e réexamen de sûreté des réacteurs de 900 MW [...] ne permettent pas de conclure que la poursuite du fonctionnement de tous ces réacteurs au-delà de 50 ans est acquise ». De son côté le Gouvernement a indiqué « la possibilité de poursuivre le fonctionnement des réacteurs au-delà de 50 ans dépendra notamment de la durée de vie des composants irremplaçables 162 ( * ) [et] difficilement remplaçables 163 ( * ) ». Pour autant, l'ASN a aussi précisé que « la poursuite d'exploitation des réacteurs nucléaires au-delà de la durée prise en compte dans leur conception n'est pas spécifique à la France ». Ainsi, « aux États-Unis, la quasi-totalité des réacteurs de même conception que les réacteurs de 900 MWe d'EDF disposent d'autorisations pour fonctionner jusqu'à 60 ans ».

Parmi les nouveaux enjeux de sûreté nucléaire figure la résilience des centrales nucléaires au dérèglement climatique . Le groupe EDF a indiqué prendre en compte ce type de risque à plusieurs étapes. Tout d'abord, la conception initiale des réacteurs intègre la robustesse à certaines agressions, telles que les séismes, inondations, grands chauds et grands froids ou incendies. Ensuite, cette robustesse est confortée, notamment à l'occasion des réexamens périodiques ou décennaux. Ces réexamens permettent d'appliquer aux réacteurs existants les dernières évolutions règlementaires, telles que l'arrêté du 7 février 2012 164 ( * ) , qui impose aux exploitants de prendre en compte les agressions externes 165 ( * ) comme internes 166 ( * ) . Au-delà de cet arrêté, ces réexamens permettent d'appliquer un retour d'expérience : ainsi, les hivers rigoureux des années 1980 ont conduit le groupe EDF à mieux prévenir les risques liés au « grand froid », et notamment au frasil. De plus, l'inondation de la centrale du Blayais, de 1999, a entraîné le renforcement des protections périphériques des sites. De même, les canicules de 2003 et 2006 ont conduit à la mise en place d'un plan « grands chauds », avec l'adaptation des systèmes de climatisation et de ventilation et des règles de conduite et d'exploitation. Enfin l'accident de Fukushima a entraîné la mise en place d'un « nouveau dur » 167 ( * ) et d'une force d'action rapide du nucléaire (FARN) 168 ( * ) . Au total, selon le groupe EDF, « à l'issue des 4 es décennales du palier 900 et 1300 et des 3 es décennales des tranches N4, la robustesse des installations d'EDF est acquise pour l'ensemble des agressions définies par l'arrêt INB [...], à des niveaux intégrant les meilleurs standards internationaux et tenant compte des effets du dérèglement climatique ». L'ASN a rappelé que « lors des réexamens de sûreté, l'ASN demande aux exploitants de justifier leur capacité de résilience au changement climatique en étudiant la sûreté des installations avec des aléas renforcés. Les risques sont liés au maintien de l'opérabilité des équipements de sûreté lors des montées en température des locaux et aux rejets en situation d'étiage sévère ou de canicule ». Pour le Gouvernement, « les risques liés au changement climatique sont intégrés dans les réexamens périodiques décennaux des installations. En effet, les évolutions de l'environnement de l'installation [...] et les agressions externes prises en compte dans la démonstration de sûreté sont réévaluées à l'aune des dernières connaissances disponibles dans les études remises par l'exploitant, tous les 10 ans ». Au-delà de la conception et du réexamen des réacteurs existants, leur exploitation tient compte du dérèglement climatique. Le groupe EDF dispose d'ailleurs d'un centre opérationnel de surveillance et d'un service climatique interne à cette fin. Ainsi, des prescriptions sur les prélèvements et les rejets d'eau, propres à chaque centrale, sont définies dans une autorisation de rejet et de prélèvement d'eau, délivrée par l'ASN (2° du IV de l'article R. 593-38 du code de l'environnement). Cela a pu conduire à ce que des réacteurs soient arrêtés en période de canicule, comme à la centrale de Golfech ( voir encadré ci-après ). Selon le groupe EDF, ces arrêts ont réduit de moins de 0,2 % la production annuelle du parc en 20 ans, ce qui reste donc limité. De plus, l'ASN n'a que très rarement utilisé la faculté de déroger à ces prescriptions, en cas de situation exceptionnelle, une dérogation ayant été accordée à 4 centrales nucléaires 169 ( * ) , les 13 et 18 juillet 2022 170 ( * ) (II de l'article R. 593-40 du code de l'environnement). Au-delà des réacteurs existants, les nouveaux réacteurs font l'objet d'une attention spécifique, s'agissant du dérèglement climatique. Le Gouvernement a affirmé que « le changement climatique fait également partie des enjeux pris en compte pour la conception des nouveaux réacteurs, sous le contrôle de l'ASN, notamment pour les procédures d'autorisation initiale et de réexamen de sûreté ». De son côté, l'AEN a identifié des « facteurs clés à prendre en compte », tels que « l'élévation des températures de l'air et de l'eau, la montée des océans, qui peut avoir des conséquences pour les centrales nucléaires côtières, la variabilité climatique et l'augmentation de la fréquence des événements météorologiques extrêmes. ». Enfin, la SFEN a évoqué le cas des « centrales nucléaires [qui] fonctionnement aujourd'hui dans des milieux chauds et arides », rappelant que « la centrale de Palo Verde aux États-Unis, d'une puissance de 4GW, située dans le désert de l'Arizona [est] refroidie avec les eaux usées de villes avoisinantes, dont Phoenix. » et que « les six réacteurs espagnols situés sur des fleuves et des rivières ont montré ces dernières années une bonne disponibilité ».

La centrale de Golfech : un exemple de prise en compte de l'impact
du dérèglement climatique sur le fonctionnement des réacteurs nucléaires

Les rapporteurs ont souhaité auditionner la responsable du programme d'adaptation au changement climatique des réacteurs du groupe EDF, ainsi que le directeur de la centrale nucléaire de Golfech, qui avait été mise à l'arrêt en raison de la canicule à deux reprises.

Mis en service entre 1990 et 1993, les 2 réacteurs de cette centrale représentent une puissance de 2,6 GW et une production de 14 TWh en 2021.

La centrale de Golfech prélève de l'eau dans la Garonne pour refroidir ses unités de production et alimenter ses différents circuits, dont 86 % est restituée dans ce fleuve, avec une température légèrement plus élevée (+ 0,2 °C).

Le réchauffement climatique est intégré sur trois plans au fonctionnement des réacteurs nucléaires.

D'une part, les agressions sont prises en compte dans la conception de la centrale, qu'elles soient externes (conditions météorologiques ou climatiques extrêmes, agressions contre la source froide, séisme, inondations externes, risques liés à l'environnement et aux voies de communication) ou internes (défaillance d'équipements sous pression, émission de projectile, collision et chutes de charges, incendie, explosion, interférence électromagnétisme, substances dangereuses). L'intensité ou le cumul de ces agressions sont l'objet d'une analyse locale spécifique. Au total, les dispositifs de protection sont dimensionnés pour répondre à un aléa millénial et des marges de protection.

Dans le cas de la centrale de Golfech, les projections hydro-climatiques reposent sur des scenarii utilisés par le GIEC prévoyant une stabilisation ou une augmentation des émissions de GES d'ici la fin du siècle. Ces scenarii prévoient une hausse des températures de l'air (+ 1,1 à 1,4°C), et de l'eau (+ 0,8 à 1,0 °C) ainsi qu'une baisse de l'étiage (- 11 à 12 %) d'ici 2035.

D'autre part, lors du réexamen décennal, le niveau de sûreté des centrales est réévalué pour intégrer les aléas naturels.

Pour la centrale de Golfech, l'intégration des améliorations de sûreté du 3 e réexamen périodique, dans le cadre du Grand Carénage, est prévue pour 2022 pour l'unité de production n° 1 et 2024 pour l'unité de production n° 2.

Enfin, au-delà de cette démarche préventive, les évènements climatiques sont l'objet d'une surveillance et d'un partage. Les prélèvements et rejets sont encadrés par des valeurs maximales, y compris en situation climatique exceptionnelle. De plus, le groupe EDF a développé un centre météorologique et d'un service climatique, travaillant notamment sur les conséquences du changement climatique sur le parc de production nucléaire.

Dans le cas de la centrale de Golfech, l'arrêté du 18 septembre 2006 171 ( * ) prévoit que les unités de production doivent être modulées ou arrêtées en cas de température supérieure à 28° C, ce qui a conduit à deux arrêts, en juillet 2019 et août 2020.

Le groupe EDF précise que « selon ces tendances, les températures d'eau maximales en état en amont du CNPE de Golfech seront amenées à atteindre plus régulièrement, voire à dépasser le seuil de 28°C ».

Au sein des nouveaux enjeux de sécurité existe la cyber-résilience des réacteurs . Le groupe EDF a indiqué que la cyber-résilience est intégrée de plusieurs manières. Au préalable, chaque centrale est soumise à une étude de sécurité, liée à la demande de détention du combustible, délivrée par les ministres de la défense et de l'énergie, en application de l'arrêté du 5 août 2011 172 ( * ) . Ensuite, la sécurité nucléaire, dont les risques liés à la cyber-sécurité, est une composante de la lutte contre la malveillance (I de l'article R. 1333-1 du code de la défense). Pour y répondre, le groupe EDF a institué un programme sécuritaire 173 ( * ) , d'un montant de 1,1 Md€ de 2015 à 2023 ; ses systèmes numériques font l'objet d'une homologation depuis 2017. De surcroît, le ministère chargé de l'énergie et l'Anssi mènent des inspections et des audits. Le Gouvernement a ainsi indiqué que « les questions liées à la cyber-sécurité sont pleinement intégrées au domaine de la sécurité nucléaire, suivi par le ministère [...] chargé de l'énergie ». Il a ajouté que « comme pour la sûreté nucléaire, les pratiques de la sécurité nucléaire font l'objet d'une amélioration continue sous le contrôle des autorités de tutelle ». Il a précisé que « la règlementation à laquelle sont soumis les opérateurs des centrales nucléaires, nationale et européenne, devrait prochainement être adaptée au regard de l'évolution des cyber-menaces et intégrer la coopération européenne sur ces sujets ». Outre les réacteurs existants, les nouveaux réacteurs sont eux aussi concernés par l'enjeu de la cyber-résilience. Pour l'IRSN, cet enjeu est même croissant « avec le développement des EPR2 ». De son côté, l'AEN a indiqué que « la cybersécurité est une question émergente pour le secteur du nucléaire », l'agence étant « en discussion avec ses pays membres les plus importants pour définir des activités futures dans ce domaine ».

La dernière question concerne la gestion du cycle du combustible.

L'approvisionnement en uranium ainsi qu'en matières et métaux critiques est encadré . Si la France n'extrait plus d'uranium de son sous-sol, 40 % des réserves mondiales se trouvent dans des pays de l'OCDE 174 ( * ) . De surcroît, l'énergie nucléaire ne nécessite, en France, que 5 kt par an, contre des réserves mondiales de 6 800 kt 175 ( * ) . La France dispose par ailleurs de stocks stratégiques d'uranium naturel (2 ans) et appauvri (7-8 ans) 176 ( * ) . Selon le groupe Orano, « l'uranium appauvri constitue une réserve stratégique qui peut être considérée comme une "mine domestique" (300 000 tonnes, soit environ 60 000 tonnes d'uranium naturel) correspondant à environ 7 à 8 ans de consommation annuelle d'uranium pour le parc français actuel ». En outre, la France recourt à une diversité de pays producteurs et à des contrats de long-terme. Le groupe EDF a indiqué que « la stratégie de sécurité d'approvisionnement en combustible nucléaire de EDF repose sur une double diversification, avec des usines essentiellement localisées en France, dans le reste de l'Union européenne, au Royaume-Uni et aux États-Unis ». Cette diversification concerne, tout à la fois, la « conception » , pour « s'affranchir d'une difficulté générique sur un type d'assemblages combustible » , et les « chaînes de production » , pour « s'affranchir d'un risque de rupture sur une partie de la chaîne d'un fabricant ». Le groupe Orano a précisé que « ne disposant plus de mines en France, Orano Mining s'appuie sur la diversification pour garantir sa sécurité d'approvisionnement, ainsi que sur l'anticipation ». Cela passe par « sa production des mines dont elle est actionnaire » 177 ( * ) et « un portefeuille de contrats long terme qui est régulièrement renouvelé ou allongé » 178 ( * ) . Au total, le coût de l'uranium ne dépasse pas 5 % du prix de l'électricité 179 ( * ) . S'agissant des métaux critiques, l'industrie nucléaire recourt à l'hafnium et à l'indium (pour les barres) et au zirconium et au niobium (pour les superalliages). La France a produit pour l'Europe 84 % de l'hafnium et 28 % de l'indium en 2021, qui sont des sous-produits du zirconium (dont 40 % provient d'Australie en 2016) et du zinc (dont 40 % provient de Chine en 2016). Par ailleurs, le Brésil fournit 85 % du niobium pour l'Europe 180 ( * ) . Un point d'attention est l'importance, dans la production de certaines matières premières, de la Chine (gadolinium et zirconium 181 ( * ) ) et de la Russie (californium 252, cobalt 60, lithium 7 182 ( * ) , bore 10, zinc 64 183 ( * ) ). À cela doivent s'ajouter les besoins pour la production d'hydrogène bas-carbone : ainsi, pour France Hydrogène, le déploiement d'une filière française de l'hydrogène, d'ici 2030, nécessite 4,1 à 6,2 tonnes (t) de platine, 0,48 à 0,74 t d'irridium et 0,91 à 1,37 t de ruthénium. Les réserves de platinoïdes sont détenues par l'Afrique du Sud, à hauteur de 91 % en 2020 184 ( * ) . Interrogé sur ces enjeux, le Gouvernement a indiqué que « les prix de l'uranium ont fortement augmenté depuis le début de l'année (+ 40 %) dans un contexte de limitation de l'offre pour des raisons économiques (les prix étaient très bas avant la crise sanitaire). Depuis lors, la situation sanitaire et le contexte géopolitique en Asie centrale ont accentué cette hausse. Toutefois, sur le moyen terme, il n'est pas anticipé de pénurie sur les matières critiques ». Il a ajouté que « la relance du nucléaire nécessitera, le cas échéant, une attention spécifique à l'approvisionnement en matières critiques, en soulignant qu'une veille existe déjà auprès des grands donneurs d'ordres, qu'il s'agisse d'EDF pour la production d'électricité ou d'Orano pour la fourniture d'uranium ».

La loi de « Programme relative à la gestion durable des matières et déchets radioactifs » 185 ( * ) , du 28 juin 2006, a institué un outil de planification - le programme national de gestion des déchets radioactifs et du combustible usé (PNGDMR) - et un établissement public national en charge de la gestion des déchets : l'Andra À l'échelle européenne, la directive 2011/70/Euratom du Conseil du 19 juillet 2011 186 ( * ) impose aux États membres de se doter d'un tel programme et d'identifier des organismes compétents.

Dans ce contexte, les combustibles usés sont l'objet d'un recyclage . Selon le Gouvernement, environ 1 080 tonnes de métal lourd (tML) de combustibles d'uranium naturel enrichi (UNE) sont produites chaque année. Ces combustibles usés passent 2 ans dans les piscines « BK », attenant aux réacteurs du groupe EDF, puis 7 ans dans celle de La Hague du groupe Orano. Le site de La Hague permet de séparer puis de conditionner les matières recyclables des déchets. Doté de 2 lignes de production (UP2-800 et UP3), sa capacité autorisée est de 1 700 t/an de combustibles usés. L'usine Melox du groupe Orano permet de fabriquer le MOX, combustible nucléaire recyclé à partir d'oxydes de plutonium et d'uranium appauvri. Sa capacité installée atteint 195 t/an. Le MOX a permis d'économiser 18 000 t d'uranium naturel depuis 1987, selon le Gouvernement. De plus, 96 % des combustibles usés sont recyclables et 10 % de l'électricité est produite à partir du MOX, selon le groupe Orano. L'URE est un autre combustible nucléaire recyclé à partir d'oxydes d'uranium de retraitement ré-enrichi : selon le Gouvernement, sa production pourrait reprendre en 2023. À l'occasion de son audition, le groupe Orano a rappelé que ses unités de production dataient de 1990 (UP3), 1994 (UP2-800) et 1997 (usine Melox), ce qui signifie qu'elles atteindront leur cinquantième année de fonctionnement au cours de la décennie 2040. Une réflexion sur leur devenir est demandée par les acteurs industriels comme les opérateurs de recherche. Ainsi, le groupe Orano a indiqué que « la prolongation et le renouvellement des usines de traitement-recyclage doivent être une composante à part entière de la définition d'un nouveau programme nucléaire pour la France, qui projette l'industrie nucléaire sur l'ensemble du XXIe siècle. Pour pouvoir disposer d'usines prolongées, en maîtrisant le risque du vieillissement, ou renouvelées, à l'horizon de la décennie 2040, les travaux de réalisation devront se dérouler au cours de la décennie 2030, et les principales décisions devront être prises dans les 5 prochaines années ». De plus, le CEA a affirmé que « l'augmentation du nombre de réacteurs est synonyme d'augmentation du volume de combustibles à fabriquer et à retraiter. Les usines de La Hague et de Melox sont aujourd'hui en charge de ces étapes. Toutefois il parait, avec la relance annoncée du nucléaire, nécessaire de prévoir d'ores et déjà la pérennisation de ces installations qui seront en fin de vie dans leur configuration actuelle à l'horizon 2040-2050 ». Cette réflexion est aussi souhaitée par les organismes de sûreté nucléaire. Ainsi, l'ASN a indiqué que « d'ici la fin de la décennie au plus tard, le Gouvernement devrait se prononcer sur la poursuite ou non du retraitement des combustibles usés à l'horizon 2040, pour anticiper les conséquences, en matière soit de rénovation des installations actuelles, soit de solutions alternatives à prévoir pour la gestion des combustibles usés ». De plus, l'IRSN a indiqué que « la question du devenir du cycle du combustible (prolongation, arrêt, renouvellement) notamment dédié au retraitement est à prendre en compte » . Sollicité sur cet enjeu, le Gouvernement n'a pas précisé le devenir de ces installations, estimant possible que les capacités actuelles soient suffisantes : « Le dimensionnement des capacités d'entreposage dépend au premier ordre de la stratégie de retraitement mis en place et de la capacité des producteurs à la décliner. En maintenant le mono-recyclage, les capacités prévues permettront de couvrir les besoins liés à de nouveaux réacteurs ».

De plus, les déchets nucléaires sont l'objet d'un stockage . Confié à l'Andra, le système actuel repose sur des financements dédiés, selon le principe « pollueur-payeur » . Les déchets à très faible activité (TFA) et à faible et moyenne activité à vie courte (FMA-VC) sont stockés en surface au Centre industriel de regroupement, d'entreposage et de stockage (CIRES) ou au Centre de stockage de l'Aube 187 ( * ) (CSA), tandis que les déchets de moyenne activité à vie longue (MA-VL) et les déchets à haute activité (HA) feront l'objet d'un stockage géologique profond au sein du Centre industriel de stockage géologique (Cigéo) ( voir tableau ci-après 188 ( * ) ). L'Andra étudie le stockage à faible profondeur pour les déchets à faible activité à vie longue (FA-VL), sur la communauté de communes de Vendeuvre-Soulaines, ainsi que l'augmentation de la capacité du Cires, à surface égale, pour les déchets TFA, car « le centre actuel [...] ne sera pas en capacité d'en absorber la totalité ». Fondé sur un principe de réversibilité, par la loi de « Programme relative à la gestion durable des matières et déchets radioactifs » de 2006 189 ( * ) , le projet Cigéo vise à construire un site de stockage géologique profond à Bure (Meuse/Haute-Marne). La recherche du site a démarré en 1998 et la construction d'un laboratoire en 2000. L'Andra vient d'obtenir une déclaration d'utilité publique (DUP) et finalise une demande d'autorisation de création (DAC). Elle espère obtenir le décret de la DAC « à l'horizon 2025/2027 » et démarrer l'exploitation du centre « dans les années 2035-2040 ». Au total, 90 % des déchets radioactifs français (TFA et FMA-VC) sont pris en charge, selon l'Andra. Interrogée sur le PNGDMR, l'agence a indiqué qu'il « appelle plusieurs décisions, concernant Cigéo ou le projet FA-VL sur la communauté de communes de Vendeuvre-Soulaines, dans l'Aube ». En revanche, elle a précisé que « les actions du prochain PNGMDR [...] ne seront pas impactées par le programme de 6 nouveaux EPR », ajoutant que « le PNGDMR prévoit, pendant cinq ans, une révision des inventaires et des chroniques », ce qui « si nécessaire [...] permettrait de mettre à jour les dossiers et en particulier le dossier de DAC ». Sollicitée sur la relance de l'énergie nucléaire, l'agence s'est exprimée en ces termes : « L'Andra [...] a instruit la question de l'impact d'un programme de 6 nouveaux EPR sur les filières de gestion des déchets existantes ou en projet. [...] L'Andra n'a pas identifié d'éléments rédhibitoires au stockage de ces déchets. [...] En termes de capacités de stockage, les volumes supplémentaires de déchets TFA et FMA-VC ne conduisent qu'à un décalage de quelques mois des besoins de renouvellement. [...] Concernant le projet Cigéo, l'analyse conclut à l'absence d'impacts majeurs sur les principes de conception, à une durée de refroidissement des MOX en entreposage qui devra être prolongée et à une augmentation de l'emprise ». Dans le même esprit, le CEA a précisé que « l'impact de la construction de nouveaux réacteurs sur le PNGDMR a été considéré et doit pouvoir être géré. En effet, l'augmentation des quantités de déchets à considérer, dans la mesure où la politique visant à fermer le cycle du combustible est maintenue, lui semble incluse dans les marges prises lors de l'établissement du plan. En tout état de cause, même si les indications chiffrées doivent être revenues, les principes de gestion demeurent valables ». Plus largement, l'ASN a indiqué que la relance de l'énergie nucléaire « suppose que des décisions soient prises, avant le terme du prochain PNGDMR pour que tous les types de déchets disposent de filières de gestion opérationnelle dans les 15 à 20 ans à venir, et que les exploitants nucléaires se mobilisent davantage pour conduire, dans les délais prévus, les projets de reprise et de conditionnement sûr des déchets nucléaires historiques dont ils ont la responsabilité ». Interrogé à son tour, le Gouvernement a indiqué que, même en l'absence d'éléments rédhibitoires, « la stratégie de maintenance et de vieillissement du génie civil des ouvrages souterrains de Cigéo sera néanmoins ajustée en fonction des résultats de la surveillance et pourra, le cas échéant, être renforcée ou complétée par des opérations de plus grande ampleur, dans le cas où la durée d'exploitation du centre serait significativement plus longue ».


* 135 Négawatt, Scenario négawatt 2022, Le scénario en détail, 2022.

* 136 Réseau de transport d'électricité (RTE), Futurs énergétiques à l'horizon 2050. Résumé exécutif, 2021.

* 137 Source : Réseau de transport d'électricité (RTE).

* 138 Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), Transition(s) 2050. Feuilleton Mix électrique : quelles alternatives et quels points communs ? , 2022.

* 139 Réseau de transport d'électricité (RTE), Futurs énergétiques à l'horizon 2050. La production d'électricité , 2022.

* 140 Autorité de sûreté nucléaire (ASN), avis n° 2019-AV-0329 de l'ASN du 16 juillet 2019.

* 141 Réseau de transport d'électricité (RTE), Futurs énergétiques à l'horizon 2050. Résumé exécutif , 2021.

* 142 Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), Transition(s) 2050. Feuilleton Mix électrique : quelles alternatives et quels points communs ? , 2022.

* 143 Réseau de transport d'électricité (RTE), Futurs énergétiques à l'horizon 2050. Résumé exécutif , 2021.

* 144 Société française d'énergie nucléaire (SFEN), Comment financer le renouvellement du parc nucléaire ? Construire un modèle de financement afin de garantir une électricité compétitive pour la France, 2022.

* 145 Le groupe italien Enel s'étant retiré du projet en 2012.

* 146 Cour des comptes, La filière EPR, 2020, p. 16.

* 147 Agence pour l'énergie nucléaire (AEN), Mise en oeuvre à long-terme des installations nucléaires et des stratégies de décarbonation, 2021 .

* 148 Règlement délégué (UE) n° 2021/2178 du 06/07/21 complétant le règlement (UE) 2020/852 du Parlement européen et du Conseil par des précisions concernant le contenu et la présentation des informations que doivent publier les entreprises soumises à l'article 19 bis ou à l'article 29 bis de la directive 2013/34/UE sur leurs activités économiques durables sur le plan environnemental, ainsi que la méthode à suivre pour se conformer à cette obligation d'information.

* 149 L'atténuation du changement climatique ; l'adaptation au changement climatique ; l'utilisation durable et la protection des ressources aquatiques et marines ; la transition vers une économie circulaire ; la prévention et la réduction des pollutions ; la protection et la restauration de la biodiversité et des écosystèmes.

* 150 Règlement délégué (UE) 2021/2139  de la Commission du 4 juin 2021 complétant le règlement (UE) 2020/852 du Parlement européen et du Conseil par les critères d'examen technique permettant de déterminer à quelles conditions une activité économique peut être considérée comme contribuant substantiellement à l'atténuation au changement climatique ou à l'adaptation à celui-ci et si cette activité économique ne cause de préjudice important à aucun des autres objectifs environnementaux n'a malheureusement pas statué sur le caractère durable de l'activité de production nucléaire, la Commission renvoyant à un acte délégué complémentaire.

* 151 Groupe d'experts techniques (GET) sur la finance durable, Taxonomie : rapport et annexes techniques, mars 2020.

* 152 Centre commun de recherche (CCR), Évaluation technique de l'énergie nucléaire au regard du critique « DNSH », mars 2021.

* 153 Règlement délégué (UE) 2022/2014 de la Commission du 9 mars 2022 modifiant le règlement délégué (UE) 2021/2139 en ce qui concerne les activités économiques exercées dans certains secteurs de l'énergie et le règlement délégué (UE) 2021/2178 en ce qui concerne les informations à publier spécifiquement pour ces activités économiques.

* 154 Loi n° 2006-686 du 13 juin 2006 relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire .

* 155 Directive 2009/71/Euratom du Conseil du 25 juin 2009 établissant un cadre communautaire pour la sûreté nucléaire des installations nucléaires.

* 156 S'agissant de la cyber-sécurité.

* 157 En revanche, 2 points d'arrêt ont déjà été levés sur le coulage du radier et la cellule d'injecteur de neutrons.

* 158 Sans compter l'ancienne centrale de Tchernobyl.

* 159 Agence internationale de l'énergie atomique, « Le Directeur général de l'AIEA, M. Grossi, compte se rendre en Ukraine », 4 mars 2022.

* 160 Ces 7 piliers sont les suivants :

- l'intégrité physique des installations (réacteurs, piscines de combustibles et entrepôt de déchets radioactifs) doit être maintenue ;

- tous les systèmes et équipements de sûreté et de sécurité doivent être pleinement fonctionnels à tout moment ;

- le personnel d'exploitation doit pouvoir s'acquitter de ses tâches liées à la sûreté et à la sécurité et pouvoir prendre des décisions sans pression indue ;

- il doit y avoir une alimentation électrique hors site sécurisée à partir du réseau pour tous les sites nucléaires ;

- il doit y avoir des chaînes logistiques d'approvisionnement et des transports ininterrompus vers les sites et depuis ceux-ci ;

- il doit y avoir des systèmes efficaces de contrôle radiologique sur les sites et hors de ceux-ci ainsi que des mesures de préparation et de conduite des interventions d'urgence ;

- il doit y avoir des communications fiables avec l'organisme de règlementation et d'autres personnes.

* 161 Le Progrès, « La centrale de Zaporija est “complément hors de contrôle” », 4 août 2022 .

* 162 Citant « la cuve et l'enceinte de confinement ».

* 163 Citant « les câbles électriques, les équipements des circuits primaires principaux, les internes de cuve ».

* 164 Arrêté du 7 février 2012 fixant les règles générales relatives aux installations nucléaires de base.

* 165 Séisme, foudre, conditions météorologiques ou climatiques extrêmes, incendies, inondations.

* 166 Défaillance d'équipements, inondation, incendie ou explosion d'origine interne, émission de projectiles, collision et chute de charges, interférences électromagnétiques, émission de substances dangereuses.

* 167 Dont l'installation d'un diesel d'ultime secours ou d'un centre local de crise sur chaque site.

* 168 Formée pour faire face aux catastrophes naturelles.

* 169 Bugey, Blayais, Golfech, Saint-Alban.

* 170 Autorité de sûreté nucléaire (ASN), « Canicule : l'ASN modifie temporairement les prescriptions applicables aux rejets liquides de trois centrales nucléaires pour permettre d'assurer la sécurité du réseau électrique » , 15 juillet 2022, et « l'ASN étend à la centrale nucléaire du Bugey la modification temporaire des prescriptions applicables aux rejets liquides pour permettre d'assurer la sécurité du réseau électrique », 18 juillet 2022 .

* 171 Arrêté du 18 septembre 2006 autorisant Électricité de France à poursuivre les prélèvements d'eau et les rejets d'effluents liquides et gazeux pour l'exploitation du site nucléaire de Golfech.

* 172 Arrêté du 5 août 2011 relatif aux modalités de la demande et à la forme de l'autorisation requise par l'article L. 1333-2 du code de la défense.

* 173 Répondant par ailleurs aux intrusions et aux menaces par drones et par avions.

* 174 Société française d'énergie nucléaire (SFEN).

* 175 Réseau de transport d'électricité (RTE), Futurs énergétiques 2050. L'analyse environnementale, 2022.

* 176 Société française d'énergie nucléaire (SFEN).

* 177 Existant (Niger, Canada, Kazakhstan) ou en projet (Ouzbékistan, Mongolie, Niger, Canada)

* 178 Australie, Kazakhstan, Japon.

* 179 Société française d'énergie nucléaire (SFEN).

* 180 Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM).

* 181 Groupe EDF.

* 182 Groupe EDF.

* 183 Groupe Orano.

* 184 Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM).

* 185 Loi n° 2006-739 du 28 juin 2006 de programme relative à la gestion durable des matières et déchets radioactifs.

* 186 Directive 2011/70/Euratom du Conseil du 19 juillet 2011 établissant un cadre communautaire pour la gestion responsable et sûre du combustible usé et des déchets radioactifs.

* 187 Un CSA, en voie d'extinction, existant également dans la Manche.

* 188 Source : Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra).

* 189 Loi n° 2006-739 du 28 juin 2006 de programme relative à la gestion durable des matières et déchets radioactifs (article 5).

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