II. CONTRAINTE DE LA PÉNIBILITÉ ET DE LA COMPÉTITIVITÉ

Le régime des retraites des marins est issu du Fonds des invalides de la marine, institué par Colbert en 1673. Ce Fonds prévoyait le prélèvement d'un faible pourcentage sur la solde des marins aux fins de financement des hospices maritimes destinés à héberger et à soigner les marins estropiés. Une demi-solde correspondant à la moitié de leur revenu d'activité est versée aux marins concernés à partir de 1689, préfigurant la pension d'invalidité actuelle. Initialement réservé aux personnels de la marine royale, le régime est progressivement étendu à tous les secteurs d'activité. Le dispositif est finalement réservé aux marins civils en 1898, une caisse de prévoyance étant instituée en 1938, dont la spécificité est reconnue par l'ordonnance du 4 avril 1945.

Le régime des retraites est réservé aux marins tels que définis par l'article L. 5511-1 du code des transports, soit les gens de mer salariés ou non salariés exerçant une activité directement liée à l'exploitation du navire. Les marins au commerce, les marins à la pêche et les gens de mer exerçant à bord d'un navire une activité professionnelle à quelque titre que ce soit sont concernés. Les gens de mer affiliés doivent, conformément aux articles L. 5512 et 5513 du code des transports faire état des qualifications professionnelles et de l'aptitude physique nécessaires, voire de connaissances juridiques et linguistiques pour les capitaines et suppléants.

La gestion du régime est actuellement assurée par l'Établissement national des invalides de marine (ENIM). Cet établissement public administratif est placé sous la tutelle des ministères chargés de la mer, du budget et de la sécurité sociale. Il comprend deux caisses :

- la caisse générale de prévoyance des marins, qui couvre les risques maladie, maternité et invalidité (89 794 affiliés en décembre 2020 dont 19 910 ayant-droits) ;

- la caisse des retraites, qui couvre le risque vieillesse.

En dépenses, la branche vieillesse représente environ deux tiers du total des charges de l'ENIM et la maladie le tiers restant.

Le programme 197 « Régimes de retraites et de sécurité sociale des marins » - 13,25 % des crédits de la mission « Régimes sociaux et de retraite » consommés en 2021, soit 809,57 millions d'euros - contribue pour plus moitié à son financement, le budget de l'ENIM atteignant environ 1,57 milliard d'euros.

La dotation du programme 197 s'articule autour de deux axes :

- le financement des dépenses d'intervention liées au risque vieillesse (799,40 millions d'euros en 2021 , soit 98,75 % des crédits du programme) ;

- la subvention pour charge de service public dédiée au fonctionnement de l'ENIM (10,17 millions d'euros en 2021 ).

Budget exécuté au titre de l'année 2021 de l'ENIM (hors versements de prestations)

(en millions d'euros)

Catégorie de dépense

Montant

Personnel

18,11

Fonctionnement

7,48

Intervention

5,23

Investissement

2,31

Total

33,17

Source : commission des finances d'après les documents budgétaires

L'ENIM comptabilisait 278 équivalents temps plein travaillé en 2021, le plafond d'emplois étant fixé à 293. La sous-exécution constatée sur l'exercice 2021 correspond pour la majeure partie à des retards dans les recrutements pour les postes vacants. Les recrutements qui devaient se conclure en 2021, auront finalement lieu en 2022.

Un établissement réparti sur plusieurs sites

Le parc immobilier de l'ENIM (surface utile brute globale de 17 134 m²) se compose pour 8 291 m² de bureaux :

- Quatre immeubles de bureaux dont le siège social situé, depuis le 1 er octobre 2012, à Périgny en Charente-Maritime et trois sites de production situés en Bretagne ;

- deux antennes du service du contrôle médical à Bordeaux et à Marseille ainsi que, depuis le 1 er mai 2018, trois bureaux de passage à Paris.

8 843 m² du parc est dédié à des immeubles sociaux :

- deux hôtels des gens de mer (La Rochelle, Le Havre), qui étaient destinés à l'accueil des marins et de leur famille en escale dans les ports et ouverts à l'ensemble des autres clientèles ;

- un foyer logement pour personnes âgées non dépendantes (Saint-Quay-Portrieux).

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire budgétaire

S'agissant du régime de retraite des marins, il est abondé par :

- des cotisations salariales et patronales dont les montants divergent en fonction du statut des marins et des registres auprès desquels sont enregistrés les navires sur lesquels ils sont embarqués . Ces cotisations (salariales et patronales) se sont élevées à 135,3 millions d'euros (dont 28,7 millions d'euros compensés par l'État) en 2021 ;

- la subvention d'équilibre versée par l'État via le programme 197. Celle-ci correspond à 78 % des recettes du régime et couvre 82 % des pensions versées. Elle concourt au financement du risque vieillesse et des dispositifs d'action sociale en lien avec le risque vieillesse (1,43 million d'euros en 2020).

Dépenses d'action sanitaire et sociale - actions individuelles vieillesse couvertes
par la subvention en 2020

(en euros)

Dispositif

Montant de la dépense

Téléassistance

333,03

Aide-ménagère à domicile

865 795,60

Garde à domicile

15 952,80

Aides à l'habitat

102 660,00

Lutte contre la précarité énergétique

413 538,00

Autres aides individuelles

28 533,18

Total

1 428 632,61

Source : commission des finances d'après les réponses au questionnaire budgétaire

En agrégeant subvention d'équilibre et prise en charge des cotisations, le financement de l'État représente 81 % des ressources du régime de retraite des marins.

Évolution des recettes du régime de retraite des marins entre 2020 et 2022

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses de la direction du Budget au questionnaire de la rapporteure spéciale

Le montant de la subvention versée par l'État au régime des marins reste relativement stable depuis 2012.

Évolution de la subvention d'équilibre versée par l'État au régime des marins
entre 2012 et 2021

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

A. UN CONTEXTE ÉCONOMIQUE QUI REND LE RÉGIME DÉPENDANT AUX FONDS PUBLICS

Établi à 29 189 au 31 décembre 2020, le nombre de cotisants devrait, selon les estimations transmises par l'ENIM à la rapporteure spéciale, baisser de près de 5 % d'ici à 2025, avant d'amorcer une décrue encore plus nette d'ici 2050.

Évolution du nombre de cotisants entre 2015 et 2050

Source : commission des finances du Sénat d'après les chiffres transmis par l'ENIM

1. Un nombre réduit de cotisants répartis au sein de 20 catégories
a) Un classement figé qui ne reflète pas totalement la fluidité des carrières marines

Le décret du 7 mai 1952 classe les marins affiliés au régime spécial des marins en 20 catégories, reflétant les principales familles de métiers. Chacune des catégories compte entre 1 et 28 fonctions, soit au total 270 fonctions, dont 75 ne concerneraient chacune que 10 marins.

Cette grille détermine un salaire forfaitaire sur lequel sont assises les cotisations des marins, contributions des armateurs et pensions de retraite, sans pour autant refléter totalement les salaires effectivement versés. C'est notamment le cas pour les pêcheurs, rémunérés à la part.

Grille de salaire forfaitaire au 1 er avril 2022 16 ( * )

Catégorie

Commerce

Pêche

Plaisance

Salaire forfaitaire annuel (en euros)

Pont

Machine

1

Apprenti

Apprenti

Apprenti

13 088,64

2

Matelot de moins de 18 ans

Matelot de moins de 18 ans

Matelot de moins de 18 ans

16 278,93

3

Matelot léger

Matelot léger à la pêche côtière, à la pêche au large et à la grande pêche ; Matelot à la petite pêche

Équipier sur un navire à utilisation commerciale armé en navigation côtière

19 468,50

4

Matelot

Nettoyeur

Patron non titulaire de titre de formation professionnelle maritime sur navire de jauge brute inférieure à 6 tonneaux armé à la pêche côtière

21 476,08

5

Matelot qualifié

Nettoyeur et soutier titulaires d'un certificat d'apprentissage maritime totalisant 60 mois de navigation

Patron, titulaire du certificat d'apprentissage maritime et justifiant de 60 mois de navigation, sur navire de jauge brute inférieure à 6 tonneaux armé à la pêche côtière. Ouvrier mécanicien, titulaire d'un titre professionnel, sur navire de pêche côtière

22 920,79

6

Patron breveté ou titulaire du certificat de capacité de navire de moins de 6 tonneaux armé à la navigation côtière avec au moins un matelot

Ouvrier mécanicien et électricien non titulaires d'un certificat d'ouvrier spécialisé

Magasinier, frigoriste [...] (toutes classes)

Chef de bord sur un navire à utilisation commerciale armé en navigation côtière

23 716,31

7

Chef timonier

Ouvriers mécanicien et électricien, titulaires du certificat d'aptitude professionnelle maritime

Patron breveté ou titulaire du certificat de capacité sur navire de jauge brute inférieure à 25 tonneaux, armé à la pêche côtière

25 188,92

8

Patron titulaire du certificat de capacité sur navire de 6 à 20 tonneaux armé à la navigation côtière

Maître mécanicien et maître électricien sur navires dits à caractéristiques techniques poussées

Patron, breveté ou titulaire du certificat de capacité, sur navire de jauge brute égale ou supérieure à 25 tonneaux armé à la pêche côtière

Équipier sur un navire à utilisation commerciale armé en cabotage et long cours

26 511,76

9

Patron breveté de bateau de 6 à 20 tonneaux de jauge brute armé à la navigation côtière

Assistant officier stagiaire

Patron et chef mécanicien sur navire de jauge brute inférieure à 50 tonneaux armé à la pêche au large.

27 707,44

10

Lieutenant sur navire de charge de moins de 6 000 tonnes

Officier mécanicien sur navire de charge de moins de 6 000 tonnes

Patron et chef mécanicien sur navire de jauge brute égale ou supérieure à 50 tonneaux et inférieure à 100 tonneaux armé à la pêche au large

29 443,69

11

Lieutenant sur navire de charge de 6 000 à 100 000 tonnes ou de moins de 35 000 CV

Officier mécanicien sur navire de charge de 6 000 à 100 000 tonnes ou de moins de 35 000 CV

32 621,22

12

Lieutenant sur navire de charge de plus de 100 000 tonnes ou de puissance supérieure à 3 000 CV

Officier mécanicien sur navire de charge de plus de 100 000 tonnes ou de puissance supérieure à 35 000 CV

Patron et chef mécanicien sur navire de jauge brute égale ou supérieure à 100 tonneaux et inférieure à 250 tonneaux armé à la pêche au large

Chef de bord sur un navire à utilisation commerciale armé en cabotage et longs cours

34 704,83

13

Capitaine de remorqueur ayant de 200 à 300 tonneaux de jauge ou d'une puissance de machine de 500 à 700 CV

Chef mécanicien de remorqueur de 200 à 300 tonneaux de jauge ou d'une puissance de machine de 500 à 700 CV

Patron et chef mécanicien sur navire de jauge brute égale ou supérieure à 250 tonneaux et inférieure à 450 tonneaux armé à la pêche au large

37 541,88

14

Second capitaine de navire de charge de 6 000 à 14 000 tonnes

Second mécanicien de navire de charge de 6 000 à 14 000 tonnes

40 379,00

15

Second capitaine de navire de charge de plus de 14 000 tonnes ou de puissance supérieure à 20 000 CV

Second mécanicien sur navire de charge de plus de 14 000 tonnes ou de puissance supérieure à 20 000 CV

Patron et chef mécanicien sur navire de jauge brute égale ou supérieure à 450 tonneaux armé à la pêche au large

43 525,61

16

Capitaine de cargo de 1 500 à 3 000 tonnes

Chef mécanicien de cargo de 1 500 à 3 000 tonnes

46 858,59

17

Capitaine de cargo de 3 000 à 6 000 tonnes

Chef mécanicien de cargo de 3 000 à 6 000 tonnes

Capitaine et chef mécanicien sur navire de jauge brute égale ou supérieure à 750 tonneaux armé à la grande pêche

50 931,66

18

Capitaine de navire de charge de 6 000 à 14 000 tonnes

Chef mécanicien de navire de 6 000 à 14 000 tonnes

56 126,51

19

Capitaine de navire de charge de 14 000 à 100 000 tonnes ou de puissance comprise entre 20 000 et 35 000 CV

Chef mécanicien de navire de charge de 14 000 à 100 000 tonnes ou de puissance comprise entre 20 000 et 35 000 CV

61 782,78

20

Capitaine de navire de charge de plus de 100 000 tonnes ou de puissance supérieure à 35 000 CV

Chef mécanicien de navire de charge de plus de 100 000 tonnes ou de puissance supérieure à 35 000 CV

67 883,32

Les affiliés au régime des retraites des marins sont issus de plusieurs secteurs. Ainsi, en 2020 :

- 59 % des cotisants sont issus du secteur de la pêche ;

- 23 % des cotisants représentent le secteur des cultures marines ;

- 10 % des cotisants travaillent au sein du secteur de la plaisance professionnelle ;

- 9 % des cotisants sont issus du secteur du commerce 17 ( * ) .

Évolution du nombre de cotisants par secteur d'activité entre 2000 et 2020

Année

Secteur d'activité

Total 18 ( * )

Commerce

Cultures marines

Pêche

Plaisance professionnelle

Inconnu 19 ( * )

2000

15 145

5 082

22 064

1 114

17 486

44 475

2005

15 657

5 217

20 517

1 314

15 662

43 118

2010

16 796

5 022

17 059

1 698

14 327

40 715

2015

16 170

4 916

15 832

1 771

14 680

38 921

2020

15 142

4 686

14 513

2 103

17 312

36 230

Source : commission des finances d'après les données transmises par l'ENIM

Les marins peuvent cotiser au sein de catégories différentes au cours du même exercice, en fonction des tâches effectivement occupées à bord comme de la durée et de la nature de leur mission. Ainsi, en 2020 le nombre de cotisants théorique - 36 230 - est supérieur au nombre de marins réellement affiliés à l'ENIM.

Évolution du nombre de cotisants par catégorie entre 2000 et 2020 20 ( * )

Catégorie

2000

2005

2010

2015

2020

0

4 482

3 064

2 562

2 697

10 298

1

260

462

409

310

278

2

467

471

240

244

124

3

10 970

10 086

8 780

8 081

6 328

4

9 168

9 214

7 616

7 096

6 833

5

7 309

6 629

6 017

5 330

4 721

6

7 854

7 332

6 497

6 096

5 798

7

5 742

5 979

5 345

4 843

4 768

8

4 039

3 873

4 714

5 320

4 472

9

2 194

2 311

2 345

2 150

2 888

10

2 290

2 244

2 198

2 223

2 197

11

802

819

851

923

950

12

3 052

3 337

3 772

3 660

3 636

13

920

722

752

802

983

14

498

403

387

361

333

15

1 560

1 561

1 671

1 715

1 836

16

650

612

575

631

695

17

558

603

583

626

645

18

338

299

271

225

222

19

607

594

582

520

578

20

388

445

510

501

544

Total

44 475

43 118

40 7015

38 921

36 230

Source : commission des finances d'après les données transmises par l'ENIM

b) Des cotisants répartis sur trois registres de navire

Il convient de rappeler à ce stade que la totalité de la flotte française comme l'ensemble des marins français ne sont pas affiliés à l'ENIM. Les règles sociales dépendent en effet à la fois du pavillon d'immatriculation du navire et de la résidence du marin. L'article 91 de la convention des Nations unies sur le droit de la mer du 10 décembre 1982, signée et ratifiée par la France en 1996, permet aux États de pouvoir établir leurs propres règles et conditions d'immatriculation de leurs navires. La France a ainsi établi trois registres :

- le premier registre concerne les navires battant pavillon français. Les gens de mer embarqués sur ces navires exerçant dans les secteurs du commerce, de la pêche, des cultures marines et de la plaisance professionnelle sont affiliés à l'ENIM. 23 800 navires sont immatriculés à ce régime ;

- le registre d'immatriculation français (RIF) , mis en place en 2005 21 ( * ) , concerne les navires de commerce au long cours, ceux tournés vers le cabotage international et les navires de plaisance à utilisation commerciale de plus de 24 mètres (yachting). Les transporteurs de passagers sur les lignes régulières, les navires d'assistance portuaire et les bateaux dédiés à la pêche professionnelle sont exclus de ce dispositif. 2 400 navires sont affiliés à ce régime . Le salaire des marins embarqués est défiscalisé sous certaines conditions. Seuls, les marins résidant en France exerçant sur ces embarcations sont affiliés à l'ENIM. 3 900 marins sont ainsi enregistrés auprès de l'ENIM alors qu'ils sont embarqués sur un navire battant pavillon RIF ;

- le registre dit de Wallis-et-Futuna prévoit, enfin, que le régime spécial ne s'applique pas toujours aux marins embarqués sur les navires qui y sont affiliés : les marins résidant sur le territoire de Wallis-et-Futuna ou recrutés sur ce territoire sont affiliés à la caisse de prestations sociales de Wallis-et-Futuna (CPSWF). Les marins affiliés à l'ENIM préalablement à leur affectation sur un navire enregistré sur ce territoire conservent ce rattachement ( 285 marins sont concernés) 22 ( * ) . Enfin, les marins personnels d'hôtellerie et de restauration résidant en France ( 700 marins concernés ), qui ne sont affiliés à aucun régime de retraite obligatoire, devraient être affiliés à l'ENIM à compter du 1 er janvier 2023 23 ( * ) .

c) Le cas des emplois à terre et de certaines activités côtières

Enfin, en application des articles L. 5552-15 et L. 5552-16 du code des transports, les marins occupant un emploi à terre peuvent rester affiliés à l'ENIM sous certaines conditions .

A l'inverse, les personnels exerçant des activités maritimes pratiquées proches des côtes avec un navire (promenade en mer, prestations de service aux navires de plaisance...) ne sont pas considérés comme des marins au sens du décret de 1952. De plus en plus d'emplois à terre comportent par ailleurs un embarquement de courte durée à bord d'un navire (essai de navire, livraison de denrées alimentaires, transport de coquillages pêchés en pêche à pied...). Là encore, ces activités n'induisent pas une affiliation à l'ENIM.

d) Le principe de l'affiliation automatique à l'ENIM pour les marins qui résident en France souffre de nombreuses dérogations

En application des articles L. 711-1 et R. 711-1 du code de la sécurité sociale et des articles L. 5551-1 et L. 5551-2 du code des transports, les gens de mer marins résidant en France sont par principe affiliés au régime de sécurité sociale des marins quel que soit le pavillon du navire sur lequel ils sont embarqués. Aucune estimation du nombre de personnels concernés par une activité au sein d'un navire battant pavillon tiers n'a pu être fournie à la rapporteure spéciale. L'ENIM comptabilise néanmoins 20 employeurs basés à l'étranger (hors Monaco) dont les marins sont pour partie affiliés à son régime.

Le principe de cette affiliation souffre de plusieurs exceptions :

- pour les marins embarqués sur un navire battant pavillon d'un pays de l'Union européenne : le régime du pays du pavillon voire du pays de résidence de la société qui l'emploie si celui-ci diffère du pays du pavillon s'impose ;

- le régime du pays du pavillon s'impose également pour les marins embarqués dans un navire enregistré dans un État ayant signé une convention bilatérale avec la France .

In fine seuls les marins embarqués sur des navires battant pavillon d`un État qui n'a pas noué de convention bilatérale avec la France peuvent être effectivement affiliés à l'ENIM.

2. Une diminution du nombre de cotisants imputable à la concurrence internationale ?

La diminution du nombre de cotisants peut être liée à plusieurs facteurs :

- le contexte de concurrence internationale et la question de la compétitivité ont affecté la taille de la flotte sous pavillon français ;

- le développement de l'automatisation des navires ;

- la progression des gains de productivité.

La question de la concurrence internationale est sans doute la clé de voute de toute réflexion sur l'avenir du régime des marins. Sans la remettre en cause, la rapporteure spéciale insiste sur la nécessité que celle-ci ne donne pas lieu à des distorsions importantes, en particulier au sein de l'Union européenne.

a) La question de l'application du droit social de l'État d'accueil au sein de l'Union européenne

Le règlement européen n°3577/92 du 7 décembre 1992 concernant l'application du principe de la libre-circulation des services au transport maritime à l'intérieur des États membres s'applique aux armateurs communautaires exploitant des navires immatriculés dans un État membre et battant pavillon de cet État membre 24 ( * ) . Son article 3 dispose ainsi que pour les navires pratiquant le cabotage continental et les navires de croisière, toutes les questions relatives à l'équipage relèvent de la responsabilité de l'État dans lequel le navire est immatriculé, soit l'État du pavillon. Seuls les navires jaugeant moins de 650 tonnes brutes peuvent se voir appliquer les conditions de l'État d'accueil.

Le règlement prévoit néanmoins une exception visant le cabotage avec les îles. Toutes les questions relatives à l'équipage relèvent de la responsabilité de l'État dans lequel le navire effectue un service de transport maritime, soit l'État d'accueil. Néanmoins, pour les navires de transport de marchandises jaugeant plus de 650 tonnes brutes et pratiquant le cabotage insulaire, lorsque le voyage concerné suit ou précède un voyage à destination d'un autre État ou à partir d'un autre État, toutes les questions relatives à l'équipage relèvent de l'État du pavillon. La Cour de justice a précisé le 6 avril 2006 dans l'arrêt Agip Petroli SpA que le voyage qui suit ou précède pouvait être à vide, à condition que ces déplacements sans cargaison à bord ne soient pas entrepris de façon abusive afin de contourner le règlement.

La Commission a, par la suite, précisé sa position sur le droit applicable à l'équipage dans sa communication de décembre 2003 25 ( * ) relative à l'interprétation par la Commission du règlement (CEE) n° 3577/92 du Conseil concernant l'application du principe de la libre circulation des services aux transports maritimes à l'intérieur des États membres (cabotage maritime) . Elle estime ainsi que les États d'accueil sont compétents pour déterminer la proportion requise de ressortissants de l'Union à bord des navires qui pratiquent le cabotage avec les îles. Un État membre peut ainsi exiger que l'équipage de ces navires soit entièrement composé de ressortissants de l'Union. Les États membres peuvent également exiger que les marins à bord bénéficient d'une couverture sociale dans l'Union européenne. S'agissant des conditions de travail, ils peuvent imposer le respect du salaire minimum en vigueur dans le pays.

S'agissant de la marine marchande, il convient de relever que l'article premier de la directive n° 96/71 du 16 décembre 1996 relative au détachement des travailleurs précise que le dispositif mis en place (principe de respect du droit de l'État d'accueil) n'est pas applicable au personnel navigant 26 ( * ) . La Cour de justice de l'Union européenne a cependant, dans l'arrêt Voogsgerred/Navimer rendu le 15 décembre 2011 27 ( * ) , rappelé que la relation de travail devait être rattachée au port d'exploitation réelle et non au lieu administratif d'immatriculation. Ce faisant, elle rend neutre la question du pavillon, la loi de l'État de celui-ci n'étant plus, de fait, la seule à s'appliquer à bord. L'arrêt de la CJUE relativise ainsi la législation européenne existante qu'il s'agisse de droit de la sécurité sociale, où les règlements n° 883/2004 28 ( * ) et 987/2009 29 ( * ) consacrent le principe du rattachement à l'État du pavillon, ou de droit du travail.

Nonobstant ce cadre juridique précis, les armateurs français et les représentants des gens de mer ont indiqué à la rapporteure spéciale l'absence de contrôles suffisants pour évaluer le respect de ces normes. En découle une impression de dumping social qui fragilise le secteur maritime français.

Le Gouvernement a lancé en mars 2021 un groupe de réflexion sur la redynamisation et l'amélioration de la compétitivité dit « Fontenoy du maritime », associant les acteurs de la profession. Un des axes de travail concernait le « volet social », en insistant notamment sur la nécessaire mise en oeuvre d' « une garantie d'une concurrence loyale dans les eaux françaises et au sein de l'Union européenne ». Le constat d'une insuffisance des contrôles y a été partagé, le groupe de réflexion n'ayant pu disposer de données sur les navires ayant fait l'objet de contrôles par l'inspection du travail en 2020 , exercice au cours duquel 96 opérateurs ont déposé des déclarations préalables d'activité déposées. Les thématiques de contrôle restent, en outre, mal connues, par rapport à l'étendue de ce qui est contrôlable.

b) Un potentiel inexploité ?

La plupart des interlocuteurs de la rapporteure spéciale ont décrit un marché de l'emploi maritime en tension. Le seul développement de la flotte mondiale devrait ainsi aboutir à la création de 32 000 emplois d'officiers d'ici à 2025. En France, l'organisation patronale Armateurs de France chiffre un besoin a minima de 345 officiers polyvalents par an en moyenne au cours des sept prochaines années, ce chiffre pouvant in fine être porté à une fourchette comprise entre 450 et 500. Le besoin en officiers monovalents est lui estimé à 333 par an sur la même période. Ces recrutements à venir sont à mettre en perspective avec l'élargissement constaté de la flotte sous pavillon français en raison du Brexit, qui oblige à disposer à bord de ressortissants français pour les postes d'officiers principaux (capitaines et seconds capitaines).

Or, si la formation polyvalente française, dispensée par l'École nationale supérieure maritime, est très recherchée , tant elle concourt, selon les observateurs, à une meilleure employabilité et à une plus grande souplesse de planification à bord, les sorties d'officiers diplômés sont limitées à environ 260 par an . Ce chiffre apparaît insuffisant au regard des besoins de la filière . Le « Fontenoy du maritime » cible un quasi doublement du nombre de diplômés (entre 450 et 500 par an). Le coût budgétaire d'une telle montée en puissance est estimé sur la période à 7,5 millions d'euros s'agissant de la subvention pour charges de service public et à 4,5 millions d'euros en ce qui concerne les dépenses d'investissement sur les premiers exercices. Cette réponse ambitieuse permettrait d'atténuer, en tout état de cause, la baisse attendue du nombre de cotisants auprès du régime de retraite des marins.

3. Des contributions patronales en partie compensées par l'État
a) Une prise en charge par l'État d'une partie des cotisations patronales estimée à près de 95 millions d'euros par an

Si 30 taux de cotisation patronale ont été mis en place afin de prendre en compte la taille et l'affectation du navire, le secteur bénéficie de nombreux dispositifs d'exonérations de charges sociales (exonérations pour les propriétaires embarqués sur leurs propres navires, navires immatriculés au registre international français - RIF, dispositif du demi-rôle en outre-mer) qui induisent une compensation par l'État. Ces charges sociales ne concernent pas uniquement le risque vieillesse.

L'exonération de contributions patronales au bénéfice des armateurs de la flotte de commerce en situation de concurrence internationale pour leurs navires battant pavillon français et communautaire est ainsi prévue par l'article L. 5553-11 du code des transports. La loi de finances pour 2022 prévoit que la compensation de ces exonérations, prévue au sein du programme 205 « Affaires maritimes » de la mission « Écologie, développement et mobilités durables » atteigne 65 millions d'euros. Le montant exécuté en 2021 s'est élevé à 58,4 millions d'euros. Ce montant permet de compenser :

- les contributions patronales à l'ENIM , qu'il s'agisse de l'assurance-vieillesse ou de l'assurance-maladie. Le montant des seules cotisations retraite ainsi compensé était estimé à 28,7 millions d'euros en 2021 ;

- les cotisations patronales « chômage » et « famille », la compensation étant versée à l'URSAFF, ex Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS), qui la rétrocède ensuite à l'ENIM.

Le même programme 205 prévoit un dispositif d'exonération de cotisations patronales, dit de « net wage » visant à soutenir la compétitivité du secteur. Consistant notamment en un remboursement aux entreprises des cotisations versées sur les salaires, il a été mis en oeuvre en 2021 à titre exceptionnel pour le seul secteur des ferries. Il a été étendu à d'autres secteurs (marchandises, services, croisières) dès 2022 pour trois années. La loi de finances pour 2022 prévoit une dotation de 21,6 millions d'euros à cet effet.

En ajoutant les dispositifs généraux de droit commun (réduction générale prévue à l'article L. 241-13 du code de sécurité sociale, exonération relative à l'emploi d'un apprenti ou exonérations spécifiques aux employeurs situés en outre-mer - LODEOM), le montant total des exonérations dont bénéficie le secteur a atteint 90,5 millions d'euros en 2021 (dont 3,4 millions d'euros au sein des territoires d'Outre-mer).

Montant des exonérations de cotisations et de contributions dues par les employeurs de marins en 2021 au titre des risques maladie, maternité, invalidité et vieillesse

(en millions d'euros)

Secteur

Montant

Pêche

11,3

dont Outre-Mer

1,8

Commerce

79,3

dont Outre-Mer

1,6

Total

90,5

dont Outre-Mer

3,4

Source : commission des finances d'après les données transmises à la rapporteure spéciale par la direction de la sécurité sociale

À cette somme, il conviendra d'ajouter en 2023 la compensation par l'État de l'affiliation des marins personnels d'hôtellerie et de restauration résidant en France embarqués sur des navires affiliés au registre de Wallis-et-Futuna, dont le montant est estimé à 10 millions d'euros.

S'agissant des marins non-salariés , le « demi-rôle » bénéficie de son côté aux marins pêcheurs des départements d'Outre-mer et consiste en une réduction des taux de contributions patronales. Il permet, à chaque navigation, de demander une réduction de 50 % des taux de cotisations maladie et vieillesse, avec pour conséquence la réduction de moitié de leurs droits à prestations maladie et vieillesse. Le demi-rôle s'applique à la période d'activité et le montant du dispositif est actuellement en cours d'évaluation par l'URSSAF. Au demi-rôle s'ajoutent des dispositifs pour les marins non-salariés, peu importe le lieu d'embarcation. Le montant de l'ensemble de ces dispositifs a atteint 3,9 millions d'euros en 2021, dont 0,42 million d'euros en faveur des marins implantés en Outre-mer.

b) Une réponse financière à la concurrence internationale

Conçue comme une réponse au défi de la compétitivité, cette prise en charge, par l'État, d'une partie des charges sociales a vocation à perdurer. Le « Fontenoy du maritime » avait même conclu à une nouvelle étape en matière d'exonération via le développement du « net wage », jusque-là borné jusqu'en 2025, en le pérennisant. Le groupe de réflexion avait ainsi préconisé deux options :

- une application du « net wage » au seul secteur du transport à passagers, pour l'ensemble des personnels ;

- une application du « net wage » aux seuls équipages et officiers juniors (lieutenants), quel que soit le secteur ou le registre, afin de sauvegarder ces personnels dans tous les types d'activité et conserver le savoir-faire français s'agissant de tâches généralement confiées à de la main-d'oeuvre étrangère .

Le coût de chacune de ces mesures a été estimé à 25 millions d'euros par an. Cette somme est à mettre en perspective avec les parts de marchés perdues par les opérateurs français face à des navires battant pavillon d'Etats ayant mis en oeuvre des mesures d'exonération totale des cotisations sociales et des impôts des marins 30 ( * ) , à l'image du Danemark, de la Finlande, de l'Italie ou de la Suède. Le cas est particulièrement patent pour les entreprises françaises les plus employeuses de main-d'oeuvre, à savoir celles dédiées au transport régulier de voyageurs en France ou sur des liaisons intra-communautaires ou ex-intra-communautaires (Manche).

Les différences de coût avec le pavillon italien pour des opérations de transport sont estimées dans une fourchette comprise entre 54 et 58 % . Le « net wage » italien diminue de 24 % la masse salariale (14 % au titre des charges salariales et 10 % au titre de l'impôt sur le revenu) et justifie 40 % de l'écart de coût entre les deux pavillons. Le différentiel de coût avec un équipage battant pavillon chypriote assurant le transport dans la Manche est, quant à lui, estimé à 72 % en défaveur du pavillon français. Ainsi, pour une journée d'embarquement, le coût du navire français en effectifs atteint 37 206 euros, quand celui du navire chypriote est évalué à 10 162 euros. L'effet du salaire net, l'absence de cotisations salariales et patronales sous pavillon chypriote et un taux de rotation des effectifs par fonction moins élevé sous pavillon chypriote justifient en large partie cette différence.


* 16 La liste des fonctions entrant dans chaque catégorie a été réduite en ne retenant que les exemples les plus représentatifs de chaque catégorie sont présentés.

* 17 L'addition des différents secteurs d'activité dépassent 100 %, un marin pouvant cotiser au cours du même exercice au sein de plusieurs secteurs d'activité.

* 18 Le tableau dénombre les marins ayant cotisé pour la maladie ou la vieillesse au cours de l'année. Le calcul se base sur les lignes de services déclarées pour chaque marin. La ligne total compte distinctement tous les marins avec une ligne de service ayant débuté dans l'année. Un marin pouvant être classé dans différentes catégories au sein d'une même année, la somme du nombre de marins de chaque catégorie n'est pas égale au total. De la même façon, un marin pouvant exercer son activité dans deux secteurs d'activité différents, la somme du nombre de marins de chaque catégorie n'est pas égale au total.

* 19 Le secteur d'activité « Inconnu » comptabilise les marins qui ne naviguent pas (position à terre, congé, formation etc.).

* 20 La catégorie 0 équivaut principalement à des périodes de chômage partiel.

* 21 Loi n° 2005-412 du 3 mai 2005.

* 22 Est ainsi appliqué l'article 70 de la loi de finances du 8 avril 1910.

* 23 L'article 5785-6 du code des transports permet à la CPSWF de conventionner avec l'ENIM.

* 24 Règlement (CEE) n° 3577/92 du Conseil, du 7 décembre 1992, concernant l'application du principe de la libre circulation des services aux transports maritimes à l'intérieur des États membres (cabotage maritime).

* 25 Ses conclusions ont été reprises au sein de la communication de la Commission relative à l'interprétation du règlement (CE) n° 3577/92 du Conseil concernant l'application du principe de la libre circulation des services aux transports maritimes à l'intérieur des États membres (cabotage maritime) (COM/2014/0232 final) du 22 avril 2014.

* 26 Directive 96/71/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 1996 concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d'une prestation de services.

* 27 CJUE, n° C-384/10, Arrêt de la Cour (quatrième chambre), Jan Voogsgeerd contre Navimer SA, 15 décembre 2011.

* 28 Règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 portant coordination des systèmes de sécurité sociale.

* 29 Règlement (CE) N° 987/2009 du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009 fixant les modalités d'application du règlement (CE) n° 883/2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale.

* 30 L'article 81 A du code des impôts prévoit que les marins embarqués plus de 183 jours à bord d'un navire immatriculé au Registre international français peuvent bénéficier de l'exonération de l'impôt sur le revenu.

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