B. DOIT-ON CONTINUER À TOLÉRER L'EXISTENCE DE L'INDUSTRIE PORNOGRAPHIQUE ?

Au vu de la réalité et de l'ampleur des violences, non seulement véhiculées par l'industrie de la pornographie, mais également commises dans le cadre de tournages pornographiques, les rapporteures ne croient ni au bien-fondé ni à la réelle sincérité des initiatives règlementaristes qui viseraient à encadrer la production de contenus pornographiques.

La question que les rapporteures estiment nécessaire de se poser collectivement aujourd'hui est la suivante : doit-on encore continuer à tolérer l'existence d'une industrie qui génère de telles violences et maltraitances envers les femmes, qui promeut un système de domination et de marchandisation du corps des femmes et qui peut avoir des conséquences désastreuses sur la construction de l'identité sexuelle du jeune public notamment ?

C'est une question qui anime les réflexions des mouvements féministes depuis de nombreuses années : dès la fin des années 1970, le mouvement Women Against Pornography , mené par Andrea Dworkin et Catherine MacKinnon aux États-Unis, avait dénoncé la violence de cette industrie à l'encontre des femmes. Les associations féministes engagées dans la lutte contre le système prostitutionnel entendues par la délégation ont également récemment élargi leur combat à la lutte contre l'industrie pornographique et les violences qu'elle génère.

Conscientes de la puissance économique de cette industrie mondiale, de l'audience planétaire des sites pornographiques et du niveau mondial de consommation de contenus pornographiques aujourd'hui, les rapporteures appellent avant tout à une réflexion coordonnée sur le plan international, et d'abord européen, quant à la réalité des pratiques de l'industrie pornographique.

Au cours de ces six mois de travaux, plusieurs options et pistes de réflexion ont été portées à la connaissance de la délégation que les rapporteures recommandent aujourd'hui de soumettre au débat public .

1. Les infractions de proxénétisme et de traite des êtres humains sont-elles applicables à l'industrie de la pornographie ?

Les associations féministes, entendues par la délégation le 20 janvier 2022, ont toutes plaidé pour une extension de la définition du proxénétisme aux activités de l'industrie pornographique.

Ainsi, Sandrine Goldschmidt, chargée de communication du Mouvement du Nid , a estimé que « sont concernés ceux qui organisent, diffusent, font la publicité ou qui en bénéficient : producteurs, réalisateurs, maquilleurs, cameramen... Tous les diffuseurs, les chaînes de télévision, les réseaux de diffusion par câble, satellite ou voie hertzienne, une grande partie des réseaux de distribution de la presse, les techniciens qui contribuent à la production, mais aussi les appartements utilisés pour les tournages, répondent à la définition du proxénétisme . »

Céline Piques, porte-parole d' Osez le féminisme ! , a pour sa part demandé que la pornographie « cesse d'être cette zone de non-droit et que les lois actuelles s'y appliquent comme elles peuvent s'appliquer sur la prostitution et sur le proxénétisme dans le cadre de réseaux de traite . »

De même, Elvire Arrighi, commissaire divisionnaire, chef de l'Office central pour la répression de la traite des êtres humains (OCRTEH), a estimé nécessaire, devant la délégation le 18 mai 2022, de s'interroger sur l'applicabilité des infractions de proxénétisme et de traite des êtres humains à l'encontre de l'industrie pornographique .

Écartant d'emblée de sa réflexion la pédopornographie, pour laquelle l'illégalité est évidente, et les situations « de violence extrême, de tromperie quant à la nature des actes sexuels à réaliser, de contrainte physique et de viols collectifs dans le contexte de tournages pornographiques, puisque, de ces situations absolument dramatiques découlent de manière claire et incontestable des responsabilités pénales pouvant être qualifiées de différentes manières, notamment de traite des êtres humains », elle a posé la question du parallèle juridique qui peut être établi entre « l'industrie pornographique classique » et « le proxénétisme et la traite des êtres humains ».

Dès lors, selon Elvire Arrighi, se pose la question de savoir si l'exploitation sexuelle , actuellement réprimée dans le code pénal par les infractions de traite à vocation sexuelle et de proxénétisme, vise uniquement les situations de prostitution au sens traditionnel du terme ou si elle vise également des situations de pornographie .

a) La notion de « consentement commercial » ne permet pas de distinguer le proxénétisme de l'industrie pornographique

Pour Elvire Arrighi, dans la pornographie, « les actes, même consentis, découlent d'une nécessité matérielle et d'une précarité économique dont souffrent ceux qui s'y livrent plutôt que d'un choix libre et éclairé . »

Dans les cas de prostitution au sens classique du terme, l'existence du consentement de la personne qui se livre à des actes sexuels n'empêche pas de matérialiser les infractions de proxénétisme et de traite. En effet, l'esprit de la loi du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées, et des textes internationaux que la France a signés à ce sujet, repose sur l'idée que les victimes doivent être protégées contre leur propre consentement et que la contrainte n'a pas besoin d'être présente pour caractériser l'infraction. Dès lors, d'après Elvire Arrighi, « c'est bien l'esprit de notre droit de dire que, même si l'intérêt économique est partagé, personne ne doit profiter matériellement des services sexuels tarifés d'un tiers . »

Dans le cas de la pornographie, la question qu'il convient de se poser n'est donc pas « s'agit-il d'un accord commercial ? » puisque le droit pénal prime, peu importe le consentement des actrices et peu importent les contrats signés. Ainsi que le précisait Elvire Arrighi devant la délégation, « le consentement permet de distinguer un viol d'un acte sexuel consenti. Il ne permet en rien de distinguer le proxénétisme de l'industrie pornographique . »

b) La problématique de la définition de la prostitution et de son applicabilité à la pornographie

Une fois écartée la problématique du consentement, demeure celle de la définition de la prostitution.

Ainsi que le rappelait Elvire Arrighi, l'infraction de proxénétisme en France présuppose, sans la définir, l'existence de la prostitution . L'article 225-5 du code pénal définit en effet le proxénétisme comme le fait d'aider, d'assister ou de protéger la prostitution d'autrui ; de tirer profit de la prostitution d'autrui. De même, la traite des êtres humains à vocation sexuelle, définie à l'article 225-4-1 du code pénal, repose, elle, sur l'existence de proxénétisme, et donc, par ricochet, de la prostitution.

D'après Elvire Arrighi, la question qu'il convient de se poser est donc la suivante : « est-ce que pornographie égale prostitution ? ».

À cet égard, elle a rappelé que la répression du proxénétisme est particulière puisque, dans ce cadre, on poursuit une activité par référence à une autre activité, la prostitution, qui elle-même n'est ni définie, ni réprimée par la loi.

En l'absence de définition législative de la prostitution, il convient dès lors de se tourner vers sa définition jurisprudentielle, établie par un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 27 mars 1996 selon lequel, « la prostitution consiste à se prêter, moyennant une rémunération, à des contacts physiques, de quelque nature qu'ils soient, afin de satisfaire les besoins sexuels d'autrui . »

Ainsi que l'a précisé Elvire Arrighi, « le récent phénomène des camgirls , ces shows érotiques via webcam souvent rémunérés, ne peut satisfaire aux exigences de cette jurisprudence, les victimes étant pour la majeure partie seules face à leur écran, bien que rémunérées par le spectateur. Il n'y a donc pas de contact physique. D'où la création, en 2021, d'une infraction spécifique pour couvrir ce type de situation quand les victimes sont mineures . »

Un arrêt de la Cour de cassation du 18 mai 2022 a d'ailleurs confirmé cette interprétation : la Cour de cassation a en effet rejeté la possibilité d'étendre la définition jurisprudentielle de la prostitution, et avec elle celle du proxénétisme, pour y inclure le caming, qui consiste, pour des cam girls ou cam boys , à proposer, moyennant rémunération, une diffusion d'images ou de vidéos à contenu sexuel, le client pouvant donner à distance des instructions spécifiques sur la nature du comportement ou de l'acte sexuel à accomplir. La Cour a estimé que ces pratiques, qui n'impliquent aucun contact physique entre la personne qui s'y livre et celle qui les sollicite, ne peuvent être assimilées à des actes de prostitution, dont la définition n'a pas été étendue en ce sens par le législateur.

En revanche, Elvire Arrighi estime que le cas de la pornographie est différent puisqu'il y a effectivement contact sexuel physique entre au moins deux personnes filmées contre rémunération .

Elle considère dès lors que « l es trois critères de la jurisprudence de 1996 sont remplis par la pornographie : l'activité satisfait le besoin sexuel d'autrui , implique une rémunération ainsi qu'un contact physique . Le bémol, c'est que la personne qui rémunère n'est pas celle qui profite de l'acte sexuel, ni physiquement, ni derrière son écran. Celui qui rémunère n'est pas le client, c'est le producteur et il en tire un bénéfice uniquement financier et non pas lié aux services sexuels. Dans la prostitution traditionnelle, on a le trio victime client proxénète. Dans la pornographie, on a le trio victime spectateur producteur. (...) Au-delà du circuit financier, distinct, la relation sexuelle matérielle d'au moins deux individus existe bien mais l'acte sexuel physique n'est pas réalisé par le client, qui lui est derrière son écran, tout comme dans le cas des camgirls . Au final, le consommateur de plaisir, si j'ose dire, ne rémunère pas et ne profite pas d'un contact réel et physique avec la personne rémunérée, et ces deux éléments se distinguent de la situation traditionnelle de la prostitution . »

Elle en conclut qu'il revient au législateur de définir la prostitution et de dire si elle couvre également les cas de contacts sexuels matériels dans le cadre de productions pornographiques : « s'il précise qu'elle couvre ces cas, alors le proxénétisme et la traite à vocation sexuelle seront systématiquement caractérisés dans le cas de productions pornographiques . Alternativement, la jurisprudence pourrait évoluer, en tranchant dans un cas d'espèce qui concerne la pornographie . »

À cet égard, on peut rappeler que le rapport du groupe de travail sur la prostitution des mineurs rendu en juin 2021 à Adrien Taquet, alors secrétaire d'État chargé de l'enfance et des familles, recommandait l'introduction dans le code pénal d'une définition élargie de la prostitution ainsi rédigée : « la prostitution consiste à se prêter contre rémunération ou avantages en nature, ou la promesse de l'un d'eux, à des relations sexuelles physiques ou virtuelles ».

Elvire Arrighi a estimé que cette définition de la prostitution permettrait d'englober la pornographie . Elle a toutefois estimé qu'il n'appartenait pas à la police judiciaire de se prononcer d'un point de vue éthique ou moral sur la nécessité d'appliquer les infractions de proxénétisme et de traite à vocation sexuelle à l'industrie pornographique : « nous avons seulement le devoir d'appliquer la loi, toute la loi. C'est le rôle du magistrat ou du législateur de faire évoluer le droit. C'est une question de politique pénale tant pour le déclenchement de l'action (ouvre-t-on une enquête pour proxénétisme ou traite ? Les poursuites sont-elles possibles ?) que pour la jurisprudence au moment du jugement (l'infraction est-elle caractérisée ?) . »

c) L'interprétation du Parquet de Paris dans le cadre des instructions en cours

Lors de leur audition par la délégation le 15 juin 2022, la procureure de la République de Paris, Laure Beccuau, ainsi que la vice-procureure de la République au Parquet de Paris, Hélène Collet, ont développé une interprétation juridique différente en estimant que « certains éléments sont nécessaires, et même indispensables, afin de retenir la qualification juridique de prostitution ».

Ainsi, Hélène Collet a fait valoir que les qualifications juridiques de prostitution et de proxénétisme ne s'appliquent pas en tant que telles au phénomène de la production de films pornographiques , dans la mesure où « l'actrice et l'acteur du film, qui participent physiquement à la relation sexuelle, ne se rémunèrent pas entre eux : ils sont payés par le réalisateur de la production. Ce dernier ne participe pas physiquement à la relation sexuelle. Enfin, le film pornographique vise en premier lieu à satisfaire le spectateur qui ne participe à aucun moment à la relation sexuelle physique et ne rémunère pas non plus directement les acteurs . »

Interrogée par les rapporteures sur les évolutions juridiques possibles qui permettraient de poursuivre pour traite d'êtres humains ou proxénétisme les producteurs de films pornographiques, elle a indiqué qu'il « existe déjà un panel d'infractions dans le code pénal dont certaines ont pu être retenues. Les évolutions souhaitables porteraient sur la prévention, davantage que sur la répression . »

Laure Beccuau, procureure de la République de Paris, a quant à elle estimé qu'en l'état du droit, pour que toute démarche de l'industrie pornographique puisse relever du proxénétisme, il faudrait une évolution législative. Rappelant que « les incriminations applicables aux sites pornographiques violents sont nombreuses : viol aggravé, agression sexuelle, actes de torture et de barbarie, traite des êtres humains, proxénétisme », et que ces qualifications pénales devraient permettre de « lutter contre 90 % de l'activité de l'industrie pornographique », elle a estimé que « prendre le risque de poursuites contre les 10 % de films restants risquerait d'aboutir à des relaxes . »

Spécifiquement interrogée par les rapporteures sur le fait de savoir si des amendements législatifs portant sur la définition du proxénétisme seraient utiles, Laure Beccuau a répondu : « Non je ne pense pas (...) Dans les dossiers les plus significatifs, on n'a pas besoin de poursuivre pour proxénétisme, au vu du nombre d'actes violents associés. Je ne suis pas totalement convaincue qu'étendre la qualification de proxénétisme nous permette quelque chose de plus. On peut déjà utiliser les qualifications de complicité [de viol] (...) ou [de] traite d'êtres humains ».

d) Élargir la définition de la traite des êtres humains en y incluant la pornographie ?

Lors de son audition par la délégation, Élisabeth Moiron-Braud, secrétaire générale de la mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF) a jugé nécessaire d' établir un lien juridique entre la traite des êtres humains et la pornographie .

Elle a souligné que « la traite des êtres humains dans un but d'exploitation sexuelle est un marché très lucratif et c'est la troisième source de profits criminels au monde, après le trafic de drogue et le trafic d'armes. Cette infraction est définie à l'article 225-4-1 du code pénal, qui recouvre notamment les agressions sexuelles et le proxénétisme, étant observé que les affaires d'exploitation sexuelle sont le plus souvent poursuivies pour proxénétisme. La traite des êtres humains à des fins d'exploitation sexuelle est la forme d'exploitation la plus répandue dans le monde et elle couvre également la prostitution . »

Elle a rappelé qu'en droit français, la définition de la traite des êtres humains dans un but d'exploitation sexuelle est large et couvre de nombreuses situations : « il s'agit de recruter une personne vulnérable, en échange d'une rémunération ou d'un autre avantage, en vue de l'exploiter sexuellement. Il est possible d'y raccrocher la pornographie, ainsi que nous le faisons avec la prostitution . La définition de la traite prévoit en outre qu'il s'agit de mettre la victime à sa disposition personnelle ou à celle d'un tiers afin de commettre des infractions telles que le proxénétisme ou des infractions sexuelles . »

Dès lors, elle a invité à faire le lien entre pornographie et traite des êtres humains jugeant nécessaire de « réfléchir sur l'introduction de la pornographie dans la définition de l'exploitation sexuelle dans les textes européens ou internationaux et dans notre législation nationale . »

Elle a notamment cité les travaux préparatoires à la révision de la directive européenne du 5 avril 2011 47 ( * ) sur la lutte contre la traite des êtres humains et regretté que « bien que l'exploitation sexuelle soit un sujet majeur, la pornographie, en l'état, n'en fait pas partie . »

Elle a également suggéré de réfléchir à introduire, au sein de l'article 225-4-1 du code pénal, « la pornographie comme un des buts de l'exploitation dans la définition de la traite des êtres humains . »

Cette proposition se rapproche d'une préconisation adressée aux rapporteures par Maître Lorraine Questiaux, avocate et conseil de victimes dans l'affaire dite French Bukkake , qui suggère d'introduire dans la loi une définition de l'exploitation sexuelle et une nouvelle catégorie de crime d'exploitation sexuelle, qui inclurait la pornographie. Cette définition mériterait néanmoins d'être affinée afin qu'un champ trop large ne menace pas de rendre de telles dispositions inapplicables.

Articles du code pénal portant définition du proxénétisme
et de la traite des êtres humains

Article 225-5

Le proxénétisme est le fait, par quiconque, de quelque manière que ce soit :

1° D'aider, d'assister ou de protéger la prostitution d'autrui ;

2° De tirer profit de la prostitution d'autrui, d'en partager les produits ou de recevoir des subsides d'une personne se livrant habituellement à la prostitution ;

3° D'embaucher, d'entraîner ou de détourner une personne en vue de la prostitution ou d'exercer sur elle une pression pour qu'elle se prostitue ou continue à le faire.

Le proxénétisme est puni de sept ans d'emprisonnement et de 150 000 euros d'amende.

Article 225-4-1

I. - La traite des êtres humains est le fait de recruter une personne, de la transporter, de la transférer, de l'héberger ou de l'accueillir à des fins d'exploitation dans l'une des circonstances suivantes :

1° Soit avec l'emploi de menace, de contrainte, de violence ou de manoeuvre dolosive visant la victime, sa famille ou une personne en relation habituelle avec la victime ;

2° Soit par un ascendant légitime, naturel ou adoptif de cette personne ou par une personne qui a autorité sur elle ou abuse de l'autorité que lui confèrent ses fonctions ;

3° Soit par abus d'une situation de vulnérabilité due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, apparente ou connue de son auteur ;

4° Soit en échange ou par l'octroi d'une rémunération ou de tout autre avantage ou d'une promesse de rémunération ou d'avantage.

L'exploitation mentionnée au premier alinéa du présent I est le fait de mettre la victime à sa disposition ou à la disposition d'un tiers, même non identifié, afin soit de permettre la commission contre la victime des infractions de proxénétisme, d'agression ou d'atteintes sexuelles, de réduction en esclavage, de soumission à du travail ou à des services forcés, de réduction en servitude, de prélèvement de l'un de ses organes, d'exploitation de la mendicité, de conditions de travail ou d'hébergement contraires à sa dignité, soit de contraindre la victime à commettre tout crime ou délit.

La traite des êtres humains est punie de sept ans d'emprisonnement et de 150 000 euros d'amende.

2. La question du respect de la dignité humaine et de l'atteinte aux droits fondamentaux

Les associations féministes entendues par la délégation ont également encouragé les rapporteures à considérer les productions pornographiques à travers le prisme de l'atteinte aux droits fondamentaux et du respect de la dignité humaine . Elles estiment qu'une définition claire de ce qu'est la pornographie et de sa finalité s'impose afin de mettre des mots sur les violences et les stéréotypes sexistes ou racistes qu'elle véhicule.

Au cours de l'audition à huis clos par les rapporteures de victimes parties civiles au dossier de l'affaire dite French Bukkake , le 29 mars 2022, Maître Lorraine Questiaux, avocate et conseil de plusieurs victimes, a ainsi considéré que « les images pornographiques constituent, dans leur globalité, une atteinte aux droits fondamentaux puisqu'elles sont la représentation d'images dégradantes, humiliantes, avilissantes des femmes . Elles sont sexistes et donc illégales, contraires au principe de dignité, d'égalité entre les femmes et les hommes, contraires aux principes qui doivent protéger les individus. Le Conseil de l'Europe mentionne la pornographie dans sa recommandation de 2019 sur la prévention et la lutte contre le sexisme . »

Dans le prolongement de cette réflexion, les rapporteures s'interrogent également sur la possibilité d'appliquer aux productions pornographiques le principe jurisprudentiel de respect de la dignité humaine défini par le Conseil d'État dans sa jurisprudence Commune de Morsang-sur-Orge du 27 octobre 1995 48 ( * ) , pour lequel « le respect de la dignité de la personne humaine est une des composantes de l'ordre public ».

En l'espèce, il s'agissait d'une décision de la justice administrative visant à protéger l'ordre public en confirmant la légalité d'un arrêté municipal interdisant un spectacle de « lancer de nains » dans une discothèque de Morsang-sur-Orge, estimant que cette attraction portait atteinte au respect de la dignité humaine qui est une des composantes de l'ordre public . Dans cette même décision, le Conseil d'État a considéré que « le respect du principe de la liberté du travail et de celui de la liberté du commerce et de l'industrie ne fait pas obstacle à ce que l'autorité investie du pouvoir de police municipale interdise une activité même licite si une telle mesure est seule de nature à prévenir ou faire cesser un trouble à l'ordre public ; que tel est le cas en l'espèce, eu égard à la nature de l'attraction en cause ».

Lors de son audition par la délégation aux droits des femmes le 18 mai 2022, Elvire Arrighi, commissaire divisionnaire, chef de l'OCRTEH, en évoquant le parallèle juridique entre l'industrie de la pornographie, d'une part, et le proxénétisme et la traite à vocation sexuelle d'autre part, a fait référence à la notion de respect fondamental de la dignité humaine, estimant que cette dignité « pouvait être bafouée par l'exploitation sexuelle et la marchandisation des corps ».

Dès lors que l'on considère que l'exploitation sexuelle, pénalement réprimée par les infractions de traite et de proxénétisme, vise non seulement les situations de prostitution mais également les activités pornographiques, il est légitime de poser la question du respect de la dignité humaine par les productions pornographiques.

S'agissant des contenus pornographiques violents et dégradants, outre les représentations portant atteinte aux droits fondamentaux qu'ils véhiculent, c'est aussi la question de la non-simulation des actes sexuels représentés qui se pose. Dès lors, les rapporteures estiment légitime de s'interroger sur la possibilité de proscrire toute représentation non simulée d'actes sexuels à l'écran.

*

Les réflexions développées ci-dessus par les rapporteures constituent autant de pistes sur lesquelles elles recommandent de fonder le débat public concernant les pratiques actuelles de l'industrie de la pornographie.


* 47 Directive 2011/36/UE du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2011 concernant la prévention de la traite des êtres humains et la lutte contre ce phénomène ainsi que la protection des victimes.

* 48 CE, Ass., 27 octobre 1995, Commune de Morsang-sur-Orge, n° 136727.

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