DEUXIÈME PARTIE - LES RECOMMANDATIONS DE LA DÉLÉGATION POUR LUTTER
CONTRE LES VIOLENCES PORNOGRAPHIQUES

Face à l'ampleur des violences pornographiques et de leurs conséquences sur notre jeunesse comme sur l'ensemble de la société, les rapporteures souhaitent imposer dans le débat public la lutte contre ces violences et en faire une priorité de politique publique et pénale. Souhaitant ouvrir les yeux de toutes et de tous sur un système mondial de violences faites aux femmes, les rapporteures questionnent l'existence même de l'industrie pornographique .

Les rapporteures émettent également des recommandations de nature à faciliter les suppressions de contenus pornographiques illicites ou dont la diffusion n'est plus souhaitée par les principaux intéressés. Il s'agit d'empêcher toute diffusion de contenus pédopornographiques, de contenus affichant des violences sexuelles ou incitant au viol ou à la haine, mais aussi de permettre aux femmes et hommes ayant participé à des tournages pornographiques de tourner la page.

Elles formulent, par ailleurs, des recommandations concrètes afin d'appliquer enfin la loi interdisant l'exposition des enfants et adolescents à des contenus pornographiques.

Enfin, le développement de solutions techniques de blocage de l'accès aux sites pornographiques doit s'accompagner d'une éducation ambitieuse de la jeunesse, articulant éducation à la sexualité, à l'égalité, aux médias et aux usages du numérique. La délégation déplore une nouvelle fois les lacunes des séances d'éducation et d'information à la sexualité, quasi inexistantes dans bon nombre d'établissements scolaires, et appelle à enfin les mettre en oeuvre sur tout le territoire.

I. IMPOSER DANS LE DÉBAT PUBLIC LA LUTTE CONTRE LES VIOLENCES PORNOGRAPHIQUES

Au vu des constats posés par la délégation sur l'ampleur systémique des violences pornographiques actuelles et de l'omerta qui entoure encore ce système de violences, les rapporteures jugent essentiel, d'une part, d'ouvrir enfin les yeux de la société dans son ensemble sur ces violences, d'autre part, d'engager un débat public sur les pratiques de l'industrie pornographique et sur son existence même, mettant ainsi fin au déni et à la complaisance dont elle bénéficie aujourd'hui .

Recommandation n° 1 : Faire de la lutte contre les violences pornographiques et la marchandisation des corps une priorité de politique publique.

A. OUVRIR LES YEUX DE TOUTES ET TOUS SUR UN SYSTÈME MONDIAL DE VIOLENCES FAITES AUX FEMMES

Si le présent rapport de la délégation aux droits des femmes ne devait avoir qu' une seule finalité , ce serait de faire la lumière sur les violences systémiques à l'encontre des femmes engendrées par l'industrie mondiale de la pornographie aujourd'hui.

1. Pour une prise de conscience collective des violences commises par l'industrie de la pornographie

Les rapporteures estiment indispensable une réelle prise de conscience des pouvoirs publics et de l'opinion publique sur ce que recouvre aujourd'hui la grande majorité de la production de contenus pornographiques dans le monde et en France.

C'est pourquoi elles plaident pour :

- que les conditions dans lesquelles se déroulent la plupart des tournages pornographiques soient connues de toutes et tous ;

- que les consommateurs, occasionnels ou réguliers, de contenus pornographiques disponibles sur les grandes plateformes numériques de diffusion appelées tubes , soient informés des dessous de fabrication sordides de cette industrie prédatrice qui exploite des femmes très souvent en situation de grande précarité et vulnérabilité économiques, sociales et psychologiques ;

- que tous les parents d'enfants et d'adolescents soient pleinement conscients que ces derniers seront confrontés, au cours de leur minorité, volontairement ou non, de façon répétée, intensive ou épisodique, à du contenu pornographique violent ;

- et qu'enfin la société dans son ensemble identifie l'influence des normes de violences et de domination ainsi que les stéréotypes misogynes, racistes, souvent lesbophobes et hypersexualisés, véhiculés par l'industrie de la pornographie aujourd'hui.

2. Faire de la lutte contre les violences pornographiques une priorité de politique pénale en France
a) Renforcer l'arsenal pénal de lutte contre les violences pornographiques

Ainsi que le rappelait Laure Beccuau, procureure de la République de Paris, lors de son audition par la délégation le 15 juin 2022, le Parquet de Paris a été la première juridiction nationale à s'emparer du sujet de la pornographie sous son aspect pénal , au cours de l'année 2020.

Les rapporteures partagent pleinement la volonté exprimée par la procureure de la République de Paris lors de son audition de faire de « la lutte contre l'industrie pornographique violente une priorité de politique pénale » dont les motifs « s'inscrivent d'abord dans les priorités plus larges de politique publique : lutte contre les violences conjugales, pour l'égalité femmes-hommes, protection des mineurs ».

Les rapporteures jugent nécessaire de renforcer les dispositions du code pénal afin que les violences sexuelles commises dans un contexte de pornographie de même que l'incitation, dans du contenu pornographique, à commettre des violences, soient pénalement réprimées.

Pour ce faire, plusieurs pistes, notamment législatives, sont ouvertes :

- transposer, aux violences commises dans un contexte de pornographie et à leur représentation non-simulée, l'infraction punie par l'article 421-2-5 du code pénal relative à la provocation directe à commettre un acte terroriste et à l'apologie de ces actes. Il s'agirait ainsi d'ajouter au code pénal un délit de provocation directe à des actes de violence ou d'humiliation sexuelle ou d'apologie de ces actes par le biais de la diffusion d'images d'actes non simulés ;

- imposer l'insertion, au sein des contenus pornographiques mettant en scène des actes non simulés de viols ou agressions sexuelles, d'un bandeau indiquant que les scènes représentées peuvent constituer des infractions criminelles ou délictuelles, afin de sensibiliser les consommateurs de ces contenus ;

- renforcer l'arsenal répressif à l'encontre des sites pornographiques diffusant des vidéos dont le contenu relève d'une infraction pénale et qui ne retireraient pas ce contenu après signalement, pouvant aller jusqu'au blocage de l'accès à ces sites.

Recommandation n° 2 : Faire des violences sexuelles commises dans un contexte de pornographie un délit d'incitation à une infraction pénale (viol ou agression sexuelle).

Recommandation n° 3 : Imposer aux sites pornographiques des messages d'avertissement, concernant des contenus violents, précisant qu'il s'agit d'actes sexuels non simulés, pouvant constituer des infractions criminelles ou délictuelles.

b) Permettre l'émergence et le traitement des plaintes des victimes

Au-delà des politiques publiques, il existe également un enjeu plus individuel qui est celui de permettre l'émergence des plaintes des victimes . Ainsi que le soulignait Laure Beccuau devant la délégation le 15 juin 2022 : « l'une des participantes à cette industrie avait déclaré dans un article qu'elle avait longtemps vécu dans l'idée que l'on ne pouvait pas violer une actrice de porno. Si nous n'affirmons pas cette lutte, les victimes continueront à le penser. (...) Il faut un changement de paradigme . »

Au cours de leurs auditions, la difficulté de porter plainte pour les femmes victimes de violences sexuelles dans le milieu de la pornographie a en effet été portée à la connaissance des rapporteures.

Lors de son audition par la délégation le 9 mars 2022, Nikita Bellucci , actrice, réalisatrice et productrice de contenus pornographiques, s'est ainsi exprimé devant les rapporteures : « Pourquoi ai-je dû pousser la porte de cinq commissariats pour que ma plainte soit prise en compte ? Pourquoi avoir dû entendre des propos tels que : « Vous comprenez, Mademoiselle Bellucci, ce que vous décrivez, ce sont les risques du métier et vous avez signé pour ça ». Elle a également ajouté à ce sujet : « quand nous faisons état de violences, on nous répond la plupart du temps que nous avons signé et que nous savions où nous mettions les pieds : nous ne sommes jamais prises au sérieux . »

La journaliste Marie Maurisse, auteure en 2018 d'un ouvrage 46 ( * ) intitulé Planète Porn, Enquête sur la banalisation du X , a également souligné devant la délégation, lors de son audition le 17 février 2022, « la difficulté pour une actrice porno de porter plainte , et même ne serait-ce que de s'avouer à elle-même que ce qu'elle a subi était un viol. C'est très dur de le réaliser et de le dénoncer. La parole commence à peine à se libérer. Ces abus ont mis énormément de temps à être dénoncés, parce que ces femmes pratiquent une activité considérée comme dégradante par la plupart des gens. Elles sont considérées comme des sous-personnes et n'ont donc pas à se plaindre. Plusieurs actrices m'ont indiqué avoir à plusieurs reprises tenté de dénoncer des viols dans le cadre de leur activité et avoir été confrontées à des rires ou à des moqueries. C'est très difficile . (...) il existe des lois et (...) il faut les faire respecter. Oui. Encore faut-il éveiller les victimes au fait qu'elles ont des droits et qu'elles peuvent se défendre . »

Le droit pénal actuel devrait permettre de réprimer les violences subies par les femmes y compris dans un contexte de pornographie. Selon Laure Beccuau, procureure de la République de Paris, 90 % des productions pornographiques pourraient être incriminées pour viols, viols aggravés, agressions sexuelles ou traite des êtres humains .

Dès lors, les rapporteures plaident pour une amélioration des conditions d'accueil des victimes de viol ou d'agression sexuelle dans un contexte de pornographie et pour une réelle prise en compte de leur parole par les forces de l'ordre.

À cet effet, il leur apparaît nécessaire de :

- former les forces de l'ordre , notamment les policiers, pour faciliter l'écoute, le dépôt de plainte et la prise en considération de la parole des personnes victimes de viols ou d'agressions sexuelles dans le cadre de tournages pornographiques ;

- faciliter le suivi par les victimes de leur dossier avec un contact unique au sein du commissariat ou du poste de gendarmerie où la plainte a été déposée afin de ne pas multiplier les interlocuteurs différents, ce qui pourrait être source d'angoisse supplémentaire pour les femmes violées ou agressées dans un contexte de pornographie ;

- sensibiliser et former les intervenants et intervenantes de la ligne nationale d'écoute 3919 dédiée au traitement des violences faites aux femmes, gérée par la Fédération nationale solidarité femmes ( FNSF ), au recueil de la parole et à la prise en charge de femmes victimes de violences pornographiques ;

- communiquer sur la possibilité pour les femmes victimes de violences sexuelles dans un contexte de pornographie de s'adresser au 3919 .

Recommandation n° 4 : Favoriser l'émergence de plaintes des victimes de violences commises dans un contexte de pornographie en améliorant leurs conditions d'accueil, en formant les forces de l'ordre au recueil de plaintes de ces victimes spécifiques et en instaurant le suivi de leur dossier par un contact unique.

Recommandation n° 5 : Adapter au contexte spécifique des violences pornographiques les conditions d'écoute et d'accueil du numéro national 3919 dédié à la prise en charge de femmes victimes de violences.

Améliorer la prise en charge des victimes de violences pornographiques et faire de la lutte contre ces violences une priorité de politique pénale nécessitent bien évidemment des moyens humains et matériels supplémentaires car les dossiers pourraient être à l'avenir de plus en plus nombreux. La procureure de la République de Paris, Laure Beccuau, a notamment pointé, lors de son audition par la délégation le 15 juin 2022, la nécessité d'effectifs supplémentaires pour les services enquêteurs et pour les magistrats , afin d'absorber le nombre croissant de dossiers potentiels traitant de violences commises dans un contexte de pornographie.

Recommandation n° 6 : Traduire, en effectifs et en moyens matériels des services enquêteurs et des magistrats, la priorité politique donnée à la lutte contre les violences commises dans un contexte de pornographie.


* 46 Marie Maurisse, Planète Porn - enquête sur la banalisation du X , Éditions Stock, 2018 .

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page