AVANT-PROPOS

L'article 35 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne reconnaît à toute personne « le droit d'accéder à la prévention en matière de santé et de bénéficier de soins médicaux dans les conditions établies par les législations et pratiques nationales. » Il ajoute qu' un « niveau élevé de protection de la santé humaine est assuré dans la définition et la mise en oeuvre de toutes les politiques et actions de l'Union ».

L'accès à des médicaments sûrs et abordables constitue ainsi un droit fondamental mais il a pu paraître remis en cause ces dernières années. En effet, les difficultés d'approvisionnement sont de plus en plus fréquentes pour certains médicaments alors que d'autres sont de plus en plus onéreux. Par ailleurs, la pandémie de COVID-19 a mis en lumière les fragilités de l'Union européenne dans le secteur du médicament et les risques pour sa souveraineté.

La Commission européenne a présenté le 25 novembre 2020 une stratégie pharmaceutique pour l'Europe 2 ( * ) , qui vise en particulier à garantir l'accès des patients à des médicaments abordables et à répondre aux besoins médicaux non satisfaits, à promouvoir la compétitivité, l'innovation et la durabilité de l'industrie pharmaceutique de l'Union, à améliorer les mécanismes de préparation et de réaction face aux crises sanitaires et à sécuriser l'approvisionnement.

Pour gérer les situations de crise, la Commission a créé en son sein l'HERA, l'Autorité européenne de préparation et de réaction en cas d'urgence sanitaire. Elle a également présenté trois propositions de règlement du Parlement européen et du Conseil 3 ( * ) et une proposition de règlement du Conseil visant à renforcer la capacité de l'Union à faire face à une menace transfrontière grave pour la santé. Le Sénat s'est déjà prononcé sur ces initiatives 4 ( * ) .

Le présent rapport examine les difficultés d'accès aux médicaments, hors périodes de crise sanitaire, qui résultent de problèmes de disponibilité ou d'un prix trop élevé. Les rapporteurs y formulent des observations et propositions en réponse à la stratégie pharmaceutique présentée par la Commission , qui prépare une réforme de la législation afférente de l'Union.

I. FAVORISER LE DÉVELOPPEMENT DES MÉDICAMENTS DE DEMAIN

A. LA RECHERCHE ET L'INNOVATION AU CoeUR DE LA STRATÉGIE PHARMACEUTIQUE DE L'UNION

1. Une compétence de l'Union européenne qui se traduit par des financements importants

La stratégie pharmaceutique présentée par la Commission européenne doit permettre de soutenir l'innovation au sein de l'Union. L'Union dispose en effet d'une compétence propre dans ce domaine, prévue par le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) dont l'article 179 institue un Espace européen de la recherche et l'article 182 prévoit un programme-cadre pluriannuel.

En matière de santé, en revanche, l'Union ne dispose que d'une compétence d'appui, l'article 168, point 7, du TFUE précisant que « l'action de l'Union est menée dans le respect des responsabilités des États membres en ce qui concerne la définition de leur politique de santé, ainsi que l'organisation et la fourniture de services de santé et de soins médicaux. » Il rappelle en outre que « les responsabilités des États membres incluent la gestion de services de santé et de soins médicaux, ainsi que l'allocation des ressources qui leur sont affectées » .

Cette articulation des compétences se traduit dans les crédits européens consacrés respectivement à la recherche dans le domaine de la santé et à la coordination entre les États membres en matière de santé. Ainsi, 8,2 milliards d'euros sur les 95,5 milliards d'euros affectés au programme « Horizon Europe » dédié à la recherche dans le cadre financier pluriannuel de l'Union européenne pour 2021-2027 seront consacrés à la recherche dans le domaine de la santé, dont 2 milliards pour la recherche contre le cancer, tandis que le budget du programme « l'Union pour la santé » s'élève à 5,1 milliards d'euros. Ce montant est toutefois dix fois plus élevé que celui du programme « santé » dans le cadre financier pluriannuel précédent. Il permettra notamment de financer le déploiement des technologies du numérique dans le domaine de la recherche médicale.

Les rapporteurs prennent acte de l'évolution favorable des crédits prévisionnels alloués à la santé mais attirent l'attention sur leur attribution effective.

Ces financements sont attribués dans le cadre d'appels à projets auxquels il est long et difficile de répondre, notamment pour une petite structure. Ainsi, les responsables de l'ARTIC (Association pour la recherche de thérapeutiques innovantes en cancérologie), implantée au sein de l'hôpital européen Georges Pompidou à Paris, qui ont été auditionnés par les rapporteurs, leur ont fait part de leur difficulté à répondre à ces appels à projets car cela requiert des moyens administratifs dont ils ne disposent pas. Pour l'Institut national du cancer (InCA) également auditionné par les rapporteurs, le temps consacré à la recherche de fonds est beaucoup trop important. Quant à l'Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale), il déplore la forte spécificité de ces appels à projets qui nécessitent un apprentissage pour pouvoir y répondre en y consacrant un temps raisonnable.

Les rapporteurs demandent à la Commission européenne de réfléchir à dédier une équipe pour aider notamment les plus petites structures à répondre aux appels à projets.

Par ailleurs, l'Inserm insiste sur la nécessité de garantir la pérennité du financement lorsque les travaux de recherche effectués à la suite d'un appel à projets donnent des résultats concluants. L'évaluation continue des projets de recherche par la Commission doit en effet permettre de distinguer ceux pour lesquels le financement doit être pérennisé.

La recherche européenne entre compétition et coopération

Les fonds européens du programme Horizon Europe sont attribués sur la base d'appels à projets ouverts et concurrentiels présentés par la Commission européenne et auxquels acteurs publics et privés sont incités à participer conjointement. Le règlement (UE) n° 2021/695 5 ( * ) du Parlement européen et du Conseil du 28 avril 2021 portant établissement du programme-cadre pour la recherche et l'innovation « Horizon Europe » définit les règles de participation et de diffusion qui encadrent l'attribution des fonds.

La Commission peut également encourager la coopération entre les autorités compétentes des États membres dans le domaine de la recherche et participer au financement de projets communs. C'est le cas du réseau européen TRANSCAN, créé en 2011, qui vise à promouvoir la recherche contre le cancer. L'Institut national du cancer participe à ce réseau qui a lancé un appel à projets sur les cancers de mauvais pronostic.

Enfin, la Commission européenne veille à la diffusion des résultats de travaux de recherche en accès dit ouvert ( open access) .

2. Le rôle-clé des technologies numériques
a) Le développement de l'accès aux données

La Commission européenne propose de soutenir le développement de bases de données pouvant aider la recherche .

L'initiative « 1+ million genomes » doit ainsi permettre de constituer une base de données regroupant un million de génomes pour faciliter la recherche sur les maladies rares et le cancer notamment. La Commission propose également de créer un « atlas » européen des images liées au cancer , rendant les images anonymisées accessibles à un large éventail de parties prenantes dans l'écosystème des hôpitaux, des chercheurs et des innovateurs. Cette initiative s'appuiera sur le calcul à haute performance et l'intelligence artificielle pour renforcer la fiabilité des diagnostics et du suivi des traitements.

La Commission a par ailleurs présenté une proposition de règlement visant à la création d'un espace européen des données de santé . Les personnes auditionnées ont salué cette initiative. L'association ARTIC estime ainsi que la collecte de ces données est essentielle et que leur qualité conditionne la qualité du travail de recherche. Ces données doivent donc être exactes et correctement saisies dans des bases de données identiques dans chaque État membre. Il s'agit là d'un travail conséquent et chronophage.

Il conviendra en outre de garantir la protection des données à caractère personnel des patients.

Les rapporteurs considèrent que des moyens spécifiques devront être attribués pour aider les acteurs de terrain à constituer ces bases de données.

b) L'introduction du calcul à haute performance et de l'intelligence artificielle dans la recherche

Le calcul à haute performance et l'intelligence artificielle facilitent le travail de recherche. La Commission européenne indique ainsi que « le calcul à haute performance et l'intelligence artificielle contribuent à accélérer l'identification des substances actives potentielles à réaffecter ». Ceci est particulièrement vrai dans le cadre de la lutte contre le cancer où la recherche doit permettre d'évaluer l'impact de substances existantes sur d'autres pathologies. Aux yeux de l'Inserm, l'intelligence artificielle permet de réduire les risques liés à la recherche en diminuant le temps de recherche tout en amplifiant les indications et cibles.

Ces technologies permettent également de réaliser le séquençage des génomes dans le but de distinguer les différents profils des patients pour proposer les traitements les plus personnalisés. Dans le cas du cancer, il s'agit de séquencer le génome du patient et le génome de la tumeur pour identifier les variations et rechercher des traitements adaptés.

Sans ces outils, les bases de données que propose de créer la Commission européenne ne seront pas exploitables et il ne sera pas possible de croiser les différentes données. Pour illustrer les apports de l'intelligence artificielle et du calcul à haute performance, l'Inserm a pris l'exemple de l'adaptation du dosage du tacrolimus chez les patients greffés du foie. Ce médicament est utilisé pour diminuer les risques de rejet mais certains patients peuvent présenter des concentrations très variées de la substance après administration à doses égales, en fonction notamment de leur âge et de l'état de leur foie. Un algorithme mis au point à l'université de Limoges permet sur la base de quelques informations relatives au patient de déterminer le dosage adapté.

L'Union doit investir dans ce domaine et favoriser les synergies avec le plan « Horizon Europe » pour que les innovations dans le domaine du numérique puissent bénéficier à la recherche médicale.


* 2 https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:52020DC0761&from=EN - COM(2020) 761 final

* 3 COM(2020) 725, COM(2020) 726 et COM(2020) 727 final, et COM(2021) 577 final

* 4 http://www.senat.fr/leg/tas20-067.html , http://www.senat.fr/leg/tas20-068.html http://www.senat.fr/leg/tas20-069.html et http://www.senat.fr/leg/tas21-062.html

* 5 https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32021R0695&from=FR

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