Débat avec la salle

Joseph Kaiha,
maire de Hiva Oa, vice-président de la Communauté de communes des Îles Marquises (CODIM), Polynésie française

L'archipel des Marquises se situe à 1 400 km de Tahiti et de sa capitale Papeete où se trouvent tous les moyens de développement et l'assemblée de Polynésie française. Le président de la Polynésie a évoqué toutes les possibilités du statut d'autonomie interne qui sont évolutives et viennent aider les projets communaux. Nous souhaitons dans le cadre de la révision de la Constitution française faire évoluer à un stade supérieur la vie communale dans nos archipels. Tahiti avec sa capitale Papeete est très connue, contrairement aux archipels de la Polynésie. Nous souhaitons faire évoluer le statut des communes. Certaines compétences exercées par les communes de Polynésie sont des compétences liées à l'environnement, à la police municipale et à la scolarité du premier degré.

Aux Îles Marquises, nous avons mis en place une communauté de communes (regroupement des six communes) avec, au départ, des compétences obligatoires qui sont dévolues à cette communauté de communes par le pays. En dix ans d'expérience de notre vie communautaire, nous n'avons pas évolué en matière de développement économique par rapport à nos compétences. Or, nous souhaitons faire évoluer les compétences en matière de gestion au sein de la communauté de communes des Marquises, en passant à la création d'une communauté d'archipel. Existe-t-il une possibilité, au travers de la loi organique ou bien avec cette ouverture de la réforme institutionnelle, de faire avancer notre projet politique ?

Je terminerai sur une petite note imagée. Depuis presque un demi-siècle, le développement de la Polynésie s'est implanté à Tahiti, comme si on avait planté l'arbre du développement de la Polynésie sur l'île de Tahiti et que les branches parvenaient jusque dans les archipels. Nous demandons à planter l'arbre du développement de notre archipel avec l'exercice des compétences de développement, au niveau de notre archipel, les Marquises. Si nous voulons développer l'archipel des Tuamotu, plantons-y l'arbre du développement, tout comme aux Australes, aux îles Sous-le-Vent et aux Marquises.

Madi Madi Souf,
maire de Pamandzi, président de l'association des maires de Mayotte

Nous respectons ce que les autres départements ont exprimé, mais nous, à Mayotte, nous ne sommes des partenaires que depuis 11 ans. Il est donc encore trop tôt pour demander une évolution ou une révision du statut que nous venons juste d'acquérir. Mayotte dispose de 80 000 euros pour les compétences de la région, c'est peu par rapport à ce nous demandons. Nous demandons également un plus grand nombre d'élus au niveau du département et de la région pour qu'ils puissent être au plus près de la population.

Thani Mohamed Soilihi,
sénateur de Mayotte

Le débat de l'évolution institutionnelle tel qu'il s'annonce au sein de notre délégation fait peur aux Mahorais. Changer la Constitution, faire des modifications profondes alors que nous ne sommes un département que depuis seulement 11 ans, que nous n'avons même pas encore initié notre sphère régionale, et que le département de Mayotte est amené chaque année à exercer des compétences régionales, fait peur, et le débat sera rejeté sur place. À ce titre, je souligne la qualité du travail qui est en train d'être réalisé en Martinique où la population est sondée et associée aux travaux.

De notre côté, nous avons besoin de clarification et de précision parce que nous avons accepté à plus de 95 % en 2009, pour une entrée en vigueur en 2011, un département d'outre-mer qui exerce à la fois les compétences dévolues aux départements d'outre-mer et aux régions d'outre-mer. Or, jusqu'à présent, seul l'aspect départemental inachevé vaut. Tous les élus à l'unanimité, quelle que soit leur coloration politique, demandent que l'aspect régional par rapport au mode de scrutin et au nombre d'élus prenne le pas, même si nous voulons continuer à nous appeler « département » accolé au nom « région ». Nous souhaitons cette précision, cette clarification, plutôt qu'une évolution institutionnelle.

Pascal Vittori,
maire de Boulouparis, Nouvelle-Calédonie

La Nouvelle-Calédonie est connue pour sa grande décentralisation, sa grande autonomie, mais les communes sont en retard par rapport aux communes de métropole sur leurs compétences et leur financement.

Nous n'avons quasiment pas de financements propres, nous n'avons pas les compétences des communes de métropole en matière d'urbanisme, d'aménagement du territoire, d'intercommunalité. Nous en sommes demandeurs, avec mon collègue maire Georges Naturel. Nous aurons besoin du Sénat et du soutien de notre sénateur Pierre Frogier pour faire évoluer le statut des communes.

Teva Rohfritsch,
sénateur de la Polynésie française

Nous devons entendre cette volonté de nos maires d'avoir une forme de décentralisation à l'intérieur même de nos territoires, sous la forme de cette communauté d'archipel.

Nous ne pouvons pas faire à nos propres collectivités ce que nous reprochons souvent à Paris. Nous devons accepter de les entendre et de travailler dans la co-construction parce que, lorsqu'il faut changer un lampadaire ou traiter de questions quotidiennes à 1 500 km de Papeete, nous ne pouvons décemment pas opposer à nos maires un principe de centralisation du pouvoir. Dans un geste de confiance et de responsabilisation, nos communautés d'archipel peuvent prendre place dans le débat que nous avons sur cette évolution institutionnelle.

Pour ma part, je suis ouvert à la fusion des deux articles de la Constitution dès lors qu'elle permettra de reconnaître la capacité de chacun de nos territoires à pouvoir faire oeuvre de différenciation. Il ne s'agira pas de faire un choix entre le 73 et le 74 mais de réécrire un article qui mette un S à outre-mer. J'en ai assez de voir « outre-mer » écrit sans S.

Hélène Pollozec,
conseillère départementale de Mayotte

Je suis la plus jeune conseillère départementale de France. Pour appuyer ce qu'a dit mon sénateur, cette évolution fait très peur à Mayotte car notre appartenance à la France est remise en question quotidiennement.

Elle n'est pas reconnue par l'Union africaine, ni par l'ONU, et dans le cadre des Jeux des îles de l'océan Indien qui auront lieu en 2023 à Madagascar, nos athlètes mahorais n'auront pas droit au drapeau français et à l'hymne national. Les autres pays s'y sont opposés, donc je tiens à vous demander votre soutien pour les Français, les Mahorais.

Joséphine Egalgi,
maire adjointe de la commune de Rémire-Montjol de Guyane

Je remercie l'intervenant qui a souligné la spécificité de la réalité territoriale de la Guyane française en terre d'Amazonie. Depuis des décennies, la Guyane a demandé un statut sui generis et nous voyons ici que chaque territoire réfléchit aux besoins de la population.

Michel-Ange Jérémie,
président de l'association des maires de Guyane

La Guyane a commencé sa réflexion depuis les années 1960 et a poursuivi avec le pacte guyanais. Les étudiants guyanais et les lycéens ont manifesté dans la rue pour créer le rectorat avant qu'il soit rattaché aux Antilles. Nous avons également en 2017 signé les accords de Guyane dont découle cette évolution statutaire. La Guyane a besoin de cette évolution pour que nous puissions vraiment décoller. Le président François Mitterrand disait que la fusée décolle sur fond de bidonville ; la situation n'a pas évolué. La base spatiale représente la superficie de la Martinique, mais n'est pas fiscalisée. Les 10 000 tonnes d'or pillées chaque année représentent un manque à gagner de 500 millions d'euros. La Guyane a largement les ressources, je ne dirais même pas pour être autonome, mais pour être indépendante.

Nous n'en sommes pas à ce stade, mais, en tant que Guyanais, je ne conçois pas de voir mon département dans un tel état alors qu'il regorge de richesses et de ressources.

Jocelyn Sapotille,
maire du Lamantin et président de l'association des maires de Guadeloupe

Je souhaite rapporter le point de vue des maires de la Guadeloupe. Nous nous retrouvons assez bien dans les propositions du rapport Magras. Nous avons démarré en 1946 avec une revendication d'assimilation et aujourd'hui notre bilan montre qu'elle a beaucoup apporté. Dès 1946, il paraissait évident que l'assimilation allait améliorer certaines situations sur le plan social, sur le plan de l'éducation, mais nous n'étions pas sûrs d'une amélioration au niveau du développement économique. Aujourd'hui, notre bilan montre que l'assimilation ne nous a pas donné les outils pour pouvoir développer nos territoires. Nos populations sont en demande de résultats et d'efficience des politiques publiques. Nous devons travailler sur la question des normes, et non pas renverser le raisonnement en demandant des changements pour atteindre des objectifs. Tout le monde ne met pas le même contenu dans le mot « autonomie » de même que dans le mot « différenciation », d'où l'idée d'une boîte à outils dans laquelle chacun pourra se servir en fonction des besoins et des leviers à actionner. Nous disposerons ainsi des outils nécessaires au développement de notre territoire. La manière de qualifier ce processus importe peu, contrairement au résultat que nous allons atteindre en actionnant un certain nombre de leviers, notamment celui normatif. J'ai été heureux d'entendre, du côté de la Martinique, parler du levier fiscal.

Serge Hoareau,
maire de Petite-Île, président de l'association des maires de La Réunion

Je suis d'accord avec l'idée d'une boîte à outils dans laquelle nous pourrions trouver une loi-programme différenciée qui présenterait dix priorités pour chacun de nos territoires. Nous devrions tous avancer sur cet outil avec un chapeau commun, mais des priorités différentes d'un territoire à l'autre.

Maymounati Moussa-Ahamadi,
conseillère départementale et conseillère municipale
de Dzaoudzi-Labattoir à Mayotte

Au-delà de l'insécurité et de toutes les problématiques mentionnées, vous devez retenir que Mayotte représente également la puissance française dans l'océan Indien et surtout dans le canal de Mozambique. À l'heure actuelle, toutes les évolutions économiques se passent en Afrique de l'Est. Mayotte est un point central dans cette sphère géographique, et la France doit reconnaître la place de ce territoire au sein de l'océan Indien. 60 % de la population de Mayotte a moins de 20 ans et représente une richesse incommensurable pour le territoire national, mais seulement un tiers de la population va à l'école élémentaire. Pour les communes, cela représente une grande difficulté, mais également une richesse.

À Mayotte aujourd'hui, nous ne parlons pas d'évolution institutionnelle, nous souhaitons obtenir les montants qui devraient être alloués pour que notre territoire évolue. Par ailleurs, le scrutin actuel de Mayotte est un scrutin de cantons qui entraîne un troisième tour après le deuxième tour. Toutes ces mascarades devraient prendre fin. Nous voulons que le nombre d'élus soit augmenté et que les fonds nous parviennent rapidement, car la population ne peut plus attendre. Je voudrais qu'aujourd'hui Mayotte soit reconnue dans sa richesse, même si nous rencontrons quelques difficultés.

Micheline Jacques,
sénateur de Saint Barthélemy,
co-rapporteur sur l'évolution institutionnelle dans les outre-mer

Je m'adresse d'abord au président Fritch et à monsieur le maire d'une des îles Marquises : vous nous avez apporté une contribution riche et précise et je vous propose de recevoir une délégation pour échanger.

Je voulais aussi rebondir sur ce qu'ont dit Jocelyn Sapotille et les représentants de la Martinique. Mon île de Saint-Barthélemy est une collectivité avec les compétences de la région, du département et de la commune et ses 21 km² représentent une seule commune. Le code de l'environnement national compte plus de 5 000 articles. À Saint-Barthélemy, nous disposons de la compétence environnement et nous avons pu l'adapter aux réalités de Saint-Barthélemy en un document simplifié de 150 pages.

Dans certains domaines, nous avons mis des règles plus strictes que les règles nationales, parce que notre territoire est petit et nous devons protéger notre zone naturelle. Comme tout est petit, nous avons également adapté aux réalités du territoire les seuils des études d'impact. Nous disposons également de la compétence en matière d'urbanisme, et nous avons pu mettre en place notre carte d'urbanisme. Un dernier point : nous disposons de la compétence du travail des étrangers sur notre territoire. Nous avons mis en place une réglementation et lorsqu'un établissement emploie un travailleur étranger sans autorisation de la collectivité, il prend une amende de 1 000 euros au minimum. Nous avons aussi la compétence fiscale, mais je ne m'étendrai pas sur Saint-Barthélemy.

Je voudrais terminer par Mayotte en félicitant notre plus jeune élue. Pour moi, Mayotte fait partie intégrante de la France et je n'aurai jamais douté une seule seconde que des pays ne le reconnaissent pas. Je trouve inacceptable que les Mahorais ne puissent pas porter le drapeau français lors de ces jeux et nous prendrons l'engagement aussi de nous battre pour que vous puissiez être fiers de la France et être fiers de votre pays.

Je remercie Thani Mohamed Soilihi pour le travail et l'investissement qu'il fournit non seulement au sein de la délégation, mais au Sénat et dans tout ce qu'il fait au service de sa population. Le système proposé permet à chaque territoire d'avoir son propre statut, de pouvoir décider de ce qu'il veut. Il ne nous appartient pas de vous dire ce qui est bon pour vous, il vous appartient de dire ce que vous voulez, et notre rôle au Sénat est de vous soutenir, de vous accompagner.

Je vous félicite parce que nous mettons souvent les problèmes en avant, mais il y a aussi de la richesse et je voudrais que les territoires ultramarins deviennent des territoires d'innovation, qu'ils puissent porter le rayonnement de la France dans le monde. Je vous encourage à poursuivre, à ne pas baisser les bras et vous savez que vous pouvez compter sur le Sénat et sur l'ensemble de ses élus.

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