VII. PEUT-ON ESCOMPTER DISPOSER D'UNE EAU SAINE ET DE BONNE QUALITÉ EN FRANCE ?

A. L'EAU, RÉCEPTACLE DE POLLUTIONS MULTIPLES

1. L'eau, cible privilégiée des polluants

La pollution se définit comme l'introduction dans le milieu naturel d'une substance ou matière qui en altère les caractéristiques de manière négative et significative . Cette définition est très large et une pollution peut très bien ne pas provenir d'une substance polluante en soi. Ainsi, un rejet d'eau chaude dans une rivière, en élevant sa température, peut générer une pollution, en perturbant la vie des espèces aquatiques environnantes. À l'inverse, un rejet ne signifie pas nécessairement l'apparition d'une pollution : lorsque les substances rejetées sont éliminées par les capacités naturelles d'autoépuration du milieu, elles n'altèrent pas l'environnement ou la santé humaine. C'est d'ailleurs pour cette raison que les installations classées sont autorisées à effectuer des rejets de divers résidus en dessous de plafonds définis par la réglementation.

Les cours d'eau ont toujours été un réceptacle privilégié des effluents et déchets de toute sorte, liés à l'activité domestique, mais aussi à une multitude d'activités industrielles. Les tanneries ou encore l'industrie textile à travers les procédés de rouissage du chanvre ou du lin, étaient déjà au Moyen-Âge de gros pollueurs des rivières et des fleuves. Avec la révolution industrielle et le développement de la chimie, le phénomène a prospéré. L'évacuation des effluents dans l'eau était considérée comme logique, normale, voire souhaitable, du fait de la dilution des substances rejetées dans l'eau circulante. L'infiltration de l'eau dans le sol constitue au demeurant un procédé efficace de filtration des polluants.

Avec la révolution industrielle et le développement urbain ce modèle est vite devenu intenable, car les pollutions générées ont vite excédé les capacités d'autoépuration des milieux.

On peut distinguer divers types de situations. Les pollutions ponctuelles , qui peuvent être massives, comme des fuites d'hydrocarbures, sont spectaculaires mais leurs effets sont en général limités dans l'espace et dans le temps. Les pollutions diffuses , en revanche, sont plus insidieuses car moins visibles et plus durables. Cette forme de pollution de l'eau peut résulter de rejets directs dans les rivières. Elle est alors en principe maîtrisée et contrôlée puisque des plafonds de rejets sont imposés par la réglementation. Elle peut être aussi indirecte et résulter du lessivage des sols, qui transportent les substances polluantes avec l'eau vers les rivières et les fleuves. Il est alors plus difficile d'en identifier la source.

Depuis plusieurs décennies, les principaux polluants de l'eau identifiés font l'objet d'une surveillance et de plans de lutte aux résultats contrastés :

- La pollution de l'eau par les nitrates produit les phénomènes de marées vertes, en particulier en Bretagne. L'excès d'apport de nitrates par la dégradation des engrais azotés ou par les rejets des stations d'épuration est un phénomène mal contenu. Les zones vulnérables à la pollution par nitrates couvrent pratiquement l'intégralité des bassins Artois-Picardie, Seine-Normandie et Loire-Bretagne (à l'exception de sa partie Est), en particulier les côtes bretonnes. La France s'est dotée de programmes d'action (on en est au 6 ème ) pour contenir le phénomène sans pour le moment y parvenir.

- La pollution par les phosphates 74 ( * ) est également due aux activités agricoles et aux rejets des stations d'épuration. Elle a été considérablement réduite avec leur interdiction dans les détergents textiles et la baisse des niveaux admissibles de concentration dans les produits de consommation et des seuils de rejet.

- La pollution des eaux par les pesticides utilisés en agriculture constitue enfin une source permanente de préoccupation et a conduit à l'édiction de règles comme l'instauration des zones de non traitement (ZNT) dans une bande de 5 à 100 mètres le long des cours d'eau (selon les produits) ou encore la mise en place de périmètres de protection des captages d'eau potable. L'indice de présence des pesticides dans les cours d'eau a baissé de 20 % entre 2008 et 2018 mais certains sont très persistants dans l'environnement et perdurent longtemps après leur interdiction (comme la chlordécone aux Antilles).

- D'autres polluants sont issus des activités industrielles , avec des métaux lourds comme le mercure, ou des hydrocarbures, et sont également susceptibles d'altérer les eaux de surface comme les eaux souterraines, celles-ci étant souvent affectées par la voie des sols des sites pollués. On dénombre aujourd'hui environ 8 300 sites et sols pollués ou potentiellement pollués.

La lutte contre la pollution de l'eau s'est élargie à de nouvelles cibles qui sont source de pollution diffuse préoccupante :

- Les résidus de médicaments se retrouvent assez logiquement dans les eaux usées, ainsi que certains médicaments non utilisés et jetés. Leur concentration dans l'eau est extrêmement faible mais pas inexistante. Un plan national sur les résidus de médicaments dans les eaux (PNRM) a donc été élaboré depuis 2010 pour répondre à cet enjeu.

- D'autres micropolluants comme les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), les composés phénoliques (bisphénol) ou encore les phtalates peuvent se retrouver dans les eaux de surface ou les eaux souterraines. La surveillance de la qualité de l'eau s'est élargie à l'ensemble de ces substances.

- Enfin, les micro-plastiques font l'objet d'une préoccupation croissante, comme l'a mis en lumière un rapport récent de l'OPECST sur la pollution plastique 75 ( * ) .

La lutte contre la pollution de l'eau passe d'abord par la quantification de toutes ces pollutions , pour mesurer et connaître le phénomène, ensuite par l'édiction de normes strictes de rejets, en particulier pour les eaux usées. Enfin, la lutte contre la pollution doit se faire à la source, ce qui passe par l'interdiction de rejets voire d'usage de certaines substances. Le meilleur moyen de préserver la qualité des eaux de surface comme des eaux souterraines, qui sont le milieu récepteur de toutes les substances, c'est d'abord ne pas produire de polluants.

2. Des polluants aux effets délétères

Disposer d'une eau potable de bonne qualité est en effet indispensable d'abord et avant tout à la santé humaine . D'après une étude publiée dans The Lancet, la pollution de l'eau causerait pas moins de 1,4 million de morts chaque année dans le monde 76 ( * ) . D'après l'OMS 77 ( * ) , la consommation d'eau contaminée par absence d'assainissement suffisant entraîne la transmission de maladies comme le choléra, la dysenterie, l'hépatite A, la fièvre typhoïde ou encore la poliomyélite. Rien de tel dans les pays développés comme la France où les normes sanitaires sont drastiques. Pas moins de 17,6 millions de contrôles sont effectués chaque année sur l'eau du robinet 78 ( * ) avec un taux de conformité aux paramètres de qualité microbiologique de 98,2 % et un taux de nitrate en dessous de la limite de 50 mg/l dans 99,1 % des cas. En 2018, 9,4 % de la population avait pu être alimentée au moins un jour, par une eau non conforme, les pics ayant lieu lors de phénomènes exceptionnels comme des inondations, mais sans conséquence sanitaire notable.

Il est nécessaire de continuer à améliorer la qualité de l'eau potable dans les années à venir . Il ne s'agit pas seulement de fournir une eau débarrassée des micro-organismes (bactéries, virus) pouvant entraîner des pathologies immédiates, ce qui constitue une exigence « de base ». Il s'agit de s'assurer que l'eau que nous consommons ne soit pas facteur d'une dégradation à long terme de notre santé, à travers les micropolluants qu'elle pourrait charrier comme par exemple les substances ayant un effet de perturbateurs endocriniens, même à faible dose. La question se pose de l'évolution des normes réglementaires. Faut-il les renforcer ? Faut-il aller vers le « zéro résidu », objectif qui nécessitera des moyens importants s'il devait être généralisé 79 ( * ) ? La question n'est pas tranchée mais si la qualité de l'eau du robinet est globalement considérée comme bonne par 85 % de nos concitoyens 80 ( * ) , il convient que cette confiance se maintienne dans le temps.

L'autre victime de la pollution de l'eau, ce sont les écosystèmes et la biodiversité . La présence de polluants dans les eaux de surface ou les eaux souterraines dégrade les conditions de survie de la faune et de la flore. L'augmentation de la température de l'eau et la réduction des débits conduisent à réduire sa teneur en oxygène et, dans les zones côtières, à augmenter sa teneur en sel, ce qui fragilise la faune aquatique. Les polluants sont aussi moins facilement dilués lorsque la quantité d'eau se réduit. Lorsque la teneur de l'eau en phosphates et nitrates augmente, l'eutrophisation nuit également à la survie des espèces. Lorsque la cote d'alerte est dépassée, en quelques heures, on peut assister à la mort de l'ensemble des poissons d'un tronçon de cours d'eau.

La pollution de l'eau peut aussi pénaliser les productions alimentaires qui utilisent cette eau, en particulier lorsqu'elle est chargée en métaux lourds. On peut retrouver alors trace de ces substances dans les plantes cultivées, rendues ainsi impropres à la consommation, ou dans les poissons issus d'étangs ou de cours d'eau affectés par le phénomène qui ne peuvent alors plus être consommés. Pendant plus de 10 ans, on a interdit la consommation de poissons pêchés sur certaines portions du Rhône ou de ses affluents, affectés par une pollution aux polychlorobiphényles (PCB).

L'altération de la qualité de l'eau se diffuse d'un maillon à l'autre de la chaîne du cycle de l'eau : les substances que l'on retrouve dans les cours d'eau vont vers les aquifères si elles ne sont pas totalement dégradées par les sols, ou vers la mer si elles ne se diluent pas assez et viennent alors contaminer les estuaires et le milieu marin. C'est notamment le cas des pollutions plastiques largement diffusées par les rivières et les fleuves.

La mauvaise qualité de l'eau peut enfin pénaliser les activités touristiques de bord de mer. La qualité des eaux de baignade fait l'objet d'une surveillance sur un peu plus de 3 300 sites du territoire national. Seulement 1,6 % des contrôles faisaient apparaître en 2018 une qualité insuffisante, essentiellement du fait de conditions de fonctionnement insatisfaisantes des stations d'épuration voisines. Les pollutions constatées justifient la fermeture de sites de baignade, avec un effet négatif certain sur la fréquentation touristique et la réputation des stations concernées.


* 74 Les phosphates combinent atomes de phosphore (P) et d'oxygène (O).

* 75 https://www.senat.fr/notice-rapport/2020/r20-217-notice.html

* 76 https://www.lesechos.fr/monde/enjeux-internationaux/la-pollution-tue-9-millions-de-personnes-par-an-dans-le-monde-1407813

* 77 https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/drinking-water

* 78 https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/2020_synthese_eau_du_robinet_vf.pdf

* 79 En 2021, le syndicat des eaux d'Ile de France (SEDIF) a ainsi décidé de mettre en place un nouveau procédé de filtration, appelé osmose inverse basse pression (OIBP), permettant de fournir une eau « super-pure » retenant davantage les minéraux et retenant les substances polluantes, ce qui représente un investissement de 800 millions d'euros.

* 80 https://www.lesechos.fr/industrie-services/energie-environnement/ce-que-pensent-les-francais-de-leau-du-robinet-1370470

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