B. LE BON ÉTAT DES MASSES D'EAU : UN OBJECTIF DIFFICILE À ATTEINDRE

1. Les objectifs fixés par la directive cadre sur l'eau

Après la directive nitrates de 1991, qui avait déjà fixé des objectifs de lutte contre la pollution des eaux par les nitrates, l'Union européenne s'est dotée en 2000 d'un texte de référence imposant un cadre global de gestion de la ressource en eau à l'ensemble des États-membres. Les objectifs de ce texte sont la préservation de la ressource et des milieux, avec une cible d'atteinte de bon état quantitatif et qualitatif des masses d'eau de surface et souterraine, la réduction des pollutions affectant l'eau, mais aussi la mise en place d'un cadre de gestion collective de l'eau garantissant la participation de tous les acteurs à l'échelle d'un bassin ou encore la mise en place du principe pollueur-payeur.

Ce ne sont pas moins de 111 000 eaux de surface et 13 000 eaux souterraines qui font l'objet des dispositions de la directive cadre sur l'eau (DCE). Celle-ci fixe l'objectif de bon état de ces masses d'eau à 2015 au plus tôt et en 2027 au plus tard. Pour y parvenir, les États membres doivent établir un plan de gestion dans chaque district hydrographique (correspondant aux bassins en France).

Cet objectif de bon état des masses d'eau est décliné en quatre sous-ensembles :

- Pour les masses d'eau souterraines , il convient d'atteindre un bon état quantitatif (ne pas surconsommer l'eau des nappes) ainsi qu'un bon état qualitatif appelé « bon état chimique ».

- Pour les masses d'eau de surface , cours d'eau et plans d'eau, l'objectif est également subdivisé en deux ensembles : le bon état chimique, c'est-à-dire le respect de normes de qualité environnementales correspondant à des valeurs seuils des différentes substances polluantes, et un bon état écologique, qui est évalué à travers une batterie de données retraçant la présence de flore aquatique, de faune benthique invertébrée et d'ichtyofaune, selon une méthodologie européenne harmonisée assez complexe 81 ( * ) .

Les États membres doivent rendre compte régulièrement de la mise en oeuvre de la DCE 82 ( * ) . Dans son dernier rapport au Parlement européen et au Conseil 83 ( * ) , la Commission européenne estimait que « globalement, des efforts importants » avaient « été fournis pour mettre en oeuvre la DCE » dans les différents États membres de l'Union européenne. Le rapport indique aussi que « la surveillance et l'évaluation de l'état quantitatif et l'état chimique des masses d'eau souterraines se sont améliorées ». Pour autant, les objectifs de la DCE n'ont pas été atteints. Pour les masses d'eau souterraines, 74 % d'entre elles au sein de l'UE ont atteint un bon état chimique et 89 % un bon état quantitatif. Les résultats sont moins positifs pour les masses d'eau superficielles : 38 % ont un bon état chimique et seulement 40 % ont un bon état écologique ou un bon potentiel écologique. En outre, le rapport souligne que « seul un nombre limité de masses d'eau a connu une amélioration de leur état » depuis 2015 par rapport à la période 2009-2015 Même appliquée de manière incomplète, la DCE reste considérée comme un outil qui a permis de structurer à l'échelle de l'Union européenne une politique de protection de l'eau et des milieux aquatiques.

La DCE est complétée par d'autres instruments juridiques : la directive de 1998 relative à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine, qui vient d'être remplacée par un nouveau texte adopté fin 2020, la directive de 2007 relative à l'évaluation et la gestion des risques d'inondations ou encore la directive cadre de 2008 sur la stratégie pour le milieu marin. Tous ces textes poursuivent l'objectif d'un haut niveau de sécurité sanitaire, d'une forte ambition environnementale pour les milieux aquatiques et d'une gestion de l'eau efficace et transparente.

2. Des résultats encore insatisfaisants en France

Le dernier bulletin national de synthèse de l'état des lieux des bassins 84 ( * ) , publié début 2022, dresse un tableau contrasté de l'état des masses d'eaux au regard des objectifs de la DCE.

Si pour les eaux souterraines, 88 % sont considérées en bon état quantitatif et 70,7 % en bon état chimique, les presque 30 % restantes sont affectées principalement par la présence de résidus de pesticides et des teneurs trop élevées en nitrates. Le tableau est moins positif pour les eaux superficielles . En 2019, seulement 43,1 % d'entre elles étaient en bon état écologique et 44,7 % en bon état chimique (66,9 % lorsque l'on ne prend pas en compte les substances omniprésentes dans l'environnement et transportées sur de longues distances, pour lesquelles il est difficile d'agir sur leur origine, comme le Benzopyrène).

On estime ainsi que 67 % des masses d'eaux de surface risquent de ne pas atteindre le bon état écologique et 9,9 % le bon état chimique en 2027 , date limite de mise en application de la DCE. Pour les eaux souterraines, ce seraient 14,1 % qui n'atteindraient pas le bon état quantitatif et 40,1 % le bon état chimique à la même échéance.

Entre 2013 et 2019 85 ( * ) , la situation a peu évolué et les SDAGE de nouvelle génération fixent un objectif modeste d'amélioration d'environ 20 % de la qualité des eaux.

Ce sont essentiellement les territoires des bassins Loire-Bretagne, Seine-Normandie et Rhin-Meuse qui connaissent les situations les plus problématiques, ainsi que le bassin Artois-Picardie en matière de mauvais état chimique des cours d'eau.

Dans son rapport d'activité pour 2021 86 ( * ) , l'autorité environnementale constate que tous les SDAGE, à l'exception du SDAGE de Corse, dont une grande partie des masses d'eau est déjà dans un état jugé bon, prévoient de ne pas atteindre l'objectif de bon état de la totalité des masses d'eaux en 2027 . Cette non atteinte des objectifs peut être en partie justifiée au regard de la directive. En effet, celle-ci autorise les États membres à fixer des objectifs moins stricts (dérogations de l'article 4.5) ou à appliquer des dérogations temporaires en cas de force majeure (dérogations de l'article 4.6). L'autorité environnementale estime que ce sont principalement les pollutions diffuses par les pesticides utilisés en agriculture qui empêchent de franchir la dernière marche vers le bon état de l'ensemble des masses d'eau.

Si l'écart avec la cible finale d'un bon état de l'ensemble des masses d'eau se réduit, on ne peut pas se satisfaire de ne pas avoir aujourd'hui plus de la moitié des masses d'eau superficielles répondant pleinement aux exigences de qualité imposées par les textes européens de référence .

État écologique et état chimique des eaux de surface
(dernier rapport sur l'application de la DCE en France)

3. La mise en place de plans d'action d'amélioration de la qualité des eaux

Le tableau ne doit toutefois pas être noirci à l'extrême. La France s'est dotée d'instruments globaux de lutte contre la pollution de l'eau à travers les plans d'action des SDAGE, qui ont permis d'améliorer la situation sur de nombreux aspects.

La lutte contre la pollution de l'eau est passée d'abord par un effort important de traitement des eaux usées . Le rejet direct de celles-ci dans le milieu naturel est interdit. Elles doivent faire l'objet de techniques d'épuration pour éliminer les polluants qu'elles contiennent, soit à travers un système d'assainissement individuel (les fosses septiques), encore répandu en zones rurales, soit à travers un système d'assainissement collectif (tout-à-l'égout), auquel sont raccordés 80 % des ménages, les documents d'urbanisme définissant les zones de chaque commune relevant de chacun de ces deux types de systèmes d'assainissement.

La mise en place de réseaux séparatifs de collecte des eaux usées et des eaux de ruissellement a eu également un impact positif sur les rejets en cas de fortes pluies. Celles-ci avaient tendance à saturer les capacités de collecte du réseau unique, si bien que l'ensemble des eaux collectées pouvait se déverser sans traitement dans le milieu.

Les performances des stations d'épuration ont aussi été améliorées afin de réduire les rejets. L'Agence de l'eau Seine-Normandie souligne ainsi que « la qualité physico-chimique (oxygène, phosphore, ammonium) de l'eau sur le bassin est en nette amélioration depuis plusieurs décennies grâce aux progrès des traitements des stations d'épuration, par exemple sur les agglomérations de Rouen et de Paris pour le traitement des effluents urbains et la réduction des flux de matière organique et d'ammonium (NH4). L'oxygénation des eaux de la Seine est devenue satisfaisante. De même pour l'oxygénation des eaux de l'estuaire, en ce qui concerne la vie aquatique, alors que jusqu'au milieu des années 1990 un déficit chronique en oxygène apparaissait en période estivale et automnale entre Rouen et Honfleur ». Le même constat est partagé par l'Agence de l'Eau Rhin-Meuse, avec toutefois un bémol pour les petites stations d'épuration. L'Agence indique que : « la qualité de l'eau évolue positivement vis-à-vis de l'impact des pollutions urbaines et industrielles depuis le début de la surveillance en 1971. Un plafond est toutefois atteint depuis 5 ans en zone rurale où les petites stations d'assainissement des eaux ne sont pas suffisamment performantes pour éliminer le phosphore responsable de l'eutrophisation des eaux continentales ». La bataille des eaux usées est donc en passe d'être gagnée , même si des améliorations sont encore nécessaires dans les petites stations ou pour l'assainissement individuel.

La lutte contre la pollution des eaux passe ensuite par la réduction des pollutions diffuses, en particulier agricoles . La présence de résidus de pesticides est la principale cause de non-conformité des eaux de surface. Le Grenelle de l'environnement en 2008-2009 avait fixé un objectif de réduction de 50 % de l'utilisation des produits phytopharmaceutiques à l'horizon 2020. Les objectifs ont été revus en 2016 avec une cible de réduction de 25 % en 2020 et 50 % en 2025. L'utilisation de produits phytopharmaceutiques a été interdite (hors produits biologiques) pour les particuliers et pour les collectivités, par étapes successives, dans les années 2010. Dès 2008, les 30 substances les plus préoccupantes pour la santé et l'environnement ont été retirées du marché. Mais, certaines d'entre elles se dégradant très lentement, on en trouve encore des traces dans l'eau, de nombreuses années après la fin de leur utilisation. Par ailleurs, la réduction de l'usage des pesticides n'a pas été au rendez-vous dans les faits : entre 2009 et 2016, l'indice d'utilisation de ces produits (NODU) a progressé de 12 %.

Le constat est partagé sur la plupart des bassins. Ainsi, l'Agence de l'eau Seine-Normandie estime que « les pollutions les plus préoccupantes aujourd'hui sur le bassin sont les pollutions diffuses (qui ne sont pas rejetées en un point précis mais qui se retrouvent et s'accumulent dans les masses d'eau). Elles sont principalement d'origine agricole (pour rappel, 60 % de la surface du bassin est agricole) ». Dans le SDAGE du bassin Adour-Garonne, il est précisé que « 35 % des masses d'eau superficielle et 27 % des masses d'eau souterraine libre présentent une pression d'azote diffus d'origine agricole significative » et « 38 % des masses d'eau superficielle et 40 % des masses d'eau souterraine libres présentent une pression phytosanitaire significative ». Ce constat global est également fait par l'OFB qui estime que « les pollutions diffuses agricoles sont l'une des causes principales de la dégradation des masses d'eau en France et en Europe ». 87 ( * ) En Loire-Bretagne, la carte des cours d'eau les moins bien classés au regard des exigences de la DCE suit la carte des zones de production viticole. S'il convient de ne pas stigmatiser les agriculteurs, qui sont soumis à des contraintes de plus en plus fortes et modifient progressivement leurs pratiques, il faut aussi constater que la lutte contre les pollutions diffuses des eaux de surface comme des eaux souterraines passe nécessairement par une maîtrise des consommations de pesticides.


* 81 Voir le guide technique du Ministère de la transition écologique et solidaire publié en 2019 sur le sujet : https://www.eaufrance.fr/sites/default/files/2019-05/guide-reee-esc-2019-cycle3.pdf

* 82 Les rapports de la France sur la mise en oeuvre des directives sur l'eau sont consultables sur le site dédié : https://rapportage.eaufrance.fr/

* 83 https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=COM:2019:95:FIN&from=EN

* 84 https://www.eaufrance.fr/actualites/parution-de-ledition-2022-du-bulletin-rapportage

* 85 https://www.eaufrance.fr/publications/synthese-2013-des-etats-des-lieux-des-bassins

* 86 https://www.igedd.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/ra2021-ae-v6_cle7d4d87.pdf

* 87 https://professionnels.ofb.fr/fr/node/326

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