B. RECOMMANDATIONS DE LA DÉLÉGATION

1. Huit recommandations

Pour que le scénario vertueux l'emporte, la délégation à la prospective du Sénat a adopté huit recommandations qui s'inscrivent dans le prolongement de celles faites dans le rapport Lozach-Tandonnet de 2016.

• Première proposition : permettre la construction de nouvelles retenues d'eau, de préférence multi-usages, lorsque le service environnemental et économique rendu est positif.

Il faut refuser de disqualifier d'emblée la création de retenues d'eau artificielles. Dès lors que leurs effets collatéraux ne posent pas de problème, lorsque l'on a la possibilité de ponctionner une ressource abondante hors période d'étiage, constituer des réserves peut être une solution pertinente d'un point de vue économique mais aussi d'un point de vue environnemental, les retenues de substitution permettant d'alléger la pression sur la ressource à l'étiage. Les réserves sont d'ailleurs de plus en plus des équipements mutualisés multi-usages. Il convient d'une manière plus générale de ne pas retenir une vision statique du milieu et des enjeux de préservation : une nouvelle retenue peut créer de la biodiversité et améliorer le fonctionnement d'un écosystème local. Redessiner un cours d'eau dont le lit a été affecté par la succession de crues n'est pas forcément négatif et peut par exemple améliorer la circulation des sédiments et renforcer la continuité écologique.

• Deuxième proposition : prioriser les solutions fondées sur la nature dans la gestion du grand cycle de l'eau.

La contribution de l'eau aux grands équilibres de notre environnement est essentielle. La gestion de l'eau doit donc mettre en oeuvre en priorité des solutions fondées sur la nature. Cela implique d'aller à l'encontre de la tendance à l'artificialisation des sols, de désimperméabiliser, en particulier en milieu urbain, pour favoriser l'infiltration de l'eau de pluie ou encore apporter de la fraîcheur dans les villes lors des pics de chaleur. Après la fourniture d'eau potable, prioritaire pour des raisons sanitaires, la préservation de l'environnement et des écosystèmes doit être la deuxième priorité des politiques de l'eau.

• Troisième proposition : accélérer l'adaptation des pratiques agricoles aux nouvelles tensions hydriques.

L'agriculture est le principal consommateur d'eau, indispensable à la pousse des plantes et à l'abreuvement du bétail. Nos agriculteurs ne peuvent pas être laissés sans solution. Mais l'adaptation des pratiques au changement climatique est encore trop lente et la transition vers l'agro-écologie doit être accélérée à travers tous les leviers possibles : formation, aides apportées par le premier ou le deuxième pilier de la politique agricole commune (PAC), recherche appliquée et expérimentation des nouvelles pratiques. Les chambres d'agriculture ont un rôle éminent à jouer pour diffuser les bonnes pratiques qui hier, visaient à accroître les rendements et aujourd'hui, doivent chercher à être plus efficaces en s'appuyant sur les ressources issues de la nature et être plus résilients face au changement climatique.

• Quatrième proposition : a ugmenter les moyens financiers consacrés à l'eau, en particulier ceux des Agences de l'eau.

Une politique publique ambitieuse ne peut être menée avec des capacités financières amoindries. Après des années de stagnation, et même de légère régression, les moyens gérés par les Agences de l'eau ont fait l'objet d'annonces récentes de rallonges. Mais ces ressources qui stagnent structurellement du fait de la stagnation des consommations domestiques d'eau potable, sur laquelle les redevances sont assises, sont sollicitées pour financer des domaines de plus en plus variés touchant de plus en plus au grand cycle de l'eau, et de moins en moins à la modernisation des stations d'épuration ou à la modernisation des réseaux de distribution d'eau potable, pourtant vieillissants. De leur côté, les collectivités territoriales investissent des sommes limitées dans la GEMAPI, et ne peuvent souvent pas faire face aux dépenses autres que les dépenses d'études. Il est donc nécessaire de renforcer les ressources fléchées vers la gestion de l'eau, pour financer une politique de l'eau plus ambitieuse.

• Cinquième proposition : re-politiser les instances de gouvernance de l'eau .

Les instances de pilotage de la politique de l'eau, au niveau des bassins comme au niveau local, sont nombreuses et doivent trancher des questions d'un niveau de technicité élevé. Plus encore que l'énergie, l'eau est le domaine privilégié des ingénieurs et des scientifiques. Les flux sont complexes, les études de volumes prélevables sont ardues et les aménagements hydrauliques à réaliser combinent considérations financières, géologiques ou encore hydrologiques. Alors que l'eau était gérée directement par les maires dans des syndicats intercommunaux à échelle humaine, les regroupements de structures et l'intercommunalisation de la compétence eau et assainissement conduisent à dépolitiser l'eau. Les élus siégeant dans les syndicats et autres structures sont bien souvent extrêmement compétents, mais ils ne sont généralement pas ceux qui détiennent le pouvoir de décision. Au demeurant, l'eau n'est plus que rarement une question politique débattue lors des campagnes électorales locales. Le pouvoir est passé du côté des techniciens. Il convient que les présidents d'intercommunalités et les décideurs politiques au sens large se réinvestissent sur la question de l'eau, par exemple en siégeant en personne dans les structures gérant la fourniture d'eau potable et l'assainissement. L'organisation très participative de la gouvernance de l'eau à travers les commissions locales de l'eau doit être préservée mais elle ne suffit plus.

• Sixième proposition : encourager la recherche et l'innovation, par exemple dans la réutilisation des eaux usées traitées.

Le progrès technique ne laisse pas la question de l'eau sur le bord du chemin. La réutilisation des eaux usées traitées ou encore la recharge artificielle des nappes constituent à cet égard des techniques à développer. Des innovations peuvent aussi être encouragées dans le domaine de l'eau potable et de l'assainissement, par exemple en développant la télésurveillance des réseaux. Recourir aux données numériques, aux télé-relevés et à l'imagerie satellitaire pour mieux connaître en temps réel l'état de la ressource constitue également une voie à encourager.

• Septième proposition : décentraliser davantage la décision publique sur l'eau et faire confiance aux échelons locaux.

La gestion de l'eau doit être le plus possible décentralisée. Sans remettre en cause l'architecture par bassins, qui a sa pertinence, notamment pour fixer les grandes orientations, la gouvernance de l'eau devrait reposer davantage sur l'échelon local, départemental voire infra-départemental. La démarche des SAGE et plus récemment des PTGE s'inscrit dans cette logique. Il convient d'accélérer l'adoption des PTGE et de laisser aux acteurs locaux le soin de définir ce que sont les aménagements acceptables pour eux.

• Huitième proposition : développer une pédagogie de l'eau auprès du grand public.

Nos concitoyens doivent faire évoluer leur regard sur l'eau. L'information est disponible mais la compréhension des enjeux de gestion de l'eau est parfois difficile. La question de l'eau est surtout mise en avant durant les périodes de sécheresse pendant lesquelles les particuliers sont appelés à réduire leur consommation d'eau. Or, c'est toute l'année qu'il faut sensibiliser le grand public à la recherche d'économies d'eau à travers des campagnes de proximité et un encouragement à des gestes simples du quotidien. C'est une véritable éducation à l'eau qu'il convient ainsi de promouvoir.

2. Une interrogation finale

Une interrogation finale : afin de mieux gérer l'eau en France demain, faudra-t-il une nouvelle loi pour prendre la suite des lois sur l'eau de 1992 et de 2006 ?

Plusieurs acteurs de la politique de l'eau ont plaidé en ce sens, notamment à l'occasion d'un débat organisé par le Cercle français de l'eau au printemps 2022 99 ( * ) . Les points de vue sont partagés. Une nouvelle loi pourrait donner un signal politique de la priorité donnée à l'eau et corriger certains défauts des actuels textes législatifs, notamment en améliorant l'articulation de l'enjeu de l'eau avec les documents d'urbanisme ou encore en clarifiant les obligations des porteurs de projets en matière d'études d'impact ou de modalités d'examen de leurs demandes. Mais ne dispose-t-on pas déjà d'un arsenal législatif suffisant ? Les détails les plus problématiques ne relèvent-ils pas du niveau réglementaire ? Les problèmes résident moins dans la loi que dans sa mise en application parfois difficile. Il pourrait y avoir en outre une cristallisation des oppositions en cours de discussion, par exemple entre agriculteurs et défenseurs de l'environnement, alors que l'enjeu est de faire dialoguer les parties pour rechercher un consensus.

Les 8 recommandations

- Permettre la construction de nouvelles retenues d'eau , de préférence multi-usages, lorsque le service environnemental et économique rendu est positif.

- Prioriser les solutions fondées sur la nature dans la gestion du grand cycle de l'eau.

- Accélérer l'adaptation des pratiques agricoles aux nouvelles tensions hydriques.

- Augmenter les moyens financiers consacrés à l'eau, en particulier ceux des Agences de l'eau.

- Re-politiser les instances de gouvernance de l'eau.

- Encourager la recherche et l'innovation, par exemple dans la réutilisation des eaux usées traitées.

- D écentraliser davantage la décision publique sur l'eau et faire confiance aux échelons locaux.

- Développer une pédagogie de l'eau auprès du grand public.


* 99 https://www.cerclefrancaisdeleau.fr/category/debats/

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