II. EN QUOI LE CHANGEMENT CLIMATIQUE TRANSFORME-T-IL LE CYCLE DE L'EAU EN FRANCE ?

A. LE CYCLE DE L'EAU EN PLEIN BOULEVERSEMENT

1. L'impact du réchauffement climatique

Sous l'effet de l'émission croissante de gaz à effet de serre (GES), nous sommes entrés dans une phase d'élévation de la température moyenne de la surface de la terre de 1,09 °C depuis la période de référence 1850-1900. Le 6 ème rapport du groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) publié mi-2021 affine le diagnostic, évalue les conséquences de ce réchauffement et présente les différents scénarios d'ici la fin du siècle 24 ( * ) . Il constate que le réchauffement est plus marqué au niveau des terres émergées (1,6 °C) qu'au niveau des océans (+0,9 °C). Il met en évidence un phénomène continu de réchauffement depuis 40 ans , chaque décennie ayant été plus chaude que la précédente. Il évalue cinq trajectoires possibles, qui conduisent toutes à un réchauffement certain. Dans le scénario central, dit scénario SSP2-4.5, la température moyenne sur terre augmenterait d'ici la fin du siècle de 2,7 °C par rapport à la période 1850-1900 . Dans les deux meilleures hypothèses, on limiterait le réchauffement global en dessous de 2° C, comme le prévoit l'accord de Paris. Mais dans les pires, on pourrait aller jusqu'à un réchauffement de 5,7 °C.

Or, comme le rappelle l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) dans son rapport de mars 2022 précité, « le cycle de l'eau est un mécanisme hautement thermosensible, puisque directement lié à l'équilibre entre les différents états de l'eau ». Le chapitre 4 de la partie II du dernier rapport du GIEC évalue précisément les impacts du changement climatique sur l'eau 25 ( * ) et montre que plusieurs effets sont déjà à l'oeuvre et pourraient s'accentuer :

- L'évapotranspiration continentale a déjà augmenté aux moyennes et hautes altitudes. L'humidité des sols est également réduite, en tout cas pour les sols superficiels (l'assèchement étant généralement moindre en profondeur), ce qui rendra les systèmes agricoles plus sensibles aux sécheresses. Les experts du GIEC estiment par ailleurs qu'il est peu probable que l'augmentation de l'efficacité de l'utilisation de l'eau par les plantes, due à une concentration plus élevée de CO 2 dans l'atmosphère, atténue les sécheresses agricoles.

- La fonte des glaciers va également être accélérée avec une perspective de disparition de la plupart d'entre eux en Europe à l'horizon 2100. L'effet tampon des glaciers, qui captent l'eau douce sous forme solide pour la restituer l'été sous forme liquide et soutenir ainsi les étiages des cours d'eau, pourrait en être fortement atténué voire disparaître.

- L'humidité atmosphérique et l'intensité des précipitations sont également en hausse (de l'ordre de 2 à 3 % pour 1° C de hausse de température). Les périodes sèches devraient également l'être davantage , en particulier en Europe du Sud. Le régime des précipitations pourrait être fortement modifié avec des épisodes plus prononcés, conduisant à une alternance de sécheresses longues et de pluies diluviennes, pouvant conduire à une augmentation du phénomène d'inondations et à un accroissement de l'érosion des sols. La variabilité des précipitations d'une année sur l'autre devrait également augmenter, ce qui pourrait compliquer la gestion de l'eau dans de nombreuses régions du monde.

- La géographie des précipitations va également être modifiée , avec une tendance à l'augmentation des précipitations aux latitudes élevées, sur les océans à la latitude des tropiques et dans les régions affectées traditionnellement par les moussons, tandis que les précipitations devraient se réduire dans le Pacifique-Sud, en centre-Atlantique, ou encore dans la zone méditerranéenne.

Comme l'indiquait le chercheur Hervé Douville lors de son audition : « la fréquence et l'intensité des précipitations extrêmes a augmenté depuis 1950 dans de nombreuses régions et le réchauffement global en est la cause car il s'opère à humidité relative constante », en particulier en Europe.

Le Sud de l'Europe devrait devenir de plus en plus aride. D'après Hervé Douville, le changement du cycle de l'eau a été longtemps occulté par la pollution atmosphérique, qui a retardé les effets du changement climatique. Paradoxalement, avec l'amélioration de la qualité de l'air, nous devons donc maintenant faire face à des effets accrus du réchauffement climatique.

Au-delà des effets sur la quantité d'eau disponible, le réchauffement climatique pourrait aussi affecter les propriétés chimiques et biologiques des lacs et des rivières, accélérant l'eutrophisation .

De faibles variations de température moyenne auront sans aucun doute de grandes conséquences, compte tenu de la forte thermosensibilité du cycle de l'eau. Mais il faut aussi avoir conscience que ces changements seront encore plus massifs et rapides si le réchauffement réel s'avère de plus grande ampleur que ce que prévoit le scénario central du GIEC. Or, l'Organisation météorologique mondiale (OMM) vient de révéler que l'Europe avait tendance à se réchauffer deux fois plus vite que la moyenne planétaire (environ 0,5 °C par décennie depuis le début des années 1990) 26 ( * ) , ce qui pourrait renforcer l'ensemble des effets précités (évapotranspiration, fonte des glaciers, sécheresse de l'air ...).

Modifications attendues des précipitations (a), de l'évapotranspiration (b),
du ruissellement (d) et de l'humidité des sols (e)
dans le scénario central (SSP2-4.5) du GIEC (graphique fourni par Hervé Douville)

2. Les autres paramètres de perturbation du cycle de l'eau

D'autres facteurs, complémentaires du réchauffement climatique affectent également le cycle de l'eau à l'échelle régionale ou locale. Sans prétendre à l'exhaustivité, on peut identifier plusieurs phénomènes qui se sont considérablement accélérés.

L'urbanisation croissante (associée à l'étalement urbain) et l'artificialisation des sols conduisent à modifier les écoulements naturels, à imperméabiliser les surfaces urbanisées et à transformer les hydro-systèmes locaux. L'augmentation du ruissellement superficiel se fait au détriment de la recharge des nappes et expose à des risques accrus d'inondations . Le ruissellement accentue l'érosion des sols . Il contribue aussi à une moindre dilution des polluants , rapidement charriés vers les cours d'eau, ce qui contribue à la dégradation de l'état chimique des eaux superficielles.

La déforestation , outre son impact en termes de moindre captation du CO 2 et de perte de biodiversité, a également des effets délétères sur le cycle de l'eau. Elle supprime le rôle essentiel des arbres et de leur système racinaire dans le processus de filtration de l'eau jusqu'aux nappes phréatiques, et donc dégrade la qualité de l'eau, notamment utilisée par les populations urbaines pour ses besoins domestiques. Disposer d'une eau potable de qualité passe en effet par la préservation des forêts à proximité des espaces urbanisés. Par ailleurs, la déforestation contribue puissamment à l'érosion des sols et au phénomène de ruissellement, au détriment de l'infiltration des eaux de pluie. Enfin, la déforestation reconfigure la géographie des précipitations. La forêt tropicale amazonienne joue ainsi un rôle majeur dans le cycle de l'eau pour une vaste partie du monde. Sa destruction réduit la forte évapotranspiration qui, chaque année, alimente les nuages qui, en se déplaçant grâce aux vents (ce qu'on appelle le phénomène des rivières volantes), vont arroser le bassin Plata-Parana au Sud du continent sud-américain. La déforestation en Amazonie a aussi un impact négatif sur les précipitations dans l'Ouest Nord-américain, un territoire qui précisément manque de pluies.

Enfin, les zones littorales sont touchées par des phénomènes d'intrusion d'eau salée dans les nappes . Du fait de la différence de densité entre eau douce et eau salée, cette dernière s'immisce sous l'eau douce, dans un mécanisme qualifié de « biseau salé », compliquant les captages d'eau dans les sous-sols proches des mers. Lorsque l'eau douce pompée se raréfie, l'eau salée remonte et pollue l'aquifère de manière irréversible. La surexploitation ou la mauvaise exploitation des aquifères côtiers contribue ainsi à la progression du biseau salé et à l'intrusion de sels dans les sols avoisinants. L'approvisionnement en eau potable se heurte ainsi à un défi de taille pour 20 % de la population mondiale, qui vit actuellement à moins de 30 km des côtes. En France, 10 % de la population vit dans une commune littorale.


* 24 https://www.ipcc.ch/report/ar6/wg2/

* 25 https://www.ipcc.ch/report/ar6/wg2/downloads/report/IPCC_AR6_WGII_Chapter04.pdf

* 26 https://public.wmo.int/fr/medias/communiqu%C3%A9s-de-presse/l%E2%80%99europe-conna%C3%AEt-un-r%C3%A9chauffement-climatique-plus-de-deux-fois-plus

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