IV. QUI DÉCIDE ET MET EN oeUVRE LA POLITIQUE DE L'EAU EN FRANCE ?

A. UNE MULTITUDE D'ÉCHELLES ET D'ACTEURS

1. Réglementation et régulation : le rôle fort de l'État
a) Le rôle de l'État à l'échelon national

Le rôle premier de l'État est d'édicter des normes qui encadrent les activités liées à l'eau. Ces normes relèvent de domaines très divers : normes sanitaires, normes environnementales, normes économiques et fiscales. Le domaine de l'eau est au carrefour d'une multitude de législations et de réglementations nationales, elles-mêmes fortement dépendantes de textes européens qu'il convient de transposer en droit français. Qu'il s'agisse de normes relatives à la qualité de l'eau potable, aux rejets de polluants dans l'environnement ou encore à la protection des espèces aquatiques, celles-ci résultent d'un enchevêtrement complexe de textes européens et nationaux, qui visent le même objectif : un haut niveau de protection de la santé et de l'environnement .

Les grandes lois sur l'eau successives (lois de 1964, 1992 et 2006) trouvent leur prolongement dans des textes règlementaires qui dessinent un droit de l'eau visant globalement à une gestion durable de la ressource , tant sur les aspects qualitatifs (avec une préoccupation de lutte contre les pollutions) que quantitatifs, qu'on peut qualifier de gestion intégrée de la ressource en eau (GIRE).

Le droit de l'eau est d'une complexité forte et cette complexité peut parfois conduire à des situations de blocage, comme le déplorait le rapport d'information des députés Adrien Morenas et Loïc Prud'homme de 2018 49 ( * ) , citant l'exemple de la réutilisation des eaux usées traitées, pour laquelle l'enjeu environnemental d'amélioration de la disponibilité de la ressource pour un nouvel usage peut percuter l'enjeu sanitaire appliquant le principe de précaution afin d'éviter toute réutilisation d'une eau qui ne présenterait pas toutes les garanties d'innocuité pour la santé.

À l'échelle nationale, la mise en oeuvre de la politique en faveur de l'eau et des milieux aquatiques s'appuie sur l'Office français de la biodiversité (OFB) , établissement public national issu de la fusion en 2020 de l'Agence française de la biodiversité (elle-même issue de l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques) et de l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS), chargé de collecter de nombreuses données de terrain sur l'eau et les milieux aquatiques, de réaliser des expertises (y compris en donnant des avis techniques aux services de l'État sur l'impact sur les milieux aquatiques de travaux et aménagements), de partager des connaissances, de gérer les aires protégées (parcs naturels marins, réserves naturelles nationales, sites Natura 2000), et exerçant également des pouvoirs de police de l'environnement.

L'État joue ainsi un rôle d'impulsion et d'orientation de la politique de l'eau à l'échelle nationale , en édictant les normes et en énonçant les priorités à décliner sur le territoire.

b) La politique locale de l'eau sous la responsabilité des préfets

Le rôle de l'État est également stratégique à l'échelon local. Ce sont les préfets qui délivrent les autorisations ou qui reçoivent les déclarations au titre des ICPE ou des IOTA. Ce sont également eux qui fixent par des arrêtés les débits minimum que doivent respecter les exploitants des ouvrages sur les cours d'eau comme les barrages ou les pompages. Ils interviennent aussi pour autoriser les associations syndicales (ASE) regroupant les propriétaires riverains de canaux et ouvrages d'irrigation. Ce sont eux également qui sont amenés à intervenir pour édicter les restrictions lors des sécheresses.

Pour ce faire, ils s'appuient sur les services compétents des directions départementales des territoires (DDT), chargées aussi de la mer (DDTM) dans les départements littoraux, et qui instruisent les dossiers d'autorisation au titre de la loi sur l'eau et animent la politique locale en faveur de l'eau et des milieux aquatiques. Ils peuvent aussi s'appuyer sur les DREAL qui veillent à la bonne application des textes en matière d'eau, surveillent les installations classées et suivent les débits des cours d'eau.

La coordination des différents intervenants de l'État dans la mise en oeuvre de la politique de l'eau s'effectue au sein d'une Mission inter-service de l'eau et de la nature (MISEN), associant aussi les Agences de l'eau ou encore l'OFB.

L'État est donc un acteur essentiel dans la mise en application sur le terrain des mesures en faveur de l'eau et des milieux aquatiques. L'éclatement des compétences entre plusieurs services rend cependant l'architecture de l'action locale de l'État en faveur de l'eau peu lisible.

c) La police de l'eau

La police de l'eau vise à contrôler la bonne application des règles de protection de l'eau et des milieux aquatiques et à sanctionner les infractions . Les pouvoirs de police de l'eau sont exercés par les services de l'État, en particulier ceux des DDT, mais aussi par les agents de l'OFB.

Les activités de police de l'eau sont variées : vérification de la conformité des niveaux de rejets des stations d'épuration, de la conformité des pratiques de stockage des effluents d'élevage, de respect par les dispositifs de pompage des débits autorisés, de protection des captages d'eau potable ou encore de réalisation dans les règles de travaux d'entretien ou d'aménagement de cours d'eaux ou de canaux. La liste des types de contrôles possibles est longue.

L'exercice de la police de l'eau est indispensable pour éviter les violations des normes destinées à garantir le bon usage de la ressource en eau et la préservation de sa qualité, mais les modalités d'intervention et de contrôle sont parfois mal comprises par les intéressés, en particulier le monde agricole. Le corpus normatif autour de l'eau est en effet assez complexe et les situations pas toujours évidentes à interpréter, faisant de l'application des textes sur l'eau un domaine particulièrement ardu 50 ( * ) .

2. Les Agences de l'eau : une programmation de la politique de l'eau à l'échelle des bassins
a) Le rôle des Agences de l'eau

Créées par la loi sur l'eau de 1964, les Agences de l'eau (appelées Office de l'eau dans les outre-mer) ont le statut d'établissement public administratif de l'État et ont chacune pour périmètre un bassin hydrographique. La France était ainsi pionnière en assurant la gestion de l'eau à l'échelle cohérente des districts hydrographiques, qui sera l'échelle reprise ensuite par les textes européens, plutôt que de retenir les découpages administratifs classiques.

Elles sont investies d'une mission d'intérêt général visant à gérer et à préserver la ressource en eau, à restaurer les milieux aquatiques, à garantir le bon état des eaux en réduisant les pollutions de toutes origines et à agir pour préserver et restaurer la qualité et les habitats naturels des eaux côtières. Les compétences des Agences se déploient sur l'ensemble des masses d'eau : eaux souterraines comme eaux de surface.

S'appuyant sur un effectif d'environ 1 600 personnes, les six Agences de l'eau de l'hexagone constituent en premier lieu un pôle de connaissance et d'expertise , qui collecte des données, établit un panorama de l'état de la ressource et suit les évolutions quantitatives et qualitatives sur le territoire de chaque bassin. Mais les Agences sont aussi le bras armé financier de l'État en matière de politique de l'eau, en collectant les redevances et en les redistribuant sous forme de subventions au bénéfice de porteurs de projets sur l'eau : collectivités locales, opérateurs économiques (industriels, agriculteurs) voire organismes à but non lucratif intervenant en faveur des milieux aquatiques.

Elles animent la politique de l'eau à l'échelle du bassin dont elles ont la responsabilité et ont vu leur domaine d'intervention progressivement élargi à la biodiversité, notamment à la restauration des trames vertes et bleues.

Les Agences sont le rouage technique et financier essentiel de la politique de l'eau sur les territoires, sans le soutien duquel les projets locaux ne pourraient pas aboutir. Leur Conseil d'administration est présidé par un préfet coordinateur de bassin.

b) Les SDAGE, outil de planification et de programmation

Mis en place par la loi sur l'eau de 1992, les schémas directeurs d'aménagement et de gestion de l'eau (SDAGE) constituent des outils de planification de la politique de l'eau à l'échelle de chaque bassin hydrographique (sept en métropole et cinq outre-mer).

Les SDAGE, qui sont révisés tous les six ans, établissent d'abord un état des lieux de l'état qualitatif et quantitatif de la ressource en eau sur le bassin et de ses utilisations. Ils établissent des prévisions sur les évolutions futures de ces paramètres. Ensuite, les SDAGE définissent des orientations permettant d'aller vers une gestion équilibrée et durable de la ressource en eau, respectant les objectifs quantitatifs et qualitatifs fixés par la DCE. Les SDAGE contiennent enfin un programme de mesures à mettre en oeuvre durant les six années de son application.

Les SDAGE orientent la politique de l'eau sur le bassin, dans la mesure où tous les projets touchant à l'eau et aux milieux aquatiques doivent s'inscrire dans le cadre qu'ils prescrivent. Les SDAGE ont également un effet sur les politiques locales d'utilisation de l'espace puisque les Schémas de cohérence territoriale (SCoT), les plans locaux d'urbanisme (PLU et PLUI) et cartes communales doivent être compatibles avec les objectifs du SDAGE. Il en va de même du schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET), qui doit prendre en compte les orientations de gestion équilibrée de la ressource en eau. Les SDAGE peuvent ainsi constituer un frein à l'urbanisation lorsque la ressource en eau est insuffisante ou dégradée .

3. La mise en oeuvre concrète des actions en faveur de l'eau repose sur les acteurs locaux
a) Le rôle essentiel des collectivités locales

Au-delà de leur mission première de fourniture d'eau potable et de gestion de l'assainissement, les collectivités locales se sont investies de manière ancienne et forte dans la gestion de l'eau au sens large : aménagement des berges, dragage et curage des cours d'eau non domaniaux en lieu et place des propriétaires riverains, construction de digues, aménagements de zones d'expansion de crues pour prévenir le risque d'inondations, voire réalisation de retenues d'eau pour le soutien d'étiage ou pour l'irrigation. Les motifs d'intervention sont nombreux.

Les régions se sont vues reconnaître par la loi NOTRe de 2015 la possibilité de prendre en charge l'animation de la politique de l'eau. Elles détiennent certains ouvrages importants (par exemple, la région PACA s'est vu transférer la concession du canal de Provence par l'État en 2008) et contribuent parfois au financement des projets d'hydraulique agricole.

Les départements sont aussi gestionnaires de certaines infrastructures, comme les barrages. Ils disposent souvent d'une ingénierie territoriale capable d'élaborer des projets de gestion locale de l'eau. Ils apportent également un soutien financier aux maîtres d'ouvrages, tant dans les projets relatifs au petit cycle de l'eau (eau potable et assainissement) que dans ceux touchant au grand cycle.

Le bloc communal a été conduit à s'intéresser d'abord à la fourniture d'eau potable et à l'assainissement. Mais les communes traversées par des cours d'eau ont assez rapidement agi, seules ou avec les communes voisines, pour assurer l'entretien des cours d'eau riverains des terrains communaux, puis prendre le relais de propriétaires déficients en cas d'urgence ou pour un motif d'intérêt général. La loi MAPTAM et la loi NOTRe ont regroupé les compétences de gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations dans un même bloc, la GEMAPI, confiée aux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), en les laissant ensuite s'organiser de manière souple.

Les collectivités locales ont appris très tôt à travailler ensemble sur les questions d'eau, en créant des syndicats mixtes associant plusieurs niveaux de collectivités (communes, départements, régions) et permettant de regrouper des moyens financiers, techniques et humains , et mettre en oeuvre une politique territoriale de l'eau et des milieux aquatiques cohérente , là où les initiatives isolées n'avaient aucune chance d'aboutir, compte tenu du coût élevé des investissements à réaliser ou de la nécessité de se coordonner étroitement.

Plusieurs types de structures assurent aujourd'hui cette mise en commun de la gestion de l'eau entre collectivités territoriales :

- Les 42 établissements publics de bassin (EPTB) recensés sur le territoire national peuvent se voir confier des missions larges de prévention des inondations, de gestion de la ressource en eau, de préservation des zones humides, ou encore de suivi des schémas d'aménagement et de gestion des eaux (SAGE), dont ils sont alors la structure porteuse. Ils peuvent aussi assurer la maîtrise d'ouvrage de certains équipements, comme les lacs de Seine pour l'EPTB Seine Grands Lacs, qui gère les 4 lacs-réservoirs assurant le soutien d'étiage de la Seine l'été et l'écrêtage des crues de la Seine l'hiver.

- Les 29 établissements publics d'aménagement et de gestion de l'eau (EPAGE) ont un objet plus restreint : ils assurent à l'échelle d'un fleuve côtier ou du sous-bassin d'un fleuve la mission de prévention des inondations ou submersions marines et la mission de gestion des cours d'eau non domaniaux.

Dans les deux cas, ces structures permettent une mutualisation de moyens utile pour porter les actions des collectivités territoriales dans le domaine de l'eau. Ils peuvent également se voir transférer la compétence GEMAPI des EPCI.

b) La planification locale : SAGE, contrats de rivière, PTGE

Si les SDAGE planifient la politique de l'eau au niveau de chaque bassin hydrographique, la gestion fine de la ressource en eau ne peut se faire à cette échelle. Elle est donc déclinée au niveau de systèmes hydrographiques cohérents (une nappe ou un cours d'eau ou un ensemble de ceux-ci qui fonctionnent ensemble) sous la forme de schémas d'aménagement et de gestion des eaux (SAGE).

Le SAGE organise la conciliation entre les différents usages de la ressource en eau , dans le respect de l'objectif de protection des milieux aquatiques et de gestion durable de la ressource. Il définit les priorités d'usage, identifie les mesures nécessaires à la restauration de la qualité de l'eau. Outre un plan d'aménagement et de gestion durable (PAGD) qui fixe les objectifs et orientations du schéma, un règlement du SAGE édicte des normes qui peuvent être assez contraignantes et qui s'imposent aux utilisateurs de l'eau. À titre d'exemple, le règlement du SAGE de Vendée fixe à 3 millions de m 3 le volume minimum entre le 15 juin et le 30 septembre qui doit être affecté au soutien d'étiage des canaux du Marais poitevin 51 ( * ) . Le SAGE doit notamment identifier les zones de sauvegarde stratégique pour l'alimentation en eau potable, si le SDAGE ne l'a pas déjà fait, et édicter des mesures de protection, afin que l'alimentation en eau potable soit sanctuarisée. Naturellement, le SAGE doit s'inscrire dans les orientations du SDAGE.

Plus de la moitié du territoire national est désormais couvert par l'un des 191 SAGE déjà adoptés ou en cours de construction.

Carte des SAGE fin 2019

Les SAGE, qui font parfois l'objet de critiques quant à leur lourdeur et à leur manque d'articulation avec les autres outils de planification territoriale, ne sont pas les seuls outils de planification et régulation locale de la gestion de la ressource en eau. Des contrats de milieu (contrat de rivière, contrat de lac ou de nappe), plus souples et concrets, peuvent être conclus entre partenaires (État, Agences de l'eau, collectivités territoriales), sous l'égide d'une structure porteuse, pour améliorer la qualité des eaux ou mieux gérer les quantités disponibles. Il en existe environ 270 à ce jour.

Enfin, les pouvoirs publics encouragent les différents acteurs de l'eau au niveau local à se lancer dans des PTGE, qui visent à encore plus associer les utilisateurs de l'eau à la démarche de planification et de régulation équilibrée.

Tous ces outils se combinent, se superposent, dans un enchevêtrement pas toujours très lisible , avec à chaque fois l'objectif de définir un consensus local, de définir à chaque échelle pertinente une stratégie commune en faveur de l'eau, dont la mise en oeuvre dépend cependant de l'initiative et du bon vouloir des gestionnaires des porteurs de projets et des financeurs, d'où des niveaux disparates de mobilisation selon les territoires.


* 49 https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/mieau/l15b1101_rapport-information.pdf

* 50 Pour une analyse complète récente de l'exercice de la police de l'eau et de la nature, voir le rapport sur le sujet du CGEDD datant de 2018 : https://www.vie-publique.fr/rapport/267867-police-de-leau-et-de-la-nature-dans-les-services-deconcentres

* 51 https://www.gesteau.fr/sage/base-regles-sage/regle0400407

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