DEUXIÈME PARTIE :
CLARIFIER LE MODELE MÉTROPOLITAIN POUR DÉPASSER LE FACE-À-FACE
ENTRE MÉTROPOLE ET COMMUNES

I. LE DERNIER ACTE DE LA NAISSANCE DE LA MÉTROPOLE A FAIT EMERGER UN BESOIN DE CLARIFICATION DU MODELE MÉTROPOLITAIN LYONNAIS

A. LE CHOC DE CULTURES POLITIQUES : UNE PRATIQUE DU POUVOIR JUGÉE TROP VERTICALE

1. La mémoire d'une culture politique lyonnaise fondée sur le compromis

L'histoire de coopération intercommunale au sein de la communauté urbaine de Lyon constitue l'un des facteurs ayant permis la création d'une collectivité territoriale d'un type nouveau sur ce territoire. Comme le précisait en 2013 le rapport de René Vandierendonck, fait au nom de la commission des lois du Sénat, sur le projet de loi dit « MAPTAM », le projet de création de la métropole de Lyon a été « facilité par (...) l'ancienneté de la communauté urbaine et donc de l'habitude des collectivités à travailler ensemble » 165 ( * ) . Cette coopération intercommunale a pourtant connu des débuts mouvementés : celle-ci a en effet longtemps été marquée par « un conflit opposant la ville de Lyon, dont la croissance s'est faite au XIX e siècle par absorption de communes voisines, et d'autres villes contiguës refusant cet `impérialisme lyonnais ' » 166 ( * ) .

En effet, les communes contiguës à la ville de Lyon entretiennent historiquement un lien de méfiance envers cette dernière, dont le développement s'est largement opéré au XIX e siècle par des « annexions territoriales successives 167 ( * ) imposées par le pouvoir central » 168 ( * ) . Les communes de Villeurbanne, de Vénissieux et de Caluire, s'opposent ainsi jusqu'à la Première guerre mondiale à leur annexion, totale ou partielle, par la commune de Lyon 169 ( * ) .

À compter de l'entre-deux-guerres , les projets d'annexion laissent place à de premières formes de coopération où, comme l'écrit l'urbaniste Franck Scherrer, l'on passe de « l'appropriation communale à l'acculturation communautaire » 170 ( * ) . Ces premières formes de coopération intercommunale prennent forme autour de compétences de réseaux : ainsi, la création en 1929 d'un syndicat des eaux de la banlieue, puis la création en 1942, sous l'impulsion déterminante de l'État, du syndicat des transports en commun de la région lyonnaise, et surtout, la progressive gestion en commun de l'assainissement urbain, « vecteur de l'intercommunalité lyonnaise » 171 ( * ) , contribuent à l'acculturation des élus de l'agglomération à la coopération intercommunale.

Cette coopération est formalisée , non sans intervention de l'État, dans les années 1960 ; un syndicat intercommunal à vocation multiple est ainsi créé en 1962, transformé en communauté urbaine par la loi n° 66-1069 du 31 décembre 1966 172 ( * ) . Voyant le jour au 1 er janvier 1969, cette communauté urbaine prend en 1971 le nom de « COURLY 173 ( * ) », puis devient le « Grand Lyon » en septembre 1991 174 ( * ) .

Bien que largement impulsée par l'État, la coopération intercommunale dans l'agglomération lyonnaise s'inscrit donc dans le temps long et a donné naissance à une culture de travail en commun auprès des élus concernés. Les perspectives de développement économique local et régional ont par la suite joué en faveur de la poursuite de l'intégration territoriale. En 2012, est créé le Pôle métropolitain , un syndicat mixte qui rassemble la communauté urbaine de Lyon, la communauté d'agglomération de Saint-Etienne, la communauté d'agglomération des Portes de l'Isère et la communauté d'agglomération de Vienne 175 ( * ) .

Cette tradition de coopération politique entre des hommes et des femmes représentant des collectivités territoriales et des affinités politiques distinctes a certainement contribué à la construction d'une culture politique locale souvent décrite comme fondée sur la recherche du consensus ou, à tout le moins, le compromis . Auditionné par les membres de la mission, Gérard Collomb a ainsi souligné que la création de la métropole de Lyon constituait notamment « le résultat de l'histoire propre de Lyon et des communes qui l'environnent ». De façon analogue, Michel Mercier avait ainsi estimé, lors d'une audition par la commission des lois du Sénat conduite dans le cadre des travaux relatifs au projet de loi dit « MAPTAM » : « l'organisation que nous avons trouvée découle de notre tradition modérantiste » 176 ( * ) , qu'il définissait à une autre occasion « en disant que nous savons que nous pouvons vivre ensemble, et qu'il est possible et nécessaire de créer les conditions du vivre-ensemble », jugeant qu'il « faut savoir dépasser les clivages pour faire avancer les dossiers 177 ( * ) . » Marc Grivel, président du groupe Synergies au sein de la métropole, estime également que la gouvernance de la communauté urbaine de Lyon consistait en « la politique, ni enchantée, ni parfaite, de la recherche de consensus » 178 ( * ) .

Le fonctionnement de la communauté urbaine de Lyon, de même que la création de la métropole de Lyon, devaient en conclusion beaucoup à une culture politique fondée sur la coopération locale et le compromis. Une telle culture a été - au moins partiellement et temporairement - remise en cause à la suite des élections de 2020.

2. La gouvernance actuelle de la métropole s'inscrit dans une culture politique différente

Les élections métropolitaines de 2020 , qui ont fait entrer la métropole dans son rythme institutionnel de croisière, se sont traduites par un triple choc pour les élus composant la communauté urbaine de Lyon .

En premier lieu, alors qu'en application des dispositions de l'article 33 de la loi dite « MAPTAM » ayant créé de la métropole de Lyon, l'ensemble des conseillers communautaires avaient vu leur mandat prolongé jusqu'au renouvellement de 2020, ce renouvellement municipal et métropolitain a conduit à un choc générationnel .

Sur les 150 élus que compte aujourd'hui le conseil de la métropole 96 n'étaient pas élus à la communauté urbaine de Lyon au préalable 179 ( * ) : 64 % du total de l'assemblée n'a donc pas connu le fonctionnement de la communauté urbaine de Lyon . Un tel renouvellement comporterait des risques de déstabilisation au sein de toute assemblée délibérante ; il fut d'autant plus difficile dans le cas d'espèce que, si le fonctionnement intercommunal requiert en soi une culture du compromis, cette dernière était particulièrement présente au sein de la COURLY puis du Grand Lyon. La distance entre, d'une part, ces élus ne bénéficiant pas du référentiel de la coopération intercommunale lyonnaise préexistante et, d'autre part, des élus ayant connu un tel fonctionnement et n'ayant pas bénéficié lors de la phase de transition d'une clarification de la nature réelle de la collectivité territoriale nouvellement créée a donc rendu difficile la compréhension mutuelle .

En deuxième lieu, le renouvellement de 2020 s'est traduit par un choc politique . Inédite, la nouvelle majorité métropolitaine n'avait jamais occupé les fonctions exécutives . Bruno Bernard a ainsi estimé que sa majorité pâtissait de la perception, notamment par les maires, d'un déficit de légitimité 180 ( * ) .

En dernier lieu, la conjonction de ces chocs générationnel et politique a été vécue, par certains élus du territoire, comme un choc culturel . Dans une contribution écrite transmise aux rapporteurs, Marc Grivel, président du groupe Synergies, a ainsi relevé que « la gouvernance de la majorité métropolitaine écologiste interroge souvent, agace parfois, tant la pratique majoritaire, partisane et finalement politicienne est en rupture » avec la gouvernance historique de la communauté urbaine de Lyon, regrettant la perte de la recherche de consensus, « démarche politique pragmatique qui s'inscrivait dans l'esprit de l'intercommunalité et de la pratique du pouvoir par des élus municipaux fléchés au conseil communautaire », et dont il estime qu'elle tend aujourd'hui à disparaître, laissant place à « un débat politisé, idéologique qui autorise de moins en moins souvent la nuance et les échanges » 181 ( * ) .


* 165 Rapport n° 580 (2012-2013) sur le projet de loi dit « MAPTAM » de René Vandierendonck, fait au nom de la commission des lois, déposé le 15 mai 2013, consultable à l'adresse suivante : https://www.senat.fr/rap/l12-580/l12-580.html .

* 166 Christophe Chabrot, La Métropole de Lyon, in Dictionnaire encyclopédique de la décentralisation, N. Kada ( et alii ), 2017.

* 167 À titre d'exemple, le décret du 24 mars 1852, qui crée les cinq premiers arrondissements de Lyon, procède à l'annexion des trois faubourgs de Vaise, la Croix-Rousse et la Guillotière.

* 168 Christophe Chabrot, Les discontinuités territoriales dans la métropole de Lyon, in Les discontinuités territoriales et le droit public, N. Kada (dir.), Dalloz, coll. Thèmes et commentaires, 2020, pp. 99-108.

* 169 S'agissant de la commune de Villeurbanne et de son rejet d'une annexion en 1874 puis 1903-1906, voir par exemple Marc Bonneville, Naissance et métamorphose d'une banlieue ouvrière : Villeurbanne, p. 29.

* 170 Voir Franck Scherrer, Genèse et métamorphoses d'un territoire d'agglomération urbaine de Lyon au Grand Lyon, Géocarrefour, revue de géographie de Lyon, 1995, pp. 105-114, consultable à l'adresse suivante : https://www.persee.fr/doc/geoca_0035-113x_1995_num_70_2_4197 .

* 171 Franck Scherrer, ibidem .

* 172 Loi n° 66-1069 du 31 décembre 1966 relative aux communautés urbaines.

* 173 Pour COmmunauté URbaine de LYon.

* 174 Christophe Chabrot, La Métropole de Lyon, in Dictionnaire encyclopédique de la décentralisation, N. Kada ( et alii ), 2017.

* 175 Au 1 er janvier 2016, la communauté de communes de l'Est lyonnais et la communauté d'agglomération Villefranche-Beaujolais-Saône rejoignent le Pôle métropolitain.

* 176 Compte rendu de la commission des lois, 23 avril 2013, audition d'élus sur le projet de métropole de Lyon, consultable à l'adresse suivante : https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20130422/lois.html#toc3 .

* 177 Compte rendu de la commission des lois, audition de Michel Mercier, candidat proposé par le Président du Sénat pour siéger au Conseil constitutionnel, 2 août 2017, consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20170731/lois.html#toc2 .

* 178 Contribution écrite remise aux rapporteurs.

* 179 Les Échos, « Grand Lyon : les premiers chantiers de Bruno Bernard à la métropole », consultable à l'adresse suivante : https://www.lesechos.fr/pme-regions/actualite-des-marches-publics/grand-lyon-les-premiers-chantiers-de-bruno-bernard-a-la-metropole-1222012 .

* 180 À titre d'exemple, Bruno Bernard a ainsi déclaré, dans les colonnes du magazine Lyon capitale : « Ce territoire, comme partout en France, a toujours été dirigé par la droite et la gauche. Avec des alternances. Jamais par les écologistes. Pour un certain nombre de maires, il y a une question de légitimité des écologistes, qui est un premier frein . » ( https://www.lyoncapitale.fr/actualite/zoom-entre-la-metropole-de-lyon-et-des-maires-les-crispations-demeurent ).

* 181 Contribution écrite remise aux rapporteurs.

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