COMPTES RENDUS DES TRAVAUX DE LA DÉLÉGATION

• Jeudi 19 mai 2022 - Audition de la direction générale des outre-mer (DGOM) et de la direction générale de la prévention des risques (DGPR) 193

• Jeudi 19 mai 2022 - Audition de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) 203

• Jeudi 2 juin 2022 - Table ronde avec des organisations non gouvernementales 213

• Jeudi 2 juin 2022 - Table ronde avec des opérateurs économiques 227

• Jeudi 16 juin 2022 - Audition de M. Jean Hornain, directeur général de Citeo 241

• Jeudi 16 juin 2022 - Audition de M. Nicolas Garnier, délégué général d'Amorce 253

• Jeudi 23 juin 2022 - Table ronde sur la responsabilité élargie des producteurs (REP) 265

• Mardi 12 juillet 2022 - Table ronde Guyane 287

• Mardi 12 juillet 2022 - Table ronde Antilles 299

• Jeudi 21 juillet 2022 - Table ronde Pacifique 311

• Jeudi 21 juillet 2022 - Table ronde Terres australes et antarctiques françaises (TAAF) 335

• Jeudi 13 octobre 2022 - Table ronde sur les aspects sanitaires de la gestion des déchets dans les outre-mer 343

• Jeudi 20 octobre 2022 - Table ronde sur les aspects fiscaux de la gestion des déchets dans les outre-mer 357

Jeudi 19 mai 2022

Audition de la direction générale des outre-mer (DGOM) et de la direction générale de la prévention des risques (DGPR)

Mme Victoire Jasmin, présidente . - Mes chers collègues, nous reprenons ce matin les activités de la Délégation sénatoriale aux outre-mer après plusieurs semaines d'interruption due à la période électorale. J'ai l'honneur de remplacer le président Stéphane Artano, actuellement à Saint-Pierre-et-Miquelon, qui participe à nos travaux en visioconférence.

Lors de notre réunion du 17 février dernier, la délégation a décidé d'inscrire dans son programme de travail de 2022 une étude sur la gestion des déchets dans les territoires ultramarins. Gisèle Jourda, sénatrice de l'Aude, et Viviane Malet, sénatrice de La Réunion, en ont été désignées rapporteures.

Nous engageons donc ce matin une série d'auditions consacrées à ce sujet, qui nous conduira à dresser un état des lieux de la situation dans les outre-mer et à faire des propositions, afin de relever les nombreux défis auxquels nos territoires sont confrontés dans ce domaine.

Nous accueillons ce matin, pour la direction générale des outre-mer (DGOM), Stanislas Alfonsi, adjoint au sous-directeur des politiques publiques, et Clément Médée, adjoint à la cheffe du bureau de l'écologie, du logement, du développement et de l'aménagement durables (BELDAD), responsable de la section environnement et développement durable, ainsi que Camille Vionnet, chargée de mission « Eau, Climat, Déchets » au sein du même bureau.

La direction générale de la prévention des risques (DGPR) est pour sa part représentée par Vincent Coissard, sous-directeur des déchets et de l'économie circulaire, et Jean-François Ossola, adjoint à la cheffe du bureau de la planification et de la gestion des déchets.

Je donnerai successivement la parole au président Stéphane Artano, à la présidente du groupe d'études sur l'économie circulaire, Marta de Cidrac, aux deux rapporteures et aux représentants de la DGOM et de la DGPR. Nos autres collègues qui souhaitent intervenir pourront ensuite le faire à leur tour.

M. Stéphane Artano, président . - Je tiens à remercier vivement Victoire Jasmin d'avoir bien voulu me remplacer pour le lancement de notre nouvelle étude consacrée à la gestion des déchets dans les territoires ultramarins.

Je laisserai à nos rapporteures, Gisèle Jourda et Viviane Malet, toutes deux très impliquées dans ces problématiques, le soin de vous en exposer les enjeux.

Pour ma part, je me félicite de ce choix, car il s'agit d'un sujet majeur pour l'environnement, le cadre de vie et la santé de nos concitoyens.

Nos rapporteures ont prévu d'aborder les situations locales en organisant, comme nous en avons l'habitude, plusieurs tables rondes géographiques par bassin océanique, mais également en se rendant à La Réunion, Mayotte et Saint-Pierre-et-Miquelon, où j'aurai le plaisir de les accueillir.

Certes, les territoires ultramarins connaissent des spécificités, mais nos défis sont fondamentalement les mêmes : la limitation des espaces de stockage en raison de nos géographies insulaires, des moyens économiques et budgétaires contraints, le handicap de l'isolement et la question de l'export des déchets dangereux, l'importance des « encombrants » liés à des modèles de consommation inadaptés, la surexposition aux risques naturels, source potentielle de déchets et de pollution considérable... Tous ces phénomènes ont un impact très important sur les coûts de gestion, qui sont bien plus élevés dans les outre-mer que dans l'Hexagone.

Si la question environnementale est annoncée comme la priorité du nouveau quinquennat, quelle sera concrètement la place réservée aux outre-mer dans ce domaine ? La lutte contre les déchets, avec ses enjeux sanitaires, économiques et sociaux, est à nos yeux un aspect fondamental de toute politique écologique.

Je me félicite tout particulièrement de la participation des membres du groupe d'études sur l'économie circulaire et de sa présidente, Marta de Cidrac. Nous sommes réellement heureux de cette collaboration autour de la situation des outre-mer, qui constituent aussi de véritables laboratoires d'innovations.

Enfin, je voudrais dire à nos collègues de la délégation qu'après cette longue période électorale, nous allons progressivement renouer avec notre rythme de réunion hebdomadaire.

Le mercredi 29 juin, nous accueillerons des représentants de l'Association des juristes en droit des outre-mer (AJDOM) pour un échange sur le thème des outre-mer dans la Constitution, afin d'approfondir la réflexion initiée par le président Michel Magras en 2020 dans son rapport sur la différenciation territoriale outre-mer.

Le jeudi 7 juillet, je vous propose de participer à un déjeuner de travail afin d'échanger sur notre programme d'activités, notamment en vue de l'audition du prochain ministre des outre-mer.

Mme Marta de Cidrac, présidente du groupe d'études sur l'économie circulaire au sein de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable . - Mes chers collègues, je tiens tout d'abord à vous remercier pour votre souhait d'associer le groupe d'études économie circulaire à ce travail sur la gestion des déchets dans les outre-mer.

Il s'agit d'un sujet essentiel que nous avons déjà eu l'occasion d'aborder lors des débats à l'occasion de l'examen de la loi n° 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire, dite AGEC, qui a souhaité adapter le régime juridique national aux contraintes et opportunités des territoires ultramarins. La loi permet ainsi, pour chaque filière de responsabilité élargie du producteur (REP), une consultation des collectivités pour un déploiement adapté à chaque territoire de la prévention, de la collecte, du traitement et de la valorisation des déchets. Il est également prévu que les éco-organismes puissent pourvoir temporairement à la collecte, au tri ou au traitement des déchets soumis au principe de REP dans les collectivités territoriales qui en font la demande. De surcroît, le texte contraint tout éco-organisme à élaborer et à mettre en oeuvre un plan de prévention et de gestion des déchets dans les collectivités ultramarines, de manière à améliorer les performances de collecte et de traitement des déchets dans ces territoires, afin qu'elles soient identiques à celles atteintes en moyenne sur le territoire métropolitain.

Enfin, et surtout, le barème de prise en charge par les éco-organismes des coûts supportés par le service public de gestion de déchets est majoré. Dans le cas spécifique des emballages ménagers et des papiers, 100 % de ces coûts sont pris en charge par l'éco-organisme, contre respectivement 80 % ou 50 % sur le reste du territoire national.

Les territoires ultramarins sont également envisagés comme des espaces d'expérimentation et d'innovation dans nos politiques publiques de prévention et de gestion des déchets.

La loi AGEC a tout d'abord permis aux collectivités territoriales volontaires, notamment dans les outre-mer, d'expérimenter le déploiement de la consigne pour recyclage des bouteilles en plastique avant 2023. Par ailleurs, dans la récente loi Climat et résilience, le Sénat a prévu une reprise sans frais des véhicules hors d'usage auprès des particuliers, qui pourra s'accompagner d'une prime au retour si celle-ci permet d'améliorer l'efficacité de la collecte.

Dans un projet de décret publié en mars, le pouvoir réglementaire a saisi cette opportunité pour introduire une prime au retour dans les territoires ultramarins afin d'inciter les détenteurs à remettre leur véhicule à la filière légale.

Mme Gisèle Jourda, rapporteure - Le sujet de notre groupe de travail figure au coeur de la transition écologique. Nous nous devons d'agir en synergie pour dresser un état des lieux, mettre en place des dispositifs et envisager des perspectives d'amélioration, en particulier dans les territoires ultramarins.

Mais, avant tout, la gestion des déchets est un service public de base, élémentaire, au même titre que l'eau ou l'assainissement. Or, dans les territoires ultramarins, ces services ne sont pas toujours rendus de façon satisfaisante. Dans la presse ultramarine, des articles sont publiés tous les jours sur le sujet, ici pour dénoncer des dépôts sauvages, là pour mettre en avant des initiatives positives, alerter sur l'engorgement des filières ou pointer des problèmes de gouvernance.

J'attends tout particulièrement de ces premières auditions un état des lieux le plus précis et le plus complet possible, afin d'identifier les points communs, mais aussi les différences entre l'outre-mer et l'Hexagone. Nous avons notamment besoin de chiffres-clés sur les quantités de déchets à traiter, leur typologie et leur évolution depuis cinq ou dix ans. Les données publiques n'ont souvent pas été actualisées depuis quatre ou cinq ans.

J'ouvre d'ailleurs une parenthèse. Lorsque j'ai été précédemment amenée à travailler sur le grave problème de la pollution des sols, pollution qui peut être due à des décharges sauvages notamment, ce problème des données avait déjà été souligné. L'absence d'inventaire complet est parfois une façon de mettre la poussière sous le tapis. Pendant nos travaux, nous devrons donc être vigilants et exigeants sur l'état des lieux.

Il faut aussi mesurer les résultats obtenus. Les ambitions sont grandes, mais sont-elles à la portée de tous ces territoires ? Par exemple, le tri à la source des biodéchets doit être effectif fin 2023. Cette obligation est-elle réaliste ? De même, quels sont les premiers résultats tangibles et mesurables des stratégies « zéro déchet » ?

Nous aimerions également disposer d'un bilan des aides directes ou indirectes de l'État en faveur de la gestion des déchets outre-mer et de l'effort national consenti pour combler les retards. Ce panorama est essentiel pour nos travaux.

Se pose enfin la question des fonds européens mobilisables et mobilisés pour nos territoires, et plus encore celle de la différenciation et de l'adaptation des règles européennes aux régions ultrapériphériques (RUP). Une première analyse indique que les textes européens sur les déchets et l'économie circulaire ne tiennent pas ou peu compte des spécificités de ces régions. Ne faudrait-il pas une démarche beaucoup plus proactive d'adaptation des règles ? La situation des déchets dangereux bloqués à La Réunion depuis des mois en fournit un bon exemple : ne pourrait-on pas déroger à l'obligation d'exporter ces déchets vers les seuls pays de l'OCDE ? Ne faudrait-il pas passer tous les textes européens sur les déchets au crible des réalités des RUP françaises ? Une telle démarche a-t-elle été engagée au niveau des ministères ?

Mme Viviane Malet, rapporteure . - Mes chers collègues, en ma qualité de sénatrice de La Réunion, je constate chaque jour les défis de gestion des déchets à relever sur mon territoire. Les volumes ne cessent de croître, malgré les efforts déployés, et les contraintes propres aux outre-mer sont autant de complications.

Sur les déchets, nous sommes, me semble-t-il, en alerte rouge. Des stratégies fortes doivent être mises en oeuvre. Mes principales interrogations portent sur la gouvernance et la fiscalité. Sur des territoires aussi intégrés que les nôtres, la gouvernance classique région-intercommunalités-communes, combinée à des syndicats mixtes plus ou moins étendus, vous paraît-elle satisfaisante ? Il nous semble que ce schéma nous prive à la fois d'une vision d'ensemble et d'un niveau de proximité.

En matière de fiscalité, le point majeur est le montant de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP), qui augmente chaque année jusqu'en 2025. Pour nos territoires, où l'enfouissement demeure le principal mode de traitement, la TGAP s'apparente à une entrave pénalisante plus qu'à une incitation à faire, car elle nous prive de recettes pour financer l'indispensable plan de rattrapage des infrastructures.

Une réflexion est-elle engagée au niveau du ministère pour corriger ce biais ? J'irais même jusqu'à proposer que les recettes de la TGAP restent sur le territoire pour financer la modernisation du service public des déchets : j'aimerais recueillir votre avis sur une telle suggestion.

Sur la question du recyclage, je souhaiterais avoir votre éclairage sur les filières REP (Responsabilité élargie des producteurs). Existe-t-il un bilan global du coût environnemental des filières actuelles de recyclage, notamment celle des plastiques, très largement dépendante de l'export maritime ?

Par ailleurs, comment inciter les professionnels du recyclage à s'affranchir des limites du seuil industriel fréquemment avancé, la fameuse massification, pour ne pas implanter des filières de recyclage ? La massification est-elle vraiment hors de portée des outre-mer ? Si oui, la coopération régionale est-elle une voie à explorer ?

Enfin, comment contrôler et limiter la situation monopolistique dans les territoires insulaires, où le manque de concurrence lié à l'éloignement peut créer des situations de domination économique, notamment dans les secteurs de la gestion des déchets et de l'énergie ? Comment concilier ce risque concurrentiel avec le défi de la massification des flux précédemment évoqué ?

M. Vincent Coissard, sous-directeur des déchets et de l'économie circulaire au sein de la direction générale de la prévention des risques . - Mesdames, messieurs les sénateurs, les territoires ultramarins font en effet face à de nombreux défis, que l'on retrouve également dans une moindre mesure sur le territoire métropolitain. On relève des points communs, mais aussi des différences assez importantes d'un territoire à l'autre.

La production de déchets est ainsi beaucoup plus faible par habitant en Guyane qu'au niveau national, mais plus élevée à La Réunion. Autre différence assez générale par rapport à l'Hexagone : le fort recours à la mise en décharge outre-mer.

On peut souligner le rôle important de l'Ademe dans la gestion des déchets, celle-ci apportant un soutien technique pour adapter les technologies aux spécificités des territoires, et jouant un rôle spécifique dans le développement des filières à responsabilité élargie des producteurs prévu par la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire (AGEC). Je pense en particulier aux filières des déchets du bâtiment, des emballages, des véhicules hors d'usage, des huiles minérales et des pneumatiques. L'enjeu de la couverture des coûts est particulièrement important, ces derniers pouvant être plus élevés outre-mer, pour de nombreuses raisons.

La loi AGEC prévoit explicitement une majoration de la couverture des coûts pour la filière REP des emballages. L'Ademe et les filières REP ont un rôle à jouer pour faire remonter les données et améliorer les informations à disposition. Les filières REP ont une obligation légale de transmission des données, via les éco-organismes. En revanche, quand les filières REP sont encore inexistantes, comme pour les déchets du bâtiment, il est très compliqué d'avoir des données, ne serait-ce qu'à l'échelle nationale. De nombreuses régions ont toutefois mis en place des observatoires des déchets, qui peuvent aussi contribuer au recueil d'informations, et la loi AGEC fixe une obligation de traçabilité pour la mise en décharge et l'incinération. Faudrait-il élargir le champ de ces obligations ? On peut se poser la question.

S'agissant de l'export des déchets, certaines filières peuvent se développer localement, dans le cas de déchets facilement recyclables, sans doute dans un cadre de coopération régionale pour mutualiser les coûts. Mais, pour certains déchets particulièrement complexes à recycler, il faudra envisager soit un traitement dégradé, par exemple dans un but de valorisation énergétique, soit un système d'export aux fins de traitement. En revanche, tout le processus de tri peut être effectué sur place.

La situation de l'export s'est par ailleurs fortement dégradée depuis la crise de la Covid en 2020, qui a complètement désorganisé le trafic international. Les bateaux ont tout d'abord été bloqués, puis, lors de la reprise économique, la très forte demande a entraîné un engorgement des ports et du trafic maritime. Certaines compagnies ont alors cherché à minimiser au maximum les risques.

En matière d'export de déchets, c'est avant tout la convention de Bâle qui s'applique. Chaque pays par lequel transite un conteneur pouvant se trouver en charge de celui-ci, certains pays de transit n'ont plus donné explicitement leur accord, et certaines compagnies ont imposé une réduction de la durée d'autorisation pour le transport des déchets. Plusieurs réunions se sont tenues entre la DGPR et les deux principales compagnies qui effectuent ces transferts (MSC et CMA-CGM) pour tenter d'identifier tous les leviers de simplification du droit international. Nous portons actuellement des amendements à la convention de Bâle dans le cadre de la présidence française de l'Union européenne (PFUE), mais le processus est très lourd. Certains pays ont malheureusement un intérêt à ne pas se montrer très diligents dans la gestion de ces containers conteneur de transit, qui viennent encombrer leurs ports sans leur apporter une réelle plus-value économique, même si certains pays appliquent une taxe au transit de déchets.

S'agissant du soutien majoré au développement des filières REP dans les territoires ultramarins, la loi AGEC a prévu un calendrier jusqu'en 2023. Le traitement des dépôts sauvages de véhicules outre-mer fait par ailleurs l'objet de dispositions spécifiques, avec une prime au retour et un plan d'action spécifique, et le développement de la filière REP des huiles minérales est considéré comme prioritaire. Nous veillons par ailleurs à ce que les territoires ultramarins soient traités en priorité par les éco-organismes et que les objectifs définis par la loi s'y appliquent pleinement.

La TGAP a en effet commencé à augmenter en 2021, l'objectif étant celui d'un niveau économique cohérent avec le coût du recyclage. Il revenait en effet moins cher de mettre en décharge des déchets que de les recycler. Cette augmentation doit toutefois être mise en balance avec d'autres mesures, notamment la baisse de la TVA sur le recyclage et celle des frais de gestion pour toutes les collectivités s'engageant dans une démarche de tarification incitative des déchets. La mise en place des filières REP devrait par ailleurs fortement contribuer à la réduction des coûts, notamment pour les déchets du bâtiment.

La question se pose ensuite de savoir comment les recettes de la TGAP supplémentaires peuvent bénéficier à l'économie circulaire. L'idée de taxe affectée n'est pas à la mode, ni nécessairement pertinente, mais il faudra néanmoins faire le bilan de ces différentes actions, notamment du développement des filières REP, principal axe d'un potentiel transfert de charges des collectivités territoriales ultramarines vers les émetteurs de déchets sur le marché.

Le niveau du Fonds pour l'économie circulaire, mis en place par l'Ademe, est-il suffisant ? En 2021 et 2022, il a été abondé de 500 millions d'euros dans le cadre du plan de relance. Mais quid en 2023 ?

Des réformes par petites touches ont été engagées pour adapter la TGAP aux territoires ultramarins, afin d'obtenir une réfaction du coût de la taxe de 35 % pour la Guadeloupe, La Réunion et la Martinique, et de 75 % pour la Guyane et Mayotte, pour s'adapter au niveau de vie des différents territoires.

On constate plutôt une baisse des recettes de TGAP dans les territoires ultramarins, au moins sur la composante « déchets » de cette taxe : elles sont passées de 23 millions d'euros en 2017 à 21 millions en 2019 et 13 millions en 2020. Cette dernière année était certes particulière, avec la Covid, mais la baisse a été plus forte dans les territoires ultramarins que dans l'Hexagone. Est-ce conjoncturel ou structurel ? On attend les chiffres pour 2021, qui seront connus d'ici juillet.

S'agissant des aides spécifiques à l'économie circulaire, sur la période 2017-2021, on avoisine les 130 millions d'euros d'aides émanant du fonds spécifique à l'économie circulaire de l'Ademe, qui est bien utilisé dans les territoires ultramarins. En revanche, on constate une moindre consommation des crédits du Plan de relance, qui visent plutôt des projets déjà dans les cartons et de taille industrielle.

M. Stanislas Alfonsi, adjoint au sous-directeur des politiques publiques au sein de la direction générale des outre-mer . - J'aborderai les trois points suivants : la prise en compte des RUP par l'Union européenne, la consommation des crédits alloués dans le cadre des contrats de convergence et de transformation (CCT) 2019-2022 et les questions relatives aux compétences et à la fiscalité.

S'agissant du premier point, la stratégie d'accompagnement mise en oeuvre par l'Union européenne vis-à-vis des neuf régions ultrapériphériques a été mise à jour début mai 2022 autour de priorités telles que le développement de l'économie circulaire, la gestion durable des ressources, la réduction des déchets, le développement des filières locales, le transport des déchets et la mutualisation entre les territoires et les filières.

Cette prise en compte normative se traduit par un effort financier dont le véhicule est le Fonds européen de développement régional (Feder). La programmation 2021-2027 de ce fonds est marquée par une nette augmentation, à hauteur de 40 euros, de l'effort consenti par habitant, et par le rétablissement historique du taux d'intervention à 85 %. De plus, le règlement encadrant le Feder prévoit des assouplissements spécifiques pour les RUP afin de faciliter les investissements en lien avec le traitement des déchets, notamment pour le démantèlement, la mise en sécurité et la reconversion des décharges.

On peut évidemment regretter que le cas particulier des RUP ne soit pas pris en compte dans l'ensemble des textes européens, mais de nombreuses dérogations existent. À titre d'exemple, certaines dispositions de la directive 2019/904 relative à la réduction de l'incidence de certains produits en plastique sur l'environnement ne sont pas applicables à des régions comme la Guyane, dont le territoire impose l'implantation de lieux de recueil et de traitement des déchets isolés. De même, en droit français, le code de l'environnement prévoit des délais plus longs pour la mise en oeuvre de certaines dispositions dans les territoires ultramarins.

Ce travail d'adaptation et de prise en compte des spécificités locales doit être poursuivi et, à notre niveau, nous pourrons nous faire l'écho des observations de la représentation nationale auprès des instances européennes.

J'en viens à mon deuxième point. En matière de gestion des déchets, les CCT font l'objet d'un co-financement de la part de l'État via le ministère des outre-mer (MOM) et l'Ademe. Sur la période 2019-2022, les contributions de l'Ademe et du MOM se sont élevées respectivement à 34 et 7 millions d'euros, soit 41 millions d'euros en autorisations d'engagement. Or, on constate que ces crédits n'ont pas été consommés en totalité - l'Ademe a engagé un peu moins de 19 millions d'euros pour un décaissement de 3 millions d'euros à ce jour, et le MOM a octroyé 3 millions d'euros pour 1 million d'euros effectivement payé - ce qui pose la question de leur éventuelle prolongation qui sera tranchée par la nouvelle équipe gouvernementale.

Cela montre que la question n'est pas tant celle du financement que de la consommation des crédits. De manière générale, les collectivités ultramarines ont parfois besoin d'un soutien spécifique pour exploiter les moyens budgétaires mis à leur disposition.

En Guyane, le Fonds outre-mer (FOM) permet d'accompagner les collectivités dans la mobilisation de l'ingénierie nécessaire à la réalisation d'infrastructures et dans la mise en oeuvre de politiques publiques. En 2020, les 17 millions d'euros en autorisation d'engagement ont été intégralement consommés. Dans le cadre du plan de relance, nous avons obtenu que ce fonds soit doté de 15 millions d'euros en 2021 et en 2022. En 2021, les crédits ont été complètement consommés, et ceux de 2022 le sont déjà aux deux tiers. Lors des arbitrages interministériels à venir, le MOM soutiendra le maintien de ce fonds.

Le Fonds exceptionnel d'investissement (FEI) permet également de financer des projets relatifs à la gestion des déchets. Entre  2009 et 2021, 32 projets ont ainsi été financés en outre-mer pour un total de 28 millions d'euros en autorisation d'engagement, dont 16 consommés à ce jour. Le bilan est donc positif. Des discussions sont en cours avec la direction du budget pour prolonger le FEI au-delà de 2022.

Je terminerai en évoquant les questions relatives aux compétences et à la fiscalité. L'État définit les grandes orientations de la politique nationale de prévention et de gestion des déchets. Le plan national qu'il établit sert de cadre aux régions, qui sont chargées de la coordination et de la planification à l'échelle du territoire, mais qui ne sont pas dotées de compétences opérationnelles, celles-ci relevant du bloc communal.

La question de la pertinence de cette répartition est éminemment politique. Il ne m'appartient évidemment pas de la trancher, mais ce que je peux dire, depuis le point de vue administratif qui est le mien, c'est qu'une autre répartition ne permettrait nécessairement de gagner en efficacité, car le bloc communal est celui qui connaît le mieux le territoire.

Le régime fiscal, qui découle de la répartition des compétences, est le même qu'en métropole : en fonction des communes, c'est une taxe ou une redevance d'enlèvement des ordures ménagères qui est perçue (TEOM ou REOM). Le code général des collectivités territoriales permet déjà un certain nombre d'évolutions, comme une modulation de cette fiscalité en fonction des déchets produits. Il appartient au bloc communal de se saisir de ces possibilités s'il le souhaite.

Mme Marie-Laure Phinera-Horth . - En Guyane, deux des quatre établissements publics de coopération intercommunale qui ont la double compétence de la collecte et du traitement des déchets ménagers rencontrent de grandes difficultés du fait de l'éloignement et de l'enclavement de certaines communes situées sur le Maroni ou l'Oyapock. Ces difficultés, conjuguées à une importante immigration de populations qui ne sont pas sensibilisées à la problématique des déchets, se traduisent par la multiplication de décharges sauvages sur le littoral et dans les terres. Quels accompagnements supplémentaires peut-on apporter à ces communautés de communes ?

M. Gérard Poadja . - Je souhaite évoquer les déchets miniers. S'est-on penché sur les risques qu'ils représentent ? En Nouvelle-Calédonie, qui détient la compétence de leur gestion ? Quelle est la ligne budgétaire prévue pour le financement de ces opérations ? Pour l'instant, tout cela est assez flou.

Mme Gisèle Jourda, rapporteure . - Le tri à la source des biodéchets doit être effectif à horizon 2023. Cette date butoir vous semble-t-elle raisonnable ?

M. Stanislas Alfonsi . - Certaines communes de l'Ouest guyanais connaissent un fort dynamisme démographique, avec une croissance de 4 à 5 % par an. L'explosion des besoins, conjuguée au retard de développement des infrastructures, entraîne une distorsion dans la capacité à répondre à cette situation unique sur le territoire national. Sous l'impulsion de Sophie Brocas, directrice générale des outre-mer, nous avons lancé des études afin d'apporter des réponses à la communauté de communes de l'Ouest guyanais (CCOG) et nous espérons que les choses bougent rapidement.

À l'intérieur des terres, la situation est encore plus singulière, car l'isolement de certaines communes impose la production de solutions techniques peu connues et difficiles à mettre en oeuvre. Nous travaillons à leur développement et à leur déploiement, en lien avec le ministère de la transition écologique et avec l'appui de la direction générale de la police nationale (DGPN).

S'agissant des déchets miniers en Nouvelle-Calédonie, je ne me risquerai pas à me prononcer sur l'attribution de cette compétence. En revanche, et bien que ce territoire ne relève pas de l'article 73 de la Constitution, un certain nombre de moyens que j'ai cités sont à la disposition de la Nouvelle-Calédonie, puisque la contractualisation est possible et le FOM, parfaitement mobilisable - le Haut-commissaire le mobilise d'ailleurs régulièrement. Je me tiens à votre disposition si vous souhaitez poursuivre nos échanges à ce sujet.

M. Vincent Coissard . - S'agissant du traitement des déchets miniers, je ne peux vous apporter de réponse globale, car tout dépend de la situation de la mine. Si celle-ci est active, c'est l'exploitant qui est responsable de la gestion des déchets produits. Les équipes de la DGPR compétentes sur ce sujet pourront toutefois vous fournir des informations plus précises.

J'en viens à la question des biodéchets. L'échéance de 2023 est ambitieuse, mais elle est tenable, car le traitement des biodéchets est simple à mettre en oeuvre. Des moyens importants ont été alloués dans le cadre du plan de relance et du Fonds économie circulaire pour faire de cette échéance une opportunité. Il y aura sans doute des décalages, mais j'espère qu'ils n'excéderont pas un ou deux ans, car les biodéchets représentent 20 % des déchets ménagers et assimilés outre-mer. Une meilleure gestion pourrait faire une grande différence.

Mme Victoire Jasmin, présidente . - Je voudrais conclure sur une lueur d'espoir. Je vous invite, mes chers collègues, à relayer l'initiative de jeunes qui, avec le soutien de l'Ademe et un certain nombre de partenaires privés, organiseront au mois de juin un événement autour de la question des emballages. Je crois fermement que nous ne pourrons changer réellement les choses qu'avec l'aide des jeunes.

Je vous remercie de vos interventions.

Jeudi 19 mai 2022

Audition de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe)

Mme Victoire Jasmin, présidente . - Après la Direction générale des outre-mer (DGOM) et la Direction générale de la prévention des risques (DGPR), nous accueillons l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) représentée par Nicolas Soudon, directeur exécutif des territoires, qui remplace le président Arnaud Leroy malheureusement empêché.

J'ai l'honneur de remplacer le président Stéphane Artano, actuellement à Saint-Pierre-et-Miquelon. Il participe à nos travaux en visioconférence.

M. Stéphane Artano, président . - Je tiens à vous remercier pour votre participation. Nos rapporteures, Gisèle Jourda et Viviane Malet, ont préparé de nombreuses questions sur le thème de notre étude qui constitue à nos yeux un défi majeur pour l'environnement, le cadre de vie et la santé dans nos outre-mer.

Nous savons que l'Ademe s'est dotée dès 2019 d'une stratégie outre-mer couvrant la période 2019-2023, avec pour objectif de faire de la transition écologique un levier d'innovation et de développement endogène et durable face au changement climatique.

Nous sommes naturellement très intéressés par l'état des lieux par territoire que vous pourrez nous dresser et par votre diagnostic sur l'évolution de la situation, pour savoir en particulier si elle s'améliore ou si elle a plutôt tendance à se détériorer.

Nous nous interrogeons aussi sur la prise en compte de ces problématiques spécifiques dans la politique nationale qui est censée donner la priorité aux défis environnementaux.

Mme Gisèle Jourda, rapporteure . - L'Ademe est naturellement l'opérateur clef de l'État dans les outre-mer pour accompagner et renforcer le service public des déchets. C'est un partenaire précieux pour toutes les collectivités et les acteurs de cette politique. En effet, les principales aides financières sont attribuées par l'Ademe, sans laquelle les projets majeurs et structurants ne peuvent voir le jour.

Peut-on disposer d'un état des lieux le plus exact possible, afin de discerner les points communs mais aussi les différences entre les territoires ? Nous avons besoin de chiffres clés pour comparer les situations, à la fois sur les quantités de déchets à traiter, leur typologie, leur évolution depuis 5 ou 10 ans. Les données publiques remontent malheureusement souvent à 4 ou 5 ans.

L'état des lieux doit aussi porter sur les résultats obtenus. Les ambitions sont grandes, mais sont-elles à la portée de tous ces territoires ? À titre d'exemple, le tri à la source des biodéchets doit être effectif fin 2023. Cette obligation est-elle réaliste ? De même, quels sont les premiers résultats tangibles et mesurables des stratégies « zéro déchet » ?

Pouvez-vous aussi nous dresser le bilan des contrats de convergence et de transformation 2019-2022 qui arrivent à terme ?

S'agissant du plan de relance, l'Ademe a reçu 226 millions d'euros au titre de l'économie circulaire. Quels montants iront à des projets outre-mer ?

Je m'interroge également sur l'aspect européen de ces questions. Une mise en perspective serait la bienvenue, notamment au regard des aides et de l'accompagnement.

Enfin, auriez-vous des exemples de territoires isolés ou insulaires étrangers, comparables à nos outre-mer, qui obtiendraient de meilleurs résultats ?

Mme Viviane Malet, rapporteure . - Nous sommes face à une situation d'urgence, comme souvent dans les outre-mer. Nous sommes en alerte rouge avant le débordement et, trop souvent, les actions conduites ne visent qu'à ne pas aggraver le retard pris, sans le combler. Des stratégies fortes doivent donc être déployées.

Mes principales interrogations portent sur la gouvernance et la fiscalité.

Sur des territoires aussi intégrés que les nôtres, la gouvernance classique région-intercommunalités-communes, combinée à des syndicats mixtes plus ou moins étendus vous paraît-elle satisfaisante ? Le sentiment est que, avec ce schéma, nous manquons à la fois d'une vision d'ensemble et de proximité. Avez-vous sur ce point conduit des études ou une assistance technique ?

Par ailleurs, l'Ademe accorde de nombreuses subventions et accompagne des projets dans tous les territoires ultramarins. Avez-vous mis en place un process d'évaluation de la performance des projets aidés ? Si oui, sur quels critères ou indicateurs ? Quels sont notamment les types de projets qui produisent les effets les plus efficaces sur la prévention des déchets ?

Je souhaiterais aussi avoir votre éclairage sur les filières de recyclage, notamment les filières à responsabilité élargie des producteurs (REP) qui ont du mal à prendre leur essor.

Existe-t-il un bilan global du coût environnemental des filières de recyclage actuelles (pour les plastiques notamment), très largement dépendantes de l'export maritime ? Par ailleurs, comment inciter les professionnels du recyclage à s'affranchir des limites de seuil industriel fréquemment avancées (la fameuse massification) pour ne pas implanter de filière de recyclage ? La massification est-elle hors de portée des outre-mer ? Et, si oui, la coopération régionale est-elle une voie réaliste à explorer, par exemple dans les Antilles ou entre La Réunion et Maurice ?

En résumé, vous semble-t-il réaliste, dans nos territoires, de concevoir des stratégies de recyclage aussi ambitieuses que dans l'Hexagone ?

Un autre point important est celui de l'éducation. En effet, je constate que nos modes de consommation, malgré les discours ambiants, demeurent trop souvent identiques, voire pires qu'auparavant. Pour prendre l'exemple de La Réunion, cette année nous allons battre le record de tonnes mises en décharge. L'Ademe a-t-elle accompagné des actions en matière d'éducation à la gestion et à la réduction des déchets ? Des résultats mesurables et significatifs ont-ils été obtenus ? Et si oui, quels sont les freins à leur généralisation ou systématisation ?

M. Nicolas Soudon, directeur exécutif des territoires de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) . - Je vous prie d'excuser l'absence d'Arnaud Leroy qui m'a demandé de le remplacer. Je suis accompagné également par Ingrid Hermiteau, notre directrice régionale de l'Ademe en Guyane, qui suit particulièrement la question de l'économie circulaire, et de Lilian Carpenè, notre coordinateur outre-mer chargé de la coordination transversale à la Direction des territoires.

Dans un premier temps, je vous apporterai des éléments de diagnostic sur la situation des déchets en outre-mer, puis, dans un second temps, je vous présenterai la manière dont l'Ademe se positionne par rapport à ces différents enjeux.

En ce qui concerne les déchets en outre-mer, une première remarque préalable : cela fait maintenant plusieurs années à l'Ademe que nous essayons de changer de vocabulaire pour davantage parler d'économie circulaire que de gestion des déchets, non pas par pudeur, mais simplement parce qu'il nous semble que la question des déchets s'inscrit dans une problématique bien plus large, qui va de l'extraction de matières jusqu'à l'enfouissement éventuel. Celle-ci inclut aussi toutes les solutions alternatives qui permettent d'allonger la durée de vie des produits, d'être économe en ressources au moment de leur conception et au moment de leur transport, puis de prendre toutes les mesures possibles pour réparer, réemployer et recycler ces produits pour éviter le plus possible leur arrivée au stade de déchets. Il s'agit de sortir de la logique pure de déchets pour entrer dans la logique d'économie circulaire, qui présente aussi l'avantage d'avoir des impacts positifs en termes d'empreinte carbone et donc de lier les enjeux climatiques avec les enjeux de déchets et de matières.

La gestion des déchets en outre-mer est évidemment un enjeu majeur et un défi particulier à relever du fait d'abord de la situation des territoires d'outre-mer, de l'insularité pour une partie d'entre eux, mais également de l'isolement pour la quasi-totalité d'entre eux. La masse critique est souvent trop limitée pour rentabiliser des investissements importants, notamment en matière de recyclage. C'est un problème considérable puisque, lorsqu'on essaye de procéder à des mutualisations ou à de la gestion « internationale » des déchets, on se trouve confronté à un coût rédhibitoire du transport, qui s'accentue encore ces derniers temps avec la hausse des prix du pétrole. S'ajoute à cela la décision récente de la compagnie CMA-CGM de ne plus transporter de déchets plastiques à partir du 1 er juin 2022 : cette décision entraîne un risque important pour une grande partie des territoires d'outre-mer, CMA-CGM étant un acteur dominant sur le marché. Je crois que les discussions sont en cours avec cette société pour assouplir leur vision des choses, et surtout ne pas mettre en péril la gestion des déchets dans les outre-mer. Et en même temps, il faut voir cette décision comme une alerte importante qui nous pousse à agir pour une gestion locale ou mutualisée.

Troisième élément, du fait de l'insularité et de l'isolement des territoires ultramarins, les filières à responsabilité élargie des producteurs (REP) peinent à trouver leur place et à se développer, alors même que le législateur a décidé d'étendre ces filières à de nouveaux domaines. Autre élément important de la vulnérabilité des territoires d'outre-mer, une grande partie d'entre eux sont des « hot spots » de la biodiversité, ce qui signifie qu'une gestion éventuellement défaillante des déchets peut avoir des conséquences dramatiques sur les écosystèmes et la biodiversité. Cela appelle une exigence de résultat plus élevée. Une autre difficulté est la rareté du foncier pour la plupart de ces territoires. Et même pour ceux qui ont des territoires importants, les contraintes demeurent fortes compte tenu, par exemple, de la place de la forêt en Guyane, ou de la situation géographique de la Nouvelle-Calédonie. La rareté du foncier nous oblige à trouver le plus de solutions alternatives à l'enfouissement qui est très demandeur d'espace. Il faut également souligner, dans ces territoires, les enjeux particuliers des déchets du BTP, qui nécessitent des mesures et des investissements lourds, d'autant plus que les exportations par voie maritime ne sont pas envisageables compte tenu des volumes et du poids des déchets.

Parmi les défis à relever, il y a en effet la question du retard structurel, car il est vrai que, pendant de nombreuses années, on a mené des politiques de rattrapage dont l'enjeu consistait surtout à ne pas aggraver la situation. Il y a également la problématique de la gouvernance locale des déchets, et celle de la faiblesse structurelle de bon nombre de collectivités aux capacités financières réduites et souffrant d'un déficit d'ingénierie. Tous ces éléments aboutissent à des coûts de gestion des déchets qui sont en moyenne 1,7 fois plus importants dans les outre-mer que dans l'Hexagone, à hauteur de 163 euros contre 93 euros par habitant/an en métropole, avec, en outre, une difficulté à lever la taxe ou les taxes, quand elles existent et quand elles sont mises en oeuvre. À titre d'exemple, en Guyane, seul un habitant sur huit est assujetti à la taxe d'enlèvement des ordures ménagères (TEOM), laquelle ne couvre pas les coûts de gestion des déchets. Ainsi, en Guadeloupe, 80 % des coûts sont couverts par les taxes. Dans bien des cas, c'est le budget général des collectivités locales qui comble la différence. La redevance spéciale se met en oeuvre dans certaines collectivités, mais le recours à ce dispositif n'est pas toujours bien réparti, ce qui fait peser sur l'ensemble de la population le traitement des déchets issus d'activités économiques.

Autre élément important lié à cette question de la gouvernance, c'est la difficulté à impliquer la population dans des changements de comportement. Il y a là un enjeu très important de politique publique. Cela suppose une animation, de la pédagogie, du partage d'informations, une montée en compétence collective sur le sujet, et peut-être aussi l'engagement d'une réflexion sur le poids de la collecte à domicile par rapport aux points d'apports volontaires. Le recours plus important à des systèmes de points d'apports volontaires permettrait en effet de baisser le coût de gestion des déchets et d'inciter les populations à trier, le taux de tri dans les outre-mer étant assez faible.

Dernier élément de ce portrait rapidement brossé, on peut faire le constat collectif d'une forte dépendance des territoires d'outre-mer à l'importation de biens de consommation, ce qui induit une faible maîtrise sur la nature des biens, leur emballage, leur structuration et l'impact qu'ils peuvent avoir en termes de gestion des déchets en aval.

Quelques chiffres clés sur les déchets relativement récents, issus notamment du site sinoe.org , géré par l'Ademe, dans lequel on trouve toute une série d'indicateurs, y compris sur les outre-mer.

Les outre-mer produisent 563 kilos de déchets ménagers et assimilés par habitant et par an, 86 kilos de déchets collectés en déchetterie, 33 kilos de déchets d'emballage, papier et verres triés, contre 82 kilos au niveau national : on voit bien la difficulté au stade du tri. Le nombre de déchetteries est en moyenne de 4 pour 100 000 habitants, contre une moyenne de sept dans l'hexagone, mais on peut signaler quelques performances particulièrement significatives, notamment à Saint-Pierre-et-Miquelon où, avec 70 kilos par an et par habitant d'ordures ménagères, les performances sont extrêmement satisfaisantes. Certes, ce territoire a un nombre d'habitants beaucoup plus limité, mais les enjeux de gestion des déchets y sont tout aussi aigus qu'ailleurs.

Peut-être à l'exception de Saint-Pierre-et-Miquelon, une des autres caractéristiques des déchets en outre-mer est la très forte production de déchets verts, liée aux caractéristiques climatiques, avec des problématiques d'engorgement, et puis une production importante d'encombrants avec des enjeux de salubrité qui peuvent se poser, ces déchets pouvant devenir des gîtes larvaires potentiels pour des moustiques, et provoquer des épidémies de chikungunya ou de dengue. La responsabilité des filières REP dans ce domaine est importante, notamment pour les véhicules hors d'usage. Enfin, soulignons une production d'ordures ménagères résiduelles supérieure à celle de l'Hexagone, due notamment à la moindre performance des collectes séparées.

Quel est le positionnement de l'Ademe vis-à-vis de ces différents enjeux ?

Notre stratégie outre-mer a été élaborée en 2019, avec pour enjeu majeur la clarification du positionnement de l'Ademe vis-à-vis des outre-mer, et la formalisation de notre engagement particulier pour ces territoires, tant en termes financiers et techniques qu'humains. Enfin, notre objectif est de créer un esprit collectif entre nos différentes directions régionales ultramarines et entre les différents sites.

Cette stratégie s'est fondée sur un diagnostic approfondi qui a été réalisé avec un grand nombre d'acteurs. On a alors constaté qu'au titre de la transition écologique au sens large, les territoires d'outre-mer étaient aux avant-postes en termes d'enjeux, et parfois en termes de politiques publiques, d'un grand nombre de problématiques. Le système ultramarin est extrêmement complexe et spécifique, avec des caractéristiques particulières pour une partie des territoires au titre du droit européen. Certains d'entre eux connaissent une croissance démographique, d'autres, un repli. L'explosion urbaine ne concerne certes pas tous les territoires. En revanche, ils sont dans l'ensemble confrontés à des difficultés liées à la formation et à l'accès à l'emploi des jeunes, à une forte dépendance aux énergies fossiles, à des transports en commun qui sont peu développés et au poids de la mobilité en général dans la consommation énergétique, et à des vulnérabilités naturelles très importantes.

Ce tableau nous a amené à essayer de définir à la fois des priorités managériales en interne, et un positionnement à l'externe. Nous concevons l'Ademe comme l'ensemblier de la transition énergétique et écologique pour les outre-mer, notre regard étant transversal sur l'ensemble des problématiques. Notre fil rouge consiste à faire de la transition écologique un levier pour l'innovation et le développement endogène et durable des outre-mer face au changement climatique. Ceci revient à faire d'une contrainte plus forte que dans l'Hexagone une opportunité pour identifier des gisements de développement, d'activité économique et d'innovation au sens large.

Nous sommes présents au travers de quatre directions régionales : Martinique, Guadeloupe, Guyane et une nouvelle direction, « Océan Indien », qui regroupe le site de La Réunion et le site de Mayotte. Désormais, nous avons un directeur régional délégué à Mayotte. À ces quatre directions régionales, s'ajoutent trois représentations territoriales en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et à Saint-Pierre-et-Miquelon. Ces petites unités sont étroitement liées aux services de l'État.

Au total, les effectifs de l'Ademe consacrés aux outre-mer s'élèvent à 52 personnes, dont 27 à temps plein en CDI, 16 volontaires du service civil, et puis plus récemment, une dizaine d'intérimaires au titre du plan de relance. Au total, 8 % des moyens humains de l'action régionale de l'Ademe sont dédiés aux outre-mer, ce qui est supérieur à la part des Ultramarins dans la population française totale.

En 2021, nous avons accordé 44 millions d'euros d'aides, dont 80 % sur des projets liés à l'économie circulaire et aux déchets. La problématique est donc tout à fait saillante dans les politiques de l'Ademe. Nous avons également réalisé des accords contractuels avec les collectivités, en particulier dans le cadre des « contrats de convergence et de transformation ». Au total, nous avons soutenu en 2021 296 projets, pas uniquement liés à l'économie circulaire et aux déchets, pour un total d'investissement de 127 millions d'euros. Pour 44 millions investis par l'Ademe, il y a une assiette d'investissement de 127 millions d'euros, on a donc un effet de levier qui est intéressant.

Dans le cadre du plan de relance, 107 projets ont été soutenus, soit un montant total de 3 millions d'aides pour 7 millions d'investissements.

Au niveau budgétaire, il faut signaler que bon nombre des aides classiques de l'Ademe sont bonifiées à hauteur de 15 % supplémentaires pour les outre-mer. Certains systèmes d'aide qui ne sont plus en vigueur en métropole sont maintenus dans les outre-mer au titre du rattrapage structurel : c'est notamment le cas du régime d'aide aux déchetteries.

Nos priorités en termes de politique publique sur la gestion des déchets en outre-mer sont d'abord la question de l'appropriation des enjeux par la population, c'est-à-dire le changement des comportements et l'amélioration du geste de tri. Ce point est significatif, car une bonne partie de la responsabilité en termes de gestion des déchets incombe à nos concitoyens. C'est un sujet qui doit être travaillé, peut-être avec l'appui des sciences humaines et sociales. Par ailleurs, il y a un déficit en ingénierie. Deux dispositifs de l'Ademe permettent d'y répondre et ont été déployés dans la plupart des outre-mer : les contrats d'objectifs en outre-mer (CODOM), d'une part, attribuent des moyens de fonctionnement, notamment à des syndicats de collecte des déchets ou à des collectivités, et financent des postes d'ingénierie ; d'autre part, la méthode MODECOM, qui permet de caractériser les flux de déchets pour avoir des éléments chiffrés précis.

Nous avons conscience des difficultés rencontrées par les filières REP et, depuis plusieurs années, nous avons mis en place des plateformes pour essayer de lever certains verrous, et introduire davantage de transparence, avec une gouvernance partagée avec l'ensemble des acteurs. Par ailleurs, nous développons des partenariats importants avec d'autres acteurs, État ou autre, notamment l'Agence française de développement (AFD), qui peut intervenir de manière complémentaire à l'Ademe, les aides de l'Ademe étant plutôt des aides à l'investissement, l'appui de l'AFD visant le fonctionnement. Il nous semble important aussi de travailler à l'échelle régionale des territoires d'outre-mer pour favoriser les collaborations avec les États voisins ou les régions voisines, ce qu'on a fait notamment à l'occasion de la crise des sargasses, qui est un enjeu « déchets » mais pas seulement. Nous avons travaillé sur le sujet en forte intelligence avec les régions Guadeloupe et Martinique ainsi qu'avec les États de la Caraïbe. L'enjeu pour nous est aussi de favoriser l'innovation et l'expérimentation parce qu'une partie des réponses en outre-mer ne sont pas forcément des réponses à calquer depuis l'Hexagone : il y a souvent des solutions spécifiques à trouver pour ces territoires.

Dans le cadre des contrats de convergence et de transformation, nous essayons de changer les modèles sur les coûts et de transformer les handicaps des outre-mer en avantages. Peut-être faut-il également sortir des modèles métropolitains des filières REP, car les équilibres économiques et la masse critique à atteindre les rendent peu applicables en outre-mer. Souvent, nous nous interdisons, pour des raisons économiques, d'aller vers certaines solutions qui seraient nécessaires pour progresser sur les questions de recyclage et de valorisation sur place. La décision de CMA-CGM devrait pourtant nous amener collectivement à chercher des solutions spécifiques aux outre-mer. Au titre de France 2030, une mesure importante vise à soutenir des industriels pour la réincorporation de matière plastique et le recyclage plastique, notamment chimique. Les infrastructures concernées sont extrêmement lourdes, et le dispositif ne s'adresse pas pour l'instant aux outre-mer, compte tenu de la masse insuffisante et des investissements financiers à réaliser. Pour autant, nous militons pour que les mesures de France 2030 puissent avoir des déclinaisons plus facilement applicables dans ces territoires. Comme le transport coûte de plus en plus cher, il est très important de travailler sur la valorisation sur place des déchets. Des solutions ont été envisagées, certaines ont même été initiées ici et là, afin notamment d'améliorer les gestes de tri ou de pousser nos concitoyens à changer de comportement en matière de gestion du tri. Je signalerai notamment l'expérimentation de la consigne en Guadeloupe, des expérimentations de gratification lorsque les gens rapportent leurs bouteilles en plastique ou autres emballages dans des points d'apports volontaires à Mayotte, des gratifications avec des partenaires privés, par exemple le projet Solarcube en Martinique, qui s'étend à la Guadeloupe.

Sur la question des déchets du BTP, il y a certainement un modèle à proposer au monde de l'artisanat. La solution unique est-elle de déposer les déchets du bâtiment en déchetterie ? Peut-on envisager des dépôts en boutique ? Ou encore, le développement de la solution qui a été largement déployée, les combustibles solides de récupération (CSR), qui permettent de produire des matériaux qui sont ensuite à la fois facilement transportables et utilisables pour produire de la chaleur ou de l'électricité ? La production des CSR est néanmoins un investissement lourd qui n'est valable que sur des territoires avec un nombre important d'habitants, et qui connaît par ailleurs quelques difficultés autour de la gouvernance. Ce qu'il faut retenir, c'est qu'il restera toujours autour de 20 % de déchets en enfouissement.

Il y a aussi la solution des unités de valorisation énergétique, privilégiée par exemple en Guyane, mais, dans tous les cas, il y a des difficultés communes autour du plan de financement, de la capacité de la maîtrise d'ouvrage à porter des projets complexes de cette taille, de maintenance, et des problèmes de gouvernance au niveau des syndicats qui ne sont pas toujours équipés pour suivre dans le temps ces projets.

Pour autant, les solutions de stockage et d'enfouissement ne sont certainement pas durables, et il va falloir trouver des solutions alternatives. Il est donc probable que la valorisation énergétique soit de toute manière nécessaire, ce qui pose aussi la question des tarifs de rachat pour les CSR par la Commission de régulation de l'énergie (CRE), qui se fonde aujourd'hui sur la production électrique classique.

Se pose la question de l'adaptation réglementaire pour des sites isolés, notamment en Guyane ou en Polynésie française, où la question de l'enfouissement est parfois en partie inévitable. La mise en place en Guyane d'écocarbets constitue une piste intéressante.

Une question centrale est celle de l'observation. J'ai cité le site sinoe.org , mais c'est surtout la constitution d'observatoires régionaux autour des questions de déchets et d'économie circulaire qui est essentielle, parce qu'une politique publique cohérente doit pouvoir s'appuyer sur des chiffres fiables et être évaluée au fil de l'eau. Aujourd'hui, l'observatoire des déchets en Guyane est en voie de pérennisation, avec un passage de relais de l'Ademe vers la collectivité territoriale de Guyane ; l'observatoire de Guadeloupe est géré par l'association Synergîles et s'appuie notamment sur les dispositifs ComptaCoût et MODECOM mis à disposition par l'Ademe ; un observatoire des déchets est naissant en Martinique, avec une structure tierce qui est en préparation pour porter ce dispositif ; à La Réunion, c'est l'agence d'urbanisme qui porte l'observatoire qui, je crois, donne satisfaction aujourd'hui dans son fonctionnement et enfin, à Mayotte, une étude de préfiguration est en cours pour un portage de cet observatoire par le département.

Il est de plus en plus compliqué de boucler les plans de financement des projets en matière de gestion des déchets en outre-mer. Si nous constatons avec plaisir que beaucoup de territoires d'outre-mer connaissent aujourd'hui une nouvelle dynamique sur les projets en matière de gestion des déchets, nous sommes malheureusement confrontés à des financements européens qui ne sont pas toujours pérennes et, du côté de l'Ademe, nous avons une problématique non pas de budget, mais de consommation des budgets : cette année 2022, le fonds économie circulaire est en tension considérable puisqu'au mois de mai, nous avons déjà consommé une grande partie des crédits. Heureusement, nous avons l'appui du Plan de relance, mais sur des dispositifs qui ne sont pas toujours aussi généralistes que ceux du fonds économie circulaire. Dans ce contexte, l'Ademe s'efforce de conserver un réflexe outre-mer et de sanctuariser certains fonds, mais je ne vous cache pas que c'est parfois compliqué parce qu'il y a aussi de très beaux projets à financer dans l'Hexagone. Nous espérons obtenir l'année prochaine un fonds économie circulaire plus important pour répondre au portefeuille croissant de projets.

Enfin, s'agissant des modes de vie, nous avons rendu public il y a quelques mois « Transition 2050 », un exercice de prospective incluant les problématiques autour de l'énergie, des matières et de tous les enjeux d'économie circulaire, dont vous pouvez prendre connaissance sur le site https://transitions2050.ademe.fr. Nous envisageons d'en faire prochainement une déclinaison spécifique pour les outre-mer.

Mme Marie-Laure Phinera-Horth . - L'Ademe milite pour la valorisation énergétique des déchets. S'agissant de la Guyane, un rapport a fixé un objectif de production de 13 mégawatts à partir de déchets en 2030. Compte tenu du besoin croissant d'électricité en Guyane, j'aimerais connaître l'état d'avancement de ce projet.

Mme Ingrid Hermiteau, directrice régionale de l'Ademe, Guyane . - Les travaux de ce projet d'unité de valorisation énergétique seront engagés en 2027. Actuellement, nous sommes dans la phase d'études, qui vise à déterminer le bon montage administratif et financier pour la collectivité et, sur des aspects plus techniques, la bonne localisation du site pour optimiser la valorisation énergétique de la future installation. Au-delà de l'électricité, il y a un enjeu de valorisation de la chaleur - je précise que lorsqu'on parle de chaleur en Guyane et dans d'autres sites d'outre-mer, on parle essentiellement de la production de froid à partir de la chaleur. C'est une façon d'optimiser le rendement énergétique de ces sites, et donc leur rétribution financière.

La mise en place d'une gouvernance partagée constitue également un des enjeux phares du projet. Actuellement géré par l'agglomération de Cayenne, il doit à terme offrir un débouché à trois EPCI de Guyane.

M. Nicolas Soudon . - La valorisation énergétique est une solution sans doute inévitable, en tout cas complémentaire à l'amélioration du tri, et à un résidu d'enfouissement qui demeurera nécessaire.

Mme Victoire Jasmin, présidente . - Il faut beaucoup plus de pédagogie et de prévention sur nos différents territoires. Beaucoup d'initiatives sont prises par les associations et il arrive qu'elles nous sollicitent. Malheureusement, faute de réserve parlementaire, nous n'avons plus les moyens de les soutenir. Certaines sont accompagnées par l'Ademe : un festival va se tenir prochainement sur mon territoire, au Moule, dans lequel son rôle est essentiel auprès des jeunes. Il est important d'impliquer les jeunes, car ce sont eux qui assureront la relève, là où notre génération a peut-être failli. Il y a le West Indies Green Festival qu'il faudrait soutenir également.

Concernant les annonces de CMA-CGM, le changement de stratégie est urgent et tout doit être mis en oeuvre pour changer les pratiques de traitement et de valorisation des déchets. Des réactions de nos décideurs locaux, sur l'ensemble de nos territoires, sont probables.

Au nom de la délégation, je vous remercie tous de votre participation.

Jeudi 2 juin 2022

Table ronde avec des organisations non gouvernementales

Mme Victoire Jasmin, présidente . - Nous poursuivons ce matin les auditions pour l'étude relative à la gestion des déchets dans les territoires ultramarins. Les rapporteures en sont Gisèle Jourda, sénatrice de l'Aude, et Viviane Malet, sénatrice de La Réunion.

J'ai l'honneur de remplacer aujourd'hui notre président, Stéphane Artano, qui vous prie de l'excuser : il est actuellement à Saint-Pierre-et-Miquelon et participe à nos travaux en visioconférence.

Dans le cadre de notre première table ronde, nous accueillons les représentants d'organisations reconnues pour leurs actions remarquables dans ce domaine : France nature environnement (FNE), Zero Waste France et, pour une approche plus spécifique, l'association Les Naturalistes de Mayotte.

Pour le bon déroulement de nos travaux, je donnerai tout d'abord la parole au président Stéphane Artano. Je demanderai ensuite aux deux rapporteures de bien vouloir formuler leurs questions. Puis, ce sera le tour des représentants des associations, qui disposeront chacun d'environ dix minutes : Johann Leconte, pilote du réseau prévention et gestion des déchets de FNE, en visioconférence ; Michel Charpentier, président de l'association Les Naturalistes de Mayotte, lui aussi membre de FNE, également en visioconférence ; et Alice Elfassi, responsable des affaires juridiques de Zero Waste France.

Après cet exposé, les rapporteures pourront reprendre la parole pour obtenir davantage de précisions. Enfin, nos collègues pourront intervenir à leur tour, qu'ils soient présents dans cette salle ou en visioconférence.

M. Stéphane Artano . - Étant à Saint-Pierre-et-Miquelon, je participe à cette réunion en visioconférence et vous prie de m'en excuser.

Je renouvelle mes remerciements à Victoire Jasmin, qui a accepté de présider cette table ronde consacrée à la gestion des déchets dans les territoires ultramarins du point de vue des associations environnementales.

Après la direction générale des outre-mer, les services de l'environnement et l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), nous sommes particulièrement heureux d'entendre des acteurs de terrain, qui nous permettront d'établir un diagnostic à la fois général et géographique de la situation dans nos outre-mer en la matière.

Madame, messieurs, nous sommes convaincus que les associations comme les vôtres sont des acteurs-clefs. En effet, vos interventions viennent compléter celles des pouvoirs publics, que ce soit pour la collecte et l'analyse de données de terrain, dans les instances de concertation, pour le signalement de dysfonctionnements ou de manquements à la réglementation, ou encore en faveur de la valorisation d'initiatives exemplaires - cette liste n'est évidemment pas exhaustive.

Pour vous éclairer, nous comptons sur le travail approfondi de nos rapporteures, Gisèle Jourda et Viviane Malet, toutes deux particulièrement impliquées dans ces problématiques.

Je me félicite également de la participation de membres du groupe d'études « Économie circulaire », dont celle de mon collègue Éric Gold, membre du groupe du Rassemblement démocratique et social européen (RDSE).

Ce groupe d'études, rattaché à la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, témoigne de la bonne coordination des travaux et de l'importance des réflexions du Sénat sur ce sujet.

Je remercie nos intervenants de s'être rendus disponibles et vous souhaite à tous une bonne réunion.

Mme Gisèle Jourda, rapporteure . - Je le soulignais dès nos premières auditions : depuis plusieurs mois, je consulte la revue de presse ultramarine, et je suis frappée de constater qu'il ne se passe pratiquement pas un jour sans que la question des déchets fasse l'objet d'un article, de prises de position ou de commentaires. Cette observation vaut pour tous les territoires ultramarins.

Bien souvent, c'est l'action de telle ou telle association qui est décrite et mise en valeur. Les champs d'intervention sont larges : signalement de dépôts sauvages, opérations de nettoyage, sensibilisation au tri ou à la réduction des déchets, création de ressourceries, etc. Dans ce domaine, vos associations sont en effet les relais de préoccupations majeures. Au-delà des spécificités locales, elles jouent un rôle d'aiguillon pour la prise en compte globale des différentes problématiques.

Cette table ronde a notamment pour but de mettre en avant ces initiatives. Nous souhaitons également connaître votre perception de la question des déchets dans les outre-mer.

Vos associations ont été retenues car elles possèdent une dimension nationale tout en ayant des ancrages dans différents territoires ultramarins. C'est ce double regard, national et local, qui nous intéresse.

Pour cette audition, un questionnaire exhaustif vous a été transmis afin de guider votre exposé.

Je souhaite en particulier entendre votre avis sur le phénomène des dépôts sauvages et sur les meilleurs moyens de lutter contre celui-ci ou, du moins, de l'endiguer.

De plus, quel regard portez-vous sur les dispositifs tendant à rémunérer le geste citoyen ? Je pense notamment aux primes de retour des véhicules hors d'usage (VHU), que le décret permet de créer outre-mer, et au retour de la consigne. Est-ce une voie à approfondir ? Quel est votre sentiment à cet égard ?

Mme Viviane Malet, rapporteure . - Comme sénatrice de La Réunion et comme élue locale, je constate chaque jour le défi que les déchets représentent dans mon territoire. Nous ne sommes pas encore parvenus à une situation satisfaisante, malgré les efforts des collectivités territoriales et des usagers, et malgré l'intense activité des associations, que j'observe moi-même sur le terrain.

Il s'agit souvent d'associations de quartier, très locales, auxquelles s'ajoutent des initiatives citoyennes. Pour ce qui concerne La Réunion, je pense par exemple à un site participatif assez populaire, qui s'appelle Band Cochon , où chacun peut signaler un dépôt sauvage photographié et géolocalisé.

Comme l'a relevé Gisèle Jourda, dans tous nos territoires ultramarins, la mobilisation associative est très forte. Mais, paradoxalement, le bilan est très mitigé pour ce qui concerne l'éducation au tri ou, tout simplement, à la propreté. Les dépôts sauvages en sont une illustration. Le manque d'infrastructures de gestion des déchets dans certains secteurs ne peut pas tout expliquer ; et je ne parle même pas du fléau des véhicules abandonnés. Non seulement les pneus et les batteries entraînent de graves pollutions, mais les larves de moustiques prolifèrent dans ces épaves avant de propager le chikungunya ou encore la dengue.

C'est donc sur le sujet de l'éducation au tri et au bon geste que je souhaite particulièrement vous entendre. Avez-vous des exemples de démarches ou de projets ayant produit des résultats significatifs ? Faut-il développer une autre approche dans nos territoires ultramarins, ou bien est-ce seulement la traduction d'un retard ?

Cette question me conduit à ma deuxième interrogation, portant sur les filières à responsabilité élargie des producteurs (REP). Pour diverses raisons, les éco-organismes sont peu présents outre-mer, voire n'y existent tout simplement pas. Vos associations ont-elles développé des partenariats pour accompagner ces organismes ou s'en faire les relais ?

Au titre des stratégies « zéro déchet », pouvez-vous nous citer des mesures ou des initiatives locales ayant obtenu des résultats durables et significatifs ? Je pense notamment au compostage individuel ou collectif. Il s'agit là d'un enjeu fort, notamment pour les professionnels de la restauration, dans des îles très touristiques. Pour rappel, le tri à la source des biodéchets doit être mis en oeuvre fin 2023.

Enfin, je souhaite savoir si les ressourceries ou d'autres initiatives en faveur du réemploi connaissent un écho particulier dans les outre-mer, territoires globalement moins riches que la métropole. Il s'agit là d'un sujet d'actualité, à l'heure où la crise inflationniste rogne le pouvoir d'achat.

M. Johann Leconte, pilote du réseau prévention et gestion des déchets de France nature environnement (FNE) . - Avant tout, je tiens à remercier la délégation sénatoriale aux outre-mer de son invitation. Michel Charpentier étant, comme moi, membre de l'association FNE, nous vous proposerons une intervention à deux voix.

Créée en 1968, FNE est la fédération française des associations de protection de l'environnement. Il s'agit du premier mouvement citoyen de protection de la nature et de l'environnement en France. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : nous dénombrons plus de 9 000 associations affiliées, en métropole et outre-mer, et près de 900 000 militants partout en France.

Outre-mer, nous avons fédéré les associations locales dans plusieurs territoires : la Guyane, Mayotte, La Réunion, la Martinique, la Guadeloupe et Saint-Pierre-et-Miquelon. Né d'une demande de soutien des associations locales autour de grands projets d'aménagement ou d'atteintes majeures à l'environnement, cet ancrage s'est formalisé dans les années 2010. Aujourd'hui, le rôle de FNE est d'aider ces associations à renforcer leur action locale et, in fine , d'accompagner l'émergence de la société civile organisée pour la défense de l'environnement et l'éducation à l'environnement.

Parmi nos associations adhérentes figurent ainsi : FNE Guadeloupe, l'Association pour la sauvegarde du patrimoine martiniquais (Assaupamar), la société réunionnaise pour l'étude et la protection de l'environnement (SREPEN), Les Naturalistes de Mayotte et Mayotte Nature Environnement, Guyane Nature Environnement et FNE Saint-Pierre-et-Miquelon.

À titre d'illustration, je tiens à mentionner le Modecom réalisé à La Réunion - il s'agit d'une technique mise au point par l'Ademe pour étudier la composition moyenne des poubelles d'ordures ménagères d'un foyer.

Les déchets valorisables organiquement représentent la masse principale : en développant les compostages individuel et collectif, notamment pour les personnes vivant en appartement, l'on résoudra donc une grande partie du problème.

Viennent ensuite les déchets recyclables - papier, métaux, verre et plastique -, pour lesquels l'extension des consignes de tri de plastique est une autre solution. Les emballages des liquides alimentaires (ELA), en particulier les bouteilles de lait et de jus de fruits, présentent une complexité particulière, encore exacerbée outre-mer. Restent, enfin, les déchets dangereux diffus et résiduels.

Pour FNE, la priorité des priorités, c'est la prévention de la production de déchets, non seulement dans le monde industriel, mais aussi chez les consommateurs. Cet effort supposera sans doute de rendre du sens à la responsabilité individuelle.

À mon sens, c'est un enjeu d'ampleur nationale : aujourd'hui, certains d'entre nous ne mesurent pas la portée de leurs gestes, notamment en matière de tri. Cette perte de valeurs explique en partie la persistance des dépôts sauvages.

En parallèle, certains professionnels négligent les effets induits de la conception de tel ou tel produit. Alors que nous venons d'obtenir, au terme de longues luttes, la suppression de certains objets à usage unique, on voit apparaître des vaporettes jetables équipées d'une batterie : je ne comprends même pas comment les industriels peuvent développer de tels produits.

L'éducation à l'environnement est tout à fait prioritaire, pour les plus jeunes comme pour les moins jeunes. Nous avons tous besoin d'un éclairage nous permettant de comprendre la portée de nos gestes. Un mégot jeté dans le caniveau finit dans la mer ; il pollue environ 500 litres d'eau et affecte la biodiversité en conséquence.

Cette éducation est indispensable, dans l'Hexagone comme outre-mer où, peut-être plus qu'ailleurs, il faut redéployer des équipes dédiées. Lors de la mise en place du tri sélectif, on avait ainsi institué « les ambassadeurs du tri ». Au-delà, ces équipes doivent avoir des missions de sensibilisation sur tous les enjeux d'environnement - gestion des déchets, prévention, consommation responsable, etc. Tôt ou tard, il faudra bien parler de sobriété, même si cela choque encore beaucoup de gens. Il faut arrêter de consommer n'importe quoi n'importe comment, si l'on veut laisser à nos enfants une planète respirable.

Évidemment, nous sommes très favorables au développement de la consigne qui a encore plus de sens pour les circuits courts.

Outre-mer, compte tenu des difficultés inhérentes au transport des marchandises, la consigne est très certainement une solution pertinente. Elle l'est également dans l'Hexagone. Des travaux ont d'ailleurs été entrepris pour développer de nouveaux standards d'emballages : c'est indispensable pour donner de la pertinence à la consigne. Des initiatives très sérieuses ont été engagées en ce sens à La Réunion.

D'ailleurs, plutôt que de consigne, il faudrait parler de réemploi, terme plus large et plus pertinent désignant l'utilisation d'un emballage pour un emploi équivalent - par exemple une canette de bière.

En revanche, il me semble extrêmement dangereux d'intéresser le geste citoyen, car ce choix risquerait de renchérir considérablement le coût des dispositifs de recyclage. De mon point de vue, le geste de tri est par définition désintéressé. C'est un réflexe civique.

Nous avons, nous aussi, développé un logiciel, intitulé « Sentinelles de la nature », permettant de signaler des dépôts sauvages et de les résorber le plus vite possible. Il s'agit là d'un enjeu considérable : on le sait, un dépôt sauvage a tendance à grossir très vite pour devenir une petite décharge sauvage.

M. Michel Charpentier, président de l'association Les Naturalistes de Mayotte . - Mayotte connaît déjà une très forte croissance démographique et, dans son scénario le moins favorable, l'Insee prévoit même le doublement de sa population d'ici à 2030. En parallèle, s'il reste le plus pauvre de France, ce département a tout de même connu une élévation de son produit intérieur brut (PIB).

Ce double phénomène entraîne la multiplication des déchets, que vient encore aggraver l'immigration illégale : elle conduit au développement de zones d'habitat informel, où ce sont, en quelque sorte, les grandes pluies qui se chargent de la collecte des déchets.

En outre, au moins à Mayotte, on déplore l'absence de certaines filières de collecte. Je pense notamment aux déchets non organiques et hors emballages, qui sont dès lors jetés dans la nature, qu'il s'agisse des pneus, des batteries, des piles ou des huiles usagées. Les organismes compétents en ont stocké une partie, mais, désormais, toute collecte a cessé. Face à ce problème considérable, on ne voit pas se profiler de solution rapide.

Enfin, Mayotte a la particularité géographique d'être entourée d'un lagon : tous les déchets non collectés s'y retrouvent avant de finir sur les plages. Les quantités peuvent se révéler importantes, notamment à l'aval des villages : les déchets sont piégés dans les mangroves ou jonchent des plages plus dégagées. C'est aussi un facteur de désamour des visiteurs pour Mayotte.

Mme Victoire Jasmin, présidente . - N'oublions pas non plus les conséquences sur la santé publique. Je pense notamment à la lutte antivectorielle, qu'il s'agisse de la dengue, du chikungunya ou du zika, pour ne citer qu'eux.

Mme Alice Elfassi, responsable des affaires juridiques de Zero Waste France . - Organisation non gouvernementale (ONG) nationale basée à Paris, Zero Waste France lutte pour la réduction des déchets et contre le gaspillage des ressources.

Nous disposons de quatre groupes locaux outre-mer : à la Martinique, à La Réunion, à Tahiti et en Nouvelle-Calédonie. J'ai eu à coeur de recueillir les commentaires et les remarques de leurs représentants, mais n'ai toutefois pas pu obtenir de réponse de Tahiti.

Le réseau de groupes locaux de Zero Waste France a été formalisé assez récemment : voilà cinq ans que des associations locales se rattachent à notre organisation en signant une charte pour devenir groupe local. Ces structures, préexistantes et assez diverses, ne faisaient pas forcément précédemment partie d'un réseau. Le groupe local de Nouvelle-Calédonie a été constitué en 2018, celui de la Martinique en 2019. Celui de La Réunion a une histoire différente : il s'agit d'un ancien collectif de lutte contre l'incinérateur de Saint-Pierre, qui s'est ensuite élargi à d'autres thématiques, en particulier la réduction des déchets.

Tous ces groupes locaux sont axés sur la sensibilisation. Ils déploient leurs actions en faveur de la réduction des déchets lors d'événements culturels et sportifs ; sur les marchés, notamment pour le tri des déchets organiques ; mais aussi dans les écoles, car l'on constate un véritable besoin d'éducation à l'environnement. Il serait d'ailleurs indispensable d'élargir cet effort à d'autres publics, plus âgés.

Ils mettent en place des « défis familles », destinés à accompagner les foyers dans la réduction des déchets. S'y ajoutent des actions dans les commerces, notamment à la suite de la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire, afin de faciliter l'acceptation des contenants apportés par les consommateurs dans les commerces et de veiller à l'interdiction de certains plastiques à usage unique.

Nos différents groupes locaux constatent, sans surprise, une baisse de mobilisation des bénévoles depuis la Covid et une difficulté à répondre à toutes les sollicitations. Les pouvoirs publics, notamment les collectivités territoriales, veulent agir plus, mettre en oeuvre des prestations d'accompagnement, mais les associations manquent de moyens financiers et humains. Souvent, elles ne peuvent compter que sur leurs bénévoles.

Pour ce qui concerne le diagnostic d'ensemble outre-mer, Johann Leconte le souligne avec raison : il faut donner la priorité à la prévention. Certes, la population maîtrise mal le geste de tri et les dépôts sauvages constituent un véritable enjeu, mais on ne peut pas se contenter de dire que les particuliers ne savent pas trier. Ce qui manque surtout, c'est une éducation à l'environnement et une sensibilisation de la part des pouvoirs publics.

Les collectivités mènent de nombreuses actions pour lutter contre les dépôts sauvages, une fois qu'ils existent ; elles font moins en amont, au titre de l'éducation. À cet égard, on compte sur les associations sans leur donner suffisamment de moyens.

Au-delà, nous souhaitons que la prévention soit, à l'avenir, l'objet du discours prioritaire outre-mer.

Selon nous, deux actions sont essentielles à cet égard.

La première, c'est le tri des déchets organiques à la source, qui sera d'ailleurs obligatoire à compter du 31 décembre 2023. Certaines collectivités territoriales ne sont même pas informées de cette échéance. De plus, il ne suffit pas d'ajouter un onglet sur le site internet de la mairie pour informer les administrés de la mise à disposition de composteurs individuels. J'y insiste, il faut développer une véritable éducation à l'environnement, car le compostage à la maison n'est pas du tout inné. Dans les zones urbanisées, où la grande majorité des personnes vivent en appartement, il faut également développer le compostage collectif.

La seconde, c'est la tarification incitative, sujet que nous suivons de près à l'échelle nationale. Facturer la collecte des ordures ménagères résiduelles en fonction de leur volume, c'est inciter à trier le verre, le papier, le carton ou encore le plastique.

Ce « combo » nous semble être la clef pour mobiliser les populations en vue d'une réduction du volume d'ordures ménagères résiduelles. Toutefois, les associations ont du mal à se mobiliser à cette fin, faute de moyens, et à attirer l'attention des collectivités territoriales sur ce sujet.

De même, il nous paraît indispensable de réinstaurer la consigne, tout particulièrement outre-mer, du fait des enjeux d'insularité, donc d'isolement, et du manque d'infrastructures de recyclage. Dans 99 % des cas, on exporte les déchets en Asie ou en Afrique du Sud, ce qui n'est pas vertueux. Ainsi, aucun déchet n'est réellement recyclé sur le territoire de La Réunion. Soyons clairs : nous nous débarrassons de nos déchets aux dépens de pays qui n'ont ni les infrastructures ni les réglementations environnementales permettant de les recycler dans de bonnes conditions.

Nous devons mettre l'accent sur la prévention et le réemploi, et la consigne est une des solutions à privilégier. Toutefois, là encore, les moyens financiers manquent, comme le montre l'exemple du projet de consigne alimentaire qui a émergé en Nouvelle-Calédonie pour les services de restauration à emporter. Les investissements de départ étaient trois fois plus élevés que pour le système de plastique jetable. Alors que la demande d'aide était de 38 millions d'euros, la subvention de l'Ademe et des autres organismes publics n'a pas dépassé 10 millions d'euros, de sorte que le projet a dû s'arrêter, alors même que les investissements de départ auraient pu être rapidement rentabilisés.

Certains opérateurs continuent de pratiquer la consigne, malgré un manque de soutien évident, comme la brasserie Bourbon, à La Réunion, qui maintient le réemploi des canettes de verre en l'absence de tout réseau formel constitué. Il faudrait que les pouvoirs publics apportent davantage de soutien à ces opérateurs.

Pour ce qui est des décharges sauvages et de l'application de la réglementation sur les plastiques à usage unique, on ne peut que regretter le manque de contrôle des pouvoirs publics et l'absence de verbalisation. On trouve encore partout des sacs, des gobelets et des bouteilles en plastique. Les associations tentent de sensibiliser les entreprises et les commerçants, mais elles se heurtent au manque de contrôle des pouvoirs publics.

Parmi les opérations exemplaires qui ont été menées, il faut citer l'île Rodrigues dans l'Océan indien, où l'on a interdit les bouteilles à usage unique avant même que la mesure ne figure dans la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire (AGEC), et où la consigne pour réemploi a été généralisée, de sorte que la production de déchets a été considérablement réduite.

Il faut également saluer l'opération conduite sur l'île indonésienne Gili Trawangan, grâce à une forte coopération de l'industrie du tourisme, pour développer des actions de réduction de la production des déchets.

Le groupe local de Nouvelle-Calédonie considère Saint-Pierre-et-Miquelon comme un territoire exemplaire en matière d'action et de sensibilisation visant à réduire la production des déchets. La démarche très vertueuse qui s'y est développée a abouti à une prise de conscience de la part des entreprises et des associations, mais elle se heurte encore à un manque de moyens pour que des prestations d'accompagnement puissent être mises en place.

Mme Viviane Malet, rapporteure . - En milieu urbain, les associations travaillent-elles avec les bailleurs sociaux ? Nous avons mentionné cette collaboration pour le tri à la source. D'autres actions sont-elles développées dans un cadre similaire ?

Mme Gisèle Jourda, rapporteure . - Vous avez donné des exemples pertinents, en particulier le projet de consigne qui n'a pas pu aboutir en Nouvelle-Calédonie, faute de moyens financiers. C'est sans doute là que le bât blesse. Les collectivités doivent être accompagnées. J'ai dirigé une collectivité territoriale et je sais combien la mise en place d'une déchetterie pour lutter contre les dépôts sauvages peut prendre du temps. En plus du vecteur éducatif, essentiel, il faut un accompagnement des élus ainsi que des fonds d'amorçage. La lourdeur du dispositif tient à la nécessité d'étayer les perspectives et de les soutenir financièrement. A-t-on des exemples d'un accompagnement qui se serait traduit dans les faits ?

Il faut aussi prendre en compte l'impact sur la santé. J'ai été rapporteure de la commission d'enquête sur les pollutions industrielles et minières des sols, dont les travaux ont montré qu'elles pouvaient avoir des conséquences sur la santé à long terme. Vous avez mentionné que la pollution liée aux déchets touchait les lagons, les plages et les mangroves de Mayotte. A-t-on étudié la qualité de l'air qu'on y respire ainsi que les infiltrations possibles dans les sols ? D'autant que des phénomènes importants de migration se superposent à ces difficultés. La question de l'accompagnement des collectivités en matière de santé publique est essentielle. Quel rôle jouent les associations ?

M. Johann Leconte . - Le dispositif de responsabilité élargie du producteur (REP) en matière d'éco-organismes est insuffisamment développé dans les outre-mer, alors qu'il devrait l'être au même niveau que dans l'Hexagone. En effet, compte tenu de l'insularité des territoires d'outre-mer, il est d'autant plus difficile d'y recycler les déchets. Hormis celles des emballages et des journaux, les filières ne sont pas forcément développées. On peut regretter l'absence de représentation locale des éco-organismes, liée au fait que chacun d'eux gère ses propres équipes à cinq ans de projection. Toutefois, il faudrait les encourager à développer leur présence dans les territoires ultramarins, car celle-ci rendrait leur action d'autant plus pertinente.

La question du recyclage reste essentielle. Une fois les produits consommés, les matières premières doivent être recyclées, mais les dispositifs n'existent pas sur place, pour des raisons liées aux bassins de population. Il faut donc exporter les déchets, sans forcément maîtriser les conditions de recyclage en matière de protection de l'environnement ou de droit social des salariés dans le pays d'exportation. Les départements ultramarins seraient donc en droit de demander une attention particulière aux éco-organismes et à l'État pour développer des projets de recyclage différenciés. Par exemple, même si l'on ne peut pas construire de verrerie dans les départements d'outre-mer, faute d'un bassin de population suffisant pour assurer le fonctionnement de l'usine, on peut trouver des usages dérivés du verre, en particulier pour en faire du sable de filtration à destination des piscines, en substitution du sable très coûteux que l'on fait venir de loin. Il faudrait favoriser la collaboration entre l'État et les industriels pour développer ces filières alternatives.

Enfin, il n'est pas acceptable que les éco-organismes ne soient pas tous en obligation de développer la collecte, le tri et le recyclage des produits dont ils sont responsables dans chacun des territoires ultramarins. Le concept de la responsabilité élargie du producteur a été inventé pour répondre à ce problème d'internalisation. Il faut le rendre efficient.

Mme Nassimah Dindar . - À La Réunion, il faut saluer l'implication des pouvoirs publics. Les communautés d'agglomération ont réalisé un travail extraordinaire, en particulier sur la communication concernant le tri et sur la fourniture des bacs. J'ai moi-même constaté l'ampleur de ce travail mené dans un temps resserré.

Cependant, les enjeux de santé et ceux liés aux pratiques culturelles sur la consigne et le tri restent à approfondir. Je suis favorable à une rémunération, même symbolique, de ceux qui rapportent leur bouteille ou leur canette de bière à la consigne. Cette pratique culturelle qui perdure à La Réunion peut donner lieu à une émulation positive.

Les biens de consommation que l'on commande sur internet arrivent souvent dans des emballages en carton, et il n'est pas rare qu'il faille jusqu'à quatre cartons pour emballer un seul vêtement. Ne pourrait-on pas prévoir une réglementation plus stricte en la matière ?

Monsieur Leconte, je ne crois pas qu'il soit plus difficile de retraiter à La Réunion qu'ailleurs. Toutes les bouteilles de l'île Rodrigues sont traitées dans la verrerie de l'île Maurice. Il faudrait aider les éco-organismes à s'installer et soutenir les collectivités afin qu'elles développent des partenariats public-privé pour favoriser un retraitement sur place, en particulier pour le papier, le carton et le verre. Pourquoi ne pas non plus exonérer les entreprises qui s'installent dès lors que leur activité concerne le traitement des déchets ?

À La Réunion, les associations et les collectivités ont fourni des efforts considérables en matière de tri, de prévention et de communication auprès de la population.

Mme Marie-Laure Phinera-Horth . - Madame Elfassi, votre association n'existe pas en Guyane. Participez-vous quand même à certaines actions favorisant la réduction des déchets sur ce territoire ?

Monsieur Leconte, l'ADN de votre structure est de concilier l'équilibre naturel et l'activité humaine et de proposer des pistes pour adapter notre planète aux changements climatiques et les atténuer. Pourtant, j'ai la fâcheuse impression qu'en Guyane, France Nature Environnement s'évertue surtout à annihiler tout projet de développement, qu'il s'agisse de la Montagne d'or ou de la centrale du Larivot. Dans le cadre de ce dernier projet, les terrassements ont été réalisés et les chefs d'entreprise qui avaient investi dans des camions se retrouvent en difficulté.

L'association Guyane Nature Environnement est bien informée des difficultés rencontrées par les communes enclavées. En effet, les communes de l'intérieur peinent à traiter les déchets, faute de routes et de décharges. Certaines d'entre elles sont reliées par des fleuves, comme les villages de Twenké, Él ahé et Antécume-Pata, où les habitants ne savent pas quoi faire de leurs déchets. Peut-on compter sur votre expertise pour résoudre ces problèmes ? Que peut faire Guyane Nature Environnement, qui dépend de votre association ?

M. Guillaume Gontard . - Je partage vos propos sur l'implantation des éco-organismes. En tant que rapporteur de la mission d'information sur la politique du logement dans les outre-mer, je me suis particulièrement intéressé à la relocalisation des matériaux de construction. Il faudrait envisager des actions fortes sur la réutilisation et le recyclage de ces matériaux. J'ai constaté, dans mon territoire, qu'il était possible de réutiliser directement la plupart d'entre eux, bac acier, menuiseries ou isolants, ce qui pourrait être très intéressant dans les outre-mer. Une réflexion est-elle en cours sur ce genre d'initiatives que la puissance publique pourrait facilement lancer ?

M. Johann Leconte . - Je n'ai pas d'informations assez précises pour vous répondre au sujet de la Guyane.

Pour ce qui est de la responsabilité élargie des producteurs, il est essentiel d'aller jusqu'au bout de la garantie de reprise et je regrette que cela n'ait pas été le cas dans le cadre de la loi AGEC. En effet, les éco-organismes devraient être en responsabilité totale sur la fin de vie de leurs produits et se charger d'en assurer le débouché. Ils auraient ainsi à coeur de trouver les moyens industriels nécessaires pour favoriser le recyclage, en créant par exemple une verrerie. Il faut que la garantie de reprise soit pleine et entière, c'est-à-dire qu'elle ne repose pas uniquement sur l'existence d'un marché potentiel, qui a du mal à exister outre-mer.

Sur la question spécifique du bâtiment, une REP est en train de voir le jour. L'enjeu du réemploi des matériaux dans le bâtiment, essentiel, reste en effet insuffisamment traité. Nous avions souhaité que des objectifs plus importants en matière de réemploi des matériaux soient inscrits dans cette REP, sans obtenir le niveau d'exigence que nous souhaitions. Toutefois, elle a le mérite d'exister et le système doit trouver son rythme avant de pouvoir augmenter sa capacité. Je reste optimiste sur le développement du réemploi dans cette filière. Autrefois, il n'y avait rien de perdu quand on détruisait un bâtiment pour en construire un autre, car nos anciens réutilisaient tous les matériaux.

Nous considérons que les collectivités locales peuvent trouver dans les associations un partenaire efficace pour l'éducation à l'environnement. Pourquoi est-ce difficile dans la pratique ? Sans doute parce que les associations ont souvent été créées dans un contexte de contestation de certains projets. Toutefois, nous devrions travailler en bonne intelligence dans l'intérêt collectif. Cela s'est fait dans certaines communes ultramarines et les résultats sont positifs. Il faut promouvoir cette collaboration entre les collectivités et les associations pour favoriser la sensibilisation des acteurs.

Celle-ci a effectivement été particulièrement efficace à La Réunion au moment de la mise en place du tri sélectif, ce qui n'a pas forcément été le cas dans tous les outre-mer. Sans doute a-t-on privilégié les investissements matériels en laissant de côté la sensibilisation, pourtant nécessaire à la bonne compréhension de la démarche.

En matière de santé, tous les déchets qui arrivent en mer viennent de la terre. Ils ont forcément des conséquences sur la biodiversité et, par effet rebond, sur l'homme. Des difficultés particulières, liées à l'habitat, caractérisent le territoire de Mayotte. Il faut tout faire pour trouver des solutions.

Mme Alice Elfassi . - La coopération entre les collectivités et les associations reste difficile dans certains territoires. À La Réunion, par exemple, le projet d'incinérateur a crispé la relation partenariale pourtant essentielle en matière d'éducation à l'environnement et de sensibilisation. Même si notre association se concentre sur les impacts environnementaux, elle prend de plus en plus en compte ceux qui concernent la santé publique. En outre-mer, les décharges restent nombreuses, même si les incinérateurs posent des problèmes environnementaux et sanitaires.

Faut-il adapter les objectifs de recyclage et développer la valorisation énergétique ? Nous mettons surtout l'accent sur la prévention et le réemploi, car la réglementation incite, quoi qu'il en soit, à réduire l'enfouissement au profit d'autres modes de traitement. Nous ne souhaitons pas que les investissements dans l'incinération prennent le pas sur des financements publics qui pourraient servir à développer des dispositifs de consigne, de tri des biodéchets ou d'éducation à l'environnement. Le projet d'unité de valorisation énergétique (UVE) à Saint-Pierre de La Réunion est un exemple significatif.

De même, en Martinique, la valorisation énergétique des déchets existe grâce à l'implantation d'une usine Albioma destinée à traiter les déchets de la canne à sucre pour produire de l'énergie. Toutefois, la récolte de la canne à sucre étant saisonnière, l'usine a fini par devoir importer des ressources depuis le Brésil et le Canada durant le reste de l'année. On a donc construit une infrastructure peu flexible et très coûteuse dont l'alimentation a nécessité que l'on importe des déchets. La démarche ne nous paraît pas vertueuse.

En outre-mer, les besoins en chauffage urbain ne sont pas identiques à ceux de l'Hexagone, car les habitations sont souvent équipées de chauffe-eau solaires efficaces. Il est donc difficile de justifier ainsi les investissements massifs sur la valorisation énergétique des déchets.

Quant aux filières REP, il faut effectivement que les éco-organismes soient implantés en outre-mer tout comme dans l'Hexagone. Nous restons toutefois critiques sur leur mode de fonctionnement actuel. L'exemple de la filière REP bâtiment est un bon exemple, dans la mesure où la loi AGEC a posé les bases solides d'un soutien à la prévention et au réemploi, pour faire comprendre que les éco-organismes n'ont pas pour seule mission de développer le tri et le recyclage. Or, le cahier des charges que l'on nous a présenté reste décevant en ce qui concerne les objectifs de réemploi, alors que l'industrie du bâtiment est responsable de 75 % des déchets produits en France. C'est donc tout le système de la REP qu'il faudrait refondre pour mettre l'accent sur la prévention et le réemploi plutôt que sur le tri et le recyclage, en contraignant davantage les éco-modulations et les bonus-malus qui sont imposés aux producteurs de déchets. La filière du bâtiment, toute nouvelle, devrait être en pointe.

Peu de relations ont été établies entre les éco-organismes et les groupes locaux. Il existe toutefois une exception en Nouvelle-Calédonie où le groupe local m'a indiqué être en relation avec Trécodec, éco-organisme qui traite les piles, batteries et pneus. Cette relation fonctionne bien.

Des actions en commun ont été menées à La Réunion avec les bailleurs locaux, même si elles se sont essoufflées au cours des deux dernières années. Ce type de partenariat est essentiel pour l'éducation à l'environnement et la sensibilisation.

Pour lutter contre les dépôts sauvages et favoriser la sensibilisation des usagers, nous envisagions d'organiser des visites de décharges par des groupes scolaires. Les associations pourraient s'en charger en se concentrant sur les impacts environnementaux et sanitaires de ce type d'installation. Un partenariat avec la collectivité territoriale concernée serait intéressant.

Mme Victoire Jasmin, présidente . - Des efforts sont menés en Guadeloupe, comme la mise à disposition de composteurs individuels ou des ressourceries. Les moyens manquent, mais j'espère que ces problématiques continueront d'être prises en compte. Dans l'archipel de la Guadeloupe, les habitants sont parfois soumis à une double ou à une triple insularité, ce qui rend la situation d'autant plus difficile à traiter pour les collectivités locales.

En matière de santé, la prolifération des rongeurs sur les dépôts sauvages favorise la leptospirose. Nous devons continuer de développer de bonnes pratiques, mais les moyens manquent.

Je vous remercie pour vos interventions. Vous pourrez nous faire parvenir par écrit des compléments d'information.

Jeudi 2 juin 2022

Table ronde avec des opérateurs économiques

Mme Victoire Jasmin, présidente . - Mes chers collègues, nous poursuivons nos auditions pour l'étude relative à la gestion des déchets dans les territoires ultramarins, dont les rapporteures sont Gisèle Jourda, sénatrice de l'Aude, et Viviane Malet, sénatrice de La Réunion.

J'ai l'honneur de remplacer aujourd'hui le président Stéphane Artano, qui vous prie de l'excuser, car il participe à nos travaux en visioconférence.

Dans le cadre de cette seconde table ronde, nous accueillons les représentants de la Fédération des entreprises des outre-mer (Fedom), de la Fédération professionnelle des entreprises du recyclage (Federec), et du Syndicat national des entrepreneurs de la filière déchet (Snefid), que nous remercions de leur disponibilité.

Après avoir donné la parole au président Stéphane Artano afin qu'il vous adresse quelques mots, je demanderai ensuite aux deux rapporteures de bien vouloir formuler leurs questions, puis ce sera au tour des représentants des associations de faire leur exposé, dans l'ordre suivant : Hervé Mariton, président de la Fedom ; Manuel Burnand, directeur général de la Federec ; et Guénola Gascoin, secrétaire générale du Snefid. Les rapporteures pourront alors reprendre la parole pour demander davantage de précisions si elles le souhaitent, et je donnerai enfin à nos collègues la possibilité d'intervenir.

M. Stéphane Artano . - Je remercie Victoire Jasmin d'avoir accepté de me remplacer. Je salue nos deux rapporteures Gisèle Jourda et Viviane Malet, ainsi que les membres du groupe d'études sur l'économie circulaire du Sénat, qui portent nos sujets de préoccupation.

Nous souhaitons dresser un état des lieux aussi exhaustif que possible et proposer des recommandations adaptées aux territoires ultramarins. Nous voulons que les problématiques spécifiques à la gestion des déchets dans les territoires d'outre-mer soient mieux prises en compte dans la politique nationale, censée donner la priorité aux défis environnementaux.

Nous vous remercions donc vivement de nous éclairer dans le cadre de cette étude, à la lumière de l'expertise reconnue que vous avez acquise.

Mme Gisèle Jourda, rapporteure . - Mes chers collègues, mesdames et messieurs les représentants des opérateurs économiques, je voudrais tout d'abord excuser les représentants de la Fédération nationale des activités de la dépollution et de l'environnement (Fnade) qui, ne pouvant être présents avec nous ce matin, ont transmis une contribution écrite étayée en réponse à notre questionnaire.

Notre sujet intéresse la transition écologique et le quotidien de tout un chacun. La gestion des déchets constitue un service public élémentaire, au même titre que l'eau ou l'assainissement. Or, nous savons que dans les territoires ultramarins, ces services de base ne sont pas toujours rendus dans des conditions satisfaisantes.

Les entreprises sont évidemment au coeur de cet enjeu, en tant que producteurs de déchets, mais aussi en qualité de prestataires et d'industriels du déchet. Ce champ d'activité économique ne cesse de croître et de se perfectionner, à mesure que les défis du recyclage et du réemploi s'imposent.

Cette table ronde doit notamment mettre en avant ces deux aspects, et nous devons comprendre pourquoi certaines filières ne parviennent pas à décoller dans les outre-mer. Les filières à responsabilité élargie des producteurs (REP) sont en effet très en retard, quand elles ne sont pas inexistantes, alors que les entreprises ultramarines y contribuent bien souvent.

Pour cette audition, je souhaite en particulier recueillir votre avis sur les récents bouleversements législatifs et réglementaires : ces textes prennent-ils en compte les spécificités des entreprises et des marchés ultramarins ? Observez-vous une dynamique nouvelle dans les outre-mer à la suite de l'adoption de ces textes ?

Par ailleurs, les différents dispositifs d'aide ouverts aux entreprises en matière de déchet sont-ils adaptés aux besoins des entreprises ? Je pense par exemple à la défiscalisation, ou encore aux appels à projets outre-mer, en particulier ceux de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) ou de Citeo pour innover en matière de recyclage.

Enfin, je souhaiterais recueillir votre avis sur la viabilité économique de la mutualisation de certains équipements entre territoires ultramarins, par exemple entre la Martinique et la Guadeloupe, ou dans l'océan Indien, entre La Réunion, Mayotte ou des États insulaires voisins. Cela peut-il avoir du sens, en dépit du coût des transports maritimes ?

Mme Viviane Malet, rapporteure . - En qualité d'élue locale et de sénatrice de La Réunion, je constate chaque jour au coin de la rue le défi représenté par la gestion des déchets dans mon territoire. Nous sommes en alerte rouge.

La gestion des déchets est un secteur d'activité en plein essor, d'une technicité croissante. Votre partage d'expérience est donc important.

J'aimerais notamment avoir votre retour sur l'organisation des filières REP outre-mer. Le bilan est globalement assez médiocre. Selon vous, quelles en sont les raisons ? Les entreprises des DROM cotisent auprès des éco-organismes depuis des années, mais le service rendu est très faible. Avez-vous des discussions avec des éco-organismes, en particulier avec Citeo ? Percevez-vous un changement depuis l'adoption de la loi AGEC ?

Mon autre interrogation porte sur la remise au goût du jour de la consigne, tant pour le verre que pour le plastique, chantier à propos duquel les territoires d'outre-mer sont perçus comme un possible laboratoire. La Guadeloupe s'est notamment portée candidate pour devenir un territoire d'expérimentations. Quel regard les entreprises ultramarines portent-elles sur ce retour de la consigne ? Êtes-vous associés à ces projets ? Les conditions pour une activité économiquement viable sont-elles réunies ?

Le problème de l'exportation des déchets est de plus en plus complexe, et la crise du transport maritime ne fait qu'empirer la situation. L'annonce par CMA-CGM de l'arrêt prochain du transport des déchets plastiques ne va certainement pas améliorer les choses. Avez-vous des propositions pour obtenir un aménagement des règles d'exportation des déchets depuis les outre-mer ? Sur l'aide au fret, qui permet de réduire le coût de l'export, considérez-vous que les différents dispositifs existants sont satisfaisants ?

Une dernière interrogation porte enfin sur l'ingénierie et l'expertise dans les outre-mer. Il y a deux semaines, les auditions de la délégation ont fait apparaître que les crédits existaient pour des projets concernant les déchets dans les outre-mer, mais qu'ils étaient sous-consommés. Ce problème est d'ailleurs plus général, comme l'a récemment relevé la Cour des comptes, sur une saisine de la commission des finances du Sénat.

L'insuffisance de l'ingénierie technique et administrative des collectivités ultramarines est l'une des principales explications avancées. Quel est votre regard sur cette difficulté majeure, les entreprises étant parties prenantes dans la préparation et la co-construction des projets ? Quels sont les dispositifs les plus efficaces pour accompagner les collectivités et les entreprises lorsqu'elles sont à l'initiative de projets privés ?

M. Hervé Mariton, président de la Fédération des entreprises des outre-mer . - En tant que président de la Fédération des entreprises des outre-mer, j'apporterai un certain nombre de réponses générales, les acteurs plus spécialisés pouvant apporter sur certains points des précisions supplémentaires.

Dans les outre-mer, les enjeux de transition écologique et d'économie circulaire sont essentiels, en particulier pour des raisons physiques : dans ces espaces insulaires ou quasi insulaires pour la Guyane, la notion d'économie circulaire revêt des enjeux importants, notamment en ce qui concerne l'évacuation des déchets. La notion de cercle, pouvant sembler un peu théorique dans une approche nationale, est très concrète en situation insulaire.

Les enjeux de la transition écologique et énergétique sont, pour les outre-mer, à la fois une contrainte et une opportunité. Alors que les schémas économiques font trop souvent du sur-place, il y a probablement là une occasion de franchir des étapes, si nous pouvons résoudre certains problèmes.

Viviane Malet a posé des questions d'ingénierie, et Gisèle Jourda a souligné la dimension de service public de la gestion des déchets. Deux ordres de difficultés sont ainsi soulevés. Les contextes économiques sont compliqués outre-mer, et les structurations d'entreprises sont parfois fragiles. Pour autant, si je puis le dire devant les sénateurs, l'organisation des collectivités locales est parfois également fragile. Il n'est pas plus aisé de résoudre les questions d'ingénierie en outre-mer que dans l'Hexagone. Il n'y a pas le potentiel d'entreprises permettant de répondre à la totalité des questions concernant les déchets, et il faut réaliser des progrès importants. Mais par ailleurs, et sans insolence, je me hasarde à dire que la prise en charge de ces questions par les collectivités locales n'est pas toujours à la hauteur des défis soulevés.

Autour du thème de l'économie circulaire, Gisèle Jourda évoquait la défiscalisation. Or, cet outil a été très largement conçu, depuis longtemps, pour des objets neufs. Dès que l'on parle de réutilisation et d'économie circulaire pour des déchets, des biens industriels ou des machines-outils, et dès que l'on essaie de garder dans le circuit ce qui pourrait facilement en sortir, il est important de poser la question d'une évolution de la défiscalisation pour mieux prendre en compte les différentes formes de réutilisation, en particulier pour les biens d'investissements.

Il en va du domaine des déchets comme d'autres domaines : les spécificités des outre-mer sont globalement insuffisamment prises en compte. Observe-t-on une dynamique nouvelle ? Oui et non : nous ne sommes pas à la hauteur de la situation. Comme Viviane Malet l'évoquait, l'interruption de l'évacuation des déchets plastiques constitue une menace. Mais en réponse à cette contrainte violente, une dynamique de réflexion est enclenchée, même si les actions restent insuffisantes, tout comme le travail de mutualisation.

Le transport des déchets a récemment émis un signal d'alerte important. Une bonne partie du traitement des déchets outre-mer passe par leur évacuation sous une forme plus ou moins traitée. Récemment, cette évacuation a été fortement perturbée par tous les problèmes de transport maritime que connaissent les outre-mer : saturation des zones de stockage et difficultés d'organisation des plateformes portuaires, perturbation de l'offre de transport tant en quantité qu'en qualité, avec des modifications des routes maritimes, et incertitude des prix contractuels comme des prix spot. Tout ceci affecte le transport des déchets.

Sur la question de l'aide au fret, ces dernières années, l'évolution a été défavorable. Dans une précédente programmation européenne, les territoires d'outre-mer pouvaient bénéficier de l'aide européenne à l'exportation de déchets vers l'Europe, ce qui n'est malheureusement plus le cas dans la dernière programmation européenne.

L'aide nationale au fret reste en théorie ouverte, mais la plupart des collectivités ont décidé d'adosser les dispositifs nationaux sur ceux du Fonds européen de développement régional (Feder). La disparition de l'aide européenne au fret des déchets a le plus souvent entraîné de facto une disparition de l'aide nationale au fret, ce qui constitue, de manière concrète et précise, un sujet majeur de préoccupation.

La situation est cependant un peu plus favorable que ce qu'a craint Viviane Malet. Après le signal d'alerte qui justifie votre propos, CMA-CGM s'est plus récemment exprimée par voie de communiqué. Par la suite, vous avez probablement vu que la direction générale de la prévention des risques au ministère de l'écologie et la direction générale des outre-mer au ministère des outre-mer ont adressé conjointement un courrier à CMA-CGM, actant la possibilité de couvrir administrativement le transport des matières plastiques vers l'Union européenne et la France métropolitaine. Même si cela ne répond pas totalement aux problématiques de transport de matières plastiques issues de La Réunion, la réponse de CMA-CGM à cette alerte est rassurante.

Avec le délégué général de la Fedom, nous étions il y a quelques semaines en Martinique. Le « coup de semonce » CMA-CGM a incité les acteurs locaux à réfléchir sur la collecte et le recyclage des déchets plastiques. Historiquement, il y a un certain temps, des bouteilles plastiques étaient recyclées en Martinique. Du fait d'une insuffisante organisation de la collecte, cette unité de traitement s'était arrêtée - ce qui nous ramène à la question de l'organisation du service public. Aujourd'hui, la question prend une dimension nouvelle. Vu de la Martinique, le sujet est complexe : sous-jacentes à la mutualisation, des initiatives récentes se sont fait jour en Guadeloupe, et les acteurs ont conscience qu'il n'y a pas de place pour deux unités industrielles et deux opérateurs en même temps dans les Antilles.

La mutualisation n'est pas là aujourd'hui, mais c'est un défi que nous devons relever pour ne pas dépendre de la bienveillance de CMA-CGM concernant les trajets des matières plastiques. Les acteurs des départements français des Antilles et d'autres collectivités comme  Saint-Martin et  Saint-Barthélemy sont concernés par cette donnée.

Au-delà des matières plastiques, dont l'interruption du transport constitue une menace, je voudrais souligner le problème de la collecte, du stockage et du transport des déchets dangereux. Il s'agit d'une préoccupation grave. Sous le contrôle de Viviane Malet, je comprends qu'à La Réunion aujourd'hui, la filière est en carence à tous les niveaux : l'évacuation des piles n'est pas possible, le stockage et la collecte ne se font plus.

La réduction des déchets à la source constitue une autre dimension du travail de la délégation. Le sujet est difficile vu des outre-mer, compte tenu de l'importance de la part des produits importés dans les économies ultramarines, qui représentent souvent une part modeste de la production globale de ces produits. Les metteurs en marché ultramarins, souvent minoritaires dans leurs filières d'approvisionnement, peuvent difficilement maîtriser la conception des produits ou la réduction potentielle des emballages et des suremballages.

La Fedom soutient la production locale, qui se pose ces questions, mais il y a une difficulté liée à la faible marge réalisée par les distributeurs d'outre-mer sur les produits importés. Demain, des évolutions du type de la taxe carbone pourraient affecter les frais d'approche, et la réduction à la source des déchets pourrait ainsi prendre une nouvelle dimension.

Concernant le recyclage et la réutilisation, nous réfléchissons à faciliter la miniaturisation des filières de production, afin d'encourager une meilleure maîtrise de la réduction à la source des déchets, en prenant le problème très en amont. Cela ne répond pas vraiment à l'urgence immédiate, mais il faut tout de même avoir cette dimension en tête. S'agissant des filières de recyclage, comme je l'évoquais avec l'exemple des bouteilles en plastique en Martinique, l'échec connu par le passé s'explique peut-être par la taille peu adaptée des outils de production.

Il n'est pas absurde de relier les démarches de miniaturisation et celles d'économie circulaire. Si des efforts doivent être menés, y compris dans les politiques publiques, comme nous souhaitons le plaider auprès de la direction générale des entreprises, ces efforts peuvent porter sur le recyclage et passer par la miniaturisation des outils de production, quitte à mettre prioritairement des moyens dans les économies insulaires, où les problèmes ne se posent pas de la même manière que dans l'Hexagone - je lance cette proposition.

Des évolutions nationales sont favorables, et les outre-mer doivent pouvoir en tirer profit. L'assouplissement du classement ICPE (installation classée pour la protection de l'environnement) et de l'encadrement environnemental des combustibles solides de récupération (CSR), vu des outre-mer, ouvre des perspectives favorables, car ils constituent une manière de traiter des déchets et de produire de l'énergie. Des réflexions sont en cours à La Réunion, sous l'égide de l'entreprise d'énergie Albioma.

J'ai rapidement évoqué la question de la mutualisation, en mentionnant les difficultés concernant les plastiques en Martinique et en Guadeloupe. Le sujet est évidemment important.

Concernant la valorisation et le recyclage, il faut faire attention à la taille de nos marchés, qui sont souvent de petite dimension. Des efforts sont faits sur la politique des déchets, y compris dans les collectivités du Pacifique. Des cadres législatifs ont été adoptés. Le gouvernement de la Polynésie française a pris des lois de pays, et le code de l'environnement polynésien prévoit un certain nombre de dispositions. Selon les parties du territoire, que l'on soit à Tahiti ou dans des archipels éloignés, les conditions d'application ne sont pas les mêmes.

Le constat, en Polynésie française comme dans d'autres collectivités d'outre-mer, est celui d'une augmentation très significative de la production de déchets ces dernières années. Un certain nombre de collectivités d'outre-mer connaissent un déclin démographique, mais les problèmes de déchets ne sont pas résolus pour autant ; dans d'autres, la croissance démographique les aggrave.

En Nouvelle-Calédonie, par exemple, plus de 100 000 tonnes de déchets ménagers sont produites annuellement, alors que les enjeux de préservation et de valorisation de l'environnement sont importants. Les politiques concernant les déchets sont d'autant plus importantes. Il faut avoir en tête la complexité de l'organisation administrative : une partie des compétences relève de l'État, une autre est liée à la compétence forte des provinces en matière d'environnement, une partie revient cependant au gouvernement de la Nouvelle-Calédonie sur la gestion des déchets de soins à risque infectieux, des médicaments et des déchets d'amiante, et une autre partie revient aux communes ou aux regroupements de communes. Je veux souligner l'implication de la Chambre de commerce et d'industrie de la Nouvelle-Calédonie (CCI-NC), qui a mis en place un observatoire des déchets des entreprises, sur un modèle inspiré des Côtes-d'Armor, pour bien suivre l'ensemble de ces questions.

Je voudrais aussi mentionner les difficultés réelles observées dans la troisième collectivité du Pacifique, à Wallis-et-Futuna, concernant la gestion de cette filière.

M. Manuel Burnand, directeur général de la Fédération professionnelle des entreprises du recyclage . - La Federec est une vieille dame de plus de 70 ans : la fédération est née avec différents syndicats régionaux. Dans le cas particulier des DROM-COM, nos adhérents sont suivis par la région parisienne, cette couverture territoriale étant répartie selon le découpage de la loi NOTRe.

La Federec est caractérisée par une compétence par métiers : nous sommes la seule fédération à rassembler des compétences techniques sur l'ensemble des matériaux, le textile, le plastique, le papier-carton, le bois, les métaux, des branches annexes étant chargées de la régénération de solvants et de la valorisation des combustibles solides de récupération --je suis heureux de voir ce sujet évoqué. Nous suivons également les produits complexes comme les véhicules hors d'usage (VHU), les déchets d'équipements électriques et électroniques, les déchets d'ameublement et les déchets du bâtiment.

Sur toutes ces questions, nous sommes impliqués en amont, puisque notre confédération européenne EuRIC siège à Bruxelles. À l'échelle mondiale, nous jouons un rôle concernant les sujets relevant de la convention de Bâle.

J'ai apprécié vos questionnements sur l'ingénierie, car il s'agit d'un des atouts de notre fédération. Une forte compétence technique, technologique et commerciale est portée par nos entreprises comme par notre club de partenaires. La Federec réunit des entreprises dotées d'ICPE pour recycler et transformer les déchets en ressources, en matières ou en énergie. Une soixantaine d'entreprises nous accompagnent dans l'ingénierie, tant financière que technique - par exemple en ce qui concerne le traitement des pneumatiques par pyrolyse, qui peut se faire dans de très petites unités, ces questions d'échelle étant importantes dans les DROM-COM.

Un point nouveau est l'ingénierie de formation. Nous avons identifié ce besoin depuis de nombreuses années, et il est porté par notre président François Escoffier. Avec l'Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA), nous sommes en train de lancer l'école nationale du recyclage et de la ressource, en prenant en compte certains aspects très pratiques de la formation à la gestion des déchets. Nous montons ce travail avec nos partenaires, afin de leur présenter notre fonctionnement.

Un élément important est le diagnostic de compétences. J'ai été frappé par certains entretiens que j'ai récemment faits avec nos adhérents. Dans certains cas, des gens ayant travaillé dans l'Hexagone pour de grandes enseignes de recyclage ont de très bonnes compétences et une réelle volonté d'aller de l'avant. Nous devons muscler ce volet de la compétence pour changer notre manière de penser : trop longtemps, on a considéré que les déchets des DROM-COM devaient être rapatriés sur le territoire hexagonal. Or nous devons désormais considérer le déchet comme une ressource et une opportunité pour les territoires, en ce qui concerne la création de valeur ou la création d'emplois.

Il faut regarder les choses de manière précise. Pour le plastique par exemple, j'ai été frappé par la surconsommation de bouteilles d'eau en plastique liée à la qualité de l'eau dans les outre-mer. Nous avons parlé de l'exemple un peu triste de la Martinique. Ce genre d'initiatives peut être relancé, les éco-organismes pouvant constituer des leviers d'accélération du développement dans ces écosystèmes économiques particuliers.

L'export des déchets représente un vrai sujet, en particulier en ce qui concerne les piles et les accumulateurs. Vous avez entendu parler à Paris des départs de feu dans des bus électriques. Aujourd'hui, c'est la terreur des sociétés de transport, d'autant plus lorsque les accumulateurs sont dans des porte-conteneurs. Le sujet est extrêmement complexe, car il y a environ deux cents types de batteries mis sur le marché. Cela soulève certaines questions auxquelles nous n'avons pas forcément pensé. En tant que fédération, nous réalisons le danger posé par ces accumulateurs, qui sont des « bombes incendiaires » disséminées sans beaucoup de prudence dans de nombreux objets de consommation, comme nos brosses à dents. Le secteur des déchets en est la première victime.

Pourquoi la filière déchet ne décolle-t-elle pas ? Il faut unir nos forces et décloisonner nos compétences comme nos visions, au moment historique que nous vivons. Les territoires sont essentiels, et nous devons travailler ensemble.

Les récents bouleversements concernent nos entreprises qui portent, de manière historique, l'emploi, les outils industriels et la compétence. Contrairement à ce que j'ai entendu, les éco-organismes ne vont pas résoudre tous les problèmes : dans les faits, les entreprises assument cette responsabilité, et un équilibre doit être trouvé entre les entreprises et les éco-organismes.

La filière déchet a la chance de bénéficier d'un comité stratégique de filière rattaché au Premier ministre. La question de l'articulation entre les opérateurs du déchet et les éco-organismes est en cours d'étude.

Du reste, nous avons porté collectivement un recours contre l'arrêté du 15 mars 2022 qui nous inquiète beaucoup, car il change fondamentalement les choses. Par exemple, alors que les entreprises et les collectivités locales ont pu créer des boucles locales en bonne intelligence, le risque est qu'on impose dogmatiquement certaines choses venues d'en haut, en pensant par exemple que le recyclage chimique va tout résoudre.

Ces travaux sont en cours, mais il s'agit d'un point de vigilance. Une dynamique nouvelle est engagée, mais il faut s'y atteler.

Le Programme investissement d'avenir (PIA4) lance des éléments que nous devons objectiver sur l'innovation, mais, là encore, il faut définir le partage de valeur entre les entreprises et les éco-organismes.

Je ne reviendrai pas sur la question de la mutualisation, qui a déjà été évoquée, mais je donnerai juste une anecdote : nos adhérents sont principalement situés en Guadeloupe, en Martinique et à La Réunion. Clairement, les sujets n'ont rien à voir. À La Réunion, nos adhérents nous disent échanger régulièrement avec CMA-CGM. Les conteneurs passent par plusieurs pays, y séjournent parfois, et la complexité administrative est considérable. Cela n'a rien à voir avec la situation de la Guadeloupe ou de la Martinique, où des circuits courts sont possibles. On ne peut pas généraliser, il faut regarder ces sujets de manière précise et individualisée.

Nous souscrivons entièrement au besoin que représente l'aide au fret. Je m'en tiendrai là, avant de répondre plus précisément à vos questions.

Mme Guénola Gascoin, secrétaire générale du Syndicat national de la filière déchet (Snefid) . - Le Snefid est un syndicat patronal représentatif des entreprises de la filière du déchet, actif depuis cinq ans, notamment dans le domaine de la formation. Il rassemble des entreprises indépendantes, de petites tailles - très petites entreprises (TPE), petites et moyennes entreprises (PME), entreprises de taille intermédiaire (ETI) - fortement implantées dans les territoires. Ses adhérents sont répartis entre La Réunion, la Martinique, la Guadeloupe et la Guyane.

Les entreprises de la filière du recyclage et de la valorisation des déchets créent de l'emploi, et sont très proches des territoires compte tenu de l'ancrage de leurs métiers, pour beaucoup opérationnels.

Le sujet de la gestion des déchets dans les territoires ultramarins est essentiel. Nos adhérents se sont d'ailleurs félicités de voir votre délégation s'en emparer.

Des problèmes se présentent en matière de répartition du marché. Si la collecte des déchets ménagers ou professionnels revient majoritairement à des opérateurs privés, leur traitement est assuré principalement par des acteurs publics.

La santé financière du secteur est plutôt bonne, quoiqu'en stagnation. Il faut signaler néanmoins certaines difficultés, à commencer par les problèmes de transport qui ont été précédemment cités, liés à la diminution du nombre de dessertes. De manière générale, la gestion du transport a un coût certain. L'aide au fret est à cet égard essentielle.

Nous devons conduire une réflexion, collégialement, sur l'import de produits. Les industriels disposent en la matière d'une faible marge de manoeuvre sur place. Or, il faudrait réfléchir davantage en amont au potentiel de déchets générés par les produits importés, ainsi qu'à la façon dont ils seront traités - pour les produits de couverture dans le secteur du bâtiment, par exemple. En parallèle, une réflexion est aussi à mener sur l'export des déchets plastiques, à l'aune des problèmes posés par son récent blocage.

Il est important de rappeler que, même s'il s'agit d'un déchet, le plastique est composé souvent de matières premières préparées pour le recyclage. Or nous avons encore trop tendance à considérer les déchets comme de simples déchets, à l'aune d'une vision guidée par l'idée de salubrité. Un travail de vulgarisation est à mener sur ce point.

Compte tenu de la répartition des marchés, la santé économique de nos entreprises se heurte par ailleurs à des difficultés récurrentes liées notamment à la longueur des délais de paiement, singulièrement dans le cadre des contrats publics. Ces délais compromettent les achats de matériels, ou l'approvisionnement en pièces détachées et, en définitive, le bon fonctionnement des collectes. Ces tensions se sont aggravées du fait du contexte de crise que nous connaissons, mais elles existaient déjà depuis plusieurs années.

Les entreprises souffrent également de difficultés de recrutement, pour certains métiers comme celui de chauffeur, par exemple, mais également dans l'encadrement intermédiaire. Malgré les formations internes mises en oeuvre, le turn-over reste important. Une réflexion collégiale doit aussi être menée sur ce sujet.

En matière de REP, la nécessité de développer les éco-organismes dans les territoires ultramarins apparaît clairement. Il en existe déjà quelques-uns, mais cette dynamique reste à développer, dans la ligne de la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire (AGEC), qui a mis en avant l'importance de la gestion des déchets dans les territoires ultramarins.

Nos entreprises, installées depuis plusieurs dizaines d'années, sont non seulement spécialistes de la gestion des déchets ménagers et professionnels, mais aussi capables de porter des projets. Un lien gagnerait donc à être noué avec les organismes comme Bpifrance, qui les connaît peut-être mal. Le seul facteur limitant est celui du foncier. En effet, toute installation -  pour la préparation, comme pour le déconditionnement ou le tri - a besoin de foncier. C'est un point sur lequel il faudra travailler.

Les problèmes qui peuvent apparaître sur certains outils de traitement - pour les piles, par exemple - ont été évoqués précédemment. Ces problèmes engendrent des difficultés de stockage, notamment dans les installations classées protection de l'environnement (ICPE), qui perturbent l'organisation des collectes, ce qui est dommageable pour l'ensemble de la filière. Cette difficulté s'est présentée par exemple en Martinique. Il est important d'accompagner les collectivités sur ce sujet.

En réponse à la question de savoir quels seraient les modèles de filière REP à développer, nos adhérents ont insisté sur l'importance de ne pas calquer dans les outre-mer ce qui se fait dans l'Hexagone. Il faut en effet tenir compte des spécificités locales. Nous avons besoin de travailler avec les opérateurs économiques locaux pour envisager des solutions de traitement différentes. Des projets sont ainsi en cours à La Réunion et à la Martinique autour des combustibles solides de récupération (CSR). Le comité stratégique de filière (CSF) a lancé un appel à projets sur le sujet, tout comme l'Ademe. Ces solutions ne doivent pas être écartées, car nous avons besoin de plusieurs outils. Les CSR pourraient en outre constituer une solution de sortie en cas de refus de tri par les entreprises.

Les entreprises que je représente estiment par ailleurs que la question de la gestion des biodéchets, liée à celle de l'autonomie alimentaire, doit constituer une priorité. L'agriculture ultramarine nécessite en effet de nombreux intrants. Des outils structurants doivent être mis en oeuvre pour le retour au sol des matières organiques et des déchets verts. Il faut privilégier cet axe, notamment à La Réunion.

Nos entreprises font preuve en outre d'une grande pédagogie pour expliquer aux producteurs de déchets leurs obligations en matière de tri. Cette démarche porte plus ou moins ses fruits selon les territoires, mais nous constatons une progression, dont il y a lieu de se féliciter. Il faut accompagner les entreprises dans ce mouvement. Une pédagogie doit également être déployée sur la question du budget de la gestion des déchets.

Enfin, il faudra suivre de près les enseignements de l'expérimentation de consigne menée par Citeo en Guadeloupe, l'objectif étant de récupérer davantage de matière plastique à préparer pour un meilleur recyclage.

Mme Viviane Malet, rapporteure . - Serait-il possible d'affréter un bateau assurant une ligne directe entre La Réunion et l'Hexagone pour le transport des déchets dangereux ?

Mme Gisèle Jourda, rapporteure . - Le foncier constitue effectivement un enjeu fondamental outre-mer. Notre délégation s'était d'ailleurs emparée de cette question il y a plusieurs années.

Se pose également la question de l'impact des dispositifs législatifs nationaux et européens sur les territoires ultramarins. Il faut notamment garder à l'esprit les objectifs fixés en matière de transition écologique pour les horizons 2023 et 2027 en matière de gestion des sols et de traitement des pollutions.

Par ailleurs, selon vous, comment pourrions-nous favoriser l'émergence de filières locales de recyclage dans les outre-mer, sachant que des situations différentes peuvent se présenter au sein d'un même territoire ultramarin ? Créer des dispositifs de support et d'accompagnement pour les entreprises et les collectivités vous semblerait-il pertinent pour y parvenir ? Les collectivités locales ont à coeur de faire évoluer ces questions. Des dispositifs d'aides différenciés seraient à cet égard bienvenus. De manière générale, une bonne communication entre les élus et le monde de l'entreprise est essentielle.

Enfin, lorsque des difficultés se présentent pour le traitement des déchets en cas de risques naturels, comment mieux accompagner - avec des dispositifs adéquats - les collectivités locales, les entreprises, mais aussi les populations ? En effet, ces situations ont un impact sur les zones naturelles, d'un point de vue écologique, mais aussi sur la santé de nos concitoyens - par exemple, lorsqu'ils habitent à proximité d'une décharge.

Mme Marie-Laure Phinera-Horth . - La Guyane est confrontée à un important problème d'élimination des VHU. Nous en avons recensé environ 15 000 à une certaine période. Quelles sont vos relations avec l'Association pour le recyclage des déchets de l'automobile en Guyane (Ardag) ? Quelles seraient selon vous les mesures à prendre pour accélérer le traitement de ces VHU ?

Mme Victoire Jasmin, présidente . - La question du traitement des déchets des activités de soins a été peu évoquée.

La longueur des délais de paiement appliqués dans le cadre des contrats publics constitue par ailleurs effectivement un véritable frein.

S'agissant des difficultés de recrutement que vous avez évoquées, notamment pour les chauffeurs, un travail est à mener par les entreprises avec les collectivités pour mieux anticiper les besoins. Vous avez notamment la possibilité, par le biais de vos formations, d'ouvrir davantage de débouchés pour les jeunes et de leur donner ainsi la possibilité de rester dans les territoires.

M. Hervé Mariton . - L'optimisation du tri est un sujet crucial pour la qualité de la collecte, qui implique tant les collectivités que les entreprises et les citoyens.

Pour favoriser l'émergence de filières locales de recyclage, la formulation des appels à projets pourrait être améliorée afin d'augmenter la capacité des territoires ultramarins à y répondre. La méthode des appels à projets est en effet souvent peu adaptée à la réalité de ces territoires, ou s'y adapte avec un temps de retard.

Les déchets plastiques de La Réunion sont destinés désormais à l'Europe et non plus au reste du monde, ce qui a augmenté les coûts de transport associés.

La question de l'élimination des VHU est par ailleurs effectivement très importante, non seulement pour des raisons écologiques, mais également pour le développement de la filière du tourisme. Cela m'a frappé sur l'île de Lifou, en Nouvelle-Calédonie, où je me suis rendu récemment et où le nombre de véhicules hors d'usage, notamment d'autocars, est très important. Cette situation ne sert pas l'attractivité touristique de l'endroit. Un travail est à mener sur ce point.

M. Manuel Burnand . - Nous nous renseignerons sur la possibilité d'affréter un bateau spécifique pour acheminer les déchets dangereux de La Réunion vers l'Hexagone.

S'agissant de la question du foncier, nous pourrions nous inspirer de certaines méthodes de construction verticale - et non plus horizontale - d'outils de recyclage en vigueur en Suisse ou en région parisienne, sachant qu'il faut tenir compte de la nécessaire rapidité d'évacuation requise par ces installations.

Il faut par ailleurs que la région coordonne la vision globale des plans régionaux de prévention et de gestion des déchets (PRPGD), en impliquant tous les acteurs concernés. De manière générale, le partage des connaissances est essentiel.

Enfin, en application des dispositions de la loi « climat et résilience », les constructeurs devront désormais financer la collecte des VHU, ce qui modifiera l'intégralité de la chaîne. Cela implique néanmoins le déploiement d'un marché de pièces de réemploi ou, à défaut, un soutien financier important.

Mme Guénola Gascoin . - La collecte et le traitement des déchets d'activités de soins relèvent des compétences de nos adhérents et obéissent à une réglementation spécifique. Aucune difficulté ne m'a été signalée sur ce point. Je me renseignerai néanmoins.

Le métier de chauffeur est par ailleurs en tension également dans l'Hexagone, tout comme les métiers du secteur de la maintenance. Nous devons trouver des solutions, collégialement, pour remédier à ces difficultés de recrutement.

Mme Victoire Jasmin, présidente . - Merci à tous. Vous pourrez nous transmettre des compléments d'information par écrit.

En Guadeloupe, Sita Verde mène des actions de valorisation des déchets verts. Cette démarche n'est cependant pas optimisée sur l'ensemble de l'archipel.

Mme Guénola Gascoin . - Cela nous a été dit. Il faut optimiser les initiatives mises en oeuvre pour développer le retour au sol et la production circulaire.

M. Stéphane Artano . - Merci à nos intervenants pour leurs réponses. Sur les petits territoires insulaires, nous avons intérêt à réfléchir à des mutualisations entre le secteur public et les acteurs privés. Il faut continuer de manière générale à creuser les pistes proposées par nos territoires sur tous les types de déchets. Merci aussi à nos deux rapporteures pour leurs travaux.

Jeudi 16 juin 2022

Audition de M. Jean Hornain, directeur général de Citeo

M. Stéphane Artano, président . - Nous poursuivons ce matin les auditions pour l'étude relative à la gestion des déchets dans les territoires ultramarins, dont les rapporteures sont Gisèle Jourda, sénatrice de l'Aude, et Viviane Malet, sénatrice de La Réunion.

Nous entendrons Jean Hornain, directeur général de l'entreprise Citeo, qui est un acteur majeur du recyclage et de la valorisation des déchets. Cette société s'engage fortement pour réduire l'impact environnemental des emballages et papiers utilisés en les transformant en de nouvelles ressources, et nous sommes curieux de découvrir ses actions dans les outre-mer compte tenu de son expertise reconnue.

Cette valorisation locale des déchets constitue en effet l'une de nos préoccupations principales, comme l'ont montré les précédentes auditions que nous avons organisées avec la direction générale des outre-mer (DGOM), la direction générale de la prévention des risques (DGPR) et l'Agence de la transition écologique dite « Ademe », ainsi que nos tables rondes avec les associations environnementales et les acteurs économiques.

Mme Viviane Malet, rapporteure . - Nos premières auditions ont mis en évidence le retard pris par les filières à responsabilité élargie du producteur (REP) dans les outre-mer. C'est un constat global très largement partagé, dont les facteurs sont divers, même si les éco-organismes ont évidemment une grande part de responsabilité.

Citeo bénéficie d'une expérience importante, compte tenu de l'ancienneté des filières emballages et papiers et de la part de ces déchets dans nos poubelles.

Pourriez-vous faire un point précis sur la mise en oeuvre de la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire, dite « loi AGEC », du 10  février 2020 ? Le texte prévoit, en effet, que les éco-organismes ont l'obligation de prioriser leurs actions dans les outre-mer, dans le but de rattraper le retard accumulé. Où en sommes-nous, en particulier du développement des plans ad hoc de rattrapage en trois ans ? Le calendrier et les obligations sont-ils tenus ?

Qu'en est-il également du nouveau cahier des charges de la filière REP des emballages ménagers ? Alors qu'il a été révisé il y a quelques semaines, il fait l'objet d'un recours devant le juge administratif, car les missions accordées à Citeo soulèvent de nombreuses craintes, notamment de la part des collectivités territoriales. Ce cahier des charges prend-il en compte les spécificités des outre-mer ? Vous paraît-il adapté à leur situation particulière ?

Mme Gisèle Jourda, rapporteure . - Monsieur le président, nous sommes heureux que vous puissiez assister à cette réunion en présentiel. Je salue également la présence du directeur général, qui pourra nous éclairer sur le retard pris par les filières REP dans les outre-mer. Lors des précédentes auditions, il est apparu qu'il restait difficile de faire émerger des filières locales de recyclage, rentables et bien dimensionnées.

Je souhaiterais que vous nous apportiez votre éclairage sur ce point qui est fondamental si l'on veut que nos outre-mer sortent de leur dépendance extérieure en matière de recyclage. Cet objectif mobilise toute l'attention de notre mission.

La question est-elle celle du financement ou relève-t-elle de l'ingénierie ? Quelles actions Citeo a-t-elle engagées pour développer des filières locales ? Nous avons noté qu'un appel à manifestation d'intérêt avait sélectionné dix-sept projets dans les départements et régions d'outre-mer (DROM). Quelle est la nature et l'ampleur du soutien, aussi bien financier que technique, apporté à ces projets par Citeo ?

Je m'interroge aussi sur la possibilité pour Citeo d'apporter un soutien financier au transport inter-îles des déchets. En effet, à l'échelon régional, la massification des volumes représente un enjeu considérable et le transport inter-îles un défi qui surenchérit largement les coûts de traitement.

L'entreprise Citeo a-t-elle envisagé cette solution, comme semble l'y inviter l'article 64 de la loi AGEC, qui dispose que « les éco-organismes exerçant leurs activités au sein de la collectivité de la Guadeloupe prennent en charge, le cas échéant, les coûts de transport des îles de Marie-Galante, la Désirade, Terre-de-haut et Terre-de-bas vers la Guadeloupe dite "continentale" » ?

À ce sujet, je tiens à insister sur la situation particulière de la Guadeloupe. Les trajets entre Marie-Galante ou La Désirade et l'île principale, considérée comme le continent par les jeunes, sont très longs avec des effets de courants maritimes impressionnants. Mes collègues Victoire Jasmin et Victorin Lurel pourraient en témoigner. Pouvez-vous nous éclairer sur ce point ?

M. Jean Hornain, directeur général de l'entreprise Citeo . - Je suis accompagné de Thibault Boucher, conseiller aux affaires publiques, qui gère notamment les relations avec les élus, et de Philippe Moccand, directeur outre-mer de Citeo chargé des schémas des collectes et de tri.

Citeo est une entreprise à mission dont l'objectif est de réduire l'impact environnemental des emballages ménagers et des papiers graphiques. Nous exerçons cette mission depuis trente ans dans le cadre de la REP, qui oblige les entreprises mettant sur le marché des produits dotés d'un emballage à assurer la fin de vie de celui-ci par la réduction, par le recours au réemploi et par le recyclage. Citeo compte 30 000 entreprises réparties sur l'ensemble du territoire français. Ces dernières contribuent à cette mission quel que soit le matériau traité - le verre, l'acier, l'aluminium, le carton, les papiers, les résines plastiques -, et apportent un financement pour réaliser de l'éco-conception et de la mobilisation. Citeo passe des accords avec les collectivités territoriales, soit un peu moins de 700 avec des communautés de communes et des communautés d'agglomération. Notre spécificité est que nous intervenons financièrement auprès de ces acteurs. Notre activité est encadrée par un cahier des charges et, au sein de ces partenariats, les collectivités territoriales mettent en place les dispositifs qui permettent de collecter, trier et recycler les emballages ménagers.

S'agissant des outre-mer, nous intervenons à La Réunion, la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane, Mayotte, Saint-Martin et Saint-Pierre-et-Miquelon, territoires qui représentent environ 1,8 million d'habitants. Nous avons passé un accord avec dix-huit établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) et nous sommes « en pourvoi », c'est-à-dire directement acteurs, dans trois territoires plus difficiles - deux en Guyane et un à Mayotte.

Viviane Malet a souligné, à juste titre, que les filières REP connaissaient des retards dans les départements et collectivités d'outre-mer (DOM-COM), comme le montrent leurs performances de collecte et de tri, elles-mêmes très disparates. Ainsi, la France collecte et trie en moyenne 50 kilogrammes d'emballages par an et par habitant, mais La Réunion seulement 25, la Martinique ou la Guadeloupe environ 15 et Mayotte 2, soit globalement le tiers de la performance de l'Hexagone.

Plusieurs facteurs d'explication peuvent être dégagés.

Tout d'abord, les filières REP ont été développées plus tard dans les outre-mer. Pour la filière REP emballages ménagers, La Réunion a commencé la première en 2003 et réalise d'ailleurs les meilleures performances, les Antilles ont commencé en 2010, la Guyane et Mayotte en 2015, contre le début des années 1990 pour le reste du territoire.

Ensuite, s'agissant de la mise en oeuvre de ces filières dans les DOM-COM, c'est le modèle appliqué dans l'Hexagone qui a été repris. Or celui-ci ne prenait pas nécessairement en compte les spécificités locales, insulaires ou territoriales, comme les cirques à La Réunion, les forêts immenses de la Guyane, et les différences de niveau de population - 800 000 habitants à La Réunion, 6 000 ou 7 000 à Saint-Pierre-et-Miquelon, peut-être 30 000 habitants à Saint-Martin.

Néanmoins, en ce qui nous concerne, des modalités particulières d'intervention ont toujours existé, notamment pour le soutien aux collectivités territoriales, différentes de celles qui sont en vigueur dans l'Hexagone.

Quels sont nos modes d'intervention ?

Le premier est le soutien à la tonne. Un EPCI collecte et trie des tonnes d'emballages ménagers et de papiers que nous payons ensuite selon un barème déplafonné, équivalant au double de celui de l'Hexagone. Nous incitons ainsi les collectivités territoriales à développer la collecte.

Le deuxième mode d'intervention est la reprise des matériaux, y compris en Guadeloupe continentale, dont vous avez souligné la spécificité. Nous assurons la reprise des matériaux et nous les envoyons dans l'Hexagone ou ailleurs.

Les plans d'actions territoriaux (PAT) sont un autre mode d'action que nous avons lancé en 2018. Ces PAT sont discutés et négociés avec les collectivités territoriales, l'Ademe et l'État. On en compte soixante, qui représentent une vingtaine de millions d'euros d'investissement. Ce sont des plans spécifiques de densification des points de collecte et de mobilisation des citoyens, auxquels les collectivités territoriales peuvent participer. En plus des soutiens à la tonne déjà évoqués, nous payons un montant par habitant, définis selon un barème standard, pour accompagner ces plans spécifiques.

Nous prenons aussi en charge des actions de communication spécifiques et nous bâtissons des plans de communication. Celui que nous venons de réaliser en Guadeloupe comporte une affiche publicitaire rédigée en créole. À La Réunion, nous avons passé un accord avec l'humoriste Titi le comik, que j'ai rencontré récemment. L'objectif est de réaliser des supports adaptés aux territoires.

Comme autre moyen d'action, nous lançons des appels à projets et des appels à manifestation d'intérêt (AMI), qui concernent la métropole et les DOM-COM. On peut citer celui sur le développement du réemploi du verre, pour lequel un acteur de La Réunion s'est porté candidat, ou celui sur la collecte solidaire et innovante, réalisé en partenariat avec l'Ademe, pour lequel quatre ou cinq projets viennent des DOM-COM.

Vous avez cité les appels à manifestation d'intérêt dédiés à la valorisation locale, sujet qui gagne en importance. En effet, y a-t-il encore un sens à collecter 12 000 tonnes de verre à La Réunion pour les stocker dans des conteneurs et les expédier ensuite en Afrique du Sud afin qu'elles y soient recyclées, ou bien à envoyer des cartons d'emballage depuis les Antilles ou la Guyane jusqu'en métropole ? Le bon sens voudrait que l'on reconnaisse l'existence de solutions de valorisation locale, qui ne sont pas toujours ce que l'on appelle du recyclage.

Prenons l'exemple du verre. Il y a quelques semaines, j'étais à La Réunion et, parmi les lauréats de notre appel à projets, figurait la société Sud Traitement Services (STS), qui produit un additif servant à la fabrication du béton à partir du verre réduit préalablement en poudre par ses soins. Dans la mesure où il existe un marché local, cette solution de valorisation du verre apporte une valeur ajoutée tout en évitant un bilan économique et environnemental médiocre, et cela par l'intermédiaire d'une entreprise locale prête à développer cette activité.

Les dix-sept lauréats de notre appel à manifestation d'intérêt, dont vous avez parlé, proposent des projets comparables, qui ont trait au carton, au verre ou aux plastiques. Il peut aussi s'agir de valorisation des combustibles solides de récupération (CSR). Certes, il existe une hiérarchie générale des modes de traitement des déchets, mais, dans les îles, si l'on tient compte de l'impact environnemental et de la valorisation énergétique, il n'y a guère de sens à mettre des emballages - même plastiques - sur des bateaux pour les envoyer vers l'Hexagone.

Nous voudrions encourager, dans ces territoires, les projets de valorisation énergétique CSR et éviter ainsi d'importer du charbon. Pour revenir à l'exemple de La Réunion, il existe un projet dans le sud de l'île.

Il faut un projet dans le nord de l'île : une unité de traitement de Suez gère les emballages et fabrique du CSR, mais l'envoie ensuite à l'enfouissement, dans une décharge déjà pleine, à des coûts prohibitifs ; j'aurai l'occasion d'évoquer par la suite la difficulté supplémentaire posée par la TGAP. Développer des unités de valorisation énergétique prend dès lors tout son sens.

Un dernier mode d'intervention, issu de la loi AGEC et des dispositions européennes, a trait aux déchets abandonnés. Notre responsabilité est d'aider les collectivités territoriales à développer des plans de prévention et de contribuer aux coûts de nettoiement, conformément à la loi qui s'appliquera sur l'ensemble du territoire en 2023 et qui s'applique déjà de manière rétroactive depuis 2021 dans les DOM-COM.

Afin de mobiliser les territoires d'outre-mer, j'ai signé, il y a quelques semaines, un projet avec Saint-Denis de La Réunion ; un autre est en cours de signature à Mamoudzou, à Mayotte, et d'autres sont en gestation pour les parcs naturels de Guadeloupe et de Guyane. Nous avons proposé par écrit aux maires et aux présidents d'établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) d'intervenir pour collecter les déchets abandonnés via une convention-cadre.

Vous m'avez interrogé sur le bilan de la loi AGEC. Du fait de l'augmentation du soutien à la tonne, nous couvrons 100 % du coût de collecte et de tri, ce qui n'était pas le cas auparavant. La modification du cahier des charges de la filière responsabilité élargie des producteurs (REP) pour les emballages ménagers est-elle adaptée à la situation des COM ? Les résines plastiques pour lesquelles nous ne disposons pas de solution de recyclage représentent un tiers du total, soit environ 100 000 tonnes ; les collectivités locales pourraient confier ces déchets aux entreprises agréées, afin d'accélérer le développement des filières de recyclage.

Les nouvelles dispositions n'ont pas de conséquence majeure pour les collectivités que nous soutenons toujours financièrement et dont nous reprenons les déchets. Les opérateurs de collecte et de tri, à l'inverse, via le recours qu'ils ont déposé, souhaitent que nous nous limitions à l'aspect financier. J'estime pour ma part que notre rôle est de soutenir les collectivités et de les inciter à développer des projets. Toutefois, les solutions n'adviennent pas par magie, par le seul marché, sans notre financement. Nous ne sommes pas un opérateur de tri et de recyclage.

Vous m'avez également interrogé sur les filières locales de recyclage. Il s'agit pour nous d'un élément majeur, comme j'ai pu l'illustrer avec les PAT et les AMI. Le soutien que nous apportons est non pas seulement financier, mais aussi technique. Nous facilitons la mise en oeuvre de projets au sein des collectivités, notamment en leur proposant un accompagnement à l'investissement.

En matière de financement et d'ingénierie, le cadre réglementaire et législatif prend en compte la spécificité des DOM-COM. Des améliorations sont sans doute possibles, mais la volonté politique est là. De fait, les moyens financiers ont été multipliés par trois.

La capacité d'exécution est cruciale ; les collectivités locales doivent être en mesure de mener les projets, grâce aux PAT, aux AMI et aux dispositifs de collecte des déchets abandonnés. Des difficultés d'organisation demeurent, par exemple lorsque plusieurs syndicats de traitement interviennent sur un territoire restreint, alors que leur mutualisation permettrait d'aller plus vite, même si cela peut être compliqué politiquement.

Nous avons sollicité les collectivités au sujet des déchets abandonnés : pour l'instant, malgré l'existence de financements et une indéniable volonté d'avancer, relativement peu de projets sont menés.

Mme Gisèle Jourda, rapporteure . - Quel accompagnement envisagez-vous pour éliminer les décharges sauvages, problème réel dans nos départements ultramarins ?

M. Jean Hornain . - Pour éviter l'abandon des déchets, nos premiers axes de travail sont la réduction à la source, voire la suppression des emballages et le développement de l'écoconception. Nous y oeuvrons en lien avec les entreprises.

Le second axe est le développement de la collecte. Il s'agit, avec le tri, du meilleur rempart. Nous menons un travail majeur avec les élus, qui sont responsables des dispositifs de collecte, que ce soit au travers des PAT ou des soixante projets de densification que nous conduisons.

Cela n'a pas uniquement trait au soutien à la tonne. Il faut créer dans nos territoires d'outre-mer le réflexe du tri, qui n'est pas encore constitué, pour des raisons diverses. À La Réunion, beaucoup d'habitants trient, mais leurs erreurs sont problématiques. Dans les Antilles, la motivation tout comme le dispositif demeurent absents.

Enfin, s'agissant des décharges sauvages, nous proposons aux collectivités qui ont un projet de prévention une convention type qui prévoit un soutien en euros par habitant. La mise en oeuvre est relativement simple.

Mme Gisèle Jourda, rapporteure . - Dans les décharges sauvages, tout est mélangé, or vous intervenez sur les emballages. Comment votre intervention peut-elle être efficace ?

M. Jean Hornain . - Les dépôts sauvages concernent rarement les emballages, mais plutôt des déchets du bâtiment ou de l'électroménager.

Nous avons visité les quartiers de Saint-Denis de La Réunion avec la maire de la ville, Ericka Bareigts, pour réfléchir à l'installation de poubelles, à la sensibilisation des employés municipaux aux sujets relatifs à la prévention et au repérage des lieux d'abandon de déchets. Si les emballages de la vie quotidienne sont notre spécialité, nous pouvons apporter notre expertise aux élus sur d'autres problématiques.

Au-delà de la propreté, les déchets abandonnés sont un enjeu sanitaire, en particulier à La Réunion et en Guadeloupe.

Mme Viviane Malet, rapporteure . - J'habite à Saint-Pierre de La Réunion. Trois boutiques se trouvent en face de chez moi : le lundi matin, entre les morceaux de verres, les bouteilles en plastique et les bouts de papier, le trottoir est couvert de déchets. Les collectivités pourraient-elles, à l'échelle du quartier, mettre en place des chantiers d'insertion, créateurs d'emploi et de formation, que vous pourriez financer ?

M. Jean Hornain . - Nous pouvons tout à fait mettre en place une telle convention type avec la collectivité.

Plus généralement, l'éducation à l'éco-citoyenneté est un vrai sujet : dans certains pays, l'abandon de déchets est sanctionné de manière plus appuyée. Nous intervenons dans les écoles via des associations : chaque année, 1,5 million d'enfants sont concernés sur l'ensemble du territoire. Nos opérations de sensibilisation sont notamment menées avec l'association Expédition 7 e continent et le WWF. Le moindre déchet, y compris un mégot de cigarette qui se retrouve dans la nature, est un véritable drame pour l'environnement, dans les DOM-COM ou ailleurs.

Nous réfléchissons, avec l'éducation nationale, aux manières de renforcer les leviers d'éducation à l'éco-citoyenneté, pour en faire un sujet central au quotidien.

Mme Viviane Malet, rapporteure . - Travaillez-vous aussi les bailleurs ?

M. Philippe Moccand, directeur de la collecte et du tri chez Citeo . - Nous travaillons avec l'ensemble des bailleurs, sur tout le territoire. Nos partenariats prennent la forme d'un triptyque : Citeo, collectivités locales, bailleurs sociaux.

M. Jean Hornain . - Nous sommes implantés localement, et chaque territoire est confié à un spécialiste. Un lien direct est ainsi entretenu avec les élus et le terrain. Nous avons parlé d'impulsion politique : il faut parvenir à une mobilisation générale. Les leviers existent, il faut s'en saisir.

M. Stéphane Artano, président . - Je salue les membres du groupe d'études « Économie circulaire », notamment sa présidente, Marta de Cidrac et son vice-président Didier Mandelli, présents en visioconférence, ainsi qu'Yves Détraigne, en présentiel.

Qu'en est-il du fléchage de la TGAP ?

M. Jean Hornain . - Je vais être direct. Il m'a été expliqué en long, en large et en travers qu'il était impossible de flécher la TGAP. Or, j'estime que cela devrait être possible, en particulier dans les territoires ultramarins.

Je suis plutôt favorable à l'augmentation de la TGAP, malgré les protestations que cela provoque. L'enfouissement doit être arrêté d'ici à une décennie ; or, dans nos territoires ultramarins, il demeure un mode majeur de traitement des déchets. Il faut développer des solutions de valorisation locale, en acceptant que le tout recyclage n'est pas une solution mais que la valorisation en est une, car elle permet d'éviter l'importation de charbon ou d'autres énergies fossiles. Selon les territoires, la hiérarchie de traitement des déchets doit être différente. Il faut accepter que la TGAP, dont le montant s'élève à plusieurs millions d'euros, puisse soutenir des solutions locales. Je suis conscient que c'est un sujet délicat, mais il serait logique que la fiscalité environnementale puisse servir à la transition écologique.

La tarification incitative permettrait d'encourager nos concitoyens à réduire la quantité de déchets ménagers. Cela fonctionne dans un certain nombre de collectivités, et je suis favorable à ce que ce soit appliqué dans les DOM-COM.

Il me semble que le Sénat est favorable au fléchage de la TGAP...

Mme Viviane Malet, rapporteure . - Nous avons baissé son taux. À La Réunion, où règne le tout enfouissement, nous finaliserons l'année prochaine un projet d'unité de valorisation énergétique (UVE), mais l'augmentation de la TGAP nous semble peu incitative : nous souhaiterions la flécher vers les filières de recyclage sur le territoire. Pour l'instant, faute de solution de rechange, nous trouvons injuste l'augmentation de la TGAP.

M. Jean Hornain . - Je connais votre projet dans le sud de La Réunion : il en faut également un dans le Nord. L'usine de Suez, qui produit du CSR, l'envoie à enfouissement alors que celui-ci peut être valorisé. Il est difficile de monter une UVE dans le Nord alors que la TGAP augmente et que les décharges sont pleines, ce qui induit des coûts supplémentaires. Votre projet est un modèle : si vous pouviez exercer votre influence pour le dupliquer...

Mme Viviane Malet, rapporteure . - Je pense qu'il n'y a plus qu'un projet en cours ; il devrait être mutualisé, afin de servir pour toute l'île. Il me semble qu'un accord en ce sens a été passé il y a quelques mois.

M. Jean Hornain . - C'est d'autant plus important que, en 2026, il sera demandé à tous les habitants de nos territoires ultramarins de mettre l'intégralité de leurs emballages dans le bac de tri. Cela intervient en décalage avec l'Hexagone, où le processus se terminera en 2023, et doit mener à la valorisation des éléments triés. Il ne s'agit pas seulement de recyclage, mais de réemploi local : j'ai cité l'exemple du verre, mais beaucoup d'autres ont émergé dans le cadre de l'appel à manifestations d'intérêt. Certains vont ainsi fabriquer de la paillette pour alimenter des unités de fabrication d'emballages plastiques.

M. Philippe Moccand . - L'objectif pour Citeo est de reproduire cet appel à manifestations, afin de faire émerger de nouvelles filières. Nous avons la chance que, parmi les 17 premiers lauréats, tous les territoires soient représentés et tous les matériaux concernés.

Comme Jean Hornain l'a expliqué, le plastique peut servir à faire de la paillette, mais également des films pour les filières locales, en particulier à La Réunion. Le carton sert surtout à fabriquer des boîtes alvéolées - boîtes d'oeufs - pour la filière alimentaire en Guyane, à Mayotte et à La Réunion, mais aussi à produire de la pâte à carton en vue de l'export et peut même être utilisé comme combustible dans des unités de CSR ou de valorisation énergétique.

Mme Gisèle Jourda, rapporteure . - Sur ce type de projets, quel accompagnement pouvez-vous apporter ?

M. Philippe Moccand . - Pour ce projet, nous avons défini deux types de parcours. Le premier : le parcours « développement », destiné à ceux qui nécessitent un accompagnement technique et une mise en relation avec des experts. Les premiers lauréats sont en ce moment même à Paris, où on les fait « phosphorer » pendant trois jours dans un incubateur avec des groupes d'experts. Ils sont formés sur le plan technique, mais aussi financier, afin de développer un business model qui puisse fonctionner à terme.

Second parcours, destiné à l'ensemble des candidats : l'étude de faisabilité, au cours de laquelle nous identifions les projets les plus viables pour les territoires. Nous accompagnons ensuite financièrement ceux qui ont été sélectionnés.

Mme Viviane Malet, rapporteure . - Les contenants de certaines boissons ne pourraient-ils pas être standardisés ?

M. Philippe Moccand . - Votre question entre pleinement dans le champ de notre action pour le réemploi. Nous travaillons à La Réunion avec l'entreprise Réutiliz sur la réutilisation des petits flaconnages, mais aussi avec cette fameuse marque de bière Dodo, afin de densifier le réemploi et d'augmenter les capacités captées. On sait qu'un verre bien collecté, trié et nettoyé peut être recyclé pratiquement à l'infini : c'est notre objectif. Par ailleurs, le travail avec les metteurs en marché pour standardiser les contenants doit se développer.

M. Jean Hornain . - Revenons à l'exemple de la Dodo, dont le système de gratification est intéressant : en donnant quelques centimes aux personnes qui rapportent les bouteilles vides, ils parviennent à en collecter environ 70 %. Mais, spécificité de l'outre-mer, énormément de produits sont importés, de marques très diversifiées ; cela pose une limite à la standardisation.

Mme Viviane Malet, rapporteure . - Mais ne serait-il pas envisageable, pour les boissons fabriquées localement - jus de fruits, limonade -, de développer les mêmes contenants que pour la bière Dodo ?

M. Philippe Moccand . - Pour vous répondre, je vais prendre l'exemple d'une autre boisson alcoolisée : dans les Antilles, nous avons travaillé avec plusieurs rhumiers pour standardiser les bouteilles, mais nous nous sommes heurtés à l'attachement des marques à leurs modèles bien spécifiques, car ils valorisent les produits sur le plan du marketing. L'idéal serait d'avoir un seul modèle de bouteille, mais la logique commerciale rend malheureusement la chose compliquée.

Au-delà de cela, il faut créer des unités de lavage et de réutilisation dans tous les territoires : seule La Réunion est actuellement dotée d'une unité en fonctionnement.

M. Jean Hornain . - Pour avancer sur la question du réemploi, il va falloir standardiser. Nous menons un travail à l'échelle nationale pour la standardisation des emballages de boissons, de produits frais et de restauration rapide. Nous n'obtiendrons pas l'instauration généralisée d'emballages uniques - je pense à des produits un peu iconiques -, mais ce sera le cas pour certains produits.

M. Thibault Boucher, conseiller aux affaires publiques de l'entreprise Citeo . - Nous jouons également un rôle d'accompagnement réglementaire des entreprises, pour lesquelles les lois AGEC et Climat et résilience ont créé un certain nombre d'obligations et d'interdictions. Nous proposons ainsi aux entreprises des formations sous forme de webinaires, à des horaires adaptés aux outre-mer. Certaines, sur des sujets spécifiques, sont réalisées en partenariat avec des acteurs locaux, comme l'Association pour le développement industriel de La Réunion (ADIR).

Par ailleurs, nous essayons de créer d'autres liens locaux, par exemple avec la Direction de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DEAL) de Guadeloupe, afin de renforcer notre offre de formation et de mieux nous faire connaître.

M. Stéphane Artano, président . - Monsieur Hornain, vous avez parlé de tarification incitative ; pensiez-vous à une taxe à l'entrée des produits sur le territoire ? Le cas échéant, ce dispositif risque d'alimenter le fort niveau d'inflation en outre-mer. Quels types de produits et d'emballages pourraient être concernés ?

M. Jean Hornain . - Non, je pensais seulement aux modèles que je connais et qui se développent, dans lesquels l'habitant va par exemple payer son bac d'ordures ménagères en fonction du nombre de levers de bac.

Mme Gisèle Jourda . - Pouvez-vous nous dire où vous en êtes sur la question de la consigne ?

M. Jean Hornain . - Cela a fait l'objet de beaucoup de débats en 2019. Sur l'ensemble du territoire, environ 60 % des bouteilles en plastique jetées sont actuellement collectées ; les objectifs fixés par la loi AGEC sont de 77 % en 2025 et de 90 % en 2030. Pour les atteindre, la consigne est un outil indispensable.

En Allemagne, 25 centimes sont restitués lorsque la bouteille ou canette consignée est déposée dans un point de vente quelconque. Cela a un effet incitatif colossal sur le taux de collecte : même si une bouteille est abandonnée, elle sera récupérée par quelqu'un pour la déconsigner.

Une question d'équilibre économique sous-tend ce système, qui demande des investissements, comme la mise en place de gros bacs jaunes. Mais, en tout état de cause, le sujet reviendra en 2023 sur le plan national pour décider si la consigne sera systématisée, en particulier sur les bouteilles plastiques et les canettes.

Grâce à l'initiative de la vice-présidente de région Sylvie Gustave-Dit-Duflo, la Guadeloupe part avec une légère avance, car nous avons mené pendant plusieurs mois des travaux avec les metteurs en marché - ce sont eux qui doivent assurer le paiement et l'opérationnalité du système -, pour définir les conditions d'organisation d'un système de consigne. Mais, compte tenu de l'échéance, la Guadeloupe pourrait finalement se rattacher au calendrier de la décision nationale.

Nous avons donc bien étudié, avec les partenaires locaux et en liaison avec l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), le cas, assez particulier je dois dire, de la Guadeloupe : il nous a fallu tenir compte de la quantité, propre à une île, de produits importés, qui nécessitent un dispositif de contrôle pour éviter une fraude massive.

Mme Jocelyne Guidez . - Vous occupez-vous seulement de traiter les emballages ou construisez-vous aussi des déchetteries ? J'habite la Martinique, notamment le Diamant, où sont brûlés des plastiques et autres déchets dans des déchetteries ouvertes, ce qui pose des questions d'hygiène : n'y a-t-il pas un risque de maladies ?

M. Jean Hornain . - Notre domaine d'intervention est l'emballage ménager, c'est-à-dire celui qui arrive entre les mains du consommateur. Certains de nos collègues s'occupent des déchetteries et sont opérationnels, mais ce n'est pas notre rôle. En ce qui nous concerne, nous payons les collectivités territoriales et, surtout, les EPCI, qui ont la maîtrise d'ouvrage et sont chargées des bacs de collectes. Nos emballages ne terminent pas dans les déchetteries, car ils passent dans des points de collecte, chez les particuliers ou dans l'espace public.

Mme Marta de Cidrac . - Vous arrive-t-il de trouver des déchets dangereux parmi les déchets ménagers ? Lors d'un récent déplacement en Mayenne sur l'initiative de notre collègue Guillaume Chevrollier, des représentants de l'entreprise Séché, spécialisée dans le traitement des déchets, nous ont alertés sur cette question qui a, semble-t-il, des incidences sur l'ensemble de la chaîne de tri.

M. Jean Hornain . - Oui, nous retrouvons régulièrement, dans les centres de tri, un peu de tout dans les déchets, y compris des seringues ou même des bonbonnes de gaz... Ce qui a une incidence à la fois sur la qualité des matières et sur la sécurité des opérateurs.

Nous nous trouvons à un moment particulier où nous disons aux habitants de mettre tous leurs emballages dans leur bac de tri, ce qui est parfois interprété comme « mettez tout dans le bac de tri ». Cela entraîne ce que nous appelons des « refus » en centre de tri, dont le taux est d'environ 20 %, parmi lesquels se trouvent effectivement quelques déchets dangereux.

M. Stéphane Artano, président . - Nous vous remercions pour vos réponses qui pourront être utilement complétées par les documents écrits que vous voudrez bien transmettre à nos rapporteures.

Jeudi 16 juin 2022

Audition de M. Nicolas Garnier, délégué général d'Amorce

M. Stéphane Artano, président . - Nous poursuivons nos auditions pour l'étude relative à la gestion des déchets des territoires ultramarins.

Nous entendons à présent Nicolas Garnier, délégué général de l'association Amorce, qui accompagne les collectivités sur l'ensemble de leur compétence pour la gestion des déchets ménagers. Son réseau d'information, de partage d'expériences et d'accompagnement des collectivités et des acteurs locaux en matière de gestion territoriale des déchets en fait l'un des experts de ce sujet.

Monsieur le délégué, vous avez reçu une trame pour préparer cette audition.

Je cède sans plus tarder la parole à nos rapporteures, Gisèle Jourda, sénatrice de l'Aude, et Viviane Malet, sénatrice de La Réunion, afin qu'elles précisent leurs questions. Puis vous aurez le temps de leur répondre, avant de traiter les questions de nos autres collègues.

Mme Viviane Malet, rapporteure . - Nous venons d'entendre Jean Hornain de Citeo. Nous entendrons la semaine prochaine les représentants de plusieurs filières REP lors d'une table ronde, mais, d'ores et déjà, le constat d'un retard important des filières REP dans les outre-mer, lorsqu'elles existent, s'impose.

Je souhaiterais avoir vos retours et votre analyse sur cet enjeu particulier de l'action des éco-organismes dans les territoires ultramarins.

Parmi les nombreuses questions qui vous ont été adressées, j'attends que vous fassiez un point précis sur la mise en oeuvre de la loi anti-gaspillage et économie circulaire (AGEC) de 2020.

En effet, cette loi fait obligation aux éco-organismes de prioriser leurs actions dans les outre-mer, afin de rattraper le retard accumulé. Ma question principale porte donc sur le premier bilan de mise en oeuvre de cette loi dans les outre-mer. Où en sommes-nous, en particulier pour développer des plans ad hoc de rattrapage en trois ans ? Le calendrier et les obligations sont-ils tenus ? Les éco-organismes vous paraissent-ils au rendez-vous de cette loi ?

Je souhaiterais aussi évoquer le nouveau cahier des charges de la filière REP Emballages. Ce dernier a été révisé voilà quelques semaines et fait l'objet de recours devant le juge administratif, notamment de la part d'Amorce. Pourriez-vous nous faire un point sur les raisons de ce recours contre ce cahier des charges, qui inquiète de nombreuses collectivités territoriales? Par ailleurs, ce cahier des charges vous paraît-il mieux adapté aux outre-mer ?

Mme Gisèle Jourda, rapporteure . - Monsieur le président, mes chers collègues, monsieur le délégué général, l'association Amorce est en prise directe avec les collectivités territoriales et leurs groupements pour faire remonter les bonnes pratiques et identifier les difficultés communes. La gestion des déchets, qui est au coeur des services publics du quotidien, figure au premier rang de vos préoccupations, alors même que cette politique publique se transforme à marche forcée depuis quelques années.

Un questionnaire vous a été transmis pour guider votre exposé sur notre sujet.

Sans reprendre toutes nos interrogations, je souhaite insister sur quelques points.

En premier lieu, j'aimerais avoir votre avis sur la gouvernance locale de la gestion des déchets. Avez-vous des retours montrant des difficultés de coordination des acteurs pour développer des filières complètes ? La répartition actuelle entre la région, les EPCI, les syndicats mixtes et le pouvoir de police du maire vous paraît-elle perfectible ? Avez-vous des observations ou des propositions émanant des acteurs locaux des DROM-COM ?

En second lieu, je désire avoir votre retour sur les dépôts sauvages, qui constituent un fléau dans de nombreux outre-mer. La réglementation administrative et pénale vous paraît-elle adaptée pour lutter contre les dépôts sauvages ? En outre-mer, comment les éco-organismes pourraient-ils prendre en charge financièrement l'élimination des dépôts sauvages, dont le coût pèse actuellement sur les finances des collectivités territoriales ?

M. Nicolas Garnier, délégué général d'Amorce . - Monsieur le président, je vous remercie de votre invitation. Il faut savoir que les outre-mer ont toujours été perçus comme la dernière roue du carrosse en matière de REP. Depuis la création des éco-emballages en 1992, l'histoire des REP va s'accélérer grâce ou à cause d'Amorce, puisque nous sommes à l'origine de la quasi-totalité des dispositifs de REP en France qui ne viennent pas de directives européennes. Trois ont été imposés par des règles européennes : emballages, déchets électroniques, piles et accumulateurs. Les autres sont des dispositifs nationaux, qui ont été créés par amendements parlementaires.

À cet égard, je tiens à rendre hommage au Sénat, qui a joué un rôle prépondérant depuis quinze ans pour créer, notamment, la REP textile ou la REP mobilier. Certaines REP sont actuellement en cours de mise en place, comme la REP chewing-gum ou la REP textiles sanitaires, que nous avons arrachée grâce à l'apport du Sénat, voilà maintenant trois ans. Il faut savoir que ces derniers représentent 40 à 50 kilogrammes par an par habitant en France, à peu près au même niveau que le gisement des emballages.

Aujourd'hui, un Français produit chaque année à peu près 600 kilogrammes de déchets, avec des disparités très importantes entre le monde urbain et le monde rural : on est plutôt autour de 800 kilogrammes par habitant dans le monde urbain dense et autour de 450 kilogrammes dans le monde rural. On peut dire qu'à peu près un tiers de la production de déchets des Français, métropole et DROM, est soumis à des dispositifs de REP. J'ai oublié en introduction de mentionner la REP bateaux, avec les fusées de détresse, qui concernent particulièrement les DROM.

Il faut savoir que le système de REP à la française est un système extrêmement peu contraignant. La seule contrainte, c'est l'obligation de contribuer sous la forme d'une éco-contribution sur le barème, ce que l'on appelle le barème amont, pour tout metteur sur le marché d'un produit. Cette éco-contribution est levée sur le consommateur, et le niveau est discuté par les éco-organismes. On peut dire que c'est une délégation du service public de l'État. Mais, entre ce qu'il y a dans la loi et le cahier des charges, il y a souvent un gouffre au sortir des négociations, car l'État a tendance à assouplir sa position.

Par ailleurs, les objectifs environnementaux sont, d'une part, souvent flous, et, d'autre part, rarement ambitieux.

Enfin, l'État ne fixe pas d'objectifs par territoire. C'est ce qui est le plus problématique pour les outre-mer, où le développement des filières coûte plus cher, notamment en raison de l'insularité.

En somme, l'éco-organisme, mandataire du metteur sur le marché, qui n'est pas tenu par un objectif territorial, n'est pas incité à produire son effort, par exemple, en Guadeloupe, où il va payer plus cher pour un même résultat qu'en métropole, sachant qu'il n'y a de toute façon pas de véritable sanction s'il n'atteint pas son résultat global. L'éco-organisme va chercher en priorité à recycler la tonne du Grand Paris ou du Grand Lyon, ce qui lui permettra d'optimiser ses coûts.

Nous avons donc besoin de cahiers des charges plus contraignants, avec un véritable système de sanctions, et des objectifs fixés par DROM.

Les objectifs par DROM mériteraient certes d'être différenciés : on ne peut exiger de Mayotte, qui commence à peine à recycler, une performance semblable à celle d'un territoire métropolitain qui recycle depuis 1992.

Cela étant, le seul fait de fixer un objectif aurait pour effet de contraindre l'éco-organisme à se donner les moyens de l'atteindre. Nous créerions alors, en quelque sorte, une obligation de faire dans ces territoires. Le fait qu'un certain nombre d'entre eux n'aient jamais pratiqué la collecte sélective avant 2020 s'explique par le fait que les éco-organismes n'ont jamais ressenti d'obligation de généraliser la collecte ni d'atteindre le moindre objectif dans les DROM.

Malgré le dispositif d'accompagnement spécifique prévu par la loi AGEC pour les outre-mer, je doute fort qu'un acteur comme Citeo mobilise aujourd'hui les moyens suffisants pour atteindre 75 % de recyclage en Guyane, en Guadeloupe ou en Martinique. Au contraire, selon nos calculs, le taux de prise en charge financière de la collecte sélective et du tri des emballages dans les DROM est inférieur à 20 % du coût réel. La loi française prévoit pourtant un financement, par l'éco-organisme, des coûts optimisés à hauteur de 80 %, mais ces coûts s'entendent selon le référentiel national qui n'est pas représentatif des coûts dans les outre-mer. Il conviendrait, selon nous, de prendre comme référence 80 % des coûts optimisés par DROM ou dans la moyenne dans les DROM, ce qui serait déjà un moindre mal.

Nous savons bien que les conditions logistiques et environnementales sont totalement différentes dans les DROM, et j'espère que les représentants des éco-organismes que vous avez auditionnés n'ont pas tenu de propos peu amènes à l'égard des DROM. Pour notre part, nous avons fait la preuve que le niveau élevé des coûts dans les DROM s'expliquait par les spécificités de ces territoires, aucunement par un quelconque surdimensionnement ou par une mauvaise gestion publique : on ne monte pas un centre de tri dans un DROM comme on le fait en région parisienne.

Vous m'interrogez ensuite sur les raisons qui nous ont conduits à déposer un recours sur le cahier des charges.

La REP emballages a été conçue comme une REP « financière » : à quelques exceptions près, la responsabilité légale de la collecte sélective et du tri incombe aux collectivités locales. Si je voulais être caustique, je dirais que cet accord initial convenait à tout le monde : déjà responsables de la collecte classique, les collectivités locales se considéraient comme légitimes pour réaliser la collecte sélective qui, de surcroît, conférait une ambition environnementale à un service public ; de l'autre, l'éco-organisme se satisfaisait du fait que le prestataire public ne lui facturait qu'une très faible part du coût de la prestation.

Cet accord tacite a volé en éclat à l'occasion de la loi Grenelle, quand l'amendement soutenu par Amorce tendant à porter le niveau de prise en charge des coûts par l'éco-organisme à 80 % a été adopté. Nous avons échoué, en revanche, à faire adopter un amendement plus précis, qui visait à prévoir une prise en charge à hauteur de 80 % des coûts rééls optimisés dans les DROM.

Aujourd'hui, nous sommes entrés dans une phase où certains gisements d'emballage ne représentent plus un coût, mais une valeur. Cela explique notamment l'intérêt croissant pour les canettes en aluminium. Prenons à présent l'exemple du Polyéthylène Téréphtalate (PET) - à cet égard, nous suivons de très près la tentative de mise en place d'une consigne pour les bouteilles d'eau en plastique en Guadeloupe, une fausse bonne idée que le Sénat a su brillamment et vaillamment rejeter - sachant que la valeur de cette matière est de 2 000 euros la tonne, dès lors que le coût de la collecte sélective tombe à 700 euros, des acteurs privés se portent naturellement candidats pour prendre en charge la collecte.

C'est là que réside l'enjeu quasiment philosophique du service public des déchets. Tant que cette mission représente un coût, la charge en revient aux collectivités locales, mais dès qu'elle recèle de la valeur, alors le marché s'en empare, généralement au travers de son éco-organisme. Dans un premier temps, l'idée d'une consigne sur les bouteilles en plastique a été reçue très positivement : nous allions collecter de nombreuses bouteilles, cesser de polluer les océans et améliorer le geste de tri. Mais si l'idée est si bonne, pourquoi ne pas l'élargir au pot de yaourt ou au blister de chips, qui ne valent rien ?

Telle est la question que nous avons posée au Gouvernement. Et la réponse est simple : l'acteur privé ne s'intéresse qu'aux gisements rémunérateurs. Il laisse au service public et aux contribuables locaux le coût de ce qui n'a pas de valeur. Voilà l'enjeu de la consigne : une privatisation de ce qui a de la valeur et le maintien dans le champ public de ce qui coûte. Le jour où le pot de yaourt aura une valeur supérieure à son coût de collecte sélective et de tri, une consigne sera peut-être envisagée. Ce n'est pas le cas aujourd'hui.

Nous contestons le cahier des charges pour la simple et bonne raison que celui-ci apporte une nouveauté qui pose question. Quand nous demandons une modification du cahier des charges, par exemple pour créer un barème DROM, on nous oppose que cela n'est pas possible en cours d'agrément. Mais quand Citeo demande une modification pour prendre le contrôle du flux des nouveaux plastiques, alors on s'exécute immédiatement. Il y a là deux poids deux mesures !

Surtout, ce cahier des charges n'impose plus aux collectivités locales de trier les nouveaux plastiques. Les centres de tri que nous construisons actuellement deviendront donc en grande partie obsolètes. Il nous sera en effet demandé de les simplifier, dans la mesure où Citeo se chargera du surtri, et, par voie de conséquence, prendra le contrôle de la matière. Tout l'enjeu réside donc dans le contrôle des matières plastiques, dont certaines ont une valeur, quand d'autres sont en train d'en acquérir une.

Le groupe Citeo aurait pu adopter une démarche consistant à créer des filières et des installations de recyclage. Étonnamment, quand on creuse la question du recyclage chimique et que l'on demande aux principaux acteurs, Eastman ou Loop, ce qu'ils projettent de recycler dans leurs usines, ces derniers répondent qu'ils entendent recycler non pas le pot de yaourt ou le blister de chips, mais des bouteilles d'eau ! Il n'y a pourtant pas de besoin en la matière. Nous disposons depuis longtemps de ce savoir-faire. Faute de cahier des charges contraignant, nous savons que Citeo n'atteindra pas un taux de recyclage élevé pour ses pots de yaourt ou ses blisters de chips, mais que le groupe aura, in fine , récupéré le contrôle de la matière.

L'évolution du cahier des charges est donc un jeu de dupes consistant à laisser croire que l'on confie à Citeo la responsabilité de recycler les nouveaux plastiques, alors qu'en réalité, nous obtiendrons probablement dans trois ans le résultat suivant : Citeo, passé maître dans l'accumulation d'objectifs qu'il n'atteint jamais sans jamais être sanctionné, maîtrisera ce flux sans pour autant recycler davantage.

Aussi, nous craignons de voir interrogée, demain, la pertinence des milliards d'euros de dépenses consacrées par les collectivités locales à la modernisation ou à la création de centres de tri sophistiqués. En effet, si la consigne est mise en place, ces derniers ne verront plus une seule bouteille. Les canettes et les boîtes de conserve se font déjà de plus en plus rares. Le verre ne passe pas par les centres de tri et le flux des nouveaux plastiques ne devra plus être trié, Citeo entendant se charger d'une forme de surtri. Dans ces conditions, la Cour des comptes risque, à raison, de nous montrer du doigt pour mauvais usage de l'argent public.

S'agissant de la coordination des compétences territoriales, la loi AGEC a permis quelques belles avancées, en particulier sur la police des dépôts sauvages. Elle offre désormais la possibilité de mettre les véhicules sous séquestre et d'utiliser des vidéos de caméras thermiques comme base d'une action en justice contre un contrevenant. Nous manquons toutefois d'une cartographie des dépôts sauvages qui permettrait un suivi de leur résorption.

Nous regrettons également que le texte de loi, qui, dans l'esprit, devait permettre, dès lors que le dépôt sauvage serait principalement constitué de déchets du bâtiment par exemple, de faire financer la résorption de ces dépôts par la REP correspondante, ne déclenche finalement ce processus que pour les dépôts sauvages de plus de 200 tonnes. Ce faisant, la loi exclut du financement par les éco-organismes la résorption de la quasi-totalité des dépôts sauvages de métropole et d'outre-mer. En dépit de quelques avancées, les communes restent esseulées en matière de résorption des dépôts sauvages, laquelle représente pourtant un coût considérable.

Aussi, nous préconisons d'abaisser le seuil du dépôt sauvage financé par la REP à une tonne. Tout dépôt sauvage constitué principalement de véhicules devrait être géré à terme par la REP véhicules hors d'usage (VHU), tout dépôt sauvage de pneus par Aliapur, tout dépôt sauvage d'ordures ménagères résiduelles par Citeo et tout dépôt sauvage de matériaux par Valobat (pour les produits du bâtiment) et Ecominero (pour les matériaux de construction d'origine minérale). Aujourd'hui, le scénario d'un contrevenant identifié et solvable qui financerait lui-même la résorption du dépôt sauvage dont il est l'auteur est extrêmement rare et illusoire.

Mme Gisèle Jourda, rapporteure . - Pouvez-vous préciser vos propositions en matière de sanctions en cas de non-atteinte des objectifs par les filières REP ?

M. Nicolas Garnier . - J'établirai un parallèle avec les deux dispositifs assez proches que sont les certificats économies d'énergie (CEE) et les quotas de CO 2 . En cas de non-atteinte de son objectif d'économie d'énergie en TWh, EDF est sanctionnée à hauteur d'un coût du TWh manquant plus élevé que celui du marché. Il a donc non pas obligation, mais intérêt à réaliser des économies d'énergie. De la même manière, les entreprises soumises au dispositif d'échange de quotas d'émission (ETS) s'exposent, faute d'atteindre leurs quotas, à de très lourdes pénalités. Tous les acteurs économiques privés concernés ont ici intérêt à respecter leurs objectifs environnementaux.

À l'inverse, chaque tonne supplémentaire collectée représente, pour les éco-organismes, un coût supplémentaire, et la non-atteinte des objectifs n'emporte aucune conséquence. La loi AGEC a bien tenté de contraindre davantage les éco-organismes, mais de façon très légère. Elle prévoit que si l'on constate, en cours d'agrément, qu'un éco-organisme s'écarte de la trajectoire d'atteinte de son objectif environnemental, l'État peut lui demander un rapport établissant les conditions de correction de son dispositif. Si ces corrections ne suffisent pas à remettre l'éco-organisme sur sa trajectoire environnementale, l'État a la possibilité, en fin d'agrément, de sanctuariser les sommes que l'éco-organisme aurait dépensées pour atteindre ses objectifs. Dans le pire des cas, l'éco-organisme devra payer les sommes qu'il aurait payées s'il avait atteint son objectif environnemental. Il n'est donc pas très incité à l'atteindre.

Dans ce contexte, nous proposons de mettre en place un dispositif contraignant chaque année l'éco-organisme, qui s'écarterait de la trajectoire de son cahier des charges d'agrément, à payer des tonnes « malussées » - c'est-à-dire soumise à un malus - à l'État ou aux collectivités locales. Cela constituerait une ressource financière pour Bercy - une sorte de taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) - et pour les collectivités locales.

En effet, les nombreuses tonnes qui ne font pas l'objet d'une collecte collective se retrouvent, en bout de chaîne, dans les centres d'élimination. Or, nous connaissons les difficultés qu'éprouvent les collectivités des DROM pour installer de tels centres et pour gérer les ordures ménagères résiduelles. Leurs difficultés seraient moindres si l'on ne comptait pas, dans ces ordures ménagères résiduelles, les tonnes d'emballages que Citeo devrait traiter au titre de ses objectifs de recyclage par DROM.

Le dispositif imaginé changerait complètement les règles du jeu : plutôt que de payer une tonne manquante « malussée », l'éco-organisme aurait intérêt à aller chercher la tonne manquante. Il atteindrait ses objectifs, comme EDF atteint ses objectifs de CEE ou Dalkia ses objectifs de quotas de CO 2 .

Mme Gisèle Jourda, rapporteure - Le dispositif que vous proposez pourrait permettre une sorte de rééquilibrage. Nous n'avons pas encore abordé la question de la TGAP, mais il semblerait que, pour l'heure, la quasi-totalité des taxes repose de fait sur les collectivités locales et sur les contribuables...

M. Nicolas Garnier . - La TGAP est un autre sujet qui nous tient particulièrement à coeur, et les DROM pourraient être largement bénéficiaires de la proposition que nous faisons à ce sujet depuis plusieurs années.

Pour en revenir à votre question, un tiers des 600 kilogrammes de déchets annuels produits en moyenne en France par habitant est soumis à une REP, mais avec un financement insuffisant qui s'élève à 50 % du coût global réel, voire à 20 % dans les DROM pour ce qui est des emballages. En d'autres termes, dans les DROM, le contribuable finance jusqu'à 80 % du coût du traitement de ces déchets.

Un deuxième tiers de la poubelle des Français est constitué de matière organique, pour laquelle il n'existe pas de dispositif de REP. De temps en temps, il me vient à l'esprit de créer une REP sur les choux-fleurs et sur les pommes de terre. En effet, les industries agricole et agroalimentaire ne participent pas encore à la fin de vie de leurs produits, et il y a là peut-être quelque chose à inventer...

Afin de développer la collecte sélective des biodéchets, qui repose actuellement sur les seules aides de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), donc sur la ressource de TGAP, nous proposons d'affecter davantage la TGAP à l'économie circulaire. Pour rappel, la TGAP rapporte de 500 à 600 millions d'euros, dont seuls 150 millions d'euros reviennent à l'Ademe au titre de l'accompagnement de l'économie circulaire. Cela fait selon nous de la TGAP une taxe partiellement faussement environnementale. Nous considérons en effet qu'une véritable taxe environnementale doit envoyer un « signal prix », mais aussi affecter, sinon intégralement, du moins majoritairement, sa recette à son objet.

Sans refaire l'histoire des Gilets jaunes, la taxe carbone n'ayant pas été conçue pour produire des recettes destinées à l'accompagnement de la transition écologique, un certain nombre de personnes ont estimé que sous couvert de contribuer à la protection de l'environnement, cette taxe avait surtout des motivations budgétaires. Toutes proportions gardées, il en est de même de la TGAP : le contribuable pourrait ne pas comprendre pourquoi 80 % des 600 millions d'euros de TGAP qu'il paye au nom d'une meilleure gestion des déchets ne sont pas affectés à cet objectif.

Le troisième gisement dont personne ne parle est celui des « abandonnés de l'économie circulaire » : la litière pour chat, le CD, les ustensiles de cuisine, le briquet en plastique... Amorce a ainsi recensé vingt-huit pages d'objets vendus dans le commerce, qui ne bénéficient d'aucune solution de recyclage et qui ne sont soumis à aucune écocontribution. À titre d'exemple, un briquet Bic terminera inéluctablement sa vie dans un centre d'enfouissement ou dans un incinérateur. En l'absence de signal prix, de REP et de TGAP, pourquoi la société Bic ferait-elle évoluer son plastique pour le rendre recyclable ? Pourquoi se rapprocherait-elle d'un éco-organisme pour intégrer son produit dans la collecte sélective des emballages ?

C'est la raison pour laquelle - et le Sénat nous a souvent soutenus dans cette démarche - nous défendons la mise en place d'une TGAP amont sur les produits non recyclables. Cette taxe ne serait exigible qu'en l'absence de solution de recyclage - le cas échéant, le produit serait soumis à une REP ; elle viendrait soulager les collectivités locales des coûts d'élimination. Car reconnaissons-le : la collectivité n'est pas responsable du fait que le briquet n'est pas recyclable et n'est pas recyclé.

C'est là toute l'injustice de la TGAP aval : elle taxe en partie le mauvais acteur. Selon nous, le dispositif fiscal global n'est donc pas cohérent. Certains metteurs sur le marché s'étonnent d'être soumis à une REP et de devoir contribuer à l'environnement quand certains produits, non recyclables, échappent à de telles obligations. Il y a là une forme de prime au cancre qui n'incite pas véritablement à recycler.

Mme Nassimah Dindar . - Vous relevez à juste titre que, dans les DROM, la TGAP est plus un pensum qu'une aide pour les collectivités territoriales. À ce titre, seuls 150 millions d'euros sont destinés à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe). Pour tous les produits non recyclables que vous avez recensés, ne pourrait-on pas réduire la TGAP des territoires ultramarins ?

M. Nicolas Garnier . - C'est effectivement l'autre option qui s'offre à nous : a minima , il faudrait créer une franchise de TGAP pour la part des ordures ménagères résiduelles (OMR) que personne ne sait recycler et pour lesquelles une sanction fiscale n'a, dès lors, aucun sens.

De mémoire, le Sénat a adopté un amendement visant à créer une telle franchise. Ce dispositif permet de lever une injustice sans résoudre le problème du non-recyclable. En revanche, la TGAP amont serait à même d'entraîner une forme de responsabilisation des metteurs sur le marché.

À titre d'anecdote, sur la base d'une proposition d'amendement du réseau Amorce, le Sénat avait voté la REP « meubles ». Le lendemain, le directeur général adjoint d'Ikea me téléphonait pour me dire : « Il paraît que vous êtes à l'origine de cette mesure. Qu'est-ce qu'on vous a fait ? » Je lui ai répondu : « Rien ; simplement, nos déchetteries débordent de vos étagères en aggloméré dont personne ne sait quoi faire. »

Nombre d'industriels ne se sont jamais posé la question de la fin de vie de leurs produits. Les responsables de Decathlon ne savaient pas en quelle matière étaient faits leurs palmes, leurs combinaisons et leurs maillots de bain. Grâce au vote de la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire (AGEC), qui a instauré la REP « sport », c'est désormais le cas.

L'attelage d'une TGAP amont et d'une franchise de TGAP aval sur le même gisement serait probablement la meilleure solution.

Mme Marta de Cidrac . - Vous connaissez ma position au sujet des éco-organismes, qu'il s'agisse de leur structuration actuelle ou de leur mode de financement. En somme, ils ont tout intérêt à ce qu'il y ait le plus de pollueurs possible, car c'est ce qui leur assure des recettes - je le dis de manière délibérément caricaturale.

Vous insistez avec raison sur les nombreux objets ne disposant d'aucune filière de traitement. Un grand travail attend le législateur à ce titre, car la situation actuelle revient en quelque sorte à accorder une prime au pollueur.

Enfin, étendez-vous votre réflexion à l'ensemble de la filière ? Il faut considérer à la fois les éco-organismes, les collectivités territoriales et le choix des exutoires. La destinée de ces objets mérite bel et bien une réflexion de fond. On ne pourra pas créer une REP pour chacun d'eux, d'autant que de nouveaux produits sortent chaque jour sur le marché et qu'il y aura de plus en plus de déchets.

M. Nicolas Garnier . - Il s'agit effectivement d'une question fondamentale.

Faut-il des REP partout ? Il n'y a aucune raison qu'une responsabilité élargie du producteur soit imposée pour les emballages et non pour les briquets. La notion de responsabilité est universelle.

En revanche, la REP peut être mise en oeuvre de différentes manières. La TGAP amont que nous proposons est une forme de REP. On ne va évidemment pas remuer ciel et terre pour créer une collecte sélective des briquets. Cela étant, il est juste que les industriels financent le coût d'élimination des briquets jetables en fin de vie. C'est une REP triviale, mais, généralement, quand ils commencent à payer, les producteurs réagissent très vite. De même, avec la REP « textiles sanitaires », qui arrive, les fabricants de couches pour bébés seront bientôt pointés du doigt.

Il faut donc l'établir une bonne fois pour toutes : il existe une responsabilité universelle du producteur quant à la fin de vie de ses produits.

Au passage, je précise que les éco-organismes devraient se voir assigner des objectifs de prévention, ce qui n'a jamais été le cas jusqu'à ce jour. Je pense notamment au cas des emballages jetables.

J'insiste, il faut distinguer le principe de la REP et les formes de sa mise en oeuvre : une REP, ce n'est pas nécessairement un éco-organisme finançant la collecte sélective. Dans cette logique, nous réfléchissons à une REP de l'agroalimentaire sous la forme d'une obligation de reprendre les composts aux normes : ce serait, en somme, une responsabilité de retour au sol de la matière organique. On commence à s'inquiéter de la capacité à utiliser les composts issus de nos collectes sélectives de biodéchets. Dans cette logique, Bonduelle serait obligé d'accepter des composts de qualité pour boucler la boucle de l'économie circulaire.

N'oublions pas non plus les formes de REP dites « opérationnelles », qui complètent les REP « écosystèmes ». La REP « mégots » doit avant tout assurer la collecte des mégots. En la matière, la question du recyclage est presque anecdotique. L'enjeu, c'est avant tout le financement de la communication et de la coercition. Il s'agit pour ainsi dire d'une REP de financement du nettoiement.

On observe aujourd'hui une très forte tendance au rapprochement des REP : Éco-mobilier se propose ainsi d'être l'éco-organisme pour les jouets ou, à titre partiel, pour les matériaux, qu'il s'agisse du bois ou du plastique. On commence à créer des bennes destinées aux plastiques rigides dans les déchetteries françaises, pour les meubles, les jouets, le matériel de sport ou de bricolage. On pourrait demain y ajouter les disques compacts.

On ne va pas multiplier à l'infini les collectes sélectives et les éco-organismes. En revanche, on peut placer sous REP des gisements qui n'y sont pas, comme certains plastiques, même si ce sera tout sauf simple ; et, là où l'avenir n'est pas le recyclage, les producteurs doivent payer la TGAP en lieu et place de la collectivité.

Mme Marta de Cidrac . - La loi AGEC contient un certain nombre de dispositions spécifiques aux outre-mer. En la matière, pourrait-on confier des opérations pilotes à tel ou tel territoire avant d'étendre éventuellement ces mesures à l'ensemble du pays ? Ne pourrait-on pas aller plus loin dans la décentralisation des solutions, non seulement outre-mer, mais dans l'Hexagone ?

M. Nicolas Garnier . - La loi AGEC a effectivement défini des enjeux spécifiques aux outre-mer pour les REP : c'était une première, même si les initiatives actuelles ne sont pas encore à la hauteur des enjeux. D'ailleurs, pour ce qui concerne les DROM, on a encore beaucoup de mal à obtenir des chiffres au sujet de la collecte sélective.

De plus, il aurait fallu pousser la logique à son terme en fixant des objectifs environnementaux contraignants par DROM et par REP.

Néanmoins, établir des filières de débouchés de recyclage dans ces territoires n'est pas une mince affaire : on ne va pas créer de grandes papeteries à Mayotte ou de grandes verreries dans les territoires ultramarins producteurs de rhum - les verres qui y sont employés viennent majoritairement du Brésil.

Il faudrait une stratégie de l'économie circulaire pour la Caraïbe, l'Amazonie et une partie de l'océan Indien : à ce titre, il est grand temps de construire une dynamique internationale. Aujourd'hui, pour recycler quelques tonnes, soit on invente des filières de recyclage un peu baroques, soit on transporte les déchets sur des milliers de kilomètres - il fut un temps où une partie de la collecte sélective de la Martinique se retrouvait à Fos-sur-Mer - une partie va maintenant au Brésil -, ce qui n'a pas de sens.

L'opération pilote menée en Guadeloupe, à savoir la consigne de bouteilles en plastique, a fait l'objet de luttes presque homériques dans les deux assemblées parlementaires. Je précise qu'il ne s'agit pas d'une consigne stricto sensu , car les bouteilles collectées sont broyées : c'est une simple collecte sélective non professionnelle.

Au terme de négociations difficiles avec la ministre de l'époque, Élisabeth Borne, on a décidé d'attendre trois ans. Sur ce sujet, le Sénat a joué un rôle majeur. Mais depuis lors, il ne s'est presque rien passé : la collecte sélective n'a pas été développée hors foyer, notamment dans la restauration. Vous connaissez donc d'ores et déjà mon opinion sur le sujet.

En parallèle, avec l'expérimentation assez avancée menée en Guadeloupe, on obtient le pire de la privatisation d'une collecte sélective, à savoir la discontinuité territoriale.

La collecte sélective payante des bouteilles est assurée dans les supermarchés de Pointe-à-Pitre et, peut-être, dans deux ou trois villes relativement étendues de Guadeloupe ; mais les petits commerces de proximité, les « lolos », n'auront pas d'automates de consigne. Comment pourraient-ils se charger d'alimenter les automates des supermarchés des villes guadeloupéennes ? Cette simple suggestion a provoqué un tollé.

Non seulement l'expérimentation de la consigne ne donne pas des résultats exceptionnels, mais elle va coûter très cher. De plus, elle ne vise pas les objets qui polluent majoritairement la mer - barquettes de frites, paquets de chips, emballages unitaires de gâteaux, etc. Les bouteilles représentent moins de 10 % de la pollution plastique des mers.

Enfin, il est intéressant d'imaginer d'autres formes de gouvernance. Dans nos rêves les plus fous, ce n'est pas l'État, mais la région, voire l'intercommunalité, qui donne l'agrément en établissant le cahier des charges de Citeo. L'État, lui, est juge et partie. Sauf exception, la Direction générale des collectivités locales (DGCL) ne nous défend pas et, in fine , les cahiers des charges ne sont pas assez contraignants. Le Sénat aura peut-être l'audace et la force de mener cette réforme sensationnelle ?

Mme Nassimah Dindar . - À La Réunion, la consigne des bouteilles est devenue quasiment culturelle, et cela marche très bien. Peut-on envisager qu'Amorce ou un autre organisme finance une collecte de ce type, en passant par les communes ou les intercommunalités ?

M. Nicolas Garnier . - Depuis quatre ans, nous parlons non pas d'une consigne pour réemploi sur les bouteilles de verre, telle que celle qui est mise en place pour la Dodo ou le rhum à La Réunion, mais d'une consigne pour recyclage sur les bouteilles plastiques, concurrençant les collectes sélectives des collectivités locales.

La crise entre le Gouvernement et le Sénat sur ce sujet vient de là - Marta de Cidrac peut en parler plus précisément. Il faut faire de la consigne pour réemploi. L'idée initiale du Gouvernement était que les metteurs sur le marché reprennent le contrôle de leurs émissions de plastique ; le texte a été transformé au Sénat pour favoriser une consigne en vue du réemploi.

Depuis lors, nous avons tous cheminé, et nous nous sommes rendu compte qu'au lieu de généraliser les consignes pour réemploi il fallait regarder au cas par cas, en prenant en compte les études d'impact sur l'environnement. Le réemploi sous-tend un réseau de collecte, une proximité des unités de lavage et une uniformité des contenants qui n'est pas sans conséquence.

Nous continuons d'être très favorables à la consigne pour réemploi, mais sa mise en oeuvre demande de la finesse : les producteurs de champagne n'ont pas envie que leurs bouteilles soient remplies de vin de Bordeaux. La collecte, le lavage et la réutilisation des bouteilles représentent un coût.

M. Stéphane Artano, président . - Au nom de la délégation, je vous remercie de la qualité de vos interventions. La table ronde de jeudi prochain sera consacrée aux filières REP, et nous soumettrons à leurs représentants les idées que vous avez proposées.

M. Nicolas Garnier . - Je me permets de vous faire une suggestion : parlez-leur de chiffres. Quels sont les gisements ? Combien cela vous rapporte-t-il, dans chaque DROM ? Quels sont les taux de collecte sélective, les taux de recyclage ? Combien cela vous coûte-t-il dans chaque DROM ?

C'est parce que l'on n'a pas assez parlé de chiffres dans les DROM que la REP est dans cet état. Il faut imposer aux producteurs une culture du résultat chiffré : ils en sont capables, car ils viennent du monde de l'entreprise.

M. Stéphane Artano, président . - Merci de cette suggestion.

Jeudi 23 juin 2022

Table ronde sur la responsabilité élargie des producteurs (REP)

Mme Marie-Laure Phinera-Horth, présidente . - Au nom du président Stéphane Artano, qui vous prie de l'excuser - il est actuellement à Saint-Pierre-et-Miquelon, mais il s'associe à nos travaux en visioconférence -, j'ai le plaisir d'accueillir ce matin les participants à cette table ronde consacrée aux filières à responsabilité élargie des producteurs (REP).

Cette table ronde s'inscrit dans le cadre de l'étude de la Délégation sénatoriale aux outre-mer sur la gestion des déchets dans les territoires ultramarins, dont les rapporteures sont Gisèle Jourda et Viviane Malet. Je salue également la présence de nos collègues membres du groupe d'études du Sénat sur l'économie circulaire, présidé par Marta de Cidrac.

Comme vous le savez, les filières REP sont des dispositifs fondés sur le principe selon lequel les producteurs, c'est-à-dire les personnes responsables de la mise sur le marché de certains produits, doivent financer ou organiser la prévention et la gestion des déchets issus de ces produits en fin de vie.

On considère souvent que la France est l'un des pays ayant le plus recours à ce dispositif. Pourtant, on ne peut que constater l'absence ou la faiblesse de ces filières dans nos outre-mer. Comment expliquer ce décalage ? Quelles sont les conséquences en matière de tri et de recyclage ? Comment accélérer la mise en place de telles filières, en tenant compte de nos spécificités territoriales ?

Pour répondre à toutes nos interrogations et surtout à celles de nos deux rapporteures, nous allons entendre successivement Arnaud Humbert-Droz, président exécutif de Valdelia ; Maxime Vesselinoff, directeur conseil d'Ecosystem, accompagné d'Alexis Blanc, responsable des opérations outre-mer, ainsi que de Chloé Brumel-Jouan, directrice des relations institutionnelles ; sur la valorisation des déchets agricoles, Pierre de Lépinau, directeur général d'Agriculteurs, distributeurs, industriels pour la valorisation des déchets agricoles (Adivalor) ; Guillaume Arnauld des Lions, délégué général de l'association pour la plaisance éco-responsable (APER) ; André Zaffiro, directeur général de Cyclevia et Yannick Jegou, président de Dastri, accompagné de Laurence Bouret, déléguée générale. Enfin, nous achèverons ce premier tour de table avec Stéphane Murignieux, président de l'Institut de la transition écologique des outre-mer (Itedom).

Je demanderai d'abord aux deux rapporteures de bien vouloir formuler leurs questions, sachant qu'une trame a été adressée aux intervenants afin de leur permettre de préparer cette réunion. Puis, les représentants des éco-organismes auront la parole, dans l'ordre que je viens d'énumérer et chacun pendant environ cinq minutes, pour un premier tour de table. Enfin, je donnerai la possibilité à ceux de nos collègues qui voudront intervenir de le faire à leur tour, y compris en visioconférence.

Mme Gisèle Jourda, rapporteure . - Cette table ronde réunit de nombreux acteurs de la filière REP, ainsi que Stéphane Murignieux, de l'Itedom, qui pourra nous apporter un regard transversal sur ce sujet.

Avec ma collègue, nous avons souhaité entendre des filières REP très diverses, aussi bien par leur ancienneté ou leur taille que par la nature de leurs déchets. Au préalable, je prie les filières qui n'ont pas été conviées de bien vouloir nous excuser : la France compte trop de filières pour pouvoir les réunir toutes autour d'une même table ; nous avons dû faire des choix.

Ce matin, l'objectif de l'audition n'est donc pas de dresser un panorama exhaustif des REP outre-mer, mais de dégager quelques constats et enseignements à partir des expériences diverses de vos filières. D'ailleurs, certains d'entre vous en gèrent plusieurs.

Un questionnaire vous a été transmis, qui vous donne la trame de nos principales interrogations, afin de guider votre exposé.

La semaine dernière, nous avons auditionné Citeo, l'éco-organisme historique en quelque sorte, et l'association Amorce. Ces deux auditions ont été très riches et ont mis en évidence des visions très contrastées et critiques sur le bilan et l'efficacité des REP dans les outre-mer. Nous souhaitons donc, avec l'audition de ce jour, aller plus loin dans l'exploration de certaines pistes esquissées la semaine dernière.

Toutefois, en premier lieu, je souhaiterais obtenir des réponses précises sur le niveau d'engagement financier de vos filières dans les outre-mer, ainsi que des données sur l'importance des gisements estimés, le taux de collecte et le taux de recyclage ou de valorisation, en comparaison des chiffres hexagonaux.

Je souhaiterais également connaître le montant des contributions versées par les metteurs sur le marché ultramarin depuis plusieurs années, du moins pour ceux d'entre vous qui ont une certaine ancienneté.

Je souhaiterais enfin que vous dressiez un premier bilan de la loi de 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire, dite « loi Agec », qui fait peser des contraintes renforcées sur les filières REP dans les outre-mer. En résumé, le rattrapage est-il en cours ? Quels moyens nouveaux ont été concrètement déployés par vos organismes ?

Mme Viviane Malet, rapporteure . - À la suite de ma collègue Gisèle Jourda, je relève que les auditions de Citeo et de l'association Amorce la semaine dernière ont été particulièrement instructives. Le retard, pour ne pas dire l'échec, des REP dans les outre-mer est flagrant, à tel point que l'on peut s'interroger sur le modèle même des REP à la française, du moins dans les outre-mer. Je souhaiterais donc avoir votre avis sur plusieurs propositions chocs, afin de faire avancer les filières REP dans nos territoires ultramarins.

En premier lieu, que pensez-vous de l'idée consistant à expérimenter dans les outre-mer des cahiers des charges comportant des objectifs chiffrés contraignants de collecte, de recyclage, voire de prévention ? Ces objectifs seraient assortis de pénalités très incitatives, à définir. Naturellement, ils seraient adaptés à la réalité de chaque territoire.

En second lieu, afin de lutter contre les dépôts sauvages ou les décharges illégales, quel système proposeriez-vous pour prendre en charge leur coût d'élimination ? Ce coût pèse actuellement quasi-intégralement sur les collectivités, et il est très rare de retrouver le responsable. Nicolas Garnier, délégué général d'Amorce, a suggéré par exemple lors de son audition de baisser à une tonne, au lieu de 200 tonnes actuellement, le seuil à partir duquel la filière REP, principalement en cause, doit prendre en charge le coût d'élimination d'un dépôt sauvage. Qu'en pensez-vous ? Avez-vous d'autres propositions à formuler pour une responsabilisation accrue des filières REP outre-mer ?

M. Arnaud Humbert-Droz, président exécutif de Valdelia . - Merci de votre accueil.

Depuis 2013 et la mise en place de la filière REP, nous sommes confrontés à des performances faibles ou négatives sur les territoires ultramarins. Quels dispositifs pourrions-nous mettre en oeuvre, conjointement avec les collectivités locales, l'État et les éco- organismes, pour faire en sorte que les territoires ultramarins deviennent un enjeu pour les filières REP ? Pour nous, chez Valdelia, les territoires ultramarins font partie du territoire national. Nous y avons donc une ambition tout aussi importante que dans l'Hexagone. La preuve : depuis 2013, nous investissons régulièrement dans ces territoires, mais avec des résultats assez médiocres, dont nous sommes extrêmement insatisfaits.

Nous constatons régulièrement que le sujet est principalement abordé sous l'angle de la rémunération et de l'investissement des éco-organismes. Pour notre part, nous investissons plus sur les territoires ultramarins que ce que nous percevons en éco-contributions. Le problème ne réside donc pas dans la capacité financière d'investissement, mais dans la philosophie, que nous devons faire évoluer ensemble.

L'objectif d'une filière REP, c'est bien de développer une économie circulaire territorialisée. Je me rends une fois par an outre-mer pour juger de l'avancement des travaux et m'assurer que les acteurs politiques et nos facilitateurs locaux, qui sont en place depuis 2015, sont bien dans une démarche constructive. Je constate que nous sommes confrontés dans chaque territoire à un manque probant de dispositifs et de capacités de collecte, mais aussi et surtout de traitement. Partout, nous sommes confrontés à une politique qui ne nous permet pas de développer localement des dispositifs de traitement durables.

Par exemple, en Martinique, le syndicat martiniquais de traitement et de valorisation des déchets (SMTVD) nous empêche régulièrement de déployer des dispositifs de collecte, tout simplement parce que nous faisons face à des grèves à répétition. Vous pourriez objecter que, d'un point de vue financier, nous pourrions charger des conteneurss et les ramener dans l'Hexagone. Mais la philosophie des filières REP est de développer une économie circulaire locale. En effet, le déchet a la capacité de créer des emplois locaux, non délocalisables, avec à la clef un dispositif de formation pour les personnes les plus éloignées de l'emploi.

Nous souhaitons construire l'avenir des territoires autour de quatre sujets qui nous importent.

Tout d'abord, il faut un changement de regard. L'État, les collectivités territoriales et les éco-organismes doivent construire ensemble des plans pour disposer d'outils de traitement adaptés aux territoires. Ces outils seront situés sur place et leur taille sera adaptée à celle de chaque territoire. L'État dispose d'un certain nombre de dispositifs pouvant nous permettre d'atteindre la rentabilité avec de tels outils, notamment la dotation générale de décentralisation. Par exemple, Valdelia souhaite atteindre un taux de recyclage important dans l'ensemble des territoires, et nous n'y arrivons pas, parce que nous ne disposons pas des outils idoines. Nous pourrions changer l'orientation de notre visibilité en passant d'un objectif de recyclage important à un objectif de valorisation énergétique...

À La Réunion, une usine de fabrication de combustibles solides de récupération (CSR) a été construite, mais nous n'avons pas de consommateurs ! Aussi, le CSR ne trouve pas de débouchés, parce que nous n'avons pas été jusqu'à la fin du parcours politique - alors que l'usine a été cofinancée par les collectivités territoriales et l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe).

Un deuxième sujet qui nous importe est la mutualisation. L'idée de multi-REP est une philosophie que Valdelia souhaite développer dans les territoires ultramarins. En Guadeloupe, par exemple, nous avons un projet d'usine de recyclage du bois. La filière du mobilier ne suffit pas, et nous nous positionnons donc sur la filière des produits et matériaux de construction du secteur du bâtiment (PMCB) pour atteindre un volume suffisant.

Une question plus difficile est celle de l'implication des collectivités locales. La loi Agec donne la possibilité d'élaborer des plans régionaux ambitieux. Les collectivités territoriales doivent nous permettre de construire avec elles, avec l'Ademe, avec les services de l'État, des outils de traitements locaux et durables.

Le dernier axe est un axe majeur sociétal. Il s'agit du réemploi et de la réutilisation, qui permettent d'accompagner les personnes éloignées de l'emploi vers des métiers de menuisier, chaudronnier, tapissier... Les plans régionaux d'économie circulaire doivent comporter systématiquement des dispositifs d'aide au réemploi. Par exemple, à La Réunion, nous accompagnons une association, que nous formons ici en métropole, pour qu'elle puisse déployer sur le terrain des dispositifs de réemploi et de réutilisation. Nous travaillons d'ailleurs avec la collectivité territoriale, qui met à la disposition de cette association un local de bonne qualité.

Mme Chloé Brumel-Jouan, directrice des relations institutionnelles d'Ecosystem . - Merci de nous recevoir.

Ecosystem est le plus vieil éco-organisme collectant des équipements électriques et électroniques, ménagers comme professionnels. Voilà de nombreuses années que nous intervenons outre-mer, puisque nous y sommes depuis 2008. Notre éco-organisme opère dans la totalité du territoire, sans se limiter à l'Hexagone. Nous assurons la continuité de service absolument partout. La question financière nous semble moins cruciale que la partie opérationnelle de nos collectes.

Nous collectons 13 000 tonnes de déchets d'équipements électriques et électroniques sur l'ensemble des territoires. Nous sommes très proches outre-mer des ratios métropolitains, et nous y organisons un fort développement du réemploi, qui est très encouragé depuis longtemps, notamment sur l'île de La Réunion et en Martinique. La transformation de la filière est donc déjà en cours.

Les problématiques que nous rencontrons sur les territoires sont plutôt celles de l'acheminement. Outre les problématiques techniques sur le terrain, comme les grèves, nous sommes confrontés au traitement de volumes parfois insuffisants pour alimenter un outil industriel. C'est là qu'interviennent les transports maritimes, souvent retardés par la question des notifications, qu'il faut parfois six ou neuf mois pour obtenir, ce qui conduit à augmenter les capacités de stockage sur place et pose le problème de l'évacuation des déchets. De plus en plus de compagnies maritimes refusent d'embarquer les déchets et pratiquent des tarifs parfois exorbitants.

Vous avez évoqué la planification. Les plans stratégiques et les plans d'action de collecte d'Ecosystem alimentent les plans de prévention et de gestion des déchets. Le dernier en date a reçu en 2021, conformément à la loi Agec, un avis favorable de notre comité des parties prenantes.

M. Alexis Blanc, responsable des opérations outre-mer d'Ecosystem . - Ecosystem est opérationnel depuis 2008 dans les territoires ultramarins. Notre politique a toujours été de développer des filières locales de traitement et de valorisation des déchets. C'est pourquoi nous avons construit à La Réunion et en Guadeloupe deux unités de traitement avec des opérateurs locaux, qui nous permettent aujourd'hui de traiter une partie de nos flux sur ces territoires.

Pour les autres territoires, nous n'avions pas suffisamment de volume pour créer des unités de traitement ; nous avons donc fait le choix de ramener l'ensemble des produits sur l'Hexagone afin de nous assurer de la qualité et du suivi du traitement jusqu'au produit final. Il est vrai qu'à Saint-Pierre-et-Miquelon, par exemple, nous aurions très bien pu envoyer les produits au Canada, en Guyane ou au Brésil. Nous n'avons pas fait ce choix, car nous voulons nous assurer que la filière soit respectée jusqu'au bout.

Nous avons mis en place différentes actions adaptées aux territoires locaux. C'est ainsi que, à La Réunion, nous collectons les déchets de Mafate par hélicoptère, ou qu'en Guyane, nous organisons des collectes par pirogue dans les zones isolées. Nous déployons donc des moyens spécifiques à chaque territoire. C'est encore certainement insuffisant sur certains territoires très isolés. Mais nous atteignons quasiment les mêmes chiffres de collecte sur les territoires ultramarins que dans l'Hexagone. Les deux exceptions sont Mayotte et la Guyane, où les infrastructures locales sont moins développées et les conditions de collecte plus compliquées.

À Mayotte, par exemple, nous n'avons aucune installation classée protection de l'environnement (ICPE) digne de ce nom. Nous travaillons donc étroitement avec la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal) à la création d'une plateforme multifilières, dont l'objectif serait de disposer d'une solution de regroupement et de traitement de déchets sur Mayotte.

Sur chaque territoire, nous cherchons à être proactifs et à trouver des solutions locales avec des opérateurs locaux afin de valoriser et de maximiser recyclage et valorisation des déchets.

Mme Chloé Brumel-Jouan . - Nous sommes extrêmement investis sur le réemploi et la création d'emplois locaux non délocalisables. Il n'y a pas que la partie relative à la gestion des déchets, il y a aussi le réemploi. Nous soutenons des activités d'Emmaüs depuis longtemps à La Réunion et nous avons des projets de collecte de téléphones mobiles à la Martinique, ainsi que plusieurs zones de réemploi en déchetterie avec de nouvelles conventions en cours.

Il n'y a pas de contribution spécifique aux territoires ultramarins. Les éco-contributions sont les mêmes, quels que soient les territoires concernés. Pourtant, les investissements que nous réalisons sont largement supérieurs à nos coûts dans l'Hexagone. Nous accomplissons des missions d'intérêt général, nous sommes agréés par l'État et nous déployons toute notre énergie à faire en sorte que chaque Français puisse bénéficier de la même qualité de service quel que soit son lieu et d'habitation.

Mme Gisèle Jourda, rapporteure . - Nous comprenons bien que l'aspect financier n'est pas le coeur du sujet et que vous êtes des organismes à but non lucratif. Pour avoir présidé une association à but non lucratif pendant des années, je sais que cela n'empêche pas de construire des indicateurs financiers, pour donner une idée des budgets et de ce à quoi ils correspondent.

Pouvez-vous nous donner une idée des engagements financiers dont vous parlez et de leur retour sur investissement ? Dans les finances d'une association, cela compte.

Mme Chloé Brumel-Jouan . - Le coût à la tonne est deux fois et demie plus élevé en outre-mer qu'en métropole. Il n'y a pas lieu de s'interroger sur les coefficients de majoration : on y consacre l'argent nécessaire ; plutôt qu'une pénalité, ce sont des solutions adaptées aux territoires qui vont améliorer la collecte. Il faut développer des plateformes interfilières et construire ensemble des unités industrielles fonctionnelles et performantes. Ces territoires nous imposent de fortes contraintes géographiques, ne serait-ce que pour trouver un emplacement adéquat à proximité des ports.

Financièrement, il est très difficile de chiffrer et flécher les contributions : on peut évaluer les mises en marché des producteurs d'outre-mer, mais c'est plus compliqué pour les produits importés. Nous vous donnerons par écrit les éléments chiffrés dont nous disposons.

Mme Viviane Malet, rapporteure . - J'aimerais aussi connaître le montant des sommes versées à votre organisme depuis le début de son activité.

Mme Chloé Brumel-Jouan . - Je répondrai à cette question dans la suite de notre discussion.

M. Pierre de Lépinau, directeur général d'Agriculteurs, distributeurs, industriels pour la valorisation des déchets agricoles (Adivalor) . - Vous me donnez l'occasion de vous présenter l'état d'avancement de la filière française de gestion des déchets d'agrofourniture dans les départements d'outre-mer. Cette filière, mise en place dans l'Hexagone dès 2001, repose sur l'engagement des agriculteurs, qui trient à la ferme, des distributeurs, qui collectent, et des metteurs en marché, qui financent le système. Nous sommes l'écosystème agricole le plus performant au monde en matière de gestion des déchets : plus de 90 % des déchets collectés sont recyclés.

Nous intervenons outre-mer depuis 2005. Il s'est d'abord agi d'appuis ponctuels à des opérations pilotes. Ensuite, avec le soutien du ministère de la transition écologique et de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), des études ont été menées dans chaque collectivité pour mettre en place des opérations pérennes de collecte. Cela a abouti, il y a quatre ans, à l'instauration d'organisations mutualisées de collectes. À la différence de l'Hexagone, il existe en Martinique, en Guadeloupe et à La Réunion un organisme juridique local unique chargé de mutualiser ce travail, ce qui offre une visibilité accrue à notre action.

Aujourd'hui, nous sommes dans une dynamique de progrès. Une comparaison globale entre outre-mer et Hexagone n'est pas pertinente, car cette dernière connaît de grandes disparités de performances : certains départements d'outre-mer n'ont pas à rougir de la comparaison avec certains départements métropolitains.

Nous sommes la dernière filière REP non réglementée, reposant sur un principe de responsabilité partagée. Dans les outre-mer comme dans l'Hexagone, aux acteurs locaux l'organisation de la collecte, à l'organisme national la prise en charge des déchets jusqu'à leur traitement final.

La dynamique récente la plus notable outre-mer est la réduction de la consommation, notamment de produits phytosanitaires : le plan Écophyto donne des résultats spectaculaires. L'usage de plastiques se réduit également, notamment pour l'empaillage des cultures maraîchères, où ils sont largement remplacés par du papier ou des films biodégradables. Cela entre dans le cadre du plan stratégique national de la nouvelle Politique agricole commune (PAC), avec des mesures agro-environnementales et climatiques (MAEC) spécifiques pour les outre-mer, permettant d'accompagner la transition vers des pratiques moins génératrices de déchets.

Nous assistons à un développement important de la collecte en Guadeloupe, en Martinique et à La Réunion, où les taux de collecte dépassent 50 %. La situation reste compliquée en Guyane et à Mayotte, où l'agriculture est moins professionnelle et où les volumes de déchets restent trop modestes pour une démarche spécifique. Comme nos collègues, nous appelons donc à une collecte totalement mutualisée, avec des plateformes de transit multi-déchets.

Par ailleurs, jusqu'à présent, le recyclage était impératif ; or pour recycler, il fallait rapatrier en métropole. Cette exigence est amenée à évoluer. Nous sommes inquiets quant à la pérennité des transports maritimes entre outre-mer et Hexagone : la CMA-CGM a récemment annoncé un arrêt total des transports de déchets plastiques. Or les territoires d'outre-mer ne produisent pas les volumes de déchets suffisants pour rendre viable une unité industrielle de recyclage.

Dès lors, soit l'État accepte de réquisitionner les compagnies pour imposer la continuité territoriale en la matière, soit il faudra rechercher des solutions locales, en revenant sur la politique du tout-recyclage au profit d'une valorisation énergétique des déchets sur place, comme cela se fait déjà à Saint-Barthélemy. Cela requiert du courage politique, mais c'est du bon sens : ces déchets peuvent représenter une importante source d'énergie pour des territoires qui en manquent cruellement. Ajoutons que le coût et l'impact écologique du transport maritime sont énormes !

M. Guillaume Arnauld des Lions, délégué général de l'Association pour la plaisance éco-responsable (APER) . - Notre éco-organisme est jeune : la filière REP des bateaux de plaisance et de sport n'est agréée que depuis mars 2019. Cette filière est aussi de taille modeste : ce marché représente en France un volume de 10 000 unités par an. Les entreprises adhérentes à notre organisme représentent entre 86 % et 92 % des mises sur le marché. C'est aussi la première filière REP au monde pour les bateaux de plaisance. Elle a un fonctionnement très spécifique du fait de la nature des produits traités - les bateaux de plaisance - et de leur environnement réglementaire et fiscal : chaque déchet est traité individuellement, sans possibilité de massification. Le coût de traitement à la tonne est donc bien plus élevé que dans d'autres filières. À l'échelle nationale, un peu plus de 5 000 bateaux ont été déconstruits depuis fin 2019, soit environ 6 000 tonnes de déchets.

Aujourd'hui, 26 centres sont opérationnels en France, dont un seul dans les outre-mer, situé en Martinique etactif depuis juillet 2020. Notre développement outre-mer est freiné par nos difficultés à identifier des acteurs locaux capables de répondre à nos besoins.

Deux dossiers sont en cours d'étude en Guadeloupe ; en Guyane, un centre a reçu l'autorisation nécessaire au titre de la réglementation des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE) ; l'obtention de cette autorisation spécifique pour la déconstruction des bateaux de plaisance requiert entre six et dix-huit mois, ce qui constitue un frein majeur pour le déploiement de notre filière ; ce centre devrait commencer son activité à la fin de l'année.

À Saint-Martin, nous discutons avec l'unique acteur local de traitement des déchets.

À La Réunion, un centre devrait commencer son activité au début de 2023 ; il négocie actuellement une utilisation périodique des terrains nécessaires à cette activité au vu du faible volume prévu.

À Mayotte, des discussions sont engagées, mais nous rencontrons une difficulté spécifique : les besoins sont faibles en matière de bateaux de plaisance, mais il y a en revanche beaucoup de bateaux abandonnés parmi ceux qui servent au transport de migrants clandestins ; seulement, ces bateaux ne sont pas éligibles à notre filière.

Enfin, à Saint-Pierre-et-Miquelon, nous échangeons avec l'État et le conseil territorial pour identifier un acteur capable d'assurer le démantèlement et la dépollution des bateaux, avant évacuation pour un traitement dans l'Hexagone ou ailleurs.

Il apparaît donc que la difficulté majeure outre-mer pour notre jeune filière est d'identifier des acteurs locaux capables de répondre à notre cahier des charges, puis de les convaincre de participer à cette démarche malgré des volumes assez faibles de bateaux à traiter.

M. André Zaffiro, directeur général de Cyclevia . - Cyclevia est un très jeune éco-organisme : son agrément a été obtenu le 24 février dernier. La filière que nous organisons est plus ancienne : les huiles usagées étaient déjà évacuées et traitées dans l'Hexagone depuis des années, sous la houlette de l'Ademe, d'une manière aussi efficiente que possible. Pour ces produits dangereux, les problèmes que nous rencontrons outre-mer sont plus organisationnels que financiers. Comme dans d'autres filières, notre orientation est la régénération, via un rapatriement vers l'Hexagone. L'essentiel des acteurs de notre filière sont privés - les collectivités locales sont ici marginales ; les garages représentent plus de la moitié des volumes collectés, d'autant qu'ils récupèrent les vidanges effectuées par les ménages.

Le volume collecté outre-mer représente à peine 5 % de l'ensemble des volumes traités sur le territoire national ; le coût à la tonne y est quatre à cinq fois supérieur. Nous avons toutes les peines du monde à connaître le potentiel de ces marchés : les services des douanes locaux ne donnent plus les chiffres de mise en marché, le volume des importations est très mal connu sur ce marché très diffus.

Quant au traitement, nous cherchons à développer des solutions locales. La valorisation énergétique sur place est l'une des solutions que l'on pourrait développer, d'autant que la régénération exigée jusqu'à présent requiert un rapatriement dans l'Hexagone très coûteux et écologiquement dispendieux. Cette évacuation suscite des problèmes très importants : les compagnies maritimes sont soumises à des contraintes administratives croissantes, et des stocks s'accumulent sur place dans des conditions détériorées.

M. Yannick Jegou, président de Dastri . - J'espère pouvoir vous démontrer l'équité du traitement des déchets par notre filière entre collectivités d'outre-mer et métropole. Notre éco-organisme, Dastri, collecte des déchets d'activités de soins à risque infectieux (Dasri) pour les patients en autotraitement : nous leur distribuons des boîtes de collecte, ils y mettent leurs déchets, puis les ramènent dans des points de collecte, pour que nous puissions les incinérer. Nous existons depuis dix ans ; notre activité a commencé dans les outre-mer, qui connaissent un plus fort taux de diabète - maladie fort génératrice de tels déchets - que la métropole.

Mme Laurence Bouret, déléguée générale de Dastri . - En 2017, les outre-mer représentaient 2 % des déchets collectés par nos soins, contre 5 % en 2021. En valeur, nos adhérents déclarent un peu plus de 1,3 milliard d'unités de dispositifs médicaux commercialisés, dont 66 000 unités outre-mer. J'ajoute que ces dernières sont généralement utilisées, car nous n'avons pas de délai entre la mise en marché et l'utilisation dans ces territoires.

Nous avons commencé à distribuer nos boîtes outre-mer pour prendre en compte les délais d'acheminement. Dans la même logique de discrimination positive, nous avons décidé que toutes les pharmacies d'outre-mer entreraient dans le réseau dès la mise en oeuvre du dispositif, ce qui n'était pas le cas dans l'Hexagone. Le but était de prendre en compte différentes spécificités, notamment les difficultés de déplacement.

Conformément au code de la santé, nous sommes également opérationnels à Saint-Barthélemy, où notre activité a commencé un peu plus tard qu'ailleurs, en 2018. Dans les autres territoires, elle remonte à 2013.

Sur la période du second agrément, le budget de notre éco-organisme oscille entre 8,5 et 9,8 millions d'euros. Les contributions financières demandées à nos adhérents outre-mer sont de l'ordre de 2 % et 3 %, soit 200 000 à 300 000 euros pour l'ensemble des territoires ultramarins. Nous y dépensons 150 % dudit budget. Cette charge est compensée par les territoires de l'Hexagone qui fonctionnent mieux et ont, en conséquence, besoin de moins d'actions. Nous dépensons ainsi 300 000 à 400 000 euros dans l'ensemble des outre-mer.

Notre taux moyen de collecte outre-mer est assez performant. Il s'établit à 75 %, mais ce chiffre cache de fortes disparités régionales. Notre taux de collecte est ainsi de 200 % à Mayotte, où nous collectons beaucoup de déchets de professionnels. De plus, l'écart entre la population officielle et la population officieuse de ce territoire a certainement un impact sur les données de référence.

En volume, nous sommes passés de 400 kilogrammes en 2013 à 44 tonnes aujourd'hui pour l'ensemble des territoires ultramarins-. Évidemment, les quantités sont très variables, par exemple entre Saint-Pierre-et-Miquelon et la Martinique. De même, pour les déchets dangereux, les coûts de traitement, qui varient entre 500 et 600 euros la tonne dans l'Hexagone, peuvent atteindre 4 600 euros la tonne à Saint-Martin.

Nous avons la chance de disposer d'installations de traitement dans l'ensemble des territoires. En effet, les deux modes de traitement des Dasri sont l'incinération - nous disposons d'une unité de valorisation énergétique à Fort-de-France ainsi qu'à Saint-Barthélemy - et le pré-traitement par désinfection. À ce titre, nous passons par des installations industrielles de plus petite taille, qui, schématiquement, broient et chauffent. Dès lors, nous n'avons plus à gérer le risque infectieux. Ensuite, la matière broyée est enfouie, dans des conditions qui, bien sûr, ne sont pas toujours idéales. Cette solution a du moins le mérite d'être mise en oeuvre localement.

Comme certains de nos collègues, nous avons été confrontés à des appels d'offres infructueux, notamment à Mayotte. Dès lors, nous avons dû opter pour le fret aérien en direction de La Réunion. L'opérateur local dispose d'un équipement sur place, mais il n'a pas répondu à nos sollicitations. Au plus fort de la crise sanitaire, nous avons donc dû demander au préfet de le réquisitionner. Les déchets s'accumulaient dans les pharmacies et il fallait les éliminer rapidement.

Les spécificités géographiques ont elles aussi toute leur importance. Nous assurons des transports de Dasri en pirogue sur le Maroni. À La Réunion, pour le cirque de Mafate, nous procédons par hélicoptère, voire à pied.

Récemment encore, à Mayotte, certains villages étaient bloqués et les services de l'État ne nous ont pas permis d'accéder aux pharmacies de ces localités pour assurer la collecte.

N'oublions pas non plus les problématiques climatiques. Après le passage de la tempête Irma, il n'y avait plus une pharmacie debout à Saint-Martin. Nous avons dû repartir de zéro.

Nous avons travaillé avec les caisses générales de sécurité sociale (CGSS) pour obtenir le gisement de références le plus précis possible. Nous avons mis dix ans pour obtenir des données par territoire. À présent, nous voulons disposer de données par habitant, afin d'affiner les actions à mettre en oeuvre.

Enfin, on nous a refusé la possibilité d'expérimenter outre-mer la séparation pour recyclage d'un nouveau type de dispositif médical, à savoir une petite pompe patch à insuline, fonctionnant à l'aide d'une carte électronique et de piles. Nous sommes aujourd'hui obligés de rapatrier ces dispositifs par avion, et c'est dommage. Cette activité est certes d'une ampleur modeste, mais, dans les Antilles comme dans l'océan Indien, elle permettrait d'éviter des transports vers l'Hexagone.

M. Stéphane Murignieux, président de l'Institut de la transition écologique des outre-mer . - Mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi de saluer chaleureusement nos partenaires représentants des éco-organismes. Vous avez devant vous les premiers de la classe : ce sont eux qui font le travail et je tiens à leur rendre hommage.

J'ai suivi l'ensemble de vos auditions et j'observe que beaucoup de points s'éclairent d'ores et déjà. Sur ce sujet, le Sénat est « à la manoeuvre », et je tiens aussi à saluer son action, notamment législative.

Le problème des déchets est non seulement esthétique, mais aussi sanitaire. Outre-mer, ces derniers sont des foyers de dengue, de chikungunya et d'autres maladies encore.

La gestion efficiente des déchets est donc une impérieuse nécessité, et elle va de pair avec l'économie circulaire. C'est à la fois un moyen de préserver la ressource et une formidable chance de création d'emplois, un relais de croissance pour nos territoires ultramarins.

À ce titre, la coopération régionale est nécessaire, tant dans l'océan Indien que dans la Caraïbe, mais nous nous heurtons à un problème majeur : celui du transport. Aujourd'hui, il est plus coûteux d'envoyer un conteneur de pneus usagés de Martinique en Guadeloupe que de Martinique en métropole.

J'insiste, la coopération régionale est la solution, qu'il s'agisse de la massification, de la gestion des transports ou du développement d'unités locales de recyclage, dont la technologie nous permet aujourd'hui d'abaisser le seuil, du moins pour certains déchets. En effet, tous les plastiques ne sont pas de même nature. À cet égard, je salue l'expérimentation menée par Adivalor au sujet des plastiques biodégradables, tant à La Réunion, dans les plantations d'ananas, qu'en Guadeloupe.

Je salue également la direction générale de la prévention des risques (DGPR), qui, après douze jours de négociations avec nos partenaires européens, vient d'obtenir un accord pour l'aménagement de la convention de Bâle. Nous allons enfin pouvoir assouplir les règles encadrant le transport des déchets dangereux. C'était là un véritable problème dans l'océan Indien, pour ne pas dire un point de blocage, et ce, depuis de nombreuses années.

Évidemment, nous devrons aller vers des cahiers des charges adaptés et territorialisés, car les collectivités territoriales sont les mieux à même de porter un regard aiguisé sur ces dispositions. Dans cette perspective, les uns et les autres doivent continuer à travailler avec ces partenaires incontournables.

La plateforme interfilières, qui regroupe les éco-organismes, a déjà fait une partie du travail qui lui avait été confié. Le moment est venu d'aller plus loin dans le cadre de son second cahier des charges.

Nous avons nous aussi beaucoup de mal à obtenir des données relatives aux filières REP, du fait de la structure même du marché. En France métropolitaine, c'est possible, car nous disposons de producteurs. En revanche, outre-mer, nous ne disposons que de distributeurs. Or, suivant le choix du législateur, c'est le producteur, et non le distributeur, qui verse l'éco-contribution aux éco-organismes.

Ce constat nous conduit à une question structurelle : qui doit payer l'éco-contribution ? Par exemple, le grand export en est exonéré, du moins sur un certain nombre de produits.

Il s'agit là d'un sujet partenarial, car les éco-organismes opérationnels sont les premiers désireux d'y voir plus clair. Je ne reviendrai pas sur les éco-organismes financiers, comme Citeo, qui n'est pas encore un opérateur technique. Son travail consiste à financer les collectivités territoriales. Il intervient à titre subsidiaire dans le domaine de la recherche et du développement. Au reste, nombre de ses actions sont tout à fait intéressantes.

Par ailleurs, ce qui a été souligné s'agissant des jeunes filières est très instructif. Nous allons voir arriver de nombreuses autres filières : mégots, chewing-gums, etc.

Nous avons un problème structurel dans nos outre-mer : nous n'avons pas d'opérateurs efficients, ou nous en avons peu. Les bateaux de plaisance sont traités chez celui qui déjà a du mal à gérer les flux des déchets d'équipements électriques et électroniques (DEEE) et qui voit arriver nos flux de véhicules hors d'usage (VHU). Je ne sais pas comment l'on peut fonctionner ainsi. Il y a de grandes difficultés à faire traiter localement, et ce n'est pas en allant embouteiller les microstructures que l'on va pouvoir aller de l'avant. S'il doit y avoir de nouvelles filières, il faut aussi des investissements et de la création pure de structures de traitement. L'investissement sera la clé du traitement local : il faut en passer par là. Mais rassurez-vous : il existe des soutiens, des fonds de la région et de l'Europe.

Je voudrais évoquer le stock et le passif. Nous parlons des filières à venir. On va créer une filière pneus, une filière VHU. La filière DEEE fonctionne bien, de même que la filière de mobilier professionnel. On a réussi à purger le passif, c'est-à-dire tous ces déchets qui s'étaient accumulés et qui n'avaient pas été traités.

Nous le savons, il y a aujourd'hui de 10 000 à 12 000 VHU qui sont stockés, par exemple sur des terrains privés ou sous la végétation en Guyane, et qui n'ont pas été traités. Cela appelle un débat sur les dépôts sauvages et les déchets abandonnés. Il va falloir trouver un moyen de s'attaquer à ce passif.

Je vous soumets une idée. Dans la loi Agec, nous avons obtenu qu'il y ait une part budgétaire émanant des éco-organismes pour travailler sur la problématique des dépôts sauvages et des déchets abandonnés. Peut-on imaginer un fonds mutualisé de tous les éco-organismes pour traiter cela ensemble ? Il y a quatre familles de déchets abandonnés : des pneus, les VHU, certains DEEE et des déchets verts.

J'appelle les éco-organismes à faire des déplacements, à venir sur place - je salue ceux qui le font déjà régulièrement - et à ne pas attendre des années pour découvrir des situations qui leur ont échappé. J'ai voyagé avec certains responsables. Mais il y en a d'autres que l'on n'a jamais vus...

Avez-vous des administrateurs ultramarins dans vos conseils d'administration ? Comment sont-ils représentés ? Ne serait-il pas nécessaire qu'il y ait des représentants soit de la distribution ultramarine, soit des producteurs ultramarins ?

Mesdames, messieurs les sénateurs, allez-vous organiser une autre table ronde, cette fois avec les représentants de la filière pneus, de la filière textile et de la filière mobilier ?

Mme Gisèle Jourda, rapporteure . - Je tiens à remercier les intervenants pour la qualité de leurs exposés, qui montre la pertinence du sujet. Ils ont à la fois dressé un constat et évoqué des pistes.

La problématique des dépôts sauvages et des déchets abandonnés dans les territoires ultramarins est au coeur de nos préoccupations. Il s'agit d'articuler les questions d'environnement et de pollution des sols et de l'eau avec celles de santé, ainsi que - on l'oublie trop souvent - d'agriculture. Nous sommes à l'intersection de ces différentes thématiques. Nous devons avancer sur l'ensemble des sujets en même temps, afin de n'avoir aucun angle mort. Et il faut nous inscrire dans une perspective européenne.

Tous ces dossiers sont sur la table de l'Union européenne. La piste d'un fonds mutualisé, que vous avez évoquée, est intéressante. La collectivité nationale doit être au rendez-vous, mais il faut aussi une volonté européenne. Le rôle des échelons locaux, notamment départementaux, a été mis en lumière ce matin.

Les problèmes les plus prégnants qui ont été soulignés sont liés à l'insularité, voire à la double ou à la triple insularité. Le fait qu'il soit moins cher et plus pratique de faire envoyer des déchets vers l'Hexagone soulève des questionnements de fond.

Je précise à l'intention de nos différents intervenants que notre délégation est paritaire : elle se compose de sénateurs à la fois de l'Hexagone et des territoires ultramarins. Lorsque nous produisons des rapports, et il y a systématiquement un rapporteur élu de l'Hexagone qui y contribue. Cela permet de montrer que le territoire national n'est pas exclusivement continental ou métropolitain. Telle est la philosophie de la Délégation sénatoriale aux outre-mer.

Mme Viviane Malet, rapporteure . - Je remercie à mon tour les différents intervenants de la qualité de leurs propos. Ils ont souligné la nécessité d'innover dans les méthodes, de travailler main dans la main avec les collectivités. Pour recycler, il faut déjà faire du tri, et ce n'est pas toujours évident.

Il faut évidemment aborder le transport. Je m'étonne qu'il soit plus cher d'aller de la Martinique à la Guadeloupe que vers la métropole. Comment font les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF) ? Tout est acheminé à La Réunion, et cela ne pose pas de problème. C'est peut-être aussi parce qu'il s'agit d'un transport à taille humaine. Mais je pense que c'est possible.

Ne pourrait-on pas envisager une mutualisation, pour avoir des plateformes qui puissent travailler entre Mayotte et La Réunion ? Idem dans les Caraïbes. Ne peut-on imaginer, dans un souci de rentabilité, de créer des mains-d'oeuvre spécialisées sur nos territoires ?

Je m'étonne également de ce qui a été indiqué à propos des téléphones portables et des piles. Pourquoi n'y a-t-il pas eu d'autorisation ?

Mme Nassimah Dindar . - Je salue le travail de nos deux rapporteures. Les questions que mes collègues ont posées rejoignent les miennes.

J'ai bien noté que la filière devait être assurée jusqu'au traitement final. Quasiment tous les intervenants ont fait allusion à la prégnance de la problématique de l'acheminement. Que pensez-vous de l'axe de la coopération régionale ?

À La Réunion, les citoyens envoient à titre privé des containers de pneus et de carcasses de voitures à Madagascar. Comment se fait-il que les éco-organismes n'arrivent pas à organiser cela d'un point de vue institutionnel ?

Le fait que le transport soit plus cher entre territoires ultramarins que d'un territoire ultramarin à la métropole pose une vraie question. Pourtant, il y a de fortes potentialités, par exemple dans l'océan Indien ; je reviens d'une visite avec des sénateurs dans la première usine textile française à Antsirabé (Madagascar).

Il faudrait que les élus et les services de l'État fassent preuve de bon sens en articulant l'action européenne et la coopération régionale, comme cela se fait dans les pays voisins.

M. Dominique Théophile . - Le groupe CMA-CGM vient d'annoncer ce matin la reprise du transport des déchets plastiques dans les outre-mer.

Les représentants d'Adivalor ont cité l'exemple de Saint-Barthélemy pour la valorisation énergétique des déchets plastiques. Savez-vous si d'autres projets ont été ou sont à l'étude dans les territoires d'outre-mer ?

Ma dernière question s'adresse au responsable de l'Association de plaisance éco-responsable (APER) : vous avez annoncé, en juin, l'ouverture d'un centre de construction de bateaux de plaisance en Martinique. C'est aujourd'hui la société Metal Dom, basée à Fort-de-France, qui en a la charge. Si mes informations sont bonnes, des candidatures sont également à l'étude en Guadeloupe et à Saint-Martin, où vous espériez ouvrir des centres avant la fin de l'année 2020, et des discussions sont engagées à La Réunion et à Saint-Pierre-et-Miquelon.

Le blocage est-il dû à des raisons conjoncturelles liées à la crise sanitaire, ou y a-t-il un problème du côté des candidatures ?

Mme Marie-Laure Phinera-Horth, présidente- . -

Lorsque j'étais présidente de la Communauté d'agglomération du Centre littoral de Guyane (CACL), mes services ont beaucoup travaillé sur la question des huiles usagées. Malgré notre collaboration avec l'Ademe - chaque année, plusieurs tonnes d'huile étaient collectées dans les six communes du territoire -, il reste encore beaucoup à faire.

Ma question s'adresse à André Zaffiro : quelles sont vos propositions pour structurer cette filière sur le territoire guyanais ? Les garagistes y sont de plus en nombreux, et les marchands ambulants déversent leurs huiles au pied des palmiers. Ce n'est pas normal...

M. Arnaud Humbert-Droz . - En réponse à Gisèle Jourda, sénatrice de l'Aude, je souligne que l'Occitanie est également un territoire d'expérimentation pour Valdelia. En effet, nous souhaitons développer dans l'Hexagone des actions semblables à celles que nous réalisons dans les DROM-COM.

La question financière est importante. Elle revient continuellement lors de chacun de mes déplacements. Pour ce qui concerne Valdelia, la perception des éco-contributions dans les territoires ultra-marins s'élève globalement à 117 528 euros par an. En 2021, les dépenses représentaient environ 250 000 euros, dont 150 000 euros de coûts de collecte et de traitement, qui sont complétés par des frais de recherche et développement.

Comme d'autres éco-organismes, nous avons tenté en effet de mettre en place, depuis 2015, un dispositif de facilitation, qui consiste à s'appuyer sur des opérateurs locaux pour développer la collecte. La facilitation doit nous permettre d'accéder à des gisements que, toutefois - je le répète -, nous avons du mal à traiter.

Nassimah Dindar, sénatrice de La Réunion, me demandait pour quelle raison des opérateurs privés parvenaient, contrairement à nous, à transporter des déchets vers des territoires voisins comme Madagascar. C'est un véritable problème. Stéphane Murignieux nous apprend ce matin que la convention de Bâle sera aménagée. Tant mieux ! Un certain nombre de questions se posent néanmoins, en termes non seulement de réglementation, mais aussi de légalité de l'enlèvement et du traitement.

Le cas des véhicules hors d'usage, c'est-à-dire des produits ferreux et non ferreux, a été traité dans l'Hexagone. Nous pouvons nous poser la question de la valeur des produits transportés et de notre responsabilité. L'exemple de l'arc Caraïbes me semble plus intéressant. Il existe sur l'île de la Dominique un incinérateur qui pourrait intéresser la filière mobilier. Or, aux termes de la convention de Bâle, ce territoire ne nous est pas accessible.

Nous devons donc travailler sur notre capacité à proposer nos produits à des pays non-membres de l'Union européenne. La société Ecosystem indiquait souhaiter rapatrier ses produits vers l'Hexagone pour une meilleure gestion. Ce n'est pas notre souhait. Compte tenu des quantités à traiter, il est peu probable que nous puissions développer un dispositif de traitement. Or il en existe à proximité, au Québec, mais nous ne pouvons y accéder, car le Canada n'est pas membre de l'Union européenne.

La création d'un fonds global est-elle une bonne idée ? Ce n'est pas la question. L'interfilière, dont je deviens le représentant, a pour objectif de développer dans les trois prochaines années la coopération territoriale pour mettre en place des dispositifs plus performants. Ne parlons pas forcément d'argent. Les exemples que nous vous avons apportés démontrent que notre implication financière est importante, voire dépasse les perceptions dans les territoires. Nos sujets sont politiques et portent sur la planification à long terme.

Pour chacun des territoires, je pourrais vous donner un exemple concret des difficultés que nous rencontrons pour développer des dispositifs de traitement locaux. En Guadeloupe, un site de traitement du combustible solide de récupération (CSR) est attendu depuis cinq à dix ans. Or le problème énergétique y est important. Essayons de mailler la question énergétique et celle de la gestion des produits en fin de vie.

La Martinique, ensuite, fait face à un énorme problème de traitement. La fameuse troisième ligne qui doit arriver au Syndicat martiniquais de traitement et de valorisation des déchets (SMTVD) n'arrive toujours pas. Cela fait dix ans que l'on en parle. D'autres structures ont été ouvertes, qui ne fonctionnent pas.

À La Réunion, une installation doit permettre de produire du CSR. Malheureusement, nous n'avons pas d'usine en capacité de consommer le CSR, si bien que l'opérateur continue à enfouir et, pis, monte un piton. C'est anecdotique, mais, entre parenthèses, cela coûte beaucoup plus cher à la collectivité.

Notre objectif commun doit donc être la planification à long terme et l'utilisation de la totalité des fonds, pas uniquement celui des éco-organismes.

M. André Zaffiro . - Je rappelle la jeunesse de notre éco-organisme, qui n'est agréé que depuis trois mois. Nous avons effectué plusieurs visites à La Réunion, une autre est programmée en Guadeloupe en juillet prochain, mais nous n'avons pas pu jusqu'ici nous rendre en Guyane.

À ma connaissance, deux opérateurs sont sur place, une filiale de E-Compagnie, basée à la Martinique, et une filiale de Veolia, qui se trouve en Guadeloupe. Ces collecteurs, qui poursuivront leur mission dans un futur proche, sont en cours d'adhésion à notre éco-organisme.

Notre investissement en Guyane comme dans l'ensemble des territoires est au moins égal à celui de l'Ademe auparavant, puisque nous consacrons plus de 50 euros par tonne à la communication envers les collectivités territoriales et que l'ensemble des moyens de collecte - hélicoptère, pirogue - sont maintenus dans les relations avec l'éco-organisme.

M. Guillaume Arnauld des Lions . - En réponse au sénateur Dominique Théophile, je confirme que le centre opérationnel de notre filière est aujourd'hui Metal Dom, qui traite des bateaux en Martinique depuis juillet 2020.

Les difficultés que nous rencontrons dans les discussions et les études que nous menons avec les autres territoires sont de trois ordres.

Premièrement, il est très difficile d'identifier et de mobiliser des opérateurs locaux qui soient capables de répondre au cahier des charges. En Guadeloupe, par exemple, aucun des deux dossiers présentés n'émane de sociétés spécialisées dans le traitement et le recyclage des déchets. Il s'agit d'entreprises du secteur nautique qui cherchent à se positionner sur cette activité, qui est très spécifique et très encadrée.

Deuxièmement, les modélisations économiques auxquelles se livrent ces entreprises aboutissent souvent à des coûts de traitement prohibitifs. Ainsi, le coût de traitement des bateaux en Martinique est actuellement trois fois supérieur au coût métropolitain, même si l'éco-organisme est prêt à l'assumer.

Enfin, troisième difficulté, une fois que les opérateurs sont identifiés et disposés à s'impliquer dans la filière, ils se heurtent aux délais d'obtention de la fameuse autorisation installation classée pour la protection de l'environnement (ICPE) particulière, qui retarde considérablement les choses.

Mme Laurence Bouret . - Madame la sénatrice, vous me demandez pourquoi nous n'avons pas obtenu l'autorisation de mener notre expérimentation. Le ministère de la santé nous l'a refusée du fait de la nécessité, pour les personnes impliquées, de séparer manuellement les piles des dispositifs médicaux. Ces piles sont utilisées à 15 % et remplacées tous les trois ou quatre jours, alors qu'elles sont quasiment neuves. Nous avions objecté que les patients procédaient déjà eux-mêmes à cette opération, et il nous semblait pertinent de la mener dans un cadre plus structuré, mais nous n'avons pas été entendus.

Mme Jocelyne Guidez . - Personne ne parle des sargasses. Considérez-vous, comme moi, qu'elles constituent des déchets ? Autrefois, on les étalait sur des terrains que les paysans mettaient spécialement à disposition. Aujourd'hui, on les enfouit dans le sable, si bien que les plages sont envahies de monticules de sargasses qui dégagent une odeur insupportable. Que faites-vous des sargasses et avez-vous l'intention de les traiter ?

M. Arnaud Humbert-Droz . - Malheureusement, les sargasses, qui sont des déchets verts, ne sont pas concernées par un dispositif REP. Il y a toutefois des actions à mener conjointement. J'insiste de nouveau sur la nécessité d'une planification territoriale de moyen et long terme, ainsi que sur l'implication de l'Europe pour nous permettre de développer des dispositifs locaux pertinents.

Mme Chloé Brumel-Jouan . - Je n'ai aucune idée du pouvoir méthanogène des sargasses, mais il existe de nombreuses pistes de méthanisation des biodéchets qui permettent d'alimenter les réseaux des concessionnaires gaziers ou de produire du gaz vert.

Aujourd'hui, nous sommes en capacité de vous indiquer le montant des éco-contributions payées par les metteurs en marché dits « producteurs outre-mer ». Cela ne veut pas dire que les tonnages en question sont restés sur le territoire : ils ont pu être exportés et on ne peut pas non plus obtenir, sans l'aide des douanes, un cumul des importations.

Néanmoins ces producteurs ont éco-contribué, en 2020, à hauteur de 1,5 million d'euros environ, c'est-à-dire un dixième de ce que nous dépensons chaque année dans les territoires outre-mer. En effet, pour cette même année 2020, la partie collecte et traitement de toute la filière, hors transport maritime, représente 12,5 millions d'euros. En d'autres termes, ce qui est mis en oeuvre dans les outre-mer est l'équivalent de dix années d'éco-contribution. Dans ces conditions, heureusement que nous procédons à une sorte de péréquation, que nous assurons une continuité de service et qu'on ne raisonne pas sur la seule base de l'éco-contribution fléchée des producteurs locaux, mais sur la base du service rendu à l'ensemble.

Enfin, je doute que les conteneurs à destination de Madagascar qui ont été évoqués soient fléchés avec des codes déchets. Ils relèvent probablement de ce que nous assimilons à la filière illégale. La prédation sur les déchets d'équipement électriques et électroniques (DEEE), qui contiennent des terres rares, des métaux précieux ou simplement de la ferraille, est très importante. Le fait que des opérateurs privés réussissent à envoyer des conteneurs à Madagascar nous inquiète beaucoup. Nous luttons avec vigueur contre les filières illégales, notre objectif premier étant de dépolluer et de traiter. C'est pour ces raisons que les très faibles tonnages de Saint-Pierre-et-Miquelon reviennent en métropole pour être traités.

M. Alexis Blanc . - Dans les territoires insulaires, il semble simple, de prime abord, de récupérer et de traiter sur place l'ensemble des déchets : soit ces déchets reviennent dans les filières, soit ils vont dans les décharges, soit ils restent chez l'habitant. Pourtant, l'étude que nous menons actuellement sur le gisement de La Réunion montre que la moitié seulement des produits de la filière DEEE mis sur le marché sont collectés et recyclés. Il reste donc beaucoup à faire.

Surtout, nous constatons effectivement des exportations illégales. Recherchés pour leur valeur financière, les déchets DEEE sont avant tout dangereux pour la santé humaine comme pour l'environnement. Afin de combattre les exportations illégales, une réflexion doit être menée avec les services douaniers en vue de resserrer les contrôles. Nous avons le devoir éthique de faire en sorte que les déchets envoyés vers Madagascar n'y arrivent pas, tant ils y sont traités dans des conditions insupportables.

J'ajouterai qu'il existe, dans chaque territoire ultramarin, des sites de traitement illégaux qui ne sont pas référencés au sein de la direction de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DEAL) par une installation ICPE. Or le traitement qui y est réalisé échappe complètement à la réglementation. Il constitue un danger pour l'environnement, pour le personnel qui y travaille, mais aussi pour les filières, puisque les déchets sont ensuite exportés en Afrique ou en Asie. L'État doit mettre à la disposition des DEAL et des services des douanes les moyens nécessaires pour mieux contrôler ces filières illégales.

Les départements d'outre-mer ont un besoin impérieux de coopération. C'est pour maximiser les volumes, mais aussi favoriser l'emploi local, que nous faisons ainsi traiter les déchets de Mayotte à La Réunion, ceux de Guyane et de Martinique à la Guadeloupe. Cependant, le transport maritime est problématique. Ainsi, à Mayotte, où les importations dépassent de très loin les exportations, les ports sont remplis de conteneurs vides. Nous en arrivons à cette situation ubuesque où des compagnies maritimes refusent, pour des raisons financières, de transporter des déchets.

Le besoin d'établir des lignes maritimes à coûts maîtrisés entre les différents territoires est patent. Il est tout de même incroyable de devoir envoyer les déchets produits à Mayotte vers la métropole, faute de pouvoir les expédier à La Réunion. De la même façon, il arrive que l'on renvoie dans l'Hexagone des déchets de Guyane destinés initialement à la Guadeloupe...

Je reviendrai, pour terminer, sur le manque d'infrastructures des opérateurs locaux. Ces derniers se heurtent au coût très élevé du foncier dans les outre-mer. Vous savez la difficulté de trouver des terrains. Compte tenu des faibles tonnages, les retours sur investissement sont très faibles pour les opérateurs, qui préfèrent ne pas investir, d'où le manque d'installations respectant la réglementation.

C'est la raison pour laquelle nous travaillons, à La Réunion, avec le syndicat intercommunal de gestion des déchets, au regroupement des éco-organismes au sein d'une plateforme multifilière en vue de créer ces infrastructures. Si nous ne mettons pas les moyens nécessaires pour les créer, les opérateurs locaux ne le feront pas. L'idée est qu'ils exploitent ensuite ces installations pour traiter les déchets.

Mme Marie-Laure Phinera-Horth, présidente. - Puis-je savoir si l'un des organismes ici présents s'occupe, en Guyane, des pièces anatomiques d'origine humaine (PAOH) ?

Mme Laurence Bouret . - Ces déchets font partie de ceux qui ne sont pas soumis au principe de la responsabilité élargie du producteur (REP). Ils sont gérés par l'hôpital lui-même et, souvent, sont rapportés dans l'Hexagone - ce fut le cas, avec l'aide des militaires, pour les déchets de Saint-Pierre-et-Miquelon -, faute d'installations permettant de les traiter localement.

Mme Marie-Laure Phinera-Horth, présidente . - Il fut un temps où on les enterrait dans les cimetières...

Mme Laurence Bouret . - Ces déchets peuvent être également incinérés. Cela dépend des territoires, de leurs coutumes et pratiques religieuses.

Mme Marie-Laure Phinera-Horth, présidente . - En Guyane, la majorité de la population est catholique. Quand les gens apprennent qu'on enterre des boîtes contenant des PAOH, vous imaginez que les maires ont du souci à se faire...

Mme Nassimah Dindar . - Je suis totalement favorable au renforcement de la lutte contre le transport illégal de déchets, mais moins convaincue que cela passe par un renforcement des moyens de contrôle.

Peut-on lutter contre la survie humaine ? On peut consacrer 70 millions d'euros à la surveillance de nos côtes ou au rapatriement des Comoriens qui débarquent à Mayotte. Mais nous n'empêcherons jamais les 30 millions de Malgaches de vouloir trouver les moyens de survivre et de nourrir leurs enfants. Il n'est pas étonnant, dès lors, que des conteneurs privés de matières premières soient expédiés vers Madagascar. L'île devient un dépotoir où se développent des maladies émergentes que nous devrons affronter plus tard.

Qu'on le veuille ou non, ces îles de l'océan Indien ont un destin commun. Quelles que soient les réglementations, les vies des Malgaches, des Réunionnais, des Mahorais, des Comoriens et des Mauriciens sont liées. La coopération régionale, au sens le plus large du terme, doit être pensée de manière quasiment holistique.

M. Stéphane Artano. - Merci d'avoir assuré la présidence de cette réunion, à laquelle j'ai participé à distance. Je salue la qualité des échanges intervenus : j'ai beaucoup appris ! N'hésitez pas à nous renvoyer le questionnaire que nous vous avions adressé. La semaine prochaine, notre mission d'information ira à Mayotte et à La Réunion pour une visite de terrain. Mardi, le Sénat accueillera une délégation de l'Assemblée des maires de France, qui va constituer une délégation outre-mer.

M. Stéphane Murignieux . - Nous n'avons pas évoqué les futures REP, en particulier celle qui concerne les PMCB (produits matériaux construction pour le secteur du bâtiment). Nous devons tirer les leçons du passé pour aller vers une REP opérationnelle et efficace, avec des cahiers des charges vraiment adaptés à nos territoires ultramarins, car la PMCB concernera des volumes considérables.

Mme Marie-Laure Phinera-Horth, présidente . - Merci à tous.

Mardi 12 juillet 2022

Table ronde Guyane

M. Stéphane Artano, président . - Nous poursuivons nos travaux sur la gestion des déchets dans les territoires ultramarins avec une table ronde consacrée à la situation en Guyane. En réponse au questionnaire écrit envoyé par nos deux rapporteures, Gisèle Jourda et Viviane Malet, la collectivité territoriale de Guyane a déjà fourni beaucoup d'éléments. Je tiens à remercier ses représentants et à saluer leur travail. La présente audition doit permettre de mettre en avant les priorités dans ce territoire si spécifique. Merci à tous pour votre participation et votre engagement car les défis sont évidemment immenses.

Mme Sherly Alcin, conseillère territoriale, en charge du climat et de l'éducation à l'environnement . - Le plan régional de prévention et de gestion des déchets de la Guyane qui doit voir le jour est en cours d'élaboration. Les enjeux sont criants : chaque habitant produit annuellement 467 kilos de déchets, et notre gisement de déchets est évalué à environ 220 000 tonnes. En l'absence de système de pesée, ces estimations sont aléatoires.

A ce stade, nous souhaitons mettre l'accent sur les véhicules hors d'usage (VHU), et notamment sur des procédures d'appel à manifestation d'intérêt pour des projets de centres de traitement de ce type de déchets. Sur notre territoire, nous n'avons que deux déchetteries. Notre territoire est directement impacté par les dépôts sauvages, les décharges dangereuses et autres décharges illégales.

La CTG est engagée en tant qu'autorité de tutelle s'agissant des fonds européens, et des centres de tri qui doivent être créés pour amorcer le tournant dans la dynamique d'aménagement de notre territoire lequel constitue une partie du poumon de la planète avec, l'Amazonie.

Pour plus de développements techniques, je cède la parole à Monsieur Labarthe.

M. Laurent Labarthe, directeur général adjoint, en charge du pôle aménagement, transports et développement durable des territoires de la collectivité territoriale de Guyane . - Comme l'a indiqué Sherly Alcin, la Guyane élabore actuellement son plan régional de prévention et de gestion des déchets. Elle se dote enfin d'un outil qui réalise un diagnostic récent de la problématique des déchets à l'échelle de l'ensemble du territoire.

Notre vaste territoire se heurte à des problématiques de transport dans l'acheminement des déchets. En outre, sa population n'est pas entièrement desservie par les services publics, ce qui fait que tous les volumes de déchets ne sont pas enregistrés.

Nous avons un retard structurel, puisqu'il n'y a que deux déchetteries, ce qui ne permet pas aux éco-organismes d'intervenir comme ils le devraient - en tout cas, ils se retranchent derrière cet argument pour ne pas intervenir sur l'ensemble des déchets et surtout sur l'ensemble du territoire, notamment les communes de l'intérieur, 7 communes sur 22 n'étant pas accessibles par la route.

Nos besoins financiers sont très importants, puisque le PGTD estime à près de 400 millions d'euros tout compris les besoins en matière de stockage, notamment avec les problématiques des décharges sauvages sur le Maroni et l'Oyapock, mais aussi concernant la valorisation, avec un projet d'unité de valorisation énergétique sur le territoire de la Communauté d'agglomération du centre littoral (CACL).

Nous avons également des besoins en ingénierie dans les communes et les EPCI, et même dans les services de l'État qui n'ont pas toujours le personnel pour effectuer une police de l'environnement aussi prégnante qu'on le souhaiterait, ce qui a pour résultat le développement de décharges sauvages.

Concernant la création de nouvelles unités, nous avons une problématique de foncier qui peut surprendre compte tenu de la taille de la Guyane, mais qui constitue une réalité parce qu'on ne peut pas construire dans une forêt primaire, ou dans des savanes. Nous avons un réel besoin de foncier pour créer ces nouvelles unités de traitement et de valorisation des déchets.

Mme Sophie Charles, présidente de la communauté de communes de l'Ouest guyanais . - La communauté de communes de l'ouest guyanais (CCOG) représente une superficie de 40 000 kilomètres carrés et comprend un certain nombre de communes totalement enclavées, c'est-à-dire non reliées par la route : soit au total, huit communes, dont quatre littorales et quatre non reliées par la route. La collecte des déchets est donc extrêmement problématique.

Il y a plusieurs sujets. D'abord, il y a un déficit d'infrastructures. Le problème n'est pas un problème de réhabilitation mais de non-réalisation d'un certain nombre d'entre elles. Il faut des financements par les fonds européens, et que ceux-ci soient sanctuarisés. Aujourd'hui, on nous demande d'améliorer ce qui n'existe pas !

Par ailleurs, au niveau de l'Etat, les agents sont davantage axés sur le contrôle plutôt que sur l'aide des collectivités, et en particulier s'agissant de la CCOG. Le plan d' «urgence» en faveur du Maroni date de 2011 et nous en sommes à peine, en 2022, à sa réception !

Notre territoire a des difficultés spécifiques, à la fois physiques, d'enclavement, mais aussi financières, car collecter les déchets d'une commune littorale reliée par la route, n'a rien à voir avec le fait de collecter sur un périmètre de plusieurs centaines de kilomètres. Le territoire de la Guyane est très étendu, et dans les zones qui ne sont pas répertoriées comme zones urbanisées, les dépôts sauvages se multiplient.

S'ajoute à cela une faiblesse de la fiscalité puisque la taxe d'enlèvement des ordures ménagères (TEOM) collectée sur le territoire de la CCOG ne couvre que 25 % du coût de la compétence, ce qui est extrêmement préjudiciable. En effet, la TEOM est basée sur la valeur locative associée à la taxe foncière. Or, la valeur locative dans les communes de la CCOG, notamment celles qui sont proches du fleuve ou dans les communes enclavées, est extrêmement faible. Cette fiscalité rapporte donc très peu et nous devons supporter directement 75 % du coût de la compétence avec nos fonds dédiés au fonctionnement. Cette situation n'est pas tenable : au fur et à mesure que se développe la collecte de déchets, la compétence coûte de plus en plus cher et la TEOM n'augmente pas. Il est primordial que nous puissions bénéficier soit d'une subvention d'équilibre, soit d'une partie de la péréquation spécifiquement dédiée aux déchets, de manière à ce que l'on ne puisse pas nous opposer : « on a augmenté la péréquation pour l'intercommunalité et puis ça suffit ».

S'agissant de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP), la Guyane et Mayotte bénéficient aujourd'hui d'un régime dérogatoire. Il est vital que ce régime puisse être prolongé de quinze ans, ce qui correspond à la durée des investissements à réaliser pour mettre à niveau nos infrastructures de collecte et de traitement des déchets.

Par ailleurs, les modalités de paiement de la TGAP ont changé. Auparavant, nous payions la TGAP annuellement. Aujourd'hui, on nous demande un acompte sur la TGAP de l'année suivante, ce qui fait que sur une année, on paye l'année en cours, plus l'acompte de l'année suivante. Or, normalement, dans les collectivités, nous payons sur service fait, et j'ai du mal à comprendre cette logique du paiement de la TGAP.

S'agissant de l'aide financière aux investissements, le programme opérationnel est nettement sous-dimensionné, et ne prévoit que 10 millions d'euros pour toute la Guyane sur les projets liés à la gestion des déchets. La simple mise à niveau de la CCOG nécessite 56 millions d'euros d'investissement. On fait avec ce qu'on a, mais on ne pourra pas faire avec ce qu'on n'a pas !

Nous avons en outre des difficultés de recrutement en ingénierie très prégnantes en Guyane, en raison notamment du manque d'attractivité du territoire.

Autre point, la coopération régionale avec le Surinam dont nous partageons la frontière et qui ne possède pas les même normes que nous. Nous récupérons des plastiques et nombre de déchets qui viennent de l'extérieur, car les gens traversent le bassin de vie du Maroni qui est un lieu de commerce. Un travail particulier de coopération internationale serait donc nécessaire pour traiter la question des déchets de part et d'autre.

Concernant les éco-organismes , c'est facile de dire : « on ne peut pas faire parce qu'on n'a pas les structures ». Citeo récupère une part du tri. Aujourd'hui, la tonne de tri coûte 6 520 euros à la CCOG, et la tonne de tri collectée par Citeo ne correspond qu'à 1,5 % du total de ce qu'on aurait à traiter, soit une partie infinitésimale par rapport à la gestion globale, et le coût est extrêmement élevé, parce que je rappelle que ces déchets qui sont collectées repartent en métropole par le bateau. Il y a une réglementation à revoir, parce qu'on ne peut pas collecter des déchets pour les ramener dans l'Hexagone avec l'impact carbone que cela implique. Les bouteilles d'eau et les canettes viennent de l'Hexagone et repartent vides dans l'Hexagone ! Je rappelle qu'on ne collecte pas le papier, on ne collecte que le verre, les canettes et le plastique.

Tout ce qui concerne le tri et l'économie circulaire n'est à mon avis pas du tout opérationnel. On peut peut-être tout simplement, quand les choses ne sont pas en place, obliger les grandes enseignes qui vendent de l'électroménager à récupérer l'électroménager avant de revendre du neuf. Pour l'électroménager qui vient du Surinam, nous ne pourrons pas faire grand chose.

Nous envisageons également de recruter une personne dédiée à l'économie circulaire, parce que c'est une stratégie qui, à mon sens, a un avenir.

M. François Ringuet, président de la communauté de communes des savanes (CCDS) . - J'ai écouté attentivement la présentation de notre collègue Sophie Charles dont je rejoins à 100 % les propos. Elle a parfaitement résumé la situation. J'ai l'impression que, sur un certain nombre de sujets, nous tournons malheureusement en rond. Je laisse donc la parole à la directrice des déchets qui vous donnera quelques chiffres.

Mme Aurélie Billard, directrice des déchets, communauté de communes des savanes (CCDS) . - La communauté de communes des savanes (CCDS) comprend 4 communes sur environ 12 000 kilomètres carrés. S'agissant du coût de gestion des déchets, la taxe d'enlèvement des ordures ménagères permet de couvrir à peu près 58 % du coût de la gestion des déchets, le reste étant assuré par le budget général de la collectivité. Nous bénéficiions auparavant d'une TGAP réduite, mais depuis cette année, malheureusement, elle augmente progressivement. Comme le disait Sylvie Charles, au fil des années, nos capacités d'investissement mais aussi de fonctionnement s'en trouvent fragilisées, au moment même où nous entamons une dynamique de rattrapage structurel. La TGAP représente pour nous une vraie problématique dans la mesure où ses paramètres sont déterminés pour l'Hexagone et ne tiennent pas compte des spécificités de notre territoire. Nous espérons donc fortement qu'une réflexion sera menée pour prolonger la dérogation de notre TGAP et nous permettre de poursuivre notre rattrapage, car nous avons entrepris un certain nombre d'infrastructures et serions fortement pénalisés par un retour à une TGAP classique. En effet, d'ici 5 ans, une fois que la TGAP sera à son taux maximum, elle représentera 50 % du coût actuel de gestion des déchets, ce qui est loin d'être négligeable.

Nous sommes aidés financièrement par l'Ademe et le Feder à hauteur de 70 %, mais aujourd'hui les régimes d'aide tendent à être orientés sur une dynamique nationale d'économie circulaire qui ne correspond pas à nos besoins : nous avons notamment deux sites de traitement des déchets à réhabiliter et, malheureusement, aucun régime d'aide n'est prévu. Faute d'accompagnement de l'État ou de l'Ademe, le coût à supporter par la collectivité s'élève à 3 millions d'euros.

Concernant la capacité des filières REP, il y a une évolution depuis quelques années dans la prise en charge des flux par les éco-organismes. Une part significative des emballages demeure dans nos poubelles, ce qui fait que la gestion est toujours assurée par la collectivité. La question se pose donc de la récupération éventuelle des éco-contributions par la collectivité qui assure de fait ce service de gestion des déchets. Comment ventiler ces éco-contributions ? Comment faire en sorte que les éco-organismes augmentent leur participation ? Certaines filières sont en effet conditionnées à la mise en place de déchetteries. Nous sommes en plein rattrapage mais en attendant, nous devons trouver des leviers financiers pour assumer le coût de la gestion des déchets et, comme le soulignait la présidente de la CCOG, aujourd'hui, seule une personne sur sept contribue à la taxe d'enlèvement des ordures ménagères. Dans les quartiers informels, une part grandissante de la population n'est pas imposable mais elle consomme du service et nous devons maintenir le même niveau de services.

En ce qui concerne la gouvernance (et la coopération), nous sommes structurés en EPCI mais, comme le prévoit le plan régional de prévention et de gestion des déchets (PRPGD), il est nécessaire que nous puissions travailler avec les syndicats de traitement des déchets pour aider les collectivités à se structurer sur le volet traitement et, de plus en plus, sur le volet valorisation énergétique.

Concernant le volet réglementaire, dans la pyramide de hiérarchisation des modes de traitement, il y a d'abord la prévention, la « valorisation matière », puis la valorisation énergétique et le stockage, et la modulation de la TGAP tient compte de cette hiérarchisation. Or, chez nous, la valorisation énergétique prend le pas sur la « valorisation matière », qu'il n'est pas toujours possible de mettre en oeuvre immédiatement. Il faudrait donc réfléchir à cette particularité de notre territoire pour que la valorisation énergétique soit mieux ou aussi bien considérée que la valorisation matière dans le calcul de la TGAP, même de façon progressive et provisoire.

Enfin, concernant la coopération, il y avait des régimes des aides, notamment d'aide au fret, qu'il faudrait sans doute poursuivre aussi bien au niveau des Antilles que de la métropole, mais aussi, vice-versa, pour soutenir le développement de filières de traitement des déchets sur notre territoire.

M. Stéphane Artano, président . - Je vous remercie pour la qualité de ces interventions et remarque d'ores et déjà une problématique récurrente dans vos interventions s'agissant des éco-organismes, c'est assez frappant et intéressant à noter.

Mme Mylène Mazia, directrice de cabinet, communauté d'agglomération du centre littoral (CACL) . - Le président de la communauté d'agglomération du centre littoral (CACL), Serge Smock, vous prie de l'excuser de ne pouvoir être présent avec nous aujourd'hui, et me charge de participer à cette table ronde afin d'apporter notre contribution.

Alain Cyrille, directeur de l'hydraulique et de l'environnement va vous rendre compte de nos actions sur cette thématique.

M. Alain Cyrille, directeur de l'hydraulique et de l'environnement, communauté d'agglomération du centre littoral (CACL) . - Les évolutions démographiques et les mutations de l'aménagement du territoire en Guyane induisent de fortes responsabilités, dont certaines sortent très clairement du champ de compétences de nos collectivités locales et des EPCI, en particulier les questions cruciales liées à la TEOM et à la TGAP.

Le budget pour la gestion des collectes de la CACL représente 15 millions d'euros, et, dans les prochaines années, il se trouvera certainement en déséquilibre sans ajustement, soit via un élargissement de l'assiette fiscale, soit via une augmentation du taux de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères.

S'agissant de la gouvernance, les interactions entre les acteurs du territoire sont primordiales mais elles sont insuffisantes compte tenu de nos responsabilités respectives et de nos charges opérationnelles. Un certain nombre de difficultés proviennent notamment de ce que de nombreux quartiers informels échappent largement à la compétence de nos collectivités. Il est primordial que des coordinations soient mises en oeuvre, soit dans le cadre de conventions de soutien financier, soit dans le cadre de conventions opérationnelles. En effet, les collaborations actuelles entre la CACL et la CCDS trouvent leurs limites lorsqu'il s'agit de la gestion des dépôts sauvages ou de la question de la salubrité publique.

S'agissant des ressources fiscales, Aurélie Billard l'a souligné, la question de la TGAP est cruciale : nous bénéficions encore d'un abattement de 75 %, et une valeur nominale normale de la TGAP serait catastrophique pour nos territoires. Nous avons besoin d'une bonne attractivité économique et financière, sans laquelle des débordements sont à prévoir, notamment le développement de décharges sauvages. Nous avons réussi ces dernières années à les contenir, avec d'importants efforts de nos collectivités, notamment une augmentation très forte des collectes dédiées.

Les autres aides financières, notamment en faveur de l'investissement, sont largement insuffisantes. Les besoins d'équipement du territoire suivent l'évolution démographique et sont grandissants, mais les assiettes fiscales ne nous permettent pas d'avoir des ressources financières fortement dédiées à l'investissement. Qu'elles proviennent de fonds européens, de l'Etat, notamment via l'Ademe, ou encore de prêts aidés, les aides ne sont pas à la hauteur des ambitions du territoire et des efforts à mener pour assurer une bonne gestion des déchets.

S'agissant des capacités d'ingénierie, là encore, nous militons pour obtenir une forme d'ingénierie partagée avec nos collègues des EPCI mais aussi avec les services de l'État et de l'Ademe. Il nous paraît important de nous diriger vers une ingénierie partagée pour gagner en efficacité, mieux structurer les services et les prestations relatifs aux déchets en Guyane. Il y a 10 ans, nous n'avions pas moins d'une demi-douzaine d'opérateurs de collecte des déchets, aujourd'hui ces opérateurs sont réduits à trois/trois et demi, et ce, en comptant de tout petits opérateurs. Le dynamisme de la filière a été fortement réduit et dans ce contexte,il me semble important de retrouver du partage, de la réflexion et de la concertation entre nous, acteurs des déchets.

M. Georges Elfort, président, communauté de communes de l'Est guyanais (CCEG) . - Je regrette que vous ne soyez pas venus vous rendre compte sur place de la façon dont le territoire est composé. La communauté de communes de l'est guyanais (CCEG) s'étend sur vingt-cinq mille km² et comporte quatre communes : deux d'entre elles sont reliées par la route, les deux autres sont uniquement reliées par le fleuve. Sophie Charles a à peu près tout dit sur nos problématiques : nous avons deux communes enclavées distantes de cent kilomètres et 75 % de nos capacités financières sont affectées aux déchets, ce qui est très compliqué à gérer.

Nous avons une commune de 30 à 35 000 habitants qui est frontalière avec le Brésil. Le tourisme engendre de nombreux déchets qui finissent soit à même le sol, soit dans les bacs poubelles de la communauté de commune de Saint-Georges d'Oyapock.

Nous avions lancé une étude sur l'implantation de nouvelles installations de stockage de déchets non dangereux (ISDND) qui a abouti, mais l'État, ou plutôt l'ONF, qui a plus de pouvoirs qu'un maire dans sa commune, a refusé le lieu qui a été choisi sur place. Nous sommes donc obligés de transporter nos déchets jusqu'au centre de Cayenne, ce qui coûte extrêmement cher.

J'ai parcouru vos questions, tout cela me semble très bien, mais nous en sommes au démarrage, et sans argent nous ne pourrons rien faire. La loi est très avancée, mais elle est faite pour la France hexagonale, et ne tient pas compte de notre retard structurel. Si nous ne le comblons pas, nous ne pourrons jamais le rattraper. Nous ne pouvons compter sur la dotation globale de fonctionnement (DGF), puisque notre population n'est pas nombreuse. Dans ces conditions, comment envisager un rattrapage, alors même que nous rencontrons plus de difficultés que l'Hexagone pour effectuer le ramassage des déchets ?

On fera ce qu'on peut, on gère la pénurie, mais on ne pourra jamais faire une vraie politique de ramassage et d'élimination des déchets avec les fonds dont nous disposons. En réalité, il faudrait un véritable plan Marshall en Guyane, qui aille au delà des déchets, d'ailleurs. Mais je laisse la parole à mon responsable qui va expliquer les difficultés qu'il rencontre.

M. Kevin William, chargé de mission déchets et environnement, communauté de communes de l'est guyanais (CCEG) . - Je rebondirai sur les différents niveaux d'évolution entre les collectivités de Guyane et celles de l'Hexagone. C'est particulièrement le cas de la CCEG, qui se trouve dans une étape de structuration. La politique environnementale qui est appliquée à la France hexagonale doit être appliquée également en Guyane, mais la CCEG n'a ni d'installations de stockage, ni de déchetteries : il lui est donc difficile de mener correctement une politique de réduction des déchets.

Mon président a insisté sur les distances à parcourir et a évoqué l'ISDND. Nous avions obtenu des fonds pour ce dossier mais l'étude a défini un lieu qui se trouvait sur le domaine forestier permanent de l'État. On nous a demandé de rechercher un nouveau site, mais cela suppose de chercher à nouveau des fonds. On a reporté l'effort sur le littoral, mais cela engendre un surcoût sur le marché de collecte et de transfert qui, à son tour, met à mal les finances de la CCEG et touche également ses autres activités, le développement économique notamment. On pourrait ici proposer des solutions compensatoires, comme par exemple une compensation de ce surcoût à la hauteur du transfert effectué, ou simplement la levée des blocages qui permettrait à la CCEG de construire son ISDND.

J'ajoute que la TEOM ne couvre que 15 % des coûts de gestion des déchets, et qu'il faut prendre en compte le cas de la commune de Camopi où aucune TEOM n'est prélevé, bien que le même service doive y être rendu. Comme le foncier appartient à l'État, nous réfléchissons à une compensation de la non-participation de Camopi à la TEOM.

Mme Anar Valimahamed, chargée de projet "Sentinelles de la nature", Guyane Nature Environnement . - Guyane Nature Environnement (GNE) est une association loi 1901 agréée de protection de la nature et de l'environnement. C'est une fédération de trois associations : Kwata, Sepanguy et Gepog. Notre rôle est d'exercer une veille environnementale, de participer au débat public, et, le cas échéant, d'agir en justice en cas d'atteinte aux missions statutaires. GNE fait également partie du réseau d'associations France Nature Environnement, qui a été auditionné par votre délégation en juin lors de la table ronde « ONG et gestion des déchets dans les outre-mer ».

Au début de l'année 2022, nous avons lancé l'outil « Sentinelles de la nature » en Guyane. C'est un outil participatif qui, via un site internet et une application smartphone, permet à chaque citoyen d'alerter sur les dégradations environnementales et de partager les initiatives positives sur le territoire. A ce jour, nous avons reçu 215 signalements dont plus de 70 % concernent les déchets, avec deux catégories principales : les dépôts de déchets sauvages et les véhicules hors d'usage. La préoccupation majeure des citoyens ne fait aucun doute.

« Sentinelles de la nature » rassemble ainsi des informations qui peuvent être mises à disposition de tous les acteurs sur le territoire et qui sont également visibles sur une cartographie publique.

La Guyane fait face à plusieurs défis et le PRGPD, qui est en cours de consultation, essaie de répondre à plusieurs sujets. Nous aimerions attirer votre attention sur quelques points.

S'agissant de la réglementation en vigueur, il nous paraît primordial de poser la question de l'adaptation de la réglementation nationale, mais aussi celle de son application. La sensibilisation et la prévention sont très importants, ainsi que le contrôle : on voit par exemple que la réglementation sur le plastique à usage unique est très partiellement appliquée sur le territoire, et on aimerait soulever la question des leviers, ressources humaines et financières, pour accompagner l'application de cette réglementation.

Concernant le mode de gouvernance, on observe un certain flou qui est dû notamment à la diversité des cas de figure : beaucoup de dépôts sauvages sont liés à des problèmes de dimensionnement des points de collecte, des infrastructures de collecte et de traitement, mais il y a aussi des dépôts plus importants qui relèvent plutôt de la responsabilité des mairies, qui, elles, manquent cruellement de moyens. Le lien entre les acteurs existe mais l'action concrète est assez difficile.

Sur « Sentinelle de la nature » on constate notamment des dépôts récurrents qui sont ramassés par les communautés de communes, en plus de leur collecte, auxquels s'ajoute un important stock historique à résorber.

Plusieurs options sont envisageables : prévoir une enveloppe spécifique pour les dépôts, et même pour les dépôts sauvages, pour chaque communauté de commune ; appuyer les mairies pour créer un service environnement qui ait une application concrète et bien sûr impliquer les éco-organismes.

Autre point d'attention, de nombreux dépôts sauvages sont retrouvés dans les espaces naturels. On retrouve sur les plages des dépôts un peu diffus venant des usagers, mais aussi des rejets de la mer et des dépôts en lien avec la pêche en mer, et même des batteries. Il y a aussi beaucoup de dépôts sauvages dans les criques. Pour pallier à ces dépôts récurrents, les associations font un travail de ramassage de déchets sur ces zones, mais il est temps d'essayer de faire quelque chose de pérenne et régulier pour éviter que ces dépôts ne persistent dans des espaces remarquables.

Il y aurait beaucoup à dire sur la chaîne de traitement et je répondrai sur ce point dans ma réponse au questionnaire.

Pour nous, il est important d'avoir des modes d'action visibles et clairs pour chaque type de déchets, ainsi que des solutions alternatives en attendant la mise en conformité des structures. On comprend bien qu'il y a un manque de financement, qu'il faut du temps pour mettre en place les structures, mais il faut des solutions d'attente. Lors d'un échange avec la collectivité territoriale de Guyane, on avait évoqué la possibilité de mettre en place des déchetteries mobiles : ce genre de solution nous donnerait un exutoire clair et rapide en attendant que le retard structurel soit comblé.

Les véhicules hors d'usage représentent 30 % de nos signalements. On travaille avec les polices municipales, avec un éco-organisme, l'association pour le recyclage des déchets automobiles en Guyane (ARDAG), (et c'est très long, il y a encore énormément de travail. La prime au retour permettrait peut-être d'éviter l'abandon des VHU mais il faudrait vraiment faire un lien entre cette prime et la distance à parcourir pour accéder au seul centre agréé du territoire qui se trouve à Kourou.

Par ailleurs, il n'existe pas de solution pour certains types de déchets, par exemple les poids lourds. On nous signale parfois des bus ou des tracteurs hors d'usage, mais il n'existe aucune structure pour les accueillir.

Pour conclure, les éléments incitatifs et de prévention nous paraissent primordiaux. Les acteurs lancent de nombreuses initiatives intéressantes et le travail avec les associations montre que la population est motivée dans l'application des solutions existantes. Le souci est de pérenniser ces solutions. Les associations sont à votre disposition pour travailler avec vous : n'hésitez pas à revenir vers nous, et bien sûr l'outil « Sentinelles de la nature » vous donnera des informations sur les différents territoires.

Mme Muriel Degobert, ingénieur économie circulaire, Ademe Guyane . - Je représente l'Ademe Guyane, et tiens à excuser l'absence de Mme Hermiteau, actuellement en déplacement sur la commune de Camopi. Trois points sont à souligner : les filières REP, la gouvernance, et le financement.

Concernant les filières REP, le problème récurrent est celui du manque d'implication des éco-organismes sur le territoire. Pour reparler de Citeo, pourtant le plus impliqué, on atteint à peine un taux de collecte de trois kilos par habitant et par an et il y a même des zones blanches sans collecte : cela vous donne une idée de ce qui se passe pour les autres filières. Beaucoup d'enseignes ne jouent pas le jeu de la reprise des D3E (déchets d'équipement électrique et électronique). Il y a donc une réflexion à mener sur la mise en oeuvre de la réglementation nationale, notamment sur la mise en place de mécanismes de contrôle, voire de sanctions, des éco-organismes au niveau territorial, pour le nombre de points d'apport volontaire (PAV) non respecté par habitant, un taux de collecte trop bas, ou encore un seuil de déclenchement de collecte des PAV qui peut être trop élevé et qu'il faudrait adapter localement.

Les raisons souvent mises en avant par les éco-organismes ont été citées : il est vrai qu'il n'y a que deux déchetteries en Guyane, d'où l'importance de continuer leur déploiement, ainsi que les éco-carbets. Au niveau de l'Ademe, nous avons besoin que soit maintenue la dérogation qui permet de soutenir le déploiement des éco-carbets et des déchetteries.

Autre raison mise en avant, le manque d'installations de traitement local dû aux faibles gisements, qui renvoie à la problématique du transport inter-territoires pour consolider les gisements. Là aussi, il faudrait continuer le soutien, voire mettre en place une subvention pour maintenir le fret entre les Drom-Com afin de mutualiser les gisements et de développer des solutions plus régionales qui permettraient peut-être aux éco-organismes de s'impliquer davantage.

Concernant les problématiques de gouvernance, Aurélie Billard a évoqué la réflexion menée pour la mise en place d'un syndicat intercommunal du littoral, cela me semble effectivement un sujet important. Nous pensons aussi qu'il faut maintenir et renforcer la coordination entre l'État et les collectivités sur des sujets majeurs du territoire. Aujourd'hui, les EPCI rencontrent les services de l'État un par un ; il serait plus intéressant de nous asseoir autour de la même table pour réfléchir ensemble à une animation territoriale renforcée et des solutions collectives pour l'ensemble du territoire pour mieux accompagner les EPCI.

Enfin, concernant le financement, il faudrait mener une réflexion sur le maintien et la mise en place de dispositifs spéciaux pour Mayotte et pour la Guyane, deux territoires qui nécessitent encore un rattrapage structurel important. De même, il faut s'interroger sur l'accompagnement des EPCI dans la réduction de leurs coûts et l'augmentation de leurs ressources dans leur problématique de gestion de déchets.

Enfin, la question de la TGAP a été maintes fois abordée et nous abondons sur la nécessité de maintenir une TGAP spécifique aux outre-mer. Comme le mentionnait Aurélie Billard, la question de la priorité donnée à la valorisation énergétique par rapport à la valorisation matière, et donc, de l'impact de la TGAP par rapport à la valorisation énergétique, mérite également d'être posée.

Mme Gisèle Jourda . - Je remercie l'ensemble des participants pour la clarté et la précision de leurs propos, notamment par rapport au questionnaire qui leur a été adressé.

De nombreux points ont été abordés : la TGAP, une problématique qui nous est chère et pour laquelle ma collègue Viviane Malet a beaucoup oeuvré au Sénat, afin de soutenir les problématiques liés aux déchets. La gouvernance, autre grande thématique abordée, sur laquelle je ne reviendrai pas.

En revanche, j'insisterai sur les disparités des territoires et le manque d'infrastructures. Dans cette mission, nous serons sensibles à ces deux aspects : on ne peut pas comparer un territoire à un autre, celui qui est dépourvu d'infrastructures et celui qui a des infrastructures développées.

S'agissant des quartiers informels, une question qui n'a pas été évoquée me préoccupe, c'est celle de l'impact sur la salubrité publique de toutes ces décharges, dépôts, VHU, des ramassages qui ne se font pas... J'aimerais avoir, dans les réponses aux questionnaires que vous nous ferez parvenir, des éléments sur la façon dont vous percevez cette problématique car je ne serais pas étonnée qu'il y ait là un enjeu fort de salubrité publique et de santé à mettre en avant.

M. Stéphane Artano, président . - Sans transition, je vous propose d'aborder à présent notre seconde table ronde consacrée à la gestion des déchets aux Antilles.

Mardi 12 juillet 2022

Table ronde Antilles

M. Stéphane Artano, président . - Sans transition, je vous propose d'aborder à présent notre seconde table ronde consacrée à la gestion des déchets aux Antilles, en passant successivement en revue la situation dans quatre territoires : Guadeloupe, Martinique, Saint-Barthélemy et Saint-Martin.

Je tiens d'abord à vous remercier pour toutes les réponses au questionnaire écrit envoyé par nos deux rapporteures, Gisèle Jourda et Viviane Malet, qui ont déjà été transmises. Il en sera tenu le plus grand compte dans notre rapport.

Nous entendons d'abord les représentants de la Martinique.

M. Jean-François Mauro, directeur régional de l'Ademe en Martinique . - Depuis 2014, trois établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) sont chargés de la collecte des déchets en Martinique, en lien avec le syndicat martiniquais de traitement et de valorisation des déchets (SMTVD) qui s'occupe du traitement. Ce syndicat fait face à une forte ambition territoriale alors que les ressources ne couvrent pas les besoins d'investissement. Une étude récente de l'Agence française de développement (AFD) sur l'optimisation de la filière déchets en Martinique fait ainsi état d'un déficit de 10 millions d'euros et de problèmes de gouvernance du SMTVD.

La Martinique n'est plus en rattrapage structurel mais reste au milieu du gué par rapport à l'Hexagone. C'est le grand écart entre une unité d'incinération d'ordures ménagères (UIOM) et une collecte en porte-à-porte des emballages et de biodéchets pour la valorisation organique : ces deux modèles ont du mal à coexister. En outre, le maillage des déchetteries est déficient et ne permet pas de diminuer le porte-à-porte.

En termes de ressources, la situation est contrastée : la taxe d'enlèvement des ordures ménagères (TEOM) couvre le coût du service sur certains EPCI seulement, et la filière déchets est, comme je vous le disais, en déficit structurel de 10 millions d'euros par an. Une baisse de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP), ou du moins une modulation de celle-ci pour soulager le syndicat, serait souhaitable pour redonner un second souffle à l'ensemble du service public. Nous devons quoi qu'il en soit éviter l'enfouissement et l'incinération. Cependant, l'exonération de la TGAP ferait courir le risque de transférer la capacité d'investissement des EPCI vers le SMTVD.

Les dispositifs financiers sont plutôt disponibles : Fonds européen de développement régional (Feder), Fonds européen d'investissement (FEI) ou encore défiscalisation et aides de l'Ademe. Attention toutefois, les aides européennes seront plus difficiles à mobiliser si la Martinique ne se conforme pas aux exigences de l'Union européenne (UE) en matière de valorisation et de recyclage. Cette conformité réglementaire est un véritable enjeu.

La coopération régionale est abordée sous des angles divers. Nous souhaiterions à terme voir émerger une offre de transport inter-îles bon marché, sujet plus global et structurant pour la zone des Antilles.

Mme Valérie Marine-Poletti, directrice de l'environnement et de l'énergie de la collectivité de Martinique . - Jean-François Mauro a déjà fait l'état des problématiques de notre collectivité. La gestion des déchets est un enjeu primordial compte tenu de ses conséquences sanitaires et sur l'attractivité. Les élus de cette nouvelle mandature prennent les choses à bras-le-corps. La planification et la coordination sont dans notre champ de compétences : notre plan de prévention et de gestion des déchets de Martinique (PPGDM) est en vigueur depuis 2019, avec des échéances à 6 et à 12 ans. Nous l'avons co-construit, main dans la main, avec tous les acteurs de Martinique et le comité de suivi se réunit régulièrement.

À cela s'ajoute le programme territorial de maîtrise des déchets (PTMD), que nous avons mis en place avec l'État et l'Ademe. Il permet d'apporter un soutien technique et financier aux porteurs de projets sur le territoire, en particulier pour l'accès aux fonds européens.

La collectivité a aussi pris l'initiative d'une stratégie territoriale d'économie circulaire (STEC), qui devrait aboutir d'ici à la fin de l'année. Jean-Francois Mauro l'a rappelé, le territoire est en transition, et la collectivité en est bien consciente. Elle a d'ailleurs pris d'autres mesures, puisqu'elle élabore un programme contre les véhicules hors d'usage, dit « zéro VHU », en amont de la filière de responsabilité élargie des producteurs (REP) dans ce domaine. Je rejoins ce qui a été dit sur la TGAP : les recettes doivent être mieux fléchées vers les investissements locaux.

Sur la gouvernance, le renouvellement des instances devrait répondre à certains dysfonctionnements du SMTVD, avec de nouveaux statuts pour relancer les investissements. Un travail de coopération et de transparence est à mener entre le SMTVD et les EPCI. Il faut aussi une meilleure synergie entre collecte et traitement, qui passera par la communication et la coordination.

Le transport transfrontalier de déchets doit être simplifié et la part de l'État dans le dispositif d'aide au fret des déchets doit augmenter. Il faut faciliter les demandes d'aides et apporter de l'ingénierie financière aux TPE, PME et éco-organismes locaux en cours de structuration. Enfin, il faut optimiser la ligne maritime entre l'Hexagone et les îles de l'Organisation des États de la Caraïbe orientale (OECO).

Sur les décharges sauvages, l'application « Arété sa » permet aux citoyens de signaler des dépôts sauvages avec géolocalisation.

Ensuite, les aides financières sont nombreuses et présentes, mais il faut mieux prendre en compte les coûts de fonctionnement et les problématiques d'autofinancement des collectivités pour optimiser les taux de consommation. Cela passe par une facilitation des procédures et des conditions d'éligibilité.

J'alerte aussi sur les fonds européens, primordiaux pour l'investissement, mais dont les conditions d'obtention sont défavorables aux territoires : notre PPGDM est en effet basé sur la réglementation en vigueur en novembre 2019, c'est-à-dire avant la transposition du paquet économie circulaire de février 2020, ce qui nous place dans des conditions défavorables. Les performances de valorisation fixées par l'UE ne sont pas atteignables à ce jour.

Je précise que les acteurs de l'économie sociale et solidaire (ESS) sont largement mobilisés : boutiques solidaires, cafés de recyclage, ateliers de réparation qui permettent le réemploi, etc.

Enfin, sur la filière REP, les problématiques sont mieux connues et les échanges améliorés, avec la plateforme REP Caraïbe en place depuis 2017. Il faut inscrire dans les cahiers des charges et agréments des filières REP des objectifs régionaux de collecte et de valorisation cohérents avec les normes imposées par l'UE. Le tout doit aller de pair avec le renforcement d'une communication répétitive avec des messages adaptés.

Mme Myriam Zapha, directrice de l'enfouissement du SMTVD . - Le SMTVD est composé des trois EPCI. Créé en 2014, il a un nouveau président depuis février 2022.

La valorisation des déchets, action à la portée de tous, reste trop peu appliquée. La TGAP, qui a pour objet d'inciter les entreprises à trier leurs déchets, nous semble également excessive. Il serait opportun que nous en soyons exonérés, car elle représente 17 % de nos dépenses. De plus, l'évolution prévue dans les cinq prochaines années grèvera encore davantage nos dépenses.

Les aides nous paraissent aussi insuffisantes : tous les investissements n'y sont pas éligibles et, s'agissant du Feder, la collectivité ne peut être financée qu'à hauteur de 70 %, alors qu'elle est déjà en difficulté. Nous avons besoin d'aides prenant mieux en compte les spécificités locales.

La capacité d'ingénierie doit être renforcée eu égard aux nombreux et ambitieux investissements que nous aurons à réaliser. Il faut pour cela renforcer les équipes avec des personnes expérimentées dans ce domaine.

M. Benoît Guilon, directeur des moyens du SMTVD . - Sur la mutualisation, nous souhaitons renforcer nos liens avec les territoires limitrophes de la Martinique, voire avec l'Amérique du Sud. Il faudrait pour cela limiter l'octroi de mer.

Par ailleurs, sur les décharges sauvages, les EPCI identifient les zones problématiques. Le territoire est sillonné pour pénaliser les contrevenants. Il n'y a pas encore de cartographie, mais une forme de police environnementale assure déjà la protection de la nature.

M. Manuel Vadius, directeur tri-valorisation du SMTVD . - Les déchets de type batteries, lithium et certains plastiques sont issus de produits dont nous ne pouvons-nous passer. Il ne faut donc pas les interdire, mais bien trouver la meilleure solution de traitement, en lien avec nos partenaires régionaux et internationaux.

Concernant le tri, nous souhaitons plus de mesures incitatives financières, voire un concours avec une médaille décernée au meilleur trieur. Cela permettrait d'enfouir moins de déchets, nous permettant de faire perdurer notre installation de stockage de déchets non dangereux (ISDND) le plus longtemps possible, tout cela au bénéfice de l'environnement.

Sur la collecte à la source des biodéchets, nous ne nous sommes que peu penchés sur la question et l'Ademe aura sans doute plus d'information, tout comme les EPCI.

Mme Myriam Zapha . - Le SMTVD connaît de fortes difficultés financières alors que d'importants investissements sont prévus, notamment l'installation de la troisième ligne de fours CSR (combustibles solides de récupération), les travaux sur l'unité de traitement et de valorisation des déchets (UTVD) et sur l'unité de stérilisation des sous-produits des animaux, ou encore la mise aux normes du traitement des fumées. Je pense aussi à la création des alvéoles A4 de stockage des déchets dangereux.

Mme Maryse Dubréas, directrice générale des services du SMTVD . - La Martinique est victime d'avoir voulu investir dans le traitement des déchets. Le SMTVD est un outil déterminant : il émane des trois EPCI chargés de la collecte et sa mission est de valoriser les déchets. Parce qu'il a beaucoup investi, sa capacité de désendettement est extrêmement basse. Il subit aussi des difficultés de fonctionnement par rapport à la TGAP, dont le caractère incitatif n'est plus à prouver, mais qui plombe nos finances et nous prive d'autofinancement.

Les investissements à faire sont pourtant déterminants : il faut faire des travaux sur l'UTVD, créer une troisième ligne CSR et, comme le demande l'UE, améliorer les normes de rejet des fumées. Rien que cela représente 80 millions d'euros ! Si la collectivité ne peut plus emprunter, elle a besoin de subventions, à hauteur de 100 % de l'investissement. Le SMTVD a été pionnier, mais fait face à des difficultés phénoménales aujourd'hui.

Nous avons parlé des alvéoles A4 et A5 : notre insularité devrait inciter à éviter l'enfouissement, mais celui-ci reste nécessaire faute de traitement en amont, ce qui nous impose de payer la TGAP. Il faudra un moratoire pour le SMTVD, les moyens dont il pourra disposer seront déterminants pour la Martinique.

M. Stéphane Artano, président . - Le sujet de la TGAP revient effectivement en boucle. Nous en venons aux intervenants de Saint-Martin.

Mme Bernadette Davis, conseillère territoriale de Saint-Martin, présidente de la commission des affaires économiques . - Je vous remercie de nous donner cette opportunité de nous exprimer sur cette problématique majeure, à laquelle nous sommes confrontés depuis que notre territoire est passé d'une commune rurale de 8 000 habitants à une destination touristique leader de la Caraïbe de 35 000 habitants hors visiteurs en deux décennies seulement.

Cette période, de 1980 à 2000, représente un temps très court pour passer d'une gestion de déchets produits par une population réduite et peu consumériste à des volumes autrement plus conséquents produits par une société moderne, aggravés par des événements climatiques désastreux tels que le cyclone Irma.

Les problématiques spécifiques à notre territoire méritent des réponses adaptées, reposant sur une volonté politique locale forte, mais aussi sur une prise de conscience nationale de notre situation, avec un accès aux fonds nationaux et européens. On ne peut appréhender la gestion des déchets sur un territoire insulaire de 52 kilomètres carrés, privé des potentialités offertes par la création d'EPCI, comme sur un autre territoire.

La valorisation et la lutte contre la prolifération des déchets doivent faire l'objet d'un véritable rattrapage face à notre surpeuplement. Il doit passer par l'excellence et par l'implantation d'outils nouveaux, par exemple en valorisant les déchets comme source d'énergie alors que le dérèglement climatique et la crise du gaz et du pétrole imposent une transition rapide vers un éloignement du fossile et plus d'autonomie énergétique.

Je ne saurais trop vous dire à quel point cela représente une opportunité pour notre jeunesse en termes d'emplois qualifiés, alors que notre taux de chômage atteint des records à l'échelle de la nation.

M. José Carti, représentant la direction "eau, énergie et environnement" de la collectivité de Saint-Martin . - Notre île est soumise à deux réglementations différentes. La partie française est une région ultrapériphérique (RUP), la partie néerlandaise un pays associé. L'application uniforme du droit européen n'est donc pas possible. Nous demandons aujourd'hui que la gouvernance locale soit revue pour que les deux parties de l'île puissent mieux travailler ensemble sur cette problématique des déchets.

Saint-Martin n'est pas assujettie à la TGAP, car nous avons notre propre compétence fiscale. Nous voudrions mettre en place à l'échelle de l'île une green tax sur les produits importés, dont 90 % transitent par la partie hollandaise.

Nous sollicitons régulièrement des aides financières : l'Ademe nous assiste sur le territoire, mais nous souhaiterions qu'elle s'investisse davantage et que des subventions soient fléchées vers Saint-Martin. Aujourd'hui, notre budget est compris dans celui de la Guadeloupe. Nous préférerions disposer d'un budget affecté, ce qui faciliterait la gestion.

Pour renforcer notre capacité d'ingénierie, un appel à candidatures pour l'embauche d'un ingénieur dédié à la gestion des déchets est en cours, en partenariat avec l'Ademe.

S'agissant de coopération régionale, nous travaillons avec la partie hollandaise, mais aussi avec l'ensemble de la Caraïbe, même si nous souhaiterions pouvoir approfondir encore nos partenariats avec les îles qui ne sont pas soumises aux mêmes réglementations que nous.

Les décharges sauvages ont prospéré aux Antilles depuis 1992. La collectivité vient de lancer un appel d'offres pour essayer de les localiser précisément et de s'en débarrasser, même si ces dépôts se trouvent souvent sur des terrains privés dont les propriétaires sont parfois difficiles à identifier. Nous voudrions aussi sensibiliser les entrepreneurs, qui sont le plus souvent à l'origine de ces dépôts, soit au moyen d'une taxation spécifique, soit en les encourageant à déposer leurs déchets en décharge.

Il est par ailleurs évident que le pouvoir de police n'est pas assez présent.

M. Stéphane Artano, président . - Je précise que la délégation avait également invité l'association Clean Saint-Martin, dont le vice-président est Sébastien Terrien, et qui s'est excusé de ne pouvoir participer à cette table ronde. Je vous propose maintenant de passer à la collectivité de Saint-Barthélemy.

Mme Sophie Durand Olivaud, directrice des services techniques de la collectivité de Saint-Barthélemy . - La question des déchets est un sujet crucial pour notre petit territoire insulaire de 25 kilomètres carrés.

La collectivité assume pleinement sa compétence de collecte et de traitement des déchets à travers son délégataire de service, Ouanalao Environnement.

Elle a fait depuis longtemps le choix de l'incinération, mais dans un but de valorisation énergétique. Dans les années 2000, la collectivité a construit une première unité de valorisation qui permettait la production d'eau potable en utilisant la vapeur produite par la combustion. Nous travaillons actuellement sur une autre forme de valorisation, pour produire cette fois de l'électricité, sur laquelle nous voudrions aboutir d'ici la fin de cette année ou début 2023.

On ne peut toutefois pas tout valoriser sur le territoire, et le point le plus pénalisant reste le transport de tous les déchets que l'on doit exporter vers des filières de valorisation situées en Guadeloupe, mais surtout en métropole ou aux États-Unis. Le développement de filières sur la zone inter-îles caraïbe permettrait évidemment de réaliser des économies d'échelle.

M. Stéphane Bertrand, directeur du développement de Ouanalao Environnement, délégataire de la collectivité de Saint-Barthélemy . - En effet, la solidarité inter-îles est indispensable. Saint-Barthélemy doit encore gérer des déchets qui datent du passage de l'ouragan Irma. Un petit territoire comme le nôtre ne peut pas tout traiter à son niveau.

L'incinération associée à une valorisation énergétique génère des sous-produits - mâchefer, résidus de filtration des fumées. Les normes relatives au traitement des fumées ayant été récemment renforcées, cela va augmenter la quantité de sous-produits que nous devrons exporter vers des centres d'enfouissement de classe 1 en métropole, avec à la clé un impact financier et environnemental.

La collectivité nous demande également de trouver des solutions pour traiter les sargasses. Or, en tant que prestataire privé, je ne vois pas comment nous pourrions, seuls, à l'échelle de notre petit territoire, résoudre le problème s'il devait encore s'aggraver...

M. Fred Questel, directeur d'exploitation de Ouanalao Environnement, délégataire de la collectivité de Saint-Barthélemy . - J'ajoute que la situation locale est rendue plus complexe en raison des dossiers administratifs à remplir pour certains types de déchets.

Je pense notamment aux piles au lithium, aux aérosols ou aux peintures. Faute de flux très importants, nous éprouvons des difficultés pour exporter ce type de déchets, qui sont donc souvent stockés.

Il y a peut-être des solutions de simplification à trouver dans le cadre de la solidarité inter-îles.

Mme Viviane Malet, rapporteure . - On constate en effet des différences importantes d'un territoire à l'autre.

Le problème de la TGAP remonte à chaque audition. Considère-t-on cette taxe comme une amende ou faut-il flécher son produit vers les territoires pour mettre en place les outils qui s'imposent ?

Au regard du manque de déchetteries sur certains territoires, il conviendrait peut-être d'envisager l'installation de déchetteries itinérantes, qui seraient sans doute plus adaptées dans certains cas.

La plupart des territoires se plaignent de ne pas pouvoir lancer de projets, faute d'argent. Mais, de son côté, la direction générale des outre-mer (DGOM) affirme qu'il y a encore des fonds disponibles qui ne sont pas utilisés.

Quoi qu'il en soit, je remercie tous les intervenants pour la clarté de leurs propos.

Mme Gisèle Jourda, rapporteure . - Je veux remercier à mon tour les différents intervenants.

Nous avons parlé des transports, mais pas vraiment du problème des délais. Quand j'entends qu'il reste encore des déchets datant de l'ouragan Irma, cela m'interpelle.

Nous ne devrons pas occulter cette question de la réactivité dans notre rapport. Comment l'État pourrait-il intervenir pour éviter ces stocks et les conséquences sanitaires qui en découlent ?

M. Stéphane Artano, président . - Nous terminons notre table ronde cet après-midi avec la Guadeloupe.

Mme Kate Cipolin, directrice générale adjointe des services techniques du Syvade . - Le syndicat de valorisation des déchets de la Guadeloupe (Syvade) est compétent en matière de traitement des déchets ménagers et assimilés pour la communauté d'agglomération Cap Excellence, qui produit une quantité de déchets importante en raison de son attractivité économique, la communauté de communes de Marie-Galante et la communauté d'agglomération Nord Basse-Terre, soit au total 37 % de la population guadeloupéenne.

Il n'existe pas en Guadeloupe de structure unique compétente pour le traitement des déchets. L'enjeu est d'obtenir une autonomie maximale pour pouvoir assurer ce service public, quels que soient les événements climatiques ou le niveau de présence industrielle sur le territoire.

Les équipements sont importants, même si la Guadeloupe accuse toujours un important retard en termes d'infrastructures.

Le traitement des déchets est pour le moment principalement axé sur l'enfouissement des déchets non dangereux et le compostage des déchets verts. Nous sommes en retard sur la collecte sélective et les biodéchets.

Le Syvade souhaite un accompagnement financier maximal sur tous les dispositifs existants. Nous préconisons notamment un renforcement du taux d'aide au fret et une exonération de la TGAP, dont le taux a doublé entre 2009 et 2021. Y compris avec la réduction actuelle de 35 %, cette taxe devrait atteindre 44 euros, ce qui serait difficilement supportable pour les membres du Syvade.

Nous aimerions aussi que l'enveloppe des subventions soit considérablement augmentée. Les 143 millions d'euros du programme opérationnel (PO) 2014-2020 ont en effet été utilisés pour traiter à la fois les problématiques des déchets, de l'eau et de la biodiversité. Or il y a beaucoup à faire en matière de traitement des déchets. Il nous manque des déchetteries et certains mécanismes de collecte sélective sont défaillants.

S'agissant des biodéchets, nous avons surtout un problème d'exutoire pour les déchets verts, dont la production est importante. Les prestataires nous disent qu'ils ont des difficultés à produire un compost normé. De plus, l'une des deux unités de compostage autorisées sur le territoire rencontre d'importants problèmes de conformité avec la réglementation.

Pour les déchets alimentaires, l'organisation de la collecte séparative va exiger de gros efforts structurels au niveau des EPCI : il faut équiper les ménages, les professionnels et organiser la collecte - un ramassage par semaine serait sans doute insuffisant sur notre territoire pour des raisons sanitaires.

S'agissant des filières REP, nous disposons d'interlocuteurs locaux pour les principaux éco-organismes, mais ces derniers restent assez effacés, l'organisation des dispositifs opérationnels reposant essentiellement sur les collectivités. Nous voudrions donc que ces dernières soient indemnisées à la hauteur de leurs efforts.

Enfin, sur l'ingénierie territoriale, je souligne les difficultés de formation des cadres de catégorie A et B, notre éloignement rendant difficile l'accès aux cycles de formation poussés de l'Institut national des études territoriales (INET).

Mme Gisèle Jourda, rapporteure . - J'imagine que la Guadeloupe rencontre aussi des problèmes liés à la double ou triple insularité...

Mme Kate Cipolin . - À Marie-Galante, les déchets sont collectés par la communauté de communes et déposés dans différentes bennes sur un quai de transfert, puis chargés sur une barge direction Pointe-à-Pitre. Les bennes sont ensuite récupérées par l'un de nos prestataires et transmises aux différents exutoires.

Mme Gisèle Jourda, rapporteure . - Marie-Galante n'est pas la seule île. Quid des îles du sud ? Et comment traitez-vous le problème des sargasses ?

Mme Kate Cipolin . - Le traitement des déchets des Saintes relève de la communauté d'agglomération Grand Sud Caraïbe. Quant à ceux de la Désirade, ils sont traités par la communauté d'agglomération La Riviera du Levant.

Nous ne connaissons pas de difficultés d'évacuation des sargasses pour Marie-Galante, mais le problème se pose en revanche pour la Désirade. L'évacuation des bennes de déchets est affectée par la présence ou non d'algues dans la baie.

M. Dominique Théophile . - Les produits phytosanitaires et pharmaceutiques polluent les eaux potables, mais leur décontamination reste à la charge des collectivités. Faudrait-il dès lors mettre en place une REP pour l'eau ?

Comment par ailleurs améliorer la gestion des filières REP outre-mer ? Faut-il substituer au cahier des charges national des cahiers des charges spécifiques à chaque territoire ?

Mme Kate Cipolin . - L'une de nos propositions est d'adapter le cahier des charges des filières REP aux territoires d'outre-mer. Pour certaines filières, les quantités sont très faibles, d'où la réticence des éco-organismes.

Il faudrait surtout réfléchir à une solution cohérente en termes de coût ou de bilan carbone. Il est dommage de devoir faire partir vers la métropole deux tonnes de déchets par an seulement alors que l'on pourrait potentiellement envisager sur place ou dans la zone caraïbe d'autres solutions.

Mme Sylvie Gustave-dit-Duflo, vice-présidente de la région Guadeloupe . - La question des filières REP est fondamentale. Ces filières peinent à se déployer outre-mer, en dépit de leur agrément national.

Ainsi, la filière REP pour l'immobilier, mise en place dans l'Hexagone dès 2012, ne s'est déployée outre-mer qu'à partir de septembre 2021. Nous nous acquittons pourtant de l'éco-taxe.

La loi anti-gaspillage pour une économie circulaire (Agec) de 2020 prévoit un suivi par l'Ademe des objectifs contenus dans le cahier des charges.

Dans le domaine agricole, l'éco-organisme Agrivalor refuse de venir sur le sol ultra-marin, en dépit des enjeux, notamment l'élimination des produits phytosanitaires et des plastiques utilisés dans le cadre de la culture de la banane. Les collectivités ont dû financer elles-mêmes la mise en place de solutions pour les agriculteurs.

L'Ademe devrait constituer un groupe de contrôle avec les élus locaux pour s'assurer que les filières REP exercent effectivement leurs services sur les territoires ultramarins, conformément à leur agrément.

Pour le citoyen usager, c'est la double peine, puisqu'il paye deux fois pour le même service.

M. Stéphane Artano, président . - Je vous remercie de cette réponse, madame la vice-présidente. Je vous laisse à présent la parole pour un propos plus général.

Mme Sylvie Gustave-dit-Duflo . - La gestion des déchets est rendue complexe par les contraintes relatives à la double insularité. En Guadeloupe, les coûts de gestion des déchets s'élèvent à 179 euros par an et par habitant, alors qu'ils ne sont que de 90 euros par habitant et par an dans l'Hexagone.

Il reste toutefois possible de diminuer ces coûts par une rationalisation de la gestion des déchets. Bien qu'elle ne détienne pas la compétence collecte et traitement des déchets, la collectivité régionale s'y emploie, notamment au travers du plan régional de prévention et de gestion des déchets que nous élaborons et animons.

Il faut d'abord que les déchets d'activités économiques, que l'on retrouve dans les poubelles domestiques et qui sont de fait à la charge des agglomérations, soient à la charge des entreprises et des administrations qui les produisent. Cela suppose d'accroître le nombre de déchetteries professionnelles, mais aussi de mettre en place une taxe spécifique.

Il faut ensuite doter le territoire d'infrastructures plus nombreuses, car 70 % des coûts de gestion des déchets sont des coûts de transport. Nous devons notamment réduire la part de collecte effectuée en porte-à-porte en incitant les citoyens à se rendre à la déchetterie.

La région travaille à la construction de huit déchetteries et à la rénovation de celle de Capesterre-Belle-Eau. Elle souhaite également la création de trois unités de revalorisation des déchets susceptibles de produire du combustible solide de récupération. L'objectif est de passer de 75 % à 25 % d'enfouissement, et ainsi de faire face à l'augmentation de la TGAP pour l'enfouissement. Deux de ces usines verront le jour en 2025-2026.

Mme Gisèle Jourda, rapporteure . - Envisagez-vous de mettre en place des transports séparés pour les déchets dangereux ?

Vous efforcez-vous d'encourager l'installation de composteurs individuels ?

Y a-t-il des décharges sauvages en Guadeloupe ? Si oui, comment traitez-vous cette difficulté ?

Mme Sylvie Gustave-dit-Duflo . - Les agglomérations développent des solutions de compostage domestiques et collectives. Nous sommes conscients que les biodéchets, qui représentent 30 % des déchets domestiques, doivent être triés en amont des unités de revalorisation.

Les dépôts sauvages sont le fait d'un manque d'information et de sensibilisation auquel nous nous efforçons de remédier, mais ils sont aussi la conséquence de l'absence de solutions de recyclage. Avant septembre 2021, c'était notamment le cas de tous les déchets mobiliers.

J'estime qu'une part de l'éco-contribution devrait être reversée aux agglomérations qui évacuent ces dépôts sauvages, et à l'Office national de la biodiversité qui restaure les sites.

Par ailleurs, il nous faut mettre en place une filière REP de l'eau. Le chlordécone a pollué nos sols pour 700 ans, et à ce jour, nous ne mesurons pas les effets de l'utilisation du glyphosate sur notre population. La décontamination de l'eau du robinet par l'installation de filtres à charbon, procédé très coûteux, ne doit pas être à la charge des agglomérations, qui n'y sont pour rien.

La dégradation de la qualité des eaux est telle que nous avons besoin d'une loi sur l'eau.

Mme Gisèle Jourda, rapporteure . - Vous n'avez pas répondu à ma question relative à l'évacuation des déchets dangereux.

Par ailleurs, la mise en place d'une instance de concertation entre les différentes collectivités concernées par la gestion des déchets vous semblerait-elle opportune ?

Mme Sylvie Gustave-dit-Duflo . - Les déchets dangereux sont du ressort des éco-organismes. Les déchets médicaux ou les déchets phytosanitaires, par exemple, sont entièrement pris en charge dans le cadre de procédures étroitement contrôlées. De fait, on ne les retrouve qu'en quantités infimes dans les déchets domestiques.

Le plan régional de prévention et de gestion des déchets est élaboré par la commission consultative d'élaboration et de suivi. Il est possible de réactiver cette commission en tant que de besoin pour le suivi du déploiement du plan.

Par ailleurs, l'Observatoire régional des déchets publie chaque année des chiffres clés qui sont de précieux indicateurs.

Enfin, nous avons tellement râlé après les filières REP que ces dernières ont mis en place une plateforme interfilières ainsi qu'un comité technique. Tous les six mois, la région et les agglomérations rencontrent l'ensemble des filières REP déployées sur le territoire pour formuler leurs doléances et suivre l'évolution des dossiers en cours.

Ces trois outils nous permettent d'effectuer un suivi efficace. C'est pourquoi il n'est pas nécessaire, à mon avis, de créer une nouvelle instance.

Mme Viviane Malet, rapporteure . - Qu'en est-il des véhicules hors d'usage (VHU) ? Quelle est la stratégie pour résorber le stock historique de véhicules abandonnés ?

Rencontrez-vous des difficultés pour stocker et évacuer les batteries au lithium ?

Mme Sylvie Gustave-dit-Duflo . - Lorsque la région était chargée de collecter les VHU, elle en récoltait environ 4 000 tonnes par an. Depuis que l'éco-organisme de traitement des déchets automobiles (TDA) est chargé de cette collecte, celle-ci n'est plus que de 2 000 tonnes par an. Il nous semble pourtant que le tonnage aurait dû augmenter.

TDA rejette la faute sur les communes, indiquant qu'à défaut d'acte administratif d'abandon du véhicule, il ne peut le collecter. Or les maires ne veulent pas perdre leurs électeurs...

Le prix de collecte d'un véhicule est estimé par TDA entre 400 et 600 euros. J'ai donc proposé que TDA verse 300 euros aux citoyens qui ramèneraient un VHU, mais l'éco-organisme s'y refuse.

Ne disposant pas de moyen de pression, nous voyons le stock se reconstituer...

S'agissant du recyclage des batteries usagées, nous avons demandé à l'Ademe de mener une étude, que nous attendons.

M. Jean-Marc Pasbeau, responsable du pôle environnement et cadre de vie de la communauté de communes de Marie-Galante . - La communauté de communes de Marie-Galante rencontre des difficultés dues à son éloignement de la Guadeloupe continentale.

Depuis la fermeture de notre décharge, nous procédons au transfert de nos déchets au moyen de bennes de 30 mètres cubes. Comme nous ne disposons que d'une barge qui sert aussi à d'autres activités, celle-ci est en très forte tension, d'autant que les périodes cycloniques empêchent une rotation en continu.

Ces différentes difficultés entraînent un surcoût important et peuvent occasionner des arrêts de la collecte des ordures ménagères.

Malgré la solidarité qui s'exerce entre les collectivités du Syvade, le coût reste trop lourd pour les 10 000 habitants de Marie-Galante.

Nous poursuivons nos efforts pour réduire le tonnage enfoui, qui représente actuellement 80 % des déchets collectés. Si seulement 5 % de nos déchets sont valorisés, nos déchets verts sont tous broyés sur place puis distribués aux agriculteurs, et nous projetons la création d'une plateforme de co-compostage des déchets verts et des sargasses.

Enfin, lorsque nos administrés font des achats en Guadeloupe continentale, ils ne peuvent pas bénéficier de la reprise des articles qu'ils remplacent, ce qui engendre un surcoût pour la communauté de communes...

M. Stéphane Artano, président . - Il semble que la communication avec Jean-Marc Pasbeau ait été interrompue...

Je remercie tous nos intervenants, et j'invite ceux qui ne l'ont pas encore fait à répondre au questionnaire que nous leur avons adressé.

Jeudi 21 juillet 2022

Table ronde Pacifique

M. Stéphane Artano, président . - Mesdames, messieurs, chers collègues. Après un déplacement dans le bassin Indien ainsi que des tables rondes consacrées à la Guyane et aux Antilles, nous abordons ce matin les rivages du Pacifique dans le cadre de notre étude sur la gestion des déchets dans les territoires ultramarins.

Nos deux rapporteures, Gisèle Jourda et Viviane Malet, qui effectuent un travail d'investigation considérable, ont déjà collecté beaucoup de données grâce aux questionnaires que les collectivités nous ont retournés. Soyez sûrs qu'il en sera tenu le plus grand compte et nous sommes très reconnaissants pour le temps et l'attention que les responsables locaux y ont consacrés.

Pour compléter ces informations et donner la parole aux autres acteurs de terrain, nous allons nous tourner ce matin successivement vers Wallis-et-Futuna, la Polynésie française, et la Nouvelle-Calédonie.

Je tiens à saluer chaleureusement tous nos intervenants, en présentiel et en distanciel, pour avoir répondu à notre invitation et accepté ce format élargi qui a l'avantage de croiser les expériences et de permettre d'identifier à la fois les points communs et les spécificités.

La présente audition doit vous permettre de mettre en avant de manière synthétique vos difficultés et vos priorités sur votre territoire.

Compte tenu du décalage horaire, nous allons commencer par Wallis-et-Futuna, représenté par M. Paino Vanai, président de la commission du développement, des affaires économiques et du tourisme de l'Assemblée territoriale.

M. Paino Vanai, président de la commission du développement, des affaires économiques et du tourisme de l'assemblée territoriale . - Monsieur le président, mesdames, messieurs. Le traitement des déchets est assuré par les circonscriptions de Wallis-et-Futuna et le territoire, par le biais du service de l'environnement. Nous n'envisageons pas de confier cette mission à une entreprise privée puisque nous ne disposons pas des moyens nous permettant d'assumer une concession. En outre, le privé ne dispose pas de toutes les compétences nécessaires pour assurer convenablement le traitement des déchets.

Les ressources de la collectivité sont insuffisantes. Nous proposons de réaliser des économies à la source pour réduire le coût du traitement des déchets.

À Wallis-et-Futuna, nous avons mis en place un système appelé écotaxe qui permet de collecter tous les contenants supérieurs à 200 millilitres de volume. Ce dispositif mis en place en 2017 semble assez efficace puisqu'il nous a permis de récolter une enveloppe de 53 millions de francs CFP en 2021. Nous pouvons solliciter la population afin d'obtenir une collecte efficace des déchets.

En plus de cette taxe locale, nous souhaitons également développer le secteur du recyclage.

Concernant les dispositifs d'aide financière nationaux et européens, nous bénéficions de l'intervention de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), qui nous aide dans certains volets du traitement des déchets, et de l'aide du fonds exceptionnel d'investissement (FEI) qui permet de nous équiper en matériel de collecte et de traitement, d'améliorer nos centres d'enfouissement technique et d'initier quelques opérations de recyclage. Nous souhaitons que ce dispositif soit pérennisé dans le temps afin que nous puissions finaliser les projets de valorisation de nos déchets.

Nos capacités d'ingénierie restent limitées car nous sommes un petit territoire. Nous sollicitons donc l'aide de l'Ademe pour recruter une assistance technique extérieure pour nous aider à finaliser nos projets.

La coopération régionale et la mutualisation des territoires du Pacifique existent déjà grâce au Programme régional océanien de l'environnement (PROE), mettant en place des programmes régionaux de partenariats, notamment par le biais de l'Agence française de développement (AFD), qui aide les territoires du Pacifique à améliorer la collecte et le traitement des déchets. À Wallis-et-Futuna, nous n'aurons pas les moyens de rentabiliser une installation pour la valorisation.

Wallis-et-Futuna compte des dépôts et décharges sauvages, surtout sur l'île de Wallis où la collecte des déchets a débuté tardivement et où les habitants utilisaient les lacs de cratère pour jeter leurs déchets. Depuis, des petits centres d'enfouissement ont été construits et permettent de traiter ces déchets. Peu à peu, nous réalisons un travail de récupération et de nettoyage de ces nombreuses décharges sauvages.

Depuis une dizaine d'années, nous avons mis en place une taxe sur les produits dangereux. Toutefois, le produit issu de cette taxe n'est pas suffisant pour assurer la collecte et le traitement convenable de ces déchets. Ainsi, le territoire complète le coût car ces déchets sont exportés en Nouvelle-Calédonie, qui gère la suite du traitement, sans doute en Australie ou en Nouvelle-Zélande. Les huiles usagées, les batteries et les piles sont généralement exportées une fois par an, en fonction des quantités récoltées.

Concernant les mesures incitatives, le dispositif d'écotaxe permet la récupération des contenants de plus de 200 millilitres. Nous souhaitons étendre ce dispositif à l'ensemble des produits importés, afin d'encourager les populations à rapporter les emballages de ces produits.

Nous élaborons une stratégie de gestion des déchets 2025-2035, qui vise à limiter la pollution à la source, dans le cadre de la « Trajectoire outre-mer 5.0 » et de ses objectifs concernant le « zéro déchet ». Nous espérons finaliser cette stratégie dans les délais.

La mise en place d'un petit centre d'enfouissement a permis d'effectuer un tri, notamment des véhicules, des morceaux de ferraille et des objets électroménagers comme les réfrigérateurs ou les congélateurs. En effet, depuis peu, ces objets sont mis à la disposition dans les centres d'enfouissement technique pour qu'il soit possible de récupérer certaines pièces dans le cadre de la réparation d'équipement. Cette démarche débute et nous ne sommes pas encore pleinement opérationnels. Nous souhaitons mettre en place une petite déchetterie pour rassembler l'ensemble des éléments pouvant encore être utilisés. Le territoire doit s'équiper afin d'offrir aux populations des endroits pour récupérer ces pièces.

Un appel d'offres est publié chaque année pour l'exportation des déchets dangereux, auquel répondent généralement des sociétés de Nouvelle-Calédonie. Les huiles, batteries et piles sont exportées, dans le respect de la Convention de Bâle.

Nous disposons d'un incinérateur permettant de traiter les déchets hospitaliers contaminants.

À Wallis-et-Futuna, grâce à l'écotaxe, nous ne voyons plus d'habitants jeter des canettes au bord des routes. Le dispositif a permis de nettoyer l'île. En outre, nous constatons un effet sanitaire car les contenants jetés dans la nature pouvaient favoriser le développement des larves, notamment de moustiques à l'origine de la dengue. Le bilan de l'écotaxe est donc extrêmement positif. Nous souhaitons l'étendre à l'ensemble des produits importés afin de disposer de ressources et sensibiliser la population au traitement des déchets.

M. Stéphane Artano, président . - Je vous remercie de ces précisions. Je cède la parole à nos deux rapporteures Gisèle Jourda et Viviane Malet.

Mme Gisèle Jourda, rapporteure . - Cette opération d'écotaxe locale est à saluer. Toutefois, quels moyens mobilisez-vous pour agir contre les décharges sauvages ?

Par ailleurs, la piste de déchetterie permettant de récupérer des objets usagés semble intéressante.

Je vous remercie de vos réponses, qui nous permettront d'avancer sur ces thématiques plus spécifiques.

Mme Viviane Malet, rapporteure . - Je vous remercie de vos propos très clairs. Pouvez-vous nous donner quelques précisions supplémentaires sur la gestion des centres d'enfouissement ? Quel est leur nombre ? Connaissent-ils une saturation ? Envisagez-vous d'en construire d'autres ?

Par ailleurs, stockez-vous les véhicules hors d'usage (VHU) ? Si j'ai bien compris, vous avez mis en place un appel d'offres avec la Nouvelle-Calédonie afin de les éliminer. Avez-vous un grand nombre de VHU ? La plateforme de stockage nécessite-t-elle un impact foncier important ? Qu'en est-il du transport et des coûts ?

M. Paino Vanai . - La plupart des décharges sont anciennes, hormis quelques-unes récemment créées. Nous souhaitons effectuer beaucoup de sensibilisation, nécessaire dans notre pays, pour éviter que les habitants continuent à jeter leurs ordures n'importe où. Si le dépôt de déchets dans la nature se comprenait auparavant, nous avons aujourd'hui la possibilité de les envoyer dans les centres d'enfouissement technique.

Parmi les volumes envoyés au centre d'enfouissement, 53 % sont d'origine privée, ce qui vient compléter la collecte publique.

Nous essayons d'isoler les VHU dans un coin du centre d'enfouissement mais nous ne sommes pas encore tout à fait équipés et ils sont, pour le moment, disposés sur le sol. Nous souhaitons créer des plateformes d'accueil de ces VHU. Grâce au FEI, nous avons acquis une presse permettant de réduire les volumes. Nous disposons d'un conteneur de dépollution des véhicules qui permet d'enlever les polluants avant de passer à la phase de compression.

Avec l'AFD et le PROE, nous travaillons dans le cadre du programme Swap sur la valorisation de déchets métalliques. Nous avons été retenus grâce à notre système d'écotaxe pour expérimenter la valorisation, au niveau local, des déchets métalliques. Nous avons déjà quelques pistes pour valoriser, notamment localement, les produits aluminium, tels que les canettes, qui représentent un volume important. Si l'étude confirme la possibilité de valoriser ces déchets, nous pourrons le faire localement.

M. Stéphane Artano, président . - Je vous remercie de nous avoir apporté votre éclaircissement sur la gestion des déchets à Wallis-et-Futuna.

Pour l'état des lieux en Polynésie française, nous avons à présent le plaisir d'accueillir le président du Syndicat pour la promotion des communes de Polynésie française (SPCPF) Cyril Tetuanui - également président de la communauté de communes de Havai (îles Sous-le-Vent), chargé de la gestion des déchets -, qui est accompagné d'Ivana Surdacki, directrice générale du SPCFP, et Teva Guillain, directeur général des services.

Pour le Gouvernement de la Polynésie, nous saluons Cédric Ponsonnet, directeur des ressources marines, Ryan Leou, chargé d'affaires à la direction de l'environnement et Jerry Biret, conseiller technique environnement du ministre de la culture, de l'environnement et des ressources marines.

Pour la Fédération des associations de protection de l'environnement (FAPE), nous avons le plaisir d'accueillir Jason Man, vice-président.

Enfin, le MEDEF Polynésie française (MEDEF PF) est représenté par Thierry Chansin, président de la Chambre syndicale des entrepreneurs du bâtiment et des travaux publics (CSEBTP) ; Marc Stuhlfauth, président, Ella Camart, Charles Egretaud et Cyril Rebouillat, membres de la COMIDD ; Cyrille Bachelery, directeur de la société Technival, et Benoît Sylvestre, directeur de la société Enviropol.

Je vous cède la parole pour des propos liminaires.

M. Cyril Tetuanui, président du Syndicat pour la promotion des communes de Polynésie française (SPCPF) . - Monsieur le président, mesdames les rapporteures. Les déchets constituent un problème en Polynésie française. Avant 2004, les communes étaient compétentes pour la collecte des déchets et, depuis 2004, le traitement des déchets leur a également été transféré. Le transfert des seules compétences, et non des moyens, est vraiment problématique. Rappelons que la Polynésie est un territoire vaste comme l'Europe, qui compte plusieurs archipels.

Avant 2004, le pays a investi dans des centres d'enfouissement techniques, pour l'île principale de Tahiti. Cependant, dans les autres îles, le nombre de centres d'enfouissement techniques est insuffisant puisqu'on en dénombre deux dans les îles Australes et deux dans les îles Marquises. Sur le reste des îles des communes de la Polynésie française, aucun investissement n'a été effectué par le pays avant 2004.

En tant que président de la communauté de communes des îles Sous-le-Vent, je constate que nous rencontrons un problème de moyens concernant le traitement des déchets, contrairement à la collecte. Le souhait du président de la communauté de communes que je suis est de ramener cette compétence au pays. En effet, ce dernier possède les moyens financiers et fonciers pour construire des centres d'enfouissement techniques.

Concernant la partie technique, je laisserai M. Teva Guillain approfondir nos réponses au questionnaire que vous nous avez transmis.

M. Teva Guillain, directeur général des services du Syndicat pour la promotion des communes de Polynésie française (SPCPF) . - Monsieur le président, mesdames, messieurs. La communauté de communes Havai est la troisième communauté de communes de la Polynésie française, après celle des Marquises et celle de Terehçamanu, nouvellement créée à Tahiti. Elle regroupe six communes, soit 25 000 habitants dont environ 7 000 usagers abonnés au service de la collecte de traitement des déchets. Quarante agents, répartis sur quatre îles, travaillent au service de la collecte à l'aide d'une dizaine de camions à ordures ménagères. La collecte ne constitue plus notre principal problème.

Nous remercions le pays et l'État d'avoir financé, à travers le contrat de projet, de nouveaux engins à la hauteur des problèmes de collecte que nous pouvions rencontrer.

Toutefois, nous sommes confrontés à une grande difficulté concernant le traitement des déchets. Depuis 2004, le pays nous a transféré la compétence à travers la modification de la loi organique, sans que cela s'accompagne d'un transfert de moyens. Surtout, concernant le stockage des déchets, nous avons hérité d'un transfert, de la part des communes, de dépotoirs sauvages historiques. Des déchets sont stockés à même le sol et polluent la nature, les lagons et les rivières. Malgré les efforts que nous avons pu fournir avec l'aide de nombreux bureaux d'études spécialisés dans la gestion des déchets en Polynésie et une instruction datant de 2018, nous n'avons toujours pas reçu l'autorisation d'exploitation et de construction d'un centre d'enfouissement technique à Raiatea.

Cette problématique a très récemment été complexifiée par la fermeture d'un dépotoir. Nous sommes en phase de recherche d'un autre dépotoir, en attendant que nous puissions disposer d'un centre d'enfouissement technique - a priori en 2026.

Ce dossier est tellement lourd en investissements, aussi bien sur le plan financier que technique, que le transfert de la compétence de traitement vers le pays constitue peut-être une bonne idée. Nous pourrions au moins être davantage accompagnés et autorisés à exploiter les centres d'enfouissement techniques.

Une enquête publique devrait débuter en août, et la population pourra y formuler ses doléances. La commission des installations classées se réunira pour donner son avis.

En outre, si un projet évalué à 1 milliard de francs CPF (soit 8,380 millions d'euros) est lancé, la communauté de communes ne dispose pas de moyens financiers proportionnels. Si elle peut bénéficier d'une aide de l'État et du pays à hauteur de 60 % par le biais du contrat de développement, ainsi que d'une prise en charge de 20 % par l'Ademe, 20 % seront encore à la charge de la communauté de communes, ceci avant l'emprunt de l'AFD.

M. Stéphane Artano, président . - Merci. Nous avons bien noté la demande des communes d'un transfert de cette compétence de traitement au pays.

Je vous propose de passer maintenant au gouvernement de Polynésie.

M. Jerry Biret, conseiller technique environnement du ministre de la culture, de l'environnement et des ressources marines . - Selon les derniers chiffres du syndicat Fenua Ma - qui regroupe toutes les communes de Tahiti et Moorea-Maiao, hormis une, et couvre environ 200 000 habitants -, en 2021, 301 kilos de déchets sont produits par habitant et par an, ce qui est trop pour nos îles mais peu par rapport aux quantités produites dans les pays continentaux.

Lorsque nous recherchons une méthodologie de traitement à l'étranger, la réponse est souvent : « vous ne produisez pas assez de déchets pour nous ». Cette faiblesse des gisements de déchets, notre dispersion et notre éloignement géographique constituent tous les ingrédients d'une gestion particulière et contraignante.

Nos 118 îles sont réparties sur un territoire aussi grand que l'Europe. Les contraintes de transport et de récupération de ces déchets, pour les ramener à Papeete, sont immenses.

En novembre 2021, l'assemblée de Polynésie a voté une déclaration sur la gestion des déchets en Polynésie française, plaçant le pays dans une démarche de « zéro gaspillage ». Nous travaillons depuis, avec l'ensemble des partenaires (les communes et les entreprises), pour essayer de trouver des solutions fiables, viables, pérennes et supportables pour traiter l'ensemble de nos déchets.

Concernant le mode de gouvernance, la répartition des compétences est issue de la loi organique portant statut d'autonomie de la Polynésie française et du Code général des collectivités territoriales tel qu'il est applicable en Polynésie. Les communautés de communes rencontrent des difficultés pour prendre ces dépenses en charge. Toutefois, cette répartition est inscrite dans une loi organique.

Nous sommes bien accompagnés par tous les dispositifs existants, notamment en matière d'investissements. Néanmoins, la question du coût de la collecte et du traitement des déchets devient très prégnante pour les communes du fenua. Par exemple, nous avons l'obligation d'exporter nos déchets à l'étranger une fois qu'ils sont traités à Papeete. Or nous constatons une augmentation très importante du coût des transports internationaux, ce qui est aujourd'hui problématique pour un territoire qui reste malgré tout isolé et dépendant des liaisons maritimes.

Par ailleurs, la faiblesse des gisements de déchets que nous produisons nous empêche de mettre en place des technologies de traitement fiables, viables, pérennes et supportables pour les administrés.

Nous aurons toujours besoin de ces dispositifs d'aide financière, justement pour tenter de trouver les meilleures solutions de traitement de ces déchets et, éventuellement, d'aider les communes et le pays sur toute la partie fonctionnement, qui devient très importante.

Le renforcement des capacités d'ingénierie est toujours utile et indispensable puisque les techniques et les difficultés évoluent.

Concernant la chaîne de traitement, le tri des déchets a été lancé dans les années 2000 en Polynésie française, avec le syndicat Fenua Ma. Depuis 22 ans, les populations, notamment de Tahiti et Moorea, trient leurs déchets recyclables alors qu'il n'existe pas de texte réglementaire sur le sujet. En 2021, le taux de captage des déchets recyclables, pour le syndicat Fenua Ma, était de 53 % et près de 70 % pour la communauté de communes Havai.

Dans le cadre de la mise en place du tri des déchets dans les années 2000, des infrastructures ont été construites, parmi lesquelles un centre d'enfouissement technique et un centre de recyclage et de tri, pour le syndicat Fenua Ma, dans l'île principale de Tahiti. Ces infrastructures aident les plus grosses communes à traiter les déchets. En outre, quelques centres d'enfouissement techniques sont répartis dans les îles.

En revanche, nous ne pouvons pas construire de centre d'enfouissement technique dans toutes nos îles car ces infrastructures coûtent extrêmement cher en investissement et, surtout, en maintenance et en utilisation.

Le pays prépare un schéma directeur de gestion des déchets en Polynésie française, actuellement étudié par les services techniques de la direction de l'environnement. Lorsque ce texte sera finalisé au niveau technique, il sera partagé avec l'ensemble de nos partenaires, parmi lesquels le SPCPF, les entreprises et les associations. Nous travaillerons donc tous ensemble sur ce schéma directeur pour fixer notre stratégie de gestion des déchets durant les années à venir. Des stratégies d'économie circulaire et des créations de recycleries et ressourceries seront envisagées dans ce texte, qui devrait être publié assez rapidement.

Nous envisageons également d'interdire certains produits à l'importation, tels que les batteries au lithium, extrêmement difficiles à recycler. Je ne dis pas que l'interdiction d'importation de ce type de produit sera décidée mais nous envisageons toutes les solutions possibles pour les entreprises et pour le traitement des déchets particulièrement difficiles à traiter en Polynésie française.

Dans le cadre de ce schéma directeur, nous travaillerons également sur les filières à Responsabilité élargie du producteur (REP). La réglementation de la Polynésie française prévoit déjà la responsabilité élargie des producteurs. Il nous reste à mettre en place toutes ces filières REP, parmi lesquelles certaines nous semblent très intéressantes et ont déjà fait l'objet d'un travail, qui se poursuivra avec les partenaires afin de rédiger un texte acceptable et applicable par tous, le plus facilement possible.

M. Stéphane Artano, président . - Merci. Je cède désormais la parole aux représentants du MEDEF Polynésie.

M. Charles Egretaud, membre de la Commission Développement Durable. ( COMIDD) du MEDEF . - En tant qu'entreprise, nous devons faire face à la gestion des déchets. Les exutoires dont nous disposons dans l'exercice de nos métiers sont extrêmement hétérogènes. Certaines îles sont bien équipées, avec une bonne collecte et des exutoires, tandis que d'autres îles ne permettent pas de gérer les déchets, si ce n'est de les exporter vers Tahiti tel que nous y sommes obligés.

En Polynésie française, les modes de gouvernance et la répartition des compétences sont parfois incompréhensibles car les acteurs institutionnels sont multiples. Je suis également directeur d'un bureau d'études qui travaille beaucoup sur la gestion des déchets, les schémas, les systèmes d'interdictions ou encore les filières REP. Je dirais même qu'il est caricatural qu'un seul groupe industriel tente de faire face à la production de déchets. De plus, plusieurs institutions - de l'État, du pays ou des communes - sont donneurs d'ordre et décideurs, rendant parfois la compréhension difficile.

L'existence de dispositifs d'aide financière est incontestable puisqu'en dix ans, je ne me souviens pas d'avoir travaillé sur une étude sans cofinancement de l'Ademe ou encore de l'AFD. Toutefois, je ne sais pas si ces financements sont suffisants et répondent à tous les besoins.

Concernant le renforcement de la capacité d'ingénierie, nous rencontrons des problèmes basiques, parmi lesquels la très grande difficulté à disposer d'exutoires sur un territoire très vaste qui abrite des communautés variant d'une trentaine de personnes à une centaine de milliers de personnes sur l'île de Tahiti. Nous connaissons donc un panel de problématiques excessivement large et très complexe. Certaines îles sont facilement reliées par des bateaux tandis que d'autres sont toujours desservies par baleinières ou par des quais extérieurs à une fréquence mensuelle.

La Direction Régionale de l'Environnement (DIREN) a produit des inventaires des décharges illégales, malheureusement très nombreuses en Polynésie française. La plupart des dépotoirs municipaux sont illégaux car non contrôlés et gérés en fonction du bon vouloir des habitants d'une île.

La qualité de vie et l'économie sont satisfaisantes à l'échelle du Pacifique, ce qui nous conduit à produire en grand nombre des biens de consommation très variés, et donc des déchets de nature tout aussi variée, difficiles à traiter.

Le pays a d'ailleurs lancé quelques études sur l'interdiction de certains objets superflus, comme les sacs plastiques cabas, les pailles ou la vaisselle à usage unique. Il existe une réelle volonté d'agir à la source afin de soulager des filières ayant beaucoup de difficultés à exister.

Un très vaste débat existe sur les mesures incitatives en faveur du tri. Au-delà des problèmes techniques, la gouvernance et le consentement de ce coût posent également question. Le consentement à payer et le recouvrement me semblent manquer dans ce qui est exposé. En effet, la gestion des déchets coûte très cher dans les communes. En outre, la plupart des communes n'assurent pas un recouvrement complet. Les études que nous avons conduites montrent que les chiffres varient entre 10 et 70 % de recouvrement. Une incitation économique au niveau des communes et des opérateurs manque donc complètement.

Les dispositifs d'incitation pour les entreprises sont inefficaces car il est trop facile pour ces dernières de se débarrasser gratuitement des déchets de façon illégale, ce qui est malheureusement aussi le cas de certains opérateurs publics, comme les communes.

Des expériences très intéressantes sont actuellement menées concernant les recycleries et ressourceries, notamment sur l'île de Bora Bora avec laquelle nous travaillons sur une déchetterie dont la première vocation est la mise en place de ressourceries, de réparation, de recyclage et de remise en état des biens. Ces expériences restent encore malheureusement un épiphénomène et un échantillon de ce qui pourrait être fait en Polynésie française, ce qui est foncièrement regrettable.

Le débat a été ouvert concernant les filières REP. Il a également été ouvert au MEDEF puisque les entreprises seront bien sûr les premières concernées. S'inscrire dans ce dispositif et être responsabilisé constitue une volonté très forte de la part des entreprises. Dans le sigle REP, la responsabilisation est la notion qui plaît le plus aux entreprises.

M. Stéphane Artano, président . - Je cède maintenant la parole aux représentants de la Fédération des associations de protection de l'environnement (FAPE).

M. Jason Man, représentant de la Fédération des associations de protection de l'environnement (FAPE) . - Je représente une fédération regroupant des associations de protection de l'environnement, plus ou moins spécialisées sur la question des déchets. Nous effectuons surtout de la sensibilisation sur la réduction des déchets auprès de la population, dans les écoles ou lors d'événements durant lesquels nous tenons des stands. En outre, nous sensibilisons les entreprises privées ou le gouvernement sur ce même thème.

Nous expliquons que la quantité de déchets que nous produisons est liée à la très grande part de nourriture importée, qui engendre des déchets difficiles de traiter. Notre axe stratégique est donc d'encourager à limiter l'importation et à produire localement notre nourriture.

Nous agissons et accompagnons le gouvernement autant que nous pouvons sur ces leviers de sobriété. Nous l'avons notamment accompagné concernant l'acceptation, par la population, de la fameuse loi d'interdiction des sacs plastiques.

Mme Lana Tetuanui . - Cette table ronde porte sur les déchets au sens large du terme et concerne donc à la fois les déchets sur terre et les déchets dans les océans. Une grande campagne a notamment été lancée concernant la perliculture marine.

Je ne me gênerai pas pour évoquer devant mes collègues rapporteures les déchets dits « toxiques », pour ne pas dire « polémiques ». Parler de la Polynésie française nécessite de parler de la dépollution des atolls de Hao et de Moruroa. Mesdames les rapporteures, je tiens à ce que ce sujet figure dans le rapport. Outre les déchets ménagers, qui relèvent des compétences communales, nous devons évoquer les déchets dits « toxiques » dont la gestion revient à l'État. Les déchets contaminés par les essais nucléaires nous collent à la peau et constituent l'épine dans les chaussures des Polynésiens que nous sommes.

M. Stéphane Artano, président . - Merci. Je cède la parole aux deux rapporteures.

Mme Gisèle Jourda, rapporteure . - Chacun connaît ma sensibilité sur ce qui est lié aux pollutions. Sur ces territoires, les essais nucléaires ont laissé des traces. Cette question ne sera ni éconduite ni évitée dans le rapport car elle est beaucoup trop importante et engendre des répercussions tant sur les sites que sur les populations. Il nous faudra aborder ce sujet sans lunettes opaques.

Quelques intervenants nous ont parlé d'un territoire aussi vaste que l'Europe et, surtout, d'une archipélisation très dense, pouvant à mon sens produire des problématiques d'insularités différentes au sein d'une même zone. Concernant la collecte et le traitement des déchets, j'aimerais que nous puissions disposer d'une cartographie de ces problématiques, ce qui nous permettrait de bien cibler et de personnaliser nos préconisations par rapport aux territoires.

S'agissant de la gouvernance, nous avons entendu un appel, lié au traitement et à ce qui pèse sur les communes, avec le souhait que la compétence du traitement soit transférée au pays. J'aimerais entendre l'opinion du conseiller technique du ministère quant à ce souhait.

Nous n'avons pas parlé du traitement des déchets hospitaliers et médicaux. Tout type de pollution a une incidence sur la salubrité et la santé publique.

Mme Viviane Malet, rapporteure . - Merci à tous pour vos propos.

Je souhaite savoir si le schéma directeur évoqué par le président Cyril Tetuanui impliquera les municipalités et si un plan municipal de gestion sera mis en place avec le pays sur la question des déchets. J'ai l'impression que la vision est parcellaire, avec le pays d'un côté et les communes de l'autre. Les communes semblent se débrouiller tant bien que mal. Les taxes sont mal ou très peu récoltées, notamment en raison du pouvoir d'achat de la population. Un plan vraiment global ne serait-il pas plus efficace pour capter les subventions ?

Par ailleurs, ce plan ne devrait-il pas être l'occasion de mettre en place des mesures incitatives en faveur du tri ? Une écotaxe pourrait-elle être utile et a-t-elle été envisagée ?

Enfin, qu'en est-il des VHU, retrouvés dans tous les territoires, qui polluent et constituent des nids de moustiques et de larves ? Comment sont-ils traités, ramassés et acheminés ?

M. Stéphane Artano, président . - Je cède la parole à Cyril Tetuanui.

M. Cyril Tetuanui . - Je vous remercie de vos questions.

Concernant le traitement des déchets, le souhait du président des maires de Polynésie est que la compétence revienne au pays, comme c'était le cas avant 2004. Malheureusement, en Polynésie, un seul homme a décidé de transférer cette compétence aux communes sans consulter les élus locaux.

L'idéal est que le pays mette en place le schéma directeur en associant les communes, les collectivités, l'État et les entreprises privées. J'espère que ce schéma sera bientôt publié car nous l'attendons depuis quinze ans.

Une taxe existe en effet mais c'est le pays qui la récolte, sans répartition pour les communes.

Par ailleurs, les ordures ménagères et les encombrants sont récoltés par la commune tandis que les déchets toxiques et hospitaliers relèvent de la compétence du pays. Toutes ces compétences sont assumées dans nos petits territoires insulaires, sans moyens alloués par le pays. Établir un plan général pour l'ensemble de la Polynésie serait idéal car les moyens des communes sont trop limités.

Mme Viviane Malet, rapporteure . - Les taxes perçues par le pays font-elles l'objet d'un reversement aux communes ?

M. Cyril Tetuanui . - Non.

Mme Viviane Malet, rapporteure . - Vous assumez donc la collecte sur le budget principal de la commune.

M. Cyril Tetuanui . - Nous assumons nous-mêmes la collecte, de même que le traitement. Nous demandons des financements par le biais du contrat de projets mis en place entre l'État et le pays. Ces contrats constituent de bons financements mais l'enveloppe est insuffisante. Six milliards de francs CPF nous sont alloués chaque année alors que nous sommes six collectivités, devant gérer un grand nombre de compétences telles que le traitement des eaux usées et des déchets ou encore l'assainissement. Nous souhaitons donc que l'enveloppe soit plus importante par rapport à ces compétences.

Mme Gisèle Jourda, rapporteure . - S'agit-il d'une enveloppe générale ?

M. Cyril Tetuanui . - En effet. Cette enveloppe concerne les compétences environnementales et n'est pas fléchée seulement pour la gestion des déchets.

M. Stéphane Artano, président . - Quel est le nombre de taxes en matière de traitement des déchets et de collecte ?

M. Cyril Tetuanui . - Je laisserai Lana Tetuanui, sénatrice de la Polynésie française, répondre à cette question car elle siège à l'Assemblée de Polynésie, où les taxes sont votées.

Mme Lana Tetuanui . - Je souhaite préciser que la fiscalité est une compétence de la collectivité de Polynésie. La taxe pour l'environnement, l'agriculture et la pêche (TEAP) est prélevée par la collectivité et inscrite aux recettes du pays. En revanche, le pays, la collectivité et l'État interviennent via la délégation pour le développement des communes (DDC) afin d'aider les communes à acheter des camions, des véhicules et du matériel technique. Je reconnais que cette aide n'est pas suffisante.

M. Stéphane Artano, président . - Cela signifie que les communes ne reçoivent aucune recette de taxes qui viennent financer le fonctionnement de leurs services.

Mme Lana Tetuanui . - En effet. J'avais demandé que les recettes des amendes émises par les agents de police judiciaire adjoints (APJA) concernant les déchets soient reversées aux communes.

Mme Gisèle Jourda, rapporteure . - Cette idée peut constituer une piste puisque nous utilisons ce procédé concernant la lutte contre les infractions routières. En effet, les amendes émises par les policiers sont redistribuées à certaines collectivités afin de servir à la réfection des routes.

Mme Lana Tetuanui . - Concernant les VHU, la récolte et le traitement relèvent de la collectivité. Des campagnes - qui, j'espère, se poursuivront - ont eu lieu sur l'ensemble du territoire de la Polynésie via un financement de l'Ademe. Le pays a prolongé une autre convention avec l'Ademe qui permet d'aider la collectivité. Le pays peut se charger de la gestion des VHU sur l'île de Tahiti. Néanmoins, dans les autres îles, ce sont les services communaux et les élus locaux sur place qui font office de collectivité, financés par l'Ademe.

M. Stéphane Artano, président . - Je cède la parole aux intervenants en visioconférence afin qu'ils répondent aux questions.

M. Jerry Biret . - Nous ne disposons pas d'une cartographie de la gestion des déchets mais il pourrait être possible de la réaliser. Nous essayerons de vous l'envoyer le plus rapidement possible pour que vous puissiez avoir une visibilité sur ces problématiques.

Vous avez raison en soulignant que la problématique liée aux déchets n'est pas forcément la même d'une île à une autre, même au sein d'un même archipel, en fonction de la distance et de l'accessibilité de certaines communes via les liaisons aériennes ou maritimes.

En tant que technicien, vous comprendrez que je ne puisse pas répondre à la question sur le transfert de compétence.

Concernant le traitement des déchets médicaux, le service public de santé en Polynésie a un réseau de collecte et de traitement spécifique. Il existe une réglementation pour la gestion de ces déchets, pris en charge par la collectivité de la Polynésie française pour tous les centres de santé dans les îles.

Le schéma territorial de gestion des déchets vise à fixer des objectifs et une stratégie au niveau territorial. Une fois que ce document sera finalisé par nos techniciens, nous souhaitons le partager avec les communes, les entreprises et les associations afin que cette stratégie territoriale puisse s'étendre à toutes les questions que chacun peut se poser. L'objectif est ensuite la rédaction de plans municipaux par les différentes communautés, pouvant s'intégrer dans ce schéma territorial de gestion des déchets.

La réalisation du schéma territorial prend du temps car ce document est difficile à rédiger et à imaginer. Toutefois, nous espérons pouvoir l'achever et le partager avec nos partenaires très rapidement.

Concernant l'écotaxe et les recettes fiscales affectées au traitement des déchets, certaines taxes sont prélevées au titre de la protection de l'environnement, telles que la TEAP et la taxe pour l'environnement et le recyclage des véhicules (TERV), censée permettre la prise en charge du traitement des VHU. Ces taxes sont prélevées par le pays et entrent directement dans le budget général de la Polynésie française. Cette taxe n'est pas affectée à la Direction de l'environnement ou fléchée vers des opérations de traitement des déchets. En fonction des objectifs et de la stratégie budgétaire du gouvernement, le produit de cette taxe est réparti sur des opérations qui, souvent, n'ont pas de lien avec l'environnement.

J'ai parlé de problématique de financement du fonctionnement, notamment pour les communes. Concernant les investissements, nous sommes largement aidés. Toutefois, nous ne recevons pas forcément beaucoup d'aide pour le fonctionnement. Surtout, le Code général des collectivités territoriales indique que les communes doivent équilibrer leurs budgets annexes consacrés au traitement des déchets par les redevances payées par les administrés. Évidemment, ce n'est jamais suffisant pour payer le coût du traitement de ces déchets. Cette problématique est donc extrêmement importante pour l'ensemble des communes. Charles Egretaud a rappelé que certaines communautés ne regroupent que quelques dizaines de personnes. Dans le cadre de ces communautés, il est impossible d'envisager la construction d'infrastructures qui pourraient traiter les déchets alors même qu'elles doivent gérer le traitement.

Concernant les VHU, les opérations sont prises en charge par la collectivité. Le syndicat Fenua Ma possède deux presses à carcasses en Polynésie française. Régulièrement, nous lançons des opérations de récupération de ces carcasses. Nous sollicitons les communes souhaitant s'en débarrasser afin qu'elles en répertorient le nombre sur leur territoire. Ensuite, le syndicat se déplace dans la commune pour traiter toutes ces carcasses, qui sont ensuite dépolluées et compressées avant d'être exportées à l'étranger, à la charge du pays. Notons que le syndicat Fenua Ma ne couvre en principe que les communes de Tahiti et de Moorea (hormis une) mais intervient de temps en temps, lorsque c'est possible, dans d'autres communes, et notamment les îles Sous-le-Vent.

Cette opération coûte extrêmement cher puisque le coût du transport de ces carcasses vers Papeete, auquel s'ajoute le coût du transport vers l'étranger, est extrêmement onéreux. Plus la distance est grande, plus les coûts augmentent. Entre 2017 et 2021, nous traitions entre 1 000 et 1 300 carcasses chaque année, sachant que ces opérations ne sont jamais suffisantes pour traiter l'ensemble des carcasses présentes dans les différentes communes où les délais d'attente sont parfois de plusieurs mois. Le syndicat peine à répondre à toutes les demandes compte tenu des moyens de déplacement et surtout des spécificités de cette problématique.

Nous réfléchissons à l'idée d'investir dans des découpes afin de traiter les carcasses sur les îles et à les réexpédier à Papeete où elles seront compressées.

Nous travaillons avec la direction des ressources marines sur les déchets perlicoles. Nous voudrions profiter du passage du bateau qui collecte les déchets perlicoles pour récupérer d'autres déchets également, y compris les carcasses de voitures. Cette opération nécessite, elle aussi, beaucoup de logistique car certaines îles ne possèdent pas de quai ou de quai protégé de la houle. Nous rencontrons donc encore de grandes difficultés de logistiques à résoudre.

M. Teva Guillain, directeur général des services du Syndicat pour la promotion des communes de Polynésie française (SPCPF) . - Les budgets annexes consacrés à la collecte des ordures ménagères sont déficitaires pour la plupart des communes de Polynésie française. La mise en place de redevance vise à équilibrer le budget mais n'y parvient pas. Par exemple, la loi autorise la communauté de communes Havai à récupérer une subvention d'équilibre venant du budget général pour équilibrer le budget annexe car aucune commune ne compte plus de 10 000 habitants. La redevance s'élève à 9 000 francs CPF alors que, si nous voulions vraiment utiliser le budget, nous devrions établir une redevance à 36 000 francs CPF, ce qui est hors de portée des usagers.

Avec le fonctionnement actuel et sans que nous puissions encore prendre en charge le centre d'enfouissement technique, nous sommes déjà déficitaires. Nous appelons donc à l'aide afin d'obtenir un soutien financier pour l'investissement mais aussi l'exploitation du futur centre d'enfouissement technique.

Concernant la politique de traitement des déchets par incinération et gazéification, la communauté de communes a lancé, à deux reprises, des appels à projets, dont le dernier a malheureusement été trop coûteux alors que l'offre technique était tout à fait raisonnable. Il serait intéressant de voir si le pays pourrait prendre en charge le traitement des déchets par incinération, qui coûte très cher à la collectivité.

M. Cyril Tetuanui . - Le rapport devrait également évoquer les déchets liés à l'amiante car le désamiantage est très onéreux.

M. Stéphane Artano, président . - Merci. Je propose de passer maintenant à la Nouvelle-Calédonie.

Pour la province Nord, nous entendrons Nathaniel Cornuet, directeur du développement économique et de l'environnement ; pour la province Sud, Françoise Suve, rapporteure de la commission de l'environnement, accompagnée d'un représentant de la direction du développement durable des territoires (DDDT) ; et pour la province des îles Loyauté, Chérifa Linossier, chargée de mission « développement économique et relations extérieures » au secrétariat général.

Enfin, nous écouterons les représentants de l'Association française des maires de Nouvelle-Calédonie : Pierre-Olivier Castex, chef du service environnement de la ville du Mont-Dore et Emmanuel Récamier, chef de la division de la performance des services délégués de la direction de l'espace public de la ville de Nouméa.

M. Nathaniel Cornuet, directeur du développement économique et de l'environnement de la province Nord . - La province Nord est effectivement dotée d'un schéma provincial de gestion de déchets, voté en 2012 et réactualisé après une évaluation en 2018. La période du plan de gestion actuel s'étend de 2020 à 2023. Ce plan prévoit des dépenses d'investissements à hauteur de 25 millions d'euros et fixe les objectifs stratégiques et opérationnels de modernisation de la gestion des déchets. Il constitue la base des orientations commerciales en la matière pour assurer une mise à niveau coordonnée des infrastructures de gestion dans les 17 communes que compte la province Nord.

Cela comprend par exemple la mise en place d'un réseau d'infrastructures de type installations de stockage des déchets (ISD) et centres de transfert et de tri (CTT) aux normes ainsi que la réhabilitation des nombreux dépotoirs.

En outre, des objectifs de réduction d'enfouissement des déchets, de tri et de valorisation ont été votés par la province Nord dans le cadre de ce plan.

Malgré un contexte budgétaire très contraint, les moyens financiers nécessaires à la mise en oeuvre effective de ce plan sont votés chaque année, ce qui confirme la priorité donnée à cette problématique par l'ensemble des élus de la province Nord.

Notre collectivité peut également compter sur l'appui technique et financier de l'Ademe dans le cadre d'un partenariat efficace établi depuis plus de dix ans maintenant. Nous pouvons également compter sur l'appui de l'État au travers des contrats de développement.

Enfin, la dispersion des populations sur le territoire provincial, les difficultés à bénéficier de ressources humaines compétentes dans un domaine en évolution constante et les évolutions sociétales à accompagner font du sujet de la gestion des déchets une thématique complexe pour laquelle l'urgence à agir impose de développer de nouveaux partenariats.

Mme Françoise Suve, rapporteure de la commission de l'environnement de la province Sud . - Le sujet des déchets et, plus largement celui de l'économie circulaire, sont au coeur de la politique provinciale de la province Sud. La gouvernance et la répartition des compétences sont compliquées en raison d'un millefeuille institutionnel.

Le gouvernement ne dispose pas de schéma territorial ni d'une politique globale en matière de gestion des déchets s'agissant de ses propres compétences. Cette compétence reste actuellement confiée aux provinces, ainsi qu'aux communes concernant la collecte et le traitement. Le cadre réglementaire de cette compétence et les mesures incitatives relèvent des provinces, à travers un schéma provincial de gestion de prévention et de traitement des déchets pour permettre de régler ce problème.

Je laisserai aux communes le soin de développer la partie collecte et traitement, qui est aujourd'hui de leur ressort.

Concernant les dispositifs d'aide financière, le contrat de développement concerne surtout des investissements dans des infrastructures, ce qui nous permet, en majeure partie, de financer des installations de stockage des déchets (ISD), des déchetteries, des points d'apport volontaire et de réhabiliter des dépotoirs, qui posent de vrais problèmes pour l'environnement et la santé.

Nous bénéficions également d'un dispositif de financement à travers un accord-cadre passé avec l'Ademe, qui devait s'achever en 2021 mais qui a fait l'objet d'un avenant car la province est aussi en discussion sur les futurs contrats de développement. Cette enveloppe d'environ 5 millions d'euros est lissée sur cinq ans.

Par ailleurs, nous recevons des aides financières plus ponctuelles, liées à des fonds sur des thématiques précises, tels que le fonds « Territoires d'innovation » et les partenariats particuliers avec l'Agence calédonienne de l'Énergie (ACE), sachant que nous bénéficions d'un financement de l'État à travers l'Ademe et d'un financement territorial.

Ensuite, nous pouvons contracter différents prêts auprès des deux bailleurs de fonds principaux qui sont l'AFD et la Banque des territoires.

Enfin, l'autre financement de taille permettant de gérer la collecte et le traitement des déchets ménagers est la redevance d'enlèvement des ordures ménagères (REOM).

Nous appelons de nos voeux la création de cette passerelle avec les autres territoires du Pacifique car nous n'avons pas de véritable schéma régional de prévention et de gestion des déchets - pas forcément sur la totalité mais sur des déchets bien particuliers qui impactent nos activités et l'attractivité de nos territoires. Nous souhaiterions en outre bénéficier de fonds dédiés, qui pourraient dynamiser notre politique en matière de gestion des déchets, et bénéficier d'une continuité territoriale en matière d'ingénierie sur l'accompagnement technique qui est aujourd'hui à la disposition des différentes collectivités en métropole. Nous voudrions également accéder aux différents appels à projets nationaux concernant le traitement et les dispositifs permettant de collecter les déchets plus facilement et rapidement.

Nous menons actuellement une opération de collecte et de valorisation des navires hors d'usage. Une expérience pilote de six mois a été menée en début d'année, montrant qu'il s'agit d'une filière viable économiquement et porteuse de création d'emplois de proximité non délocalisables. Pour passer à une échelle supérieure, nous aurions peut-être besoin de recevoir l'accompagnement de l'Association pour la Plaisance Eco-Responsable (APER) et du ministère de la Transition écologique.

La Nouvelle-Calédonie représente environ 27 000 bateaux, parmi lesquels 6 000 bateaux qui seront en fin de vie dans les dix années à venir. Ce constat nécessite de l'anticipation.

Nous agissons sur les filières problématiques par rapport au Code de l'environnement, que nous n'hésitons pas à modifier et faire évoluer autant de fois que nécessaire pour nous permettre de nous adapter aux différents contextes rencontrés en Nouvelle-Calédonie.

Enfin, il serait intéressant qu'un volet dédié aux ultramarins de l'autre bout du monde soit développé lors des Assises - qui concernent à la fois la gestion de l'eau, l'assainissement, les déchets ou encore l'énergie - car nous ne disposons pas forcément des moyens qui existent en métropole. C'est d'ailleurs peut-être parce que nous ne disposons pas de beaucoup de moyens que nous devenons plus créatifs et que l'utilisation de l'argent dont nous bénéficions est optimale.

Mme Chérifa Linossier, chargée de mission « développement économique et relations extérieures » au secrétariat général de la province des îles Loyauté . - Le millefeuille administratif est effectivement très complexe, entre les acteurs en Nouvelle-Calédonie que sont les communes, les provinces, le gouvernement et une partie étatique concernant les mouvements transfrontaliers des déchets et régionaux pour les déchets radioactifs.

Nous avons mis un certain nombre d'actions en place.

Toutefois, nous avons essayé de modifier notre Code de l'environnement et, nos délibérations ayant été retoquées au tribunal administratif, elles ont dû passer en Cour administrative d'appel. Finalement, le Conseil d'État nous a donné raison sur les délibérations que nous voulions mettre en oeuvre pour protéger l'environnement. Ce millefeuille administratif constitue donc aussi un frein du point de vue de la veille réglementaire.

Nous pourrions essayer de travailler ensemble sur une meilleure transversalité au niveau de la réglementation. La partie judiciaire et juridique ne sait pas forcément que nous pouvons faire nos propres délibérations en la matière.

L'Ademe nous apporte un très bon soutien technique et financier. En outre, des acteurs du privé, des éco-organismes, voire des associations, interviennent sur la province des îles Loyauté.

Concernant le fonds européen et la défiscalisation, nous aimerions plutôt renforcer les capacités d'ingénierie des collectivités par le biais de cofinancements, avec, notamment, l'accompagnement de nos agents administratifs provinciaux ou communaux.

Concernant la partie coopération régionale, nous aimerions qu'un état des lieux ou un diagnostic plutôt régional des territoires du Pacifique soit mené. Nous avons l'obligation de sourcing au niveau des entreprises. Un état des lieux pourrait nous permettre de trouver, dans notre région, des acteurs économiques pouvant intervenir, voire des éléments pouvant faire l'objet d'un travail bilatéral entre les pays de la région.

Un tel état des lieux manque car, si nous menons un certain nombre de travaux au Forum des îles du Pacifique, les données sont très peu partagées. La Communauté du Pacifique (CPS) mène également des études, sur lesquels nous n'avons pas forcément un accès libre pour partager nos retours d'expérience.

Les trois îles comptent beaucoup de décharges sauvages, que nous avons identifiées grâce à une cartographie. J'aime souvent dire que nous vivons la double insularité puisqu'envoyer nos déchets hors de la Nouvelle-Calédonie nécessite tout d'abord d'exporter les déchets de nos quatre îles vers la Grande Terre.

Si, jusqu'à présent, nous réalisions de l'enfouissement, nous avons constaté un impact important au niveau de nos lentilles d'eau, sachant que les Loyaltiens utilisent l'eau par captage, dans les puits ou les lentilles d'eau douce. Il devient donc urgent de disposer d'une meilleure stratégie d'évacuation de ces déchets.

Concernant la chaîne de traitement, une loi du pays interdisant l'importation de plastiques à usage unique a été votée. Nous essayons de trouver des alternatives plus environnementales à ces objets pour pallier le faible respect de cette loi, en tentant de trouver des petites niches pour travailler le bambou ou d'autres matières organiques.

L'idée que le meilleur déchet est celui qu'on ne produit pas est la philosophie que nous essayons d'adopter. Nous avons initié, en partenariat avec un grand nombre d'associations, certaines démarches en ce sens.

Concernant l'économie circulaire, nous avons mis en place des partenariats avec la ressourcerie de Nouméa, très active sur le reconditionnement des vêtements. Nous essayons là encore de nous greffer à des associations présentes sur la Grande Terre. Le coût du fret maritime ou aérien est assez important et nous aimerions travailler avec les acteurs afin de trouver des solutions.

Six filières REP sont mises en route et nous suivons le programme de l'éco-organisme Trecodec localement pour les piles et les accumulateurs usagés.

Par ailleurs, la Chambre de commerce et d'industrie (CCI) a mis en place une « charte Chantier Vert » qui n'est pas accessible alors que de nombreux travaux du BTP sont effectués sur notre territoire, générant des déchets, notamment liés à l'amiante.

Nous n'avons pas encore vraiment de solution sur cette thématique. Or, malgré les recommandations réglementaires, nous ne pouvons pas nous contenter d'une charte, qui repose sur la bonne volonté des acteurs, concernant les sanctions. Aujourd'hui, il n'existe pas vraiment d'organisme de contrôle et de sanction concernant le respect d'une bonne gestion des déchets dans nos îles. L'aspect comportemental est pourtant un axe majeur pour que les populations se rendent compte de l'intérêt de mutualiser et de protéger nos îles.

M. Emmanuel Récamier, chef de la division de la performance des services délégués de la direction de l'espace public de la ville de Nouméa . - Concernant la gestion des déchets en Nouvelle-Calédonie, la compétence est moins clairement définie que dans le Code général des collectivités territoriales métropolitain. La réglementation demande simplement aux communes de s'occuper de la salubrité. De fait, les communes se sont tout de même saisies de la collecte et du traitement des déchets en s'insérant dans les réglementations provinciales mises en place, qui donnent de grandes orientations.

En Nouvelle-Calédonie, deux secteurs sont très différents. Le secteur de Nouméa et de son agglomération a une gestion de type urbain tandis que tout le secteur plus rural connaît une dispersion et utilise des services plus petits. Dans l'agglomération du Grand Nouméa, nous sommes déjà relativement avancés en matière de gestion des déchets.

Concernant la gouvernance, des communes ont conservé la compétence liée à la collecte. Des syndicats ont été créés, notamment pour l'installation de stockage des déchets non dangereux et pour la collecte dans les communes rurales. Nous retrouverons, au sein de la gouvernance, les difficultés et les avantages de l'intercommunalité, qui permet de mutualiser de nombreux éléments mais demande aussi tout un travail de convergence des objectifs.

Une installation de stockage des déchets non dangereux se trouve dans la province Sud, et fonctionne aussi pour la province des îles Loyauté et toute la Calédonie. Nous sommes chanceux car cette installation aux normes n'est pas encore saturée et sera a priori efficace durant une dizaine d'années encore.

Nos objectifs sont la réduction de la production de déchets, qui s'inscrit dans la stratégie provinciale, et la création d'une stratégie pour gérer mieux les déchets dangereux et améliorer la valorisation, ce qui nécessite encore de nombreux progrès. En outre, une démarche de responsabilité élargie des producteurs se développe actuellement dans la province Sud et apporte un financement différent pour notre filière des déchets - ce qui n'empêche pas que les contribuables et usagers doivent aussi financer leur part et que nous ayons besoin de tous les financements externes, notamment pour tous les grands investissements.

L'agglomération de Nouméa a la chance d'avoir un budget équilibré, ce qui n'est pas le cas de toutes les communes de Nouvelle-Calédonie. D'après l'étude menée en 2019 par l'AFD, une majorité a encore besoin de la contribution des contribuables, et non pas des usagers, pour financer le service mais nous sommes globalement dans la bonne direction. Des actions sont menées mais de nombreux progrès doivent encore être réalisés en termes de valorisation. D'un point de vue technique, le Grand Nouméa se situe à la croisée des chemins. La question est de savoir si nous souhaitons continuer à développer et renforcer ce qui a déjà été initié en matière de valorisation, après un tri effectué par les usagers en porte-à-porte, ou si nous nous dirigeons vers d'autres solutions, en essayant de minimiser au maximum l'enfouissement.

Un schéma directeur intercommunal est en cours, pour lequel nous espérons voir les résultats prochainement. Ce schéma nous permet de définir des orientations pour le Grand Nouméa, qui seront aussi utilisées pour tout le reste de la province. Nous avons échangé avec La Réunion sur ce sujet et nous profitons des retours d'expériences de l'Ademe, très précieux car des investissements importants seront à faire.

Évidemment, nous espérons valoriser au maximum nos déchets. Nous rencontrons le même problème que les autres territoires : nous produisons beaucoup trop de déchets mais notre gisement de déchets valorisables est beaucoup trop faible pour développer des filières locales de valorisation réelle des déchets. Nous les exportons en partie mais cette méthode, de même que la qualité de la valorisation à l'export, posent beaucoup de questions. Des investissements importants doivent être effectués. Le mode de financement évolue, pesant plus sur les producteurs et moins sur les usagers.

M. Pierre-Olivier Castex, chef du service environnement de la ville du Mont-Dore . - Je remercie Emmanuel Récamier et mes collègues de la province Sud qui ont rappelé la difficulté causée par le millefeuille administratif sur le territoire calédonien.

La ville du Mont-Dore compte environ 28 000 habitants.

Nous avons connu une certaine modernisation de la gestion des déchets. Depuis 2000, des évolutions importantes ont permis la mise en place d'actions concrètes. La ville du Mont-Dore s'était engagée dans une politique assez active en matière de gestion durable des déchets, avec la volonté de nous détourner du mode d'élimination des déchets d'emballage par enfouissement. Cette politique a débuté avec des points d'apport volontaire, que nous avons souhaité compléter en 2012 par une collecte sélective en porte-à-porte.

La ville a effectué des investissements importants, aidés par la province Sud, pour la création d'un centre de tri et de traitement des déchets d'emballage via une société d'économie mixte qui exploite cette usine. Les objectifs stratégiques assez ambitieux que nous avions fixés à l'époque doivent aujourd'hui être revus. Certains points nécessitent un travail afin d'améliorer et d'atteindre ces objectifs stratégiques.

En matière de prévention et de gestion des déchets, le besoin de la ville est de pouvoir réduire la quantité de ces déchets ménagers. Nous avons fixé un taux de 15 % par la mise en place d'un plan d'action sur les différents types de déchets gérés par la ville. Nous disposons des exutoires pour des déchets comme les végétaux, pour lesquels nous organisons aujourd'hui un système de broyage à domicile.

Nous voulons également augmenter la performance de tri et le taux de captage des recyclables à plus de 20 %. Il est vrai que nous n'atteignons pas les taux escomptés. Nous souhaitons rendre le tri plus efficace en améliorant les systèmes, notamment de ramassage.

Il existe également des réflexions sur les différents modes de tarification. Une personne qui fait l'effort de trier paie la même redevance qu'une personne qui n'effectue aucunement le tri de ses déchets. Pourquoi ne pas introduire une taxe incitative modulée en fonction du nombre de levées ?

Surtout, nous souhaitons qu'une réflexion soit menée sur l'instauration éventuelle d'une taxe d'enlèvement des ordures ménagères (TEOM). Nos communes connaissent des difficultés quant à l'équilibre budgétaire de notre budget annexe des ordures ménagères. Nous sommes dans l'obligation d'équilibrer la dépense et la recette de ce budget annexe. Or pour un certain nombre de communes, l'équilibre est créé depuis le budget principal. Nous appelons de nos voeux un travail d'optimisation sur le coût du service des ordures ménagères en Nouvelle-Calédonie.

Concernant la réduction de la nocivité des déchets ménagers, notamment dangereux, nous constatons un certain nombre de déchets de nettoyage, d'entretien ou de travaux malheureusement encore envoyés à l'enfouissement. Des efforts importants ont été réalisés par la province Sud, avec la mise en place de campagnes ponctuelles pour permettre la collecte historique de ce type de déchets. Les communes, et notamment celle du Mont-Dore, souhaitent emprunter cette direction.

De même que Dumbéa, Nouméa et Païta, la ville du Mont-Dore a délégué la compétence traitement à un syndicat intercommunal de Nouméa en 2005. Le schéma intercommunal de prévention des déchets a été initié par ce syndicat. Il existe une vraie volonté que la gestion des déchets ait lieu dans une organisation intercommunale à même de pouvoir mutualiser et exploiter les infrastructures. Nous agissons plus ou moins dans une intercommunalité d'opportunité et nous souhaiterions agir dans une intercommunalité de projets, avec des portages de projets en commun.

Les soutiens et les aides ont été assez bien développés sur les territoires. Cependant, les communes souhaitent une avancée significative concernant la responsabilité élargie des producteurs.

M. Stéphane Artano, président . - Je cède la parole à nos deux rapporteures pour qu'elles puissent poser des questions complémentaires.

Mme Viviane Malet, rapporteure . - Merci de toutes ces précisions. Je constate une vraie volonté, sur le territoire, d'effectuer de la valorisation des déchets. Je souhaite savoir si des mesures incitatives en faveur du tri vous semblent opportunes, telles que des gratifications monétaires ou matérielles pour encourager les populations les plus éloignées aux gestes du tri.

Par ailleurs, j'aimerais avoir davantage de précisions sur la problématique des déchets toxiques et des déchets d'activités de soins à risques infectieux (DASRI).

Mme Gisèle Jourda, rapporteure . - La logique de bassin et le souhait d'un traitement des déchets à une échelle territoriale plus importante, exprimés par plusieurs interlocuteurs, ont particulièrement retenu mon attention.

Ensuite, j'aimerais davantage de précisions concernant les contaminations et l'impact sanitaire liés aux dépôts sauvages.

Enfin, le traitement des déchets médicaux n'a pas été évoqué.

M. Stéphane Artano, président . - Je cède la parole aux intervenants en visioconférence afin qu'ils répondent aux questions.

Mme Yoanne Massemin, responsable du bureau de la gestion des déchets de la province Sud . - Une société s'occupe de la gestion des Déchets d'activités de soins à risques infectieux (DASRI) en Nouvelle-Calédonie et nous disposerons prochainement d'une unité de traitement local. En outre, nous avons réglementé la filière des médicaments non utilisés l'année dernière en tenant compte de la responsabilité élargie du producteur. Ces éléments contribuent à structurer la filière de cette partie des déchets dangereux.

Concernant les autres déchets dangereux, nous menons des opérations pilotes d'évaluation de stocks historiques afin de préfigurer l'organisation de ces filières et de voir les modalités de gestion et de financement que nous pourrons mettre en place, par la voie réglementaire ou volontaire. Un éco-organisme s'est créé pour mettre en place une filière de gestion volontaire pour les produits phytosanitaires non utilisés.

Ces actions, récentes, se structurent et, a priori , nous disposerons localement d'une unité de valorisation de ces DASRI et des déchets diffus spécifiques.

Concernant les mesures incitatives pour le tri, dans la province Sud, nous avons réglementé l'année dernière la filière REP des emballages, qui devrait se mettre en place au début de l'année 2023. Des études sont en cours pour une Redevance pour l'enlèvement des ordures ménagères (REOM) incitative. De plus, une société utilise des systèmes de « rewarding », avec des rétributions par rapport à des actions dans les quartiers.

Mme Chérifa Linossier . - Effectivement, il nous est apparu indispensable d'accélérer les actions relatives aux décharges sauvages et aux lentilles d'eau. Nous avons identifié toutes les décharges sauvages et la solution était, pour l'instant, plutôt l'enfouissement. Cependant, en remédiant à un problème, un second est apparu. La compétence est partagée avec le gouvernement puisqu'elle a trait à la gestion des DASRI, des médicaments, de l'amiante et de l'eau. Un programme est en cours avec la Politique de l'eau partagée (PEP) au sein du gouvernement et nous essayons de rappeler subtilement que ce risque ne relevant pas de notre compétence, nous devons être accompagnés financièrement pour extraire ces déchets le plus rapidement possible.

L'urgence liée à la qualité de l'eau et de nos nappes phréatiques a accéléré notre politique de gestion des déchets, qui étaient enfouis jusqu'à présent.

M. Stéphane Artano, président . - Je voudrais toutes et tous vous remercier de la qualité de vos interventions et de votre présence à cette table ronde, qui nous a permis de faire un tour très complet du bassin Pacifique en matière de gestion des déchets.

Jeudi 21 juillet 2022

Table ronde Terres australes et antarctiques françaises (TAAF)

M. Stéphane Artano, président . - Sans transition, je vous propose d'aborder à présent notre seconde table ronde consacrée à la gestion des déchets dans les TAAF.

Pour parfaire notre information sur le sujet et celle de nos deux rapporteures, Gisèle Jourda et Viviane Malet, et pour compléter notre état des lieux, nous allons entendre notre collègue Christophe-André Frassa, sénateur représentant les Français établis hors de France, en sa qualité de président du groupe d'études Arctique, Antarctique et Terres australes du Sénat, et M. Charles Giusti, préfet, administrateur supérieur des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF) que nous avons auditionné récemment sur la stratégie maritime française.

Je tiens à vous remercier très chaleureusement, cher collègue et monsieur le préfet, pour ce retour d'expérience et ces éclairages rares - et donc précieux - sur des territoires quasi-inhabités mais qui n'échappent pas au défi des déchets.

M. Christophe-André Frassa, sénateur représentant les Français établis hors de France, président du groupe d'études Arctique, Antarctique et Terres australes du Sénat . - Il s'agira pour ma part d'un simple retour d'expérience car je ne suis a priori pas un spécialiste de la gestion des déchets. J'ai pu observer, dans ces petits « cailloux » de l'océan Indien austral, un formidable travail relatif à la gestion des déchets, parce qu'aucun, que ce soient les îles Éparses, les îles Crozet, de Kerguelen, de Saint-Paul et d'Amsterdam, ne dispose de système de traitement des déchets. Loin de la première île réellement habitée, c'est-à-dire La Réunion, siège de la préfecture des TAAF, un système de tri, ou plutôt de pré-tri, des déchets a été mis en place, parce qu'en réalité, le seul camion poubelle de toute la collectivité, c'est le Marion Dufresne, navire amiral des TAAF, qui ne passe que tous les trois mois. C'est finalement une certaine discipline qui est mise en place et qui est - et j'avoue que j'ai là aussi été impressionné -, très bien consentie par tous les « hivernants » ou les « estivants » (ou les « campagnards d'été »). À Crozet, Kerguelen ou Amsterdam, la vie sur la base est organisée de la façon la plus respectueuse possible.

Pour résoudre le problème de l'éloignement - il faut 5 jours de bateau pour relier Kerguelen à La Réunion, distantes de près de 3 000 kilomètres -, les bases ont construit des hangars entiers pour trier et héberger les déchets des 47 hivernants de Kerguelen, et de la trentaine qui vit à Crozet et Amsterdam. Véritables hangars, on y descend à un degré de précision du tri qui laisserait songeuses nos communes les plus engagées dans le tri sélectif. Tout ce qui ne peut pas être détruit sur place - un système d'incinération a été mis en place - est embarqué à chaque rotation du Marion Dufresne. La discipline est forte et est assimilée par chaque personne qui vit sur la base et qui va au tri régulièrement. J'ai visité ces hangars avec les chefs de districts : ils se remplissent assez vite parce que dès qu'il y a des travaux, il y a des gravats. Parfois, ils peuvent avoir une seconde vie qui ne nécessite pas de de les évacuer vers La Réunion : ils ont servi notamment de terrassement pour la centrale photovoltaïque à Amsterdam. Mais La Réunion demeure le destinataire du recyclage ou de la destruction de déchets finaux.

Dans le tri, il y a même parfois un sous-tri pour certains déchets, les métaux, ou certains déchets d'emballages notamment. La taille des hangars nécessaire pour accueillir les déchets de la vie quotidienne d'une petite communauté sur une durée de trois mois est impressionnante.

Au-delà, il y a aussi une politique qui préconise d'utiliser des emballages recyclables, y compris sur le Marion-Dufresne, qui a une politique d'utilisation des eaux grises, se refusant, comme le font tant d'autres, à les rejeter en mer. Cet axe se trouve au coeur de notre vision pour les TAAF, puisque je suis aussi membre du conseil consultatif des Terres australes et antarctiques françaises.

Voici pour mon retour d'expérience. Les enjeux sont importants s'agissant tant d'une réserve naturelle nationale que de territoires que l'Unesco nous a fait l'honneur d'inscrire sur la liste de son Patrimoine mondial, en 2018.

M. Charles Giusti, préfet, administrateur supérieur des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF) . - La transition écologique est un axe fort de la politique des Terres australes et antarctiques françaises. Nous travaillons en ce moment à l'élaboration d'un plan « climat, air, énergie territoriale » pour les cinq districts, en partenariat avec les forces armées de la zone sud de l'océan Indien pour les îles Éparses et avec l'institut polaire français pour la Terre-Adélie.

S'agissant du traitement des déchets, nous avons élaboré un schéma directeur comportant notamment deux axes forts : la réduction à la source, autant pour les déchets matériels que pour les produits qui sont utilisés dans les territoires, l'objectif étant de réduire les effluents liquides et les pollutions éventuelles ; le stockage, qui constitue effectivement une contrainte forte dans ces bases permanentes. Comme le rappelait le sénateur Christophe-André Frassa, il y a un peu moins de 30 personnes, voire 20, en Terre-Adélie, à Dumont-d'Urville, jusqu'à une centaine à Kerguelen, mais en saison d'été seulement. Entre l'hivernage et la campagne d'été, nous doublons à peu près les effectifs et donc on est effectivement entre un peu moins de 30 à Crozet et Amsterdam et une cinquantaine en hiver à Kerguelen. Dans les îles Éparses, la souveraineté est assurée par la présence permanente de détachements de 15 à 16 personnes.

Du point de vue des déchets solides, les Terres australes (Crozet, Kerguelen, Saint-Paul et Amsterdam) représentent l'activité la plus importante des TAAF, avec environ 130 tonnes de déchets par an. Une politique de tri sélectif extrêmement fine a été mise en place de longue date. Elle est associée, pour chacun des éléments du tri, à des filières de récupération, de valorisation ou de traitement. Les superficies occupées dans ces bases sont assez larges : les déchets occupent soit un hangar complet, soit une grande partie d'entre eux.

Le schéma directeur des déchets a été élaboré à la suite d'une étude menée avec l'appui de la Banque des territoires. Le constat de départ était favorable, puisque la politique de valorisation, de récupération et de recyclage des déchets était déjà bien avancée. Nous assurons aussi le recyclage des matériaux de construction : lorsqu'un bâtiment est détruit, les résidus de construction sont concassés et réutilisés. Nous valorisons également des textiles grâce à des « friperies » qui limitent les approvisionnements en vêtements.

Le point faible est le traitement des déchets organiques. C'est pourquoi le schéma directeur prévoit deux investissements, un composteur pour Amsterdam et un digesteur pour Crozet. À l'heure actuelle, ces déchets sont incinérés avec les cartons, parfois des résidus de bois, mais l'incinération est aussi génératrice de déchets ultimes à exporter - les mâchefers - que nous souhaitons réduire. Le travail essentiel lié au schéma directeur des déchets des TAAF consiste à traiter ce sujet. À son terme, nous aurons une politique complète sur tous les types de déchets, de l'élimination, notamment des déchets organiques, jusqu'au stockage et à l'évacuation des déchets. Qu'il s'agisse des Terres australes françaises, ou de l'archipel des Glorieuses, tous classés en réserves naturelles, sans compter les îles Éparses qui le seront en 2023, nous ne conservons aucun déchet dans ces espaces protégés et il est systématiquement procédé à leur complète évacuation.

La Terre-Adélie entre dans le cadre juridique du traité sur l'Antarctique, dont l'annexe 3 régit les questions de déchets, et prévoit explicitement leur évacuation hors de la zone du traité.

La politique principale consiste à identifier des filières pour chacun des déchets, que ce soit à la Réunion pour les Terres australes ou les îles Éparses, ou en partie en Australie, pour la Terre-Adélie, puisque le port de ravitaillement logistique de ce territoire est Hobart, en Tasmanie.

Je confirme que le Marion Dufresne est le vecteur principal d'évacuation des déchets pour ce qui concerne les Terres australes, et qu'il peut l'être partiellement pour les îles Éparses. En revanche, nous nous appuyons sur l'Astrolabe pour la Terre-Adélie, qui est le vecteur logistique principal pour cette zone Antarctique, ou sur des bâtiments de la marine nationale, qui évacuent régulièrement dans les îles Éparses.

Au-delà des déchets produits localement, nous réalisons également, comme en mai et juin dernier avec l'Astrolabe, une évacuation des déchets ramassés sur les plages et les côtes, notamment des îles Éparses. Nous menons une politique de ramassage systématique des déchets, principalement plastiques, par les équipes présentes sur place, que ce soit les militaires, les gendarmes représentants du préfet, ou les agents de l'environnement.

Globalement, cette politique de gestion des déchets représente un coût de l'ordre de 150 000 euros par an, ce qui est un investissement important pour le territoire des Terres australes et antarctiques françaises.

Mme Viviane Malet, rapporteure . - Merci monsieur le préfet, et merci Christophe-André de nous avoir relaté ton expérience très fructueuse. Je m'interroge sur les déchets dangereux, notamment les mâchefers. Comment sont-ils acheminés ? Quid de l'amiante ?

M. Charles Giusti . - Nous évacuons systématiquement tous les déchets dangereux par le biais de filières spécialisées et dans des conditions de transport adaptées à chaque type de déchets. Pour l'amiante, nous faisons appel à des sociétés qui assurent à la fois les opérations de désamiantage et le conditionnement des déchets pour leur transport sur le Marion Dufresne ou l'Astrolabe s'agissant de la Terre-Adélie. Les déchets sont ensuite directement envoyés vers la métropole dans des filières spécialisées.

Mme Viviane Malet, rapporteure . - Les déchets dangereux ne passent donc pas par La Réunion ? C'est ce que je voulais savoir, parce qu'en ce moment, nous avons une problématique de stockage et d'évacuation des déchets dangereux.

M. Charles Giusti . - Les déchets dangereux arrivent à La Réunion, car tout passe par La Réunion, mais, à ma connaissance, les filières spécialisées, en tout cas pour l'amiante, les envoient ensuite directement en métropole.

Mme Gisèle Jourda, rapporteure . - Le personnel qui s'occupe des déchets est-il un personnel permanent ?

M. Charles Giusti . - Tout le monde est mis à contribution dans cette partie de tri et de gestion des déchets. Il y a un personnel particulier, le responsable des approvisionnements, qui organise l'évacuation des déchets, puisqu'il faut être en parfaite coordination entre les districts, les bases, tenir compte des niveaux de stockage admissibles, puisque certains déchets ne peuvent être évacués systématiquement, et puis, de leur éventuelle récupération au port d'arrivée, y compris lorsque des déchets dangereux doivent ensuite partir vers la métropole, ou éventuellement en métropole vers l'Afrique du Sud, ou vers l'Inde pour certains déchets.

L'organisation mise en place est complexe, à l'image de toute la logistique des TAAF, puisqu'elle repose sur le passage régulier de navires, en moyenne tous les 3 mois mais cela peut être beaucoup plus long, environ 5 mois en période d'hivernage.

Mme Gisèle Jourda, rapporteure . - Quel est le « plan Orsec » quand le bateau ne passe pas pendant plusieurs mois ? Tout semble parfaitement organisé, mais le dispositif n'est-il pas fragile s'agissant de territoires presque autarciques et si éloignés ?

M. Charles Giusti . - Tout est organisé, y compris la capacité de reconfiguration, étant donné l'aléa majeur que constitue la météo. En règle générale, nous avons des marges pour nous reconfigurer en fonction de l'état de la météo, et on peut ajuster éventuellement les dates d'escale à la marge, par exemple lorsque l'on s'aperçoit, lors d'une escale, que telle ou telle opération sera impossible compte-tenu des conditions météo.

Nous avons l'habitude de gérer ces aléas et les intégrons dans le dimensionnement des temps d'escale, et puis après on priorise, il y a des déchets qu'il faut évacuer plus rapidement. Le système est extrêmement organisé, c'est une logistique complexe qui nécessite une préparation extrêmement fine, mais qui dispose également d'une capacité d'adaptation en fonction des différents aléas. En priorisant et en anticipant, on évite de se trouver dans une situation critique avec des volumes de déchets qui finiraient par poser problème.

La production globale reste cependant modeste, 130 tonnes en tout pour les 3 districts austraux : environ 70 tonnes pour Kerguelen, 30 tonnes pour Amsterdam et 30 tonnes pour Crozet.

Mme Gisèle Jourda, rapporteure . - Ces territoires sont passionnants, mais quand on ne les a pas approchés, on a du mal à se faire une idée de cette organisation quasi militaire du stockage et du traitement du déchet sur des territoires vraiment très disparates.

M. Christophe-André Frassa . - Sous le contrôle du préfet, j'ajouterai que si les hangars ont été agrandis sur certaines bases, c'est précisément pour faire face à l'éventualité d'une impossibilité ou d'un retard dans la rotation, pour pouvoir stocker un peu plus de 3 mois de tri de déchets.

En outre, si à Kerguelen et à Amsterdam, on peut utiliser un chaland pour aller de la base au Marion Dufresne, à Crozet, où il n'y a pas de quai, tout se fait par rotation d'hélicoptère. Tout repose sur la météo et est donc priorisé : en premier, évidemment on décharge du bateau les vivres pour les 3 mois à venir, puis vient l'évacuation de tout ce qui doit repartir avec le bateau. J'ai été témoin de la dépendance à la météo, puisque, le jour de notre arrivée à Crozet, une tempête avec des vents à 120 kilomètres/heure a fait stopper les manipulations deux heures après notre arrivée et jusqu'au lendemain matin. Le chef de mission a dû reprogrammer certaines choses en urgence, et fort heureusement, il avait été prévu un temps plus long de séjour sur Crozet, ce qui a permis de tout réaliser.

M. Charles Giusti . - Ce qui est vrai pour les déchets est également vrai pour les livres, pour le gazole, pour le matériel médical, de manière générale pour tout ce qui peut permettre de garantir la vie, voire la survie, de ces personnes dans ces territoires extrêmement isolés. La gestion des déchets est d'une complexité particulière, mais tout ce qui est destiné à ces territoires est soumis à cet aléa et nécessite que l'on anticipe une difficulté lors d'une rotation qui obligerait à ravitailler lors d'une rotation suivante.

Concernant spécifiquement le gazole, le stockage stratégique est un élément important puisqu'il faut être en capacité de tenir quelques mois au cas où on ne pourrait pas ravitailler.

M. Philippe Folliot . - En 2016, j'ai participé à une rotation à Kerguelen et j'ai assisté à une opération qui mérite réflexion, car elle témoigne d'une vision un peu extrémiste de la gestion des déchets.

Quelques années plus tôt, une introduction de moutons avait eu lieu sur l'île Longue, juste en face de Port Jeanne d'Arc. Pour préserver l'écosystème, une clôture avait été mise en place pour séparer l'île en deux : les moutons occupaient tantôt une partie de l'île, tantôt l'autre. Pour des raisons diverses et variées, il a été décidé de mettre fin à cette expérience et les moutons ont été tués. Du point de vue de l'autonomie alimentaire, cette décision interroge, mais la logique qui prévalait était d'avoir le moins d'espèces invasives possible, d'autant que des milliers de cerfs, introduits naturellement, avaient envahi toutes les îles Kerguelen. À la différence du mouton, le cerf nage ! Mais ceci est une parenthèse.

Lorsque cette décision a été prise, il a également fallu se débarrasser de la clôture qui gênait les oiseaux. Or, il a été décidé de ramener cette clôture dans l'Hexagone ! J'ai assisté moi-même à la manoeuvre qui consistait, avec un hélicoptère, à prendre les ballots de grillage et les mettre sur le Marion Dufresne. Ensuite, ils ont été évacués vers l'île de La Réunion, mais celle-ci ne disposant pas d'une capacité de recyclage, ils ont été transportés jusque dans l'Hexagone. Très honnêtement, je m'interroge sur le bilan écologique d'une telle décision, alors que juste en face de l'île Longue, à port Jeanne d'Arc, se trouvent des milliers de tonnes de fer rouillé issus de l'ancienne base baleinière norvégienne. Il me semble qu'on aurait pu soit les stocker avec, soit les immerger : après tout, il y a des épaves à proximité et le fer n'est pas un déchet toxique à proprement parler.

À l'époque, j'avais écrit à votre prédécesseur, lui faisant un compte rendu de mission, avec quelques éléments de réflexion. J'avais alors préconisé de faire davantage appel au bon sens paysan : en l'occurrence, il aurait permis des économies tant sur le plan budgétaire qu'au niveau du bilan environnemental de l'opération.

Voilà pour cette parenthèse qui, sans être totalement dans notre sujet, s'en approche de près.

Je confirme par ailleurs que nous sommes dans des territoires extrêmes et qu'en tout état de cause, dans l'ordre des priorités, il y a la sauvegarde des personnes, puis la sauvegarde des moyens et matériels et, enfin, les déchets, qui arrivent un peu après, ce qui n'est pas illogique.

Au sein du Conseil consultatif, il y a une réelle prise en considération de la problématique, car un des objectifs relatifs aux TAAF est de profiter de leur petite taille pour en faire des modèles en matière de développement durable. Les contraintes de logistique et les aléas météorologiques complexifient cependant parfois la tâche.

Il arrive que le mieux soit l'ennemi du bien. Tentons de garder le juste équilibre entre ce qui participe d'une réduction à la source des déchets, de leur tri et récupération, et les logiques hexagonales qui ne sont pas forcément adaptées à ces territoires. En ce sens, il faut laisser au préfet la capacité d'organiser les choses au mieux et avec bon sens.

M. Stéphane Artano, président . - Merci à tous pour votre participation et pour les clarifications qui nous ont été apportées, notamment sur les flux et la manière dont sont gérées les choses.

Puisque nous concluons nos travaux pour la présente session, je vous livre quelques informations générales sur nos travaux à venir car la rentrée de la délégation s'annonce particulièrement chargée :

- le mardi 4 octobre à 21 h 30, il y aura un débat en séance publique suite aux travaux de la Mission d'information sur les fonds marins auxquels plusieurs d'entre nous ont participé, et dont le rapporteur est Teva Rohfritsch ;

- le mercredi 5 octobre à 18 heures se tiendra le débat en séance publique relatif aux conclusions du rapport de notre délégation sur la place des outre-mer dans la stratégie maritime nationale, rédigé par nos collègues Annick Pétrus, Philippe Folliot et Marie-Laure Phinera-Horth ;

- le jeudi 6 octobre 2022 à 9 heures, la délégation entendra Jean-François Carenco, le ministre délégué auprès du ministre de l'intérieur, chargé des outre-mer ;

- en octobre également, nous lancerons des auditions pour actualiser le travail initié en 2020 par Michel Magras sur la différenciation territoriale, tout en poursuivant nos auditions pour le rapport sur la gestion des déchets en vue de son achèvement, si possible, en novembre ;

- enfin, je vous rappelle que le lundi 21 novembre 2022, la délégation organisera à nouveau un après-midi d'échanges au Sénat avec les maires et élus d'outre-mer à l'occasion du prochain Congrès des maires, sous le haut parrainage du président Gérard Larcher.

J'ai également reçu plusieurs demandes, notamment de notre collègue Victoire Jasmin, sur la situation des jeunes ultramarins, et de la présidente de la délégation aux droits des femmes, Annick Billon.

Je vous propose donc que nous organisions à la rentrée un échange en vue de notre programme de travail 2022-2023 qui devra, de toute façon, être communiqué au Bureau du Sénat avant décembre 2022.

Jeudi 13 octobre 2022

Table ronde sur les aspects sanitaires de la gestion des déchets dans les outre-mer

M. Stéphane Artano, président . - Chers collègues, nous reprenons ce matin nos auditions dans le cadre de la préparation du rapport de la délégation sur la gestion des déchets dans nos outre-mer. Nos deux rapporteures, Gisèle Jourda et Viviane Malet, effectuent un travail d'investigation considérable et ont souhaité un éclairage particulier sur les aspects sanitaires de cette problématique. Nous entendrons donc successivement :

• au nom de la Direction générale des outre-mer (DGOM), M. Stanislas Alfonsi, adjoint au sous-directeur des politiques publiques et Mme Delphine Colle, chef du bureau de l'écologie, du logement, du développement et de l'aménagement durables (BELDAD) ;

• pour la Direction générale de la prévention des risques (DGPR), MM. Philippe Bodenez, chef du service des risques sanitaires liés à l'environnement, des déchets et des pollutions diffuses et Jean-François Ossola, adjoint de la cheffe de la planification et de la gestion des déchets ;

• pour la Direction générale de la santé (DGS), Mme Caroline Paul, chef du bureau environnement extérieur et produits chimiques et M. François Klein, chef de la mission outre-mer.

Nos rapporteures vous ont transmis leurs questions. Les personnes concernées par cette problématique sont souvent en situation de précarité. Outre les pathologies et les contaminations directes, nous sommes aussi préoccupés par la pollution de l'air, de l'eau et du sol. N'oublions pas non plus les enjeux spécifiques à chaque territoire, comme la gestion des déchets à la suite des essais nucléaires en Polynésie ou les déchets issus de l'exploitation minière en Nouvelle-Calédonie et en Guyane.

M. Stanislas Alfonsi, adjoint au sous-directeur des politiques publiques de la Direction générale des outre-mer (DGOM) . - Monsieur le président, nous nous sommes déjà vus à la fin du mois de mai dans le cadre d'une audition plus générale. C'est toujours pour nous un plaisir de venir rendre compte au Sénat et à sa délégation aux outre-mer. Aujourd'hui, les questions portent sur la thématique des déchets et sur la dimension sanitaire de cette politique publique. Nous sommes accompagnés par la DGPR et par la DGS. Compte tenu de la technicité des questions qui nous ont été transmises et de leur lien avec la santé ou la prévention des risques, nous considérons que la DGOM interviendra moins que nos autres collègues.

La DGS répondra à la première question, qui porte sur les aspects généraux, les pathologies et les contaminations. Elle traitera également la deuxième question relative aux actions de sensibilisation, ainsi que la troisième question, relative à la prolifération des nuisibles. La quatrième question, qui porte sur les mesures de la qualité des eaux et des sols, sera prise en charge par la DGOM et la DGPR. La DGS, la DGPR et la DGOM répondront à la cinquième question, relative aux déchets d'activités de soins à risques infectieux (DASRI), ainsi qu'à la sixième question, afférente à la filière responsabilité élargie des producteurs (REP). La septième question, relative aux adaptations réglementaires, sera traitée par la DGS et la DGPR. La huitième question, qui porte sur les déchets radioactifs issus des essais nucléaires en Polynésie, sera prise en charge par la DGPR. La neuvième question, relative à la Nouvelle-Calédonie et à la Guyane, sera traitée par la DGPR et la DGS. Enfin, la DGPR répondra à la dixième question, relative à l'incinération des déchets.

Pour répondre à ces questions très techniques, les directions « métiers » sont davantage en première ligne que la DGOM. Je vous propose de céder la parole aux collègues de la DGS pour la première question.

M. François Klein, chef de la mission outre-mer . - Mesdames et Messieurs les sénatrices et les sénateurs, la DGS vous remercie de pouvoir s'exprimer sur les enjeux sanitaires liés aux déchets dans les outre-mer. Nous constatons tout d'abord que l'impact sanitaire lié aux déchets est similaire à celui rencontré sur l'ensemble du territoire français, mais que les risques s'en trouvent augmentés dans nos outre-mer en raison des difficultés rencontrées dans la gestion des déchets.

Quels sont ces risques et quelles sont les pathologies de contamination constatées ? Tout d'abord, des déchets sont abandonnés dans l'espace public, ce qui engendre des conséquences sanitaires manifestes, qui impactent les populations. L'abandon de déchets, notamment les gros électroménagers et les véhicules hors d'usage (VHU) favorisent la prolifération d'espèces nuisibles, potentiellement vectrices de maladies transmissibles aux populations. Les déchets favorisent la rétention d'eau stagnante, la constitution de gîtes larvaires et entraînent le développement de moustiques vecteurs de différentes maladies (chikungunya, dengue, paludisme, etc.). Ces situations favorisent aussi la prolifération de rongeurs, porteurs de maladies telles que la leptospirose.

Plus généralement, l'abandon de déchets entraîne une dégradation de l'environnement proche des populations, notamment de la qualité des eaux superficielles et souterraines destinées à la consommation. La qualité de l'air est également impactée, en termes de nuisances olfactives, et suite au brûlage régulier de déchets à proximité des habitations. Une enquête effectuée à La Réunion montre que 86 % des Réunionnais pensent que les déchets dégradent les sols et 83 % perçoivent les conséquences négatives pour leur santé. Pour autant, les consignes émises par les autorités sont rarement respectées.

À Mayotte et ailleurs, plusieurs maladies sont favorisées par l'abandon de déchets : le paludisme, la dengue avec des épidémies successives, la leptospirose - qui revient régulièrement en Martinique, en Guyane et à Mayotte -, qui peut générer des conséquences très graves. La leptospirose entraîne notamment de nombreuses hospitalisations. En Guyane, une centaine de cas est comptabilisée chaque année. Le taux est 70 fois supérieur à celui de la France hexagonale.

Des maladies hydriques sont également favorisées par l'abandon de déchets, notamment la typhoïde et l'hépatite A. À Mayotte, 14 cas de typhoïde ont été dénombrés en 2021. Entre 50 et 100 cas d'hépatite A s'y ajoutent. À Mayotte, l'Agence régionale de santé (ARS) engage de nombreuses actions de veille, de prévention et de traitement des déchets pour limiter ces impacts sanitaires. Ces actions sont menées dans le cadre de la lutte anti-vectorielle (gîtes larvaires) et prennent la forme d'interventions directes et de moyens mis en oeuvre pour identifier les gîtes à risque dans les décharges sauvages, dans les véhicules hors d'usage, dans les stocks de pneus et dans l'électroménager abandonné. L'ARS accompagne aussi les associations et les collectivités pour leurs actions de lutte contre les déchets, généralement dans le cadre de chantiers d'insertion.

En Martinique, différents incendies ont frappé des sites recevant des déchets en 2021. L'ARS est beaucoup intervenue auprès du syndicat en charge du traitement des déchets, afin de limiter les risques sanitaires induits. En outre, des interrogations portent sur les déchets issus des sargasses. Ainsi, des incertitudes demeurent sur les conséquences sanitaires du dégazage, en particulier les émissions d'ammoniac.

Une problématique porte aussi sur les déchets verts, à La Réunion et à Saint-Pierre-et-Miquelon notamment. Par ailleurs, le plomb est une autre source de contamination, notamment à La Réunion, à la suite de l'abandon de batteries de voitures ou de batteries à usage industriel. Nous avons constaté des regroupements de cas de plombémie et de saturnisme infantile autour de zones de précarité dans lesquelles des batteries avaient été abandonnées. Les dépôts sauvages de batteries ont également pris des proportions importantes en milieu urbain, à La Réunion, à Mayotte et en Guyane. Des pollutions diffuses ultérieures sont à craindre.

J'aborde la seconde question. Les ARS effectuent des actions de sensibilisation des populations aux risques sanitaires liés aux déchets. Les différents territoires mettent en oeuvre des plans régionaux santé-environnement, qui comprennent tous un volet de sensibilisation à la question des déchets. À titre d'illustration, l'ARS Guadeloupe a organisé de nombreuses réunions d'information sur le sujet de l'enlèvement des véhicules hors d'usage. À Mayotte, le plan 2020-2024 comprend de nombreuses actions de sensibilisation. Au final, ces différentes actions ont pour but de réduire la production de déchets à la source et de résorber les dépôts sauvages. En la matière, nous n'obtenons pas toujours les résultats souhaités.

En Guyane, les différents acteurs sont également sensibilisés à cet enjeu, en lien avec des associations telles que la Croix-Rouge pour des projets d'assainissement. L'ARS a financé un projet « Wash » dont l'objectif est de faire monter en compétence les habitants des zones isolées ou précaires sur la bonne gestion de leurs points d'eau et des déchets.

J'ai déjà répondu à la troisième question, relative à la prolifération des nuisibles. Nous avons constaté, lors des enquêtes environnementales relatives aux cas de leptospirose ou de dengue, des problèmes sanitaires liés à la mauvaise gestion des déchets. Pour autant, il est difficile d'isoler la cause.

M. Philippe Bodenez, chef du service des risques sanitaires liés à l'environnement, des déchets et des pollutions diffuses . - En ma qualité de chef du service des risques sanitaires liés à l'environnement, des déchets et des pollutions diffuses, je peux m'appuyer sur une sous-direction en charge de l'économie circulaire et des déchets et sur une sous-direction en charge des enjeux de santé-environnement. Le conseil national de l'économie circulaire nous permet de discuter avec l'ensemble des parties prenantes, techniques ou politiques. La présidence de ce conseil reste néanmoins à pourvoir depuis les dernières élections législatives.

Notre service assure la cohérence entre la gestion des déchets et la prise en compte des impacts environnementaux de certaines pratiques. Nous menons plusieurs actions pour réduire l'impact d'une gestion des déchets déficiente sur les épidémies de dengue transmises par des moustiques. Ainsi, s'agissant des véhicules hors d'usage, dans lesquels les insectes peuvent pulluler, nous avons mis en place un plan de reprise des véhicules hors d'usage par les constructeurs automobiles. Ce plan permet de faire financer par ces derniers la reprise de véhicules hors d'usage. À ce jour, 21 437 véhicules hors d'usage ont été repris, dont 9 000 en Martinique, 4 000 en Guadeloupe, 6 000 à La Réunion, 400 à Mayotte et 2 000 en Guyane. Ces véhicules ont été récupérés dans l'espace public, mais nous avons récemment adopté des dispositions permettant de renforcer la prise en charge de ces véhicules dans des zones privées. De plus, un dispositif de police inscrit à l'article L.541-3 du code de l'environnement permet, lorsque le propriétaire d'un véhicule hors d'usage ne satisfait pas à l'obligation de remettre son véhicule à une filière agréée, de se substituer à celui-ci et de venir faire enlever le véhicule, afin de le déposer au centre VHU.

Nous avons également renforcé les obligations législatives et réglementaires, afin de faciliter la prise en charge de ces véhicules. À l'époque, nous estimions que 60 000 véhicules étaient concernés. Aujourd'hui, nous en sommes donc au tiers et le plan de reprise des véhicules hors d'usage se poursuit.

Une autre disposition figure dans la loi et vise à faire du sujet des véhicules hors d'usage un objet des filières dites à responsabilité élargie des producteurs (REP). Ainsi, à compter du 1 er janvier 2023, une filière à responsabilité élargie des producteurs doit être mise en place pour les véhicules, dans laquelle les constructeurs financent ou traitent directement les véhicules hors d'usage. Jusqu'à présent, le système était équilibré financièrement dans l'Hexagone, mais ne l'était pas dans les territoires d'outre-mer ; notre objectif est d'harmoniser les règles qui s'appliqueront dans la collecte et la gestion des véhicules hors d'usage, dans l'Hexagone comme en outre-mer. À l'époque de l'adoption de la loi, en 2020, nous nourrissions des inquiétudes particulières pour les outre-mer. Nous avons donc favorisé le développement des éco-organismes dans les territoires d'outre-mer. Lorsque le taux de collecte, de tri ou de valorisation de déchets dans une filière REP est inférieur à la moyenne nationale, les éco-organismes doivent renforcer leurs financements pour permettre un retour à la normale dans la collecte et la valorisation des déchets.

Nous avons également mis en place une filière REP dans le domaine des piles et accumulateurs, incluant les batteries de voiture. Cette filière est imposée par la Commission européenne. Les deux éco-organismes chargés de cette collecte doivent déployer des plans de prévention et de gestion des déchets spécifiques aux outre-mer, afin de rattraper le retard pris.

Enfin, les pneumatiques sont des gîtes larvaires. En 2020, nous avons fait voter un article de loi prévoyant la réintégration des pneumatiques dans la législation relative aux filières REP. Jusqu'à présent, au niveau des producteurs, le volontariat était de mise dans la collecte des pneumatiques. Nous travaillons sur les textes d'application de la loi, afin de disposer d'une filière REP pour la reprise des pneumatiques. En outre, la loi de 2020 permet désormais d'impliquer les éco-organismes dans la gestion des dépôts sauvages. Lorsqu'un dépôt sauvage est repéré, il est désormais possible de demander aux éco-organismes de financer la reprise de ces déchets au prorata de la composition des déchets.

Globalement, la gestion des déchets en outre-mer présente une difficulté intrinsèque : le manque de disponibilité de filières de traitement et de valorisation des déchets. Ce manque de filières industrielles rend nécessaire l'acheminement des déchets vers l'Hexagone.

Dans certains cas, il serait possible de développer des filières locales, notamment dans le domaine de la surveillance et du contrôle. Les incendies survenus dans des décharges en Martinique entre octobre 2021 et janvier 2022 sont liés aux difficultés de gestion, l'incinérateur étant alors à l'arrêt. Ils ont produit des fumées qui ont pu exposer les riverains à des substances toxiques. Lorsque les services de la préfecture ont voulu réaliser des analyses, il a été difficile de mobiliser les laboratoires du Réseau des intervenants en situation post-accidentelle (Ripa) dans un délai inférieur à dix jours. Nous devons donc renforcer la disponibilité des laboratoires dans les territoires d'outre-mer ou faire venir plus rapidement des laboratoires pour effectuer des prélèvements et des analyses. L'association de contrôle de la qualité de l'air locale, Madininair , ne disposait pas non plus des moyens permettant d'effectuer des mesures dans la zone des incendies. Nous devons ainsi travailler non seulement sur les filières de gestion, mais aussi sur les moyens déployés en réaction à des accidents.

Concernant l'incinération, le débat est propre à la France. Cela s'explique par le fait que durant une longue période, les incinérateurs de déchets n'étaient pas conformes à leurs arrêtés d'exploitation, ce qui a généré des craintes au sein de la population. Le domaine de l'incinération est aujourd'hui l'un des plus contrôlés et des plus suivis. Les incinérateurs doivent respecter les dispositions de la directive européenne sur les effluents industriels. Cette directive prévoit périodiquement une mise à jour des réglementations techniques applicables sur l'ensemble du territoire européen. Nous avons donc récemment mis à jour l'arrêté ministériel du 12 janvier 2021 sur ce sujet. De nouveaux paramètres en sortie d'incinérateurs ont ainsi été fixés. En outre, de nouvelles techniques de dépollution à la sortie des cheminées sont régulièrement imposées. Dans ce contexte, les règles s'appliquent dans l'Hexagone comme dans les outre-mer.

S'agissant des déchets de soins à risque infectieux, deux types de traitement coexistent : l'incinération et la banalisation. Ce second procédé permet d'éliminer les bactéries présentes dans les déchets avant leur remise aux filières d'enfouissement locales. Dans les Antilles, 823 tonnes de déchets de soins à risque infectieux ont été incinérées dans ces conditions en 2021.

En outre, le soutien à l'éco-organisme chargé de la collecte des déchets de soins à risque infectieux chez les particuliers a été renforcé. L'année dernière, le taux de collecte des déchets de soins à risque infectieux s'établissait à 82 % dans l'Hexagone et à 75 % dans les outre-mer ; un rattrapage progressif est mis en place dans les outre-mer, notamment en Guyane où le taux n'est que de 40 %. À ce titre, des campagnes de communication sont menées. Enfin, la procédure de renouvellement de l'agrément de l'éco-organisme est en cours. Celui-ci devra notamment transmettre, d'ici à mi 2023, un plan de prévention et de gestion des déchets en outre-mer. Nous attendons des progrès en la matière, notamment en Guyane.

Concernant les sargasses, la DGOM a mis en place un plan interministériel de lutte contre les sargasses en 2022. Selon la DGPR, il est impératif de renforcer la stratégie de broyage des sargasses collectées en mer. En effet, lorsque celles-ci sont à terre, elles sont très difficiles à gérer, car elles sont chargées en métaux lourds, en chlordécone et en sel. Nous travaillons avec l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) et l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (Ineris) pour sécuriser les stockages qui posent problème aujourd'hui, afin d'éviter les émanations d'hydrogène sulfuré.

S'agissant des déchets miniers, une réglementation européenne de 2006 a été transposée en France en 2010 par un décret et plusieurs arrêtés ministériels. L'un de ces arrêtés porte sur les installations de stockage de déchets miniers.

Pour rappel, plusieurs activités minières coexistent. L'exploitation alluvionnaire par procédé mécanique génère surtout des déchets inertes avec une toxicité faible. Le danger survient lorsque l'exploitation se déroule dans un cadre illégal avec l'emploi de mercure pour faciliter l'extraction de l'or. Des plans ont été mis en place avec la Gendarmerie nationale pour démanteler les camps de mineurs illégaux en Guyane, c'est un travail de Pénélope. Par ailleurs, sur ce territoire, une unité légale de traitement du minerai n'est pas alluvionnaire et génère des résidus miniers après traitement chimique. Ces résidus sont d'une part les stériles miniers, qui représentent d'importants volumes non toxiques, et d'autre part les résidus miniers post-traitement chimique du minerai. Ceux-ci peuvent contenir des métaux lourds ou des substances qui ont été utilisées dans le cadre du traitement chimique de ces minerais. En Guyane, nous disposons d'une installation de stockage de ces déchets miniers. Celle-ci est soumise à un arrêté préfectoral et doit répondre aux conditions définies dans l'arrêté qui transpose la directive européenne sur les stockages. Les enjeux portent sur la stabilité des stockages (digues) et sur les substances chimiques pouvant émaner des stockages. Sur ce second point, des prélèvements sont régulièrement effectués afin de s'assurer de l'absence de contamination de l'environnement.

La Nouvelle-Calédonie est l'autre territoire marqué par une activité minière conséquente. Trois grandes usines de traitement y sont implantées, dont deux usines pyrométallurgiques et une usine hydrométallurgique. Les compétences en matière de contrôle appartiennent aux provinces ou à la Nouvelle-Calédonie. Le traitement des déchets est effectué de manière industrielle, à travers des parcs à stériles miniers et des stockages de résidus miniers. Plusieurs initiatives ont été lancées pour évaluer l'impact sanitaire de ces déchets sur les populations locales. À titre d'illustration, une initiative portée par la Direction des mines de Nouvelle-Calédonie (DIMENC), vise à mesurer le niveau d'imprégnation des populations locales à un certain nombre de polluants qui peuvent être émis par l'activité minière tels que le nickel, le chrome, le cobalt et le manganèse. Une surexposition éventuelle des populations riveraines est également recherchée. Aujourd'hui, des études sont menées pour déterminer si les rejets liés aux activités minières peuvent être à l'origine de pathologies. En tout état de cause, ces activités font l'objet de dispositions de contrôles. L'exploitation du nickel peut conduire à des émanations de poussières ; des travaux sont en cours pour les limiter.

S'agissant des déchets nucléaires en Polynésie française, la France a procédé à des expérimentations nucléaires entre 1966 et 1996 dans le centre d'expérimentation du Pacifique situé dans les atolls de Mururoa et de Fangataufa. Des déchets ont été immergés entre 1966 et 1976 dans cette zone, mais aussi au large de l'atoll d'Hao. Certains déchets ont été stockés sur place dans des puits à Mururoa. Les quantités de déchets figurent à l'inventaire national de l'ANDRA, l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs. 4 192 m 3 de déchets de haute activité, les déchets les plus dangereux, ont été générés à l'occasion de ces expérimentations. Les déchets de moyenne activité à vie longue représentent un volume dix fois supérieur à celui-ci et sont également stockés dans des puits. Ces déchets sont placés sous la responsabilité du ministère de la Défense. En 1996, la France a demandé une mission d'expertise à l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) pour déterminer la soutenabilité des choix de stockage des déchets dans les atolls. À l'époque, les experts n'avaient pas soulevé de préoccupations majeures. Ils ont indiqué que la poursuite de la surveillance n'était pas nécessaire. Néanmoins, la surveillance de ces atolls a été maintenue.

M. Stanislas Alfonsi . - Monsieur le président, les interventions de la DGS et de la DGPR ont largement répondu au questionnaire. Je cède la parole à Delphine Colle pour évoquer la question relative à Wallis-et-Futuna.

Mme Delphine Colle, chef du bureau de l'écologie, du logement, du développement et de l'aménagement durables (BELDAD) . - Cette question porte sur la mesure de la qualité des eaux et des sols dans les secteurs des anciennes décharges non contrôlées ou sujettes à précautions. À Wallis, la lentille d'eau douce fait l'objet d'un suivi régulier par le territoire, sur l'ensemble de l'île. Au centre d'enfouissement technique de Wallis, un piézomètre permet de suivre la qualité de l'eau du site. Des analyses sont régulièrement réalisées sur le territoire par le laboratoire d'analyse des eaux du territoire. Ces analyses sont toutefois limitées aux paramètres bactériologiques et physico-chimiques. Elles démontrent l'absence de pollution. En outre, des campagnes d'analyse plus globales sont menées à intervalles réguliers et transmises en Nouvelle-Calédonie. La dernière campagne, qui remonte à 2018, fait état de l'absence de difficulté particulière, que ce soit en termes de composition chimique des eaux souterraines ou en termes bactériologiques. À l'inverse, à proximité des dépôts, les sols sont contaminés en surface sur 50 cm de profondeur par des hydrocarbures, des métaux et des composés industriels. Cette pollution superficielle n'affecte pas les eaux souterraines.

À Futuna, aucune nappe phréatique et aucune ressource en eau superficielle ne se trouvent à proximité du centre d'enfouissement.

M. Stéphane Artano, président . - Je cède la parole à nos rapporteures.

Mme Gisèle Jourda, rapporteure . - Je vous remercie pour vos exposés exhaustifs, qui ont couvert les questions que nous vous avions adressées. La dimension sanitaire est fondamentale et fait partie intégrante du sujet de la gestion des déchets. L'état dans lequel se trouvent certains sites présente un impact sanitaire avéré sur les populations.

Je reviens sur la question de la gestion des déchets radioactifs en Polynésie française. Je rappelle en outre que les risques climatiques actuels viennent réveiller certaines pollutions historiques. Les déchets immergés et les déchets enfouis doivent faire l'objet d'un suivi, car aucune étanchéité ne peut être garantie. Des difficultés sanitaires peuvent en découler. Dans mon département, les systèmes dits « étanches » n'ont pas résisté et une pollution aérienne à l'arsenic a été déplorée. L'abandon des suivis sanitaires, pour des raisons nécessairement financières, est donc à proscrire.

Nous n'avons pas évoqué l'élimination des pièces anatomiques. Les élus des territoires d'outre-mer confrontés à ces enjeux ne savent pas toujours comment agir vis-à-vis de ces déchets très particuliers. Certains d'entre eux sont traités dans des conditions très insatisfaisantes, faute de solutions locales. Parfois, ils sont acheminés d'un territoire à un autre, de Mayotte vers La Réunion par exemple. Nous devons être en mesure de préconiser, dans notre rapport, des mesures harmonisées ou adaptées.

Mme Viviane Malet, rapporteure . - Merci, Mesdames et Messieurs, pour vos propos détaillés. Le problème de la collecte et du traitement des déchets ne peut pas s'envisager sans l'aspect sanitaire. Selon vous, convient-il d'envisager des adaptations réglementaires ou législatives, le cas échéant dans le cadre d'expérimentations dans certains territoires, pour traiter les pièces anatomiques ? Certains territoires sont dépourvus d'Unité de valorisation énergétique (Uve), d'incinérateurs ou de crématoriums. Quelles sont les solutions envisageables pour traiter ce problème très sensible et éthiquement exigeant ?

Mme Caroline Paul, chef du bureau environnement extérieur et produits chimiques . - Certains déchets d'origine humaine, les pièces anatomiques d'origine humaine (PAOH), doivent être incinérés. Lorsqu'il n'existe pas d'incinérateur, un autre système doit être mis en place. En Guyane, ces déchets sont enfouis par des sociétés funéraires. Le préfet de Guyane a émis un arrêté pour permettre cet enfouissement dérogatoire. D'une manière générale, les déchets d'activités de soins sont de types variés et englobent notamment les déchets chimiques, les déchets radioactifs, les déchets biologiques à risque infectieux et les déchets coupants ou piquants. Chaque déchet doit être traité et nous menons un travail de révision d'un guide de 2009 destiné à expliquer comment gérer tous ces déchets. Dans la mise à jour conduite avec les ministères de l'environnement et de l'outre-mer, nous tiendrons compte des expérimentations. Une expérimentation est en cours et doit permettre de valoriser la matière issue des déchets d'activité de soins à risques infectieux (DASRI) désinfectés, et non plus de seulement les détruire ou les enfouir. Plusieurs projets sont présentés et passent par France Expérimentation. Nous espérons avoir finalisé la première partie de ce guide au début de l'année prochaine.

Mme Victoire Jasmin . - Concernant le milieu hospitalier, des marchés publics encadrent les réseaux de traitement des effluents. De manière générale, la gestion des déchets fonctionne mieux lorsqu'un incinérateur est présent sur le territoire. Quelques filières permettent de faire revenir dans l'Hexagone certains déchets, nucléaires notamment.

Par ailleurs, vous avez évoqué la question du plomb. Celui-ci est présent dans certaines anciennes peintures, lorsque celles-ci n'ont pas été refaites. Des cas de saturnisme ont été identifiés. Récemment, en Guadeloupe, après le passage de la tempête Fiona , l'ARS a émis une communication de qualité sur la leptospirose. Quelques cas de cette maladie ont néanmoins été dénombrés.

En Guyane, les distances entre les communes sont très importantes, ce qui ne facilite pas la collecte des déchets issus des soins. Le rôle des infirmiers à domicile est donc fondamental, puisqu'ils font le lien entre les patients et les pharmacies. Certaines localités ne sont accessibles qu'en pirogue, ce qui renforce la complexité de la collecte.

Mme Viviane Malet, rapporteure . - Monsieur Klein, vous avez également évoqué la pollution des batteries que nous retrouvons régulièrement sur les bords des chemins. À l'inverse, nous n'y retrouvons jamais de bouteilles de gaz, car celles-ci sont consignées. Ne serait-il pas envisageable de prévoir une consigne pour les batteries ? Si la batterie usagée a une valeur, même minime, nous n'en retrouverons plus dans la nature.

Mme Nassimah Dindar . - Concernant les VHU, vous avez rappelé les textes applicables, notamment le code de l'environnement modifié en 2020, qui élargit la responsabilité des producteurs et les missions des éco-organismes vis-à-vis des dépôts sauvages de batteries et de voitures. Ma modeste expérience réunionnaise m'invite à penser que les particuliers, les communes et les communautés d'agglomération, voire les régions, sont les acteurs qui contribuent à l'enlèvement des véhicules usagés. À l'inverse, les vendeurs ou producteurs de voitures ne s'impliquent pas dans cette mission. Comment évaluez-vous l'effectivité de cette politique ? À La Réunion, cette évaluation ne doit pas être difficile, puisqu'une seule entreprise exerce un quasi-monopole dans la vente de véhicules. De même, pour les batteries, il importe de trouver une solution. À La Réunion, la majorité des batteries est récupérée par des acteurs privés et part à Madagascar par containers. De même, les pneus sont récupérés par des acteurs privés et n'encombrent plus la nature.

M. Philippe Bodenez, chef du service des risques sanitaires liés à l'environnement, des déchets et des pollutions diffuses . - Je vous remercie pour vos questions portant sur l'efficacité des dispositifs que nous mettons en place. S'agissant de la proposition de consigne des batteries, nous avons échangé avec les compagnies maritimes, qui subissent une désorganisation après la crise sanitaire. Certaines d'entre elles ne souhaitent plus transporter des déchets dangereux. Dans ce contexte, l'idée de la consigne est intéressante et mérite d'être étudiée. Certains professionnels tels que Norauto proposent d'ores et déjà un bon d'achat pour une nouvelle batterie, lorsqu'une batterie usagée leur est restituée.

Pour contrôler la bonne application du plan VHU, nos agents sont sur place et constatent les faits. De manière générale, pour qu'un véhicule soit éligible à ce plan, la police doit être intervenue de manière à constater la présence du véhicule de manière illégale sur le domaine public ou sur le domaine privé. Nous pouvons revenir vers les autorités locales pour connaître les actes pris, avant de récupérer le véhicule et l'amener vers la filière adaptée. Une association de constructeurs officie localement dans chaque département d'outre-mer. Les taux de collecte sont les plus importants dans les territoires dans lesquels ces associations sont les plus développées. Un retard important a donc été pris en Guyane, où l'association ne s'est pas encore suffisamment développée.

Mme Nassimah Dindar . - À La Réunion, vous pouvez appeler la police municipale lorsque vous voyez un véhicule hors d'usage. Cependant, celle-ci manque de moyens et jusqu'à quatre mois peuvent s'écouler avant qu'il soit enlevé. Il arrive donc fréquemment qu'en cas de dépôt sauvage de déchets, les citoyens contactent leurs élus. Au final, j'ai du mal à croire que 6 000 véhicules hors d'usage ont été récupérés à La Réunion et je m'interroge sur vos sources.

M. Philippe Bodenez . - La police municipale ne dispose pas des moyens techniques et économiques pour récupérer les véhicules hors d'usage. L'enlèvement de ces véhicules est désormais financé par les constructeurs.

M. Victorin Lurel . - Qu'est-ce qu'une pollution diffuse ? En outre, un moustique n'est pas un déchet, mais peut être le produit d'un déchet. Que devient la politique anti-vectorielle dans les outre-mer ? Sanofi avait mis au point un vaccin anti-dengue. Pouvez-vous m'éclairer à ce sujet ? Ce vaccin a été essayé aux Philippines et des enfants de trois ans sont décédés. Que devient ce vaccin ? Où en est la recherche ?

Par ailleurs, la Guadeloupe comptait une usine d'élimination des DASRI. Or cette usine a fait faillite. Où les DASRI de la Guadeloupe sont-ils traités aujourd'hui ? Où sont-ils envoyés ? De même, que deviennent les pneus de la Guadeloupe ?

Monsieur Bodenez, vous avez exposé l'état de la législation. Quelle est la réalité de la gestion des déchets ? Quels en sont les financements ? En Guadeloupe, les constructeurs ne participent pas du tout financièrement à l'enlèvement des véhicules hors d'usage, au contraire de la Région Guadeloupe. Une filière des déchets d'équipements électriques et électroniques (DEEE) a été constituée, mais l'État ne s'y implique pas. L'État n'est présent que pour fixer les normes et assurer la police administrative, et non pour proposer des moyens.

S'agissant de la responsabilité élargie, je ne vois pas de trace de l'éco-participation. Les associations de recyclage fonctionnent grâce aux bonnes volontés locales, et non avec des fonds de l'État. L'État devrait être plus présent dans les économies insulaires. Nous attendions plusieurs usines d'incinération en Guadeloupe, mais au final une seule devrait voir le jour, à l'est de l'île. Quelle est la position de l'État vis-à-vis du schéma adopté par le conseil régional de la Guadeloupe et vis-à-vis des offres du Syvade, le syndicat de Guadeloupe ?

J'attends des réponses concrètes à mes questions, au-delà de la législation que l'État s'efforce de faire respecter, malgré l'absence de moyens étatiques en faveur de la gestion des déchets.

Mme Nassimah Dindar . - Je remercie les représentants de l'État qui sont présents aujourd'hui, car ils s'efforcent de coordonner des politiques complexes sur les territoires. Nous, sénateurs et sénatrices, représentons les collectivités et recherchons la cohérence dans la mise en application des réglementations récentes et futures. Dans le domaine de la santé, concernant la dengue, il ne sera plus possible de faire croire à un Réunionnais que nous étions en phase inter-épidémique de la dengue il y encore un an. J'attends beaucoup du ministère de la santé. Nous devons expliquer correctement les quatre phases progressives de la dengue. Des polémiques accompagnent le vaccin contre la dengue et celui contre le Covid. J'ai personnellement attrapé la dengue au stade 4 et j'ai failli décéder à l'hôpital. De nombreux Réunionnais sont morts de la dengue, et non du Covid. Les communications sur le sujet sont insuffisantes.

M. Stéphane Artano, président . - Nous avons largement dépassé l'horaire prévu pour cette réunion. Nous vous adresserons donc les remarques et les questions qui ont été posées, afin que vous puissiez y répondre ultérieurement.

Mme Victoire Jasmin . - Je tiens à rassurer notre collègue Victorin Lurel. Une table ronde s'est tenue le 12 juillet dernier, en présence du Syvade notamment, sur les sujets qu'il soulève.

M. Stéphane Artano, président . - Je vais conclure cette table ronde en vous remerciant. À Saint-Pierre-et-Miquelon, il est aujourd'hui inacceptable que les pièces anatomiques ne soient pas détruites comme elles devraient l'être. Un amendement a été proposé pour permettre l'aquamation, mais il a été rejeté, probablement en raison de pressions subies par le Gouvernement de la part d'acteurs de l'inhumation et de l'incinération. Or Saint-Pierre-et-Miquelon ne compte pas d'incinérateur et il est parfois compliqué, surtout en « période Covid », d'envoyer les pièces anatomiques au Canada. J'interpellerai officiellement le Gouvernement sur ce sujet. Une équipe de la DGPR s'est rendue sur place et a échangé avec les autorités locales.

Mme Gisèle Jourda, rapporteure . - Nous relaierons ce sujet transversal. Celui-ci ne doit pas uniquement être porté par les autorités de Saint-Pierre-et-Miquelon. En effet, il touche à la dignité humaine.

M. Stéphane Artano, président . - Je vous remercie pour la clarté des propos. Nous vous ferons suivre les questions restées en suspens.

Jeudi 20 octobre 2022

Table ronde sur les aspects fiscaux de la gestion des déchets dans les outre-mer

M. Stéphane Artano, président . - Mesdames, Messieurs, Chers collègues, dans le cadre de la préparation d'un rapport sur la gestion des déchets dans les outre-mer, nous tenons ce matin une table ronde sur les aspects financiers et fiscaux de cette problématique avec :

- pour le ministère de l'intérieur et des outre-mer : MM. Stanislas Alfonsi, adjoint au sous-directeur des politiques publiques, et Tony Chesneau, chef du bureau de la réglementation économique et fiscale, de la Direction générale des outre-mer (DGOM) ;

- pour le ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique : M. Thibaut Fiévet, chef du bureau en charge de la fiscalité énergétique et environnementale ;

- pour le ministère de la transition écologique et solidaire : M. Jean-François Ossola, adjoint à la cheffe du bureau de la planification et de la gestion des déchets, direction générale de la prévention des risques (DGPR) ;

- pour Interco' Outre-mer : M. Maurice Gironcel, président, et président de la Communauté intercommunale du nord de La Réunion (CINOR) ;

- pour le Syndicat intercommunal d'élimination et de valorisation des déchets de Mayotte (Sidevam 976) : M. Chanoor Cassam, directeur général des services.

Sur la base de la trame qui vous a été transmise, vous interviendrez dans l'ordre que je viens d'énoncer pour une dizaine de minutes. Les enjeux financiers sont particulièrement importants sur ce sujet et seront pris en compte dans nos propositions.

Puis les co-rapporteures, Gisèle Jourda et Viviane Malet, vous interrogeront pour approfondir certains points.

M. Stanislas Alfonsi, adjoint au sous-directeur des politiques publiques, Direction générale des outre-mer (DGOM) . - Les deux premières questions de la trame portent sur la part que représente en moyenne le service public des déchets dans les budgets des collectivités ultramarines et le taux de couverture des coûts du service public des déchets par des recettes dites propres.

Une partie substantielle de ces données se situe chez nos collègues de la Direction générale des collectivités locales (DGCL). Mais compte tenu du calendrier présentant le projet de loi de finances, les administrations sont particulièrement mobilisées et dans le temps relativement court qui nous était imparti, nos collègues ont rencontré des difficultés à nous fournir tous les éléments que nous aurions voulu partager avec vous aujourd'hui. Néanmoins, nous en avons obtenu un certain nombre. Nos collègues se sont engagés à se tenir à la disposition du Sénat et des autres administrations pour fournir des éléments plus complets par la suite.

Des calculs permettent d'obtenir une idée du coût moyen pour les collectivités. Les départements et régions d'outre-mer (DROM) ont une population estimée de 2,2 à 2,3 millions d'habitants. Dans ces collectivités, le coût constaté de la gestion et du traitement des déchets, est, selon l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), environ 1,7 fois plus élevé que le coût moyen constaté au niveau national. Ainsi, la moyenne nationale varie entre 90 et 95 euros par habitant et par an, tandis que le coût moyen annuel par habitant des outre-mer oscille entre 160 et 165 euros. Le coût moyen de la gestion des déchets est de l'ordre de 10 % du budget de fonctionnement de ces collectivités locales. Cependant, la DGCL nous a demandé de faire preuve de précautions dans l'appréciation de ces chiffres, car la fiabilité des chiffres remontés par les collectivités locales n'est pas pleinement garantie.

Les taux de couverture de ces coûts par des recettes propres, en particulier la taxe d'enlèvement des ordures ménagères (TEOM), sont variables selon les collectivités. Les taux de couverture sont des moyennes pour chacun des territoires. L'Ademe a montré que ces taux de couverture sont extrêmement variables et vont de 14 à 92 %. À La Réunion, le taux serait de 91 %. En Guyane, il serait de 73 %. Concernant la Martinique, selon le Plan national de prévention des déchets (PNPD) établi il y a deux ans, ce taux est à 71 %. Pour Mayotte, nous ne disposons pas de chiffres, et pour la Guadeloupe le taux se situe à environ 80 %. La moyenne globale dans les DROM est donc de 80 %. La Réunion se situe à un niveau assez proche de la moyenne nationale, en deçà de 100 %.

La troisième question porte sur les principaux facteurs expliquant le coût moyen supérieur de la collecte et du traitement des déchets dans les outre-mer et je cède la parole à la DRPR.

M. Jean-François Ossola, adjoint à la cheffe du bureau de la planification et de la gestion des déchets, Direction générale de la prévention des risques (DRPR) . - Au niveau national, le coût moyen des flux de déchets ménagers et assimilés se situe entre 95 et 96 euros par an et par habitant. Dans les outre-mer, la moyenne est de 150 euros par habitant. Des enquêtes réalisées par l'Ademe en 2018 ou 2019 font état d'un coût moyen qui peut aller jusqu'à 193 euros pour les Antilles et la Guyane. Comme on le sait, les coûts résultent à la fois d'un niveau de service proposé à la population, des quantités collectées et de l'efficacité des moyens pour collecter, transporter et traiter ces déchets. L'un des facteurs est le manque de déchetterie avec en parallèle une multiplication des collectes en porte-à-porte qui génèrent beaucoup plus de déchets collectés et augmentent le coût du service public. Par ailleurs, dans les territoires ultramarins, le volume d'ordures ménagères résiduelles, d'encombrants et de déchets verts est proportionnellement plus important que dans l'Hexagone. Les charges de transport et de traitement sont donc 1,3 fois supérieures à la moyenne nationale, d'autant que les installations multifilières ne sont pas encore effectives comme dans l'Hexagone.

Pour résumer, les principaux facteurs de coût sont le contexte insulaire, générateur de coûts de revient élevés, les conditions climatiques, l'impact touristique, une multiplication des services de collecte en porte-à-porte, des quantités importantes d'encombrants, de déchets verts, d'ordures ménagères résiduelles et des filières industrielles ainsi que des soutiens des éco-organismes qui sont plus limités. Cependant, il existe des marges de manoeuvre pour limiter les coûts qui n'ont rien d'inéluctables. Il convient pour ce faire de diffuser plus largement le partage d'expérience et de bonnes pratiques entre DROM-COM afin de trouver des solutions plus efficientes.

L'engagement politique fort en faveur de la maîtrise des dépenses publiques passe aussi par le dialogue avec les usagers, la responsabilisation, le développement de la prévention pour limiter la production de déchets et la mise en pratique de collectes moins coûteuses. La loi anti-gaspillage pour une économie circulaire (AGEC) du 10 février 2020 a donné une impulsion en faveur du développement de filières de recyclage locales créatrices de richesses, d'emplois locaux, du réemploi et des ressourceries. Des volontés très fortes sont présentes sur le territoire. Nous espérons que les dispositifs de la loi AGEC, assez nombreux pour l'outre-mer, permettront d'améliorer l'efficience en termes de coût et de libérer des marges de manoeuvre pour les collectivités.

M. Thibaut Fievet, chef du bureau en charge de la fiscalité énergétique et environnementale, sous-direction de la fiscalité des transactions, fiscalité énergétiques et environnementale et fiscalité sectorielle . - La quatrième question porte sur les montants de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) sur les déchets versés à l'État depuis 2017 et les prévisions de recettes de la TGAP d'ici à 2025.

Les systèmes déclaratifs ont évolué au cours de la période sur laquelle vous nous interrogez, puisque la TGAP était initialement recouvrée par la douane et qu'elle est depuis 2020 recouvrée par la Direction générale des finances publiques (DGFIP). Je vais vous présenter les grandes tendances et les données chiffrées que nous avons pu réunir sur les rendements de TGAP pour les périodes de 2017 à 2019 ou 2020, étant noté que nous n'avons pas les chiffres 2020 pour la Martinique.

En Guadeloupe, le rendement évolue à la baisse puisqu'il était de l'ordre de 6 millions d'euros en 2017 et de 5 millions d'euros en 2018 et 2019, puis finalement de 4 millions d'euros en 2020. Le rendement de la taxe en Martinique suit une évolution plus irrégulière sur la période 2017-2019 dans la mesure où il s'établit à 4 millions d'euros pour 2017, 7 millions d'euros pour 2018 et 5 millions d'euros pour 2019. Pour la Guyane, le rendement reste relativement stable, il se situe entre 1,1 et 1,2 million d'euros. Pour La Réunion, sur la période 2017-2020, le rendement diminue sensiblement de 11 millions en 2017 à 7 millions en 2020 en passant à 9 millions et à 8 millions en 2018-2019. Enfin, pour Mayotte, le rendement évolue entre 700 000 et 500 000 euros sur la période pour finalement remonter à 750 000 euros en 2020.

La tendance est donc plutôt à la baisse et de façon relativement différenciée selon les territoires. En 2020, nous observons pour la Guadeloupe, la Guyane et La Réunion un décrochage que nous n'avons pas encore expertisé. Nous nous interrogeons naturellement sur les effets de la crise sanitaire.

M. Jean-François Ossola . - Votre question n°5 porte sur le maintien du produit de la TGAP sur les territoires concernés, afin de financer des actions en faveur de la valorisation des déchets et de l'économie circulaire. Sous quelle forme cette affectation ou ce fléchage pourrait-il s'opérer ?

La TGAP est une taxe environnementale qui s'appuie sur le principe du pollueur-payeur. La partie « déchets » représente la composante la plus significative et le principe d'universalité du budget de l'État impose donc cette non-affectation d'une recette à une dépense particulière, sauf à de rares exceptions. La TGAP n'y déroge pas. Le renforcement et la rationalisation de cette composante des déchets de la TGAP ont conduit à décider d'une hausse progressive entre 2021 et 2025, pour inciter les apporteurs de déchets, collectivités et entreprises, à privilégier le tri et le recyclage plutôt que l'élimination des déchets. Cette mesure était prévue par la feuille de route économie circulaire de 2018, qui est l'un des éléments-clés de l'atteinte des objectifs nationaux et européens de la baisse de quantité des déchets mis en décharge ou incinérés. Cependant, afin de tenir compte des caractéristiques propres aux outre-mer, des réfactions sont appliquées et ont été renforcées notamment par la loi de finances rectificative de décembre 2021. Actuellement, ces réfactions sont de l'ordre de 35 % pour la Guadeloupe, La Réunion et la Martinique et de 75 % en Guyane et à Mayotte, là où la TGAP s'applique. Pour les outre-mer, les aides à l'investissement du fonds « économie circulaire » est supérieur au produit de la TGAP. Pour l'année 2020, sur les cinq territoires concernés, l'ensemble déclaré est de 13,1 millions d'euros, tandis que les montants engagés au titre du fonds « économie circulaire » de l'Ademe pour ces territoires sont de 22,2 millions d'euros. En complément de ces fonds, les financements du Fonds européen de développement régional (Feder) ne doivent pas être oubliés. La période 2021-2027 a débuté et des financements sont disponibles pour soutenir les projets locaux, dans les outre-mer, contrairement à l'Hexagone où les installations de gestion des déchets ou les CSR ne sont plus financés par ce fonds Feder.

M. Thibaut Fievet . - Un autre argument en défaveur de l'affectation de la TGAP aux collectivités est qu'en cas d'incident de recouvrement, la recette prévue ne pourra pas être versée à la collectivité. Le maintien de dispositifs budgétaires en complément de la TGAP nous semble davantage protectrice pour les collectivités.

M. Jean-François Ossola . - Concernant la Taxe d'enlèvement des ordures ménagères incitative (TEOMi), à ce jour et à notre connaissance, le seul territoire ultramarin à avoir étudié le sujet est La Réunion. La direction régionale de l'Ademe avait fait réaliser une étude d'opportunité. Il s'agit en effet d'un processus long. En général, deux ou trois ans sont nécessaires pour le mettre en oeuvre. Mais cette étude, qui date de 2013, n'avait pas eu de suites.

Au niveau national, les objectifs de généralisation de la TEOMi sont ambitieux. Je crois qu'il s'agit de 15 millions d'habitants en 2025, alors que nous sommes actuellement en dessous de 10 millions. Peut-être cette tarification incitative à la redevance devrait-elle être appliquée à la Redevance d'enlèvement des ordures ménagères (REOM) plutôt qu'à la TEOM. Les exemples les plus courants actuellement sur le territoire national concernent d'ailleurs la REOM. Mais l'application semble plus aisée sur un territoire qui dispose des filières de valorisation, de traitement, d'un réseau de déchetterie, que sur un territoire plus isolé outre-mer qui manque encore des infrastructures de base.

M. Tony Chesneau, chef du bureau de la réglementation économique et fiscale à la Direction générale des outre-mer . - La question n°9 porte sur l'intégration dans l'octroi de mer d'une sorte d'écotaxe à l'importation, en considérant que la quasi-intégralité des déchets est issue de produits importés.

Cette proposition nous semble rencontrer plusieurs obstacles. L'octroi de mer est une taxe qui a deux objectifs principaux : le financement des collectivités locales et le soutien à la production locale. Ces deux objectifs peuvent parfois entrer en contradiction quand la région souhaite par exemple exonérer un secteur économique et donc renonce à des recettes. Ajouter un troisième objectif qui serait plutôt environnemental rendrait encore moins lisible et plus complexe cet octroi de mer. Il est généralement admis qu'un dispositif de politique publique - j'y inclus la fiscalité - dès lors qu'il a plus d'un objectif, est difficile à concevoir. D'autres pistes devraient être envisagées pour atteindre cet objectif.

Une autre difficulté et non des moindres est la question de la compatibilité avec le droit de l'Union européenne. Cet octroi de mer fait l'objet d'une double autorisation à la fois du Conseil de l'Union au titre de l'Union douanière et de la Commission européenne, et de la Direction générale de la concurrence au titre du droit des aides d'État. La Commission verrait probablement cette taxe additionnelle comme une taxe d'effet équivalent qui serait contraire au droit européen. Nous devrions donc justifier cette écotaxe auprès de l'Union européenne et à tout le moins l'appliquer aux marchandises importées, mais aussi à celles produites localement pour éviter des accusations de discrimination. Enfin, cette écotaxe additionnelle augmenterait le coût des produits importés et nos concitoyens l'accepteraient difficilement. Aujourd'hui, la région ou la collectivité territoriale peut moduler les taux à la hausse ou à la baisse de tous les produits de la nomenclature douanière en fonction de ce qu'elle considère comme plus nuisible à l'environnement par exemple. Les régions peuvent s'emparer de ce sujet et prendre des initiatives. Globalement, nous pouvons nous appuyer sur des dispositifs nationaux. L'objectif de cette écotaxe pourrait être aussi satisfait à travers le développement des filières à Responsabilité élargie des producteurs (REP) ou des systèmes d'éco-participation.

M. Thibaut Fievet . - Dans le cadre d'une éco-contribution, toute la difficulté réside dans le fait d'identifier les critères environnementaux. La difficulté est juridique, c'est-à-dire que nous devons réussir à trouver des critères qui ne portent pas atteinte au principe d'égalité et qui s'appliquent à tout type de produits équivalents. Nous pouvons imaginer des équivalents émissions de CO 2 et faire en sorte, d'une part, que ces critères soient facilement applicables pour les opérateurs, et, d'autre part, qu'ils permettent des contrôles par l'administration fiscale pour s'assurer que l'éco-contribution est versée à bon droit. De prime abord, la conception d'un tel dispositif paraît complexe.

M. Jean-François Ossola . - La révision du règlement européen sur les batteries a été lancée au premier semestre 2022 sous la présidence française de l'Union européenne. Les discussions sont toujours en cours. Une disposition prévoit la mise en place d'une filière REP pour l'ensemble des batteries.

Le principe des filières REP s'applique sur l'ensemble du territoire national et, en cas de retard constaté, une des dispositions de la loi AGEC de 2020 permettra de prévoir un plan d'amélioration des performances de la collecte et du traitement des déchets dans ces territoires, afin qu'elles égalent celles atteintes en moyenne dans l'Hexagone au cours des trois ans suivant la mise en place du plan. De nombreux cahiers des charges de filières REP existantes sont en cours de renouvellement et de nouvelles filières REP sont en train d'être lancées sur la période de 2021-2024. Ces plans de rattrapage outre-mer vont permettre de guider et de renforcer l'implication des éco-organismes dans la mise en oeuvre des filières dans les territoires ultramarins.

La mise en place en outre-mer d'un système de consigne distinct du dispositif national engendrerait des coûts plus élevés que dans l'Hexagone. Il semble donc difficile de l'envisager localement et préférable de s'appuyer sur un dispositif national de consigne pour amortir les coûts. En 2023, une phase de réflexion et d'expérimentation de consignes sur les emballages sera engagée. Elle concernera l'ensemble du territoire national avec des péréquations pour les outre-mer.

S'agissant de la question 11, le Parlement demande de façon récurrente une baisse de la TVA sur les activités de réparation, pilier de l'économie circulaire. Historiquement, seuls les produits listés dans la directive européenne TVA étaient éligibles à un taux réduit au niveau du droit européen. Il est appliqué sur le cuir et les textiles, mais pas sur l'ensemble des produits. Il faut rappeler que les territoires guyanais et mahorais sont déjà exemptés de TVA.

La loi AGEC prévoit deux types de fonds à partir de 2022. D'une part, des fonds Réparation pour différentes catégories de produits soumis aux filières REP qui prennent en charge une partie des coûts de réparation auprès des réparateurs labellisés. Le prix est ainsi directement baissé pour le consommateur. D'autre part, les fonds Réemploi sont destinés aux acteurs de l'économie sociale et solidaire et adaptés conformément aux quantités réemployées fixées dans le cahier des charges de chaque filière REP. Les filières qui produisent des produits électriques, électroniques, des meubles et des textiles ou des articles de sport, de bricolage et de jardinage, doivent contribuer à ces fonds à hauteur de 5 % de leur contribution à la filière REP. Ces fonds permettront, notamment, de soutenir les acteurs qui réparent les objets, leur donnent une deuxième vie, soit pour être donné, soit pour être revendu. Ces fonds doivent être mis en place dans les six mois de l'agrément de la filière REP. Pour les déchets d'équipements électriques et électroniques (DEEE), le déploiement du fonds Réemploi au niveau national est en cours et sera entièrement opérationnel en 2023.

M. Thibaut Fievet . - Les produits reconditionnés peuvent déjà faire l'objet d'un dispositif favorable, c'est-à-dire que la TVA, sous certaines conditions, ne s'applique qu'à la marge et pas à l'ensemble du prix du produit. Mais le terme « réemploi » recouvre un certain nombre de réalités parfois complexes à traduire fiscalement et qui introduirait effectivement des difficultés tant du point de vue des professionnels, que de l'administration. En effet, comment le périmètre de la nature des prestations peut-il être déterminé ? S'agit-il de réparation ou de remise à état neuf ? S'agit-il de fourniture de matériaux ou de fourniture de prestations ? Toutes ces questions se poseraient dans le cadre de l'introduction d'un taux réduit de TVA. Enfin, une acception large du terme de réemploi induirait probablement un coût budgétaire important pour l'État, si cette disposition était adoptée.

M. Maurice Gironcel, président de l'association Interco' Outre-mer et président de la Communauté intercommunale du Nord de La Réunion (Cinor) . - Dans nos pays d'outre-mer et notamment dans nos îles, nous devons traiter nos déchets sur notre territoire. Nous devons maîtriser la question du traitement des déchets de bout en bout. Moins d'emballages devraient être produits. Une discussion devrait également porter sur la possibilité de commercer avec les pays de la zone. Aujourd'hui, nos importations viennent de l'Europe et bien sûr de la France hexagonale. Nous inscrire dans un partenariat dans nos zones respectives, nos bassins d'océan, nous ouvrirait des perspectives de traitement de nos déchets. Pourquoi ne pourrions-nous pas traiter nos déchets dans notre zone géographique ? Cette pratique permettrait un coût de transport moindre et favoriserait la création d'emplois locaux.

Dans nos îles, nous avons un sérieux problème de foncier. À La Réunion, une île de 2 500 km 2 avec 900 000 habitants, la zone habitée se situe sur le littoral et à mi-hauteur, car c'est un pays très montagneux. Les centres d'installation de stockage de déchets non dangereux (ISDND) ou d'Installation de stockage de déchets inertes (ISDI) se situent donc forcément à proximité des habitations. L'approche doit donc être différente de celle de la France hexagonale. De même, les taxes en vigueur dans l'Hexagone ne peuvent pas s'appliquer chez nous. Compte tenu du faible nombre d'habitants à La Réunion, une seule installation de traitement semblerait suffisante, mais la circulation est difficile entre le Nord et le Sud. Concernant la TEOM incitative, avec la Cinor, nous sommes en train de mener une petite opération dans un quartier pour étudier la faisabilité. La loi concernant les bio-déchets s'avère difficile à mettre en oeuvre à La Réunion.

M. Chanoor Cassam, directeur général des services du Syndicat intercommunal d'élimination et de valorisation des déchets de Mayotte (Sidevam 976) . - Pour la clarté de mon exposé, j'ai préparé quelques graphiques qui vous ont été distribués. Concernant les efforts budgétaires consentis par les collectivités, je me suis concentré sur les budgets des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), puisqu'elles détiennent à titre principal la compétence collecte et traitement de déchets. Dans le cas de Mayotte, c'est le Sidevam qui assure essentiellement la mission de collecte et traitement des déchets, à l'exception de la communauté d'agglomération Dembéni-Mamoudzou (Cadema) qui regroupe la commune de Mamoudzou, la principale ville de Mayotte, et la commune de Dembéni. La Cadema gère seule sa compétence collecte. Les intercommunalités fournissent des efforts plus ou moins élevés, avec une moyenne de 42 % de leurs budgets pour 2022. Une des intercommunalités consacre 63 % de son budget au Sidevam.

Les contributions directes des budgets des intercommunalités au Sidevam représentaient, jusqu'à cette année, le principal poste de financement du service public de gestion des déchets. Cette forte contribution, qui représente 60 % du budget du Sidevam, entraîne aussi une forme de dépendance de la trésorerie, puisque nous subissons les aléas de décaissement et d'encaissement par les intercommunalités membres. Les 40 % restants sont couverts par la TEOM qui est beaucoup plus intéressante en matière de trésorerie, puisque son versement est mensualisé. Les contributions des intercommunalités au service public des déchets ont atteint un niveau élevé. Les EPCI ne sont plus prêts à relever leur contribution, alors même qu'elles ont d'autres missions à financer.

La TEOM représente le deuxième levier de financement. En moyenne, les taux de la TEOM votés par les EPCI ayant choisi d'instaurer cette taxe croissent chaque année. Ils se situaient à 14 % en 2019 et 19 % en 2021. La communauté de communes de Petite-Terre est passée de 10 % en 2019 à 16 % pour cette année. Quant à la Cadema qui a instauré cette taxe depuis cette année seulement, elle a fait bondir le taux moyen au niveau du département, de telle sorte que les recettes de la TEOM devraient couvrir en 2022, pour la première fois, plus de la moitié du coût du service public des déchets. La TEOM s'appuie sur la taxe foncière. À Mayotte, où les valeurs locatives ont été excessivement élevées, la mise en place de la fiscalité s'est avérée un peu chaotique depuis 2014. Elles ont été corrigées partiellement via la loi « Égalité réelle » en 2017 avec un abattement de 60 % de la valeur locative. Cependant, la valeur locative reste élevée par rapport aux standards nationaux, alors que 77 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté. Les Mahorais sont en grande majorité propriétaires de leurs biens. Nous pouvons difficilement compter sur ce levier de financement pour augmenter encore les recettes.

La TGAP est payée par le Sidevam, seule compétente en matière de traitement de déchets. La tendance d'évolution des charges semble donc difficile à inverser. On observe une dégradation progressive des épargnes : épargne de gestion, épargne brute et épargne nette du Sidevam. Sur le scénario présenté, nous voyons que dès 2024-2025, nous basculerons sur des épargnes négatives. Une approche différente de la question semble donc nécessaire, en envisageant peut-être un levier de financement supplémentaire, un moyen beaucoup plus efficace pour orienter le comportement des producteurs de déchets et donc des consommateurs. Le Sidevam adopte, en collaboration avec la Cadema, son programme local de prévention des déchets ménagers assimilés et prévoit des études au niveau de la fiscalité incitative.

Néanmoins, nous n'avons pas beaucoup d'espoir, puisqu'à Mayotte, beaucoup de populations informelles ne contribuent pas aux finances locales. Par ailleurs, la taxe foncière s'appuie également sur le cadastre non actualisé. Une grande partie de la population productrice de déchets ne sera donc pas concernée par la fiscalité incitative. Nous réfléchissons donc à d'autres solutions, notamment des solutions de gratification du geste de tri avec le commerce de proximité. Pourquoi ne pas envisager une écotaxe qui permettrait un couplage entre la gestion déchets et l'activité de consommation ? Cette solution d'écotaxe permettrait de financer une partie de la gestion des déchets par le consommateur. Mais la question de la gouvernance se pose. Les décideurs locaux pourront-ils fixer le niveau de taxation des différents produits et de déchets concernés ?

Notre véritable problème réside dans les moyens de contraintes. Pourquoi ne pas envisager des pénalités vis-à-vis de ces éco-organismes qui ne se mobilisent pas suffisamment dans les territoires ultramarins ?

Le rapport de Jacques Vernier sur les filières REP, publié en 2018, documente longuement ces moyens de pénalités possibles vis-à-vis des éco-organismes. Si nous parvenons à structurer et mobiliser plus d'éco-organismes sur le territoire, les volumes enfouis et donc la charge de TGAP diminueront. Par ailleurs, nous souhaiterions que les objectifs de taux de collecte, de valorisation et de recyclage ne soient pas nationaux, mais territorialisés.

Mme Gisèle Jourda, rapporteure . - Lorsque nous nous sommes rendus à Mayotte ou à La Réunion, nous avons noté une demande récurrente pour un allégement de la TGAP qui pèse sur les intercommunalités. Ne pourrait-on pas obtenir un moratoire sur ces questions, de manière à permettre aux territoires ultramarins redevables de cette TGAP de pouvoir investir dans le perfectionnement de la chaîne liée aux déchets ?

Même si notre proposition de consigne ne paraît pas d'une grande pertinence, comment pourrait-on trouver des correctifs ? En parcourant certains territoires, nous avons vu les efforts déployés, mais la situation endémique liée à l'accumulation des déchets représente un problème récurrent. Il me semble que l'outil fiscal devrait intégrer certaines modulations.

Mme Viviane Malet, rapporteure . - Nous estimons que la TGAP est injuste. À La Réunion, nous avons obtenu 10 % de réfaction supplémentaires l'année dernière, nous sommes donc passés à 35 %. En 2021, la TGAP représentait environ 10,8 millions d'euros pour La Réunion. Elle passera à 12,8 millions d'euros l'année prochaine, et si le taux d'enfouissement reste le même, en 2025, elle atteindra 16 millions d'euros. Nous préférerions garder cette somme sur notre territoire pour développer un cercle plus vertueux.

M. Thani Mohamed Soilihi . - À Mayotte, la problématique du foncier influe directement sur la taxation des déchets, car aujourd'hui 70 % des terres ne sont pas immatriculées. Autrement dit, une pression fiscale insupportable s'exerce sur seulement 30 % des propriétaires. Une réforme en cours vise à poursuivre l'immatriculation et le titrement des parcelles foncières.

Mme Marta de Cidrac, présidente du groupe d'études sur l'économie circulaire au sein de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable . - Beaucoup de nos territoires ultramarins sont aussi des régions ultrapériphériques de l'Europe. À cet égard, un certain nombre d'obligations leur incombe, mais des fonds qui sont censés promouvoir les emplois doivent aussi leur profiter.

Lors de mes déplacements dans ces régions, l'insuffisance de masse critique pour créer des unités de traitement des déchets localement a souvent été identifiée.

En tant que sénatrice des Yvelines, si je rencontre des difficultés avec les déchets de mon territoire, je peux m'adresser à l'un de mes voisins, mais cette pratique s'avère beaucoup plus compliquée pour nos territoires ultramarins.

Existe-t-il un mécanisme que nous pourrions porter au sein de l'Union européenne pour permettre à nos territoires ultramarins de créer des unités qui seraient pionnières en matière de recyclage ou de Combustible solide de récupération (CSR) ?

Mme Micheline Jacques . - J'aimerais partager l'expérience de Saint-Barthélemy, puisque nous sommes un petit territoire de 21 km 2 et que la problématique des déchets s'est posée depuis fort longtemps. Nous avons fait le choix de revaloriser la majorité des déchets par l'incinération avec un traitement des fumées et une production d'énergie. Notre usine d'incinération est couplée à une usine de production d'eau potable par dessalement d'eau de mer. Une deuxième usine d'incinération vient d'être inaugurée qui sera couplée à un générateur de production d'électricité. Comme le disait Viviane Malet, pourquoi ne pas geler quelque temps la TGAP, afin de permettre aux collectivités d'investir dans ce type d'installation ? Par ailleurs, nous avons passé un contrat avec les concessionnaires qui récupèrent les batteries au lithium.

M. Stanislas Alfonsi . - Nous pouvons nous demander si la TGAP mérite d'exister sous cette forme ou si elle doit être transformée. Des adaptations ont été faites, parce que les territoires ont démontré que celles-ci favorisaient les dynamiques. Les projets commencent à sortir et les retards pris, quels qu'en soient les motifs, ne sont plus de nature à empêcher leur existence.

Mayotte est entrée récemment dans le cadre institutionnel d'un département de plein exercice et doit être traitée de manière responsable avec toute l'attention à apporter à un territoire fragile. Le territoire présente en effet un retard de développement et des taux de pauvreté très élevés. Cette situation nécessite une attention plus spécifique et nous nous efforçons tous de l'apporter. Mais le travail des acteurs locaux est perfectible, tout comme celui des administrations ou du Parlement. Du côté du ministère des outre-mer, Mayotte concentre une grande partie de notre activité. Des adaptations législatives ont été proposées pour apporter une aide plus spécifique au territoire. Un projet de loi a été initié l'année dernière qui n'a pas été validé par le Conseil départemental. Nous ne pouvons que le regretter. Je me rappelle que lorsque l'avis négatif du Conseil départemental a été formulé, nous étions à la veille du passage devant le Conseil d'État. Le Gouvernement était donc dans une dynamique très volontariste. À ce stade du processus, de nombreux sujets pouvaient encore être ajoutés ou modifiés. Ce projet mérite d'être réexaminé pour trouver les nouvelles adaptations qui devront être conçues spécifiquement pour Mayotte.

En ce qui concerne les fonds européens, les autorités de gestion sont, en règle générale, constituées par les collectivités et doivent faire des choix sur l'affectation et l'utilisation des fonds européens. Nous ne pouvons pas sortir du cadre de la programmation telle que définie par les institutions européennes, ni du cadre national qui en est une déclinaison pour chaque État membre. De notre côté, nous ne pouvons pas dicter aux autorités de gestion constituées par les collectivités ce qu'elles doivent faire des fonds européens qui leur sont confiés. Nous pouvons tout de même encourager, ne serait-ce que par l'orientation de certains cofinancements, le soutien en matière d'ingénierie qui peut être apporté sur tel ou tel type de projet. Nous pouvons les aider à favoriser cette thématique des déchets.

Les fonds européens sont d'une gestion particulièrement complexe et je comprends que, parfois, des collectivités hésitent à aller dans les directions de la mobilisation des fonds européens pour tel projet ou telle thématique, étant donné leur complexité et les risques inhérents. En effet, l'application pourrait être considérée comme insuffisamment régulière, rigoureuse, ou discutable au regard des cadres réglementaires produits par l'Union européenne. Parfois, les collectivités hésitent à se lancer pour ces raisons.

Mme Gisèle Jourda, rapporteure . - Les critères pour certains dossiers sont trop difficiles à remplir. Depuis quasiment huit ans que je siège dans cette commission, les fonds spécifiques européens pour les départements ultramarins ont toujours été difficiles à mobiliser. Nous avons toujours dû mener des combats et des batailles dans ce secteur-là.

M. Jean-François Ossola . - Nous sommes bien conscients des difficultés de gestion des taxes et le poids dans les finances locales des territoires ultramarins. Dans le cadre du programme précédent de 2014 à 2020, les fonds du Feder ont représenté à peu près 156 millions d'euros. Certains territoires en ont plus bénéficié que d'autres en raison des critères établis ou du consensus politique. Mais pour les régions ultrapériphériques (RUP), dont font partie nos territoires d'outre-mer, les critères assez larges offrent la possibilité du financement de CSR notamment, alors que cela n'est plus possible dans l'Hexagone.

Nous pourrions réfléchir à des mécanismes qui permettent d'avoir un partenariat entre nos territoires, et également avec les territoires voisins, pour avoir une certaine masse critique dans le traitement des déchets. En effet, notamment dans les îles isolées ou d'autres territoires, les augmentations, même faibles, se ressentent d'autant plus fort. Un travail peut être mené sur ce mécanisme partenarial par zone géographique. Des travaux sont également menés pour les déchets dangereux, afin d'obtenir des révisions du règlement sur les transferts transfrontaliers. Cela intéresse tout particulièrement La Réunion et Mayotte. La crise du Covid a généré dans ces deux territoires de sérieux problèmes d'export de déchets dangereux, car, contrairement aux Antilles, les exportations directes vers l'Hexagone s'avèrent moins faciles. L'affrètement d'un navire dédié pour l'export d'une petite partie des déchets dangereux stockés sur ces deux îles vers Le Havre devrait prochainement être annoncé. Il n'existe pas de solution unique, mais différents leviers à actionner.

Concernant les batteries et plus particulièrement celles au lithium, nous n'avons pas la solution de traitement, l'export doit donc être systématique avec son coût et ses aléas.

S'agissant de l'idée de la consigne de batteries, nous souhaitons utiliser et exploiter le développement des filières REP, et le renouvellement de leurs cahiers des charges pour que des éco-organismes puissent apporter des solutions, pas seulement sur le territoire hexagonal, mais aussi en outre-mer.

Concernant les éco-organismes et leurs possibles sanctions : ils sont actuellement dans une période de renouvellement de leurs cahiers des charges pour les filières REP. De nouvelles filières vont être créées telles que la filière « produits et matériels de construction et bâtiments » qui va être pleinement opérationnelle en cours de l'année 2023. Grâce à la loi AGEC, nous pouvons exiger un plan d'action détaillé pour chaque territoire d'outre-mer par filière, dès six mois après l'agrément. Certains dispositifs seront mobilisés à la suite par l'État pour veiller à ce que les taux de collecte ou de traitement n'atteignent pas 95 % sur le territoire national et 40 % en outre-mer.

Mme Viviane Malet, rapporteure . - Concernant les cahiers des charges, je sais que vous allez augmenter les taux, afin que nous puissions rattraper les taux de l'Hexagone. Mais si le cahier des charges n'est pas rempli, aucune pénalité n'est prévue. À l'inverse des collectivités qui, elles, doivent s'acquitter de la TGAP.

M. Chanoor Cassam . - Le rapport Vernier précité mentionne des dispositions de pénalité ou de sanctions, certes perfectibles. Elles se traduiraient, par exemple, par des mécanismes d'amende de 15 000 ou 30 000 euros pour les éco-organismes, mais aussi pour les membres des éco-organismes. Toutefois, il me semble que le rapport mentionnait que les services de l'État chargés du contrôle et des sanctions se trouvaient insuffisamment dotés de moyens pour mettre en oeuvre de telles mesures.

Sur la question de la valorisation au niveau des territoires, le Sidevam porte justement un projet de valorisation en CSR. Nous voulons profiter du renouvellement de la délégation de service public portée par le Sidevam avec la filiale de Suez, Star Urahafu.

Nous aimerions solliciter les financements du Feder. Cependant, l'enveloppe, qui se dessine sur la programmation 2021-2027, prévoit a priori 8 millions d'euros pour la gestion des déchets et ce montant est à peine suffisant pour déployer toutes les déchetteries prévues sur la mandature.

En raison des problématiques de maîtrise foncière, le Sidevam essaie de déployer des déchetteries depuis deux mandatures. Nous n'en avons pas encore pour l'instant, mais je vous confirme que nous allons démarrer le chantier de la première déchetterie de Mayotte, qui sera inaugurée l'année prochaine au sud de l'île. La construction de deux autres déchetteries est en bonne voie.

Pourquoi ne pourrions-nous pas, sur le modèle du Fonds national d'aménagement et de développement du territoire (FNADT), envisager une enveloppe spécifique abondée pour les projets de valorisation de déchets, qui serait mise à contribution lorsque le montage de la prochaine délégation du service public sera finalisé, prévoyant notamment des unités de valorisation en CSR ?

M. Thani Mohamed Soilihi . - Vous avez parlé du travail parlementaire qui est perfectible, c'est précisément le sens de mon intervention. La mission constitutionnelle de contrôle de l'action de l'administration nous incombe et nous avons le devoir de poser ici des questions. Je déplore comme vous, peut-être plus que vous, que le projet de loi Mayotte ne soit pas arrivé jusqu'au Parlement. Cette loi contenait 75 % de bonnes propositions, et nous devions la compléter. Nous n'avons pas eu cette occasion : à la suite d'un long processus piloté par le préfet, le Conseil départemental a donné un avis défavorable.

M. Stanislas Alfonsi . - Nous devons mener ensemble l'accompagnement du territoire de Mayotte et je pense que, du côté de l'administration que je représente, nous faisons un certain nombre d'efforts avec tous les autres partenaires, y compris le Parlement, pour mener cet accompagnement. Beaucoup de temps et beaucoup de travail seront nécessaires pour faire en sorte que Mayotte parvienne à un certain niveau de développement et que les résidents de Mayotte bénéficient du niveau de service public dont normalement tout citoyen et résident en France doit pouvoir bénéficier.

M. Thibaut Fievet . - Je reviens très rapidement sur la TGAP. Du côté de la Direction de la législation fiscale (DLF), nous partageons le mécontentement sur le nom de la TGAP qui en réalité recouvre quatre taxes différentes et pourrait, le cas échéant, être vu dans le cadre de la recodification en cours. Elle a déjà donné lieu à des redénominations de taxes et quand viendra le moment de recodifier la TGAP « déchets », une autre dénomination n'est pas exclue.

Concernant les réfactions de TGAP, nous n'avons pas de mandat pour nous prononcer sur le sujet. Mais nous pouvons nous engager à transmettre auprès de nos autorités les différents points d'alerte que vous nous avez rappelés aujourd'hui. Je voudrais juste relever deux points. Premièrement, les réfactions ont effectivement évolué au fil du temps. Vous évoquiez l'hypothèse d'un moratoire ou d'un dispositif transitoire. Selon notre expérience, en termes de gouvernance fiscale, des moratoires sont toujours complexes, parce qu'il est souvent difficile d'en sortir. Il s'agit juste d'un constat technique en termes de fiscalité, je ne porte aucun jugement sur votre proposition.

Deuxièmement, pour confirmer les propos qui ont été tenus sur la composante « déchets » de la TGAP, cette taxe est incitative par excellence. Elle applique un barème en fonction des méthodes de traitement qui sanctionne davantage l'enfouissement que l'incinération et encourage au réemploi. Différentes exemptions ont été ajoutées pour justifier le fait de ne pas taxer certaines situations très particulières.

Le dernier élément très caractéristique de cette TGAP « déchets » réside dans le fait que le législateur impose de la répercuter sur les apporteurs de déchets, c'est-à-dire que cette taxe est en quelque sorte indirecte. Un tel dispositif ne se retrouve pas forcément dans les autres taxes.

Les dispositifs financiers publics en matière de déchets doivent être pris dans leur ensemble. Nous ne devons pas nous focaliser sur un seul, car chacun a son utilité. En définitive, nous identifions trois piliers. Tout d'abord, la TGAP présente une vocation incitative dont l'assiette se réduit au fur et à mesure, c'est-à-dire que quand les objectifs seront atteints, la TGAP « déchets » aura un rendement nul. De son côté, la TEOM est une taxe de rendement dont l'objectif est de financer le service public. Enfin, le troisième pilier correspond à tous les dispositifs budgétaires évoqués tels que ceux de l'Ademe ou les fonds européens. Ces dispositifs ont vocation à accompagner les collectivités et les opérateurs pour qu'elles investissent et atteignent les objectifs leur permettant de ne plus être redevable de la TGAP.

Concernant la problématique d'affectation de la TGAP, qui rejoint aussi celle de sa dénomination, il existe, dans le code général des collectivités territoriales (CGCT), une sorte de TGAP complémentaire, à la main des communes, et qui est limitée à 1,50 euro par tonne. Nous n'avons pas vérifié si elle était applicable dans les territoires ultramarins, mais il me semble qu'elle pourrait répondre, à la marge, au problème de réaffectation des fonds.

M. Stéphane Artano, président . - Sur le sujet de Mayotte, je rejoins Thani Mohamed Soilihi. Un message doit vraisemblablement être passé auprès du préfet pour que les données, si elles existent, soient collectées et remontées. C'est un message que je passerai volontiers au ministre. Ce sujet est important pour vous, car vous devez pouvoir disposer des éléments techniques nécessaires.

Je vous remercie pour ces échanges très riches.

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