EXAMEN EN COMMISSION

La commission des affaires européennes s'est réunie le jeudi 2 février 2023 pour l'examen du présent rapport

M. Jean-François Rapin, président . - Le troisième point de notre ordre du jour traite d'un tout autre sujet : il s'agit des moyens d'éradiquer la brucellose, maladie animale qui frappe les animaux sauvages dans les Alpes, lesquels contaminent ensuite les bovins qui viennent pâturer dans les alpages.

Cette maladie étant transmissible à l'homme, son éradication doit être opérée de la manière la plus radicale possible et la stratégie optimale pour y parvenir prête à débats : doit-elle cibler les animaux sauvages ou les animaux d'élevage ? En cas de contamination dans un troupeau de bovins, faut-il aller jusqu'à éliminer l'ensemble des bêtes ? Ce sont des décisions difficiles et douloureuses, qui créent de fortes tensions sur le terrain et dont il est tentant de faire porter le chapeau à Bruxelles.

Plusieurs de nos collègues ont interrogé le Gouvernement à ce sujet et nous avons jugé utile de confier à notre collègue Cyril Pellevat, très concerné par ce dossier, la mission d'éclaircir le débat en mettant à plat les règles applicables, au niveau européen et national, ainsi que les responsabilités des différents acteurs en présence. Il va donc nous présenter son rapport d'information, au terme d'un travail approfondi.

M. Cyril Pellevat, rapporteur . - Le droit européen est couramment réputé, souvent à tort, mais parfois également à raison, pour sa complexité byzantine, ou suspecté d'empiéter sur les prérogatives des États membres. Ce procès d'intention mérite une analyse critique au cas par cas, pour en tirer des conclusions étayées et équitables, comme dans le cas d'espèce des bouquetins des Alpes et des animaux d'élevage conduits à être abattus pour enrayer une maladie animale : la brucellose.

La question de la pertinence des mesures de police sanitaire prises contre l'épidémie pourrait sembler à première vue anecdotique à certains observateurs. Il n'en est rien en raison des conséquences de la brucellose en termes de santé publique, d'environnement et d'économie dans nos territoires alpestres. Il s'agit même d'un dossier extrêmement sensible, suivi par les plus hautes autorités de l'État et qui est en passe d'acquérir une audience nationale, en raison de la médiatisation croissante dont il fait l'objet.

La commission des affaires européennes du Sénat s'est saisie de ce sujet, car, au-delà des raisons que je viens d'exposer, la réglementation européenne est soupçonnée d'être à l'origine des difficultés à surmonter pour mener à bien les campagnes d'éradication de la brucellose.

Je vous remercie, monsieur le président, de m'avoir confié la tâche de travailler au nom de notre commission sur ce sujet qui me tient à coeur. Il concerne également au premier chef mon département - la Haute-Savoie - puisque c'est chez nous, plus précisément dans le massif du Bargy, que la maladie est réapparue, en 2012. Depuis lors, nous sommes confrontés de manière épisodique à des cas de brucellose, non seulement parmi la faune sauvage, en particulier chez les bouquetins, mais également dans certains élevages laitiers.

Plus précisément, la brucellose bovine est une zoonose, c'est-à-dire une maladie infectieuse transmissible de l'animal à l'homme. Au sein de la population animale, plusieurs espèces sauvages et domestiques peuvent être touchées et se transmettre l'agent pathogène par contamination directe et indirecte. La maladie est transmise aux animaux d'élevage durant la période des alpages en cas de contact avec la faune sauvage. Les êtres humains également sont susceptibles d'être malades en cas de consommation de lait contaminé non pasteurisé, ou en cas de contact avec des sécrétions d'un animal malade, en particulier lorsque celui-ci vient de mettre bas.

Durant ces deux derniers mois, nous avons auditionné tous les acteurs de ce dossier : la préfecture de la Haute-Savoie, les administrations centrales et les cabinets du ministère de la transition écologique et de l'agriculture, l'Office français de la biodiversité (OFB), l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), les représentants des agriculteurs et du syndicat du reblochon, l'Ordre national des vétérinaires, ainsi que l'association France Nature Environnement(FNE).

Au terme de nos travaux, il apparaît que la stratégie de lutte menée contre la résurgence de la brucellose dans les Alpes françaises n'est régie par le droit de l'Union européenne que dans ses grandes lignes.

D'une part, le droit européen expose des principes généraux, et s'il prescrit des mesures différenciées pour chaque type de maladie animale en fonction de leur dangerosité, il laisse une large marge de manoeuvre aux États membres sur la façon de répondre aux objectifs fixés. Il prévoit également diverses souplesses et dérogations.

D'autre part, la Commission européenne respecte en l'occurrence le principe de subsidiarité, en limitant son intervention à ce qui lui donne une valeur ajoutée, en l'espèce en n'exerçant qu'une surveillance de l'obligation d'action et de résultat assignée aux États membres.

La politique de lutte contre la brucellose suscite néanmoins une certaine frustration du fait de la persistance de l'infection, dont l'éradication définitive peut apparaître comme un horizon à long terme insaisissable, perpétuellement repoussé. S'y ajoute une forte conflictualité : les agriculteurs se plaignent, non sans raison, d'être stigmatisés et vivent l'abattage des troupeaux de bovins contaminés comme l'anéantissement de l'oeuvre d'une vie. Les associations environnementalistes s'inquiètent, pour leur part, d'une insuffisante prise en compte de la fragilité de la faune sauvage.

Ce dialogue de sourds débouche sur de vives contestations sur le terrain, lors de chaque opération de capture des bouquetins, ainsi que sur une multiplication de recours contentieux aboutissant à conférer au tribunal administratif de Grenoble un rôle-clé dans ce dossier.

L'ensemble de ces facteurs nuit gravement à la continuité de la démarche des pouvoirs publics contre la brucellose, dans la mesure où les mesures préconisées par l'Anses n'ont jamais pu être totalement mises en oeuvre : le nombre d'animaux sauvages prélevés chaque année n'a pas été conforme à ce qui était prévu. Il en résulte une stratégie menée par à-coups.

En plus de fournir une analyse du cadre juridique applicable, ce rapport d'information plaide également en faveur d'une application pleine et entière de la stratégie pluriannuelle de constitution d'un noyau sain d'animaux dans la faune sauvage, les bouquetins, conformément à l'esprit des préconisations générales de l'Anses. Il envisage également une clause de rendez-vous d'ici à trois ans, pour évaluer à cette date l'horizon prévisionnel d'éradication de la maladie.

Le déploiement d'une telle stratégie suppose de stabiliser la clé de voûte juridique du dispositif. L'obstacle des annulations successives des arrêtés préfectoraux annuels édictant des mesures de police sanitaire peut être surmonté : les services de l'État pourraient à cet effet, d'une part, prendre désormais ces arrêtés pour une période pluriannuelle, d'autre part, ne pas s'interdire de faire appel devant le Conseil d'État des décisions en référé du tribunal administratif de Grenoble. Enfin, il serait opportun de modifier la rédaction de l'article L. 411-2 du code de l'environnement, qui dispose aujourd'hui que toutes les mesures alternatives doivent être utilisées avant de recourir à l'abattage, et d'indiquer, à la place de cette disposition, que des scientifiques attestent qu'il s'agit de la solution la plus efficace et qu'elle n'empêche pas un état de conservation favorable de l'espèce.

Quant aux opérations de police sanitaire dans les exploitations agricoles touchées par la brucellose, le rapport suggère de prévoir certaines possibilités d'assouplissement ciblé, de nature à améliorer l'acceptabilité sociale des mesures exigées, sans prendre le risque de remettre en cause le précieux statut de pays « indemne de la brucellose » dont bénéficie la France.

En dernière analyse, il convient de dépassionner le débat pour diminuer la conflictualité autour du traitement de la brucellose. Toute l'ambition de ce bref document d'information consiste précisément à fournir les éléments d'un constat partagé, pour permettre à toutes les parties prenantes d'engager un dialogue constructif et de bonne foi.

M. Jean-François Rapin, président . - Il ne s'agit donc pas d'un sujet directement européen, dans la mesure où les États membres disposent d'une certaine latitude. Pour autant, je repère une convergence avec l'expérience de la grippe aviaire en bordure littorale, dans les échanges entre espèces sauvages et espèces d'élevage, mais aussi dans les conflits qui persistent entre les décisions de la Commission européenne et leur application sur le territoire. À ce titre, il s'agit d'un bon exemple d'incompréhension des règles européennes et de leur application sur le territoire.

M. Cyril Pellevat, rapporteur . - En Haute-Savoie, la contamination est passée par deux enfants dans le massif du Bargy, et cela a abouti à des abattages massifs d'animaux décidés par arrêtés, au nom de la stratégie du noyau sain ; cette dernière est systématiquement attaquée par les associations devant le juge des référés, qui leur donne systématiquement raison.

En fonction des préfets, les actions sont plus ou moins fortes ; on nous oppose toujours le degré de protection du bouquetin, mais ce qui ressort, c'est bien le manque de compréhension entre les éleveurs, les services de l'État et les associations de protection de l'environnement. Nous considérions initialement que le noeud d'incompréhension était du ressort de l'Union européenne, mais nous avons pris conscience que nous disposions d'une certaine latitude sur le terrain. Tout abattage suscite une forte émotion dans les associations, mais aussi chez les éleveurs, quand il faut, par exemple, abattre tout un troupeau et perdre des décennies d'amélioration génétique.

Dans le cadre de la stratégie du noyau sain, nous cherchons d'une part à mettre en place une stratégie efficace et conforme aux recommandations de l'Anses en ce qui concerne le bouquetin, et d'autre part à travailler avec les éleveurs pour essayer de déroger à l'abattage total d'un troupeau, dans la mesure où certaines bêtes sont isolées. Il faut retrouver un équilibre entre faune sauvage et élevage. Dans le Bargy, les bouquetins sont vecteurs de la maladie, et s'ajoute maintenant le risque que le loup le soit également.

Mme Pascale Gruny . -La brucellose est un terme que je n'avais plus entendu depuis l'enfance, et dont on ne parle pas ailleurs qu'en France. Dans d'autres pays, il me semble qu'on ne tue pas tout le troupeau : comment fait-on ? Pourquoi n'adoptons-nous pas les mêmes techniques ?

M. Cyril Pellevat, rapporteur . - Je n'ai pas connaissance de foyers en dehors du Bargy, mais nous ne sommes pas à l'abri, car la maladie se transmet par la faune sauvage, même si le taux de prévalence est passé à 5 %, contre 40 % en 2012. L'abattage total est la norme en Europe, mais ne se pratique pas en Suisse. Pour nous, l'enjeu est aussi économique, et concerne notamment la filière du reblochon.

M. Jean-François Rapin, président . - Des programmes de recherche ont-ils été lancés sur la question en Europe ?

M. Cyril Pellevat, rapporteur . - L'Anses mène un suivi régulier de la brucellose, et a récemment étudié des prélèvements réalisés sur les bouquetins abattus. Une thèse a été soutenue sur cette maladie à Lyon, mais je n'ai pas connaissance d'autres travaux de recherche en Europe.

M. André Reichardt . - Comment se manifeste la maladie chez l'homme ?

M. Cyril Pellevat, rapporteur . - Il s'agit d'une pneumopathie qui peut aussi entraîner des atteintes aux reins et une stérilité. La maladie ne se soigne pas, et peut être très dangereuse pour les personnes fragiles. Elle est donc prise au sérieux dans notre région.

La brucellose est dangereuse pour l'homme, même si la transmission interhumaine est très rare. Si nous avons constaté une baisse du taux de prévalence ces dernières années, l'arrivée du loup, qui se déplace énormément, complique la situation.

M. Jean-François Rapin, président . - Il y a 500 000 nouveaux cas humains par an dans le monde. C'est une maladie sérieuse qui peut être dangereuse, comme la borréliose transmise par la tique, si on la laisse se développer et que l'on souffre d'une immunité faible.

M. Cyril Pellevat, rapporteur . - Les deux enfants contaminés ont gardé des séquelles et l'on a recensé quelques rares cas de décès.

La commission adopte le rapport d'information et en autorise la publication.

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