LE RAPPORT

La commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, représentée par une délégation composée de Guillaume Chevrollier, Denise Saint-Pé et Jean-Michel Houllegatte, a participé à la 15 e Conférence des Parties (COP15) à la Convention sur la diversité biologique des Nations Unies à Montréal du 11 au 14 décembre 2022 .

Les rencontres, les échanges avec l'équipe française des négociateurs et la participation à plusieurs événements ont permis à cette délégation d'assister - aux premières loges - à cette séquence de diplomatie environnementale qui a permis l' émergence d'un nouveau cadre mondial en faveur de la biodiversité .

L'Accord de Kunming fixe 23 cibles ; il constitue la nouvelle feuille de route proposée aux États pour enrayer le déclin alarmant de la biodiversité et tendre vers une civilisation écologique et un monde de vie en harmonie avec la nature.

Si l'ambition est noble, la commission rappelle que le cadre n'est pas contraignant et qu'il repose sur une mise en oeuvre par chacun des 195 États. La robustesse de son cadre de suivi et des mécanismes de correction des trajectoires en matière de biodiversité conditionneront l'atteinte effective des objectifs, afin d'éviter le syndrome des « accords de papier » et les ambitions qui restent lettre morte.

I. LA DIFFICILE GENÈSE D'UN CADRE MONDIAL EN FAVEUR DE LA PROTECTION DE LA BIODIVERSITÉ

Organisée du 3 au 14 juin 1992 à Rio de Janeiro, la Conférence des Nations Unies sur l'environnement et le développement (CNUED) - connue du grand public sous l'appellation de « Sommet de la Terre » - s'est conclue par une déclaration , présentée plus loin, qui a fait date et l' adoption de trois traités internationaux :

- la Convention sur la diversité biologique (CDB) ;

- la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) ;

- la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification (CNULD).

Des conférences des Parties (COP, Conference of the parties ) ont été instituées pour chacune de ces conventions. La COP est un terme générique désignant l' organe de décision suprême de chacune des conventions susmentionnées , qui rassemble l'ensemble des États signataires, au cours de rencontres qui durent généralement deux semaines, organisées en veillant à ce que les lieux de réunion respectent l'alternance entre continents.

À ce titre, la COP se voit reconnaître la qualité juridique à prendre des décisions, à dresser des bilans d'application de chaque convention et à fixer de nouveaux objectifs . Elle est assistée pour ce faire par un secrétariat, dont les missions principales consistent à organiser des réunions, préparer des rapports, aider les gouvernements membres dans la mise en oeuvre des différents programmes de travail, ainsi que recueillir et diffuser l'information. Le secrétariat de la convention sur la diversité biologique est situé à Montréal, au Canada.

La fréquence des réunions des 3 COP

Climat : les COP ont lieu annuellement , depuis la première rencontre à Berlin en 1995 jusqu'à la COP27 de novembre 2022 à Charm el-Cheikh.

Biodiversité : les COP sont organisées tous les deux ans , depuis la première à Buenos Aires en 1996 jusqu'à la COP15 à Montréal, sous présidence chinoise, en décembre 2022.

Lutte contre la désertification : les COP se réunissent tous les deux ans , depuis la première édition à Rome en 1997 jusqu'à la COP15 à Abidjan en mai 2022.

La Convention sur la diversité biologique , qui a le statut de traité international, a été ratifiée par 195 pays, ainsi que par l'Union européenne, mais pas par les États-Unis et le Vatican. La Convention repose sur trois piliers :

- la préservation et la conservation de la nature ;

- l'utilisation durable des ressources tirées de la nature ;

- le partage des avantages de l'exploitation des ressources génétiques.

A. DEPUIS LA PRISE DE CONSCIENCE FONDATRICE DE RIO, UNE AMBITION MULTILATÉRALE EN FAVEUR DE LA BIODIVERSITÉ PRESQUE ENTIÈREMENT DÉNUÉE D'EFFETS

La déclaration de Rio sur l'environnement et le développement 1 ( * ) constitue la matrice intellectuelle de la prise de conscience de la nécessité d'oeuvrer « en vue d'accords internationaux qui respectent les intérêts de tous et protègent l'intégrité du système mondial de l'environnement et du développement », dans le but « d'établir un partenariat mondial sur une base nouvelle et équitable en créant des niveaux de coopération nouveaux entre les États, les secteurs clefs de la société et les peuples » en reconnaissant que « la Terre, foyer de l'humanité, constitue un tout marqué par l'interdépendance ». Condensée en quelques phrases, c'est toute la philosophie des COP climat, biodiversité et désertification qui est ainsi fondée.

Les principes proclamés se retrouvent encore aujourd'hui au centre des négociations diplomatiques en matière climatique et environnementale, à l'instar du droit au développement qui « doit être réalisé de façon à satisfaire équitablement les besoins relatifs au développement et à l'environnement des générations présentes et futures » (principe 3), de la reconnaissance que « la protection de l'environnement doit faire partie intégrante du processus de développement et ne peut être considérée isolément » (principe 4). Le principe 7 fonde le principe de solidarité , qui constitue un axe important des négociations et un système d'argumentation utilisé par un grand nombre de pays du Sud, en énonçant que « les États doivent coopérer dans un esprit de partenariat mondial en vue de conserver, de protéger et de rétablir la santé et l'intégrité de l'écosystème terrestre. Étant donné la diversité des rôles joués dans la dégradation de l'environnement mondial, les États ont des responsabilités communes mais différenciées. Les pays développés admettent la responsabilité qui leur incombe dans l'effort international en faveur du développement durable, compte tenu des pressions que leurs sociétés exercent sur l'environnement mondial et des techniques et des ressources financières dont ils disposent. » Le principe 8 incite les États à « réduire et éliminer les modes de production et de consommation non viables ».

Le rôle moteur et essentiel de la participation du public et de la société civile pour la protection de la nature est reconnu par le principe 10, qui proclame que « la meilleure façon de traiter les questions d'environnement est d'assurer la participation de tous les citoyens concernés, au niveau qui convient . Au niveau national, chaque individu doit avoir dûment accès aux informations relatives à l'environnement que détiennent les autorités publiques, y compris aux informations relatives aux substances et activités dangereuses dans leurs collectivités, et avoir la possibilité de participer aux processus de prise de décision. Les États doivent faciliter et encourager la sensibilisation et la participation du public en mettant les informations à la disposition de celui-ci. Un accès effectif à des actions judiciaires et administratives, notamment des réparations et des recours, doit être assuré. »

Autant de principes dont se souviendra la Commission de préparation de la Charte de l'environnement présidée par Yves Coppens, animée de la conscience de « la réduction de la variété du vivant, la « perte de biodiversité », à un rythme qui semble n'avoir jamais connu d'équivalent au cours de l'histoire de la Terre, même à ses périodes de grandes extinctions. » 2 ( * )

Depuis la tenue du premier Sommet de la Terre à Stockholm en 1972, ces rencontres internationales à périodicité décennale visent à promouvoir au niveau international le développement durable en ancrant la notion dans le paysage politique mondial . Après Nairobi en 1982, Rio de Janeiro en 1992, Johannesbourg en 2002, au cours duquel le président Chirac a prononcé la célèbre formule « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs », le dernier sommet en date a eu lieu en 2012 à Rio de Janeiro, mieux connu sous le nom de « Rio+ 20 », dont le principal résultat est l'amorçage de la réflexion autour des Objectifs de développement durable (ODD). Depuis lors, aucun sommet de la Terre n'a été organisé, les COP s'étant imposées comme le format le plus approprié pour aborder au plus haut niveau les solutions et les mesures visant à lutter contre le changement climatique, l'érosion de la biodiversité et la progression de la désertification et des sécheresses .

1. La biodiversité longtemps éclipsée par le climat

Bien qu'il soit désormais largement admis par la communauté scientifique que la crise climatique et celle de la biodiversité sont étroitement liées , l'urgence à agir en matière de lutte contre l'érosion de la biodiversité n'a - jusqu'à récemment - pas été ressentie avec la même acuité, autant par le politique que par la société civile.

Ceci peut s'expliquer par le fait que la prise de conscience politique du caractère gémellaire de ces deux crises est relativement récente. Ainsi que l'avait indiqué Bruno David, président du Muséum d'histoire naturelle, devant la commission en avril 2021, « en matière de biodiversité, nous faisons face aujourd'hui, davantage que par rapport au climat, à un problème d'amnésie. Nous avons tous en mémoire des évènements climatiques extrêmes (tempêtes, inondations, canicules, etc.). En revanche, l'érosion de la biodiversité est plus progressive et par conséquent moins notable. En 15 ans, plus de 50 % des moineaux ont disparu des rues de Paris. On ne le note pas parce que nous y voyons toujours des moineaux. » 3 ( * )

À l'occasion du congrès mondial de la nature (Marseille) en septembre 2021 4 ( * ) , le Président de la République avait insisté à plusieurs reprises sur la nécessaire convergence des mesures climatiques et biodiversité à l'occasion de son discours d'ouverture 5 ( * ) , par l'emploi de formules telles que : « à chaque fois qu'on recrée de la biodiversité, on apporte une solution au dérèglement climatique », « le combat pour la biodiversité est aussi un élément qui permet de répondre aux conséquences du dérèglement climatique » ou encore le constat de l' insuffisance de l'action publique en matière de protection de la biodiversité : « ce que nous avons fait pour le climat, on doit le faire pour la biodiversité ».

Cette convergence est nécessaire pour des raisons scientifiques : ce sont les mêmes causes (principalement la surexploitation des ressources et des écosystèmes par les sociétés humaines) qui conduisent conjointement à ces deux crises 6 ( * ) . Des boucles de rétroaction existent entre le changement climatique et l'extinction de la biodiversité : les changements climatiques ont globalement un impact négatif sur la biodiversité et les écosystèmes. À l'inverse, les écosystèmes terrestres, forestiers et océaniques sont en mesure de capter et contrôler des flux de carbone ou d'azote qui peuvent accélérer ou freiner les changements climatiques. Ceci plaide pour des politiques publiques à double bénéfice , avec des mesures climatiques à co-bénéfices environnementaux et vice versa .

La cause de la biodiversité n'est pas aussi entendue que celle du changement climatique. Le moment charnière qu'ont constitué, pour le climat, la COP21 et l'adoption de l'Accord de Paris du 12 décembre 2015 reste devant nous et la synchronisation des agendas climatiques et biodiversité n'est toujours pas réalisée, alors que les pressions qui s'exercent sur le vivant n'ont jamais été aussi fortes . Le rapport de la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) de 2019 - souvent présenté comme le GIEC de la biodiversité - a ainsi alerté sur le fait que « la nature décline globalement à un rythme sans précédent dans l'histoire humaine » et que « le taux d'extinction des espèces s'accélère, provoquant dès à présent des effets graves sur les populations humaines du monde entier ».

La commission formule donc le voeu que l'Accord de Kunming à Montréal constitue le momentum propice à l' émergence d'une conscience plus forte des enjeux liés à la protection de la biodiversité et de la nécessité de politiques publiques plus volontaristes.

2. L'introuvable indicateur pour favoriser la prise de conscience des menaces pesant sur la biodiversité

Le déclin de la biodiversité est invisible et silencieux . Ses effets ne sont pas immédiatement perceptibles. Le terme de biodiversité, ou diversité biologique, paraît simple au premier abord, mais il recouvre en réalité une pluralité de dimensions.

La biodiversité peut en premier lieu renvoyer à la richesse des espèces , c'est-à-dire au nombre d'espèces présentes au sein d'un écosystème. Elle peut ensuite faire référence à l' abondance des espèces , c'est-à-dire au nombre d'individus que comptent celles-ci, voire aux rapports d'abondances entre celles-ci, c'est-à-dire à leurs prédominances ou raretés respectives. Elle peut également viser le poids et la biomasse des espèces . Elle peut enfin renvoyer aux réseaux d'interactions entre les espèces , c'est-à-dire aux équilibres au sein des écosystèmes et à la capacité homéostatique de ces équilibres à se restaurer ou à se transformer après avoir été perturbés. Le point commun entre ces paramètres est qu'ils échappent à la perception humaine fondée sur l'observation visible et mesurable.

L' érosion de la biodiversité fait désormais l'objet d'un large consensus scientifique . La diminution du nombre de vertébrés est très significative : en moins d'un demi-siècle, les effectifs de plus de 32 000 populations de mammifères, d'oiseaux, d'amphibiens, de reptiles et de poissons ont chuté des deux tiers, soit un rythme de 100 à 1 000 fois supérieur au taux naturel d'extinction . C'est une disparition à bas bruit, moins visible et perceptible que le changement climatique, mais dont les effets sur les écosystèmes et l'économie n'en sont pas moins colossaux.

L'érosion de la biodiversité a des incidences très significatives sur le plan économique, avec des services écosystémiques perturbés et une dégradation du bien-être des populations. La valeur des services rendus par la nature pour l'air, l'eau, l'alimentation est évaluée à 125 000 milliards de dollars par an , soit un montant supérieur au PIB mondial. Selon le Forum économique mondial, près de la moitié du PIB à l'échelle de la planète est lié à la biodiversité, autrement dit à des écosystèmes en bonne santé et à même de fournir des services comme une eau de qualité, la pollinisation des cultures ou la lutte contre les ravageurs de cultures. Selon l'IPBES, l'alimentation et les revenus de 20 % de la population mondiale dépendent des espèces sauvages .

Le rôle fondamental de la biodiversité est très largement sous-estimé , tout comme les conséquences de son déclin. Il y a urgence, en matière de biodiversité, à développer les mêmes instruments que pour le climat , afin de mesurer les impacts et intégrer les risques de l'érosion de la biodiversité dans les systèmes de comptabilité publique et privée. Ainsi que l'a indiqué l'ambassadrice déléguée à l'environnement devant la commission le 9 novembre 2022 7 ( * ) , « l'un des problèmes les plus dirimants pour la protection de la biodiversité est qu'il n'existe pas d'éléments de langage fédérateurs, à l'instar des deux degrés pour le climat ou d'une tonne de carbone. La biodiversité est composite et parle difficilement au plus grand nombre. »

Cinq facteurs principaux sont avancés pour expliquer la dégradation de la biodiversité : le changement d'usage des terres et des mers dû à l'emprise de l'agriculture et de l'urbanisation ; la surexploitation des espèces sauvages, avec pour marqueur le plus évident la surpêche ; le changement climatique, dont l'impact sur la biodiversité est de plus en plus significatif ; la pollution chimique et les espèces exotiques envahissantes. Ces causes se laissent difficilement appréhender par un seul indicateur , même composite.

Il est pourtant essentiel de rappeler, chaque fois que possible, le caractère stratégique de la biodiversité pour le bien-être de l'homme, la santé de la planète et la prospérité économique : nous dépendons notamment d'elle pour notre alimentation, nos médicaments, notre énergie ou encore la pureté de l'air et de l'eau.

Ainsi que l'a pointé The Dasgupta Review , l'économie de la biodiversité 8 ( * ) , un rapport sur les avantages économiques mondiaux de la biodiversité et les coûts et risques économiques liés à son déclin , « la biodiversité permet à la Nature d'être productive, résiliente et capable de s'adapter. Tout comme la diversification d'un portefeuille d'actifs financiers réduit le risque et l'incertitude, la diversification d'un portefeuille d'actifs naturels accroît la résilience de la Nature aux chocs, réduisant ainsi les risques pour les services qu'elle fournit. Réduire la biodiversité, c'est nuire à la Nature et à l'humanité. » Filant la métaphore à l'aide de concepts de la théorie économique néo-classique, le rapport poursuit le constat de la minoration de l'importance de la biodiversité : « la valeur de la Nature pour la société - à savoir, la valeur réelle des divers biens et services qu'elle fournit - ne se reflète pas dans les prix du marché parce qu'une grande partie de la Nature est accessible à tous gratuitement. Ces distorsions de prix nous ont amenés à investir relativement davantage dans d'autres actifs, comme le capital produit, et à sous-investir dans nos actifs naturels. »

De même, insiste le professeur Partha Dasgupta, il s'agit bien plus d'une défaillance institutionnelle que d'une défaillance de marché, dans la mesure où les États ont été impuissants à valoriser les externalités naturelles positives : « presque partout, les gouvernements exacerbent le problème en rémunérant davantage les populations pour l'exploitation que la protection de la Nature, et en privilégiant les activités économiques non durables. Selon une estimation prudente, le coût mondial total des subventions néfastes pour la Nature se situe entre 4 et 6 000 milliards de dollars par an. En outre, nous ne disposons pas des cadres institutionnels nécessaires pour protéger les biens publics mondiaux, tels que l'océan ou les forêts tropicales humides ».

À l'heure actuelle, l' importance vitale de la biodiversité n'est pas suffisamment accessible à la compréhension de tous. La détermination d'un indicateur scientifiquement fondé est essentielle pour ancrer la prise de conscience et la mobilisation politique, comme cela a été le cas avec la hausse moyenne des températures et le volume de gaz à effet de serre émis. Certaines approches proposent de convertir les bénéfices induits par la biodiversité en termes monétaires . Mais comme l'a indiqué l'ambassadrice déléguée chargée de l'environnement lors de son audition du 9 novembre 2022 devant la commission, « traduire la biodiversité sur le plan monétaire semble complexe. Pour intégrer cet aspect dans des normes comptables, une mesure unique de la valeur biodiversité devrait être prise en compte. Or il en existe plusieurs, dont celle développée par la Caisse des dépôts sur la biodiversité, fondée sur la prise en compte du nombre d'espèces moyen par hectare. Des études donnent déjà une valeur à la biodiversité, mais tant qu'un indicateur unique ne sera pas reconnu par tous et intégré dans des modèles standardisés, il sera difficile de comptabiliser la biodiversité dans le PIB. » 9 ( * )

La commission plaide pour que soient élaborés, en faveur de la biodiversité, les mêmes instruments que pour le climat , afin de mesurer les incidences de l'érosion de la biodiversité, tant écosystémiques qu'en termes de comptabilité, afin de bâtir des dynamiques politiques et sociales en faveur de sa protection .

3. La biodiversité ou le souci mineur des politiques publiques

En France, le premier grand jalon législatif est posé par la loi relative à la protection de la nature de 1976 10 ( * ) , qui contient des dispositions novatrices et précurseurs en matière de droit de l'environnement et qui évoque déjà, sans la nommer puisque le concept ne sera forgé que quelques années plus tard, la biodiversité à travers son article 1 er , qui proclame que « la protection des espaces naturels et des paysages, la préservation des espèces animales et végétales, le maintien des équilibres biologiques auxquels ils participent et la protection des ressources naturelles contre toutes les causes de dégradation qui les menacent sont d'intérêt général. »

Le cadre législatif sera ensuite substantiellement renforcé par différentes lois, dont les plus emblématiques sont la loi sur la protection et la mise en valeur des paysages de 1993 11 ( * ) et la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages de 2016 12 ( * ) , à l'origine notamment du principe d'action préventive et de correction , par priorité à la source, des atteintes à l'environnement, qui implique d'« éviter les atteintes à la biodiversité, à défaut les réduire et, en dernier recours, compenser les impacts résiduels », séquence connue du grand public sous le vocable « éviter-réduire-compenser » (ERC).

De plus, la prise de conscience des menaces qui pèsent sur la biodiversité a pris place au plus haut de la hiérarchie des normes , au sein de la Charte de l'environnement, qui intègre le bloc de constitutionnalité en 2005, dont un des considérants précise que « la diversité biologique, l'épanouissement de la personne et le progrès des sociétés humaines sont affectés par certains modes de consommation ou de production et par l'exploitation excessive des ressources naturelles ».

Ainsi, si la prise en compte législative des enjeux de la protection de la nature et de la biodiversité est ancienne, l'action publique et les résultats obtenus en la matière restent largement perfectibles. Ainsi que l'a indiqué le président Macron lors du congrès mondial de la nature en septembre 2021, « nos lois sont aujourd'hui imparfaites et ne permettent pas de tout protéger en matière de biodiversité ».

En ce domaine, la France ne fait pas figure d'exception : des dynamiques similaires en faveur d'une meilleure prise en compte législative de l'environnement et de la biodiversité sont à l'oeuvre dans un grand nombre de pays. Les principes ambitieux posés par le législateur, voire le constituant, ne résistent cependant pas toujours aux arbitrages et aux conciliations auquel le politique doit se résoudre .

Cette situation peut s'expliquer par la nature même du droit de l'environnement, qui ne cesse d' opérer des conciliations entre des principes potentiellement contradictoires , et la manière dont sont conçues les politiques de développement durable. Cette approche repose sur trois piliers : la protection et la mise en valeur de l'environnement qui doit se concilier avec le développement économique et le progrès social.

Si ces principes sont conçus pour être interdépendants et se renforcer mutuellement, leur poursuite simultanée n'est pas toujours aisée : les décisions publiques peuvent conduire, selon les circonstances, à favoriser un pilier au détriment d'un autre. Il apparaît que les intérêts sociaux et économiques bénéficient souvent de relais d'opinion mieux organisés, plus audibles et plus convaincants que ceux de la protection de l'environnement. La protection de la biodiversité emporte des effets lointains, difficilement mesurables et rarement imputables à une action publique donnée, contrairement par exemple à la création ou la sauvegarde d'emplois. La gratification politique de la lutte contre l'érosion de la biodiversité reste encore à trouver .

Au niveau international, l'acuité de cette question est encore plus forte. Contrairement au climat, pour lequel l'articulation entre les efforts locaux et les résultats globaux est mieux établie scientifiquement et par conséquent plus facile à appréhender sur le plan intellectuel, les mécanismes et les dynamiques de la biodiversité sont encore mal connues . Comme l'indiquait le président du Muséum d'histoire naturelle devant la commission en avril 2021 13 ( * ) , « le caractère multidimensionnel et non-déterministe de la biodiversité empêche la réalisation de prédictions. L'évolution biologique s'appréhende comme une histoire, qui n'est pas prédictible, à la différence de la physique ou de la chimie. Il convient donc de demeurer modeste à son encontre, sans avoir l'arrogance de penser pouvoir gérer la biodiversité ».

La tentation d'agir en passager clandestin, en laissant aux autres pays le soin de protéger l'environnement et la biodiversité, est particulièrement forte pour les pays moins avancés . Ceci est d'autant plus dommageable que la plupart des zones critiques de biodiversité sont situées dans les pays du Sud.


* 1 https://www.un.org/french/events/rio92/rio-fp.htm

* 2 Rapport de la Commission Coppens de préparation de la Charte de l'environnement, avril 2005, page 11.

* 3 http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20 210 405/devdur.html#toc11

* 4 Voir, pour plus de détails, le rapport d'information n° 67 (2021-2022) de Guillaume Chevrollier fait au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, consacré au Congrès mondial de la nature, intitulé Menaces sur la biodiversité mondiale : passer des promesses aux actes, déposé le 20 octobre 2021, accessible à l'adresse : http://www.senat.fr/notice-rapport/2021/r21-067-notice.html

* 5 https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2021/09/03/ceremonie-douverture-du-congres-mondial-de-la-nature-de-liucn

* 6 Les enjeux de la convergence des efforts en matière climatique et de biodiversité sont bien présentés par la note de 2021 de l'Institut de recherche pour le développement (IRD), Pourquoi lier la résolution de la crise de la biodiversité à celle de la crise climatique ? (Isabelle Biegala, Olivier Dangles, Nicolas Hubert, Marie-Pierre Ledru, François Le Loc'h, et al.), https://www.ird.fr/sites/ird_fr/files/2021-12/NoteIUCN_Biodiversite %CC %81.pdf .
La bibliographie présentée en annexe de la note est, à cet égard, particulièrement instructive.

* 7 http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20 221 107/atdd.html#toc6

* 8 https://assets.publishing.service.gov.uk/government/uploads/system/uploads/attachment_data/file/970 625/HMT_Dasgupta_Review_Headline_Messages_French.pdf

* 9 http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20221107/atdd.html#toc6

* 10 Loi n° 76-629 du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature

* 11 Loi n° 93-24 du 8 janvier 1993 sur la protection et la mise en valeur des paysages et modifiant certaines dispositions législatives en matière d'enquêtes publiques

* 12 Loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages

* 13 http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20 210 405/devdur.html#toc11

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