N° 357

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 15 février 2023

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable (1) relatif au bilan de la 15 e Conférence des Nations unies sur la biodiversité (COP15) et à l' accord de Kunming-Montréal ,

Par M. Guillaume CHEVROLLIER,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Jean-François Longeot , président ; M. Didier Mandelli, Mmes Nicole Bonnefoy, Marta de Cidrac, MM. Joël Bigot, Rémy Pointereau, Frédéric Marchand, Guillaume Chevrollier, Mme Marie-Claude Varaillas, MM. Jean-Pierre Corbisez, Pierre Médevielle, Ronan Dantec , vice-présidents ; M. Cyril Pellevat, Mme Angèle Préville, MM. Pascal Martin, Bruno Belin , secrétaires ; MM. Jean-Claude Anglars, Jean Bacci, Étienne Blanc, François Calvet, Michel Dagbert, Mme Patricia Demas, MM. Stéphane Demilly, Michel Dennemont, Gilbert-Luc Devinaz, Mme Nassimah Dindar, MM. Gilbert Favreau, Jacques Fernique, Mme Martine Filleul, MM. Fabien Genet, Hervé Gillé, Éric Gold, Daniel Gueret, Mmes Nadège Havet, Christine Herzog, MM. Jean-Michel Houllegatte, Olivier Jacquin, Gérard Lahellec, Mme Laurence Muller-Bronn, MM. Louis-Jean de Nicolaÿ, Philippe Pemezec, Mmes Évelyne Perrot, Marie-Laure Phinera-Horth, Kristina Pluchet, MM. Jean-Paul Prince, Bruno Rojouan, Mme Denise Saint-Pé, MM. Philippe Tabarot, Pierre-Jean Verzelen .

L'ESSENTIEL

La commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, représentée par une délégation composée de Guillaume Chevrollier, Denise Saint-Pé et Jean-Michel Houllegatte, a participé à la 15 e Conférence des Parties (COP15) à la Convention sur la diversité biologique des Nations Unies à Montréal du 11 au 14 décembre 2022 .

Les rencontres, les échanges avec l'équipe française des négociateurs et la participation à plusieurs événements ont permis à cette délégation d'assister - aux premières loges - à cette séquence de diplomatie environnementale qui a permis l'émergence d'un nouveau cadre mondial en faveur de la biodiversité .

L'Accord de Kunming-Montréal fixe 23 cibles ; il constitue la nouvelle feuille de route proposée aux États pour enrayer le déclin alarmant de la biodiversité et tendre vers une civilisation écologique et un monde de vie en harmonie avec la nature .

Si l'ambition est noble, la commission rappelle que le cadre n'est pas contraignant et qu'il repose sur une mise en oeuvre par chacun des 195 États. La robustesse de son cadre de suivi et des mécanismes de correction des trajectoires en matière de biodiversité conditionneront l'atteinte effective des objectifs, afin d' éviter le syndrome des « accords de papier » et les ambitions qui restent lettre morte.

I. LA DIFFICILE GENÈSE D'UN CADRE MONDIAL EN FAVEUR DE LA PROTECTION DE LA BIODIVERSITÉ

A. DEPUIS LA PRISE DE CONSCIENCE FONDATRICE DE RIO, UNE AMBITION MULTILATÉRALE PRESQUE ENTIÈREMENT DÉNUÉE D'EFFETS

La déclaration de Rio sur l'environnement et le développement durable de 1992 constitue la matrice intellectuelle qui a favorisé la création de niveaux de coopération nouveaux entre les États, les secteurs clefs de la société et les peuples.

Les COP climat, biodiversité et désertification sont les héritières de cette prise de conscience. Elles se sont progressivement imposées comme le format le plus approprié pour aborder, au plus haut niveau, les solutions et mesures pour répondre aux urgences climatiques et environnementales .

Cette architecture multilatérale a donné lieu à des actions en faveur de la biodiversité qui ont cependant échoué à enrayer son déclin , pour trois raisons principales.

B. DES CADRES MONDIAUX AMBITIEUX, MAIS NON CONTRAIGNANTS ET DIFFICILEMENT TRANSPOSABLES

Le précédent cadre mondial en faveur de la biodiversité avait été élaboré lors de la COP10 à Nagoya (Japon) en 2010. À cette occasion, 20 cibles connues sous le nom d'« objectifs d'Aichi » ont été fixées pour enrayer le déclin de la biodiversité.

Agir sur l'ensemble des facteurs sous-jacents à la perte de biodiversité , en réduisant les pressions qui s'exercent sur elle, favorisant l'utilisation durable des ressources et renforçant les avantages tirés des services écosystémiques : tels étaient les objectifs de ce cadre transversal. Au regard des connaissances scientifiques alors disponibles, la pertinence du cadre était indéniable, mais l' ambition initiale s'est corrodée pour plusieurs raisons .

Au cours de la décennie 2010-2020, la biodiversité a poursuivi son déclin à un rythme sans précédent et les pressions sur le vivant n'ont cessé de s'intensifier. Les chiffres sont alarmants : en moins d'un demi-siècle, les effectifs de plus de 32 000 espèces animales ont chuté des deux tiers, soit un rythme de 100 à 1000 fois supérieur au taux naturel d'extinction .

L'érosion de la biodiversité a eu en parallèle des incidences économiques pour le moins dommageables : la valeur des services rendus par la nature pour l'air, l'eau et l'alimentation est évaluée à 125 000 milliards de dollars par an , un montant supérieur au PIB mondial ! Les États n'ont pas su correctement valoriser les externalités naturelles positives .

L'analyse approfondie de cet échec a cependant permis de dégager des axes d'amélioration, a mis l'accent sur les erreurs à ne plus commettre et identifié les lacunes du cadre mondial antérieur. Forts de cette « cartographie des bancs de sable », les négociateurs de la COP15 ont pu élaborer des mesures plus réalistes, compréhensibles, mieux intégrables et évaluables .

II. UN ACCORD OBTENU SUR LE FIL : MALGRÉ UNE INDÉNIABLE AMBITION, TOUT RESTE À FAIRE

A. DES AVANCÉES NOTABLES ET LA PROMESSE D'UN ÉLAN TRANSFORMATEUR EN FAVEUR DE LA BIODIVERSITÉ...

L'homme se définit non par ce qu'il crée, mais par ce qu'il choisit de ne pas détruire.

Edward Osborne Wilson, entomologiste

L'accord de Kunming à Montréal s'appuie sur un cadre à double détente , articulé autour d'une vision pour 2050 et de 23 cibles à atteindre d'ici à 2030 .

Tirant les leçons de l'échec des objectifs d'Aichi, il est fondé sur la conviction qu'une action politique urgente est nécessaire à l'échelle mondiale, régionale et nationale pour parvenir à un monde de vie en harmonie avec la nature et enrayer la perte de biodiversité. C'est la raison pour laquelle l'action est au coeur du dispositif , en s'appuyant, pour y parvenir, sur des indicateurs chiffrés pour évaluer les résultats et mesurer le chemin restant à parcourir.

Au regard des ambitions initiales de la France, ce nouveau cadre mondial est un indéniable succès de diplomatie environnementale . Il opère, en effet, une synthèse qui fait la part belle aux objectifs défendus par la coalition de la Haute ambition pour la nature et les peuples, que la France copréside avec le Costa Rica. L'accord est fondé sur la conviction que la biodiversité soutient tous les systèmes de vie sur terre et que de puissants facteurs contribuent à sa dégradation, mais qu'il est possible de les atténuer et de progressivement les éliminer.

Étant donné les deux années de retard pris pour l'élaboration de ce nouveau cadre, l'ambition d'atteindre toutes ces cibles en moins de huit années apparaît pour le moins optimiste .

B.... DONT LE SUCCÈS DÉPENDRA DU BON VOULOIR DES ÉTATS...

En raison du caractère non contraignant de l'accord , le cadre de mise en oeuvre s'appuie sur une logique de subsidiarité et un mécanisme décentralisé . L'avantage de ce système est d'offrir aux États le choix des voies, des instruments et des moyens pour préserver la biodiversité et enrayer son déclin en fonction des spécificités propres à leur territoire, à leur système institutionnel et aux mécanismes de conservation de la nature qu'ils ont déjà mis en oeuvre.

Ce mécanisme de déclinaison complexifie, en revanche, les mécanismes d'évaluation de l'application du cadre ainsi que la rectification des trajectoires si les mesures prises ne permettent pas l'atteinte des cibles. Remplir les objectifs suppose donc de robustes mécanismes de responsabilité et de transparence et une évaluation rigoureuse dans le cadre des prochaines COP consacrées à la biodiversité.

La réussite de l'accord dépendra donc étroitement du niveau d'ambition des États , des moyens consacrés aux politiques nationales en faveur de la biodiversité et de l'efficacité des mesures de protection mises en oeuvre. Ce dispositif, qui garantit la souplesse et l'agilité du cadre, porte en germe sa principale fragilité.

C.... DES MOYENS FINANCIERS ET HUMAINS CONSACRÉS À LA PRÉSERVATION DE LA BIODIVERSITÉ...

La réussite de l'accord implique une mobilisation financière sans précédent pour la gestion des aires protégées, la restauration de la nature, les moyens de contrôle des atteintes à la biodiversité, le soutien aux transformations agricoles, la solidarité internationale en faveur des pays en développement, etc.

Quel que soit le niveau d'ambition, la mobilisation de moyens nouveaux sera nécessaire de la part des États, mais également des collectivités locales. En parallèle, un changement significatif de la trajectoire des dépenses publiques devra être engagé pour réduire les subventions dommageables à la biodiversité , qui sont 5 à 6 fois supérieures aux dépenses positives au niveau mondial selon l'OCDE et 4,4 fois plus élevées en France.

En parallèle, une réforme de la fiscalité pour prendre en compte beaucoup plus substantiellement le « coût fiscal » de l'érosion de la biodiversité et de l'artificialisation des sols est indispensable pour l'atteinte des objectifs fixés par la COP15.

D.... ET DE LA COHÉRENCE DES POLITIQUES PUBLIQUES

La réussite de l'accord de Kunming à Montréal implique de veiller à ce que les effets des politiques environnementales ne soient pas annihilés par des politiques agricoles, industrielles ou économiques qui nuisent à l'environnement. La biodiversité est une dimension qui doit s'intégrer dans toutes les politiques et ce dès leur conception.

Sans cet effort de cohérence, le cadre élaboré à Montréal ne sera qu'un accord de papier, une compilation d'intentions et un cap impossible à tenir.

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