C. LES ENSEIGNEMENTS DES INTERVENTIONS EN CÔTE D'IVOIRE ET AU MALI

Deux interventions des armées françaises sont plus particulièrement riches d'enseignements : celle en Côte d'Ivoire dans les années 2000 et celle, plus récente, au Mali , pays où l'action française s'est heurtée de manière paroxystique aux difficultés qu'elle risque aussi de rencontrer dans le golfe de Guinée à l'avenir.

1. En Côte d'Ivoire : un équilibre instable

En Côte d'Ivoire d'abord, conformément à la volonté de rompre avec la politique menée jusqu'alors, la France n'est pas intervenue pour soutenir Henry Konan Bédié lors d'un coup d'Etat fin 1999, permettant ainsi l'élection de l'opposant politique Laurent Gbagbo. Toutefois, Paris décide d'intervenir en 2002 lorsqu'une insurrection au nord du pays conduit le nouveau président à demander l'assistance de Paris. La France lance alors l'opération Licorne , mais s'en tient à une interposition entre les deux forces, mécontentant les deux camps.

Malgré les accords de Marcoussis signés sous l'égide de la France en 2003, le conflit ne s'apaise pas et les forces ivoiriennes finissent par bombarder en novembre 2004 le camp français de Bouaké, tuant 9 militaires français et faisant des dizaines de blessés. La crise ne trouvera son épilogue qu'avec l'élection d'Alassane Ouattara en 2011 et l'arrestation de Laurent Gbagbo. Le conflit aura ainsi illustré la difficulté pour la France d'adopter une nouvelle politique cohérente face aux crises de régime des pays de l'Afrique de l'Ouest .

2. L'épilogue douloureux de l'intervention sahélienne

De même, la lutte contre le terrorisme au Mali puis dans le Sahel a mis en exergue les difficultés d'un tel engagement dans un « environnement » politique régional de plus en plus hostile à la France . Après le premier engagement de l'opération Serval , qui a permis de stopper radicalement l'avancée des groupes armés vers le sud du Mali, l'opération Barkhane visait à affaiblir suffisamment les groupes djihadistes par une action militaire continue, de manière à les « mettre à la portée » de l'armée malienne reconstruite, par ailleurs formée par le biais de l'opération européenne EUTM, le maintien de la paix devant être assuré par la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA). Dans un deuxième temps, après le sommet de Pau, Cette stratégie a été complétée par la mise en place sur le plan politique et militaire d'un « G5 Sahel » rassemblant les pays de la région et disposant d'une « force conjointe » d'intervention, et sur le plan du développement par un effort international de financement bientôt unifié sous la bannière de l'Alliance Sahel à l'initiative de la France et de l'Allemagne. Pendant la mise en oeuvre de cette stratégie multidimensionnelle, il était attendu des autorités maliennes qu'elles mettent en oeuvre les accords d'Alger de mai-juin 2015 afin de mettre fin aux causes politiques et sociales de l'insurrection , et qu'elles restaurent l'autorité de l'État par la réforme de l'appareil sécuritaire (avec l'aide de la mission européenne EUCAP police) et par le retour des autorités politiques dans le nord du pays. Les autorités maliennes n'y sont pas parvenues. Ce revers a prouvé d'emblée que l'action militaire ne peut constituer une solution à elle seule et qu'elle doit être complétée par un renforcement de l'État démocratique .

Par la suite, la France a tenté d'impliquer davantage ses partenaires européens et y est parvenue dans une certaine mesure en mettant sur pied les forces armées maliennes Takuba , groupement de forces spéciales de douze pays devant appuyer les (FAMA) au combat, opérationnel au début de 2021.

Cependant chacune des dimensions de cette stratégie a été confrontée à des difficultés . Le combat militaire contre les groupes terroristes a certes rencontré un certain succès, notamment après le sommet de Pau et les nombreuses opérations qui ont suivi dans la région des « trois frontières » contre l'« Etat islamique au grand Sahara ». Toutefois, si l'ampleur des attaques a indéniablement diminué, elles n'ont pas cessé.

Par ailleurs, les parties n'ont pas montré de bonne volonté dans la mise en oeuvre de l'accord d'Alger . La complexité de la situation dans le Nord du pays, avec les multiples groupes armés impliqués, n'a pas permis de mener une action décisive et a conduit les autorités maliennes à reprocher à la France de ne « pas choisir son camp » entre les groupes insurrectionnels. Le retour des représentants de l'Etat dans le Nord est globalement resté lettre morte.

Les FAMA, quant à elles, ont repris progressivement le chemin des combats. Toutefois, d'une part, il est apparu que la reconstruction d'une armée à ce point affaiblie était un processus de très longue haleine , d'autre part, les accusations d'exactions à leur encontre n'ont jamais totalement cessé. Le G5 Sahel a rencontré des difficultés de financement et ne semble pas avoir apporté de valeur ajoutée décisive par rapport aux armées nationales des pays qui le composaient, par ailleurs accaparées par des troubles à l'intérieur de leurs frontières, comme dans le cas du Tchad lors des affrontements ayant conduit à la mort du président Idriss Déby. L'effort d'aide au développement s'est heurté à la difficulté d'intervenir dans une région minée par l'insécurité et à la durée incompressible (malgré un effort important de bailleurs comme l'AFD pour réduire leurs délais d'intervention) des projets de développement.

En outre, la relation diplomatique franco-malienne s'est progressivement dégradée . Le pari du renforcement d'un État démocratique apte à prendre progressivement la relève des forces françaises a été perdu , notamment sous l'effet d'un immobilisme de la partie malienne qui ne trouvait pas suffisamment d'intérêt à fournir les contreparties politiques et administratives demandées par la France et ses partenaires, l'image de la France s'est dégradée alors que le conflit contre les terroristes se poursuivait dans la durée. La France a ainsi été mise en cause par des théories conspirationnistes lui prêtant une volonté néo-colonisatrice et s'étonnant qu'elle ne parvienne pas à éradiquer les groupes terroristes malgré sa supposée toute-puissance militaire. La succession des deux coups d'Etat a conduit le Mali à s'éloigner définitivement de la feuille de route démocratique , d'autant que la Russie et le groupe Wagner n'ont mis aucune conditionnalité de ce type à leur soutien. Dès lors, la rupture avec la France fut consommée, ce qui conduisit rapidement à la fin de l'opération Barkhane .

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