D. MESURER SES FORCES

Les intérêts français et européens dans le golfe de Guinée mais aussi les enseignements des interventions récentes, notamment au Sahel doivent conduire à réfléchir aux évolutions souhaitables de ce dispositif français.

Ainsi, avant d'envisager une nouvelle stratégie pour le golfe de Guinée, il faut d'abord s'interroger sur ce que la France est en mesure d'accomplir concrètement, avec les moyens dont elle dispose, dans cette région du monde. Il est possible de s'appuyer sur l'étude de l'IFRI intitulée « Après Barkhane, Repenser la posture stratégique française en Afrique de l'Ouest », de Laurent Bansept et Elie Tenenbaum, qui passe en revue tous les facteurs des difficultés rencontrées dans la période récente par la France en Afrique de l'Ouest et recense les pistes pour y remédier.

À cet égard, malgré des succès indéniables, l'évolution des événements au Sahel incite à la modestie , voire à la retenue. Un grand nombre de facteurs sont en effet hors de portée d'une action à court et moyen terme . Aussi parfaite qu'on puisse la supposer, même une stratégie minutieuse, définie au bon niveau de globalité, prévoyant une coordination précise des différents instruments (diplomatie, armée, aide au développement), et soutenue par des moyens financiers massifs, peut échouer du fait de la conjonction de facteurs imprévisibles ou bien, plus probablement, parce qu'elle ne pèse pas assez par rapport à des facteurs structurels enracinés comme des conflits politiques et sociaux anciens, la mauvaise gouvernance et la corruption, la détérioration de la situation économique consécutive à une pandémie ou à un choc sur les matières premières ou encore une mauvaise image de la France qui n'a pas su faire évoluer suffisamment son discours sur le passé commun avec ces pays et sur les défis à affronter ensemble. Les pesanteurs historiques jouent également un rôle important : la révolte ou les exactions commises au nom du djihad ne datent pas des années 2000, de l'apparition d'Al Queda et de l'EI ou même de la propagation des idées et des financements en provenance du Moyen-Orient wahhabite : elles constituent depuis au moins un siècle et demi des phénomènes récurrents en Afrique de l'Ouest. Enfin, les compétiteurs stratégiques sont désormais nombreux et « décomplexés ».

Face à ces facteurs structurels, sur lesquels l'aide publique au développement d'efforce d'agir en profondeur, des résultats ne peuvent être obtenus qu'à long, voire très long terme . Or les pays qui souhaitent contribuer à la stabilité de la région font face à une « inconcordance des temps » qui les oblige, dans le cadre du système démocratique mais aussi médiatique, à présenter rapidement et régulièrement des résultats, des preuves de l'efficacité de leur action. Cette exigence, certes parfaitement légitime, peut cependant conduire, soit à majorer des succès qui ne sont que conjoncturels (la présentation régulière d'un bilan en termes de nombre de terroriste neutralisés), soit, inversement, à condamner une intervention au bout de quelques mois ou années sans lui avoir laissé le temps de porter tous ses fruits. De même, sur la durée, les populations des pays concernés ne peuvent manquer de percevoir la présence armée d'un Etat étranger comme une forme d' « occupation ». Dès lors, toute intervention qui s'inscrit dans le temps long doit nécessairement faire preuve d'une certaine discrétion .

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