E. FAIRE ÉVOLUER L'OFFRE STRATÉGIQUE FRANÇAISE POUR MIEUX LUTTER CONTRE LE DJIHADISME ET LA CRIMINALITÉ INTERNATIONALE

Depuis des décennies, la France aide les armées des pays francophones d'Afrique de l'Ouest en conseillant, formant, entraînant leurs militaires. Or, ce type de soutien au long cours n'a pas toujours fait preuve d'une efficacité suffisante . La construction d'une armée solide dépend de facteurs complexes et qui se forgent sur la très longue durée , quels que soient les moyens matériels et humains mis en oeuvre pour former ou entraîner des militaires d'armées locales. La régularité du paiement des soldes, les conditions de vie des soldats et de leurs familles et leur environnement social (présence ou non de groupes antagonistes à proximité), le soutien ou l'absence de soutien du pouvoir politique et de la population, l'existence d'une garde prétorienne ayant pour rôle de protéger le pouvoir y compris contre son armée, etc., peuvent influer sur la formation d'une armée et appuyer ou au contraire rendre vains les efforts accomplis pour la former et l'entraîner.

De même, dans des pays dont la population est parfois divisée selon des clivages profonds, géographiques ou autres, l'armée peut apparaître comme prédatrice pour une partie de la population , et son renforcement rendre finalement plus probables des atteintes aux droits de l'homme si sa formation en matière de droit des conflits n'est pas assurée dans le même temps. Ainsi, la construction d'une armée efficace, prête à affronter l'ennemi et soumise au pouvoir démocratique est un processus de très longue haleine et plein d'incertitudes . Les pays qui ont bénéficié d'une aide de la France dans ce domaine en sont eux-mêmes conscients et ne plébiscitent plus ce genre de soutien.

Par ailleurs, l'appui au combat n'est pas non plus un remède infaillible car il a tendance à mettre en exergue les faiblesses des armées ainsi appuyées et à susciter l'incompréhension des populations, qui y voient une intrusion dans des prérogatives de souveraineté.

Selon Bansept et Tenenbaum, cette situation plaide pour une évolution vers « une logique moins structurelle , au profit d'une logique de financement et d'équipement d'une part et d'appui opérationnel d'autre part, notamment en matière de renseignement, de logistique et d'appui-feu (terrestre ou aérien) ». Ces auteurs, indiquant que cette approche a jusqu'à présent été très peu mise en oeuvre par les armées françaises, notent qu'elle a été pratiquée dans une certaine mesure pendant l'opération Chammal au Moyen-Orient.

À titre d'exemple, lors de son déplacement au Nigeria, la mission a constaté que la situation pouvait être favorable à la fourniture d'équipements, notamment en matière de capacités de renseignement . En effet, le Nigéria réalise, depuis plus de deux ans, un effort budgétaire très significatif pour moderniser ses équipements et les entreprises françaises y sont appréciées malgré un environnement très concurrentiel. Un séminaire des entreprises de défense françaises a ainsi été réalisé en avril 2022. De même, l'expertise que la France a pu développer en matière de renseignement sur les groupes djihadistes sahéliens pourrait, à la demande du pays, déboucher sur un renforcement de la coopération opérationnelle dans le nord-ouest du pays , où le banditisme et le terrorisme cherchent à étendre leur emprise.

La deuxième réflexion doit porter sur l'évolution des bases militaires des Forces françaises de présence au Sénégal, en Côte d'Ivoire et au Gabon . Il faut d'abord tenir compte du fait que l'effectif des bases est déjà passé de 8 000 hommes au début des années 90 à 1 600 aujourd'hui . Par ailleurs, ces bases sécurisent les ressortissants français, nombreux dans la région : 150 000 Français vivent au Sud du Sahara , surtout en Afrique de l'Ouest. Cette sécurisation bénéficie d'ailleurs implicitement aussi aux partenaires européens.

La question des bases est étroitement liée à celle de la capacité à mener des opérations lourdes dans l'urgence . S'il est entendu que l'armée française n'a plus vocation à intervenir pour soutenir des régimes, faut-il s'interdire toute opération significative en cas de péril majeur pour les ressortissants français ? Par ailleurs, on ne peut exclure complètement le risque de développement d'un sanctuaire terroriste qui servirait de base pour des actions projetées en France, ce qui poserait alors de nouveau la question d'une intervention, fût-elle ponctuelle contrairement à Barkhane . Or les nouveaux transports aériens comme l'A400M constituent un apport très utile mais ils ne permettent pas de transporter plus de quelques véhicules lourds. La distance par rapport au territoire national implique donc de conserver une logistique importante sur place.

En outre, les bases constituent des relais d'influence permanente pour la France , permettant de garder des contacts sur la durée et de développer des connaissances précieuses, même en dehors de toute intervention. D'ailleurs, elles ne focalisent pas spécialement le sentiment anti-français.

L'étude précitée de l'IFRI recense néanmoins trois manières d'accroître encore l'« acceptabilité » des implantations militaires françaises. D'abord l'«invisibilisation », à l'instar de ce que pratiquent les forces américaines, avec des empreintes légères et réversibles, voire une intégration au sein de bases locales. Cela peut-être au contraire une stratégie d'ouverture, en organisant des visites pour les journalistes, en mettant en valeur les offres d'emplois pour les locaux. Enfin le projet de « co-basing » porté par la France au sein de la Coopération structurée permanente (CSP) de l'UE peut permettre une mutualisation de certaines activités des forces pré-positionnées, notamment en matière de soutien.

Remettre en cause le primat de la formation des officiers et de l'appui au combat, pour développer une logique de financement d'équipements ou encore d'appui en renseignement.

Préserver les bases militaires des Forces de présence afin de conserver une capacité crédible d'intervention dans les situations exceptionnelles, en capitalisant sur leurs retombées en termes d'influence locale.

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