B. L'UNICITÉ DE COMMANDEMENT AU NIVEAU LOCAL

1. Un responsable hiérarchique dont l'indépendance par rapport au politique quant aux missions judiciaires de la police doit être assurée
a) Prendre la mesure du changement de perspective qu'implique le poste de DDPN

Le choix des futurs directeurs départementaux de la police nationale est un point qui a d'emblée préoccupé la direction générale de la police nationale. L'évaluation des expérimentations ayant fait apparaître que leur succès dépendait fortement de la qualité des personnes retenues comme préfigurateurs, la question du profil des futurs DDPN est essentielle. Or, à cet égard, si la connaissance de l'ensemble des composantes de la future filière judiciaire est incontournable, la nécessité d'une vision globale des différentes missions de la police s'impose également. Les actuels directeurs départementaux de la sécurité publique ont ainsi légitimement pu faire valoir leur expérience tant en matière d'interventions et de maintien de l'ordre que pour l'investigation judiciaire. Il n'est donc pas souhaitable que les futurs DDPN soient tous issus de la police judiciaire.

Dans une perspective de stricte gestion des ressources humaines, la création des DDPN aboutira nécessairement à la réduction des perspectives d'accès aux postes de direction pour les cadres des différentes filières de la police nationale . L'autorité du futur directeur doit donc être incontestable et son implication dans la gestion des différentes missions effective, afin ne pas conduire à la reconstitution de tuyaux d'orgue dont ses adjoints en charge des différentes filières seraient les véritables responsables.

A minima une formation spécifique à ce nouveau métier doit être mise en place avant toute prise de poste . Elle doit permettre aux futurs directeurs de créer et de gérer de véritables équipes de police nationale, capables d'agir conjointement et disposant de moyens pour assurer efficacement la grande diversité et la charge des missions qui leur sont confiées. L'Académie de Police de Montpellier pourrait être le lieu de ces formations.

C'est en tant que porteurs d'un nouveau projet et non en tant que représentants de l'une des filières métier qu'ils doivent mener leur action. Sélectionner ceux qui seront capables de porter et de mettre en oeuvre cette ambition sur le court et moyen terme est sans doute l'un des défis les plus ambitieux de la réforme et nécessite la définition d'un mandat clair et l'élaboration de méthodes de management adéquates.

b) La notation des futurs DDPN par les procureurs est un élément essentiel de l'équilibre de la réforme

Pour garantir la prise en compte des missions de la filière judiciaire, l'habilitation OPJ des futurs directeurs départementaux doit être systématique. Ceci permettra que leur action fasse l'objet d'une notation par les procureurs de la République. Cette note doit compter effectivement pour l'avancement des DDPN. De même, la note des OPJ postulant au poste de DDPN doit peser sur la possibilité pour eux d'accéder à ces fonctions.

Les rapporteurs considèrent que cette obligation d'habilitation et cette double notation systématique doivent également permettre de lever toute inquiétude quant à l'information des préfets sur les affaires judiciaires en cours. Comme l'ont souligné plusieurs magistrats, les réunions des DDSP et des directeurs des services de police judiciaire avec les préfets ont toujours fait partie de leurs missions. La compétence étendue sur la filière investigation des DDPN ne devrait pas poser plus de difficulté pour déterminer ce qu'il importe au préfet de connaître (et à quel moment) et ce qui relève du secret de l'enquête . À l'inverse, il incombera au DDPN de garantir ce secret, notamment en assurant que seules les informations non couvertes sont fournies à la presse par des agents placés sous son autorité . La culture des différents services en la matière a été présentée aux rapporteurs comme variable, au point, pour certains magistrats, de remettre en question la possibilité d'un état-major unique en matière d'investigation. Seule une attention rigoureuse à la déontologie professionnelle pourra prévenir d'éventuelles dérives liées à une plus grande circulation de l'information au sein de la filière judiciaire du département, mais le risque semble moins fort du côté de l'autorité préfectorale que de la presse, voire d'acteurs privés.

Ce n'est en fait pas tant au niveau des affaires sensibles que se joue le risque « d'immixtion » des préfets, la réforme n'apportant pas de réelle transformation dans l'interaction entre autorités policières et préfectorales. C'est plutôt dans la définition même de la politique pénale que pourrait naître une concurrence entre préfets et procureurs si des garanties suffisantes n'étaient pas mises en place.

Proposition n° 2 :  Mettre en place une formation spécifique des futurs DDPN destinée à favoriser l'acquisition d'une vision véritablement transversale des missions et des moyens disponibles, ainsi que la maîtrise des leviers à mobiliser pour optimiser leur allocation. Prévoir l'habilitation en tant qu'OPJ comme condition pour l'accès à ces fonctions.

2. Une clarification nécessaire de la dichotomie entre autorité hiérarchique et fonctionnelle

Malgré la mise en place d'un commandement unique, les différentes spécialisations de la police nationale à l'échelon territorial n'ont pas vocation à disparaître. Or celles-ci doivent pouvoir s'appuyer sur des échelons territoriaux situés entre le département et le niveau national. Comme l'a souligné d'emblée le ministre de l'intérieur, les directions centrales de la police nationale n'ont pas vocation à disparaître et un échelon zonal sera également préservé. L'articulation entre des spécialisations qui doivent pouvoir dépasser le cadre départemental et l'unicité du commandement exercé par le directeur départemental de la police nationale s'effectuera au travers de la notion de filières et de la mise en place d'une dichotomie entre autorité hiérarchique - attribuée au DDPN - et autorité fonctionnelle - attribuée aux échelons supérieurs au sein de la filière.

La clarification des compétences de chacun et des moyens à leur disposition sera donc essentielle au bon déroulement de la réforme . Le fait que le DDPN soit secondé par des responsables des différentes filières au niveau départemental a été présenté aux rapporteurs comme la garantie qu'aucun aspect de l'activité policière ne pourrait être durablement négligé. En effet, l'absence d'intérêt d'un DDPN pour la filière investigation entraînerait un signalement à la hiérarchie fonctionnelle par son adjoint en charge de la filière au niveau départemental et un rééquilibrage. Cette solution est à la fois rassurante et inquiétante : rassurante car elle offre la possibilité d'une voie de recours face à une autorité unique qui n'exercerait pas sa mission dans toute son étendue ; inquiétante car elle offre la possibilité de création d'un contre-pouvoir susceptible de faire appel à l'échelon territorial supérieur pour remettre en cause les orientations prises par le responsable départemental.

Il est donc nécessaire que les échelons supra-départementaux des filières ne disposent que d'une autorité fonctionnelle sur les agents et que l'autorité hiérarchique relève du seul DDPN, qu'il exercera principalement au regard de la progression de carrière. Cela suppose de manière inséparable que des moyens suffisants soient mis à sa disposition. En effet, une autorité fonctionnelle disposant de la faculté d'allocation de moyens matériels assumera en pratique plus de responsabilités opérationnelles qu'une autorité hiérarchique réduite à une fonction de contrôle.

En matière de police judiciaire, la difficulté d'articulation peut se poser de manière encore plus nette. En effet, le code de procédure pénale définit l'autorité des procureurs de la République, qui assurent la direction de son exercice (article 12). L'article 19-1 dispose que : « La notation par le procureur général de l'officier de police judiciaire habilité est prise en compte pour toute décision d'avancement. » L'autorité d'emploi exercée par les magistrats, garantie par la loi, s'appuie ainsi sur la notation des fonctionnaires et la garantie d'une prise en compte de celle-ci.

Le risque pointé pour la filière judiciaire a donc été celui de la création d'une triple hiérarchie , celle du DDPN, de l'adjoint au directeur zonal en charge de la filière judiciaire et des magistrats en charge de l'enquête. Si la coexistence de liens hiérarchiques de nature différente existe déjà dans une certaine mesure, la réorganisation pourrait en effet accroître le risque de concurrence entre les autorités en présence. Face à la multiplication d'autorités, la nécessité pour les magistrats de trouver le bon interlocuteur sera renforcée. Les rapporteurs considèrent cependant que la réforme peut surmonter cette difficulté. De fait, le DDPN et ses services d'investigation resteront dans tous les cas soumis à l'autorité d'emploi du procureur pour l'exercice de leurs missions de police judiciaire.

La coexistence de deux autorités, hiérarchique et fonctionnelle au sein de la police nationale est une innovation du projet de réforme. Son succès repose sur la garantie que l'autorité fonctionnelle au sein des filières ne se transforme pas en autorité hiérarchique de fait. Il appartiendra au pouvoir réglementaire de s'en assurer en définissant la répartition exacte des compétences entre les différents acteurs.

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