C. LES MÉCANISMES D'AIDE À L'INSTALLATION, BIEN QUE CONSÉQUENTS, APPARAISSENT DISSÉMINÉS ET INSUFFISAMMENT CIBLÉS

1. Des mécanismes d'aide à l'installation variés et conséquents

L'enquête conduite par la Cour présente le panel des différents dispositifs d'aide à l'installation des agriculteurs en France. Les rapporteurs spéciaux retiennent qu'il en existe deux grands types :

- le programme d'accompagnement à l'installation et à la transmission en agriculture (AITA), destiné à tous les candidats sans critère d'âge ;

- les aides directes ou indirectes, majoritairement ciblées sur les moins de 40 ans ou les bénéficiaires de la dotation jeune agriculteur (DJA).

Ce total comprend, d'une part, des dépenses fiscales et des exonérations de cotisations sociales, et d'autre part des dépenses budgétaires incluant la dotation jeunes agriculteurs (DJA), le paiement additionnel jeunes agriculteurs, l'AITA ainsi que des aides régionales. Les rapporteurs spéciaux renvoient à l'enquête pour davantage de détails quant à l'étendue des mécanismes concernés, mais ils soulignent leur grande variété. Cette variété correspond à l'intention louable de répondre à des situations initiales différentes mais, à défaut de véritables critères de performance (cf. infra), les rapporteurs s'interrogent sur un resserrement, à terme, de certains dispositifs.

Le seul programme AITA comporte six volets13(*) regroupant 18 dispositifs, dont les deux-tiers (12 sur 18) sont cofinancés par l'État et les régions, tandis que six dispositifs sont financés par un seul niveau (trois par l'État et trois par les seules régions).

Pour chacun de ces six volets, les acteurs compétents sont nombreux et de surcroît, ils différent d'un territoire à l'autre, ce qui rend peu pertinentes certaines comparaisons. S'agissant par exemple du premier volet, portant sur l'accueil des porteurs de projets, les rapporteurs soulignent le fait que les « points accueil installation » (PAI) qui constituent un guichet unique, à l'échelle départementale, conduisant aux dispositifs d'aide à l'installation, ne relèvent pas des mêmes acteurs d'un département à l'autre. Le label PAI est attribué sur le fondement d'une mise en concurrence relevant du préfet de région, après avis du président du conseil régional et du comité régional d'installation transmission (CRIT), pour trois ans.

Certes, le cahier des charges a été défini nationalement, et en théorie la marge d'adaptation régionale sur les PAI est limitée, mais les organismes auditionnés par les rapporteurs ont fait état de disparités résultant de cette situation. Les structures labellisées sont donc tenues de respecter, a minima des engagements en termes de moyens pour accueillir les candidats à l'installation mais, dans la pratique, il existe presque autant de situations que d'organismes labélisés PAI., ainsi que l'illustre le document suivant.

Organisme en charge du Label PAI
pour chacun des départements de la France hexagonale

Source : Annexe 11 de l'enquête de la Cour des comptes

Dans la majeure partie des départements, les chambres départementales ou régionales d'agriculture constituent la structure labélisée PAI. Dans les autres départements, la labélisation a été orientée vers le syndicat Jeunes Agriculteurs ou vers les associations de développement, d'aménagement et de services en environnement et agriculture (ADASEA) ou déléguées à ces deux dernières structures par d'autres associations.

De la même manière, le volet « préparation à l'installation » de l'AITA relève dans chaque département de divers réseaux professionnels qui ne travaillent pas suffisamment ensemble. Concrètement, tout porteur de projet préalablement accueilli par le PAI et ayant réalisé un auto-diagnostic, qu'il soit ou non éligible aux aides à l'installation, se voit potentiellement ouvrir l'accès aux centres d'élaboration du plan de professionnalisation personnalisé (CEPPP). Là aussi, un label est attribué pour trois ans dans des conditions similaires à celles du PAI (un label « CEPPP »). Il en résulte des situations, dans un même département, où l'organisme labélisé PAI n'est pas le même organisme que celui labélisé CEPP, ce qui peut évidemment créer des problèmes de fluidité entre les deux volets qui sont pourtant des maillons d'une même chaîne. De plus, en théorie, les formations proposées doivent couvrir tous les systèmes de production agricole, mais les rapporteurs spéciaux ont pu relever que, dans les faits, cette diversité de l'offre de formation était très variable d'un département à l'autre.

Les rapporteurs estiment donc justifiée la proposition formulée par la Cour des comptes14(*) de conditionner la désignation des structures chargées du programme d'accompagnement à l'installation et à la transmission, à l'engagement de nouer des partenariats représentatifs des divers modèles agricoles et d'en contrôler le respect.

Cette variété des dispositifs résulte également de différences substantielles d'appropriation des dispositifs d'aides entre les régions. Il s'agit d'un point auquel les rapporteurs prêteront une attention particulière dans les années à venir : les différences entre les régions résultent aujourd'hui davantage de leur degré d'investissement, donc d'un choix, que de leurs besoins initiaux objectifs. Certaines régions font donc beaucoup pour faciliter les cessions d'exploitations, alors même que les besoins objectifs en « nouveaux entrants » sont relativement faibles, à l'inverse d'autres territoires.

Les rapporteurs pourraient multiplier les exemples au sein de chacun des dispositifs et à chacune des étapes d'aide à l'installation, qui correspondent aux différents volets, d'acteurs différents amenés à intervenir. Mécaniquement, cette situation ne facilite pas la fluidité de la chaine d'accès de nouveaux entrants vers le secteur agricole.

Cette situation ne doit pas masquer le caractère conséquent des moyens mis en oeuvre. Si l'on fait abstraction des soutiens à l'investissement, qui bien entendu ont un impact sur la capacité de nouveaux agriculteurs à s'installer mais n'entrent pas directement dans leur champ, en moyenne, chaque année de 2019 à 2021, les dispositifs précités représentent en tout 379 millions d'euros.

Ce montant marque donc l'effort réel en faveur des dispositifs d'aide à l'installation consenti par la France. Les rapporteurs considèrent néanmoins, comme la Cour, que le pilotage de ces dispositifs peut être amélioré.

2. Un pilotage principalement assis sur des objectifs de moyens

En premier lieu, les rapporteurs spéciaux partagent l'analyse de la Cour selon laquelle la Gouvernance mise en place, à la fois dans le schéma d'attribution des aides à l'installation mais aussi dans le dispositif de cession des exploitations, ne confère pas aux acteurs une vision d'ensemble. Aucun de ces acteurs n'est individuellement en cause, mais le cheminement de ces décisions n'est pas calibré pour répondre à des objectifs préétablis.

Parmi toutes les situations évoquées par la Cour des comptes, il en est une particulièrement révélatrice des insuffisances quant au pilotage de la politique publique d'aide à l'installation des agriculteurs, il s'agit des critères de répartition des fonds européens entre les régions en matière de plan stratégique national :

« La construction des objectifs associés à la programmation de la PAC pour la période 2023-2027 a procédé elle aussi d'une logique budgétaire plutôt que d'une appréciation des besoins. Comme l'indique le ministère dans sa réponse à la Cour, pour la future programmation 2023-2027, la concertation entre l'État et les régions qui a permis de répartir les fonds européens disponibles pour financer l'ensemble des interventions du PSN s'est basée sur des données historiques. »15(*)

Autrement dit, au moment où s'accentue la régionalisation des politiques agricoles en France, personne n'a réellement demandé à chaque région de justifier ses besoins de financement européens pour atteindre les objectifs fixés par le PSN : pour schématiser, on a reconduit à l'identique, à peu près, les rapports de force antérieurs. Les rapporteurs spéciaux s'en remettent sur ce point à la démonstration opérée par la Cour des comptes mais, sur le fond, considèrent qu'en procédant ainsi, on ne peut pas davantage s'éloigner d'une culture de la performance.


* 13 Accueil des porteurs de projet, Conseil à l'installation, Préparation à l'installation, Suivi du nouvel exploitant, Incitation à la transmission et Communication/Animation.

* 14 Proposition n°2 de la Cour des comptes.

* 15 Page 38 de l'enquêté précitée.