II. RÉUNION DU MERCREDI 12 JUILLET 2023 : COMMUNICATION DE MM. PATRICE JOLY ET VINCENT SEGOUIN

Réunie le mercredi 12 juillet 2023, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission des finances a entendu une communication de MM. Patrice Joly et Vincent Segouin, rapporteurs spéciaux, sur l'installation des agriculteurs.

M. Claude Raynal, président. - Le 12 avril dernier, nous avons procédé à une audition pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes sur l'installation des agriculteurs réalisée à la demande de notre commission en application du 2° de l'article 58 de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf). Le Premier président est venu lui-même présenter les conclusions de l'enquête, soulignant le manque d'attractivité global de professions agricoles pourtant essentielles et pointant certains freins dans les transmissions d'exploitations.

Comme l'usage le veut en pareille situation, nous n'avions pas procédé à une audition sous forme contradictoire avec les principaux organismes concernés : Chambres d'agriculture France, la Mutualité sociale agricole (MSA), le syndicat Jeunes agriculteurs, mais aussi la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA).

C'est pourquoi les rapporteurs spéciaux de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales », Patrice Joly et Vincent Segouin, ont décidé de conduire, dans le prolongement de l'enquête, une série d'auditions qui leur a permis d'entendre les acteurs que je viens de citer, mais qui a aussi été l'occasion d'examiner des exemples étrangers.

Ils vont ainsi nous rendre compte de leurs travaux.

M. Vincent Segouin, rapporteur spécial. - Le 12 avril dernier, le Premier président de la Cour des comptes est venu présenter devant notre commission les conclusions de l'enquête que nous avions diligentée, dans le cadre du 2° de l'article 58 de la Lolf, sur la politique d'installation des agriculteurs et de transmission des exploitations.

A été mis en exergue le manque d'attractivité des professions agricoles, fil rouge de cette présentation. Sans dresser un tableau apocalyptique de la situation, entre les conditions de travail pas toujours enviables, une rémunération globalement insuffisante, des enjeux environnementaux de plus en plus prégnants, la concurrence de pays qui ne sont pas soumis aux mêmes normes que celles qui s'appliquent chez nous, mais dont paradoxalement nous importons les produits, c'est l'ensemble de la philosophie de notre politique agricole qui mériterait d'être repensée.

Toutefois, nous avions volontairement circonscrit l'enquête, en accord avec la Cour et compte tenu de la charge de travail importante que cela représentait déjà, aux seuls instruments de la politique d'installation et de transmission, tout en sachant que les thèmes que je viens de citer, indissociables de la question de l'attractivité, doivent également être pris en compte dans une optique de revalorisation globale des filières agricoles.

M. Patrice Joly, rapporteur spécial. - Dans le prolongement des travaux de la Cour, nous avons souhaité, avec Vincent Segouin, mener des auditions complémentaires en entendant les principaux acteurs chargés du suivi de l'installation des agriculteurs et en gardant toujours à l'esprit la même question : ces dispositifs favorisent-ils effectivement l'accès aux métiers agricoles et, ce faisant, contribuent-ils à restaurer, au moins partiellement, notre souveraineté alimentaire et permettent-ils de prendre en charge les nombreux défis qu'il nous faut relever ?

Force est de constater, à l'issue de tous les travaux conduits, que les résultats de ces dispositifs d'aide à l'installation ne sont pas à la hauteur des ambitions françaises. Nous en tirons deux grandes conclusions.

Il me revient de vous présenter la première de ces conclusions, qui est assez sévère, mais juste : les moyens consacrés à l'aide à l'installation sont considérables, mais totalement inadaptés aux caractéristiques du monde agricole. Tout se passe comme si nous avions admis une forme d'étanchéité entre l'évolution de la population agricole, le contexte économique et les critères d'attribution des aides à l'installation.

En effet - cela ne surprendra personne -, le secteur agricole s'est profondément transformé. Les travailleurs agricoles sont de moins en moins nombreux et de plus en plus âgés. En dix ans, la moyenne d'âge des agriculteurs a encore augmenté d'un an : un agriculteur français en exercice a aujourd'hui en moyenne 51,4 ans. De surcroît, les foyers où 100 % des personnes physiques en âge de travailler sont exploitants agricoles sont devenus une denrée rare. Bref, le déclin démographique de la population active agricole française se poursuit et les agriculteurs se mélangent davantage au reste de la population.

En parallèle, les professions agricoles sont de moins en moins féminisées : il y avait 41 % d'exploitantes en 1980, tous statuts confondus, contre 25 % aujourd'hui.

Pour exercer et même parfois pour survivre, les exploitants agricoles se sont également adaptés à un environnement économique complètement transformé : en fonction des situations locales, des formes d'entreprise agricole très variées se sont mises à cohabiter. Presque toutes les formes juridiques d'entreprise ont actuellement cours dans le domaine agricole : entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL), groupement agricole d'exploitation en commun (Gaec), société civile d'exploitation agricole (SCEA), groupement foncier agricole (GFA), société anonyme (SA), société par actions simplifiée (SAS), société à responsabilité limitée (SARL), etc.

En outre, le contexte hyperconcurrentiel et la recherche légitime d'un maintien du revenu, voire de son augmentation, conduisent à un agrandissement de la taille moyenne des exploitations. Grosso modo, l'exploitation moyenne est passée de 42 à 69 hectares en un peu plus de vingt ans.

Nous évoquons dans le rapport beaucoup d'autres manifestations de ces transformations ; je ne les développerai pas ici.

Pourtant, malgré la profondeur de ces transformations, les critères d'aide à l'installation, eux, restent inchangés.

D'une certaine manière, c'est logique, puisque les transformations en question ne sont pas le fruit d'une politique agricole homogène et réfléchie ; nous faisons donc comme si ces nouvelles réalités n'existaient pas.

En conséquence, un décalage s'accroît entre, d'une part, les objectifs agricoles affirmés et les politiques publiques sur lesquelles on les aligne fictivement - souveraineté alimentaire, agriculture durable, renforcement du « bio », diversification des cultures, et j'en passe -, et, d'autre part, une réalité malheureusement de plus en plus prégnante : absence de solution concrète pour réduire les besoins en eau ; disparition des haies et des bocages, pourtant sources de biodiversité, du fait de l'extension de la taille des exploitations ; hausse des importations alimentaires ; concentration des activités sur certaines filières ; recul du bio, trop coûteux pour les consommateurs en période d'inflation - et je pourrais continuer cette liste...

Ce décalage nous conduit à dire que la France ne parvient pas à suivre le cap agricole qu'elle a fixé pour elle-même. Si nous étions dans une optique de communication, nous irions même jusqu'à dire, Vincent Segouin et moi-même, qu'il n'existe pas de politique agricole française, à l'exception, bien sûr, de la course aux fonds européens. Si ce diagnostic est sévère, il nous paraît conforme à la réalité.

Paradoxalement, c'est le moment choisi pour revoir notre gouvernance agricole : quand un problème devient trop prégnant au niveau national, l'État se remémore qu'il est temps de faire appel à l'intelligence des territoires.

Depuis le 1er janvier dernier, les régions assurent l'attribution des fonds européens d'aide à l'installation agricole. Dans cet univers plus que mouvant, nous ne maîtrisons pas suffisamment le pilotage des aides à l'installation, alors même qu'objectivement les montants alloués, près de 400 millions d'euros par an, devraient permettre de faire mieux.

Si l'on schématise, il existe deux grands types d'aides à l'installation agricole en France : d'une part, ce que l'on appelle le programme d'accompagnement à l'installation et la transmission en agriculture (AITA), destiné à tous les candidats sans critère d'âge, et, d'autre part, les aides directes ou indirectes, majoritairement ciblées sur les moins de 40 ans.

L'AITA, à lui seul, comporte six volets et regroupe dix-huit dispositifs. Sans les détailler, nous tenons à faire passer un message : le pilotage de ces dispositifs relève d'acteurs variés, qui sont désignés après mise en concurrence : chambres d'agriculture, MSA, associations, organisations syndicales. Il peut donc arriver, sur un même territoire, qu'un acteur gère par exemple les « points accueil installation », tandis qu'un autre est compétent en matière de « préparation à l'installation », alors qu'il s'agit pourtant de maillons d'une même chaîne. Dès que la coordination entre ces différents organismes fléchit, la politique d'installation en pâtit.

Voilà donc pour le diagnostic.

M. Vincent Segouin, rapporteur spécial. - Après cette série de constats atrabilaires qu'a parfaitement exposés Patrice Joly, il me revient de vous présenter notre seconde grande conclusion : nous devons avoir le courage de mettre les dispositifs d'aide à l'installation au service d'orientations agricoles définies.

Concrètement, nous appelons à sortir de la logique de « guichet » qui prévaut pour la plupart des aides à l'installation, car elle est propice à un saupoudrage des aides qui ne permet pas de mesurer leur performance.

Nous pensons que les aides à l'installation et à la transmission des exploitations doivent devenir un outil au service d'objectifs agricoles assumés au niveau national, en même temps qu'il faut faire confiance aux territoires pour appuyer ensuite cette politique.

Il sera difficile, j'en conviens, de se mettre d'accord sur ce que doivent être ces objectifs agricoles ; mais je pense que nous pouvons être nombreux ici à partager l'idée que les aides à l'installation, au lieu d'être une fin en soi, doivent être réintégrées à une palette d'outils mis au service de la politique agricole. Cela suppose en particulier de forcer un peu notre nature en consentant à mesurer la performance des outils d'aide à l'installation.

Nous avons posé une série de questions récurrentes aux personnes auditionnées.

Quelle proportion des aides est perçue par simple effet d'aubaine ? Quelle proportion des nouveaux installés aurait renoncé sans les dispositifs d'aide ? Quel impact la réorientation des dispositifs d'aide a-t-elle sur le nombre de nouvelles installations ?

Aucun de nos interlocuteurs n'a véritablement été en mesure de nous répondre. Voilà qui n'est pas vraiment surprenant, pour ce qui est du ministère en tout cas : le seul critère d'évaluation est de savoir si les aides sont versées dans les délais. Autrement dit, si 100 % des aides sont versées dans les délais, notre politique d'aide à l'installation est 100 % efficace ! C'est évidemment absurde : on n'évalue pas le flux de ceux qui quittent en cours de route le processus d'aide à l'installation ; on n'évalue pas le taux d'accès aux dispositifs de ceux qui, tout en remplissant les critères, y renoncent pour diverses raisons ; on n'évalue pas la qualité de l'accompagnement de ceux qui cessent leur activité agricole.

Vous l'avez compris, nous considérons que ces critères doivent à tout le moins être pris en compte, évalués et faire l'objet d'une comparaison entre collectivités. J'en veux pour preuve que les régions qui ont débuté ce travail obtiennent des résultats : la chambre d'agriculture des Hauts-de-France fait, par exemple, état d'un taux de retour du formulaire qu'elle adresse, quelques années avant un départ à la retraite, d'environ 70 %, soit trois fois plus que dans d'autres régions, grâce à un suivi personnalisé des agriculteurs dont la cessation d'activité approche, mais aussi parce qu'elle ne se contente pas d'échanges écrits, impersonnels et purement administratifs.

Nous en arrivons au coeur et au terme du sujet et de nos préconisations. L'inefficience des aides est davantage liée à leur ciblage qu'à leur montant. Nous préconisons de nous pencher sur les critères d'attribution des aides, qui doivent être alignés sur des objectifs assignés à l'agriculture, et non plus sur des caractéristiques devenues obsolètes qui font fi des transformations du monde agricole. Nous ne pouvons que lancer quelque pistes, car ce travail suppose à la fois de connaître région par région les besoins - ce n'est pas le cas aujourd'hui -, mais aussi de nous mettre véritablement d'accord sur des objectifs agricoles nationaux, ce que le plan stratégique national (PSN) est loin d'avoir fait. Il devient, par exemple, injustifiable de faire de la limite d'âge de 40 ans le critère pivot des attributions d'aides alors qu'aujourd'hui 92 % des aides à l'installation sont fléchées vers les moins de 40 ans. Nous sommes par ailleurs sensibles à l'hypothèse émise par certains auditionnés d'élargir les critères d'attribution pris en compte. Le fait de réduire la compétence aux seuls diplômes, comme c'est le cas actuellement, ne fait ainsi pas forcément sens dans le secteur agricole.

Cette situation nous aurait laissé un goût amer si nous en étions restés là, mais nous avons choisi de regarder ce que font nos voisins. Nous avons donc sollicité des services du Sénat une étude de législation comparée. Elle figurera dans le rapport, et je vous invite à en prendre connaissance, tant la comparaison avec l'Allemagne et l'Espagne nous a semblé inspirante.

Cette comparaison visait, d'une part, la nature et l'étendue des dispositifs d'aide à l'installation des agriculteurs chez nos voisins, d'autre part, le rôle des collectivités en la matière, au sein de modèles de différentiation territoriale plus aboutis en raison de la forme d'organisation de l'État.

Il en ressort que certains Länder et certaines communautés autonomes espagnoles, malgré des facteurs exogènes parfois plus défavorables encore qu'en France, parviennent à attirer de nouveaux agriculteurs et contribuent, depuis peu, à une redynamisation de filières, au prix d'un volontarisme politique plus affirmé, d'actions novatrices et d'une bonne coordination avec l'échelon national. À ce prix, la France parviendra peut-être à faire de dispositifs remaniés un outil au service d'une politique agricole qui doit garder à l'esprit son objectif premier : redonner à notre pays un peu de sa souveraineté alimentaire et ne plus se contenter de « boucher les trous » au gré des départs à la retraite.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Quel lien pensez-vous qu'il faille établir entre les aides à l'installation et les orientations nationales de la politique agricole commune (PAC) ? Il se peut que la réponse s'avère complexe, car il faudrait s'enquérir des objectifs de la politique agricole française, de ses points forts et de ses points faibles, voir où placer les priorités et croiser ces constats avec les dispositifs d'aide existants.

Que plus de 90 % des aides bénéficient aux moins de 40 ans ne me paraît pas nécessairement anormal ni incohérent. Il faut disposer du temps nécessaire au remboursement des aides financières et il reste permis de penser qu'un agriculteur qui s'installe à un âge plus avancé, par exemple après 50 ans, aura moins besoin d'aides. Le chantier n'en reste pas moins important. Dans vos rencontres avec vos différents interlocuteurs, avez-vous perçu une ouverture sur la question ? Avez-vous par ailleurs abordé le problème qui me semble majeur de l'accès au foncier par les candidats à l'installation ?

M. Antoine Lefèvre. - Je remercie les rapporteurs spéciaux d'avoir été attentifs à la situation du département de l'Aisne, qu'on qualifie souvent de petite France parce qu'il regroupe à lui seul l'ensemble des productions agricoles nationales et qu'il donne ainsi une image fidèle de l'état de l'agriculture dans notre pays. Cette situation apparaît plutôt préoccupante. Évoquer l'installation des agriculteurs revient à évoquer l'avenir de notre agriculture. Vous faites à juste titre le lien entre notre capacité à anticiper le renouvellement de la main-d'oeuvre agricole et notre souveraineté alimentaire. Il me semblait qu'une stratégie nationale pour l'alimentation devait être définie. Disposez-vous d'informations à ce sujet ? Cette stratégie est-elle toujours d'actualité ?

M. Michel Canévet. - Le sujet de l'installation des agriculteurs est crucial en ce qu'il induit une question d'aménagement du territoire. Si, en matière de transmission, les chambres d'agriculture demeurent dans les territoires, au travers de leur mission de service public, les interlocutrices classiques, elles n'empêchent pas l'intervention d'autres acteurs, notamment associatifs, qui, telle l'association Eloi, proposent un accompagnement plus fin de certains projets ciblés. De fait, différents types d'agriculteurs s'installent.

D'une part, nous constatons qu'un nombre croissant d'installations ont trait à de petites structures et à de petites surfaces, de type maraîchage ou productions végétales spécifiques, qui visent des marchés de niche. Leurs besoins en capitalisation restent modérés à l'échelle du secteur agroalimentaire. D'autre part, la concentration des exploitations agricoles, en particulier celles qui se consacrent à l'élevage, leur a souvent permis de résister. Avec elle se pose la problématique d'un niveau de capitalisation bien plus significatif. Comment y répondre ? Vous semble-t-il logique que des aides de même niveau intéressent des situations et des niveaux de capitalisation totalement différents ? Sans doute devrons-nous évoluer sur ce terrain.

Par ailleurs, l'intelligence artificielle (IA) est-elle susceptible d'apporter des réponses aux besoins en main-d'oeuvre agricole des exploitations ?

M. Marc Laménie. - Votre travail d'investigation montre que le sujet de l'installation des agriculteurs dépasse les seuls aspects financiers, pour confiner à l'analyse sociologique du monde agricole. La démographie y connaît en particulier une baisse continue depuis de nombreuses années. Au-delà des constats, comment attirer davantage de jeunes vers l'agriculture ? Comment susciter des vocations et mieux intégrer l'enseignement agricole et les problématiques de diversification des productions ?

M. Thierry Cozic. - De jeunes agriculteurs ne sollicitent pas les aides, non pas faute d'accompagnement, mais par abandon des procédures. À cet égard, vos recommandations m'apparaissent pertinentes.

Connaît-on aujourd'hui le taux de jeunes agriculteurs qui s'installent et qui sollicitent la dotation à laquelle ils peuvent prétendre ? Avez-vous pu estimer dans quelle mesure vos recommandations seraient susceptibles d'influer sur cette proportion ?

M. Patrice Joly, rapporteur spécial. - Vos questions montrent combien le sujet est large et dépasse par ses enjeux les seules aides à l'installation sur lesquelles nous nous sommes focalisés. S'il ne faut pas négliger les difficultés du métier d'agriculteur, en changer les représentations, en mettant en avant des aspects positifs comme l'autonomie, l'indépendance ou le sens qu'il apporte, contribue à le revaloriser.

En ce qui concerne les liens entre les aides à l'installation et la PAC, on ne peut qu'insister sur les contradictions qui se font jour entre les objectifs affichés - en particulier ceux de la souveraineté alimentaire, d'une agriculture durable, du renforcement du bio, de la diversification des cultures et de la protection de la biodiversité - et la réalité du développement de l'activité agricole. Celle-ci est marquée par la quasi-absence de solutions concrètes quant à la diversification des productions et leurs modalités, pour réduire les besoins en eau, répondre à la disparition des haies et des bocages. En matière de protection de la biodiversité, une approche plus locale que l'approche régionale qui prévaut actuellement serait certainement mieux adaptée. Mais si la société est capable d'estimer la valorisation de la biodiversité d'un point de vue financier, l'exploitant agricole n'en retire pas nécessairement une contrepartie.

Par ailleurs, on relève une augmentation de la taille des exploitations quand, dans le même temps, et jusque dans le code rural, on affirme la priorité d'une agriculture familiale et paysanne. L'intensification des importations alimentaires conduit aussi à s'interroger sur les aspects de souveraineté.

Sur la pertinence du maintien d'un critère de limite d'âge pour l'octroi des aides à l'installation, il est intéressant de relever que l'Espagne s'est affranchie d'une telle restriction. Des aides y concernent toujours les jeunes agriculteurs, mais d'autres bénéficient aux nouveaux agriculteurs, sans critère d'âge. Ce choix est un moyen d'étendre le champ des entrants dans l'agriculture à l'heure même où l'on allonge la durée de la vie professionnelle et où les organismes de formation - centres de formation d'apprentis (CFA) ou lycées professionnels agricoles (LPA) - voient toujours plus de personnes en reconversion professionnelle en rejoindre les formations. À 45 ans, on peut faire face à des investissements, étant rappelé que de nouvelles niches d'activité ne sont pas excessivement exigeantes en matière d'apport en capital, avec des durées d'amortissement des prêts à 5, 7 ou 10 ans.

La question foncière représente un sujet à part entière.

Pour sa part, la stratégie nationale pour l'alimentation n'a toujours pas été adoptée. Aucune échéance précise ne lui a non plus été associée.

M. Vincent Segouin, rapporteur spécial. - Avant de distribuer les aides financières, il conviendrait de déterminer le cap à suivre à l'échelle nationale tant en matière de production agricole qu'en matière d'emploi. Pour y parvenir, nous pouvons nous appuyer sur les constats dressés lors de l'examen récemment de la proposition de loi pour un choc de compétitivité en faveur de la Ferme France. Le projet de loi d'orientation et d'avenir agricoles que nous examinerons à la rentrée reprendra ce travail. Aujourd'hui, les régions répartissent les budgets existants avec pour unique objectif de les consommer intégralement, c'est-à-dire sans analyse préalable des évolutions à l'oeuvre.

On dit communément qu'une même personne changera deux ou trois fois d'orientation professionnelle dans sa vie. La remarque vaut aussi pour les exploitants agricoles, particulièrement dans le secteur du maraîchage. Je pense qu'il faut absolument qu'à l'instar de l'Espagne nous cessions d'appliquer un critère d'âge dans l'attribution des aides, afin de nous ouvrir à de nouveaux candidats à l'installation.

Nous restons en France très attachés à la ferme de type familial, avec un foncier encore relativement limité du point de vue du coût. Si, dans les pays voisins, le prix de l'hectare peut atteindre 30 000 ou 40 000 euros, et jusqu'à 55 000 euros aux Pays-Bas, il n'excède pas 10 000 euros en France et se situe en moyenne autour de 6 000 euros. Cependant, même dans le modèle de la ferme familiale, le foncier suppose de mobiliser des capitaux que le produit du travail ne permet pas toujours de rembourser à l'échéance. Des systèmes de sociétés de capitaux qui investissent dans le foncier agricole se mettent alors en place.

Bien que les chambres d'agriculture restent le guichet principal auquel les agriculteurs s'adressent quand ils s'installent, les acteurs en présence s'avèrent nombreux. Nous relevons que des associations de jeunes agriculteurs gèrent ainsi parfois l'attribution de la dotation jeunes agriculteurs (DJA). Il nous semble qu'un syndicat de jeunes agriculteurs, dont le rôle consiste avant tout à définir une politique, ne devrait pas en principe s'en occuper.

Assurément, le montant des aides demeure trop faible, avec une moyenne de 38 000 euros environ, voire inadéquat, dans un contexte de concentration des exploitations, de mobilisation de capitaux toujours plus importants, ainsi qu'à l'égard du type de transmission des exploitations sous forme de parts sociales.

M. Patrice Joly, rapporteur spécial. - Paradoxalement, les organisations d'exploitants que nous avons entendues ne remettaient pas nécessairement en cause le montant des aides à l'installation et nous n'avons pas relevé une demande forte en faveur de leur augmentation.

M. Vincent Segouin, rapporteur spécial. - Quant à l'intelligence artificielle, il ne s'agit pas d'en ignorer les développements. Remplacera-t-elle pour autant notre modèle d'agriculture ? Il nous faut en suivre et contrôler les évolutions, avec pour préoccupation centrale qu'elle serve toujours la dimension humaine de l'activité.

L'orientation de la formation en matière agricole est un sujet qui nous préoccupe. À ce titre, nos collègues de la commission de la culture ont examiné un rapport d'information relatif à l'enseignement agricole et à son devenir. L'objectif consiste à susciter des vocations.

Enfin, je précise qu'un tiers des agriculteurs qui s'installent bénéficient de la DJA ; un deuxième tiers ne l'obtient pas, principalement parce que les agriculteurs concernés n'effectuent pas les démarches ; un dernier tiers ne peut y prétendre en raison du dépassement de la limite d'âge de 40 ans.

M. Patrice Joly, rapporteur spécial. - L'intelligence artificielle ne remplacera jamais l'intelligence relationnelle et émotionnelle, surtout chez les agriculteurs, toujours en proie au risque d'isolement. Cependant, elle est appelée à prendre toute sa part à l'essor de la mécanisation et de la robotisation qui deviennent indispensables au regard de l'accroissement des surfaces agricoles et, par conséquent, du volume d'activité des exploitations. Les précisions auxquelles elle donne accès leur permettent aussi de réduire leurs charges.

Par ailleurs, j'ajoute qu'un des critères d'octroi de la DJA tient au modèle économique de l'exploitation qui doit permettre d'en assurer la viabilité. Or un tel modèle répondant à une logique économique s'appuie sur des investissements souvent jugés trop importants par les preneurs. Ils y renoncent au profit d'approches plus modestes de leur activité. Ainsi, non sans paradoxe, un critère destiné à garantir aux exploitants qui s'installent un niveau de revenu en rapport avec la nature de leur activité, constitue en définitive un frein. C'est d'autant plus vrai au regard des nouvelles modalités de vie et du rapport au travail de certains exploitants.

M. Claude Raynal, président. - Je vous remercie. Ces éléments complémentaires seront intégrés au rapport d'information dont notre commission a déjà autorisé la publication le 12 avril dernier.

Il en est ainsi décidé.