IV. LA PROPOSITION DE RÉFORME DU MARCHÉ DE L'ÉLECTRICITÉ N'EN BOULEVERSE PAS L'ARCHITECTURE ACTUELLE

Le 14 mars 2023, la Commission européenne a donc proposé une réforme du marché européen de l'électricité, un an après l'agression de l'Ukraine.

Le paquet se compose de trois textes :

- la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil du 14 mars 2023 modifiant les règlements (UE) n° 1227/2011 et (UE) 2019/942 afin d'améliorer la protection de l'Union contre la manipulation du marché de gros de l'énergie ;

- la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil du 14 mars 2023 modifiant les règlements (UE) 2019/943 et (UE) 2019/942 ainsi que les directives (UE) 2018/2001 et (UE) 2019/944 afin d'améliorer l'organisation du marché de l'électricité de l'Union ;

- la recommandation de la Commission européenne du 14 mars 2023 relative au stockage de l'énergie - « Soutenir un système énergétique de l'UE décarboné et sûr ».

La Commission européenne a, au préalable, mené une consultation publique dans un court délai de trois semaines, du 23 janvier au 13 février 2023, réunissant les contributions des différents acteurs publics et privés concernés. Cette consultation a établi trois impératifs : la nécessité de soutenir les marchés de court et de long termes face aux fluctuations des prix de l'énergie, le besoin de développer davantage des signaux de long terme pour encourager les investissements dans des moyens de production décarbonée, et la non-reconduction des mesures de crise prises par le Conseil dans le cadre des règlements d'urgence.

La réforme du marché européen de l'électricité, proposée par la Commission européenne, se concentre sur trois objectifs principaux :

- accélérer les investissements, en particulier dans les énergies renouvelables (ENR), en garantissant un revenu stable aux producteurs ;

- réduire l'impact de la volatilité des prix des combustibles fossiles sur les factures d'électricité ;

- protéger les consommateurs contre les éventuelles futures hausses de prix.

En parallèle de cette réforme, il est prévu de réviser le règlement REMIT concernant les manipulations de marché.

Les mesures présentées par la Commission européenne ne modifient pas les fondamentaux de l'organisation du marché européen de l'électricité, qui continue à reposer sur le système actuel de tarification marginale (« merit order »). La Commission n'a donc pas accédé à la demande de certains États membres d'un découplage total entre le prix du gaz et celui de l'électricité, considérant qu'il était le socle de l'intégration du système électrique européen. «  Le modèle des marchés à court terme reste le plus efficace lorsqu'il s'agit de s'assurer que les technologies les moins chères et les plus propres sont utilisées en premier », a déclaré la commissaire européenne à l'énergie, Mme Kadri Simson, lors de la présentation de la réforme. La Commission européenne n'envisage pas de mesures visant à modifier le marché de court terme. Les propositions sont essentielles ciblées sur le déploiement des contrats de long terme. L'objectif est de faire émerger un signal prix de long terme afin de réduire le poids des énergies fossiles dans la formation des prix, alors qu'elles devraient encore être utilisées jusqu'en 2050, et de favoriser le développement des installations de production d'électricité à partir d'énergies renouvelables. L'enjeu est d'encourager la signature de contrats à long terme pour la fourniture d'électricité et ainsi de favoriser les investissements dans de nouvelles capacités de production, en rapprochant le prix de l'électricité de ses coûts réels de production.

A. UNE INTÉGRATION DES SIGNAUX DE LONG TERME POUR ASSURER LA STABILITÉ ET LA PRÉVISIBILITÉ DES PRIX

La Commission européenne entend renforcer la stabilité et la prévisibilité du coût de l'énergie pour lutter contre la volatilité des prix de l'énergie mise en lumière par la crise.

Pour satisfaire cet objectif, la réforme introduit des mesures visant à faciliter le déploiement de contrats de long terme stables, à stimuler la liquidité des marchés à terme, et à encadrer l'aide publique pour les nouveaux investissements dans la production d'électricité à partir de sources d'énergies renouvelables et non fossiles.

Ainsi une série de mesures est introduite pour faciliter le déploiement des accords d'achat d'électricité (ou Power Purchase Agreements - PPA), accords bilatéraux entre deux acteurs privés - un producteur et un consommateur -, de long terme, entre cinq et vingt ans, à un prix décidé à l'avance. Les États devront établir des régimes de garanties publiques pour couvrir les risques de crédit des acheteurs et permettre à davantage d'entreprises de souscrire à ces contrats. Les fournisseurs d'électricité au détail pourront eux aussi avoir recours, de façon appropriée, à des PPA, afin d'« atténuer leur risque de surexposition à la volatilité des prix ».

Aujourd'hui, ces contrats sont peu développés et concernent essentiellement les grandes entreprises. La Commission souhaite rendre ces contrats accessibles aux petits consommateurs en demandant aux États membres de prendre en charge les risques de crédit pour soutenir l'achat d'électricité renouvelable. La réforme introduit en ce sens une obligation pour les États membres de réduire les barrières pesant sur les acheteurs pour permettre à tout type de consommateur d'avoir accès aux contrats de long terme.

La Commission européenne soutient également l'utilisation de contrats d'écart compensatoire bidirectionnels (ou Contracts for Différence -CfD), à prix garanti par l'État, afin d'encourager les nouveaux investissements dans la production d'électricité à partir de sources d'énergies renouvelables (éolien, solaire, géothermie, hydroélectricité) et nucléaire. Ces contrats devraient ainsi permettre de financer des investissements dans les nouvelles installations de production d'électricité ainsi que le rééquipement, l'agrandissement ou la prolongation d'installations existantes. Les CfD déterminent un prix minimum et un prix maximum d'achat de l'électricité produite ; lorsque le prix d'exercice est supérieur au prix de marché, les recettes excédentaires sont redistribuées aux consommateurs et lorsque le prix du marché est bas, les producteurs bénéficient de revenus garantis. La Commission introduit néanmoins deux conditions à l'utilisation de CfD : tous les dispositifs d'aide publique aux nouveaux investissements dans les renouvelables ou le nucléaire devront prendre la forme de CfD bidirectionnels et « acheminer les recettes excédentaires vers les consommateurs ».

Enfin, afin de stimuler les marchés à terme - contrats de plus courte durée (trois à cinq ans) - indispensables aux fournisseurs d'énergie pour gérer leur portefeuille de manière optimale et sécurisée, la réforme introduit des « prix de référence ». Déterminés sur des plateformes virtuelles appelées « virtual hubs », ces prix de référence établis sur des zones plus larges que celles des États membres permettraient, selon la Commission européenne, de répondre au manque de liquidité des marchés. Toutefois, lors de leur audition par les rapporteurs, les représentants d'Engie ont émis des réserves concernant la capacité réelle de ce mécanisme à garantir une stabilité des prix. Pour stimuler davantage la liquidité des marchés, la Commission demande également une extension de l'obligation faite aux gestionnaires de réseau d'accorder des droits de capacité sur les frontières au-delà d'un an.

Pour la France, l'un des enjeux clés de la réforme était d'intégrer son parc nucléaire dans ces mécanismes de contrat à long terme. En précisant que les CfD s'appliquent pour les « nouveaux investissements financés par des fonds publics dans la production d'électricité à faible teneur en carbone », la Commission n'exclut pas le nucléaire de sa réforme et tend à le considérer au même titre que les énergies renouvelables. Cette décision a été saluée positivement par les autorités françaises. À l'inverse, l'Allemagne et six autres pays réclamaient des CfD facultatifs et strictement réservés aux nouvelles infrastructures renouvelables.

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