II. MISE EN oeUVRE DES ZFE-M : DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES AU PIED DU MUR

A. LES ZFE-M : DES RÉGIMES JURIDIQUES PLURIELS ET UNE MISE EN oeUVRE EN ORDRE DISPERSÉ DANS DES DÉLAIS EXTRÊMEMENT CONTRAINTS

1. Souvent déployées à marche forcée, des ZFE-m « LOM » mises en oeuvre de manière hétérogène
a) Des ZAPA aux ZFE-m : un chemin tortueux

Les zones à faibles émissions mobilité (ZFE-m), telles qu'elles existent aujourd'hui, sont les héritières de dispositifs introduits dans le droit français à partir de 2010.

(1) Les ZAPA : une expérimentation reposant sur le volontariat qui n'a jamais été mise en oeuvre

Dès 2010, la loi portant engagement national pour l'environnement25(*) permettait ainsi aux communes ou groupements de communes de plus de 100 000 habitants où une mauvaise qualité de l'air était avérée, d'instituer, à titre expérimental, une zone d'actions prioritaires pour l'air (ZAPA) dans lesquelles les véhicules contribuant le plus à la pollution atmosphérique pouvaient être interdits d'accès, afin de lutter contre cette pollution et notamment de réduire les émissions de particules et d'oxydes d'azote. Ces expérimentations, mises en oeuvre sur la base du volontariat par les communes, devaient être autorisées par décret pour une durée de trois ans, puis elles pouvaient être prorogées pour une durée de dix-huit mois à la demande des communes ou groupements de communes à l'initiative du projet.

Si l'Ademe a signé des conventions avec huit collectivités volontaires26(*) pour étudier la faisabilité d'une ZAPA sur leur territoire, seules sept études ont été menées à leur terme27(*). En définitive, et au terme de ces études de faisabilité, aucune collectivité n'a fait une demande d'expérimentation de ZAPA sur son territoire.

Un rapport de l'Ademe publié en 201528(*) a dressé un retour d'expérience de l'échec des ZAPA et d'identifier les clés de réussite pour la mise en oeuvre d'une mesure de restriction de circulation. Ce rapport indique qu'il aurait été nécessaire qu'une telle mesure :

- tienne compte des spécificités locales (activités économiques du territoire, population, son parc automobile, infrastructures et aménagements existants ou à venir) ;

- laisse un temps suffisant aux particuliers et professionnels pour s'y adapter ;

- soit complétée par des mesures d'accompagnement selon un calendrier clairement établi au moment de l'annonce de la mise en oeuvre du dispositif ;

- soit partagée au niveau local (collectivité à l'origine du projet et collectivités voisines).

(2) Les ZCR : les balbutiements des ZFE-m

La loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte de 2015 a remplacé le dispositif ZAPA29(*) par des zones à circulation restreinte (ZCR), créées par le maire ou le président d'un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre lorsque celui-ci dispose du pouvoir de police de la circulation, dans les agglomérations et les zones pour lesquelles un plan de protection de l'atmosphère (PPA)30(*) est adopté, en cours d'élaboration ou en cours de révision.

Les ZCR devaient être délimitées par un arrêté fixant les mesures de restriction de circulation applicables, les catégories de véhicules concernés et la durée pour laquelle la zone était créée. Il était en outre précisé que les mesures de restriction fixées par l'arrêté devaient être cohérentes avec les objectifs de diminution des émissions fixées par le PPA.

En définitive, quelques ZCR ont été mises en oeuvre : « seules la ville de Paris et les métropoles de Grenoble et de Strasbourg ont mis en place des restrictions de circulation permanentes pour améliorer la qualité de l'air qui s'apparentent à des zones à circulation restreinte »31(*).

(3) Les ZFE-m : un dispositif plus contraignant imposé à certaines agglomérations, mais dont les modalités restaient initialement entièrement à la main des collectivités

Aussi, et dans le contexte des procédures contentieuses visant la France au niveau européen compte tenu des dépassements des normes de qualité de l'air dans de nombreux territoires (cf. supra), la loi d'orientation des mobilités32(*) (LOM) a notamment :

- remplacé les zones à circulation restreinte par les zones à faibles émissions mobilité, cette dernière terminologie étant « plus positive et centrée sur la finalité recherchée »33(*) ;

- rendu obligatoire l'instauration d'une ZFE-m, avant le 31 décembre 2020 lorsque les normes de qualité de l'air mentionnées à l'article L. 221-1 du code de l'environnement ne sont, au regard de critères définis par voie réglementaire, pas respectées de manière régulière34(*) sur le territoire de la commune ou de l'établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre compétent ;

- rendu obligatoire, à compter du 1er janvier 2021 et dans un délai de deux ans, l'instauration d'une ZFE-m lorsque ces mêmes normes ne sont pas respectées de manière régulière, au regard de critères définis par voie réglementaire, sur le territoire de la commune ou de l'établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre compétent et que les transports terrestres sont à l'origine d'une part prépondérante des dépassements35(*) ;

- maintenu la possibilité, pour le maire ou le président d'un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre lorsque celui-ci dispose du pouvoir de police de la circulation, de créer une ZFE-m dans les agglomérations et dans les zones pour lesquelles un plan de protection de l'atmosphère est adopté, en cours d'élaboration ou en cours de révision ;

- prévu la possibilité de mettre en oeuvre des dispositifs de contrôle automatisé des données signalétiques des véhicules pour faciliter la constatation des infractions aux règles de circulation en ZFE-m.

L'article L. 2213-4-1 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction issue de la LOM, prévoyait donc une coexistence de plusieurs régimes de ZFE-m, certains étant de nature obligatoire, d'autres de nature facultative. Toutefois, quel que soit le cas de figure, les modalités de mise en oeuvre des ZFE-m étaient dans leur grande majorité laissées à la décision des collectivités concernées (périmètre géographique, catégories de véhicules concernées [légers et/ou lourds], modalités horaires, classes de véhicules interdites, progressivité des règles dans le temps, dérogations individuelles pouvant être accordées, durée de la ZFE-m, durée).

Les modalités de création d'une ZFE-m

• Dérogation à l'obligation de mise en oeuvre d'une ZFE-m

Deux cas de figure peuvent permettre à certaines agglomérations de s'exempter de l'obligation de créer une ZFE-m en cas de dépassement de façon régulière des normes de qualité de l'air. Ainsi, ne sont pas regardées comme dépassant de façon régulière les normes de qualité de l'air les communes ou les établissements publics dont le président dispose du pouvoir de police de la circulation, qui démontrent :

- soit, que les valeurs limites sont respectées pour au moins 95 % de la population de chaque commune concernée (par modélisation ou par des mesures) ;

- soit, que les actions mises en place (notamment dans le cadre d'un PPA) permettent d'atteindre les valeurs limites pour l'ensemble de la population de chaque commune concernée, dans des délais plus courts que ceux procédant de la mise en place d'une ZFE-m.

Ces dispositions ne sont néanmoins pas applicables aux métropoles au sens de l'article L. 5217-1 du code général des collectivités territoriales, à la métropole d'Aix-Marseille-Provence, à la métropole du Grand Paris, à la métropole de Lyon ainsi qu'aux communes situées sur leur territoire.

• Transfert des compétences et prérogatives du maire en matière de police des ZFE-m au président d'EPCI

Aux termes de l'article L. 5211-9-2 du code général des collectivités territoriales, les maires des communes membres d'un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre situé dans les agglomérations mettant en place une ZFE-m transfèrent au président de cet établissement public les compétences et prérogatives qu'ils détiennent en application de l'article L. 2213-4-1 du code général des collectivités territoriales.

Néanmoins, et dans un délai de six mois à compter de la date à laquelle les compétences ont été transférées à l'établissement ou au groupement, si au moins la moitié des maires des communes membres se sont opposés au transfert ou si les maires s'opposant à ce transfert représentent au moins la moitié de la population de l'établissement ou du groupement, il est mis fin au transfert pour l'ensemble des communes de l'établissement ou du groupement.

• Consultation du public

En application de l'article L. 2213-4-1 du code général des collectivités territoriales, le projet d'arrêté doit être mis à la disposition du public dans les conditions prévues à l'article L. 123-19-1 du code de l'environnement et soumis pour avis, par l'autorité compétente, aux autorités organisatrices de la mobilité dans les zones et dans leurs abords, aux conseils municipaux des communes limitrophes, aux gestionnaires de voirie, ainsi qu'aux chambres consulaires concernées. Ces avis sont réputés favorables s'ils ne sont pas rendus dans un délai de deux mois.

• Étude justifiant la création d'une ZFE-m

Le projet d'arrêté est accompagné d'une étude présentant l'objet des mesures de restriction, justifiant leur nécessité et exposant les bénéfices environnementaux et sanitaires attendus de leur mise en oeuvre, notamment en termes d'amélioration de la qualité de l'air et de diminution de l'exposition de la population à la pollution atmosphérique, ainsi que les impacts socio-économiques attendus à l'échelle de la zone urbaine.

Aux termes de l'article R. 2213-1-0 du code général des collectivités territoriales, cette étude doit notamment comporter un résumé non technique, une description de l'état initial de la qualité de l'air sur la zone ainsi qu'une évaluation :

- de la population concernée par les dépassements ou le risque de dépassement des normes de qualité de l'air ;

- des émissions de polluants atmosphériques dues au transport routier sur la zone concernée ;

- de la proportion de véhicules concernés par les restrictions, et le cas échéant, les dérogations prévues ;

- des réductions des émissions de polluants atmosphériques attendues par la création de la ZFE-m.

Un projet de ZFE-m couvrant le territoire de plusieurs collectivités territoriales peut faire l'objet d'une étude unique et d'une seule procédure de participation du public.

Campagne d'information locale

La création d'une ZFE-m est accompagnée d'une campagne d'information locale, d'une durée minimale de trois mois, qui porte à la connaissance du public le périmètre contrôlé ainsi que les restrictions de circulation mises en oeuvre. Elle doit également présenter les alternatives à l'usage individuel de la voiture au sein du périmètre contrôlé, notamment l'offre de transport public, dont le transport à la demande.

Dérogations aux restrictions de circulation

Il existe trois grandes catégories de dérogations aux restrictions de circulation en ZFE-m.

En premier lieu, l'article R. 2213-1-0-1 liste les véhicules dont l'accès aux ZFE-m ne peut être interdit, et ce sans limitation dans le temps de la dérogation. Il s'agit des véhicules d'intérêt général (des services de police, de gendarmerie, des douanes, des services d'incendie et de secours, etc.), des véhicules du ministère de la défense, des véhicules portant une carte de stationnement pour personnes handicapées, des véhicules de transport en commun de personnes à faibles émissions. En complément, et de façon transitoire pendant une période comprise entre trois et cinq ans, peuvent également bénéficier d'une dérogation certains véhicules de transport en commun assurant un service de transport public régulier de personnes, lorsque la classe à laquelle appartient ce véhicule fait l'objet d'une interdiction partielle ou totale de circulation dans la zone en cause.

En second lieu, des dérogations locales peuvent être octroyées pour certaines catégories de véhicules ; l'arrêté de création de la ZFE-m devant déterminer les « catégories de véhicules concernés » par les mesures de restriction de circulation.

En troisième et dernier lieu, des dérogations individuelles36(*) peuvent être accordées, sur demande motivée des intéressés, par le maire ou par le président de l'établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre lorsque celui-ci dispose du pouvoir de police de la circulation. Il est prévu que cette autorité délivre un justificatif précisant les conditions de validité de la dérogation, le périmètre sur lequel elle s'applique et sa durée de validité, qui ne peut excéder trois ans.

À ce jour, 11 ZFE-m ont été créées en application de la loi d'orientation des mobilités dans les agglomérations représentées sur la carte ci-après.

ZFE-m mises en oeuvre en application de la loi d'orientation des mobilités

Saint-Étienne Métropole a mis en place une ZFE-m « facultative », les normes de qualité de l'air n'y étant pas dépassées.

En outre, si la métropole Toulon-Provence Métropole Méditerranée avait initialement envisagé de mettre en oeuvre une ZFE-m au 1er janvier 2023, cette échéance a récemment été repoussée.

En définitive, des ZAPA jusqu'aux ZFE-m, on observe une évolution progressive d'un dispositif au départ basé sur le volontariat et l'expérimentation dont l'ensemble des modalités de mise en oeuvre étaient laissées à la main des collectivités à une obligation, pour certaines agglomérations, de création d'une ZFE-m. Cette évolution, qui s'est notamment durcie sous la pression des différents contentieux nationaux et européens visant la France en raison des dépassements récurrents des normes de qualité de l'air, s'est par la suite vue renforcée par la loi « Climat et résilience » d'août 2021.

b) Un schéma de restriction de circulation imposé par la loi « Climat et résilience » aux ZFE-m toujours en dépassement des normes de qualité de l'air
(1) Un cadre normatif plus contraignant prescrit à l'échelle nationale

La loi dite « Climat et résilience », promulguée en août 2021, a ajouté un niveau supplémentaire à cet « empilement » de régimes déjà introduit par la loi d'orientation des mobilités37(*).

Dans les ZFE-m rendues obligatoires en application de la LOM pour non-respect des normes de qualité de l'air, et dans lesquelles des dépassements des seuils sont toujours observés de manière régulière, l'article L. 2213-4-1 du code général des collectivités territoriales prévoit désormais que l'autorité compétente est tenue de prendre des mesures de restriction de circulation pour les véhicules à quatre roues dont le poids total autorisé en charge (PTAC) est inférieur ou égal à 3,5 tonnes. Les agglomérations concernées doivent ainsi prévoir des mesures d'interdictions de circulation38(*) concernant les véhicules légers suivants :

- au plus tard le 1er janvier 2023, les véhicules classés Crit'air 5 ;

- au plus tard le 1er janvier 2024, les véhicules classés Crit'air 4 ;

- au plus tard le 1er janvier 2025, les véhicules classés Crit'air 3.

Interrogée par le rapporteur sur la liste des agglomérations concernées par ce schéma de restriction de circulation, la DGEC a indiqué que :

- sur la base des données 2017-2021 (issues du réseau national de surveillance de la qualité de l'air), les agglomérations concernées par des dépassements réguliers des normes de qualité de l'air étaient Grenoble, Lyon, Aix-Marseille, Paris, Reims, Rouen, Strasbourg, Toulouse ;

- les données 2018-2022 (qui sont encore provisoires), laissent entrevoir que 4 ou 5 agglomérations parmi les agglomérations précédemment citées pourraient être en dépassement régulier des normes de qualité de l'air sur cette période dont Paris, Lyon et Marseille.

En définitive, et sous réserve d'évolutions, il apparaît donc que les 11 ZFE-m rendues obligatoires en application de la LOM ne sont pas toutes concernées par ce schéma de restrictions de circulation. Une des difficultés de mise en oeuvre du dispositif repose d'ailleurs sur l'absence de visibilité en amont quant au point de savoir quelles sont les agglomérations concernées par le schéma de restriction défini par la loi « Climat et résilience », puisque d'une année à l'autre, selon les valeurs observées de qualité de l'air, une agglomération peut être « écartée » du dispositif. Or, compte tenu de l'impact majeur que représente le déploiement d'une ZFE-m, il est crucial, pour l'agglomération comme pour les usagers, de disposer d'un minimum de visibilité pour anticiper l'entrée en vigueur des restrictions de circulation. Cette situation conduit potentiellement certaines agglomérations à se mettre en ordre de marche pour appliquer le schéma d'interdiction de circulation prévu par la loi « Climat et résilience », sans qu'elles n'y soient véritablement obligées.

En tout état de cause, et dans le respect de ces « dates butoirs » pour l'interdiction des véhicules classés Crit'air 5 à 3, rien n'interdit par ailleurs l'autorité compétente, détentrice des prérogatives de police de la circulation, d'appliquer ces interdictions de circulations avant l'échéance prescrite, ou encore d'en ajouter.

(2) Des agglomérations placées en « première ligne » qui procèdent à des choix sensiblement différents d'une ZFE-m à l'autre

Les ZFE-m sont un outil de santé publique. Or, aux termes de l'article L. 1411-1 du code de la santé publique, « la politique de santé relève de la responsabilité de l'État ». Pour autant, le déploiement des ZFE-m relève à titre principal des agglomérations. En définitive, un grand nombre de représentants des collectivités territoriales concernées ont confié au rapporteur avoir le sentiment d'être placées en première ligne dans la mise en oeuvre d'un dispositif qui s'impose à elles.

Pour le rapporteur Philippe Tabarot, chargé du volet transports lors de l'examen par le Sénat du projet de loi « Climat et résilience », le constat était similaire : « L'État semble finalement se défausser sur les collectivités pour porter des changements difficilement acceptables sur le plan social, en s'abritant finalement derrière la logique de proximité et la libre administration des collectivités territoriales, ce qui ne manque pas d'ironie si l'on considère les atteintes qui ont été portées à cette libre administration locale dans de précédents textes ces dernières années... »39(*).

Dans ce contexte, et pour tenir compte des situations et enjeux propres à chacun des territoires dans le respect des dispositions obligatoires prévues par la loi, les 11 ZFE-m créées en application de la LOM ont, chacune, fixé leur propre calendrier d'entrée en vigueur des restrictions de circulation, comme présenté dans le tableau ci-après.

Calendrier prévisionnel de mise en oeuvre des restrictions de circulation dans les ZFE-m en vigueur

Source : DGEC

La lecture de ce tableau récapitulatif montre que les choix opérés par les agglomérations en matière de restrictions de circulation varient fortement d'une ZFE-m à l'autre.

(a) Véhicules légers : des calendriers plus ou moins progressifs, qui vont pour certains au-delà des obligations fixées par la loi

S'agissant d'abord des restrictions de circulation concernant les véhicules légers, qui sont les seuls véhicules concernés par le schéma défini par la loi « Climat et résilience », les agglomérations ont défini des calendriers d'entrée en vigueur des restrictions de circulation plus ou moins rapides.

Certaines d'entre elles, à l'image de Grenoble, Lyon, Montpellier ou Strasbourg, ont fait le choix de mettre en oeuvre les trois étapes telles que prévues par le législateur, en interdisant la circulation des véhicules classés Crit'air 5 en 2023, celle des véhicules classés Crit'air 4 en 2024 et celle des véhicules classés Crit'air 3 en 2025.

Certaines agglomérations, comme Montpellier ou Paris, ont quant à elles mis en oeuvre des restrictions de circulation avant les obligations fixées par la loi. La Métropole du Grand Paris a ainsi interdit la circulation des véhicules légers classés Crit'air 4 dès 2020 à Paris et dès 2021 au sein de la ZFE-m de la métropole.

Quelques agglomérations, enfin, ont prévu des échéances - plus ou moins lointaines - d'interdiction de circulation des véhicules légers classés Crit'air 2, au-delà de l'obligation prévue par la loi, qui se limite à un schéma de restriction de circulation dont les « frontières » s'arrêtent aux véhicules classés Crit'air 3. Ainsi, la métropole du Grand Lyon et l'Eurométropole de Strasbourg40(*) prévoient de restreindre l'accès à leur ZFE-m des véhicules classés Crit'air 2 en 2028.

(b) Véhicules lourds : des restrictions de circulation prévues dans l'ensemble des ZFE-m

La loi ne prescrit pas aux agglomérations mettant en oeuvre une ZFE-m de restreindre l'accès des véhicules lourds à ces zones. Le schéma de restriction de circulation prévu au VI de l'article L. 2213-4-1 ne s'applique en effet qu'aux véhicules légers de quatre roues dont le poids total autorisé en charge (PTAC) est inférieur ou égal à 3,5 tonnes.

Pour autant, l'ensemble des ZFE-m aujourd'hui déployées ont mis en oeuvre - ou prévoient de mettre en oeuvre - des interdictions de circulations étendues aux véhicules lourds. Certaines agglomérations, à l'image de Rouen, Lyon ou Grenoble, ont d'ailleurs fait le choix d'édicter des mesures de restriction de circulation aux véhicules lourds avant d'en appliquer aux véhicules légers. Tel est le cas de la ZFE-m de Saint-Étienne, mise en oeuvre sans obligation légale, qui se limite aux véhicules lourds et aux véhicules utilitaires légers transportant des marchandises.

Là encore, les choix retenus en termes de calendrier de restrictions de circulation pour les véhicules lourds diffèrent sensiblement d'une ZFE-m à l'autre. À titre d'illustration, les poids lourds classés Crit'air 4 n'accèdent plus à la ZFE-m de Grenoble depuis 2020 ; à Strasbourg, c'est en 2024 que ces mêmes poids lourds seront soumis à des restrictions de circulation.

(c) Deux et trois roues motorisés : des restrictions de circulation prévues dans la majorité des agglomérations

Si les deux à trois roues motorisés (2/3 RM) ne sont pas concernés par les restrictions de circulation fixées par la loi, plusieurs agglomérations ont fait le choix de restreindre l'accès de leur ZFE-m aux plus polluants d'entre eux. C'est par exemple le cas de Toulouse, de Paris ou encore de Rouen. D'autres agglomérations ont a contrario décidé de ne pas appliquer de mesures de restrictions de circulation aux 2/3 RM.

Cette diversité dans les calendriers de mise en oeuvre des restrictions de circulation se décline d'ailleurs pour chacune des modalités de déploiement des ZFE-m, qu'il s'agisse de l'application temporelle des restrictions ou encore des dérogations choisies. Le tableau ci-après présente, à titre d'exemple et de manière très pédagogique, les modalités prévues par la Métropole du Grand Paris, d'une part, et celle du Grand Lyon, d'autre part.

Modalités de mise en oeuvre des ZFE-m de la Métropole du Grand Paris
et de la Métropole du Grand Lyon

Métroropole du Grand Paris

Métropole du Grand Lyon

Véhicules classés Crit'air 3, Crit'air 4, Crit'air 5 et non classés

Véhicules classés Crit'air 5 et non classés

7 jours sur 7, de 8 heures à 20 heures

du lundi au vendredi, de 8 heures à 20 heures, excepté les jours fériés

7 jours sur 7 et 24 heures sur 24

 

· Véhicules affectés aux associations agréées de sécurité civile

· Véhicules des associations de bienfaisance

· Véhicules affectés à un service public, dans le cadre d'interventions ponctuelles

· Véhicules des professionnels effectuant des opérations de déménagement

· Véhicules utilisés dans le cadre d'événements ou de manifestations de voie publique de type festif, économique, sportif ou culturel

· Véhicules utilisés dans le cadre de tournages

· Véhicules d'approvisionnement des marchés

· Véhicules frigorifiques

· Véhicules citernes

· Véhicules spécialisés non affectés au transport de marchandises (type VASP)

· Convois exceptionnels munis d'une autorisation préfectorale

· Véhicules de collection

· Véhicules de plus de 30 ans d'âge utilisés dans le cadre d'une activité commerciale à caractère touristique

· Véhicules « petits rouleurs » : autorisés à circulation au sein de la ZFE-m jusqu'à 52 jours par an

· Véhicules utilisés pour l'approvisionnement des marchés alimentaires et des Amap, appartenant à des producteurs localisés dans un périmètre de 50 km.

· Concernant les véhicules professionnels, dérogations applicables jusqu'au 31 décembre 2025 aux véhicules spéciaux Crit'air 3 suivants :

? Véhicules frigorifiques

? Bétonnières

? Camions et camionnettes benne et benne amovible

? Camions et camionnettes porte-engins

? Camions et camionnettes citerne à eau

2. Les ZFE-m génération « Climat et résilience » : anticiper le déploiement à plus grande échelle du dispositif

Parallèlement au renforcement des ZFE-m dites « LOM », la loi « Climat et résilience » a ajouté, à la superposition des régimes déjà existants en matière de ZFE-m, une nouvelle obligation de création d'une ZFE-m dans les agglomérations de plus de 150 000 habitants avant le 31 décembre 2024.

La liste des communes incluses dans les agglomérations est fixée par un arrêté des ministres chargés de l'environnement et des transports, qui doit être actualisée tous les cinq ans. En l'espèce, 32 nouvelles agglomérations41(*), qui s'ajoutent au 11 ZFE-m déjà en vigueur, sont concernées par cette nouvelle obligation, comme le montre la carte ci-dessous.

Source : Ministère de la transition écologique

Cette obligation d'instauration est réputée satisfaite sur le territoire de l'agglomération lorsque, le cas échéant, le président de l'établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre dont la population est la plus importante au sein de l'agglomération a créé une ZFE-m couvrant la majeure partie de la population de l'établissement public.

Néanmoins, une agglomération a indiqué au rapporteur que ce seuil n'était pas adapté aux EPCI dans lesquels la densité urbaine est faible et le nombre de communes élevé, puisque cette situation conduit de facto à inclure dans la ZFE-m des communes rurales pour lesquelles le dispositif a moins de sens et où la mise en oeuvre est beaucoup plus complexe. Une autre agglomération a quant à elle souligné que l'effet pervers de cette maille de décision était susceptible de renforcer le déclassement de l'attractivité des centres villes au détriment des zones commerciales périphériques.

Par ailleurs, il convient de noter que l'obligation de créer une ZFE-m dans les agglomérations de plus de 150 000 habitants peut être écartée dans deux cas de figure42(*) :

- lorsqu'il est démontré, au moins trois années sur les cinq dernières années, par des mesures réalisées ou par de la modélisation, que les concentrations moyennes annuelles en dioxyde d'azote (NO2) sont inférieures ou égales à 10 ìg/m3 :

o sur l'ensemble des stations fixes de mesure de la qualité de l'air de l'agglomération ;

o ou pour au moins 95 % de la population de chaque commune de l'agglomération ;

- lorsque les autorités compétentes démontrent par évaluation modélisée, au plus tard 18 mois avant l'échéance d'obligation d'instauration, que les actions mises en place permettent d'atteindre les concentrations en dioxyde d'azote précitées sur l'ensemble de l'agglomération ou pour au moins 95 % de la population de chaque commune de l'agglomération, dans des délais plus courts ou similaires à ceux procédant de la mise en place d'une ZFE-m.

Force est de constater le caractère restrictif des seuils retenus pour ces deux dérogations. Le seuil de concentration annuelle en dioxyde d'azote retenu pour permettre aux agglomérations de déroger à l'obligation de création d'une ZFE-m « Climat et résilience » est en en effet quatre fois plus bas que celui défini par le droit français43(*) et correspond aux seuils limite fixé par l'OMS. Ainsi, d'après la DGEC, sur les 33 agglomérations potentiellement concernées par cette obligation, seule Saint-Nazaire respecte ce seuil de façon certaine. Selon les données recueillies en 2022 et 2023, Le Mans et Angers pourraient potentiellement être exemptées de l'obligation de création d'une ZFE-m d'ici 2025.

Le tableau ci-après résume schématiquement les différents régimes de ZFE-m qui co-existent dans le droit en vigueur.

 

ZFE- m facultatives

ZFE -m obligatoires

ZFE-m « LOM »

ZFE-m « LOM » toujours en dépassement des normes de qualité de l'air

ZFE-m « Climat et résilience »

Agglomérations concernées

Agglomérations et zones pour lesquelles un plan de protection de l'air est adopté, en cours d'élaboration ou en cours de révision

1) Agglomérations dans lesquelles les normes de qualité de l'air ne sont pas respectées de manière régulière sur le territoire de la commune ou de l'EPCI compétent

2) Agglomérations dans lesquelles les normes de qualité de l'air ne sont pas respectées, de manière régulière, sur le territoire de la commune ou de l'EPCI et dans lesquelles les transports terrestres sont à l'origine d'une part prépondérante des dépassements

ZFE-m rendues obligatoires en application de la LOM (ZFE-m « LOM »), dans lesquelles les normes de qualité de l'air n'y sont pas respectées de manière régulière

Agglomérations de plus de 150 000 habitants situées sur le territoire métropolitain

Date limite de création de la ZFE-m

X

1) Avant le 31/12/2020

2) À compter du 01/01/2023

(Concerne les ZFE-m déjà créées en application de la LOM)

Avant le 31/12/2024

Restrictions de circulation

Sur décision des collectivités territoriales

Sur décision des collectivités territoriales

Concernant les véhicules légers (PTAC < 3,5 tonnes), interdiction des véhicules classés :

- Crit'air 5 au plus tard le 01/01/2023

- Crit'air 4 au plus tard le 01/01/2024

- Crit'air 3 au plus tard le 01/01/2025

Sur décision des collectivités territoriales

En tout état de cause, le déploiement, à plus grande échelle, des ZFE-m sur l'ensemble du territoire, avec plus d'une quarantaine d'agglomérations concernées risque, à court-terme, de poser des difficultés de lisibilité pour les usagers.

Ces difficultés se font d'ores et déjà ressentir dans les « seules » 11 ZFE-m d'ores et déjà en vigueur. Cette problématique est particulièrement prégnante chez les professionnels, et notamment ceux du transport routier de marchandises, qui effectuent régulièrement des trajets de longue distance d'une ZFE-m à l'autre.

D'après la Fédération nationale des transports routiers (FNTR), les déplacements entre plusieurs ZFE-m sont complexes et nécessitent une importante planification ainsi qu'une flotte mixte de véhicules pour s'adapter aux différentes restrictions prévues, ce qui suppose un effort conséquent d'investissement. Cette situation est d'ailleurs de nature à favoriser les entreprises de taille intermédiaire (ETI) du transport au détriment d'entreprises plus petites. La FNTR résume ainsi la situation : « Les entreprises doivent tenir compte d'autant de règles qu'il existe de ZFE-m. C'est encore plus compliqué quand il y a plusieurs ZFE-m dans une même région avec des calendriers différents de restriction ».

Ces difficultés vont sans aucun doute prendre de l'ampleur avec la multiplication par quatre du nombre de ZFE-m dans les années à venir et toucheront les professionnels mais aussi les particuliers. En l'état actuel du droit, la région Hauts-de-France devrait en effet compter six ZFE-m d'ici le 1er janvier 2025 (Lille, Amiens, Douai-Lens, Valenciennes, Béthune et Dunkerque), tout comme la région Auvergne-Rhône-Alpes (Lyon, Saint-Étienne, Annemasse, Annecy, Chambéry, Grenoble). Chaque agglomération choisissant les modalités de mise en oeuvre de sa ZFE-m en fonction de paramètres locaux (périmètre, véhicules concernés, dérogations, etc.), cette situation est susceptible, à terme, de rendre illisible ce dispositif et de devenir insupportable pour un certain nombre de particuliers et de professionnels démunis face à des règles de circulation morcelées. Ainsi, d'après la Ligue de Défense des conducteurs, « l'information des usagers est diluée dans la multiplication des règles, des calendriers, des dérogations, toutes spécifiques à chaque ZFE-m, créant une cacophonie rendant l'accès aux renseignements illisibles. »

Afin de permettre un déploiement concerté des ZFE-m en cours avec celles à venir, la commission propose d'anticiper le déploiement du dispositif à plus grande échelle, par l'organisation de conférences régionales visant à mieux articuler les dispositifs entre eux. À cet égard, la maille régionale semble être la plus pertinente pour effectuer ce travail de coordination, compte tenu non seulement des compétences dévolues aux régions en matière de développement économique, mais aussi en matière de mobilité. Plus ciblée qu'une règle unique qui serait définie à l'échelle nationale, ce temps de concertation permettrait en outre de tenir compte des contextes locaux et de définir des règles adaptées en fonction des caractéristiques propres à chaque territoire, dans le respect du principe de libre administration des collectivités territoriales. À titre d'exemple, elles pourraient être l'occasion, dans les régions transfrontalières, d'examiner les modalités de mise en oeuvre des ZFE-m retenues dans les pays voisins.

PROPOSITION 2 : Garantir un déploiement concerté des ZFE-m, par le biais de conférences régionales chargées de mieux coordonner leurs modalités de mise en oeuvre.


* 25 Article 182 de la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement créant l'article L. 228-3 du code de l'environnement.

* 26 Clermont Communauté, Communauté du pays d'Aix, Communauté urbaine de Bordeaux, Grand Lyon, Grenoble-Alpes métropole, Ville de Paris, Plaine Commune et Nice Côte d'Azur.

* 27 Nice Côte d'Azur n'a pas mené à terme l'étude de faisabilité.

* 28 Ademe, février 2015, «  Zones d'actions prioritaires pour l'air (ZAPA) - Synthèse des études de

faisabilité réalisées par sept collectivités françaises  ».

* 29 Article 48 de la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte.

* 30 En application de l'article L. 222-4 du code de l'environnement, dans toutes les agglomérations de plus de 250 000 habitants, ainsi que dans les zones où les normes de qualité de l'air ne sont pas respectées ou risquent de ne pas l'être, le préfet élabore un plan de protection de l'atmosphère.

* 31 Rapport n° 368 (2018-2019) de M. Didier MANDELLI, fait au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, déposé le 6 mars 2019.

* 32 Article 86 de la loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 d'orientation des mobilités.

* 33 Étude d'impact au projet de loi d'orientation des mobilités, 22 février 2019.

* 34 Aux termes de l'article D. 2213-1-0-2 du code général des collectivités territoriales, sont considérées comme ne respectant pas de manière régulière les normes de qualité de l'air les zones administratives de surveillance de la qualité de l'air, définies en application de l'article R. 221-3 du code de l'environnement, dans lesquelles l'une des valeurs limites relatives au dioxyde d'azote (NO2), aux particules PM10 ou aux particules PM2,5 mentionnées à l'article R. 221-1 du code de l'environnement n'est pas respectée au moins trois années sur les cinq dernières.

* 35 En application de l'article R. 2213-1-0-1 du code général des collectivités territoriales, les transports terrestres sont considérés comme étant à l'origine d'une part prépondérante des dépassements de valeurs limites soit lorsque les transports terrestres sont la première source des émissions polluantes, soit lorsque les lieux concernés par le dépassement sont situés majoritairement à proximité des voies de circulation routière.

* 36 III de l'article R. 2213-1-0-1 du code général des collectivités territoriales.

* 37 Article 119 de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets.

* 38 Ces mesures de restriction de circulation ne s'appliquent toutefois pas aux véhicules dont l'autonomie équivalente en mode toute électrique en ville est supérieure à cinquante kilomètres.

* 39 Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, 2 juin 2021, Projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets - Examen du rapport et du texte de la commission

* 40 Néanmoins, l'Eurométropole de Strasbourg a prévu des évaluations intermédiaires de cet objectif en 2024 et 2026, qui pourraient conduire à revoir ce calendrier.

* 41 Arrêté du 22 décembre 2021 établissant les listes d'agglomérations de plus de 100 000, 150 000 et 250 000 habitants conformément à l'article R. 221-2 du code de l'environnement et à l'article L. 2213-4-1 du code général des collectivités territoriales.

* 42 Prévus à l'article D. 2213-1-0-5 du code général des collectivités territoriales.

* 43 Le seuil fixé pour les dioxydes d'azote est de 40 ìg/m3 aux termes de l'article L. 221-1 du code de l'environnement.