B. UN DÉFAUT DE LISIBILITÉ AGGRAVÉ PAR UNE COMMUNICATION CONFUSE DES POUVOIRS PUBLICS

1. Des difficultés de mise en oeuvre induites par une hétérogénéité source de confusion
a) Un maquis peu lisible

Les différents dispositifs de soutien aux consommateurs se caractérisent par une grande hétérogénéité qui a indiscutablement nui à leur lisibilité et à leur bonne compréhension par leurs bénéficiaires potentiels, en particulier s'agissant des petits professionnels.

Certains dispositifs d'aide, les plus simples, les plus efficaces et qui n'occasionnent pas d'avance de trésorerie de la part de leurs bénéficiaires, interviennent ex-ante et sont directement intégrés à la facture d'énergie. Il s'agit des boucliers tarifaires et des amortisseurs. À l'inverse, d'autres dispositifs, qui passent par l'Agence de services et de paiement (ASP), ne sont versés qu'ex-post et impliquent une avance de trésorerie de plusieurs mois pour leurs bénéficiaires. Il s'agit principalement des mesures d'aides dédiées à l'habitat collectif.

Certains dispositifs sont automatiques ou quasi-automatiques, comme les boucliers tarifaires, lorsque d'autres exigent des démarches de la part de leurs bénéficiaires. Figurent dans cette dernière catégorie les dispositifs d'amortisseurs ainsi que les mesures dédiées à l'habitat collectif pour lesquels les bénéficiaires doivent se signaler auprès de leur fournisseur par le moyen d'attestations.

La complexité, la confusion et le manque de lisibilité pour les acteurs proviennent également de l'hétérogénéité des paramètres et des modalités de calcul entre les dispositifs. À titre d'exemple, les aides consacrées à l'habitat collectif prennent pour référence le point de livraison tandis que l'amortisseur prend pour référence le SIREN du client.

Une autre source de confusion majeure, à l'origine du mouvement de contestation dit des « boulangers » en début d'année 2023, tient à la condition d'éligibilité des TPE aux TRVe relative à la puissance de leur compteur électrique38(*), éligibilité qui, par voie de conséquence, emporte aussi le bénéfice du bouclier tarifaire sur les prix de l'électricité. Sans doute en partie alimentée par les choix de communication du Gouvernement à propos de la protection des TPE par le bouclier tarifaire, cette confusion s'est transformée en frustration et en colère lorsque ces TPE, pourtant les plus exposées à la hausse des prix de l'électricité, ont pris conscience qu'elles ne seraient pas protégées à la hauteur de leurs homologues et que, pour celles qui avaient renouvelé leurs contrats en 2022, elles allaient subir des hausses de prix susceptibles de menacer leur pérennité.

Une dernière divergence tient au circuit emprunté par les compensations versées par l'État aux fournisseurs au titre de ces dispositifs. Deux circuits distincts ont ainsi été distingués, d'une part le mécanisme des compensations pour charges de service public de l'énergie (CSPE) géré par la CRE et, d'autre part le circuit géré par l'ASP. Selon les dispositifs, les fournisseurs doivent ainsi alternativement adresser leurs demandes de compensations soit à la CRE, dans le cadre des « guichets » qu'elle organise en vertu des dispositions du code de l'énergie et de l'article 181 de la LFI pour 202339(*), soit à l'ASP, dans le respect des délais établis pour les dispositifs concernés. Les compensations relatives aux dispositifs de boucliers tarifaires et d'amortisseurs sont versées par la CRE au titre des CSPE tandis que les compensations des mesures dédiées à l'habitat collectif sont prises en charge par l'ASP.

Outre ses effets négatifs en termes de lisibilité pour leurs bénéficiaires potentiels, la multiplication des circuits, des guichets d'aides et de dispositifs aux caractéristiques et aux périmètres différents contribuent aussi à accroître la complexité des dispositifs et les charges administratives qu'ils induisent pour les fournisseurs (voir infra) qui soulignent notamment la particulière lourdeur des mécanismes gérés par l'ASP.

b) Le manque de lisibilité a retardé la mise en route des mesures

La complexité des mesures, leur mise en oeuvre tardive ainsi que le manque de lisibilité du paysage des aides expliquent sans doute en bonne partie le « retard à l'allumage » des dispositifs non automatiques, au premier rang desquels les amortisseurs et les soutiens à destination de l'habitat collectif.

Ainsi, pour les dispositifs d'amortisseurs, le retour des attestations de la part des bénéficiaires, principalement les TPE et les PME, a-t-il été beaucoup plus lent qu'escompté. À la fin du mois de janvier seuls 30 % des attestations qui étaient attendues avaient été effectivement reçus par les fournisseurs. Alors que la date limite pour faire parvenir ces attestations avait initialement été fixée au 31 mars 2023, cette situation laissait craindre un taux de non recours extrêmement élevé. Le délai a été reporté au 30 juin 2023 et depuis, le risque d'un taux de non recours significatif a été écarté puisque plus de 85 % des attestations attendues ont désormais été transmises aux fournisseurs.

En revanche, et même si la situation réelle est très difficile à estimer faute d'informations disponibles, les perspectives semblent beaucoup moins favorables pour le dispositif rétroactif de soutien aux prix de l'électricité dédié à l'habitat collectif au titre du second semestre 2022. À la fin du mois de mai 2023, seules 86 demandes de compensations relatives à cette mesure avaient été déposées auprès de l'ASP pour un total de 42 millions d'euros.

Les fournisseurs ont souligné à quel point la mise en oeuvre de ce dispositif, notamment compte tenu des délais imposés, avait été délicate. Certains font état d'un taux de retour d'attestation inférieur à 15 % par rapport aux sites qu'ils avaient ciblés.

Cependant, et c'est symptomatique du manque d'informations dont disposent les pouvoirs publics non seulement pour concevoir les dispositifs de soutien mais également pour en suivre et en piloter la mise en oeuvre, l'administration n'a toujours aucune visibilité à ce jour sur le nombre de sites qui se sont manifestés auprès de leurs fournisseurs pour demander une aide au titre du second semestre 2022. L'ampleur du risque de non recours sur ce dispositif, qui pourrait être élevé compte-tenu de sa complexité, n'est ainsi pas connue à ce jour.

c) Des difficultés particulières rencontrées par les copropriétés

Au cours de ses auditions, le rapporteur spécial a été interpellé sur les difficultés particulières rencontrées par les copropriétés en raison de la complexité des aides qui leur sont dédiées. L'administration reconnaît qu'elle a beaucoup de mal à suivre ces dispositifs.

L'ASP commence tout juste à recevoir de premières demandes de versements des fournisseurs. La complexité des différentes étapes du processus explique que les copropriétaires n'ont pas encore été bénéficiaires de l'aide qui intervient avec plus d'une année de décalage et occasionne parfois une avance de trésorerie particulièrement lourde, susceptible d'avoir une incidence sur les impayés de charges de copropriétés. Certains fournisseurs, qui avaient réalisé des actions proactives de prospection disent regretter le manque d'investissement des syndics de copropriété.

Si, à défaut de remontées d'informations suffisamment fiables à ce stade, il apparaît encore trop tôt pour tirer des conclusions suffisamment étayées sur le bilan de la mise en oeuvre des dispositifs d'aides en faveur des copropriétés, le rapporteur spécial suivra avec attention les futurs développements relatifs à cette problématique sensible.

2. Des effets d'annonce et une communication confuse ont nui à la compréhension et à la mise en oeuvre des dispositifs

À l'impréparation et au manque d'anticipation du Gouvernement dans la construction de la réponse à la crise des prix de l'énergie, s'est ajoutée une stratégie de communication confuse et illisible, privilégiant les effets d'annonce, qui s'est retournée contre les pouvoirs publics en perturbant durablement la mise en oeuvre des dispositifs et la perception qu'en ont les acteurs.

Cette communication confuse a été source d'incompréhension, elle a parfois donné de faux espoirs à certains consommateurs qui se sont rapidement transformés en frustration puis en colère et, elle a in fine obscurci encore davantage la compréhension des dispositifs, compliquant leur bonne appréhension par les acteurs.

Ainsi, la communication du Gouvernement de type « effets d'annonce » quant à la protection universelle des ménages par les boucliers a fait naître des incompréhensions puis des frustrations fortes parmi ceux qui, à l'origine, n'étaient pas éligibles au dispositif, en particulier les ménages utilisant un chauffage collectif. De même, la crise dite des « boulangers » est également largement le résultat d'une incompréhension de la part des TPE inéligibles aux TRVe par rapport à la communication gouvernementale qui vantait la protection apportée par le bouclier tarifaire sur les prix de l'électricité au tissu des TPE. Dans les deux cas, les « effets d'annonce » imprécis du Gouvernement, occultant les lacunes des mesures, ont généré dans un premier temps des espoirs puis des frustrations avant de se transformer en vives protestations et de finalement se retourner contre l'exécutif lui-même, contraint d'improviser des dispositifs ad hoc en urgence.

La communication relative aux mesures de soutien dédiées à l'habitat collectif, improprement qualifiées de « boucliers », a également induit de la confusion et de l'incompréhension de la part des bénéficiaires. En effet, ces mesures sont très différentes des boucliers tant en ce qui concerne leurs procédures que leur temporalité puisqu'elles n'interviennent qu'ex-post et induisent des avances de trésorerie de la part des consommateurs éligibles. Le rapporteur spécial a pu constater lors de ses auditions que ces effets d'annonce induisent encore aujourd'hui de l'incompréhension et de la frustration, notamment s'agissant des copropriétés qui s'interrogent pour savoir quand et si elles recevront bien les aides promises.

L'épisode au cours duquel la communication des pouvoirs publics a probablement été la plus confuse et la plus illisible est celui des renouvellements de contrats de fourniture d'électricité conclus au plus fort de la crise, à l'été et à l'automne 2022. Durant cette période, les messages des pouvoirs publics, que ce soit le Gouvernement ou la CRE, ont été très fluctuants et contradictoires générant incompréhension et angoisse pour les entreprises qui se voyaient proposer des contrats de fourniture à des prix exorbitants et qui ne savaient pas si elles devaient ou non les signer.

Le Gouvernement a dans un premier temps demandé aux entreprises de temporiser et de ne pas renouveler leurs contrats avant, dans un deuxième temps de tenir le discours exactement inverse craignant que des consommateurs se retrouvent sans contrat de fourniture en 2023. La CRE elle-même a incité les entreprises à renouveler leurs contrats à cette période pour qu'elles puissent bénéficier du dispositif d'ARENH en 2023.

Ces messages contradictoires ont introduit de l'illisibilité du côté des consommateurs comme des fournisseurs qui pour certains, par rationalité économique et en présence d'un marché très tendu et très peu liquide sur lequel ils pouvaient difficilement réaliser des achats à terme pour garantir les volumes prévisionnels de fourniture de ces contrats, étaient très réticents à proposer de nouveaux contrats à leurs clients pendant cette période. C'est dans ce contexte, et pour éviter le spectre de consommateurs se retrouvant sans contrat en 2023 que le Gouvernement a négocié une charte de 25 engagements avec les principaux fournisseurs d'énergie le 5 octobre 2022. Les fournisseurs se sont notamment engagés à proposer au moins une offre de renouvellement à leurs clients pour l'année 2023.

La confusion de la communication gouvernementale au sujet des renouvellements de contrats de fourniture d'électricité en 2022 n'avait cependant pas encore atteint son point d'orgue. Il le sera en janvier 2023 lorsque le Gouvernement a annoncé, avant d'effectuer un rétropédalage, que les contrats signés au plus fort de la crise par les professionnels pourraient être résiliés ou renégociés sans indemnités pour les fournisseurs. Cette déclaration démagogique qui ne tenait absolument pas compte de la réalité économique sous-jacente aux contrats de fourniture a fait naître des espérances et des illusions durables dans l'esprit des consommateurs qui, encore aujourd'hui, s'appuient sur ces déclarations pour exiger de leurs fournisseurs une renégociation ou une résiliation de leurs contrats sans frais.

La déclaration de l'exécutif était d'autant plus démagogique que le Gouvernement lui-même avait imposé aux fournisseurs de proposer des contrats à leurs clients, y compris au plus fort de la crise. Or, lorsqu'un fournisseur conclut un contrat avec un client il doit se « sourcer », c'est-à-dire provisionner ce contrat en achetant à l'avance le volume d'énergie correspondant à la consommation anticipée sur la durée à venir du contrat. Lorsqu'ils concluent des contrats en période de prix élevés, les fournisseurs eux-mêmes achètent les volumes d'énergie correspondant à des tarifs élevés. Aussi, la résiliation sans indemnités de ces contrats induirait de très lourdes pertes financières pour les fournisseurs.


* 38 Qui doit être inférieure à 36 kVA.

* 39 Pour alléger la trésorerie des fournisseurs, l'article 181 de la LFI pour 2023, en dérogation aux dispositions de droit commun du code de l'énergie, a ainsi prévu que la CRE organise deux guichets exceptionnels en début d'année 2023. Le premier s'est tenu jusqu'au 20 janvier et le second jusqu'au 15 mars.

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