EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mardi 27 juin 2023 sous la présidence de M Claude Raynal, président, la commission a entendu une communication de Mme Christine Lavarde, rapporteur spécial, sur les dispositifs de soutien aux consommateurs d'énergie.

M. Claude Raynal, président. - Nous entendons une communication de Mme Christine Lavarde, rapporteur spécial, sur le suivi des boucliers tarifaires et de l'amortisseur électricité. Je salue M. Daniel Gremillet, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, qui est présent parmi nous.

Mme Christine Lavarde, rapporteur spécial. - Nous avons choisi de nous pencher sur les dispositifs de soutien aux consommateurs d'énergie, au vu des fortes fluctuations récentes des prix du gaz et de l'électricité.

Le prix du gaz diminue de nouveau, après avoir fortement augmenté, notamment durant l'été 2022. Selon les dernières hypothèses, il devrait revenir à environ 50 euros par mégawattheure, soit un prix plus de deux fois supérieur au prix de base antérieur à la crise, qui avoisinait les 20 euros par mégawattheure. Le prix de gros du gaz représente par ailleurs 41 % du prix de détail payé par les consommateurs.

Le prix de l'électricité a été marqué également par une forte volatilité. Une diminution relative s'observe actuellement, après plusieurs pics enregistrés au cours des derniers mois, dont un pic particulièrement élevé en août 2022, à près de 1 000 euros par mégawattheure. Une différence de 50 euros par mégawattheure sépare toutefois les prix français des prix allemands, à la livraison, pour 2024. Une incertitude demeure en effet sur la capacité de la France à mobiliser sa production nucléaire. Les marchés anticipent en la matière des difficultés analogues à celles qui ont été rencontrées au cours des exercices 2022 et 2023.

Quoi qu'il en soit, on maintient une hypothèse de prix assez élevés pour 2024, le prix de livraison du dernier trimestre 2023 étant situé à environ 250 euros par mégawattheure, contre 50 euros avant la crise. Au total, le prix de l'électricité a donc été multiplié par cinq et celui du gaz par deux.

Le transfert entre le prix de gros et le prix de détail s'effectue différemment pour l'électricité et pour le gaz, en raison notamment du mécanisme de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh), dont la disparition est programmée pour 2025, sans que l'on sache par quoi ce mécanisme sera remplacé. La part « Arenh » vient interférer dans le prix de détail de référence calculé par la Commission de régulation de l'énergie (CRE).

Face à cette situation, le Gouvernement a mobilisé plusieurs dispositifs d'aide, au sujet desquels il a peu communiqué. Il existe tout d'abord des boucliers tarifaires, pour l'électricité et pour le gaz, qui s'appliquent automatiquement. Le consommateur n'a rien à faire pour en bénéficier. De plus, ces boucliers étant intégrés directement à sa facture, il n'a pas à effectuer d'avance de trésorerie.

Ces deux dispositifs - électricité et gaz - n'ont pas été mis en oeuvre simultanément. En revanche, dans les deux cas, ils se sont appliqués à la fois aux clients bénéficiant des tarifs réglementés de vente (TRV) et aux clients bénéficiant des offres de marché. La fin des TRV du gaz, qui interviendra le 1er juillet 2023, n'aura donc pas de conséquence sur l'applicabilité du bouclier tarifaire, puisque ce n'était pas le fait d'acheter du gaz au tarif réglementé qui donnait droit au bouclier. La loi de finances pour 2023 prévoyait d'ailleurs le maintien de l'existence des boucliers jusqu'à la fin de l'année, soit après la disparition des TRV.

Le périmètre des bénéficiaires des boucliers tarifaires sur l'électricité et le gaz s'est élargi progressivement. Les derniers à y être entrés sont les syndicats de copropriété, qui ont pu prétendre au bouclier tarifaire sur le gaz le 1er novembre 2022.

La Première ministre a annoncé le 26 mars dernier que le bouclier tarifaire sur le gaz resterait en vigueur jusqu'au 31 décembre 2023. Or cette annonce a été contredite par le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, qui a déclaré le 19 juin dernier qu'il prendrait fin le 30 juin prochain. Cette annonce, quelques jours avant la fin prévue du bouclier gaz, est représentative des défauts de communication et de l'absence de préparation manifeste du Gouvernement face auxquels nous nous sommes retrouvés à plusieurs reprises au cours de nos travaux. Les messages sont difficilement compréhensibles, tant pour les clients que pour les fournisseurs chargés de mettre en oeuvre ces dispositifs.

La forme du bouclier tarifaire sur l'électricité a évolué légèrement au fil du temps. En effet, la hausse des prix de l'électricité a été plafonnée à 15 % en 2023, contre 4 % en 2022. De plus, le dispositif a été revu en février 2023, car il était pénalisant pour les clients disposant d'un contrat « heures pleines-heures creuses ».

Le bouclier tarifaire sur l'électricité profite à 84 % des très petites entreprises (TPE), selon la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), et à environ 30 000 collectivités locales, selon le Gouvernement.

Ces dispositifs bénéficient à des consommateurs individuels et ne peuvent s'appliquer en cas de chauffage collectif. Afin de remédier à ce problème, le Gouvernement a mis en place un autre type de bouclier. Pour en bénéficier, la copropriété ou le syndicat de copropriétaires doit en faire la demande au fournisseur d'énergie, lequel envoie un document à l'Agence de services et de paiement (ASP) pour obtenir un remboursement, reversé ensuite au syndicat qui diminue l'appel de charges transmis au consommateur final. Ce dernier se trouve donc tenu de faire une avance de trésorerie, et doit attendre longtemps avant d'en percevoir la compensation.

Un bouclier de ce type est intervenu pour le gaz dès le mois d'avril 2022, avec un effet rétroactif au 1er novembre 2021, suivi d'un second bouclier, pour l'électricité, apparu en décembre 2022, avec un effet rétroactif en juillet 2022. On retrouve ici également une différence de calendrier. Néanmoins, les bénéficiaires de ces deux dispositifs sont les mêmes. La liste de ces derniers a toutefois été progressivement dévoilée pour le bouclier sur le gaz, alors qu'elle a été fixée dès le départ pour l'électricité. Il est à noter que les bornes de recharge sont éligibles au dispositif électricité.

Chacun de ces boucliers s'accompagne d'un « surbouclier ». Les consommateurs ayant signé un contrat d'achat dans lequel les tarifs payés excèdent de 30 % les TRV voient leur surfacture prise en charge à 75 % par l'État. Ce dispositif peine cependant à trouver son public pour les factures d'électricité. Ainsi, à la fin du mois de mai 2023, seules 86 demandes avaient été émises au titre du second semestre 2022.

J'en viens à présent aux dispositifs destinés aux petits consommateurs professionnels. Il existe tout d'abord un dispositif de foisonnement, qui donne aux fournisseurs d'électricité la possibilité, s'ils bénéficient de compensations supérieures aux prix auxquels ils auraient acheté l'énergie en l'absence des TRV, de faire bénéficier les consommateurs de ce gain. Ce système a surtout profité aux petits consommateurs professionnels non éligibles aux TRV, soit un nombre de bénéficiaires assez réduit.

Le principal mécanisme destiné aux petits consommateurs professionnels est l'amortisseur électricité. S'adressant aux PME, aux collectivités locales et aux personnes morales du secteur public ou privé bénéficiant de plus de 50 % de subventions, ce dispositif est assez complexe. Pour en bénéficier, il faut remplir une attestation adressée à son fournisseur, lequel applique, une fois l'éligibilité au dispositif confirmée, la réduction correspondante sur la facture. L'État prend en charge 50 % de la différence entre le prix de l'énergie du contrat et le prix de 180 euros par mégawattheure.

La complexité de l'attestation ayant fortement ralenti la mise en oeuvre de ce dispositif, le Gouvernement a décidé de reporter l'échéance fixée pour le retour des attestations, afin que tous les bénéficiaires puissent y prétendre. Les fournisseurs estiment que 85 % des attestations attendues ont été reçues. L'amortisseur électricité bénéficie pour 70 % à des TPE, pour 20 % à des PME, pour 5 % à des collectivités locales et pour 5 % à des personnes morales.

Il existe également un dispositif de « suramortisseur » défini par voie réglementaire, censé garantir aux petits consommateurs professionnels un prix de vente limité à 280 euros par mégawattheure. Ce suramortisseur s'adresse aux TPE-PME ayant souscrit un nouveau contrat d'énergie au plus fort de l'année 2022, soit à des prix très élevés. En effet, à partir du moment où l'on souscrit un contrat, le fournisseur réplique automatiquement cet engagement en achetant un volume équivalent sur le marché. La couverture se fait donc au prix du moment. Il en résulte un décalage entre les prix observés sur le marché et les prix payés par les consommateurs. Un consommateur peut ainsi continuer à payer son mégawattheure 600 euros alors que le prix est redescendu à 200 euros sur les marchés, et ce sur des durées parfois longues, de deux à trois ans.

Lors de nos auditions, il nous a été dit qu'il fallait, pour y remédier, permettre aux clients de renégocier leurs tarifs. Cependant, si cette mesure était prise, il faudrait que la puissance publique indemnise les fournisseurs, qui auront acheté l'énergie au prix du moment. Reste que le Gouvernement a fortement incité les consommateurs à souscrire ces contrats et que l'on ne peut les laisser de côté, sans aucune aide, en 2024 et en 2025. Nous formulons plusieurs propositions à cet égard.

Des dispositifs ont enfin été mis en place pour les consommateurs électro-intensifs. Mobilisés sur demande, ils se présentent sous la forme d'un remboursement. Les crédits correspondants ont été ouverts au fur et à mesure. Sur les 3 milliards d'euros de crédits ouverts en 2022, seuls 80 millions d'euros ont été consommés. Les critères d'accès à ce système ont donc été assouplis à la fin de l'exercice 2022. La loi de finances pour 2023 prévoit en outre 4 milliards d'euros de crédits supplémentaires. À ce jour, il est impossible de savoir si les 7 milliards d'euros de crédits ouverts seront réellement consommés.

J'en viens à la façon dont la France se positionne par rapport à ses voisins européens du point de vue des dispositifs de soutien mis en place pour faire face à la hausse des prix de l'énergie. Si le système français est particulièrement favorable aux consommateurs individuels et aux petits professionnels, le système allemand est plus avantageux pour les PME et les entreprises de taille intermédiaire (ETI). En revanche, en France comme en Allemagne, les guichets se sont avérés inefficaces.

D'autres pays ont opté, comme la France, pour une diminution de la fiscalité sur l'énergie. L'Italie s'est distinguée par un recours massif aux crédits d'impôt.

Contrairement à ce qu'il se passe en Allemagne, le système français n'incite pas les consommateurs à faire des économies d'énergie, puisqu'il ne récompense en aucune façon ces économies.

En sus des différents dispositifs que je viens de citer, il existe de nombreux chèques. Si le chèque énergie, qui figure tous les ans dans la loi de finances, est désormais bien connu, d'autres chèques exceptionnels ont été mobilisés par le Gouvernement. À la fin de l'année 2021, un chèque exceptionnel d'un montant moyen de 100 euros a été déployé, qui a engendré 0,6 milliard d'euros d'ouvertures de crédits. Dans le cadre d'une loi de finances rectificative (LFR) pour 2022, 200 euros supplémentaires ont été octroyés aux titulaires du chèque de base, et le périmètre d'éligibilité de ce dispositif a été étendu aux ménages des troisième et quatrième déciles de revenu, pour 100 euros, moyennant un financement de 1,8 milliard d'euros.

Alors que le taux de recours au chèque énergie de base s'élève chaque année à environ 85 %, il reste en revanche à ce jour 930 millions d'euros de crédits, sur les 1,8 milliards d'euros de crédits, à consommer sur les chèques exceptionnels, qui ont donc été très peu sollicités. Cette situation tient notamment à plusieurs problèmes sur lesquels il faudrait faire évoluer la réglementation. Ainsi, en cas de logement collectif, en l'absence de facture d'énergie à son nom, il est impossible d'utiliser ces chèques pour payer ses charges de copropriété. Nous demandons donc au Gouvernement de se saisir de cette question. Une telle extension de la liste des bénéficiaires du chèque énergie semble d'autant plus réalisable que, dans le cadre de la loi de finances pour 2022, les résidences sociales y ont été intégrées.

Des chèques énergie fioul et bois ont également été institués. Leurs montants et les périmètres de leurs bénéficiaires ne sont pas les mêmes que ceux des autres chèques. Toutefois, le même problème se retrouve : seuls 50 millions d'euros de crédits ont été consommés, sur les 230 millions d'euros de crédits ouverts sur les deux chèques, et ce malgré le report par le Gouvernement de la date limite d'utilisation de ces chèques, et les campagnes de communication organisées à leur sujet.

Au total, près de 3 milliards d'euros de chèques énergie exceptionnels ont donc été lancés depuis 2021.

Une indemnité carburant a également été instaurée, portée par deux programmes budgétaires différents. La première remise instaurée entre avril et juillet 2022 était en effet soutenue par le programme 345, pour 3,2 milliards d'euros de crédits, soit un montant supérieur à la ligne budgétaire initialement ouverte, de 3 milliards d'euros. Quant à la seconde remise, valant de septembre à décembre 2022, elle s'est appuyée sur le programme 174.

Ce dispositif a plutôt bien fonctionné : 4,5 milliards d'euros ont en effet été consommés sur les 4,7 milliards d'euros de crédits ouverts. Il est vrai qu'il était particulièrement facile d'accès. Tout automobiliste, même non français, y avait accès à partir du moment où il se fournissait en essence dans une pompe à essence située sur le territoire national. Ce dispositif a ainsi profité à tout le monde, y compris les ménages situés au-dessus du huitième décile. Il a été revu dans le cadre de la loi de finances pour 2023. La remise s'est transformée en un chèque de 100 euros attribué sur demande.

Dans l'ensemble, ces dispositifs se caractérisent par une grande impréparation et une communication très hétérogène, qui ont engendré des décisions parfois ubuesques. Ainsi, pour financer le bouclier tarifaire sur l'électricité, on a augmenté de 20 térawattheures le volume plafond de l'Arenh en janvier 2022, alors que le guichet avait été ouvert en novembre 2021. De plus, pour l'application des boucliers, la CRE doit prendre des décisions ayant un effet rétroactif sur les obligations faites aux fournisseurs, ce qui pourra donner lieu à des contentieux.

Les auditions que nous avons menées ont mis en évidence une méconnaissance des consommateurs. Personne ne connaît son portefeuille client de manière fiable, et l'État avance à l'aveugle. En outre, les dispositifs mis en oeuvre n'ont pas eu pour effet d'inciter les consommateurs à diminuer leur consommation. Certains ont même conduit à neutraliser des incitations existantes. Ainsi, le suramortisseur a « gommé » l'horosaisonnalité dont pouvaient bénéficier certaines PME.

Tout cela représente par ailleurs un coût considérable. Depuis 2021, le coût global de tout ce que je viens de présenter avoisine les 85 milliards d'euros, sachant qu'une diminution de 15 milliards d'euros a eu lieu pour les boucliers tarifaires par rapport à ce que j'avais présenté au moment de l'examen de la loi de finances pour 2023, en raison de la baisse des prix que nous avons observée.

La somme de 85 milliards d'euros inclut en partie des coûts cachés sur lesquels le Gouvernement communique peu, notamment 18 milliards d'euros de pertes de recettes liées à la diminution des droits d'accises, ainsi que 8 milliards d'euros d'augmentation du plafond de l'Arenh de 2022, supportés par EDF, entreprise, je le rappelle, contrôlée 100 % par l'État depuis le 8 juin dernier. S'ajoutent à cela 1 milliard d'euros de dépenses engagées au titre du plan de résilience économique et sociale pour soutenir les dépenses de carburant des pêcheurs, agriculteurs, et du secteur du bâtiment et des travaux publics (BTP).

Cette somme de 85 milliards d'euros ne comprend pas les dépenses susceptibles d'intervenir au titre du filet de sécurité des collectivités. À ce jour, 1,9 milliard d'euros de crédits ont été ouverts dans ce cadre. Le montant qui sera réellement dépensé demeure difficile à estimer, sachant que les 30 000 collectivités éligibles aux boucliers tarifaires n'entreront pas dans ce système. Par ailleurs, une grande partie de l'indemnité inflation, adoptée en juillet 2022 et chiffrée à 3,2 milliards d'euros, a été attribuée aux citoyens pour les aider à faire face à la flambée des coûts de l'énergie.

Certains coûts, difficiles à appréhender, ne figurent pas non plus dans la somme de 85 milliards d'euros susmentionnée, notamment les coûts de gestion des fournisseurs. Cela tient particulièrement au fait qu'il leur a été demandé de ne pas envoyer de facture à tous les potentiels bénéficiaires de l'amortisseur électricité pendant près de trois mois, au début de l'année 2023, pour faciliter la mise en place du dispositif et éviter que les entreprises aient à payer des factures trop élevées. Ces avances effectuées par les fournisseurs se sont traduites par des coûts de trésorerie, voire par des frais liés à des emprunts.

Les frais induits par la mise en oeuvre des dispositifs que je vous ai présentés ont été pris en compte dans les délibérations de la CRE. En janvier 2023, la charge représentée par les avances imposées aux fournisseurs pour leurs clients a ainsi été évaluée. Les fournisseurs peuvent percevoir des compensations via les recettes des fournisseurs d'électricité verte relevant de leurs portefeuilles. Une actualisation de la délibération de la CRE est par ailleurs attendue prochainement pour calculer les charges de service public de 2022, qui aura exceptionnellement un effet immédiat, alors qu'en temps normal l'actualisation survenue en juillet ne prend effet qu'au 1er janvier de l'année suivante. Cela pourrait entraîner un déficit de crédits sur le programme 345, qui seraient reportés sur 2024. Une ultime actualisation interviendra ensuite en juillet 2024, permettant d'intégrer les coûts réels des fournisseurs.

Le Gouvernement a fait une lecture particulière des autorisations budgétaires du programme 345, dans lequel sont apparues notamment pour la première fois des dépenses négatives, par le biais de l'action 17, « Mesures exceptionnelles de protection des consommateurs », nouvellement créée, financée par les sommes perçues au titre des actions précédentes. En effet, la baisse des prix de l'énergie ayant entraîné une diminution du coût des boucliers, les recettes assorties ont également diminué. Ainsi, alors qu'en novembre 2022 on attendait 36 milliards d'euros de recettes au titre des énergies renouvelables, ce montant a été divisé par deux. La contribution sur la rente inframarginale dégagée par l'exploitation d'une installation de production d'électricité, estimée à 12,3 milliards d'euros, devrait représenter seulement 5,5 milliards d'euros de recettes.

Alors que le volume prévisionnel de dépenses nettes demeure inchangé, à 21 milliards d'euros, les montants des dépenses et des recettes ont considérablement évolué.

Les éléments que je viens de vous présenter pourront déjà être réactualisés en septembre prochain... Le contrôle a en effet été l'occasion de constats surprenants. Ainsi, les représentants du Gouvernement se sont contredits à plusieurs reprises devant nous au sujet de la contribution sur la rente inframarginale. Certains services de l'État ne connaissaient pas des dispositifs relevant pourtant de leur périmètre d'action. Il serait bon qu'ils se les approprient, d'autant que plusieurs d'entre eux n'ont pas vocation à s'éteindre immédiatement.

Je plaide pour une extension du chèque énergie pour les particuliers et pour l'arrêt de la multiplication des chèques exceptionnels. À force de créer ainsi de nouveaux dispositifs au coup par coup, les consommateurs, qui ne savent plus s'ils y sont éligibles ou non, n'en font pas la demande. En outre, les coûts de gestion se multiplient. Il en résulte une politique publique inefficace et illisible.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Nous ne pouvons, à l'heure actuelle, avoir une bonne connaissance des consommations d'énergie, faute de disposer des données des fournisseurs, ce qui pose problème. Il faudrait travailler sur cette question.

Certains professionnels ont été en outre contraints de souscrire des contrats à des tarifs très élevés. Or la crise a été passagère et l'État se retrouve à présent en porte-à-faux face à des entreprises en réelle difficulté. Il y a là aussi un travail à mener, pour corriger le système.

Pour l'avenir, une meilleure connaissance des consommateurs et du fonctionnement des fournisseurs permettrait de calibrer au mieux les mesures prises en cas de crise, pour qu'elles soient les plus efficaces possibles.

M. Claude Raynal, président. - Quelles sont les perspectives pour 2024 ? Le ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires communique-t-il sur le sujet ?

Mme Sylvie Vermeillet. - Comment l'Allemagne s'y est-elle prise pour mettre en place des dispositifs qui récompensent efficacement les consommateurs vertueux, sans complexifier trop le système ? Le problème de la généralisation du chèque énergie est qu'elle ne vient pas récompenser ceux qui font des économies d'énergie.

Qu'est-ce qui explique la non-rentabilité de la contribution sur la rente inframarginale ?

M. Christian Bilhac. - Peut-on comparer la part de l'électricité produite à 50 euros en France et la part achetée à 1 000 euros par mégawattheure ?

Est-il possible par ailleurs d'identifier les entreprises qui ont fait des bénéfices, parfois très importants, durant la période écoulée, en achetant de l'électricité à 50 euros pour la revendre plein tarif, et de les faire contribuer aux dépenses d'énergie générales ?

M. Jérôme Bascher. - J'ai l'impression que le Gouvernement a cumulé les rustines, ce qui a peut-être évité aux entreprises et aux particuliers d'être pris à la gorge. Pour autant, cela ne constitue pas une réelle politique.

La simplification du chèque énergie paraît effectivement souhaitable pour les particuliers. Toutefois, il reste un mécanisme à trouver pour les collectivités et les entreprises.

Par ailleurs, n'y a-t-il pas eu, suivant les périodes, des surplus pour les entreprises et les consommateurs, l'État étant le seul perdant du système ?

M. Patrice Joly. - Le manque de lisibilité des différents dispositifs existants a généré une grande insécurité, notamment chez les petits commerçants, particulièrement les boulangers. Cela a aussi engendré des injustices. J'ai été interpellé par le bailleur social de mon département dont les locataires peinaient à faire face à leurs charges. La généralisation de l'indemnité carburant, qui ne tenait pas compte des capacités contributives réelles des consommateurs, a également posé problème. De plus, certains ont profité largement de la hausse des prix de l'énergie, comme cela a été dit. Enfin, j'aimerais avoir l'avis de la rapporteure spéciale sur les dérogations qui ont été accordées à certains pays au regard des règles relatives au marché européen de l'énergie.

Mme Christine Lavarde, rapporteur spécial. - Le Gouvernement a annoncé la suppression du bouclier tarifaire sur le gaz, estimant qu'il n'avait plus lieu d'être, car il ne coûtait plus rien, ce qui est une raison un peu étrange. Il en résulte un sentiment généralisé d'incertitude.

Il est difficile, de manière générale, de se projeter en 2024, d'autant que personne n'est capable de dire combien de TPE ou de PME ont souscrit des contrats fondés sur des prix dépassant 300 euros par mégawattheure pour 2024 et 2025.

La disparition des TRV pour le gaz n'implique pas par ailleurs la fin de la régulation, entre guillemets, des prix. Depuis deux mois, la CRE publie mensuellement un prix de référence, comme elle le faisait avant pour le TRV gaz. Tous les clients de l'ancien fournisseur historique qui étaient aux TRV et qui ne feraient aucune démarche d'ici au 1er juillet basculeront sur une offre dite « passerelle » calibrée sur ce prix de référence, qui vient donc remplacer les TRV. Les autres fournisseurs auront intérêt à s'aligner sur ce tarif.

M. Patrice Joly. - Plusieurs collectivités nous ont alertés sur la fin des TRV. Le prix de référence tient-il compte des mêmes méthodologies de calcul que les TRV ?

Mme Christine Lavarde. - La nouvelle formule est déterminée par une délibération de la CRE, qui a exposé sa méthodologie de calcul. Des changements mineurs sont intervenus, qui n'ont pas modifié la philosophie de construction de ce tarif de vente de référence. Il est également construit par l'empilement de plusieurs coûts. Une collectivité qui passerait du TRV à l'offre passerelle ne devrait donc pas voir de changement significatif, en dehors des fluctuations de prix survenues sur le marché de gros.

J'en viens aux entreprises qui ont profité de la crise, notamment TotalEnergies, dont les profits ont considérablement augmenté. Au début de la crise, lorsque l'État a demandé aux opérateurs de stockage du gaz de remplir leurs réservoirs au maximum, ils n'ont pas été indemnisés pour les avances de trésorerie correspondantes. De même, les fournisseurs d'énergie ont perdu de l'argent en faisant des avances pour gérer le lancement des amortisseurs.

Je vais prendre un exemple pour illustrer ce qui se produit sur le marché de l'électricité. Un fournisseur-producteur doit fournir 100 térawattheures pour satisfaire son portefeuille de clients l'année prochaine. Sur ces 100 térawattheures, il peut produire 60 térawattheures, dont 40 térawattheures via le nucléaire, pour un coût de production de 50 euros par mégawattheure, 10 térawattheures avec de l'énergie éolienne - dont le coût de production varie selon qu'il s'agit d'éolien terrestre, en mer, etc. -, le reste étant produit à l'aide d'énergie hydraulique ou solaire. Les 40 térawattheures restants seront achetés sur les marchés, au prix du moment. Le coût de revient de la fourniture sera donc une moyenne entre le prix payé sur les marchés et les 60 térawattheures produits par le fournisseur. Or la partie de cette énergie qui est issue des énergies renouvelables bénéficiant des soutiens fournis par l'État à l'électricité verte, et l'entreprise concernée revendant cette énergie beaucoup plus cher sur les marchés, le bénéfice correspondant doit être restitué par celle-ci à la puissance publique.

Les fournisseurs-producteurs d'électricité ayant de la production tirée des énergies renouvelables dans leurs portefeuilles sont tous tenus de restituer le gain correspondant. Il n'y a donc pas de profit caché. En revanche, il en va autrement pour ceux qui sont uniquement producteurs. La contribution sur la rente inframarginale devait intervenir sur ce point. Sa rentabilité a été diminuée par deux, car les prix de marché étaient plus élevés qu'aujourd'hui lorsqu'elle a été votée à la fin de l'année 2022. Elle permet néanmoins de capter une partie des surprofits des entreprises.

Des dérogations ont par ailleurs été accordées à l'Espagne et au Portugal, car le fait de déconnecter ces deux pays du marché européen de l'énergie n'avait pas d'incidence sur le fonctionnement du reste du marché. En revanche, si la France avait été déconnectée de ce marché, elle aurait subi plusieurs coupures d'énergie durant l'hiver, car elle a été à plusieurs reprises importatrice nette d'électricité - elle était exportatrice nette par le passé. L'Espagne et le Portugal ont par ailleurs mis en place d'autres dispositifs, de subventions notamment.

Une généralisation du chèque énergie paraît plus efficace que le système actuel, composé de chèques exceptionnels non ciblés et peu lisibles. Il vaut mieux un seul dispositif clair, connu de tous et dont on améliore l'usage en étendant le paiement au secteur du logement social.

Le mauvais fonctionnement des dispositifs existants pour les collectivités s'explique notamment par la raison suivante : si les petites collectivités sont aux TRV, les plus grandes ont souvent des délégations de service public dont les coûts d'énergie sous-jacents ne sont pas pris en compte dans les dispositifs du Gouvernement.

Enfin, en Allemagne, la consommation de gaz est entièrement subventionnée pour les particuliers uniquement si elle ne dépasse pas 80 % du niveau consommé l'année précédente. Dans une économie fortement dépendante du gaz, il s'agit d'un vrai signal envoyé aux consommateurs.

Nous demandons au Gouvernement de clarifier le système. Il est à noter qu'il vient de renoncer à poursuivre la révision des contrats photovoltaïques concernés par les arrêtés tarifaires de 2006 et de 2010, sujet sur lequel le Sénat l'avait alerté à plusieurs reprises et qui s'est avéré coûteux pour l'État.

La commission a adopté les recommandations du rapporteur spécial et a autorisé la publication de sa communication sous la forme d'un rapport d'information.

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