B. L'AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE, UN RÊVE ÉVANOUI ?

1. L'abandon progressif d'un aménagement national du territoire au profit de projets locaux
a) L'aménagement du territoire, un projet politique

Organiser le territoire, y installer des équipements, des infrastructures qui favorisent le développement de toute une série d'activités, d'abord militaires puis économiques, est aussi ancien que la civilisation. Les voies romaines répondaient à l'enjeu d'améliorer les liaisons entre les différentes provinces de l'Empire, d'y déplacer des légions, mais aussi des marchandises. Il s'agit pour un pouvoir politique de ne pas laisser la société s'auto-organiser totalement, mais d'orienter les choix pour répondre à des buts qu'il s'est fixés.

En France, si le concept d'aménagement du territoire a émergé après la Seconde Guerre mondiale, pour faire face aux besoins de la reconstruction dans un contexte de forte croissance démographique et de modernisation des structures économiques du pays, la pratique était bien plus ancienne. Dès Louis XIV, des programmes de grands travaux sont entrepris pour remodeler l'espace. Le canal du Midi est achevé en 1681 et l'aménagement de canaux se poursuivra et s'étendra au 19e siècle. Les chemins de fer ont certes été d'abord financés sur fonds privés, mais les tracés ont été établis sous l'égide de la puissance publique, qui à partir de 1823 avec la ligne Saint-Étienne-Andrézieux, accorde des concessions et organise le réseau.

Selon l'expression du géographe Xavier Desjardins25(*), la période 1945-1975 constitue « l'âge d'or de l'aménagement national du territoire ». À l'instar des autres pays d'Europe de l'Ouest, ravagés par la guerre, la France se donne pour ambition de mieux répartir les hommes et les activités économiques, en tenant compte de la disponibilité des ressources, en particulier les ressources minières, mais aussi en cherchant à corriger les disparités régionales. Le pays se dote d'un plan national d'aménagement du territoire en 1950, d'une délégation à l'aménagement du territoire et à l'action régionale (Datar) en 1963, et de grands plans régionaux ou territoriaux : plan Racine pour l'aménagement du littoral du Languedoc-Roussillon, plan d'aménagement de villes nouvelles.

Toujours selon l'expression de Xavier Desjardins, l'aménagement du territoire se définit comme « une action collective et volontaire qui vise, par le moyen d'une transformation de l'organisation spatiale et temporelle de la société, à répondre à des objectifs politiques ». Les politiques menées s'inscrivent dans un objectif général de modernisation du pays, mais aussi de rééquilibrage territorial afin d'éviter la congestion de la région parisienne et le sous-développement de certains territoires de province. La Datar fait ainsi émerger dès le milieu des années 1960 le concept de « métropoles d'équilibre » et encourage les délocalisations d'entreprises comme celles de l'aérospatiale vers le Sud-Ouest ou de l'électronique dans l'Ouest. Cette volonté politique a permis incontestablement de favoriser le développement industriel dans des régions peu dotées en ressources minières. Il s'agit de tenir la promesse républicaine d'égalité en ne laissant pas s'installer des disparités entre territoires qui pourraient aboutir à des fractures économiques, sociales, voire politiques.

La politique d'aménagement national du territoire s'appuie sur des investissements massifs dans toute une série d'infrastructures. Les autoroutes accompagnent l'essor de l'automobile : un premier tronçon s'ouvre entre Lille et Carvin en 1951 ; la loi de 1955 autorise à mettre en place des péages et à utiliser le régime des concessions. La première autoroute à péage Esterel-Côte d'Azur est ouverte en 1961. Fin 1980, la France compte plus de 4 000 kilomètres d'autoroutes. Les chemins de fer sont également modernisés. La construction d'un réseau de lignes à grande vitesse (LGV) à partir des années 1970 est le dernier exemple de politique volontariste d'équipement de notre pays en infrastructures de transport.

L'aménagement du territoire consiste aussi à se doter entre 1950 et 1980 de grands barrages sur les différents cours d'eau du pays (Serre-Ponçon, Sainte-Croix, Mont-Cenis, Vouglans, Grangent, Monteynard-Avignonet ...) puis, dans les années 1970, à lancer la construction de réacteurs nucléaires pour atteindre un haut degré d'autonomie énergétique, au moins sur l'électricité. En matière de services, la politique de développement des universités ou de construction de centres hospitaliers universitaires (CHU) s'est elle aussi inscrite en réponse à l'impératif de modernisation et de répartition des outils de la modernité dans les différentes régions de France.

b) La politique nationale d'aménagement du territoire remise en question

Mais le rôle de l'État dans l'aménagement volontariste de la France a été remis en cause dès les années 1970 par la crise économique qui a mis fin à la logique de développement industriel rapide du pays. Il ne s'agissait alors plus de définir des territoires capables d'accueillir de nouvelles activités mais d'accompagner le déclin industriel et d'organiser la reconversion de régions passant rapidement de la prospérité et de la croissance au chômage et à l'abandon. La logique offensive des conquérants du territoire était remplacée par une logique défensive visant à sauver ce qui pouvait l'être, en basculant vers de nouvelles activités, en particulier dans les services.

L'aménagement du territoire, tel que pratiqué à l'ère gaullienne et post-gaullienne a aussi dû se confronter à une critique « libérale » pointant la dérive des dépenses publiques qu'impliquent de grands investissements ou encore le maintien de territoires sous perfusion économique. L'action volontariste de l'État ne paraît pas réellement en mesure de corriger les déséquilibres, d'enrayer le déclin des régions industrielles ou celui du monde rural. Cette action ne serait même pas souhaitable, car elle empêcherait les territoires de prendre en main leur propre développement.

Une autre critique interroge la légitimité des choix d'aménagement faits par l'État. Pourquoi privilégier tel ou tel territoire quand chacun connaît des difficultés spécifiques à gérer ? L'échelon de décision pertinent ne serait-il pas l'échelon local ? Par ailleurs, les dégâts sur l'environnement produits par des investissements lourds en infrastructures routières ou énergétiques commencent à susciter des contestations dès les années 1970.

Certains instruments de l'aménagement du territoire ne paraissent en outre pas très efficaces : ainsi l'installation en province d'administrations publiques ne suscite pas toujours d'effet massif sur l'attractivité des villes concernées. Les aides et soutiens apportés peuvent créer des effets d'aubaine, et par ailleurs, rester insuffisants pour corriger des déséquilibres territoriaux profonds. L'État n'ayant plus les moyens d'investir massivement, l'aménagement national du territoire semble condamné à être impuissant.

c) De l'aménagement global à l'aménagement local

Alors que la mondialisation a affaibli la capacité de l'État à mettre en oeuvre des politiques sectorielles, son rôle central dans la définition des politiques publiques est également remis en question par la décentralisation.

La politique de décentralisation à partir de 1981 modifie profondément l'approche du développement des territoires. La région, désormais collectivité territoriale de plein exercice, devient un acteur de premier plan des politiques d'aménagement. À travers les contrats de plan État-région (CPER) voulus par Michel Rocard et qui se mettent en place à partir de 1984, c'est une nouvelle approche partenariale qui remplace la planification verticale.

Le développement local découle de l'idée que les populations locales et leurs représentants élus savent mieux que les experts parisiens ce qui est bon pour eux. L'État est appelé à être un accompagnateur financier et un facilitateur des projets locaux, mais en aucun cas un prescripteur des stratégies des territoires. Il lui est demandé de lever des contraintes et de faire confiance à l'agilité des acteurs de terrain.

Cette nouvelle approche se heurte toutefois à quelques obstacles dont il convient d'avoir conscience. D'abord, les territoires restent inégaux en termes de ressources humaines, de ressources financières ou encore d'équipements publics et d'infrastructures. Il serait ainsi inéquitable pour l'État de traiter de la même manière des territoires aussi inégaux. Son action correctrice reste donc légitime et appelée à la rescousse.

Ensuite, la multiplication des acteurs complexifie énormément l'action publique et peut ralentir les projets, voire en décourager les porteurs.

Enfin, une sorte de jeu non coopératif peut s'instaurer entre territoires se faisant concurrence et cultivant un « égoïsme territorial » qui nuit à l'équilibre général des politiques publiques.

Pour autant, on imagine mal une remise en cause d'un aménagement du territoire reposant avant tout sur les acteurs territoriaux, qui en ont la légitimité politique conférée par l'élection. Dans un ouvrage publié en 2019 intitulé « La France des territoires, défis et promesse », Pierre Veltz souligne que la révolution numérique constitue une opportunité nouvelle pour les territoires, réduisant le déterminisme géographique. Le jeu entre régions devient très ouvert et les spécialisations moins nécessaires. Si les inégalités risquent de se développer, c'est moins entre les régions qu'au sein d'un même espace géographique, et particulièrement au sein de métropoles connaissant une forte ségrégation spatiale entre les « beaux quartiers » et quelques banlieues. En réalité, par l'aménagement local du territoire, tous ont la possibilité de se dessiner un avenir et de choisir leur stratégie, en s'appuyant sur les atouts, réels, dont ils disposent. La relocalisation d'entreprises industrielles dans plusieurs régions de France depuis la crise de 2008 démontre que la fatalité n'est pas de mise.

2. Peut-on encore aménager le territoire ?
a) La question centrale des services publics

Les Français sont très attachés à la notion de service public. En même temps, ils sont inquiets de l'avenir de ceux-ci sur les territoires, instruits par plusieurs décennies de restructurations et réorganisations qui ont laissé l'impression d'une réduction des implantations locales.

Ce n'est d'ailleurs pas qu'une impression : alors qu'on comptait 17 000 bureaux de poste en 1990, au moment de la réforme des PTT, le réseau postal s'est transformé. S'il compte toujours 17 000 « points de contact », à peine plus de 7 500 d'entre eux sont des bureaux de poste, les autres implantations étant des points de contact partenariaux. Un rapport d'information des sénateurs Patrick Chaize, Pierre Louault et Rémi Cardon publié en mars 2021, appelant à une Poste « partout et pour tous », notait que « la tendance est à la diminution du nombre de bureaux de poste et à la hausse du nombre de points de contact partenariaux »26(*). Territoires ruraux, banlieues, petites villes, sont particulièrement touchés par la contraction du réseau postal.

Dans le domaine de la santé, l'organisation territoriale des services publics est également une forte préoccupation de nos concitoyens. Les établissements de santé n'ont cessé de se regrouper et de concentrer leurs sites depuis les années 1970. Ce mouvement ne répond pas uniquement à une logique de rationalisation des coûts, mais aussi et surtout à l'objectif d'amélioration de la qualité technique et de sécurité des soins. Les petites maternités ou les petits blocs opératoires sont appelés à fermer. On considère en effet que la réalisation d'actes de soins n'est sûre que si les professionnels en pratiquent un nombre minimal chaque année (par exemple, plus de 300 accouchements pour les maternités).

L'offre médicale de ville est en outre très inégalement répartie, au détriment de la banlieue parisienne et de nombre de régions plutôt rurales. Le libre choix d'installation des médecins libéraux conduit à des déséquilibres territoriaux que ne parviennent pas à enrayer les politiques incitatives (primes d'installation) ou encore le développement d'initiatives innovantes (maisons médicales). Notons qu'en Allemagne, l'installation est interdite à tout nouveau praticien dans les circonscriptions où la densité médicale est supérieure de 10 % à la moyenne.

D'une manière générale, l'impression d'une réduction de la présence physique des services publics sur les territoires suscite un sentiment d'abandon exprimé dans les territoires ruraux, mais aussi dans les banlieues ou dans les petites villes. La dématérialisation des procédures modernise incontestablement l'accès aux services publics. Mais elle peut mettre en difficulté celles et ceux qui ne sont pas à l'aise avec le numérique et qui continuent à avoir besoin d'un interlocuteur, soit encore selon l'INSEE un sixième de la population27(*). Le rapport d'activité 2022 de la Défenseure des Droits, Claire Hédon28(*) pointe ainsi la disparition des guichets, corollaire de la dématérialisation, entraînant le renoncement de nombre de citoyens à leurs droits.

Le maintien d'un maillage serré de services publics constitue donc un axe central de l'aménagement du territoire et un facteur d'attractivité incontournable.

b) La question du raccordement aux réseaux de transport et de communication

L'aménagement du territoire consiste à implanter des activités localement, notamment des services publics, mais aussi à assurer la liaison des territoires entre eux, à assurer leur raccordement le plus fluide possible avec l'extérieur, pour favoriser la circulation des hommes ou des marchandises et susciter l'intérêt des habitants ou des entreprises.

Au-delà du réseau routier et autoroutier évoqué plus haut correspondant à l'époque des trente glorieuses et du tout voiture, la France a produit des efforts importants de maillage en transports collectifs, à l'échelle nationale avec les LGV, mais aussi à l'échelle des agglomérations avec la construction de réseaux de métro (Marseille en 1977, Lyon en 1978, Lille en 1983, Toulouse en 1993, Rennes en 2002), de tramways (Nantes en 1985, Grenoble en 1987, Strasbourg en 1994, Montpellier et Orléans en 2000, Bordeaux en 2003 ou encore Nice en 2007) ou de bus à haut niveau de service (BHNS) sur voies dédiées.

Le basculement des déplacements automobiles vers les transports collectifs ou les modes doux comme le vélo est encore très incomplet, la voiture représentant encore les trois quarts des déplacements domicile-travail, contre seulement 16 % pour les transports collectifs et 8 % pour la marche et le vélo. Mais la construction d'infrastructures de transport collectif constitue un facteur de développement du territoire en même temps qu'un instrument pour décarboner et moderniser les mobilités.

Pour autant, les investissements effectués ne sont pas sans effets pervers. Le raccordement d'une ville à une LGV la rend plus attractive et offre des opportunités. La LGV Ouest a ainsi favorisé la connexion à Paris de villes comme Le Mans ou Tours. Mais cette attractivité peut être au détriment d'autres villes à l'échelle de la même région. La priorité à l'investissement dans les LGV a par ailleurs conduit à sous-investir dans les transports régionaux et à privilégier de grandes dorsales au détriment du maillage fin en transports collectifs. Il y a déjà dix ans, le rapport du député Philippe Duron29(*) préconisait de rééquilibrer les investissements en faveur des lignes de transport express régional (TER) et des trains d'équilibre du territoire (TET, appelés aussi Intercités).

À l'échelon des agglomérations, le développement des modes lourds (métro et tramways) consomme énormément de ressources financières et ne dessert que les zones denses. Il s'accompagne presque toujours d'une réduction des moyens de circulation et de stationnement automobile, avec la perspective d'une quasi-interdiction de rouler au sein des zones à faibles émissions (ZFE). Là encore, le transport collectif, qui reste un progrès, peut être vu comme pénalisant pour les habitants des périphéries qui sont amenés à financer les investissements portés par les collectivités sans vraiment en bénéficier et subissent les effets pervers des aménagements.

À l'ère de la dématérialisation, la connexion des territoires au monde passe aussi par les réseaux numériques. La France s'est dotée au début des années 2000 d'outils visant à favoriser une couverture complète du territoire, tant en téléphonie mobile (3G, puis 4G puis 5G désormais) qu'en accès à Internet avec des débits suffisants. Les « zones blanches » non couvertes par des réseaux mobiles sont désormais résiduelles. Le déploiement de la fibre optique progresse aussi, avec l'objectif à terme de remplacer les réseaux téléphoniques sur la boucle cuivre à l'horizon 2030. Mais cette ambition de couverture numérique se heurte à des problèmes techniques et organisationnels, en particulier pour le déploiement du très haut débit (THD), et au risque de sous-investissement des opérateurs sur des secteurs ruraux jugés moins rentables. Le numérique étant de plus en plus indispensable à la vie quotidienne, la préservation d'un aménagement du territoire équilibré ne laissant personne sur le bord du chemin devra donc passer par une grande vigilance à chaque nouvelle marche technologique.

c) La légitimité de la notion même d'aménagement remise en cause

Si la construction d'infrastructures a contribué à moderniser le pays, il y a aussi eu des ratés : dans l'organisation de l'armature urbaine, les grands ensembles ont très mal vieilli. La pollution générée par les axes routiers interpelle également. La prise de conscience environnementale conduit plus largement à s'interroger sur les impacts négatifs des grands travaux. La loi de 1976 relative à la protection de la nature avait introduit l'idée que tout projet devait faire l'objet d'une évaluation de ses effets sur l'environnement à travers des études d'impact. La méthodologie de ces études repose sur la séquence « éviter-réduire-compenser » (ERC). Les compensations se font plus exigeantes : on n'accepte plus qu'elles ne soient que formelles et finalement virtuelles. Les exigences se sont aussi renforcées pour d'abord éviter ou réduire les impacts négatifs des projets. L'utilité publique des projets doit mettre en balance un écheveau de plus en plus complexe de paramètres et les gains économiques et sociaux des aménagements sont de plus en plus questionnés au regard des désagréments pour la biodiversité, mais aussi pour la vie sociale ou pour les collectivités voisines.

En réalité, les grands projets sont remis en cause dans leur essence même : contraindre la nature est vu comme forcément inacceptable. Comme l'indique Xavier Desjardins dans son ouvrage précité : « le débat ne porte pas sur des options techniques, mais sur un affrontement de valeurs ». Dans ces conditions, les processus de concertation publique, qui visaient précisément à rapprocher les points de vue, à prendre en compte les intérêts divergents, à faire apparaître des solutions de consensus, ne peuvent plus aboutir. La dérive des coûts observés dans les anciens projets, l'absence de prise en compte de certains risques ou encore la surestimation de leurs avantages notamment en termes d'emploi, viennent à la rescousse des opposants aux projets qui en réalité, par principe, refusent la notion même d'aménagement.

Le projet de construction de l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes près de Nantes est emblématique de ce rejet de la volonté d'aménagement du territoire par la construction de nouvelles infrastructures. Envisagé dès 1974 avec la création d'une zone d'aménagement différé (ZAD), le projet avait été mis en sommeil avec la crise pétrolière avant de réapparaître au début des années 2000. Soutenu par les élus locaux et les milieux économiques, il répondait à un besoin de faire face à l'augmentation du trafic sur l'aéroport Nantes Atlantique, mais aussi au souhait de déplacer le trafic pour limiter les nuisances sonores sur la partie Sud-Ouest de Nantes, beaucoup plus densément peuplée que le bocage du Nord-Ouest autour de Notre-Dame-des-Landes. Malgré un débat public en 2002-2003, une enquête publique en 2008 et un vote des citoyens du département de la Loire-Atlantique à plus de 55 % en 2016, la construction de ce nouvel aéroport a été abandonnée en 2018. Ce projet était devenu l'emblème d'une lutte pour l'environnement, menée localement par des militants occupant le site et l'ayant transformé en « zone à défendre ».

Bien d'autres projets connaissent le même sort : celui de la construction d'un barrage à Sivens sur le Tescou, un affluent du Tarn, a été stoppé en 2015 après une manifestation d'opposants au cours de laquelle un jeune manifestant a trouvé la mort. Sur le fond, aucun compromis n'était possible sur ce projet, les opposants considérant par principe qu'on ne devait pas permettre aux agriculteurs de retenir l'eau pour leurs cultures, mais qu'il leur fallait adapter leur exploitation au changement climatique, seule solution viable à long terme. Les manifestations contre la construction de retenues d'eau destinées à l'irrigation agricole à Sainte-Soline dans les Deux-Sèvres répondent au même mot d'ordre.

Un raisonnement similaire s'applique aux projets routiers : ainsi l'A69 entre Castres et Toulouse est contestée au nom de la lutte contre l'artificialisation des terres et de la protection de la planète, même si un tel aménagement désenclaverait Castres et réduirait le trafic routier de transit constaté actuellement dans les villages situés sur le trajet.

Les conflits d'aménagements changent ainsi de nature. Il ne s'agit plus de négocier des compensations ou de débattre de tracés alternatifs sous l'égide de la Commission nationale du débat public (CNDP). C'est en réalité l'idée d'aménagement qui est combattue, et la seule issue du conflit est la défaite d'une des deux parties.

Pourra-t-on encore demain faire de l'aménagement du territoire sans être accusé d'aller à rebours de l'histoire ? Réunir localement une majorité d'acteurs ne suffit manifestement pas, ce qui pose un défi redoutable aux porteurs de projet locaux, pourtant légitimes puisque représentants élus des territoires.


* 25 Xavier Desjardins, L'aménagement du territoire, Armand Colin, 2021.

* 26  https://www.senat.fr/notice-rapport/2020/r20-499-notice.html

* 27  https://www.insee.fr/fr/statistiques/4241397

* 28  https://www.defenseurdesdroits.fr/fr/rapports/2023/04/rapport-annuel-dactivite-2022

* 29 Mobilité 21 « Pour un schéma national de mobilité durable » : https://www.vie-publique.fr/rapport/33265-mobilite-21-pour-un-schema-national-de-mobilite-durable